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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 27 avril 1999

• 0825

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)): Mesdames et messieurs, bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité principal procède à l'examen des objectifs du Canada en matière de commerce et du programme de l'Organisation mondiale du commerce. Conformément à la même disposition du Règlement, le sous-comité procède également à un examen des intérêts prioritaires du Canada dans le processus de création d'une zone de libre-échange des Amériques.

Les audiences publiques que le comité tient aux quatre coins du pays relativement aux principaux aspects de la future politique sur le commerce international du Canada surviennent au moment où les pays sont confrontés à des décisions et à des choix cruciaux, dans le cadre de négociations complexes menées sur le plan multilatéral dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce aussi bien que sur le plan régional, dans des secteurs comme la zone de libre-échange des Amériques.

Au moment d'entreprendre ces vastes consultations publiques sur les intérêts du Canada dans le cadre des négociations de l'OMC et de la ZLEA, le comité et son sous-comité du commerce sont tout à fait d'accord avec le ministre du Commerce international, Sergio Marchi, pour dire que les Canadiens doivent avoir davantage l'occasion de se prononcer sur les positions que le gouvernement du Canada défendra dans le cadre de telles négociations.

En mars, le comité s'est rendu au Québec et dans les provinces de l'Atlantique. Cette semaine, tandis que la moitié du comité tient des audiences dans trois provinces de l'Ouest, l'autre moitié tient des audiences analogues au Manitoba et en Ontario. Nous espérons bénéficier du plus large éventail possible d'opinions exprimées par des Canadiens et en rendre compte dans un rapport que nous comptons déposer à la Chambre des communes avant l'été, soit bien avant les importantes réunions relatives au commerce international qui se tiendront plus tard cette année.

En préparation de la présente phase des consultations nationales, le comité, en février, a d'abord entendu le ministre et ses hauts fonctionnaires. Par la suite, on a, avant de donner le coup d'envoi des audiences nationales, organisé un certain nombre de tables rondes des plus réussies à Ottawa. Dès la mi-avril, plus de 100 témoins avaient présenté devant le comité des exposés étoffés portant sur un large éventail de préoccupations et d'enjeux critiques. Je m'empresse d'ajouter que nous avons entendu hier 39 témoins et que, lorsque nous quitterons Vancouver aujourd'hui, nous en aurons entendu 70.

Comme le ministre Marchi l'a indiqué dans la déclaration préliminaire qu'il a faite devant nous, le commerce international est aujourd'hui devenu un enjeu local. Les négociations qui se déroulent au loin ont des conséquences qui se font sentir à table, dans les cuisines, aussi bien que dans d'autres aspects de la vie quotidienne. J'ajoute que bon nombre de témoins qui ont comparu devant nous ont abondé dans le même sens.

Comme cette tendance s'intensifie en raison de la mondialisation, on ne peut laisser à une poignée de fonctionnaires le soin d'élaborer la politique commerciale dans des officines. En fait, on doit encourager la participation de l'ensemble de la société et de tous les ordres de gouvernement. Les membres du comité se réjouissent donc de la tenue des présentes audiences, qui constituent une étape favorisant la réalisation de ce but. Nous avons été franchement impressionnés par la qualité des témoignages et des mémoires écrits que nous avons reçus. Au-delà des audiences officielles, nous devons faire de cette démarche un processus continu d'apprentissage et d'écoute. À cet égard, nous venons tout juste d'ajouter au site Internet de notre comité une série d'éléments de discussion assortis de questions soumises à l'intention du public à des fins de consultation. Nous envisageons également d'inclure dans notre rapport un guide de l'OMC destiné aux citoyens.

Nous encourageons les citoyens de toutes les régions du Canada à continuer de participer et de suivre l'évolution de notre étude parlementaire au cours des semaines et des mois à venir.

Sur ces mots, j'invite mes collègues à se présenter brièvement avant que nous n'entendions notre premier témoin, Mme Nola Kate Seymoar. Monsieur Stinson.

M. Darrel Stinson (Okanagan—Shuswap, Réf.): Darrel Stinson, député d'Okanagan—Shuswap.

M. Werner Schmidt (Kelowna, Réf.): Werner Schmidt, député de Kelowna.

M. Bob Speller: (Haldimand—Norfolk—Brant, Lib.): Bob Speller, secrétaire parlementaire du ministre du Commerce international et député du sud-ouest de l'Ontario.

Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Colleen Beaumier, députée non pas de Toronto et présidente du Sous-comité des droits de la personne et du développement international.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Bonjour, madame. Veuillez excuser mon retard. Je m'appelle Benoît Sauvageau. Je suis député du Bloc québécois et je représente la circonscription de Repentigny, au Québec.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je m'appelle Sarmite Bulte, et je suis députée d'un secteur de Toronto connu sous le nom de Parkdale—High Park. J'ai le privilège de présider les présentes audiences tenues dans l'Ouest, en plus d'agir comme présidente du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux.

Sur ce, j'invite Mme Nola Kate Seymoar à prendre la parole.

Mme Nola Kate Seymoar (directrice générale, Centre international pour le développement durable des villes): Je vous remercie beaucoup.

Permettez-moi d'abord de préciser que, il y a une dizaine d'années, j'occupais le poste de directrice générale de la Commission de l'assurance-chômage et que, à ce titre, j'ai tenu des audiences publiques dans 60 collectivités du pays. Je sais donc que vous avez la tête remplie d'une multitude de détails techniques. Je compte donc en partie m'en tenir davantage aux principes, et je serai brève. Je ne suis pas une spécialiste dans le domaine du commerce, et je vous promets de ne pas chercher à prétendre le contraire.

• 0830

J'ai été membre de la délégation canadienne qui a participé au sommet tenu en Bolivie. J'ai assisté à la conférence mondiale tenue dans le cadre du sommet de Santiago. J'ai siégé à titre de spécialiste du développement durable au CENPES, comité de spécialistes de l'OEA. J'ai aussi été élue à titre de représentante des ONG dans le cadre de la stratégie interaméricaine visant à favoriser la participation du public au développement durable. J'ai donc été mêlée d'assez près au sommet des Amériques, à l'assemblée générale de l'OEA et à ses pratiques, aux forums des ONG et aux tentatives de mise en valeur des enjeux, particulièrement en ce qui concerne le commerce et la ZLEA.

Il s'est agi dans tous les cas d'expériences totalement différentes. En tant que membre de la délégation canadienne, j'ai appris ce qu'est la négociation avec ceux que j'appellerais les «gros bras» américains. Les alliances que nous avons conclues avec de petits pays—qu'il s'agisse de pays d'Amérique centrale ou des Antilles à l'égard de diverses questions, ou d'arrimages dans des dossiers commerciaux, souvent avec le Mexique—m'ont amenée à comprendre la complexité des négociations et les difficultés qui y sont inhérentes. J'ai également été très sensibilisée à la valeur de ce que je me plais à considérer comme la façon canadienne de faire les choses. Sur le plan des principes, mes propos seront donc axés sur ce que j'estime être la promotion des valeurs canadiennes à l'étranger, à condition qu'elles soient en prise sur le Canada, le monde et le genre de credo des affaires étrangères en usage ces jours-ci.

Je n'ai pas de mémoire écrit à vous distribuer. Permettez-moi simplement de soulever quelques points.

D'abord, j'estime que la responsabilité des négociations doit relever des politiciens, et non des fonctionnaires ni des groupes d'intérêt. Vous seuls êtes élus; vous êtes donc les seuls qui auront des comptes à rendre. Ce principe recoupe bon nombre d'éléments des témoignages que vous aurez entendus. On vous aura parlé de l'affaire Ethyl Corporation et du problème que pose la cession des droits des gouvernements à des sociétés. On ne doit plus répéter une telle erreur, ni dans des négociations, ni dans des accords. Le premier principe en cause est donc qu'il incombe à des élus d'être à la table. Franchement, j'irais jusqu'à recommander que vous-mêmes soyez présents à la table—que des politiciens du comité ou d'autres horizons participent activement aux négociations. Ne laissez pas aux seuls hauts fonctionnaires le soin de négocier. J'ai beaucoup de respect pour les hauts fonctionnaires, mais ils ne sont pas élus, et on ne peut pas non plus les chasser de leur poste au moyen d'un vote—même si, parfois, j'aimerais bien pouvoir le faire.

Mon deuxième point, c'est que le commerce et l'investissement sont deux choses différentes. Nous souhaitons libéraliser le commerce, et je conçois l'importance que revêt l'accroissement du flux des biens et des services. Il s'agit là d'un principe tout à fait différent de celui qui régit l'investissement. Pour que l'investissement serve l'intérêt du développement durable, nous devons miser sur l'investissement à long terme. En fait, nous voulons prévenir le va-et-vient rapide de l'argent. La spéculation monétaire ne représente pas un bon investissement. Je pense donc qu'il importe que vous demeuriez conscient de la différence entre les objectifs de la mission commerciale, pour ainsi dire, qui consiste à libéraliser le commerce et l'importance que revêt la prise de mesures visant à empêcher que l'investissement ne soit qu'un processus de va-et-vient rapide.

Troisièmement, l'économie de marché et la démocratie sont compatibles, mais pas synonymes. En faisant la promotion de l'économie de marché, nous en venons à croire que nous faisons la promotion de la démocratie. Je vous rappelle le principe qui régit le marché: un dollar, un vote. Il s'ensuit que les particuliers qui ont plus d'argent ou les sociétés qui ont plus d'argent détiennent beaucoup plus de pouvoirs que le reste des concurrents au sein du système de marché. Quant à la démocratie, elle permettra aux citoyens et, en un sens, au pays, d'accéder à une égalité beaucoup plus grande. Nous ne devons donc pas nous laisser berner par le mythe selon lequel le marché libre et la démocratie sont nécessairement connexes.

• 0835

Permettez-moi aussi de dire que les marchés doivent être locaux. Si, d'une façon ou d'une autre, nous parvenons à venir en aide au marché local... mais n'allez surtout pas croire que je suis contre le système de marché.

Quatrièmement, il incombe à l'État et aux plus forts d'assurer la protection contre les abus de pouvoir. Il s'agit d'un rôle légitime et nécessaire. Si vous commencez à dire du mal du libre-échange, on vous taxera de protectionnistes, je le sais bien. À mon avis, vous avez la responsabilité d'assurer une forme de protection. Vous avez la responsabilité de protéger les personnes qui sont vulnérables, les pauvres, les femmes, les groupes autochtones, les groupes minoritaires. La protection est une responsabilité et un rôle qui vous revient de droit. Au cas où on vous accuserait de protectionnisme, vous devez vous poser la question suivante: qui devons-nous protéger? Les riches ou les pauvres, les puissants ou les vulnérables?

Mon cinquième point principal, c'est que les 34 pays qui composent les Amériques sont tous très différents. J'ai participé à des projets dans environ 14 des 34 pays, et comparer un petit pays des Antilles au Brésil ou comparer le Chili et le Mexique ou le Guatemala—il n'y a tout simplement pas de comparaison possible. À mon avis, la mise au point d'une solution applicable à tous ne constitue pas un modèle valable. Je pense que seuls les États-Unis ont intérêt à agir de la sorte.

Pour ma part, je crois que toute négociation doit avoir pour but d'assurer la protection de l'intérêt national, des identités nationales, du caractère distinctif des divers pays. Dans le cadre des réunions auxquelles j'ai pris part, j'ai incontestablement entendu des groupes des Antilles dire qu'ils n'ont pas la capacité de se présenter à la table sur le libre-échange. Au sein même de l'OEA, il arrive, dans le cadre d'une réunion, qu'on se divise en sous-comités. Or, un pays comme le Guatemala ou le Salvador ne peut dépêcher qu'une ou deux personnes à ces séries de rencontres. Ils ne peuvent donc pas participer aux réunions des sous-comités. Sur le plan matériel, ils n'ont littéralement pas la possibilité d'y prendre part, et ils disposent encore moins de l'expertise nécessaire. Il est donc terriblement important que nous adoptions des moyens et des mécanismes qui nous permettent d'adapter le processus en fonction des besoins de ceux qui détiennent les pouvoirs aussi bien que de ceux qui n'en détiennent pas.

Le sixième point, c'est que le développement durable doit devenir une réalité dans les collectivités, et cesser d'être un principe inscrit dans les préambules et ne relevant que de la rhétorique. Depuis dix ans, j'oeuvre dans le domaine de ce que nous appelons aujourd'hui le développement durable. C'est drôle—je crois comprendre que vous étiez à Winnipeg hier—, j'étais auparavant à l'Institut international du développement durable de Winnipeg. Je viens tout juste de m'établir à Vancouver pour prendre la direction du Centre international pour le développement durable des villes. Je suis donc passée de la politique gouvernementale et de la politique commerciale en particulier, ce qui constitue le champ d'expertise de l'Institut international du développement durable, aux questions touchant les déchets, les eaux usées, l'eau et le logement. C'est au niveau local que le véritable problème de la durabilité se pose. Il tient à ce qui se passe dans notre cour, dans notre eau. Aujourd'hui, je m'efforce sans cesse de m'attaquer à des problèmes pratiques, sans pour autant perdre les principes de vue.

Le développement durable comporte trois principes qui, à mon avis, sont essentiels et qu'on doit se garder d'oublier.

Le premier, c'est qu'il faut penser à long terme. Le développement durable est l'affaire des générations futures. On nous a tous remis la définition de la Commission Brundtland. Les Autochtones nous diraient que le développement durable concerne la septième génération environ. Il a trait à nos petits-enfants. C'est ce qui fait que je m'y intéresse, et je pense que c'est ce qui explique que la plupart des citoyens en viennent soudainement à dire: «Ces enjeux intéressent mes petits-enfants.» Si vous ne perdez pas ce principe de vue, vous serez en mesure de garder la durabilité en tête.

Deuxièmement, le développement durable intègre des éléments sociaux, économiques et environnementaux. Il s'agit de la définition de travail. C'est la définition qu'utilisent des sociétés comme Shell lorsqu'elles évoquent des plans de développement durable. Elles évoquent des questions touchant le bien-être économique, environnemental et social.

• 0840

La semaine dernière, j'ai pris la parole devant l'association des parlementaires canadiens et européens—je ne me souviens plus très bien du nom—à propos des obstacles aux négociations transfrontalières. Or, les obstacles que j'ai évoqués n'étaient pas des obstacles géographiques. C'était plutôt des obstacles entre disciplines, entre ministères du gouvernement aussi bien qu'entre forces économiques, environnementales et sociales. Nous parlons tous un langage différent et, lorsque nous nous réunissons, c'est comme si nous parlions espagnol, français et anglais. Le problème est tout aussi épineux lorsque des économistes, des travailleurs sociaux et des environnementalistes se rencontrent. L'intégration de ces trois secteurs représente donc un défi de taille.

Troisièmement, le développement durable est un processus. Sur ce plan, le Canada a fait office de chef de file. Nous l'avons fait en invoquant la notion de processus participatif multilatéral. Il y a dix ans, nous parlions de «table ronde»; aujourd'hui, nous parlons simplement de processus multilatéraux. Or, c'est en réunissant tous les intervenants autour d'une même table qu'on peut modifier le processus décisionnel.

Ce sont donc là les trois éléments du développement durable que, à mon avis, on devrait presque utiliser comme un filtre dans le cadre d'une négociation.

Le septième point—et je n'en ai que deux autres à soulever—, c'est que le fait de modifier la composition des membres de la table de négociation entraînerait une modification du genre de décision prise. Le gouvernement, le secteur privé et la société civile doivent tous être présents à la table. On nous demande souvent de préciser qui représente les organisations de la société civile. Leurs membres ne sont pas élus, n'est-ce pas? Pour ma part, je poserais la même question à propos des sociétés. Qui représentent-elles? Nous savons qu'elles représentent leurs actionnaires, mais leurs représentants sont-ils élus? Non. On en revient toujours au constat suivant: autour de la table, seuls les politiciens sont élus.

J'en reviens maintenant à la question de la représentation des gouvernements. Autour de la table, on doit aller au-delà du gouvernement fédéral et même au-delà des provinces pour faire une place aux administrations municipales puisque c'est au niveau des municipalités qu'une bonne part de la mise en oeuvre s'effectue. J'inclurais aussi les gouvernements des Premières nations parce qu'ils ont des responsabilités et des rôles différents et qu'ils ont incontestablement des responsabilités et des rôles.

Au sein de la société civile, je vous invite à vous pencher sur une expérience en cours au sein de l'OEA relativement à la question de savoir qui représente les organisations de la société civile. Dans le cadre de la stratégie interaméricaine visant à assurer la participation du public, on a réalisé un sondage... on connaissait 350 organisations réputées s'intéresser aux questions touchant l'OEA. On les a sondées pour obtenir une liste de candidats au comité consultatif international. Ils ont ainsi recueilli quelque 50 nominations dans sept catégories—organisations intéressées par les questions économiques, environnementales et sociales de même que par les enjeux qui ont trait aux Autochtones, aux femmes, au travail et aux minorités africaines et autres. À l'aide d'Internet et de télécopieurs et d'autres moyens du genre, on a par la suite diffusé le nom et le curriculum vitae des candidats, et on a tenu une élection. C'est ainsi que sept d'entre nous ont été élus. Ce n'est pas un système parfait, et il est très complexe. De plus, nous n'avons pas d'argent pour rendre des comptes. Ce que je veux dire, c'est que c'est un système dont la mise en oeuvre est déficiente, mais il a malgré tout permis aux groupes en question d'être représentés.

À mon avis, les groupes de la société canadienne civils ont tout à fait disposés à identifier les personnes qu'ils voudraient voir siéger à la table et en mesure de le faire. Ce n'est pas une solution parfaite, et certains diront: «Il s'agit du CCCI ou du CTC, et non pas de mon groupe», mais tout système favorisant la représentation à la table est préférable à rien du tout.

Enfin, je dirai un mot des questions relatives au règlement de différends et à la propriété intellectuelle.

On vous aura déjà, j'en suis certaine, inondés d'arguments à propos des mécanismes de règlement de différends qui déboucheront sur des dénouements comme celui qu'a connu l'affaire Ethyl. Il est essentiel de mettre au point un mécanisme de règlement des différends, mais il est également utile d'étudier comment on pourrait mettre en place un mécanisme consensuel plutôt qu'un simple mécanisme de règlement des différends.

• 0845

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, l'enjeu fondamental, à mes yeux, a trait à la sécurité alimentaire. Ce qu'il y a, c'est qu'on ne doit pas permettre des pratiques comme la colonisation des semences, la capacité de faire breveter des semences et le fait d'empêcher des personnes de faire pousser les aliments qu'ils consomment d'année en année. Ce n'est pas dans notre intérêt. C'est dans l'intérêt de Monsanto, mais pas dans le nôtre.

C'était là mes commentaires essentiels. J'ai toutes sortes d'idées, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup, madame Seymoar, de votre fabuleux exposé.

Nous avons le temps de poser des questions. Nous disposons de 15 minutes.

M. Werner Schmidt: Toutes mes félicitations, madame la présidente. Nous avons le temps de poser des questions.

Mme Nola Kate Seymoar: C'est plus facile lorsqu'on est le premier témoin à comparaître.

M. Werner Schmidt: C'est absolument fantastique parce que, hier, les questions nous ont manqué...

Une voix: Le temps nous a manqué.

M. Werner Schmidt: Oui, c'est le temps, et non les questions, qui nous a manqué.

Madame, je tiens absolument à vous remercier d'avoir comparu devant nous ce matin. Vous avez des antécédents des plus remarquables en plus de posséder une vaste expérience, et c'est, je crois, ce qui m'incite à vous poser une questions concernant l'hypothèse qui sous-tend la position que vous avez adoptée et l'assise sur laquelle reposent les principes que vous avez élaborés. L'hypothèse en question est que les parties souhaitent en venir à un accord.

Vous avez fait état de la division entre les divers groupes et des tactiques d'intimidation auxquelles ont recours les Américains en particulier. Je pense que ce sont les mots que vous avez utilisés, ou peu s'en faut. Les parties souhaitent-elles véritablement en venir à une entente, ou les intérêts sont-ils si profondément ancrés que, en réalité, toute possibilité d'accord est exclue? Pour que l'accord soit conclu, un certain nombre de particuliers et de groupes d'intérêts devront faire des concessions. Comment peut-on, comme point de départ, amener les parties à souhaiter s'entendre?

Mme Nola Kate Seymoar: Pour y parvenir, je crois qu'il faut augmenter le nombre de personnes associées au débat. Si le débat reste au niveau des fonctionnaires qui ont orchestré l'ALENA ou du CTC et des organisations qui débattent entre elles depuis dix ans, je pense que nous allons pour l'essentiel rester au neutre.

Si nous élargissons la représentation et que nous faisons une place à des personnes qui n'ont pas participé aux négociations antérieures, mais que les résultats intéressent au premier chef, nous pourrons, je crois, instaurer un dialogue différent. Les participants comprendront alors qu'ils doivent «bouger».

Mon intention n'est nullement d'abaisser le CTC, la chambre de commerce ni les autres participants aux négociations de l'ALENA. Tout ce que je dis, c'est qu'il faut ouvrir le processus.

M. Werner Schmidt: D'accord. Qu'on l'ouvre ou non, cependant, il me semble que l'hypothèse implicite qui sous-tend cette éventuelle ouverture demeure la même: les participants doivent souhaiter en venir à un accord. Avec tout le respect que je vous dois, je n'ai pas l'impression que vous ayez répondu à la question.

Mme Nola Kate Seymoar: D'accord. Très bien. Selon l'expérience de la négociation des questions touchant le développement durable que j'ai acquise au sommet de la Bolivie, il arrive que des groupes issus de la société civile parviennent à un consensus sur des éléments particuliers du programme. Par la suite, ils tentent d'inciter leurs gouvernements et leurs représentants gouvernementaux à aller dans cette direction.

En ce qui concerne la négociation dans les Amériques, le Canada, par exemple, occupe une situation tout à fait unique. Les Américains venaient nous voir en disant: «Nous aimerions apporter une modification, mais, si nous soulevons la question, elle sera mise aux voix et rejetée.» Dans certains dossiers, c'était comme s'ils savaient qu'ils n'avaient pas le beau rôle. Si, sur un point particulier, nous étions d'accord avec eux, nous le faisions valoir, ou encore nous le faisions passer par le réseau des ONG dans le cadre d'une ronde initiale de discussion.

Ce qui était important, c'était les positions non négociables. Chacun était au courant. Il était donc important d'établir les domaines dans lesquels des compromis étaient possibles. Habituellement, on disposait d'une marge de manoeuvre suffisante pour pouvoir s'entendre sans toucher les éléments non négociables, ou encore on trouvait un moyen de les formuler différemment. Malheureusement, on entre alors dans des questions de virgules et de points-virgules. C'est extrêmement ennuyeux. Je vous propose d'être présents à la table, mais il s'agit en réalité d'un lieu terrible—à peine moins pénible que la période de questions.

• 0850

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très brièvement.

M. Werner Schmidt: Ma dernière question à ce propos est la suivante: qui détermine ce qui est négociable et non négociable?

Mme Nola Kate Seymoar: La dynamique du moment. Malheureusement, le poids économique se retrouve à 75 p. 100 dans le camp des Américains. Dans l'ensemble des négociations, les parties les plus importantes sont les États-Unis, le Brésil, le Mexique et, dans une moindre mesure, le Canada. Nous sommes un peu comme l'enfant qui, dans une famille, vient au milieu. Nous avons pour rôle d'aplanir les difficultés, ce qui me paraît tout à fait valable.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Bon matin, madame.

Je veux d'abord vous remercier de votre présentation, qui a été rafraîchissante et édifiante. Je crois que nous devons nous en inspirer. On peut comprendre que ce n'est pas tout blanc ou tout noir, comme nous le laissent trop souvent entendre les pro ou les anti. À cet égard, votre point de vue est très intéressant.

Étant donné qu'on a seulement cinq minutes, je vais me pencher sur un aspect de votre présentation sur lequel je suis d'accord. Vous disiez qu'en bout de ligne, les responsables sont les politiciens puisqu'ils sont les seuls élus dans toute cette machine. Là-dessus, je suis d'accord avec vous. Cependant, vous avec dit que nous devrions être présents à la table des négociations. Ce serait physiquement très difficile, en termes de contraintes de temps et ainsi de suite, sinon impossible. Les membres de ce comité, moi y compris, croient avoir peut-être trouvé un principe intéressant au sujet duquel j'aimerais entendre votre opinion.

Nous ferions ce que nous faisons présentement en vue des négociations de l'OMC. Nous rencontrerions des gens pour orienter ou inspirer nos négociateurs avant les négociations. Nous demanderions ensuite à nos négociateurs de nous tenir au courant de l'évolution des négociations et de nous faire voir leur travail avant qu'on signe un traité. Nous exercerions ainsi une influence non seulement avant les négociations, mais aussi après les négociations et avant la signature d'un traité. Pensez-vous que ce serait un rôle souhaitable pour les politiciens? Est-ce qu'on atteindrait ainsi les objectifs de votre principe?

[Traduction]

Mme Nola Kate Seymoar: Il me semble que si vous jouez un rôle avant, pendant et après les négociations... lorsque, sur le plan pratique, nous nous sommes présentés au sommet de la Bolivie et qu'on a signé la déclaration... tout est entendu. Tout a déjà été décidé. Il est inutile d'aller à cette réunion. Le cocktail est agréable, mais ce n'est pas vraiment le lieu où exercer une influence sur le cours des événements.

Je ne sais pas comment on pourrait obliger des fonctionnaires à rendre des comptes dans le cadre des négociations. Au sein de la délégation, nous travaillions sur un dossier particulier, puis les fonctionnaires communiquaient avec leurs ministères respectifs au Canada, par télécopieur ou par téléphone, pour obtenir des directives. Les questions n'étaient pas soumises au parlementaires. Elles l'étaient aux fonctionnaires des ministères concernés. À la table, nous étions fréquemment confrontés à des fonctionnaires subalternes. Les hauts fonctionnaires—Peter Boehm, ou l'ambassadeur ou je ne sais trop quoi—sont des personnes remarquables. Nous devrions être très fiers de lui.

Ce que je me demande—et je n'ai pas véritablement la réponse... À mon avis, le comité devrait se pencher sur cette question. Comment exercer une influence bien avant que le document ne soit rédigé? Le moment venu de le signer, il est trop tard.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vais reprendre un peu l'idée de M. Schmidt. Lors des préconsultations, lors de ces tables rondes et de ces rencontres avec les citoyens, nous pourrions indiquer aux négociateurs ce qui n'est pas négociable, le bottom line. On ne peut pas négocier à livres ouverts. Il faut quand même être honnête et adulte. C'est comme lorsqu'on joue au poker; il serait un peu difficile de laisser son jeu ouvert. Les négociations doivent se dérouler en secret, et c'est malheureusement toujours comme cela.

• 0855

Je reviens à mon idée de départ. Nous déciderions ensemble, dans le cadre de consultations, les domaines qui ne sont pas négociables, tels la culture, l'environnement, les clauses sociales et ainsi de suite. Nous indiquerions aux négociateurs ce que les Canadiens ne veulent pas qu'ils négocient et, lorsqu'ils auraient fini leur travail, nous leur demanderions de nous soumettre toute entente avant qu'elle ne soit signée. On n'a malheureusement pas agi de la sorte lorsqu'on a signé l'Accord de libre-échange Canada-Chili; les parlementaires ne sont intervenus que lors de l'adoption du projet de loi visant sa mise en oeuvre. Avant d'adopter ce projet de loi, ils n'avaient jamais vu les dispositions de l'accord. Je recommande qu'avant que le Canada signe tout accord, avant le gros cocktail et les verres de champagne, les parlementaires en prennent connaissance, consultent les citoyens et indiquent si oui on non on devrait le signer. Serait-ce une façon de satisfaire aux conditions de votre premier principe, qui porte sur le rôle des parlementaires?

[Traduction]

Mme Nola Kate Seymoar: Oui.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Merveilleux. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Speller.

M. Bob Speller: Je vous remercie, madame la présidente.

Je vous remercie, madame. Votre exposé a été des plus éclairants. Je pense qu'il nous amènera tous à réfléchir aux moyens de mieux associer et d'associer directement les différents groupes, y compris ceux qui sont issus de la société civile, jusqu'au niveau final.

Mon expérience ne remonte qu'aux dernières négociations de l'OMC, mais l'un des objectifs que nous poursuivions dans le cadre de ces négociations—je précise que je me suis surtout intéressé au volet agricole. Dans les derniers jours des négociations, avant les consultations—et, malheureusement, les consultations, la dernière fois, n'ont pas été très bonnes parce que nous étions en campagne électorale et que nous sommes passés directement d'une élection à Genève dans le cadre d'un processus qui a exigé deux ou trois mois. L'une des choses que nous avons faites, cependant, a été d'amener les dirigeants des groupements de producteurs spécialisés directement à Genève. Ils étaient sur place. Chaque jour, on les mettait au courant. On leur disait: «Voici vers quoi s'orientent les négociations.» Dans les derniers jours, c'est de cette façon que nous avons tenté d'obtenir une rétroaction.

Ainsi, les négociateurs étaient sur place, au même titre que les politiciens et les différents groupes d'intérêt. La société civile était là, mais pas—le CTC était là, et il y avait aussi deux ou trois... mais pas, comme vous l'avez dit, la société civile au sens large. Elle n'était pas présente à la table.

Vous proposez un processus. Laissez-vous entendre que les intervenants en question devraient se trouver à la table de négociation, ou voulez-vous dire qu'il vient un moment où nous devons en céder la responsabilité aux politiciens, qui la transmettent à leur tour aux bureaucrates pour faire le...

Un autre point, qui concerne tout au moins notre ministère. S'il est vrai que les négociateurs rendent compte de la situation à leurs supérieurs à Ottawa, ces derniers, à leur tour, rendent sans cesse des comptes au cabinet du ministre. En dernier essor, c'est donc un politicien qui prend la décision.

Voudriez-vous que tous les intervenants soient présents autour de la table?

Mme Nola Kate Seymoar: De fait, nous avons une histoire intéressante. Dans le cadre de sa politique étrangère, le Canada a toujours affirmé que les délégations canadiennes comporteront toutes des représentants de la société civile, mais ce n'est pas le cas. Au sommet de Santiago, par exemple, la délégation canadienne ne comptait aucun représentant de la société civile.

Nous avons été actifs au sein du SIRG, où se tiennent des réunions préparatoires ou des réunions de mise en oeuvre. À mes yeux, il est intéressant que—je tente de me rappeler le nom des pays concernés. Les États-Unis et un autre. Il y avait 70 Américains. Il y a un représentant de la société civile. C'est symbolique. Comme vous le dites, c'est l'occasion d'assister au souper au champagne. Non pas que ce soit important à ce stade-ci.

• 0900

Je serais fascinée à l'idée de constituer l'équipe qui participerait à la négociation—un représentant de la société civile, un représentant du secteur privé. Pourquoi ne pas les associer à la délégation? La mesure serait plutôt stimulante. Nous constituons un comité que les ONG qualifient de comité de bureau de poste parce que son rôle consiste tout simplement à recevoir des mémoires et à les transmettre. On ne peut pas qualifier cette participation de significative. Ce serait vraiment phénoménal. Nous, Canadiens, soulignons l'importance de la transparence dans les négociations. Ce n'est cependant pas ce que nous pensons vraiment. Tout se déroule encore dans les officines. Si la société civile faisait partie de la négociation, l'assimilation des participants serait toute différente de celle qui peut se produire dans les officines. L'expérience vaut la peine d'être tentée.

M. Bob Speller: C'est bien. Je vous remercie.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Je vous remercie, madame Seymoar. Je pense que votre exposé d'aujourd'hui nous aura donné matière à réflexion et peut-être un peu de courage pour donner suite à bon nombre de nos croyances.

Même si nous répétons sans cesse qu'il est bon, agréable et confortable de constituer une puissance intermédiaire, je pense que l'un des problèmes que nous avons en tant que Canadiens tient au fait que nous ne comptons pas parmi ceux qui font bouger les choses, ce qui provoque en nous une certaine forme de complexe. Si nous ne montons pas dans le train dès le départ, nous risquons toujours d'être laissés derrière. J'aimerais bien que vous nous en disiez plus à ce sujet parce que votre exposé m'a un peu plus donné le sentiment que, en fait, nous ne traînons pas nécessairement de l'arrière. Je pense toutefois que c'est l'un des principaux problèmes et l'une des principales insécurités auxquels nous sommes confrontés en tant que politiciens. En cas de doute, nous prenons le train en marche uniquement par crainte de laisser les citoyens derrière.

Mme Nola Kate Seymoar: Dans les Amériques, nous sommes des chefs de file. Cela ne fait aucun doute. Au cours de la prochaine année, nous organisons les cinq manifestations. Il y a les Jeux panaméricains, qui débutent en août, la rencontre des femmes de chefs d'État, la réunion des ministres sur le commerce, l'assemblée générale de l'OEA sur le sommet des Amériques. Tel est le programme des Amériques pour les deux prochaines années. Tout se passera ici. Il ne fait donc aucun doute que nous sommes des chefs de file. Ma question a plutôt trait à la façon nous exercerons notre leadership.

Le leadership exercé par une puissance intermédiaire est par définition différent. S'il y a une leçon à tirer du processus relatif aux mines antipersonnel, désormais connu sous le nom de processus d'Ottawa, c'est que nous pouvons exercer une influence dont d'autres sont incapables. Nous pouvons réunir des gens autour d'une table de façon différente. Foncièrement, un tel processus a entraîné un partage des pouvoirs entre les gouvernements, la société civile et les intérêts privés, y compris les militaires. Il s'est agi d'un processus extraordinairement stimulant. C'est donc possible. Il suffit d'avoir le courage nécessaire.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie. Il est dommage que nous n'ayons pas plus de temps parce que j'aurais aimé vous demander, étant donné surtout que vous avez déclaré que nous étions des chefs de file dans les Amériques, ce que nous pouvons faire dans le cadre de la zone de libre-échange des Amériques, qui est perçue comme une discussion technique, même si elle s'inscrit en parallèle par rapport à l'OMC. Comment peut-on en arriver à un consensus? Pouvons-nous utiliser la culture? Malheureusement, nous n'avons pas le temps. Peut-être, cependant, voudrez-vous y réfléchir et, en guise de suivi, nous faire parvenir un mémoire ou même des notes. Pour nous, la consultation d'aujourd'hui n'est que le début du processus de consultation, et non la fin. Nous vous encourageons à engager un dialogue soutenu avec le comité. Si vous le souhaitez, n'hésitez pas à porter d'autres questions à notre attention.

Merci beaucoup de votre remarquable exposé.

Mme Nola Kate Seymoar: Je vous remercie beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous allons maintenant passer à nos prochains témoins, Mme Riddle et M. Steven Forth.

• 0905

Je suis ravie d'accueillir Mme Dorothy Riddle, présidente et chef de la direction de Service-Growth Consultants Inc. Dans une vie antérieure, j'ai été sa collègue au sein des Femmes chefs d'entreprise du Canada. L'organisme s'enorgueillit d'une merveilleuse tradition de travail à l'étranger et est un leader dans tous les domaines. Nous sommes enchantés de vous avoir parmi nous, madame Riddle.

La parole est à vous.

Mme Dorothy Riddle (présidente et chef de la direction, Service-Growth Consultants Inc.): Je vous remercie. Merci beaucoup de l'occasion qui m'est donnée de témoigner dans le cadre de ces audiences.

Je limiterai mes commentaires au commerce dans le domaine des services, particulièrement des services aux entreprises. Comme les négociations de la ZLEA en sont encore au stade embryonnaire, je centrerai mes remarques sur la nouvelle ronde de négociations de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), qui est imminente.

Je m'exprime aujourd'hui à titre d'exportatrice active de services consultatifs de gestion qui tirent 40 p. 100 de ses revenus de clients de l'extérieur du Canada, qui a créé sept emplois en plus du sien, et de professionnelle spécialisée depuis 18 ans dans les questions touchant le commerce des services.

Le commerce des services est un secteur de l'économie mondiale qui connaît une croissance rapide. Même si les industries tertiaires comptent pour 76 p. 100 du PIB du Canada, les services ne représentent que 12 p. 100 des exportations canadiennes, par rapport à une moyenne de 21 p. 100 dans l'ensemble des pays industrialisés. Les exportations canadiennes de services ont donc un formidable potentiel de croissance, sans parler de la création d'emplois spécialisés aux quatre coins du Canada, pour peu qu'on fasse une priorité des problèmes que rencontrent les exportateurs de services.

J'aimerais porter à votre attention trois problèmes sur lesquels on doit se pencher dans le contexte des négociations multilatérales de l'AGCS.

Le premier a trait à l'amélioration des conditions qui régissent les séjours temporaires des gens d'affaires. Pour obtenir des contrats dans des marchés étrangers, des exportateurs comme moi doivent se rendre à l'étranger pour se constituer en réseau et rencontrer d'éventuels clients, au contraire des exportateurs de biens, qui passent souvent par des agents ou des distributeurs locaux. Les entreprises de services canadiennes exportent dans la quasi-totalité des marchés mondiaux. Seulement 53 p. 100 réalisent leur chiffre d'affaires aux États-Unis, où la question du séjour temporaire des gens d'affaires est prévu dans l'ALENA. Lorsque, avant de quitter le Canada, nous devons nous procurer des visas pour divers marchés, notre capacité de voyager pour affaires est limitée. En outre, il nous en coûte plus cher. De telles exigences sont particulièrement lourdes pour les entreprises comme la mienne qui sont établies à l'extérieur d'Ottawa, où la plupart des visas sont délivrés.

On ne pourra adoucir ou supprimer les exigences relatives aux visas imposées aux personnes qui voyagent par affaires que si Immigration Canada fait partie de l'équipe chargée des négociations commerciales. Par ailleurs, le ministère doit être conscient du fait qu'aider les gens d'affaires canadiens à accéder à des marchés étrangers est une question tout aussi prioritaire que l'entrée d'étrangers au Canada.

Deuxièmement, on doit supprimer les préjugés favorables à la présence commerciale. Vous vous souviendrez que, dans le cadre de l'AGCS, quatre modes de prestation de services sont prévus. La présence commerciale ou l'établissement de bureaux à l'étranger en est un, et le commerce transfrontalier, en vertu duquel l'entrepreneur reste au Canada et transmet ses services à l'étranger par voie électronique en est un autre. Dans le cadre des négociations de l'AGCS, les représentants du Canada dans le domaine du commerce ont déclaré publiquement que la présence commerciale à l'étranger constitue le mode de prestation le plus critique pour les exportateurs de services canadiens. C'est peut-être vrai pour les grands exportateurs de services, mais certainement pas pour les nombreuses petites entreprises canadiennes qui préfèrent exporter outre-frontières.

Depuis la conclusion de l'Uruguay Round, les options qui s'offrent aux exportateurs de services transfrontaliers ont augmenté de façon exponentielle en raison de la maturation d'Internet. Il convient de noter que le commerce des services transfrontaliers a notamment pour avantage de permettre que les emplois et la croissance demeurent au Canada, au contraire de la présence commerciale, qui se solde principalement par la création d'emplois dans le marché d'exportation.

Trois mesures permettraient de mettre le commerce transfrontalier sur un pied d'égalité avec la présence commerciale.

Premièrement, on doit traiter toute mesure nationale obligeant un fournisseur de services à assurer une présence locale comme un obstacle non tarifaire au commerce.

Deuxièmement, on doit traiter toute mesure nationale portant qu'une partie des honoraires professionnels versés en contrepartie de services transfrontaliers doit être retenue «à la source» dans l'attente de la production d'une déclaration de revenus soit traitée comme un obstacle non tarifaire au commerce plutôt que comme un simple problème fiscal.

Troisièmement, on doit traiter le commerce électronique comme une infrastructure utilisée aux fins du commerce transfrontalier et non comme un enjeu commercial distinct.

• 0910

Troisièmement, on doit harmoniser les possibilités offertes par la libéralisation avec les réalités commerciales. S'ils ont l'avantage d'attirer l'attention sur les multiples façons dont des produits sont vendus à des étrangers, les quatre modes de prestation définis dans le cadre de l'AGCS sont, du point de vue d'exportateurs de services comme moi, artificiels. Nous devons pouvoir en toute liberté effectuer des choix stratégiques entre les quatre modes de prestation de façon à pouvoir soutenir la concurrence de façon plus efficace, parfois outre-frontières, parfois sur place, parfois encore avec le concours de partenaires locaux. Dans le cadre de la prochaine ronde des négociations de l'AGCS, on doit, dans la mesure du possible, supprimer les distinctions entre les divers modes et s'intéresser à la libéralisation entre les modes.

Le fait que les engagements relatifs à la libéralisation sont pris secteur par secteur représente un autre problème structurel de l'AGCS. Cette approche sectorielle de l'offre et de la demande, inspirée du commerce des biens, ne tient pas compte du fait que les secteurs tertiaires ne sont ni distincts ni indépendants. Les exportateurs de services concurrentiels comme moi doivent souvent regrouper des types de services différents ou s'en remettre à des services complémentaires. Par exemple, les exportateurs canadiens de services de télémédecine doivent compter sur une libéralisation des services de santé et des services d'assurance pour pouvoir soutenir la concurrence à l'étranger. Pour avoir la certitude de ne pas être désavantagés au fur et à mesure que la libéralisation du commerce progresse, nous devons également apporter des changements ici au Canada afin de contribuer à la compétitivité internationale d'entreprises de services comme la mienne. Par souci de brièveté, je n'en dirai que quelques mots.

Premièrement, nous avons besoin de données de meilleure qualité sur le commerce des services puisqu'elles servent à la prise de décisions et à l'établissement de priorités stratégiques. Malgré d'excellentes initiatives prises par Statistique Canada, le financement alloué à la série de données concernant le commerce des services demeure exagérément faible par rapport à celui qu'on alloue à la saisie de données sur le commerce des biens, et les statistiques relatives aux exportations de services demeurent sous-évaluées dans la mesure où elles ne rendent compte que de deux des quatre modes de prestation.

Deuxièmement, étant donné que les ordinateurs constituent le matériel de base utilisé par les entreprises de services, nous devons établir un régime de crédit d'impôt à l'investissement pour le matériel informatique comparable à celui dont bénéficient nos concurrents américains, afin de pouvoir compenser les coûts annuels sans cesse croissants des mises à niveau du matériel informatique qu'il faut continuellement effectuer.

Troisièmement, il existe une réglementation provinciale qui restreint inutilement la reconnaissance des antécédents professionnels acquis à l'extérieur de la province. Nous devons faire en sorte qu'il soit aussi facile pour les petites entreprises de services professionnels de croître au Canada que d'exporter.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup, madame Riddle, de votre excellent exposé sur les services. Une fois de plus, votre exposé est excellent dans la mesure où nous n'avons jamais abordé cette question dans les détails. En outre, je vous remercie de vos recommandations.

Qui veut commencer? M. Schmidt ou M. Stinson?

M. Werner Schmidt: Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.

Merci, madame Riddle. Vous êtes comme une bouffée d'air frais. Je pense que ce sont là les documents les plus concis et les plus lucides détaillant les problèmes auxquels les services font face que j'aie jamais vus, et j'en ai vu des tas. Votre exposé est excellent, et je tiens à vous en féliciter.

Dans toute cette histoire, la structure fiscale canadienne constitue-t-elle le principal obstacle? Le problème des tarifs et des visas repose en réalité, je crois, sur bon nombre de questions que nous devons régler dans le dossier des impôts. Je songe en particulier aux incessantes mises à niveau du matériel informatique. Dans le cadre de notre structure fiscale actuelle, nous les traitons comme des dépenses d'immobilisation, ce qu'elles sont en partie. Cependant, on doit procéder à des mises à niveau si fréquentes qu'elles constituent une dépense de fonctionnement plutôt qu'une dépense d'immobilisation. C'est donc ma première question.

Je vais ensuite m'intéresser à ce qu'on pourrait faire en pratique pour mettre en place ce que vous proposez.

Mme Dorothy Riddle: Merci de la question concernant le matériel informatique. Pour ma part, par exemple, j'amortis le coût d'appareils que je n'ai pas utilisés depuis trois ans. Étant donné le type de travail que je fais, je dois, pour demeurer compétitive, procéder à des mises à niveau deux fois l'an. Je ne parle pas des mises à jour de logiciels ni du coût de la formation dont mes employés ont besoin pour utiliser les nouveaux logiciels. Je m'en tiens seulement au matériel.

Les crédits d'impôt octroyés pour lutter contre le bogue du millénaire m'ont été d'un certain secours. Si, cependant, j'exploitais une entreprise aux États-Unis, je pourrais déduire chaque année les premiers 19 000 $ consacrés à du matériel informatique, comme s'il s'agissait d'une dépense. Par rapport à l'amortissement, une telle méthode est très utile du point de vue de la trésorerie.

• 0915

M. Werner Schmidt: J'en viens maintenant à votre suggestion selon laquelle, dans le cadre de la négociation, nous devrions en quelque sorte regrouper les quatre modes de prestation en un seul. Sur le plan pratique, comment vous y prendriez-vous?

Mme Dorothy Riddle: Je peux vous communiquer certaines pistes de réflexion initiale. Tout dépend, si j'ose dire, de l'appétit des participants à la table de négociation. L'une des solutions qu'on a envisagées consisterait à ne plus faire du traitement national un enjeu modal et à en faire une question générique, au même titre que la transparence. Ce serait merveilleux.

Du point de vue pratique, l'une des difficultés tient au fait que bon nombre d'obstacles auxquels sont confrontées les entreprises de services résident dans la réglementation nationale qui a été mise au point sans égard aux répercussions commerciales. Dans tous les pays du monde, y compris au Canada, on s'efforce toujours de découvrir et de cerner tous les différents types de règlements qui ont un impact sur le commerce.

Mais la réalité, c'est que nous devons savoir si nous pouvons pénétrer un marché et quelles sont les règles de base auxquelles il faut se conformer pour y être présents. Je pense qu'on peut procéder indépendamment du secteur et du mode et ne s'en tenir qu'à la possibilité ou à l'impossibilité de faire des affaires dans le secteur de votre choix.

Un des aspects qui m'intéressent, c'est que, dans certains des modes, on propose des mesures de libéralisation inattendues, et je pense que le phénomène s'explique par le fait qu'on n'est tout simplement pas en mesure de composer avec la complexité des quatre modes. Dans d'autres cas, on restreint indûment, faute, une fois de plus, d'avoir pris le mode en considération. Il serait donc très utile de pouvoir se défaire tout simplement de ces distinctions.

Si je puis me permettre un commentaire additionnel, le fait que nous ne dispositions pas de statistiques pour suivre l'évolution de la situation représente un autre enjeu. Ceux d'entre vous qui comptent être présents à la table de négociation en décembre ne serez jamais capables, à supposer que vous vous intéressiez à l'impact sur le Canada, de déterminer ce qui s'est passé dans le deuxième mode. On ne dispose pas de données sur le deuxième mode, par exemple. À quoi bon? À quoi bon entrer à ce point dans les détails?

M. Werner Schmidt: Je peux?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui.

M. Werner Schmidt: Il en ressort donc qu'on doit modifier et élargir de façon plutôt radicale l'assise ou, si vous préférez, le fondement des négociations, afin que ces dernières soient adaptées à l'industrie particulière plutôt que divisées secteur par secteur.

Vos propos transcendent les secteurs traditionnels. Ces derniers reposent sur le déplacement d'objets et de personnes d'un lieu à un autre de même que sur la fabrication d'articles. Or, vous nous dites que ce n'est pas du tout ce que vous faites. Vous offrez un service qui recoupe tous ces éléments. D'une part, nous devons décomposer le processus en secteurs différents; de l'autre, nous devons les regrouper. Vous nous dites que votre industrie doit les regrouper pour que vous puissiez en toute liberté offrir le service nécessaire. Les aléas de la situation varieront d'un cas à l'autre parce que, ici, vous aurez besoin d'une vaste gamme de services, tandis que là vous devrez probablement vous centrer sur une question très étroite.

Est-ce là une analyse juste?

Mme Dorothy Riddle: Peut-être puis-je me citer en exemple. Au sein d'un marché, il arrive que nous n'offrions que des «services consultatifs de gestion». Parfois, nous offrons également des services de formation, des services d'étude de marché et des services de communication. Dans le cadre de la ventilation par secteur, chacun de ces aspects est traité séparément. Pour ce qui est des modes, nous pouvons recourir au commerce transfrontalier; il se peut aussi que nous organisions sur place un atelier de formation. Ce qu'il nous faut, c'est donc la capacité d'exporter un service conditionné à notre convenance.

Un peu plus tôt, vous avez dit que la structure fiscale est l'élément le plus critique. Il s'agit d'un élément critique. Cependant, peut-être devrais-je souligner pour vous l'importance que revêtent les séjours temporaires des gens d'affaires. Ce n'est pas un sujet des plus emballant, mais il est pour nous tout à fait critique de pouvoir aller et venir au sein de nos marchés. Si je dois faire des affaires au sein d'un marché, je n'ai pas envie qu'on m'apprenne soudainement que je dois me procurer quatre visas pour les pays par lesquels je transiterai ou dans lesquels j'aimerais faire escale pour rencontrer un client éventuel. Il n'y a donc pas que les impôts; la question des séjours temporaires est aussi très importante.

M. Werner Schmidt: Qu'entendez-vous par «séjour temporaire»?

Mme Dorothy Riddle: Pour ma part, il s'agit d'un séjour de moins de 30 jours; d'une semaine ou de deux jours, par exemple.

• 0920

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Avant de passer à M. Sauvageau, pourriez-vous nous dire ce que sont les quatre modes?

Mme Dorothy Riddle: Il y a le commerce transfrontalier et la présence commerciale. Le deuxième mode consiste à fournir des services aux étrangers ici au Canada, ce que nous faisons par l'entremise du tourisme ou de la formation sur place. Le mode quatre est ce qu'on appelle le mouvement des personnes civiques, mais il s'agit essentiellement des personnes qui se rendent dans un pays étranger pour y animer un atelier ou y offrir un service.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): D'accord. Je vous remercie.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vous remercie de votre présentation, madame. Je partage l'opinion de mon collègue et ami du Parti réformiste au sujet de la qualité de votre présentation.

J'aimerais vous poser une question toute simple afin de bien comprendre la question du visa et de l'aspect temporel, soit une période de 30 jours, dont vous avez parlé tout à l'heure. Je m'excuse, mais je ne comprends pas vraiment la problématique et j'aimerais pouvoir la comprendre afin d'influer, si je puis le faire, sur la teneur de notre rapport. Je crois comprendre qu'il faut obtenir un visa de travail lorsqu'on va travailler pendant deux ou trois semaines aux États-Unis et qu'il faut se le procurer à Ottawa.

[Traduction]

Mme Dorothy Riddle: Merci de me poser cette question qui me permettra d'apporter des éclaircissements. Dans le cadre de l'ALENA, nous avons négocié à l'intention des fournisseurs de services des dispositions en vertu desquelles les personnes qui appartiennent à une des 60 catégories peuvent se rendre aux États-Unis pour rechercher des clients, assister à une conférence ou je ne sais trop quoi, sans permis de travail. Si vous êtes rémunéré en vertu d'un contrat, vous devez présenter une demande de visa en application de l'ALENA. En ce qui concerne la recherche de clients, cependant, c'est-à-dire le volet concernant les séjours temporaires, on n'a pas même à présenter une demande à Ottawa. Il suffit de se présenter à l'aéroport avec ses papiers, et tout est dit.

Aller aux États-Unis ne pose pas de problème. Imaginons cependant qu'on m'ait invitée en Afrique du Sud et que je souhaite faire escale en Tanzanie pour rechercher des clients. Je devrai probablement transiter par le Kenya, de sorte que j'aurai besoin d'un visa d'entrée pour passer par l'aéroport de Nairobi. Il me faut aussi un visa pour la Tanzanie. Je sais d'expérience que je mettrai au moins sept jours à l'obtenir. Imaginons aussi que, pour tirer profit de l'occasion qui se présente à moi, je ne dispose que de trois jours avant mon départ pour l'Afrique du Sud. Que faire? Je peux dépêcher un de mes employés à Ottawa et lui donner pour mission d'exercer des pressions et d'arranger les choses à l'ambassade de la Tanzanie, mais c'est très frustrant. Supposons que je ne sois pas au Canada. Supposons que je sois à Londres et que cette occasion se présente à moi. Nous devons pouvoir nous déplacer pour de brèves périodes afin de rechercher des clients. Pour asseoir notre crédibilité, nous devons transiger face à face.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je regrette, mais je ne suis toujours pas sûr de bien comprendre. Le problème ne semble pas exister aux États-Unis, mais plutôt au Kenya et en Tanzanie. Il semble être beaucoup plus général et toucher le commun des mortels, et pas seulement ceux qui font le commerce de services. Si je voulais aller en Afrique du Sud et suivre le même itinéraire que vous, ne devrais-je pas obtenir ce même visa?

[Traduction]

Mme Dorothy Riddle: Souvent, on doit se procurer un visa de visiteur. Parfois, la seule façon d'accéder rapidement à un marché consiste à mentir et à dire que nous venons en touristes, alors que nous sommes là pour rechercher des clients. En effet, les personnes qui voyagent par affaires se retrouvent habituellement dans une catégorie différente.

Si je soulève cette question particulière, c'est parce que, à l'heure actuelle, ce genre d'entrées est d'abord et avant tout négocié sur le plan bilatéral. Par exemple, je peux facilement entrer au Chili. Si le Canada devait imposer un droit de 20 $, comme les États-Unis l'ont fait pour les Chiliens qui se rendent aux États-Unis, je me trouverais soudainement dans l'obligation de remplir des papiers et de présenter une demande pour accéder au Chili. Selon mon expérience, Immigration Canada pense aux personnes qui viennent au Canada, mais le ministère oublie qu'il doit aussi négocier pour les gens d'affaires un accès facile à d'autres marchés. C'est ce qui s'est produit dans le cadre de l'ALENA. L'ALENA est pratiquement le seul accord commercial qui nous permet de voyager ainsi avec aisance.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'ai cru comprendre que, dans un monde idéal, vous souhaiteriez que le ministère de l'Immigration soit présent à la table des négociations, qu'il gagne sur tous les plans et qu'on convienne que tous ceux qui font des affaires de façon temporaire dans quelque pays que ce soit doivent être exemptés de cette exigence et qu'on doit leur faciliter l'accès à un visa.

• 0925

[Traduction]

Mme Dorothy Riddle: Cette solution me plairait, tout comme celle en vertu de laquelle nous pourrions nous procurer un visa à l'aéroport à notre arrivée.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je crois comprendre. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Schmidt, nous avons le temps d'entreprendre une deuxième ronde.

M. Werner Schmidt: Madame la présidente, je suis absolument ravi que nous ayons le temps de poser encore plus de questions. J'ai du mal à croire que nous puissions avoir un tel échange.

Je voulais m'intéresser à la mise en pratique de ce que vous préconisez. Vous avez fourni une excellente réponse à mon collègue en proposant la délivrance de visas dans les aéroports.

Ma question est la suivante: comment vous inscririez-vous, ou préconiseriez-vous l'établissement d'un registre de personnes qui, comme vous, ont des activités commerciales internationales? Une telle mesure serait-elle nécessaire? Devrait-il suffire que vous présentiez votre carte de crédit ou une autre carte d'identité—peut-être votre carte de citoyenneté canadienne—pour bien montrer qui vous êtes et qu'on en vienne immédiatement à la conclusion que oui, vous comptez parmi les personnes qui effectuent des activités commerciales internationales, sans plus de formalités?

Mme Dorothy Riddle: En fait, il existe quelques exemples du genre de situations précises que vous décrivez. Lorsque je siégeais au conseil consultatif des gens d'affaires de l'APEC, nous nous intéressions à l'établissement d'une carte de visiteur de l'APEC qui tiendrait lieu de visa d'affaires. Entre le Canada et les États-Unis, nous avons la CANPASS et l'INSPASS.

Dans d'autres économies, on relève un certain nombre d'exemples en vertu desquels un organisme comme une chambre de commerce atteste qu'il s'agit bel et bien d'un homme ou d'une femme d'affaires dont les activités sont continues. Habituellement, les pays craignent que la personne ne tente d'immigrer illégalement, qu'elle ne rentrera pas dans son pays d'origine.

Pour peu que la volonté soit présente, je pense qu'il existe un certain nombre de moyens pour y parvenir. Si c'était absolument nécessaire, je ne m'opposerais même pas à l'idée de déposer une caution annuelle qui me permettrait d'aller et venir rapidement au sein de toutes sortes de marchés. Nous pourrions alors faire des expériences.

M. Werner Schmidt: D'où viennent donc les réticences?

Mme Dorothy Riddle: À mon avis, deux problèmes se posent. D'abord, on craint que les personnes en question ne tentent d'entrer illégalement au pays, même lorsqu'il s'agit de déplacements entre le Canada et les États-Unis. On ne comprend pas bien les gens d'affaires qui effectuent des séjours temporaires. On est ou bien étudiant, touriste, immigrant illégal d'une façon ou de l'autre, ou titulaire d'un permis de travail.

L'autre problème tient au fait que les agents d'immigration ne sont tout simplement pas conscients de cette question. Si je comprends bien, le ministre du Commerce n'est pas en mesure de nous donner satisfaction. Immigration Canada doit siéger à la table, et le ministère ne voit pas ce problème comme une question prioritaire. Il ne comprend pas l'impact que ces mesures ont sur nous. Elles n'ont pas un impact si considérable sur les exportateurs de biens, mais elles ont un impact formidable sur le temps et les coûts des exportateurs de services.

M. Werner Schmidt: Nous avons abordé l'aspect canadien du problème. Qu'en est-il du cas de la Tanzanie? Je crois que vous y avez fait allusion. Imaginons que vous souhaitiez vous rendre en Tanzanie. Quel est le problème? S'agit-il d'un problème lié à l'immigration canadienne ou à l'immigration tanzanienne?

Mme Dorothy Riddle: Exactement. C'est la réciprocité. Je vous remercie beaucoup. Pour que, en ma qualité de Canadienne, je puisse facilement entrer en Tanzanie, il faut que le Canada soit disposé à permettre aux Tanzaniens qui effectuent des voyages d'affaires d'entrer au Canada.

M. Werner Schmidt: J'ai l'impression qu'il s'agit davantage d'un problème d'immigration que d'un problème de commerce. Bon, c'est les deux. Mais il me semble que le sable dans l'engrenage vient de l'immigration.

Mme Dorothy Riddle: Tout à fait. Voilà pourquoi il faut qu'Immigration Canada soit à la table, même s'il s'agit d'un partenaire inusité dans le contexte de négociations commerciales.

M. Werner Schmidt: Madame la présidente, je pense que nous avons fait ce matin un constat des plus précieux. À mon avis, il serait très utile que vous en fassiez part à votre collègue, la ministre de l'Immigration.

Je tiens à vous remercier d'avoir porté cette question à notre attention et de l'avoir abordée de façon aussi franche. Vous êtes, je crois, le premier témoin qui ait été en mesure de nous dire comment se passent vraiment les choses. C'est merveilleux. C'est très rafraîchissant.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau, aimeriez-vous poser une autre question?

M. Benoît Sauvageau: Non.

[Traduction]

Mme Colleen Beaumier: Le véritable problème, c'est, je crois, la réciprocité. Je pense que vous le comprenez aussi. Quand on pense que nous savons que certaines personnes achètent des permis de conduire supplémentaires—et pourtant nous vivons au Canada, où les contrôles sont un peu plus stricts et où il est peut-être plus difficile de se procurer ce genre de faux document que dans bon nombre de pays où vous souhaitez vous rendre. J'ai bien peur qu'il ne suffise pas, pour régler le problème, de délivrer une carte qui vous permette d'entrer en Inde et d'en sortir.

• 0930

Mme Dorothy Riddle: Permettez-moi un commentaire à propos de ce que vous venez de dire. En fait, vous ne devez pas perdre de vue que les personnes dont je parle sont des gens d'affaires qui ont des entreprises établies, des employés et des listes de paie à honorer. Il ne s'agit pas ici de personnes qui parcourent le monde en quête d'une économie dans laquelle ils souhaiteraient s'établir.

Mme Colleen Beaumier: Nous savons cependant qu'il existe certains pays où on peut se procurer le statut d'immigrant admis à condition d'avoir de l'argent et de bons contacts. On peut à coup sûr se procurer un visa de visiteur pour 100 000 roupies.

Mme Dorothy Riddle: Avec tout le respect que je vous dois, nous avons des ambassades et des hauts-commissariats dans toutes ces économies. On y compte également des représentants des plus qualifiés. Si on souhaite véritablement résoudre ce problème, je suis certain qu'on pourra le faire en recourant à des voies légitimes à l'intérieur des communautés des affaires de chacun des...

Mme Colleen Beaumier: Il y a des visiteurs légitimes en provenance de ces pays, des gens d'affaires légitimes qui essuient un refus dans les ambassades. C'est très frustrant. Dans ma circonscription, 40 p. 100 des électeurs sont des Canadiens de la première génération, de sorte que je comprends vos frustrations aussi bien que celles des personnes qui tentent d'entrer au pays—des personnes qui tentent d'entrer au pays en toute légitimité. Je comprends très bien ce que vous dites.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Je voudrais être convaincu du bien-fondé de vos arguments. Supposons que votre souhait se réalise et qu'on émette plus facilement, aux aéroports, des visas aux propriétaires de petites entreprises. Comment définiriez-vous une petite entreprise? Je prendrai encore l'exemple de la Tanzanie—soyez assurée que je n'ai rien contre ce pays—et d'un artisan tanzanien qui sculpte le bois et dont l'entreprise compte deux employés. Exploite-t-il une petite entreprise et devrait-il obtenir un visa de faveur à l'aéroport?

[Traduction]

Mme Dorothy Riddle: Dans ce cas, il s'agirait indubitablement d'une petite entreprise. Je tiens absolument à limiter mes commentaires aux exportateurs de services parce que c'est le domaine que je connais. Je ne suis pas au courant de la situation des groupes, je ne suis pas au courant de la situation des métiers. Je ne sais pas quels sont les enjeux à ce propos.

Modifions la donne et imaginons que vous êtes un ingénieur tanzanien qui compte trois employés et qui aimerait venir ici pour discuter d'une entreprise conjointe et étudier les possibilités de partenariat avec des sociétés canadiennes au Canada. Ce que j'aimerais, c'est que, à condition que vous soyez muni de documents qui montrent que vous êtes une personne qui voyage pour affaires en toute légitimité et qui a un point d'attache dans son point d'origine—quelles que soient les modalités qui seront arrêtées—, vous puissiez être admis ici.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup.

J'ai une question à propos de vos statistiques. Je vous remercie de les avoir produites. Seulement 12 p. 100 de nos services sont exportés à l'étranger, et seulement 53 p. 100 aux États-Unis. Ces chiffres proviennent-ils de Statistique Canada? Tiennent-ils compte de tous les modes ou seulement des modes un et trois?

Mme Dorothy Riddle: Les statistiques que vous avez sous les yeux proviennent de Statistique Canada. Elles sont sous-évaluées, si bien que le pourcentage est probablement supérieur à 12 p. 100, mais la façon dont on les collige se compare à ce qu'on fait dans d'autres économies industrialisées. Si le pourcentage est ici de 18 p. 100, alors la moyenne réelle est probablement de l'ordre de 30 p. 100. En d'autres termes, tout est relatif. À cause du problème des modes, nous ne savons pas quel est le pourcentage exact de nos exportations de services vers les États-Unis, mais nous savons qu'il est nettement inférieur à celui de nos exportations de biens et que les exportateurs de services sont beaucoup plus diversifiés du point de vue du nombre de marchés dans lesquels ils sont présents.

Ma société, par exemple, a, au cours des cinq dernières années, exporté dans 40 pays. J'ai donc dû régler ce problème transfrontalier avec 40 administrations différentes, et il y en a d'autres dans lesquelles je suis allée pour assister à des conférences et tenter de faire des rencontres.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup...

M. Bob Speller: Puis-je revenir sur une des questions qui ont été posées? Comment se fait-il que seulement 53 p. 100 des exportations soient destinées aux États-Unis?

• 0935

Mme Dorothy Riddle: À mon avis, il y a probablement deux raisons. Lorsqu'il s'agit d'établir une correspondance entre son créneau de service et le marché, on a tendance à regarder au-delà des États-Unis. L'autre raison est qu'il faut admettre, de façon réaliste, que les États-Unis sont un marché de services extrêmement concurrentiel. C'est le plus concurrentiel. On va donc soutenir la concurrence non seulement de nombreux Américains, mais aussi de nombreuses personnes d'autres pays, qui exportent également vers les États-Unis. Il y a d'autres marchés dans lesquels le Canada a une très bonne image, où il est beaucoup plus facile d'entrer et où la concurrence est moins vive.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup.

Une fois de plus, je vous remercie de votre témoignage et des recommandations qu'il contient. Merci d'avoir été parmi nous.

Nous allons maintenant, chers collègues, faire une pause de cinq minutes, après quoi nous reprendrons nos travaux.

• 0936




• 0945

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bonjour, monsieur Emerson. Bienvenue devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous sommes ravis de vous compter parmi nous. Nous vous prions d'abord de présenter votre exposé, après quoi nous aurons le temps de vous poser des questions et de vous faire part de nos commentaires.

M. David Emerson (coprésident, Free Trade Lumber Council): Je vous remercie beaucoup, madame la présidente. Bonjour à vous et aux membres du comité.

Je m'appelle David Emerson. Je suis le président et chef de la direction de la CANFOR Corporation, et je suis le coprésident, de concert avec mon collègue de l'est du Canada, Frank Dottori, de Tembec, d'un organisme appelé le Free Trade Lumber Council.

Il s'agit d'un regroupement de sociétés du secteur des produits forestiers qui se sont unies pour faire avancer la libéralisation du commerce international des produits forestiers. Inutile de vous dire que l'industrie canadienne des produits forestiers est importante. Elle emploie directement plus de un quart de million de personnes, principalement dans des petites collectivités des quatre coins du Canada. Indirectement, elle soutient trois quarts de million de personnes de plus partout au Canada. Nous sommes également l'industrie dont l'apport à la balance commerciale du Canada est le plus important. Les exportations de l'industrie des produits forestiers ont une valeur d'environ 40 milliards de dollars. Quant au surplus commercial du secteur, il est d'environ 34 milliards de dollars.

Fait important, nos forêts sont renouvelables et viables, ce qui génère une source d'emplois et d'avantages économiques potentiellement stables pour des générations à venir.

Notre industrie est également en transition. Autrefois dominée par la fabrication lourdement mécanisée et le proverbial bûcheron armé de sa scie à chaîne, notre industrie est de plus en plus axée sur la technologie, la science, les systèmes perfectionnés de gestion des ressources et des processus d'approvisionnement administrés de façon serrée.

Voilà qui m'amène à la politique commerciale, enjeu stratégique et public crucial qui contribuera considérablement à la définition de notre industrie au moment où nous entrons dans le XXIe siècle. À l'échelle du monde, le marché canadien est petit et dispersé sur un gigantesque territoire. La réussite économique et l'amélioration du niveau de vie des Canadiens ont toujours exigé et exigeront toujours un accès aux marchés internationaux majeurs pour les biens et les services que nous produisons aussi bien que pour ceux que nous consommons.

À titre d'économie axée sur le commerce, nous dépendons d'un accès libre, ouvert et stable aux marchés. Pour être en mesure de soutenir la concurrence mondiale d'aujourd'hui, les industries doivent gérer un processus d'approvisionnement complet, qu'il s'agisse de la localisation de sources d'approvisionnement en intrants de base, de la gestion au moment adéquat des stocks des détaillants et même, souvent, du service après vente.

En vertu de la même logique, les bouleversements imprévisibles, difficiles à gérer et coûteux du processus d'approvisionnement portent préjudice à l'avenir de l'industrie et de ceux qui en dépendent. Voilà précisément la situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés dans le cadre de l'Accord canado-américain sur le bois d'oeuvre. Aujourd'hui, l'industrie qui a le plus contribué à notre balance commerciale fait l'objet de menaces, de mesures commerciales de compensation et d'une atmosphère générale de harcèlement à caractère protectionniste. En vertu de l'accord, la production, les livraisons et les stocks doivent être gérés en fonction de quotas annuels et trimestriels, ce qui a des conséquences sur les prix et la stabilité de l'approvisionnement. Pis encore, les quotas prévus dans l'accord sur le bois d'oeuvre ne s'appliquent pas à toutes les régions productrices du Canada, non plus qu'aux exportations de bois d'oeuvre d'autres pays vers le marché américain.

Ainsi, nous assistons à une transformation radicale de la répartition géographique de la production entre des régions du Canada et le Canada et les producteurs étrangers. Aux termes de l'accord sur le bois d'oeuvre, nous avons assujetti l'industrie qui aurait pu apporter une contribution dynamique à notre avenir économique à des quotas administrés ainsi qu'à une panoplie de mesures protectionnistes connexes. Ce faisant, nous l'avons également reléguée au statut de perdant dans la course à la compétitivité.

• 0950

Fait plus honteux encore, cet accord intervient à un moment où le Canada, les États-Unis et le Mexique proposent l'établissement d'une zone nord-américaine de libre-échange. Nous ne devons jamais perdre de vue que le Canada est un petit marché juxtaposé à un marché très important. Il est inévitable que notre économie sera davantage vulnérable aux différends commerciaux que le partenaire qui représente le marché dominant. L'industrie canadienne d'aujourd'hui court donc des risques. Les torts subis par notre économie seront d'autant plus grands que, à l'avenir, les nouveaux investisseurs chercheront à se mettre à l'abri des bouleversements imputables à la politique commerciale en se déplaçant vers le grand marché américain et, par voie de conséquence, en désertant le Canada.

Je ne suis pas spécialiste des questions techniques touchant la politique commerciale, mais je me permettrai peut-être de donner certaines pistes générales aux fins d'une refonte du cadre de la politique commerciale.

Premièrement, nos accords commerciaux doivent être plus clairs, plus rigoureux et moins vulnérables aux manipulations unilatérales, internes et politiques qu'ils le sont aujourd'hui. On doit laisser moins de place aux mesures commerciales protectionnistes prises par l'ensemble des parties, mais plus particulièrement par les États-Unis, qui prennent de telles mesures à l'encontre de petits partenaires commerciaux avec une impunité quasi totale. Tant et aussi longtemps que les accords commerciaux feront une place considérable aux interprétations, les législateurs portés sur le protectionnisme trouveront des moyens de combler le vide, et le Canada en essuiera les contrecoups.

Deuxièmement, nous devons, en cas de différends, pouvoir compter sur des mécanismes de règlement qui sont adaptés, c'est-à-dire rapides, équitables, décisifs et définitifs. Aux termes de l'accord sur le bois d'oeuvre en vigueur aujourd'hui, recourir à la procédure de règlement des différends est un coup de dés dont les résultats sont pour l'essentiel imprévisibles. Même si on gagne, on est perdant à cause des longs délais, du coût élevé de la procédure et du fait que les règles du jeu, de toute façon, risquent d'être modifiées dans l'intérêt du partenaire commercial dominant.

Troisièmement, nous devons mettre au point de meilleurs mécanismes de contrôle du respect au jour le jour et soutenu de la politique commerciale. Dans un monde dominé par les quotas et les règles, on a naturellement tendance à chercher des échappatoires. De petites échappatoires ont tôt fait de devenir de graves lacunes structurelles, et les différends ont tôt fait de s'envenimer. L'industrie et le gouvernement doivent établir des mécanismes de prévention des violations de la politique commerciale et, le cas échéant, réagir de façon rapide et efficace. Des interventions rapides auraient permis de neutraliser les différends récents entourant le bois de colombage prépercé, les produits de bois dégrossi et d'autres produits dits à valeur ajoutée.

J'ai toujours été partisan du libre-échange. Dans un monde composé de grands blocs commerciaux très puissants, je pense que la zone nord-américaine de libre-échange constitue un point de départ important pour l'avancement, au fil du temps, de nos intérêts dans le contexte de la libéralisation multilatérale du commerce. Revenir à des modèles mal conçus de protectionnisme sectoriel ne constitue pas la voie de l'avenir. Nous devrions, de concert avec nos partenaires commerciaux nord-américains, souder et consolider un cadre commercial faisant en sorte que les trois pays concernés soient plus forts réunis que séparés, lequel cadre comprend des mécanismes assurant le règlement équitable et rapide des différends.

Pour éviter que le grand marché américain n'absorbe à long terme les investissements stratégiques, le Canada doit relever un défi énorme. En Amérique, les forces protectionnistes sont aujourd'hui puissantes, et elles gagnent en vigueur. La gestion du commerce par secteur est peut-être le mieux que nous puissions espérer, mais je n'en demeure pas moins convaincu que le contexte et l'objectif ultime à poursuivre restent une zone de libre-échange nord-américaine plus forte et mieux équilibrée, capable de faciliter la libéralisation multilatérale du commerce dans les années à venir.

À mon avis, le Canada n'a d'autre choix que de faire de la politique commerciale une urgence et une priorité nationales. Tout demi-effort ne produira que des demi-résultats. Nous risquons ici d'amorcer une dégringolade en ce qui concerne le classement mondial que nous vaut notre rendement économique.

Je vous remercie, madame la présidente, et je me ferai un plaisir de répondre aux questions ou aux commentaires.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous remercie beaucoup, monsieur Emerson.

Monsieur Stinson.

M. Darrel Stinson: Je vous remercie beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui et de nous avoir fait part de vos vues. L'ambiguïté des règles est un des aspects qui m'ont sauté aux yeux. Prenons par exemple l'accord sur le bois d'oeuvre. Depuis sa signature, nous avons ajouté le bois de colombage prépercé et maintenant les produits de bois dégrossi. On discute maintenant de la possibilité d'y inclure de 20 à 30 produits additionnels.

• 0955

L'industrie forestière est le principal employeur du Canada. Vous fournissez des emplois, et les revenus ainsi générés ont une influence qui se fait sentir partout. Nombreux sont ceux qui ne le comprennent pas. Lorsqu'il est question des conséquences des contrecoups subis par l'industrie forestière, on oublie que cette dernière n'est pas seule en cause. On oublie que les effets se font également sentir sur les enseignants, les hôpitaux et tout le reste.

Comment clarifier ces règles? Lorsqu'on signe de tels accords, on agit de bonne foi, puis les règles sont changées après coup.

M. David Emerson: Je vous remercie de me poser la question. Je ne suis pas un spécialiste des questions techniques entourant la politique commerciale, mais il n'est pas nécessaire d'avoir inventé la poudre pour interpréter l'histoire du Canada au cours des deux ou trois dernières décennies. En fait, le problème remonte probablement, en ce qui concerne les différends sur le bois d'oeuvre avec les Américains en particulier, à un siècle ou plus.

À mon avis, on est fondé à affirmer que le Canada est en bien meilleure posture dans la mesure où on peut conclure de tels accords et définir avec précision leur véritable signification, la signification des termes et des concepts, les bases du règlement des différends et la signification et l'interprétation de certains problèmes qui se poseront dans le cadre du règlement des différends, par exemple ce qu'on entend par une subvention.

Comme je l'ai déjà indiqué, le Canada se trouve dans une position unique dans la mesure où nous pourrons tirer des avantages considérables du libre-échange dans la mesure où nous formons une économie ouverte sur le plan commercial. À long terme, nous risquons cependant de subir des préjudices beaucoup plus graves que notre partenaire commercial du Sud. Tant et aussi longtemps, en effet, que nous serons régis par un accord qui comporte des dispositions ambiguës et qui prêtent le flanc à d'incessantes mesures commerciales de compensation, nous créons des conditions en vertu desquelles toute personne qui envisage un investissement stratégique majeur, du moins au sein de notre industrie, et qui peut opter pour les États-Unis, où elle sera à l'abri des bouleversements et des mesures de compensation, ou le Canada, ne choisira pas d'investir à long terme au Canada. Pourquoi envisagera-t-elle d'investir à long terme au Canada? À mon avis, la seule solution pour le Canada consiste à établir des règles et un cadre de résolution des différends à la fois clair et rigoureux.

À cet égard, le différend qui entoure le bois de colombage prépercé constitue un exemple classique. Il existe une classification mondiale des produits qui faisaient partie de l'accord sur le bois d'oeuvre ou qui, si vous préférez, gravitaient autour de lui. Ainsi, le bois de colombage prépercé, les produits de bois dégrossi et un certain nombre de produits étaient clairement classifiés sur la scène internationale. Au moment de la signature de l'accord sur le bois d'oeuvre, ils étaient considérés comme des produits à valeur ajoutée. En vertu de cette classification, ils ne devaient pas être visés par les quotas applicables aux livraisons canadiennes vers les États-Unis. Sous la pression des forces protectionnistes qui animent l'industrie américaine du bois d'oeuvre, l'administration américaine s'emploie essentiellement à récrire de façon unilatérale les règles qui entourent la classification des produits, et ce qui a pour résultat direct de resserrer les mesures protectionnistes comprises dans l'accord sur le bois d'oeuvre. En effet, le bois qui était livré sans égard aux quotas est aujourd'hui assujetti à des quotas. Nous perdons des quotas, ce qui a un effet des plus dommageables.

M. Darrel Stinson: Quel est l'impact de cette situation sur l'emploi, en regard des mises à pied dans l'industrie?

J'aimerais poser une autre question rapide. Étant donné ce que vous savez de l'accord sur le bois d'oeuvre, recommanderiez-vous qu'il soit mis au rebut et qu'on passe par l'OMC, ou encore que nous nous efforcions de fonctionner dans le cadre délimité par l'accord?

M. David Emerson: En ce qui concerne votre première question qui porte sur l'emploi, je crois que l'accord sur le bois d'oeuvre est aujourd'hui, au sein de notre industrie au Canada, le facteur qui mine le plus l'emploi et la croissance. Cela ne fait aucun doute. On a beau faire état de la mollesse du marché asiatique, seul un pourcentage relativement limité de la production et des exportations du Canada est concerné. L'enjeu principal est le bois d'oeuvre. Le véritable enjeu tient à la contrainte absolue qu'imposent les quotas par opposition aux tarifs. Les tarifs sont néfastes, mais les quotas le sont davantage. Je pense que la plupart des économistes spécialisés dans les questions commerciales vous le confirmeront.

• 1000

Du point de vue de l'emploi, je pense donc qu'il s'agit d'une politique des plus nuisibles, et d'autant plus nuisible—vous y avez fait allusion—que l'industrie forestière, malgré son évolution sur le plan technologique et le fait qu'elle est en voie de devenir très perfectionnée—constitue peut-être le seul espoir qui reste dans bon nombre de collectivités canadiennes, sinon dans la majorité. Ne nous berçons pas d'illusions: il n'y aura pas de Silicon Valley à Dawson Creek et à Fort St. John. Cependant, on peut créer des scieries et des produits forestiers de pointe ainsi que des installations à valeur ajoutée. À mon avis, même le nombre absolu d'emplois ne rend pas compte de la véritable importance que revêt l'industrie pour le tissu social du pays et l'économie.

Je n'ai malheureusement pas entendu la deuxième partie de votre question.

M. Darrel Stinson: Souhaitez-vous que nous mettions l'accord au rebut?

M. David Emerson: Eh bien, il s'agit d'une question plutôt importante. Si nous devions signer aujourd'hui l'accord tel qu'il est formulé, je crois que bon nombre de ceux qui l'ont négocié ne seraient pas disposés à le signer.

Faut-il le mettre au rebut? À mon avis, il vaudrait mieux combler les échappatoires et les lacunes qu'il contient pour les deux ou trois prochaines années. Au moment du renouvellement, en 2001, je crois que nous devrions modifier notre politique commerciale dans le secteur des produits forestiers en fonction d'une libéralisation du commerce nettement plus importante. À supposer que nous en revenions à un régime de quotas axé sur les types de bois d'oeuvre, je pense que nous devrons modifier l'accord en profondeur de façon qu'il soit plus équilibré et plus équitable, ce qu'il n'est pas aujourd'hui.

Je puis vous dire que le principal marché d'exportation vers les États-Unis d'une société comme CANFOR est ce qu'on appelle les détaillants de matériaux de construction à très grande surface, comme Lowe's et Home Depot. Ces détaillants—et, dans ces magasins, nous sommes le plus important fournisseur canadien—connaissent une croissance annuelle de 20 p. 100. Ils ne sont pas disposés à s'en remettre à des fournisseurs incapables de soutenir leur croissance; s'ils ont une croissance annuelle de 20 p. 100 et que nous sommes pour notre part incapables de croître, sans parler du fait que nos quotas diminuent, nous allons être confrontés à un grave problème.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): M. Speller a une question directe à ce propos.

M. Bob Speller: Oui, ma question se rapport à ce que vous avez dit. Vous dites préconiser la libéralisation du commerce du bois d'oeuvre. Comment vous y prendriez-vous ici en Colombie-Britannique?

M. David Emerson: D'abord et avant tout, je ne me concentrerai pas sur la Colombie-Britannique. Une partie du problème qui s'est posé jusqu'ici vient du fait que nous formons un pays qui, en vertu de la politique commerciale, a des échanges avec un autre pays. Sur le plan constitutionnel, la politique commerciale relève de la compétence ou de la responsabilité du gouvernement fédéral. À mon avis, nous nous sommes laissés prendre au piège suivant: les différends commerciaux sont devenus moins des enjeux de nation à nation que des enjeux de province à nation. Je pense qu'il s'agit là d'un problème très grave dans la mesure où la Colombie-Britannique a indiscutablement été la principale cible des protectionnistes des États-Unis, même si nous ne formons qu'une province ou une région du Canada. Jusqu'ici, les principales mesures de compensation ont visé le bois d'oeuvre de la Colombie-Britannique, et non celui du Québec ni celui de l'Ontario.

M. Bob Speller: Pourquoi? Le savez-vous?

M. David Emerson: Parce que, traditionnellement, la Colombie-Britannique a été le principal fournisseur du marché. Ce qui motive les protectionnistes des États-Unis, c'est, à mon avis, la part du bois d'oeuvre canadien qui pénètre le marché américain. Or, il se trouve que c'est le secteur du bois d'oeuvre de la Colombie-Britannique qui, traditionnellement, a été le plus important fournisseur. C'est donc à la Colombie-Britannique que les protectionnistes s'en prennent. Ce qui cloche, c'est que la Colombie-Britannique est aujourd'hui le producteur canadien dont le coûts sont les plus élevés en raison des coûts du bois, de notre régime de droit de coupe et de notre régime de réglementation. Pourtant, les Américains allèguent que le bois d'oeuvre de la Colombie-Britannique est subventionné. Si on subventionne le bois de la Colombie-Britannique, on donne celui de l'Ontario. C'est ridicule.

M. Bob Speller: En quoi les pratiques de la Colombie-Britannique diffèrent-elles de celles, disons, de certaines autres provinces, ce qui permet aux Américains d'affirmer que le bois d'oeuvre de la Colombie-Britannique est subventionné?

M. David Emerson: Rien du tout, pour l'essentiel. Historiquement, les allégations des Américains ont porté sur le fait que le bois d'oeuvre canadien appartient à la Couronne dans une proportion de plus de 90 p. 100. Lorsque, par conséquent, la Couronne cède du bois d'oeuvre par l'entremise de ventes et du régime de remise des recettes tirées des droits de coupe en vigueur dans la quasi-totalité des régions du Canada, les Américains allèguent que le fait que la ressource appartient au gouvernement équivaut automatiquement au versement d'une subvention lorsque la ressource en question est cédée.

• 1005

Historiquement, c'est donc le motif qu'ils ont invoqué pour s'en prendre au Canada et aux subventions alléguées. À maintes reprises, ces allégations ont été soumises à des tribunaux impartiaux et à des mécanismes d'arbitrage divers, et je pense qu'une analyse objective montre que le Canada et la Colombie-Britannique ont raison d'affirmer qu'ils ne subventionnent pas leur industrie. Cependant, les règles du jeu changent sans cesse du fait que les États-Unis les récrivent à l'interne.

M. Bob Speller: Vous pensez donc que notre système survivrait à une action en compensation intentée par les États-Unis?

M. David Emerson: Le problème, c'est que le débat qui a entouré la dernière action en compensation, il y a cinq ou six ans, a porté sur certains motifs. Certains des motifs sur lesquels la dernière bataille a porté ont aujourd'hui été écartés des règles applicables aux États-Unis. D'abord, il est donc beaucoup moins probable qu'on nous donnerait raison, et les résultats seraient tout à fait incertains. Voilà une partie du problème. Nous l'emportons en regard d'une série de critères objectifs. Les protectionnistes en viennent alors à la conclusion qu'il vaut mieux modifier les critères...

M. Bob Speller: Et ils modifient les règles du jeu.

M. David Emerson: ...si bien qu'ils parviennent à modifier les critères, et je pense que la marge de manoeuvre qu'il nous reste est très limitée. Je ne sais pas. Pour que le problème se résolve aujourd'hui pour le Canada, je crois sincèrement qu'il faudra pratiquement que le premier ministre fasse une priorité du règlement du problème du bois d'oeuvre, probablement dans le contexte d'une série de différends commerciaux canado-américains, ce qui permettra aux parties de faire des concessions.

M. Bob Speller: Je vous remercie.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt: Je vous remercie, madame la présidente.

C'est précisément sur ce point que porte ma question. Jusqu'ici, le différend du bois d'oeuvre est demeuré centré sur un secteur précis du commerce entre le Canada et les États-Unis. Je me demande si cette situation ne fait pas partie du problème dans la mesure où l'accord sur le libre-échange a été conclu en marge de l'ALENA et de l'accord de libre-échange. Il ne fait pas partie de l'accord plus général. Si ce genre de problème se pose, c'est, à mon avis, parce que le Canada lui-même n'est pas uni. Il y a d'un côté la Colombie-Britannique et, de l'autre, les autres provinces, et les Américains, au vu de la situation, se disent: «Eh bien, s'ils ne sont pas capables de s'entendre entre eux, à quoi bon? Nous allons nous en prendre à ceux que nous pouvons toucher le plus durement—c'est-à-dire la Colombie-Britannique.» C'est ce qu'ils ont fait.

Ma question est la suivante: devrait-on supprimer l'accord sur le libre-échange à titre d'accord parallèle distinct et intégrer son contenu aux négociations commerciales plus larges? Il me semble que c'est le point que vous venez tout juste de soulever à propos du premier ministre. Qu'en pense votre industrie? Elle a investi des millions de dollars dans le processus de négociation et, à l'occasion de contestations antérieures devant l'OMC, a remporté d'assez nombreuses victoires. Qu'arriverait-il si elle s'intégrait aux discussions plus larges, au moment où tout est sur la table?

M. David Emerson: C'est une très bonne question. Vous n'êtes pas sans savoir que, au sein de l'industrie, il y a autant de divisions que de régions et de collectivités au Canada. En répondant à la question, je ne m'exprime donc pas au nom de l'industrie canadienne. Je vous prie de garder ce fait en mémoire.

Mon point est relativement simple. Le régime de quotas dans lequel nous vivons actuellement constitue en lui-même un facteur de division à part entière: dans le contexte de quotas aussi stricts que ceux qui régissent le bois d'oeuvre, il y a des gagnants et des perdants. Dans le monde d'aujourd'hui, certains ont des quotas dont ils sont raisonnablement satisfaits, certains n'ont pas de quotas, certains ont des quotas très limités, et certaines régions sont carrément exclues, de sorte qu'elles ne sont pas limitées par les quotas. On entend toutes sortes de rumeurs à propos de livraisons souterraines en provenance de régions régies par des quotas qui transitent par des régions qui ne le sont pas. On investit dans les régions non visées par des quotas. On a affaire à une grande baignoire qui fuit de toutes parts.

• 1010

Mon avis, c'est que le moment est venu pour le gouvernement du Canada de se poser des questions fondamentales à propos de ce qui constitue une politique gouvernementale de qualité, juste et équitable, plutôt que de chercher à réaliser l'impossible, c'est-à-dire tenter de déterminer qui perd des quotas de façon qu'une personne qui n'en a pas en obtienne tout au moins un certain nombre. Le processus, par définition, ne peut être harmonieux.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Bonjour, monsieur Emerson. Il me fait plaisir de vous rencontrer ce matin.

Vous avez dit tout à l'heure que la principale raison des pertes d'emploi actuelles dans votre industrie, au Canada, était l'accord sur le bois d'oeuvre.

Savez-vous combien d'emplois ont été perdus depuis cet accord? Il me semble que, lors de la conclusion de cet accord, l'association canadienne des producteurs de bois d'oeuvre lui était favorable. Elle disait que l'accord n'était pas parfait, mais que c'était la meilleure chose qu'on pouvait obtenir dans ce contexte. Je comprends mal que cet accord soit devenu aujourd'hui la mère de tous les maux de votre industrie.

Je voudrais également connaître le nombre de millions de pieds-planches exportés aux États-Unis, avant et après l'accord, parce qu'il me semble que les quotas ont été octroyés en fonction du nombre de pieds-planches exportés au moment de la conclusion de l'accord.

Vous avez aussi parlé d'une ouverture des marchés, de libre-échange. Les représentants de l'Union européenne sont venus nous rencontrer à Ottawa avant leur visite en Colombie-Britannique et nous ont fait part de leurs préoccupations quant aux coupes à blanc dans la forêt de la Colombie-Britannique. Je suis loin d'être un expert dans les coupes de forêt en Colombie-Britannique, mais ils demandaient, si ma mémoire est fidèle, que l'exportation soit liée à un «écologo» pour rassurer la communauté européenne sur la forêt appelée renouvelable et durable. J'aimerais entendre vos commentaires sur ce point.

Mon dernier commentaire porte justement sur la forêt renouvelable et durable. Je ne sais pas si vous avez eu le privilège de voir le documentaire produit au Québec et intitulé L'erreur boréale sur les coupes à blanc des forêts. Vous avez glissé de façon très subtile dans l'introduction de votre présentation que votre industrie travaillait dans une forêt renouvelable et durable. Qu'entendez-vous par «forêt renouvelable et durable»?

[Traduction]

M. David Emerson: Je vous remercie beaucoup de votre question.

Pour revenir un peu aux questions que vous avez posées plus tôt à propos de l'industrie, qui adhère à l'accord sur le bois d'oeuvre, je dirais que «oui», c'est bien juste. Ce que j'ai effectivement dit, c'est que, selon moi, si l'industrie avait compris l'effet qu'aurait l'accord de nos jours—avec le bénéfice du recul—, elle ne l'aurait probablement pas signé avec le même degré d'enthousiasme.

Je crois que la difficulté fondamentale—et c'est là l'opinion d'un seul homme—tenait à ce que l'on était trop peu conscient du fait que, s'il faut restreindre le commerce du point de vue du volume, au moyen de quotas, mieux vaut le faire de façon complète et rigoureuse. Il ne faut pas laisser alors toutes sortes d'ouvertures, dont les gens peuvent simplement profiter pour déménager leurs usines en Saskatchewan, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, là où il n'y a pas de quotas.

L'objectif sous-jacent de l'accord consistait à stabiliser l'offre de bois d'oeuvre canadien à destination du marché américain, mais cela ne s'est pas réalisé, parce que la mesure était incomplète. La décision de restreindre ou de ne pas restreindre l'offre est une autre question.

Pour ce qui touche la Colombie-Britannique, je n'ai pas les chiffres exacts devant les yeux, mais je serai heureux de les transmettre au comité. Essentiellement, nous n'avons pas été témoins d'une croissance appréciable des exportations de la Colombie-Britannique vers le marché américain ces dernières années. De fait, si vous regardez les parts qu'ont les régions canadiennes dans les exportations vers le marché américain, celle de la Colombie-Britannique a baissé très sensiblement ces dernières années. Je crois que c'est baissé à près de... et je vous donnerai les bons chiffres; c'est autour de 51 p. 100, alors que c'était près de 60 p. 100 il y a trois ou quatre ans.

• 1015

Il serait difficile de quantifier les emplois disparus en raison de ce déclin. Tout de même, en théorie, si vous regardez du côté des scieries américaines, vous pouvez noter le nombre d'entre elles qui ont fermé leurs portes. Vous pouvez essayer de voir si elles fonctionnent à capacité: il y a peut-être un ou deux quarts de travail, plutôt qu'une activité ininterrompue. Voilà autant d'avantages économiques qui ne se réalisent pas, tant du point de vue des emplois qu'à d'autres égards.

Les questions que vous avez posées ensuite sont intelligentes. Elles traitent en fait d'une difficulté qui, à mon avis, comporte plusieurs facettes. Pour être franc, la difficulté réelle réside en partie dans le fait que l'industrie au Canada a besoin de mettre à niveau ses pratiques environnementales et ses pratiques d'aménagement forestier. La difficulté réside en partie dans la perception des choses: les coupes à blanc et diverses occasions quelque peu symboliques ont permis aux adversaires de l'industrie forestière et aux partisans des causes environnementales, à mon avis, d'assez bien rallier l'opinion publique mondiale contre l'industrie forestière, essentiellement au moyen de films comme celui auquel vous avez fait allusion et qui a été diffusé, je crois, au Québec, récemment.

Mon point de vue—et je crois que c'est aussi le point de vue de nombreuses entreprises forestières au Canada aujourd'hui—repose sur la modération, et vous n'allez peut-être pas être d'accord avec moi là-dessus, mais c'est aussi une vision éclairée. Je dirais que nous nous engageons à améliorer nos pratiques forestières et environnementales d'une façon qui soit significative et particulière. Plusieurs entreprises canadiennes, parmi lesquelles CANFOR, se disent qu'il ne suffit pas d'attendre et de réagir aux attaques de Greenpeace et aux annonces publiées dans le New York Times qui en appellent à un boycott de la pâte de papier provenant du Royaume-Uni et ainsi de suite en ripostant simplement par des campagnes de relations publiques ou de manipulations de l'opinion publique. Cela convenait tout à fait, comme première réaction à une situation de crise, il y a de cela quelques années. Je crois qu'il y a aujourd'hui nombre d'entre nous qui sont d'avis qu'il faut aller bien plus loin que cela.

Maintenant, il nous faut conjuguer une transformation réelle de nos pratiques forestières et une validation indépendante de nos pratiques forestières et environnementales, puis lancer une campagne de communication à long terme à ce sujet. Dans le contexte, plusieurs entreprises, parmi lesquelles CANFOR, encore une fois, recherchent l'homologation sous... Nous chercherons en même temps l'homologation de la CSA et l'homologation du FSE pour CANFOR.

Chez CANFOR, nous avons entrepris récemment une étude tout à fait rigoureuse de pratiques forestières qui, à mon avis, ont été très bonnes par le passé, chez CANFOR, et nous portons nos pratiques à un tout autre niveau, au sens où nous étudions la science de la gestion écosystémique totale, particulièrement dans les forêts boréales et sub-boréales du Nord. Nous essayons de déterminer ce qui sera pour nous une stratégie de développement durable à très long terme pour la gestion des forêts à des fins commerciales aussi bien qu'à l'usage d'autres personnes, y compris celles qui préfèrent simplement préserver la forêt.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Vous avez affirmé dans votre introduction que votre industrie fonctionnait dans une forêt renouvelable et durable. En tant que président de CANFOR, que signifie pour vous «ressource renouvelable et durable» dans l'industrie de la forêt?

[Traduction]

M. David Emerson: Je ne suis pas un spécialiste des forêts; je ne vous donnerai donc pas une définition technique de la chose. Je conçois cela dans des termes que les gens ordinaires comprendraient. Nous entendons par là une forêt qui est aménagée ou gérée de telle façon que vous plantez, essentiellement, plus en prévision de l'avenir que ce que vous coupez dès maintenant. C'est ce que nous faisons chez CANFOR. Cela veut dire que nous veillons à ne pas causer de perturbations environnementales significatives dans les zones où nous procédons à l'exploitation forestière et à la gestion forestière, de manière à ne pas détruire d'une façon significative l'habitat des animaux sauvages et du poisson, qui sont prisés. C'est comme cela. C'est dire essentiellement: adoptons une gestion environnementale de haut calibre et procédons de telle sorte que l'assise commerciale de la forêt perdure, et que les diverses zones naturelles soient préservées d'une manière qui est jugée satisfaisante dans la société autour de nous.

• 1020

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Merci. Je sais toujours que M. Sauvageau fera valoir mes intérêts avec beaucoup plus d'éloquence que moi.

Je reviens tout juste de l'île et je crois savoir que cela tient pour une bonne part aux apparences. Après avoir visité la baie Clayoquot, vu les zones que vous avez reboisées et vu les énormes souches qu'il y a là et les arbres qui, même après 50 ans, sont encore là pour nous émouvoir, je sais bien qu'il s'agit d'apparences, mais c'est une chose qui est très difficile à avaler. Je crois qu'il faudrait interdire les cure-dents en bois.

Vous parliez des États-Unis et du protectionnisme. Le mot «protectionnisme» a l'air péjoratif. Eh bien, je ne suis pas de cet avis. Une des questions avec lesquelles nous sommes aux prises, dans la lutte contre le protectionnisme américain touchant l'industrie du bois d'oeuvre, c'est le fait qu'il faut se soucier aussi du protectionnisme dans d'autres industries. Il nous faut pouvoir compter sur la souveraineté de notre production alimentaire. Il nous faut être sûr de compter des producteurs de lait, des producteurs d'oeufs, des habitants de notre pays dont le travail permet de nourrir les gens du pays, car la vague de l'avenir semble être une mondialisation totale—cela ne sera peut-être pas toujours le cas—et il est des choses que nous, en tant que Canadiens, considérons comme sacrées.

Lorsque vous parlez de règles libéralisées régissant le commerce, envisagez-vous cela sur toute la ligne? Si ce n'est pas le cas, comment pouvons-nous déterminer, convaincre nos partenaires commerciaux que les dossiers où ils nous semblaient être trop protectionnistes sont plus importants que les dossiers qui nous semblent mériter d'être protégés? Ce n'est pas là une mince tâche.

M. David Emerson: J'ai un préjugé là-dessus, et je vais l'exposer dès le départ. Pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, je crois que le Canada a toujours été et sera toujours dépendant du commerce international. Dans la mesure où nous nous adonnons au protectionnisme et encourageons de quelque façon que ce soit des actes protectionnistes de la part d'autrui, je crois que nous nous tirons dans le pied. Je reconnais qu'il existe des industries critiques sur le plan social, si vous voulez. On cite souvent le cas de la production alimentaire. Je ne suis pas d'avis personnellement que le libre-échange soit l'ennemi de l'agriculture. Je ne crois pas cela, mais voilà un tout autre débat.

Quant au secteur des produits forestiers, je souhaiterais qu'on lui accorde la même importance, le même effort dans les négociations que l'on a déployé, par exemple, pour l'industrie automobile ou pour nos industries de pointe. Aujourd'hui, l'industrie forestière est victime d'une forme particulièrement virulente de protectionnisme qui ne joue pas dans les autres secteurs. La première étape consisterait donc à mettre le secteur forestier sur le même pied que les autres industries critiques au Canada, car, après tout, c'est la plus importante de nos industries du point de vue du commerce, et si nous n'arrivons pas à négocier une politique commerciale qui permet de créer tout au moins un environnement commercial équitable pour l'industrie forestière, je crois que nous allons avoir des difficultés.

• 1025

Mme Colleen Beaumier: Est-ce que nous exportons le maximum en ce moment?

M. David Emerson: En prenant pour référence les quotas? Oui.

Mme Colleen Beaumier: Je croyais que l'industrie automobile était notre toute première industrie exportatrice.

M. David Emerson: La première industrie exportatrice, selon les statistiques, c'est l'industrie des produits forestiers. Les exportations brutes se chiffrent à 40 milliards de dollars.

J'ai réalisé une étude sur l'industrie automobile au moment où je travaillais pour le Conseil économique du Canada, et les exportations aussi bien que les importations y sont très importantes. De nombreuses pièces sont importées au Canada, de nombreux véhicules sortent du Canada, et inversement. Je ne sais plus très bien ce qui correspond à la classification «automobile» ces jours-ci, si cela comprend toute la série de pièces et d'accessoires ou encore seulement les véhicules eux-mêmes.

Mme Colleen Beaumier: Lorsque vous parlez d'exportations, parlez-vous de rondins ou parlez-vous de biens transformés?

M. David Emerson: De fait, l'exportation de rondins provenant de la Colombie-Britannique fait l'objet de restrictions. La plupart des gens n'en sont pas conscients, mais la Colombie-Britannique est un «importateur net» en ce qui concerne les rondins, puisque nous faisons venir beaucoup de...

Mme Colleen Beaumier: D'accord, il est donc question ici de l'exportation de produits finis.

M. David Emerson: Oui.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): J'aimerais poser une question rapidement.

Hier, nous avons eu droit à l'exposé de M. Murray Dobbin, qui siège au conseil d'administration du Conseil des Canadiens. Il a parlé d'un accord dont le Canada fait la promotion dans le domaine forestier, aux côtés des Américains, auprès de l'OMC. Êtes-vous au courant de cet accord et avez-vous été consulté?

M. David Emerson: Je ne suis pas au courant de l'accord en question. Je crois qu'il y aura une réunion de l'OMC bientôt à Seattle. Certaines discussions ont fait l'objet d'articles dans la presse récemment, j'ai eu à ce sujet une réunion en privé la semaine dernière avec les ministres du Commerce des États-Unis, du Canada et du Mexique. Les gens d'affaires qui étaient là ont discuté quelque peu de la possibilité pour le Canada, les États-Unis et le Mexique de se servir de l'accord de libre-échange nord-américain comme tremplin pour faire progresser les intérêts nord-américains, espère-t-on, à l'avantage de tous dans le cont l'OMC. Je ne suis pas au courant d'un dossier qui se rapporterait précisément à l'industrie forestière, mais il y a certains dossiers concernant les obstacles non tarifaires qui pourraient bien être au coeur des choses.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Selon ce document, il y a un accord dont le Canada fait la promotion dans le domaine forestier, aux côtés des Américains, auprès de l'OMC. L'accord sur les produits forestiers a été rédigé aux États-Unis avec le concours des transnationales forestières comme Weyerhaeuser, Boise Cascade Canada Ltd., International Paper et Georgia Pacific. Êtes-vous au courant d'un tel accord?

M. David Emerson: Non.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très rapidement, il ne reste presque plus de temps.

M. Darrel Stinson: Je voulais simplement obtenir une précision.

J'ai siégé au comité des ressources naturelles, où nous avons étudié les pratiques forestières du monde entier. Je tiens à vous féliciter, vous les gens de l'industrie forestière de la Colombie-Britannique. Nous avons constaté que vous appliquiez ici, en Colombie-Britannique, les normes les plus rigoureuses qui se trouvent dans le monde, et que vous êtes des chefs de file dans ce domaine. Félicitations.

M. David Emerson: Je vous remercie beaucoup.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Emerson, je voudrais vous parler d'une caricature qu'on a pu voir dans un journal au Québec. Deux bûcherons sont assis sur des bûches et, derrière eux, la forêt est complètement dévastée. L'un dit à l'autre: «Qu'est-ce que tu faisais avant d'être bûcheron». L'autre répond: «J'étais pêcheur, mais il n'y a plus de poissons.»

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup de vous être joint à nous, monsieur Emerson.

Merci, chers collègues.

M. David Emerson: Puis-je faire une dernière observation?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Oui, je vous en prie.

M. David Emerson: Ce qui fait toute la différence entre les poissons et les arbres, c'est que l'on peut voir les arbres, on peut voir là où ils devraient être; par contre, on ne peut repérer le poisson.

• 1030

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): J'invite Mme Ellie O'Day à se présenter à l'avant. Bienvenue, madame O'Day. Vous êtes ici pour traiter de questions concernant les effets de nos accords internationaux sur la culture. C'est avec bonheur que nous vous accueillons.

Il se trouve que je suis aussi membre du Comité permanent du Patrimoine canadien et je suis membre de la CCA, c'est-à-dire la Conférence canadienne des arts, et j'ai déjà présidé la compagnie canadienne de théâtre. C'est avec bonheur que je vous accueille aujourd'hui.

Vous disposez d'une demi-heure, et je vois que votre mémoire est très détaillé. Si vous vous en tenez à un exposé d'une quinzaine de minutes, nous pourrons ensuite...

Mme Ellie O'Day (directrice générale, Pacific Music Industry Assocation): Oh, je crois que cela pourra se faire. J'ai déjà fait de la radio; je suis très bonne lorsqu'il s'agit d'aller à...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bon, vous pouvez peut-être en faire simplement un résumé. Je l'ai regardé très rapidement, et c'est très détaillé, et je crains que vous ne puissiez passer au travers et avoir assez de temps pour les questions.

Mme Ellie O'Day: Je ne sais pas si je peux faire cela, mais je crois pouvoir passer au travers.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): D'accord. Je vous prie de commencer.

Mme Ellie O'Day: D'accord. Je tiens à remercier le Comité parlementaire des affaires étrangères et du commerce international de l'occasion qu'il m'offre de décrire en quoi certaines de ces questions ont une incidence sur la culture. Je viens témoigner particulièrement au nom du secteur qui produit des enregistrements audio et favorise la carrière d'artistes—et, de façon générale, comme quelqu'un qui appuie l'industrie des arts et de la culture, à titre de présidente de la Vancouver Cultural Alliance.

Mais je me présente aussi ici comme une citoyenne du Canada qui attend du gouvernement qu'il maintienne et peut-être même améliore le niveau de vie—pas seulement sur le plan économique, mais aussi pour ce qui touche une qualité de vie qui tient compte de notre environnement, de nos conditions de travail, de nos conditions de vie et de notre vie intellectuelle. Cela m'inquiéterait énormément si c'était les grandes sociétés qui devaient fixer ces valeurs, plutôt que le gouvernement élu agissant au nom des citoyens.

Dans l'industrie de l'enregistrement sonore, nous en avons plus à perdre qu'à gagner si jamais un commerce tout à fait sans entrave voit le jour. Ce ne sont pas seulement les auteurs-compositeurs et les interprètes dont l'oeuvre a pu mieux rayonner en raison de mesures comme les règles régissant le contenu canadien; c'est la diversité culturelle qui a pu être préservée pour tout le monde.

Je fais partie du Groupe de travail sur la politique culturelle au XXIe siècle organisé par la Conférence canadienne des arts. Or, ce groupe recommande—et je veux faire ici un résumé—que la ministre du Patrimoine canadien, Mme Sheila Copps, poursuive ses efforts en vue de rallier les gouvernements de nos partenaires internationaux à l'idée d'adopter des mesures pour affirmer la souveraineté culturelle au Canada comme ailleurs, pour bien asseoir le pluralisme culturel sur une planète «mondialisée» et pour harnacher la puissance des outils de travail que constituent les nouvelles technologies

Le commerce et la culture n'ont jamais fait très bon ménage. D'une part, la culture et tout ce qui se rattache à la propriété intellectuelle renvoie à des activités où les frontières n'ont pour l'essentiel aucune pertinence; elles s'inscrivent dans le commerce tout en ne cadrant pas très bien avec les règles qui régissent les autres secteurs de l'économie.

Garry Neil a formulé les propos qui suivent dans son analyse de l'AMI.

    Le Canada est le marché de produits culturels le plus ouvert du monde. Les Canadiens croient passionnément en la libre circulation des idées, de l'information et du divertissement. Mais c'est nous, c'est le reflet de notre société, que nous souhaitons voir, entendre et lire. Nous voulons regarder le monde à partir de notre perspective, tout autant qu'à partir de celle des autres. Face aux avantages titanesques dont jouit notre voisin du Sud en matière de concurrence, nous avons adopté une série de mesures pour permettre à nos artistes et travers culturels de percer et de réussir. Notre objectif est de nous assurer que les Canadiens ont la possibilité de choisir, dans leur propre pays.

Dans son plus récent ouvrage, intitulé Stop: Think, Paul Hellyer assimile la mondialisation à une forme de domination du pouvoir et de l'appât du gain. Il décrit en quoi les pays en développement sont exploités par le FMI et par les accords sur le libre-échange et l'investissement. Les superpuissances de notre époque sont édifiées dans un contexte où une solide assise industrielle a pu naître grâce à la protection des tarifs sur les échanges commerciaux. Les accords en place aujourd'hui empêchent les pays en développement de bénéficier de cette sécurité nationale. Tant et aussi longtemps qu'ils ne pourront établir de solides industries nationales, ils sont condamnés à être dépendants des superpuissances, pour qui la concurrence est réduite.

Nous entendons constamment dire que ces accords visent à créer des règles du jeu équitables pour les multinationales, qui insistent sur les articles instaurant le principe du traitement national et de la nation la plus favorisée. Mais où sont les règles du jeu équitables pour le travailleur, pour les citoyens du pays? Durant nos discussions au Groupe de travail sur la politique culturelle, notre vice-président, R.H., Thomson a déposé une proposition visant l'adoption de ce qu'il qualifie comme étant des «droits mondiaux parallèles». Il faut signer les accords sur le commerce et sur l'investissement seulement s'ils reconnaissent les obligations nationales et les droits des citoyens en ce qui concerne la culture, les programmes sociaux, la santé, l'environnement, l'éducation et les normes du travail.

• 1035

Dans l'industrie de la radio et de la télé, nous disposons de mesures pour nous assurer que le produit canadien, même s'il ne bénéficie pas des économies d'échelle possibles aux États-Unis ni de l'accès aux capitaux que l'on y trouve, peut trouver un environnement propice à son existence. Nous attendons des diffuseurs qu'ils réinvestissent dans le contenu canadien, et nous avons adopté un règlement sur le contenu canadien dont beaucoup d'autres se sont inspirés pour réserver une place aux produits culturels du pays. Le simple fait de libéraliser le commerce ne garantit en rien que les multinationales assureront la diffusion internationale ou l'investissement nécessaire dans la production d'un contenu qui peut, dans bien des cas, intéresser les habitants du Canada au premier chef, car nous voulons entendre parler de nous-mêmes.

Il y a lieu de croire que c'est tout le contraire qui se produit, que la libéralisation conduit à un plus grand nombre de prises de contrôle de sociétés canadiennes par des multinationales, ce qui leur permet de distribuer un produit international plus facilement au Canada. Cela crée peut-être certains emplois au Canada, mais le contrôle demeure entre les mains de la multinationale—il en va de même des emplois les mieux rémunérés et des postes où l'influence est la plus grande—et l'éventail de produits appartient à des intérêts étrangers. Nous, qui oeuvrons dans l'industrie de la musique, par chance, nous bénéficions en ce moment d'une rare exception à ce chapitre: c'est que Seagrams est propriétaire de la plus grande société d'enregistrement dans le monde, ayant fait l'acquisition de Universal et de Polygram, mais ses opérations se déroulent depuis un siège social installé aux États-Unis.

Le Canada a mis sur pied un régime efficace qui, comme je l'ai dit, a fait beaucoup d'adeptes de par le monde, pour s'assurer que ceux qui se servent des ondes publiques assument la responsabilité de continuer à améliorer les choses. Tout comme nous subventionnons l'éducation pour que chacun puisse faire des études, nous devons être prêts à financer l'amélioration continue de notre culture. Aujourd'hui, l'art de la côte du Nord-Ouest est reconnu partout dans le monde, mais il faut se rappeler qu'il est né d'une culture qui prisait ouvertement le travail de ses artistes et leur faisait une place dans la société.

Les sociétés autochtones de la région du Nord-Ouest de l'Amérique du Nord ont soutenu des artistes dont les oeuvres comprennent des longues maisons, des boîtes en bois cintré, des paniers et des totems. Lorsque les Blancs avec qui ils pratiquaient le commerce ont supprimé ces oeuvres aussi bien que les coutumes dont elles s'accompagnaient, pour les remplacer par celles de la nouvelle culture dominante, les fondements de la culture autochtone ont pratiquement été détruits. C'est le souffle des artistes qui est venu ranimer les dernières braises de ces cultures autochtones avec la production de nouvelles oeuvres, avec l'esprit créateur, avec la vitalité sociale. Une nouvelle génération a parfait son art et créé des oeuvres nouvelles qui se rapportent bien à la vie culturelle d'aujourd'hui. Cette connaissance a apporté une contribution importante à la guérison de la société, mais les pertes humaines, spirituelles et économiques attribuables à cette destruction ne sauraient jamais être compensées.

Il y a quelques étés de cela, au moment où je faisais de la voile le long de la côte est de l'Île de Vancouver, je suis arrivé à Alert Bay. Le lendemain allait être une journée particulièrement importante pour moi: c'était le 25e anniversaire de mon immigration au Canada; pour marquer l'occasion, le cuisinier du bateau et moi-même sommes allés visiter le centre culturel U'Mista. Le personnel encourage les visiteurs à regarder d'abord une bande vidéo qui relate comment les gens d'Alert Bay se sont regroupés et se sont réappropriés leur propre culture.

Au début du siècle, la communauté d'Alert Bay avait résisté à l'interdiction du potlatch décrétée par le gouvernement, jusqu'à ce que la GRC se promène de porte à porte pour saisir directement les insignes servant à la cérémonie. Après cela, la situation a périclité à Alert Bay. Mais les gens ont renversé la vapeur il y a quelques décennies: ils se sont assis et ont négocié avec le gouvernement fédéral en vue de recouvrer ces biens culturels qui, selon la tradition du potlatch, appartiennent aux familles, mais le gouvernement allait seulement renoncer à sa collection si la communauté construisait un centre. Aujourd'hui, le centre culturel U'Mista compte une collection de masques qu'il affiche dans un long hall rappelant la forme d'une longue maison, où les jeunes peuvent apprendre la langue kwakwakawak. Derrière l'édifice, de jeunes sculpteurs travaillent à des oeuvres nouvelles à côté du bâtiment imposant, mais délabré, du vieux pensionnat, qui sert maintenant de bureau.

La culture est le ciment de la société. Sans culture et sans identité, sans l'expression de leurs valeurs et de leurs rêves, les gens perdent leur âme collective. Et tout comme nous essayons de veiller à la santé de notre planète en appliquant des principes écologiques, les gens dans le monde prospèrent grâce à la diversité culturelle.

Dans les milieux culturels, bien des gens se soucient de l'éventualité que des accords comme l'AMI sacrifient une trop grande part de la souveraineté à la cause du libre-échange et de l'investissement. En instaurant des règles du jeu équitables pour les sociétés transnationales partout dans le monde, ces accords menacent la diversité culturelle. Pour des raisons touchant la sécurité, la justice sociale, la conservation, la santé et la souveraineté culturelle, les accords de cette nature engendrent des difficultés beaucoup plus grandes que les problèmes qu'ils permettent de résoudre.

Le secteur des arts et de la culture sont déjà alarmés par le traitement récent qu'ont réservé les accords multilatéraux sur le commerce à notre industrie nationale du magazine, la menace que laisse planer la société PolyGram Filmed Entertainment, qui lancerait un appel devant l'Union européenne pour contester notre politique nationale de distribution des films—situation qui, bien sûr, s'est réglée lorsque Seagram a acheté l'entreprise—et les menaces que laissent planer les États-Unis contre notre nouvelle loi sur le droit d'auteur. Les États-Unis détiennent, en particulier, un avantage concurrentiel notable dû à la taille de leur marché. Le Canada s'est donné des politiques pour s'assurer que nous maintenons l'accès à la diversité—ce qui comprend notre voix propre aussi bien qu'un marché international vaste et diversifié. Les États-Unis occupent déjà 95 p. 100 des écrans de nos salles de cinéma; les dramatiques diffusées à la télévision canadienne sont étrangères à raison de 86 p. 100, et l'essentiel provient des États-Unis; 84 p. 100 des ventes au détail d'enregistrements concernent des produits étrangers, tout comme 84 p. 100 de nos ventes de magazines, 70 p. 100 de nos livres et 70 p. 100 de notre radio—les États-Unis ayant, encore une fois, la part du lion.

• 1040

L'acharnement que met Hollywood, par l'entremise du lobbyiste Jack Valenti, à s'accaparer toujours plus du temps à nos écrans, à nos émissions de télévision, à la programmation de la radio montre bien à quel point les arts et la culture prennent une place tout à fait importante dans les desseins des grandes sociétés. Comme Keith Kelly, qui faisait alors partie de la CCA, l'a fait remarquer dans un exposé donné il y a un an devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, même si toutes les administrations canadiennes depuis 1944 se sont engagées à négocier en vue de libéraliser le commerce, il est difficile de concilier parfaitement souveraineté et richesse. Jouant encore une fois son rôle de sentinelle, le secteur culturel se bat pour sauvegarder la liberté de maintenir la souveraineté culturelle et de demeurer souverain sur le plan culturel.

Les Canadiens bénéficient déjà du libre-échange. À l'inverse de nombreux pays dans le monde, le Canada préserve l'accès aux renseignements et aux produits culturels internationaux depuis de nombreuses décennies. Depuis dix ans, l'investissement étranger au Canada a pratiquement doublé, passant à 180,4 milliards de dollars, alors que l'investissement canadien à l'étranger a augmenté de deux fois et demie, passant à 170,8 milliards de dollars.

Il existe toujours des façons dont les pays peuvent s'y prendre pour améliorer l'accès, qu'il s'agisse de traités de coproduction pour les projets de films, de l'abaissement des tarifs appliqués sur les biens importés ou de l'établissement de conventions prévoyant le paiement réciproque de redevances aux artistes entre les pays. Néanmoins, pendant qu'un ministère négocie des accords de libre-échange, un autre ministère du gouvernement canadien majore les tarifs pour les artistes de spectacle qui viennent au Canada, alors que l'Allemagne et l'Australie imposent une retenue fiscale de 30 p. 100 sur les recettes des artistes étrangers.

Les artistes sont parmi les premiers à critiquer les obstacles plus grands que l'on dresse ainsi devant la libre circulation de leurs oeuvres. La liberté d'accès est un élément important de notre liberté intellectuelle et sociale. La disparition de tous les contrôles, et notamment des droits des créateurs, des travailleurs et des consommateurs, demeure toutefois une éventualité très inquiétante.

Il y a un certain nombre d'années, à l'époque où l'ALENA faisait l'objet d'un très vif débat, l'émission The New Music, sur CITY TV à Toronto, a tenu un débat autour des effets de l'ALENA sur l'industrie de la musique. On y avait invité des hauts dirigeants de multinationales du monde du disque, Mme Sheila Finestone, députée ontarienne qui s'était prononcée en faveur de l'ALENA, et puis les deux plus importants imprésarios au pays, qui peuvent réaliser avec n'importe qui dans le monde: Ray Danniels, qui s'occupait alors des affaires de Rush et qui compte maintenant Van Halen parmi ses clients; et Bruce Allen, de Vancouver, dont les clients sont, entre autres, Bryan Adams, Martina McBride et Anne Murray. Fait intéressant, les deux imprésarios étaient contre l'ALENA. Après avoir recruté un nouveau talent et entrepris les démarches pour obtenir un contrat d'enregistrement, et épuisé leurs options chez les «cinq grands» au Canada, ils se retrouveraient devant une concurrence encore plus forte sur le marché américain.

La raison principale pour laquelle les multinationales ont des bureaux au Canada, c'est l'existence de restrictions commerciales. Allen et Danniels s'inquiétaient aussi de l'effondrement éventuel de la formule du «contenu canadien» dans le cas de la radio, puisque les multinationales américaines allaient probablement servir le marché canadien depuis un endroit comme Detroit en ne faisant probablement pas tourner suffisamment de contenu canadien. Sans les capacités de distribution qu'ont les multinationales, rares sont les compagnies de disque canadiennes qui auraient suffisamment de stocks pour créer un véritable «tube».

Les États-Unis ont toujours hésité à rémunérer adéquatement l'usage fait d'oeuvres de création, mais ils déploient en même temps les moyens les plus extravagants pour protéger une part de marché déjà dominante et pour acquérir le reste. Aujourd'hui, les États-Unis veulent porter devant l'OMC la nouvelle loi sur le droit d'auteur que nous avons obtenue de haute lutte, et qui met le Canada sur le même pied que plus d'une cinquantaine d'autres pays car nous n'avions pas l'intention de verser des redevances à leurs écrivains et à leurs éditeurs, ce qu'ils ne font pas eux-mêmes dans leur propre pays. La rémunération versée en contrepartie du travail de création des artistes est un droit reconnu au Canada, et nous appliquons des ententes de réciprocité conclues avec de nombreux autres pays du monde pour la perception de droits d'utilisation en vue de rémunérer les artistes à cet égard. Les États-Unis n'ont pas signé certaines des conventions internationales les plus largement répandues dans le domaine du droit d'auteur.

Le David qui s'en prend à Goliath ces temps-ci est l'IMRO—l'Irish Music Rights Organization. C'est justement en décembre dernier que la CEE a confirmé le bien-fondé d'une plainte formée en 1977, selon laquelle les États-Unis violaient les règles du commerce international. Une dispense accordée aux États-Unis à un certain nombre de magasins, de bars et de restaurants quant à l'obligation de verser des redevances en échange du droit de diffuser des émissions de radio et de télévision vaudrait quelque 20 millions de dollars à verser aux auteurs-compositeurs européens. Une prorogation récente de la mesure aux États-Unis permet de porter à 70 p. 100 le nombre d'établissements qui bénéficient de cette dispense. L'IMRO estime désormais que les pertes des auteurs européens se chiffreront à 60 millions de dollars, et celles des auteurs américains, à 400 millions de dollars. Dans cette affaire, les lobbyistes à la solde de la National Restaurant Association des États-Unis l'ont emporté sur l'ASCAP, le BMI et le SESAC, sociétés de gestion collective qui administrent les droits d'auteur au nom des auteurs et des éditeurs, L'IMRO affirme que les lois américaines prévoyant cette dispense vont à l'encontre de la Convention de Berne sur le droit d'auteur et de l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, ou ADPIC. L'OMC doit maintenant trancher.

• 1045

En février dernier, les membres du comité consultatif sectoriel des industries culturelles sur le commerce international ont déposé leur mémoire, intitulé La culture canadienne dans le contexte de la mondialisationNouvelles stratégies pour la culture et le commerce, reconnaissant le fait que le Canada a toujours été à l'avant-plan des efforts internationaux déployés pour libéraliser les marchés mondiaux. De même, nous avons toujours été d'ardents défenseurs de la souveraineté culturelle et de la diversité culturelle. Le Canada devrait continuer à jouer ce rôle de figure de proue. Un nouvel instrument international concernant la diversité culturelle, selon le GCSCE, servirait à reconnaître l'importance de la diversité culturelle aussi bien qu'à reconnaître le fait que les biens et services culturels diffèrent sensiblement d'autres produits. Cela servirait à reconnaître le fait que les mesures et politiques qu'adoptent les pays pour garantir l'accès à des produits culturels locaux diversifiés diffèrent sensiblement des autres politiques et mesures existantes, et à établir un ensemble de règles pour régir le genre de mesures que les pays peuvent utiliser pour accroître la diversité culturelle et linguistique aussi bien que pour déterminer comment s'appliqueraient les disciplines dans le domaine du commerce.

La fin de semaine dernière, les journaux ont exposé la plus récente impasse dans les négociations avec les États-Unis concernant le nouveau projet de loi C-55. M. Sergio Marchi a entendu le grand public canadien lui dire que ces négociations devaient être plus transparentes, après l'expérience que nous avons vécue en ce qui concerne les négociations secrètes de l'AMI. Il a demandé à ses homologues aux États-Unis et au Mexique de définir avec plus de précision le terme «expropriation» qui se trouve dans l'ALE où l'intention consistait à protéger les grandes sociétés contre l'expropriation de leurs biens. Toutefois, l'expérience vécue ces dernières années nous dit que la notion a été appliquée largement à tout ce qui réduit les possibilités pour une société de toucher des profits. Une définition moins large permettrait aux pays d'adopter des lois et des règlements qui concernent la santé, le bien-être, le travail, l'environnement et la souveraineté culturelle.

M. Blanco, du Mexique, s'est opposé à cela, mais le Canada doit rester sur ses positions, car cela touche en fin de compte toutes les ententes sur le commerce international. Je reviens aux droits mondiaux parallèles de M. R.H. Thomson, notion selon laquelle les privilèges s'accompagnent absolument de responsabilités et qui établit que les partenaires commerciaux ont des obligations parallèles quant au respect des droits souverains.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous avons 12 minutes pour faire le tour. Chacun posera donc une question. Si nous avons le temps de faire un deuxième tour, je vous céderai alors la parole à nouveau, monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt: Merci beaucoup, madame la présidente, et merci beaucoup, madame O'Day, d'être venue témoigner ici ce matin.

Je vous poserais la question suivante: en ce qui concerne la souveraineté, vous avez ajouté la définition de la souveraineté culturelle, comme si cela différait d'une façon ou d'une autre de la souveraineté nationale. Pouvez-vous préciser la différence qu'il y a entre la souveraineté nationale et la souveraineté culturelle?

Mme Ellie O'Day: Ce dont je parle, c'est davantage de choses incorporelles. Il faut faire certaines distinctions de nos jours, car le monde est sans frontière pour ce qui est de toutes sortes d'information. Ce monde n'a pas de frontière comme en ont les pays souverains; je crois donc que, simplement, du point de vue linguistique, nous avons tendance à faire une distinction pour indiquer que ce sont là des idées, des choses auxquelles nous ne reconnaissons pas de présence physique, de la même façon que nous reconnaissons la propriété intellectuelle. Nous faisons une distinction entre la propriété matérielle et la propriété intellectuelle. Je crois que c'est simplement une question de vocabulaire. Je crois que cela arrive au même en dernière analyse—nous nous soucions d'avoir un pays qui a sa propre idéologie et ses propres principes.

M. Werner Schmidt: Cela me paraît intéressant, puisque vous décrivez, dans votre mémoire, des choses très physique comme étant culturelles, et si je ne m'abuse, si je peux le trouver ici, cela touche la saisie de... oui, c'est au haut de... cette page, ici, qui n'est pas numérotée.

Mais vous dites: «Aujourd'hui, le centre culturel U'Mista compte une collection de masques qu'il affiche dans un long hall rappelant la forme d'une longue maison, où les jeunes peuvent apprendre...» et ainsi de suite. Vous poursuivez: «Derrière le bâtiment, des jeunes sculpteurs créent des oeuvres, aux côtés du vieux bâtiment délabré du pensionnat...». Vous dites: «La culture est le ciment de la société. Sans culture et sans identité, sans l'expression de leurs valeurs et de leurs rêves, les gens perdent leur âme collective». Auparavant, vous faites allusion à la saisie des totems et aux choses de ce genre. C'est très physique.

Je ne sais pas très bien comment interpréter votre dernière réponse.

• 1050

Mme Ellie O'Day: Eh bien, je ne crois pas que nous puissions attendre que... comment dire? La culture se manifeste sur le plan physique, qu'il s'agisse d'un film, d'un enregistrement sonore, d'une sculpture ou d'un livre. Ce sont toutes là des manifestations physiques. Mais c'est le contenu de la chose qui est en fait culturel. Pour diffuser les idées en questions, il nous faut réserver des espaces pour les manifestations culturelles de ces idées.

C'est une question linguistique qui est difficile, je le sais. Lorsque nous parlons d'industries culturelles, je reconnais que nous parlons d'une manifestation quelque peu commerciale de ces idées, mais c'est de cette façon que la diffusion se fait. C'est pourquoi j'ai souligné les moyens remarquables que déploie Hollywood pour préserver l'espace international réservé à son produit culturel, car c'est comme cela qu'on diffuse les principes des États-Unis d'Amérique. C'est par le cinéma d'Hollywood plus que toute autre chose.

M. Werner Schmidt: La culture ne devrait donc jamais faire partie d'une discussion sur le libre-échange?

Mme Ellie O'Day: Je crois qu'il faut l'envisager d'une façon distinctive, car cela touche tellement notre identité. Je crois qu'il nous faut traiter cela de manière très distinctive pour ce qui est de la façon dont nous prévoyons que cet espace soit réservé, sur notre marché intérieur en particulier.

M. Werner Schmidt: Est-ce non ou oui?

Mme Ellie O'Day: Il faudrait que j'entende votre question à nouveau pour pouvoir bien y répondre.

M. Werner Schmidt: Merci, madame la présidente.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Je n'ai pas des question à poser.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): D'accord. J'ai quelques questions à poser moi-même, alors.

Bon, M. Schmidt a demandé si c'était les deux. Parlons d'abord du rapport sur la culture du GCSCE, où il est question d'inscrire la culture dans un instrument international distinct. Nous avons accueilli le témoignage de membres du GCSCE au Comité des affaires étrangères et du commerce international. Mais une des choses que les auteurs du rapport n'ont pas mentionnée—et je suis d'accord avec les principes qui se trouvent là—, c'était de dire comment on procéderait pour créer cet accord international et par quelle tribune on passerait. Enfin, je me demande si ce serait l'OMC ou encore l'accord de libre-échange des Amériques?

Nous avons eu droit à un commentaire très intéressant. La première personne qui nous a parlé ce matin est Mme Nola Kate Seymoar, du centre international pour des cités viables (International Centre for Sustainable Cities). Elle a dit que, dans les Amériques, «nous sommes les chefs de file». Bon, cet accord que propose le GCSCE culturel, est-ce un élément que nous devrions commencer à négocier dans le contexte du libre-échange des Amériques?

Mme Ellie O'Day: Je crois qu'il faut aborder cela dans toute négociation. Je crois que c'est le principe dont il est question ici, le fait qu'il nous faut un grand principe directeur qui serait respecté dans tous ces accords sur le commerce. Autrement dit, il nous faut vraiment établir un précédent ici pour ce qui est de la façon de traiter de la culture, car chaque fois que nous négocions un accord de ce genre, la question de la définition revient.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je comprends cela, et je comprends certes que les auteurs du rapport du GCSCE affirment aussi que les exceptions et les réserves ne fonctionnent pas, et, malgré ces exceptions et ces réserves, on porte l'affaire devant l'OMC. Il nous faut trouver une autre façon de procéder.

Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment, sur le plan logistique, faire le lien avec l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons toujours l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons le mécanisme de règlement des différends, et nous aurons là les règles qui s'appliquent. Comment faire le lien pour que cela soit considéré comme distinct, à part, et à quel moment commencer à en parler? Ce dont je me préoccupe, c'est que cela passera entre les mailles du filet.

Mme Ellie O'Day: Je reviendrai à ce que je disais, c'est-à-dire qu'il faut aborder cela dans tous ces accords pour harmoniser le vocabulaire, pour que nous n'ayons pas à revenir toujours à cela dans chaque cas individuel qui se présente.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Et encore, vous parlez, dans votre mémoire, d'un ministère qui négocie les accords sur le commerce et des artistes qui sont parmi les premiers à critiquer les obstacles plus grands que l'on dresse devant la libre diffusion de leurs oeuvres. J'abonde en ce sens. Tout de même, il y a environ un an, je crois, au moment où la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Mme Lucienne Robillard, a achevé son examen législatif du système d'immigration, une des choses étudiées était le dossier des visas. Si je soulève la question des visas, c'est que nous avons parlé de l'incapacité d'obtenir un visa dans le cas des industries de service.

• 1055

Les auteurs du rapport recommandaient notamment que nous accordions des visas de 30 jours aux travailleurs temporaires. Il y a eu toute une levée de boucliers du côté de l'ACTRA à ce moment-là, car nous n'avions pas d'entente de réciprocité. Si nous permettions aux Américains de venir séjourner pendant 30 jours, est-ce là un aspect que nous devrions explorer dans nos accords sur le commerce?

Mme Ellie O'Day: Oui, comme je l'ai dit, nous devons aussi traiter des cas de l'Australie et de l'Allemagne. C'est le genre de dossier où nous traitons simplement des accords de réciprocité. Là où le bât blesse, à mon avis, c'est les cas où il n'y a pas vraiment réciprocité, par exemple celui du droit d'auteur, les cas où il n'y a pas du tout réciprocité.

Avec tous ces accords bilatéraux et des accords encore plus largement répandus comme ceci, où nous disons que nous voulons être les témoins de la libre diffusion des prestations culturelles et ainsi de suite, harmonisons nos exigences pour qu'il n'y ait pas un pays qui s'attend à ces énormes retenues fiscales et un autre qui n'exige rien du tout. Essayons d'égaliser cela, car c'est là que les artistes aiment voir du partage. C'est là où les règles du jeu ne sont pas du tout équitables que les difficultés me paraissent significatives.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): J'ai une dernière observation. Vous avez parlé de la communication de Garry Neil. Notre sous-comité s'est penché sur ce document, car nous avons pris les recommandations de M. Neil concernant l'AMI et les avons intégrées au rapport de notre sous-comité, dont la présidence a été assurée par M. Seller l'année suivante.

M. Schmidt a parlé de la souveraineté culturelle et de la différence. Je n'oublierai jamais ce que Robert Lantos a dit avec tant d'éloquence: nous ne devons jamais oublier le fait que notre souveraineté culturelle est liée indissociablement à notre souveraineté économique. Voilà qui donne à penser. Merci beaucoup.

M. Werner Schmidt: Êtes-vous en train de dire que tout cela revient à une question d'argent?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Maintenant, j'inviterais à se présenter à l'avant les représentants de la West Coast Environmental Law Association, de la Canadian Association of Physicians for the Environment et de la Société canadienne de la protection de l'environnement marin.

Bienvenue, mesdames et messieurs. Merci d'être venus témoigner devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous accueillerons d'abord M. Steven Shrybmen, directeur général de la West Coast Environmental Law Association. Cette association a délégué trois personnes. Pour que nous puissions avoir une période de questions et de réponses, je vous demanderais de résumer votre propos autant que possible pour prendre dix minutes chacun, de sorte que nous puissions avoir ensuite un certain échange.

M. Steven Shrybmen (directeur général, West Coast Environmental Law Association.): Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.

Je suis directeur général de West Coast Environmental Law Association, Association juridique pour la défense de l'intérêt public qui en est à sa 25e année d'existence et qui fournit des services juridiques aux habitants de la Colombie-Britannique.

Nous sommes actifs dans le domaine de la politique environnementale et du droit environnemental aux échelons international, national, local et provincial depuis 25 ans. Depuis dix ans environ, le commerce international est une question prioritaire pour notre association et pour mes collègues ici présents.

Aujourd'hui, je vous présenterai un exposé qui correspond à un extrait du rapport que j'ai rédigé lorsque nous avons participé aux travaux du front commun sur l'Organisation mondiale du commerce—le Common Front on the World Trade Organization. D'autres groupes faisaient partie de cela: le Conseil des Canadiens—je crois que vous avez déjà accueilli le témoignage de Mme Barlow—, le Congrès du travail du Canada, le Sierra Club du Canada—je crois que vous allez entendre le témoignage d'Elizabeth May à un moment donné—, l'institut Polaris, l'Association canadienne du droit de l'environnement et notre regroupement à nous. Je ne vous ai pas fourni d'exemplaire du rapport intégral, mais je serais heureux de le faire.

• 1100

Ce que je souhaite faire aujourd'hui, durant les dix minutes qui me sont allouées, c'est de faire valoir trois points. Premièrement, du fait que nous adhérons à ces accords multilatéraux, nous avons cédé une partie de la souveraineté du Parlement à des institutions qui ne sont pas situées au Canada et qui n'ont pas de comptes à rendre aux Canadiens.

Deuxièmement, les règles appliquées par ces institutions sont fondamentalement incompatibles avec une quelconque version écologiquement viable des politiques gouvernementales. Troisièmement, le moment est venu pour nous de nous arrêter et de faire le bilan de ce que nous avons accompli la par la négociation d'accords comme l'ALENA et par la création de l'Organisation mondiale du commerce, et de solliciter la participation d'autres secteurs à une discussion sur les effets de ces régimes.

Je félicite le gouvernement de s'être engagé dans cet examen des choses, mais ce n'est que le début. D'autres ministères fédéraux devraient être davantage appelés à prendre part à l'exercice qui consiste à comprendre et à débattre les conséquences des engagements contractés par le Canada dans les traités sur l'investissement et le commerce international.

Pour apporter rapidement une précision à chacun de ces points, disons qu'il est devenu évident qu'en négociant un accord de libre-échange avec les États-Unis et en concluant un accord de libre-échange nord-américain qui comprend le Mexique, nous avons renoncé à toute une série de possibilités de réglementation et de politique publique qui, écologiquement, culturellement et de divers autres points de vue, sont très nécessaires à la réalisation d'objectifs qui sont dans l'intérêt public au Canada.

Nous les avons cédés à des institutions américaines, par exemple dans le cas du chapitre 19 de l'ALENA, de la façon dont nous avons donné notre consentement à l'application des mesures compensatoires décrétées unilatéralement par les Américains en vertu du chapitre 19. Nous ne pouvons protester contre le recours par les Américains aux mesures unilatérales, autrement que pour insister pour qu'elles soient appliquées en conformité avec le droit américain, que les États-Unis sont libres de modifier à leur gré, sous réserve seulement qu'ils consultent les Canadiens dans cette démarche.

Nous avons cédé aussi une partie de nos pouvoirs en acceptant l'éventualité de litiges d'investisseurs portés contre l'État en application des règles d'investissement prévues au chapitre 11. Vous n'êtes pas sans savoir que plusieurs causes ont d'ailleurs été portées devant les tribunaux pour contester la politique de réglementation du Canada—et, ce n'est pas là une coïncidence, la politique environnementale canadienne dans la plupart des cas. L'affaire d'Ethyl Corp. en est une, et l'affaire S.D. Myers en est une autre. La contestation de la société Sun Belt est un troisième exemple du genre, bien que la demande de réparation n'ait pas encore été déposée à proprement parler, si je ne m'abuse. La société a certainement déposé un avis d'intention à cet égard. Il est question ici de contrôles sur l'exportation de l'eau en Colombie-Britannique.

Nous nous sommes donc pliés aux restrictions en question—, dans le cas des actions pouvant être intentées par les investisseurs contre un État—qui seront imposées au droit canadien et aux politiques gouvernementales canadiennes par des tribunaux d'arbitrage internationaux évoluant tout à fait hors du contexte du droit canadien et des normes judiciaires canadiennes. Ces tribunaux appliqueront des règles qui n'ont pas pour fondement la common law ou le droit législatif du Canada. Ces tribunaux appliquent aux accords des lois internationales. À de nombreux égards, particulièrement dans le domaine de l'expropriation, il existe de grandes différences entre les deux.

La plupart des Canadiens ne saisissent probablement pas ce qui est arrivé avec la création de l'OMC, la transformation des mécanismes d'exécution qui s'est faite au moment de la création de l'OMC. Nous avons transformé un régime qui visait essentiellement à faciliter le règlement consensuel de différends entre les parties au GATT en un régime qui comportait réellement un mécanisme d'exécution efficace. Maintenant, les décisions des tribunaux de l'OMC sont automatiquement appliquées dans les 60 jours suivant la publication, à moins d'un appel. La même règle s'applique alors à la décision de la Commission d'appel, à moins que tout un chacun parmi les membres de l'OMC ne décide de bloquer la mise en oeuvre.

• 1105

Pour illustrer cela, disons que la première affaire que devait régler l'OMC concernait la contestation des règles environnementales américaines, dans l'affaire dite de l'essence reformulée. Des producteurs sud-américains ont porté plainte à propos des règles associées à la loi américaine sur la qualité de l'air (U.S. Clean Air Act). La plainte a été entendue, et le tribunal a décrété que les règles accompagnant cette loi représentaient un obstacle au commerce qui devaient en conséquence être éliminées. La cause a été portée en appel. La commission d'appel a tiré la même conclusion. Les États-Unis ont alors été forcés soit d'éliminer les règles en question, soit de verser des millions de dollars par année aux raffineries étrangères de pétrole et de gaz naturel pour chaque... je ne sais plus si c'est 60 ou plus, cela dépasse les 60 millions de dollars par année.

Tout cela est survenu en neuf mois. En droit canadien ou en droit civil canadien, il n'y a pas de régime d'exécution qui permette d'aboutir à ce genre de recours, et cela en neuf mois, y compris le temps prévu pour l'appel. Ce sont là de très puissants mécanismes d'exécution. Il n'importe plus de savoir ce que devrait être la politique culturelle canadienne aux yeux des Canadiens eux-mêmes, ou encore ce que devrait être la politique environnementale canadienne dans les cas où il y a un différend, étant donné l'élargissement sensible des accords sur le commerce international qui traitent maintenant de toutes sortes de choses qui n'ont pas grand'chose à voir avec le commerce—les mesures d'investissement, les droits régissant la propriété intellectuelle et l'investissement, notamment.

En deuxième lieu, les règles associées à ces régimes, conçues pour l'essentiel à huis clos, avec la participation d'aucun ministère sauf le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, témoignent d'un souci énorme apporté aux objectifs de la politique commerciale, à l'exclusion de toute autre politique publique. Cela ne faisait tout simplement pas partie des choses. Il n'est donc pas étonnant de constater que, lorsque les choses se corsent, les autres objectifs brillent par leur absence—la protection de l'intégrité culturelle du Canada, nos valeurs environnementales, nos mesures de protection de la santé et de promotion de la sécurité en milieu de travail, ou encore les politiques canadiennes de conservation des ressources.

Compte tenu du temps dont je dispose, je ne saurais approfondir la jurisprudence importante qui existe maintenant à cet égard, mais citons l'affaires des crevettes et des tortues, l'affaire de l'essence reformulée dont nous avons déjà parlé et la contestation des programmes de conservation du saumon et du hareng sur la côte ouest du Canada, que l'on est parvenu à faire disparaître dans le cadre de l'ALENA. Y en a-t-il d'autres?

Le Canada fait maintenant appel à l'OMC pour contester les règles concernant l'amiante en France. Désormais, on fait de plus en plus appel à ces régimes pour contester les mesures de réglementation adoptées à l'échelon national par des élus souhaitant protéger la santé des consommateurs.

J'oubliais l'affaire de l'hormone de croissance bovine, où c'est le Canada qui nous semble jouer le rôle du méchant. Toutes ces contestations ont porté fruit, sans exception, ce qui n'est pas vraiment étonnant pour qui saisit le fait que les objectifs de ces régimes consistent à faciliter la libéralisation du commerce. Les autres objectifs n'y sont vraiment pas pour grand'chose.

La troisième idée que je voulais faire valoir, pour conclure, c'est qu'il n'est pas difficile de comprendre pourquoi il y a un tel déséquilibre dans ces institutions lorsque vient le temps de concilier des objectifs contradictoires—si on comprend bien que la vision ayant présidé à leur création revient essentiellement à une forme de myopie. J'ai remarqué, par exemple, que dans le dossier du droit et de la politique de l'environnement, il y a un fonctionnaire d'Environnement Canada qui est chargé de représenter le ministère et de saisir les conséquences de toute la série de dossiers environnementaux et commerciaux que cela suppose. C'est le même type qui travaille au dossier du changement climatique. Là où je veux en venir, c'est qu'au ministère de l'Environnement, il y a une seule personne qui a pour rôle de traiter avec les interrelations énormes qui existent entre la politique environnementale et la politique commerciale.

J'imagine que je devrais conclure en disant que, dans le cas des différends qui sont survenus et mettaient en opposition les mesures environnementales et les accords sur le commerce, les institutions du côté commercial ont eu coutume de proposer que la façon de régler le conflit consisterait à créer une forme quelconque d'institution indépendante. Apparemment, M. Ruggiero vient tout juste de proposer cela à l'égard de l'OMC, préconisant l'établissement d'une organisation mondiale de l'environnement. Ou encore, comme cela s'est produit dans le cadre de l'ALENA, nous avons été témoins de la création d'une commission sur la coopération environnementale.

• 1110

Ces approches ont ceci de déficient qu'elles ne tiennent pas compte du fait que l'environnement et l'économie sont intimement reliés, et nous ne pouvons imaginer de contracter des obligations commerciales internationales qui n'auraient pas une incidence énorme sur notre environnement. Lorsque je présente cet argument à mes amis dans les milieux environnementaux, je fais valoir que l'Organisation mondiale du commerce repose en fait sur le plus important accord environnemental international qui soit dans le monde. On ne saurait trouver, parmi les dispositions de l'OMC, un quelconque élément qui n'a pas de conséquence pour l'environnement.

Si vous lisez le guide que j'ai rédigé, vous verrez que nous traitons de l'agriculture, qui, selon nous, est probablement l'aspect de l'accord de l'OMC qui comporte les conséquences les plus vastes pour l'environnement, depuis le changement climatique jusqu'à la sécurité alimentaire. Mais nous y abordons aussi les mesures concernant la propriété intellectuelle, les services, l'investissement. L'OMC ne traite simplement de rien qui n'ait des conséquences importantes du point de vue du droit environnemental et de la politique environnementale. Il importe qu'avant de consolider ou proroger ces engagements, nous commencions à saisir à quoi ressemblent ces conséquences et nous nous engagions à en traiter d'une manière qui permettra de régler les problèmes écologiques très pressants que nous connaissons.

Merci beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Shrybmen. Vous nous avez bien dit, avant de présenter votre exposé, que vous pouviez nous fournir le rapport intégral si nous le souhaitions. Je viens de jeter un coup d'oeil à la matière. Auriez-vous l'obligeance de le faire? Il y a là plusieurs des questions qui ont été soulevées par d'autres témoins, et nous aimerions l'avoir en main.

M. Steven Shrybmen: Oui, tout à fait, je vais faire faire cela plus tard aujourd'hui.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Nous accueillons maintenant le Dr Peter Carter, secrétaire de la Canadian Association of Physicians for the Environment. Bienvenue, docteur Carter.

Dr Peter Carter (secrétaire, Canadian Association of Physicians for the Environment): Merci.

Honorables membres du comité permanent, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous faire part de la position et des préoccupations des médecins canadiens qui se soucient de l'environnement à propos de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, et de l'accord de libre-échange des Amériques, l'ALEA.

Je dois d'abord mettre un peu d'ordre dans les choses. Je vous ai transmis un document assez volumineux le 14 avril dernier, que vous n'avez pas dans les faits. J'imagine qu'il dort encore quelque part, à Ottawa. Cela nous rendra la tâche un peu plus difficile, à nous deux, mais je ferai de mon mieux. Le document a une certaine importance parce qu'il renferme des exemplaires des 12 ententes, conventions et déclarations gouvernementales sur lesquelles je souhaite attirer l'attention du comité.

Au coeur de notre mémoire et de nos travaux, il y a la santé humaine et la qualité de l'environnement dans le contexte du développement durable. Nous avons entamé ces recherches d'abord parce que nous devions présenter un mémoire concernant la nouvelle loi canadienne sur la protection de l'environnement, à propos de laquelle, fait intéressant, les documents publics parus il y a de cela plusieurs années faisaient mention de l'effet probable des accords de libre-échange sur la nouvelle loi.

Par conséquent, nous correspondions avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. L'information qui nous était transmise ne nous paraissait pas satisfaisante, puis, en janvier 1998, nous avons présenté une pétition dans le cadre d'Agenda 2000, modification de la loi sur le Vérificateur général en ce qui concerne le développement durable. Voilà donc en bref notre participation à cela jusqu'à maintenant.

Il y a presque exactement deux ans, ici même à Vancouver, le 17 avril 1997, M. Lloyd Axworthy a prononcé un discours sur le développement durable et la politique étrangère canadienne. C'était l'introduction à Agenda 2000, qui est à la base de notre pétition. Je vais maintenant citer M. Axworthy, qui a formulé quelques arguments d'une importance tout à fait vitale.

    Nous voulons dans ce document énoncer une stratégie qui nous permettra d'intégrer le développement durable dans tous les aspects de nos activités et de notre prise de décisions. En d'autres mots, faire du développement durable une constante dans la conduite et de la pratique de la politique étrangère et du commerce international du Canada.

• 1115

Notre évaluation des propositions à l'égard de l'OMC et de l'ALEA reposerait sur cette déclaration, de telle sorte que le développement durable serait une constante dans la pratique de la politique et du commerce dans le cas du Canada.

Étant donné l'évolution incroyable du paysage international sous d'autres facettes ces dernières années, la possibilité que les préoccupations environnementales disparaissent du programme des activités internationales depuis le Sommet de Rio est bien réelle. Or, nous ne pouvons permettre que cela arrive. Un suivi à la fois pragmatique et viable est d'une importance cruciale. Pour faire cela, nous devons adopter des façons nouvelles de procéder.

Voici une autre citation tirée du même exposé:

    La dégradation de l'environnement et l'appauvrissement des ressources ont l'envers de la mondialisation. Ce sont des menaces à la sécurité humaine qui font fi des frontières. Face à ce genre de danger, les vieilles approches ne suffiront pas. Et la recherche de nouvelles approches ne sera ni facile ni à l'abri de la controverse. Mais, pour venir à bout de ce problème, nous disposons d'atouts et de compétences considérables... et nous avons les meilleures raisons au monde de trouver les bonnes solutions: l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants.

Le document que je vous ai transmis le 14, que vous n'avez pas en main, témoigne d'un appui on ne peut plus fort des déclarations du ministre de la part de nos chercheurs de toute une série de disciplines et de compétences.

Je suis ici en tant que médecin de famille. Je ne prétends pas témoigner en tant qu'expert du droit environnemental ou du commerce international; d'où la somme considérable de recherches que nous avons faites—moi-même surtout et certains de mes collègues—pour présenter notre mémoire. Nous avons embrassé une très large gamme de disciplines, provenant du Canada, d'autres pays, d'organisations internationales, de l'OMC, de l'OCDE, pour en arriver aux conclusions que nous avons tirées et aux propositions que nous vous présentons. Nous demandons au comité de recommander que l'adoption de l'ALEA et l'expansion de l'OMC soient mises en suspens pour que le développement durable puisse se faire comme il faut, comme l'a évoqué M. Lloyd Axworthy, car le document que nous avons envoyé montre de façon concluante que l'OMC et l'ALEA ne tiennent pas compte des questions environnementales. Le développement durable n'est aucunement pris en considération par les responsables de l'OMC et de l'ALEA. Même les documents de fond mis à la disposition des gens sur les sites Web du ministère ne font aucune mention du développement durable.

Le développement durable brille par son absence dans toutes ces propositions nouvelles. Nous avons régressé depuis l'adoption de l'ALENA, pour ce qui est de l'intégration du développement durable dans ces accords. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Le mémoire que je vous ai donné renferme des précisions sur les approches nouvelles essentielles et, encore une fois, cela ne vient ni de moi ni de mon groupe. Ces approches nouvelles proviennent d'experts en économie, en environnement, en santé et en développement durable, de partout dans le monde.

Parmi les ententes internationales dont j'ai fait une copie, il y a par exemple la déclaration sur la santé de l'environnement et le développement durable de l'Organisation des États américains, qui pourrait servir de fondement à notre programme de santé ici, et il y a aussi ce qui nous semble être des documents de l'OCDE qui sont vraiment excellents.

Je l'ai déjà dit, mais je dois le souligner à nouveau: le développement durable n'est aucunement mentionné dans l'une quelconque de ces propositions. Nous poursuivons avec le vieux programme du cycle d'Uruguay, dont la démarche descendante n'autorise pas le développement durable. Le texte de l'un quelconque des accords adoptés ainsi depuis l'ALENA ne prévoit pas de développement durable. Les comités de règlement des différends dont nous entendons parler, qui sont si vigoureusement et si uniformément anti-environnement, n'autorisent pas le développement durable. La santé et l'environnement—et cela a été confirmé par la copie obtenue des discours de Sergio Marchi à la Chambre—sont tenus à l'écart des règles sur le libre-échange. Le développement durable n'y est pas autorisé.

Cela demeure une position ferme à l'OMC. Au colloque de haut niveau tenu le mois dernier sur le commerce et l'environnement, encore une fois, le développement durable et l'environnement ont été tenus à l'écart. Le développement durable ne peut se faire comme cela. Ce n'est pas la bonne façon de faire les choses pour l'avenir—défi que M. Lloyd Axworthy a présenté il y a deux ans ici à Vancouver—, c'est simplement la mauvaise façon de procéder.

• 1120

Je pourrais classer en quatre catégories les raisons qui nous poussent à demander au comité de mettre en suspens les propositions en question.

La première concerne la question de l'ouverture et de la transparence. Nous n'avons toujours pas droit à cela. De fait, il y a une étrange confusion qui s'installe dans la démarche à laquelle nous prenons part ici aujourd'hui. Selon le site Web des Affaires étrangères que j'ai consulté il y a quelques semaines, le ministère, ici au Canada, dirige les travaux du comité de l'ALEA et, de fait, c'est lui qui a persuadé le comité d'intégrer cet apport de la société civile. Mais nous constatons que l'apport de la société civile est associé à un délai. Le délai est le 31 mars. Nous sommes donc ici en train de discuter et d'avoir un débat, et on nous a donné comme délai le 31 mars. À moins que ce délai ne soit donc changé, ce que nous faisons n'a pas beaucoup de sens. Cela n'autorise certainement pas beaucoup d'ouverture ni de transparence.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Quel site Web, quel site Web sur ces audiences? Parlez-vous du secrétariat de l'ALEA à Miami?

Dr Peter Carter: Le site Web des affaires commerciales du gouvernement, qui dit ce qui suit:

    Il reste à relever un défi important à relever: un processus collectif de consultation avec la société civile dans les Amériques, en l'absence d'un consensus sur la méthode à employer ou sur l'ampleur de telles consultations. Le Comité des représentants gouvernementaux sur la participation de la société civile est une initiative canadienne, et un haut fonctionnaire canadien joue le rôle de président suppléant du Comité. À la suite de la réunion du Comité en octobre 1998, une invitation ouverte a été transmise à la société civile, à laquelle il est demandé de présenter d'ici le 31 mars 1999 des mémoires.

C'est là toute l'information dont je dispose, et je l'ai appris il y a seulement deux semaines. Mais cela paraît pour le moins étrange.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous allons vérifier cela. Veuillez continuer.

Dr Peter Carter: Je ne voulais pas m'attarder là-dessus.

En deuxième lieu, encore une fois, celui qui consulte le site Web du ministère du Commerce se demandera pourquoi ces gens font tant de pressions pour promouvoir les accords de libre-échange. Les échanges avec l'Amérique du Sud n'ont jamais été aussi nombreux. Les tarifs tombent. Cela se fait déjà en l'absence de ces fortes pressions pour l'adoption d'ententes de déréglementation, qui, comme nous l'avons vu, sont si dangereuses pour l'environnement et pour la santé.

Le troisième argument, vous l'avez déjà entendu: nous avons déjà connu le cas—cela vaut certes pour l'OMC, mais aussi pour l'ALENA—d'ententes de libre-échange fondées sur la déréglementation qui viennent miner les règlements sur l'environnement et la santé. La crainte, devenue un phénomène qui se répète, qui devient réalité, d'en arriver au plus bas dénominateur commun... et cela n'est bon ni pour l'économie ni pour l'environnement, je m'empresse de l'ajouter.

Voici le quatrième argument: nous estimons qu'il y a une incompatibilité entre les modalités et règles de l'OMC et les accords de libre-échange dont il est question, d'une part, et les conventions internationales pour la santé et le développement durable dont le Canada est déjà signataire, d'autre part. Je porterais à votre attention quatre des conventions que nous considérons comme très importantes. Je dirais d'abord qu'il existe 900 ententes sur l'environnement de par le monde, selon le PNUE, et l'une des tâches qu'il nous paraît falloir accomplir pour rattraper le terrain perdu, ce serait, bien sûr, de consolider ces ententes.

Il y a la charte panaméricaine sur la santé et l'environnement dans le contexte du développement durable, dont j'ai déjà fait mention, et qui remonte à 1994. Cela se trouve à l'onglet 9 de mon document.

Il y a Agenda 2000 et la déclaration du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à propos d'Agenda 2000, où le ministère confirme ses responsabilités quant à l'intégration du développement durable dans l'ensemble de ses politiques commerciales.

• 1125

En troisième lieu, il y a la déclaration de la conférence hémisphérique de Santa Crux de la Sierra sur le développement durable, tenue en 1996, document bien complet et étoffé sur le développement durable qui traite des ententes sur le commerce international, auquel le Canada est partie.

Le quatrième document, et c'est celui sur lequel j'attirerais particulièrement l'attention du comité, est le rapport du groupe consultatif de haut niveau sur l'environnement du secrétaire général de l'OCDE, produit en novembre 1997, dont le Canada est signataire selon la confirmation que nous a fournie le secrétaire général par correspondance. Et cela lie le gouvernement.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Docteur Carter, puis-je vous demander de conclure votre exposé?

Dr Peter Carter: D'accord.

En bref, nous recommandons d'abord que tous les accords multinationaux et commerciaux soient fondés sur le développement durable. Or, nous sommes très loin du compte. Il y a tout un chemin à faire. Nos propositions concernent toutes des moyens qui, pris dans d'autres accords, permettraient à cette vision de se concrétiser. Si, par exemple, on voulait appliquer les très intelligentes recommandations de l'OCDE, cela serait, selon nous, un projet éminemment faisable. Nous savons comment procéder, mais nous passons à côté.

Autrement dit, le ministère a dit qu'il allait transférer l'AMI à l'OMC et à l'ALEA. Il devrait en être de même des recommandations de l'OCDE.

Selon la dernière recommandation, la démarche et les modalités associés à l'ALENA et à l'ALEA devraient être modifiées de manière à respecter la déclaration de Santa Crux de la Sierra sur le développement durable.

Mesdames, messieurs, membres du comité, le travail a été fait. Ce travail a été accompli sur des milliers d'heures durant la majeure partie de la décennie. Le moment est venu d'agir et de choisir la bonne voie.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, docteur Carter.

Le dernier témoin que nous accueillons est Mme Annelise Sorg, directrice générale de la Société canadienne pour la protection de l'environnement marin.

Madame Sorg, je vous cède la parole.

Mme Annelise Sorg (directrice générale, Société canadienne pour la protection de l'environnement marin): Madame la présidente, mesdames, messieurs, membres du comité permanents, au nom de la Société canadienne pour la protection de l'environnement marin, je vous remercie de l'occasion qui est offerte au public de faire valoir son point de vue sur le Canada et sur l'Organisation mondiale du commerce.

Je tiens pour acquis que vous avez tous reçu le mémoire que nous vous avons transmis le 16 avril, où nous présentons en version sommaire les renseignements de base dont il faut disposer sur les politiques canadiennes touchant la chasse à la baleine et au phoque. Nous avons également fait parvenir une liste de nos recommandations.

Nous nous soucions de l'éventualité que les pressions tant internes qu'externes forceront le gouvernement canadien à prendre part aux efforts organisés pour faire lever l'interdiction mondiale sur le commerce de la viande de baleine au moyen d'un transfert du dossier de la Commission baleinière internationale, ou CBI, à l'OMC.

Des organisations favorables à la chasse à la baleine, par exemple la North Atlantic Marine Mammal Commission, ou NAMMCO, et le World Council of Whalers de la Colombie-Britannique, et des pays comme la Norvège et le Japon critiquent vertement l'interdiction imposée sur le commerce de la viande de baleine.

À l'ordre du jour des prochaines réunions de la CBI, qui auront lieu en mai à Grenade, le point 10.1.2, intitulé «infractions», se lit comme suit:

    La Norvège a formulé les observations suivantes concernant ce point à l'ordre du jour: comme elle a pu en faire état à maintes reprises, la Norvège est d'avis que les questions liées au commerce de la baleine et des produits de la baleine n'entrent pas dans le mandat de la CBI. Selon nous, les tribunes internationales appropriées dans le contexte sont la CITES et l'OMC.

Toutefois, la plupart des pays membres de la CBI continuent de s'opposer à toute forme de commerce international des produits provenant de cétacés, et, par ailleurs, ils s'inquiètent gravement de l'éventualité que les humains consomment de la viande de baleine contaminée.

À la dernière réunion de la CBI, la «résolution concernant la préoccupation de la CBI quant aux effets sur la santé humaine de la consommation de cétacés», c'est-à-dire le document 50/39 de la CBI, a été adoptée par consensus. On peut y lire:

    ÉTANT DONNÉ la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine [...] à l'article V,2d), de l'annexe, selon lequel la Commission «doit prendre en considération les intérêts des consommateurs de produits de la baleine»;

    COMPTE TENU des connaissances scientifiques selon lesquelles certaines communautés de l'Arctique sont actuellement aux prises avec la menace que représente la consommation de certains produits de cétacés contenant des contaminants organiques et des métaux lourds;

    LA COMMISSION CONVIENT DONC D'INVITER les gouvernements membres et non-membres qui sont directement touchés

      à présenter, dans la mesure du possible, des renseignements fiables à la CBI concernant les effets possibles sur la santé humaine de la consommation des produits de cétacés;

D'autres organisations internationales se soucient tout autant de la détérioration de la santé des humains et des mammifères marins. La sixième réunion de la Commission mixte Canada-Groenland sur la conservation et la gestion du narval et du beluga, tenue dans les Territoires du Nord-Ouest du 28 novembre au 1er décembre 1997, concluait au point 13.1, sous la rubrique «Beluga», qu'«il faut effectuer des analyses des contaminants sur des échantillons qui ont déjà été prélevés».

• 1130

Il reste encore beaucoup de recherche à faire à ce sujet, mais les connaissances scientifiques accumulées à ce jour visent maintenant à démontrer que les concentrations élevées de mercure, de sélénium, de BPC et d'autres produits chimiques toxiques repérés dans l'organisme des mammifères marins tués en vue de la consommation humaine nuisent à la santé humaine. Contrairement à ce que prétend le premier ministre du Nunavut, la viande de phoque n'est pas bonne pour la santé. Après avoir annoncé que le Nunavut entend ranimer la chasse commerciale au phoque marbré pour servir le marché asiatique, le premier ministre s'est plaint de la position américaine sur l'importation des produits du phoque et a laissé entendre que le gouvernement canadien devrait persuader les États-Unis de diluer la loi sur la protection des mammifères marins, peut-être même au moyen d'une contestation de la loi ayant pour motif la transgression des accords de libre-échange.

Plutôt que de promouvoir le libre commerce de la viande de phoque et de baleine, le gouvernement canadien devrait adopter des mesures sérieuses pour protéger la santé des Canadiens et d'autres personnes dont le régime comprend la consommation de mammifères marins où se trouvent de fortes concentrations de contaminants. Il devrait aussi sensibiliser le public aux effets néfastes que produit ce régime toxique chez les êtres humains. Le Canada devrait aussi se mettre à l'avant-plan des recherches scientifiques faites dans le domaine et participer activement à l'échange de renseignements à ce sujet en devant membre de la CBI.

Le Canada figurait parmi les membres fondateurs de la CBI en 1948, mais, en 1982, il s'est retiré de l'organisation lorsqu'un moratoire a été adopté pour interdire la chasse commerciale à la baleine en application de l'annexe de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine. Le moratoire est entré en vigueur en 1986 et reste en vigueur aujourd'hui. Tous les cétacés faisant l'objet du moratoire de la CBI figurent actuellement sur la liste qui se trouve à l'annexe 1 de la CITES, qui a pour effet de bannir effectivement le commerce international de la baleine.

En 1996 et en 1998, la CBI a adopté des résolutions pour inciter vivement le Canada à cesser de délivrer des permis de chasse à la baleine boréale, qui est menacée de disparition, et à se joindre à la CBI. Le MPO a choisi de ne pas tenir compte de ces deux résolutions, prétextant que la chasse ne pose aucune menace aux deux populations de baleines boréales, dont il n'existe que 150 spécimens dans la baie d'Hudson, et 350, dans le détroit de Davis. Ces populations figurent parmi les espèces menacées de disparition selon le CSEMDC et la CITES.

À la réunion de la CBI l'an dernier, la «résolution sur l'adhésion du Canada à la CBI», soit le document 50/37, a été adoptée. Ce document invite vivement le Canada à se joindre à la commission. Le représentant du MPO à la CBI, M. Howard Powles, a rejeté l'invitation en invoquant les arguments suivants:

    Le Canada a banni la chasse commerciale à la baleine en 1972 et s'est retiré de la CBI en 1982, en concluant qu'il n'y avait plus de raison de demeurer membre de cette organisation, car le mandat de la Commission consiste à faire en sorte que l'industrie commerciale de la chasse à la baleine se développe de manière ordonnée.

Rien ne pourrait être plus faux. Le mandat de la CBI consiste aussi à approuver les quotas de chasse à la baleine de subsistance pour les pays membres, et ses objectifs sont clairement énoncés dans le rapport produit l'an dernier par le sous-comité de la chasse de subsistance des Autochtones, au point 10.2, intitulé «Rapport du comité scientifique». Dans l'exposé du président du groupe de travail permanent, on a démontré que les travaux du comité scientifique sur les méthodes de gestion de la chasse à la baleine chez les Autochtones étaient motivés d'abord et avant tout par les objectifs que résume la commission:

    1) veiller à ce que la chasse à la baleine de subsistance ne vienne pas accroître les risques de disparition des stocks individuels;

    2) permettre aux Autochtones de chasser la baleine à perpétuité à des niveaux qui conviennent à leurs exigences culturelles et alimentaires, sous réserve de l'autre objectif, et

    3) maintenir les stocks tout au moins au niveau qui produit le taux de recrutement net le plus élevé et veiller à ce que les stocks qui ne correspondent pas à ce niveau soient élevés, dans la mesure où l'environnement le permet.

    Et, en particulier, il faut chercher d'abord et avant tout à veiller à ce que la chasse à la baleine de subsistance ne vienne pas accroître sérieusement le risque de disparition des stocks individuels.

La position du Canada correspond à un mépris flagrant de l'objectif du comité scientifique de la CBI concernant la chasse à la baleine de subsistance, c'est-à-dire qu'elle permet la chasse à une espèce de baleine menacée de disparition et qu'elle transgresse la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine au sens où elle autorise la délivrance de permis de chasse sans demander d'abord qu'un quota soit établi, comme l'exigent les modalités établies. Aux yeux de la communauté internationale, le Canada figure parmi les pays «pirates» qui s'adonnent à la chasse à la baleine, ce qui nous met dans la même catégorie que les Philippines et l'Indonésie, pays qui continuent de chasser la baleine sans appartenir à la CBI.

• 1135

Les responsables du MPO ont représenté le gouvernement canadien et représenté sous de faux prétextes les habitants du Canada aux réunions passées de la CBI. Nous applaudissons à la décision qu'a prise le ministre des Affaires étrangères de déléguer aux réunions de la CBI prévues pour le mois prochain à Grenade Mme Renée Sauvé, de la division de l'environnement, en tant qu'observatrice pour le Canada. Nous espérons que la présence de Mme Sauvé aux réunions à venir aidera à changer les politiques honteuses du Canada concernant la chasse à la baleine, qui minent le droit international. Nous aimerions voir que les politiques du gouvernement canadien concernant les mammifères marins concordent avec les opinions et les préoccupations de la majorité des Canadiens, qui s'opposent à la destruction de l'environnement naturel et à la destruction de la santé des Canadiens au nom des accords de libre-échange.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, madame Sorg.

Y a-t-il des questions?

M. Werner Schmidt: Merci beaucoup de nous avoir présenté cet exposé. Tous les exposés ont été très intéressants. J'essaie de saisir le message commun qui nous est donné ici. Je crois que chacun d'entre vous a fait part de son souci et de sa préoccupation, qui comporte de nombreuses facettes, pour l'environnement et le développement durable.

J'ai entendu de si nombreuses façons de décrire le développement durable, même si je m'en tiens aux trois exposés que nous avons entendus ce matin. Mais qu'est-ce que le développement durable au juste? Pouvez-vous en arriver à une définition commune qui vous ferait converger les trois, pour que nous puissions dire: «Oui, c'est de cela que nous parlons lorsque nous parlons de développement durable?» Comment cela s'applique-t-il à la situation concernant la chasse à la baleine, par exemple, la situation dont vous avez fait mention concernant la santé de l'humanité et, à des égards encore plus généraux, ce que vous nous avez proposé, je crois, docteur? Pourriez-vous trouver au moins certains éléments qui seraient communs?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Docteur Carter, voulez-vous commencer?

Dr Peter Carter: Certainement. Une des façons les plus intelligentes et les plus récentes de définir cela est due à une organisation qui n'est pas du tout l'ami de l'environnement. Shell International a publié des lignes directrices de 42 pages sur sa conversion au développement durable en prévoyant pour cela une campagne médiatique de 25 millions de dollars. Les gens de Shell International ont très bien exprimé cela. Le développement durable concerne l'équilibre et l'intégration—c'est l'intégration qui est le mot clé du point de vue de la formulation des politiques officielles—l'intégration des facettes économiques, sociales et environnementales de tout ce que nous faisons et la conciliation des besoins à court et à long termes. C'est une façon très concise et très claire de dire les choses. La commission Brundtland, bien sûr, a fait des pirouettes et expliqué assez longuement que le développement durable répond aux besoins de la présente génération tout en se souciant des besoins des futures générations. Il s'agit donc de penser à nos enfants et de songer aux futures générations.

De fait, le mieux que j'ai vu, une définition assez concise, se trouve dans la recommandation de haut niveau de l'OCDE datée de novembre 1997. Cela fait environ dix pages. C'est précisé dans le contexte de la mondialisation, de l'AMI que l'on cherchait à adopter à l'époque et des accords de libre-échange, et c'est très bien expliqué.

Il y a des principes associés au développement durable, et ces principes se trouvent dans Agenda 2000 et dans le Guide de l'écogouvernement du gouvernement fédéral. On peut dire cela simplement, mais il y a des principes très bien arrêtés, et si vous ne respectez pas ces principes, tout le monde s'entendra pour dire que vous ne faites pas du développement durable.

M. Werner Schmidt: Je comprends cela.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Shrybmen, voulez-vous réagir?

M. Steven Shrybmen: Je crois que je n'ai pas utilisé l'expression correctement. Les définitions données me conviennent bien. Je les appuierais.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Madame Sorg, avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

Mme Annelise Sorg: Oui, cela me convenait bien aussi. Je citerais simplement le Dr Carter encore une fois. Il a dit que la santé et l'environnement sont tenus à l'écart de ces accords de libre-échange. Je crois que c'est vraiment là notre position commune. Il s'agit non pas seulement de la santé des citoyens canadiens, mais de la santé des gens du monde entier, dans un monde où il y a les êtres humains et l'environnement.

M. Werner Schmidt: Cela me semble très utile. Nous avons parmi nous, ce matin, des gens très compétents, très instruits. Vous savez tous—vous le savez trop bien—en quoi il importe d'établir une définition rigoureuse et concise des termes très techniques, ce dont il est question ici. Il s'agit de bien plus d'un concept ici, ou s'il ne s'agit que d'un concept, eh bien, d'accord, faisons-en un concept, mais ce n'est pas ce que vous avez présenté. Vous avez présenté quelque chose qui est censé comporter une définition très claire, que quiconque dans le monde peut identifier et comprendre et appliquer de la même façon. Si cela s'avère—et je crois que vous êtes tous d'accord pour dire qu'il faut que cela se fasse—, alors il vaut mieux ne pas essayer de tout inclure, sans discernement, dans la notion de développement durable. Il me semble qu'il nous faut cerner très soigneusement ce dont nous parlons. Si l'élément clé est l'équilibre—et je crois que c'est le terme qui est ressorti de cette définition; c'est le premier mot qui s'y trouve, l'équilibre entre ces questions—, alors pourquoi faire ressortir des questions particulières comme si elles avaient, d'une façon ou d'une autre, préséance sur les autres questions? Il me semble que c'est quelque chose qu'il nous faut vraiment surveiller.

• 1140

Vous avez insisté sur une ou deux questions. Vous n'avez pas créé ici, ce matin, à moins que je n'aie raté cela, la nécessité d'un équilibre entre ces choses. De fait, j'aimerais revenir au document que Steven Shrybmen a présenté, je crois, celui où il y a une distinction claire, à la dernière page de votre document. Cela se lit comme suit:

    Si confus que puisse paraître le raisonnement, un examen des décisions de l'OMC concernant les mesures environnementales ou de conservation révèle deux thèmes communs qui reviennent. Le premier concerne l'interprétation large faite des règles qui limitent les options des gouvernements qui pourraient, même indirectement, faire obstacle au commerce. Le deuxième concerne une interprétation excessivement étroite, étant donné les dispositions qui pourraient servir à créer un espace pour les exceptions environnementales ou de conservation dans l'orthodoxie du libre-échange.

Voilà une distinction très nette que vous avez faite dans votre examen des diverses décisions qui ont été rendues. Vous souciez-vous donc ici de ce que les deux distinctions que vous avez faites disparaissent pour qu'il y ait cet équilibre? Est-ce cela que vous laissez entendre? Est-ce autre chose?

M. Steven Shrybmen: Ce que j'essayais de décrire, apparemment en vain, c'est l'absence d'équilibre que l'on peut observer si on étudie les décisions rendues par les comités du commerce. Ils n'ont pas, à nos yeux, bien soupesé les politiques environnementales, de conservation et économiques. Ils ont accordé beaucoup de poids aux objectifs économiques de la libéralisation du commerce et très peu d'importance à tous les objectifs écologiques que suppose la protection des mammifères marins ou la sécurité alimentaire ou les règles sur la qualité de l'air dont ils se font les juges. Voilà la plainte formulée: c'est qu'il n'y a pas équilibre.

M. Werner Schmidt: D'accord. Si c'est le cas, quelle forme devrait prendre, selon vous, le paragraphe qui sert de conclusion à votre mémoire—ce n'est pas la conclusion; c'est le début du mémoire. Ce que nous avons ici, ce matin, ça se trouve à la page 13. Comment pourrait-on reformuler ce paragraphe si l'OMC réussit à créer l'équilibre que vous souhaitez? Quelle serait alors votre conclusion si l'OMC devait bien trouver un juste équilibre entre ces deux choses, que vous avez décrites comme étroite dans un cas et large dans l'autre? Quelle serait votre formulation?

M. Steven Shrybmen: Deux choses doivent se produire. Premièrement, nous devons étudier les règles qui sont appliquées, et, en ce moment, les règles en question ne sont pas équilibrées. Nous devons les examiner en vue d'en arriver à une meilleure intégration des autres objectifs, et non seulement les objectifs de la politique environnementale, dans le régime.

Puis, il y a l'autre question, qui a trait au caractère du règlement des différends, car, en ce moment, la démarche pour le règlement des différends dans le cadre de l'ALENA et de l'OMC paraît bien étrange lorsqu'elle est comparée aux méthodes classiques que connaissent la plupart des Canadiens et qui relève des institutions judiciaires canadiennes. Suivant les normes canadiennes, ce sont là des procédés à caractère public. Nous pouvons participer—nous le faisons souvent en tant que groupe de défense oeuvrant dans le domaine du droit de l'environnement—, comparaître devant un juge et dire que nous aimerions intervenir; nous avons quelque chose à ajouter à votre étude du dossier. Aucune de ces possibilités n'existe.

Les règles posent donc des difficultés, et la démarche pour le règlement des différends laisse beaucoup à désirer.

M. Werner Schmidt: Je comprends cela. Je poserai ma dernière question, madame la présidente.

Voici où je veux en venir: quel objectif ce groupe devrait-il atteindre, selon vous, pour que vous ne tiriez pas cette conclusion? C'est vraiment cela que je veux savoir. Je connais les difficultés dont il est question, tout comme vous, et vous les avez bien exprimées. Ce n'est pas de cela dont il est question ici. La question, c'est de savoir à quoi ressemblera le monde si l'équilibre dont vous parlez était vraiment le cas? Cette chose, quelle qu'elle soit, se retrouverait dans le paragraphe que vous iriez mettre à la place du paragraphe à la page 13.

• 1145

M. Steven Shrybmen: Je ne pourrais honnêtement réduire ce que nous pensons de la réforme de ces institutions à un seul paragraphe, et je vais vous fournir un exemplaire complet du mémoire.

M. Werner Schmidt: Mais ce n'est pas de cela que nous parlons ici. Nous parlons d'une conclusion. Nous parlons de la conclusion des décisions. Vous les avez divisées en deux sortes de choses. Quelle serait la conclusion? C'est là que nous voulons en venir, et je crois que vous...

M. Steven Shrybmen: Je dis que les comités ne font pas entrer dans la balance les objectifs associés à une bonne politique environnementale, que les règles n'y accordent pas suffisamment de poids. Le résultat serait un régime commercial qui intègre la série complète des objectifs des politiques publiques que les gouvernements démocratiques considèrent comme importants au regard de nos relations commerciales internationales, et non seulement l'objectif qui consiste à accroître le volume des échanges commerciaux internationaux, mais aussi les objectifs que représentent la protection de l'environnement, la conservation des ressources, la diversité biologique, les mesures relatives au changement climatique, le maintien des institutions culturelles au Canada, la préservation des réseaux publics de la santé. Tous ces objectifs contradictoires doivent être intégrés en un régime commercial de telle façon qu'ils reflètent adéquatement et équitablement les priorités et les valeurs de la société canadienne.

Je suis désolé, mais je ne peux faire mieux que cela. Je m'excuse de vous avoir déçu.

M. Werner Schmidt: Non, non. Vous ne m'avez pas déçu. Cela a simplement servi à soulever une autre question. Cette question est la suivante: pourquoi les objectifs concernant la santé entrent-ils en contradiction avec les autres? Si vous intégrez cela, pourquoi y aurait-il contradiction?

M. Steven Shrybmen: En ce moment, il y a contradiction parce que...

M. Werner Schmidt: Non, non. Dans la situation idéale, pourquoi y aurait-il contradiction?

M. Steven Shrybmen: Je crois que si nous cessons de parler de «contradiction» et prenons un autre terme...

M. Werner Schmidt: D'accord. C'est bon. Arrêtons-nous là. C'est bon.

M. Steven Shrybmen: D'accord. C'est bien.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Comme le Canada est un pays officiellement bilingue, je vais m'exprimer dans l'autre langue.

Ma première question ira un peu dans le sens des commentaires de mon ami et collègue Schmidt sur les conclusions ou les objectifs.

Mon premier commentaire s'adresse à M. Steven. Si on ne fait pas partie de la solution, c'est qu'on fait partie du problème. Dans votre commentaire, j'ai tenté de trouver une piste de solution et je n'en ai trouvé aucune; on doit donc faire partie du problème.

Vous dites que l'OMC est un organisme qui manque de crédibilité et de démocratie parce que les personnes n'y sont pas élues. Ma question est peut-être bébête. Proposez-vous le retrait du Canada de l'OMC, de l'ALENA et des autres organismes internationaux? Proposez-vous un gouvernement mondial?

Si notre ambassadeur à l'OMC était élu par la population canadienne, seriez-vous d'accord sur les règles et les principes de l'OMC?

[Traduction]

M. Steven Shrybmen: La réponse succincte est «non». Je ne crois pas que nous puissions nous retirer des institutions multilatérales dans le domaine du commerce. Je crois qu'il nous faut plutôt les réformer. Je crois que nous en avons besoin.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: On a donc besoin des institutions internationales.

[Traduction]

M. Steven Shrybmen: Oui, nous avons très certainement besoin des institutions internationales.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Alors, comment doivent-elles fonctionner?

[Traduction]

M. Steven Shrybmen: Elles pourraient fonctionner d'une façon beaucoup plus transparente, responsable, démocratique qu'en ce moment. Par exemple, les négociations commerciales devraient... en premier lieu, la formulation de la politique commerciale de la part des pouvoirs publics devrait inclure tous les membres du cabinet, certes, et non pas constituer une sorte d'exercice ésotérique dont se chargent les bureaucrates, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et le ministre en question.

• 1150

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Puis-je vous interrompre?

Le monsieur d'Industrie Canada est présent avec nous; c'est un bureaucrate—ce mot n'est pas très beau—ou plutôt un fonctionnaire.

Le problème se situe entre la perception et la réalité. Vous me dites que l'OMC est un organisme qui ne fonctionne pas; vous me mettez devant des faits accomplis. Je veux bien être d'accord avec vous et transposer votre message dans notre rapport, mais pour régler le problème d'un organisme qui n'est pas fonctionnel et est antidémocratique, on doit le modifier. Êtes-vous en faveur d'un gouvernement mondial, par exemple?

[Traduction]

M. Steven Shrybmen: Je crois que l'Organisation mondiale du commerce représente, d'un certain point de vue, la bonne institution. C'est simplement qu'elle paraît avoir le mauvais programme.

M. Benoît Sauvageau: Et quel serait le bon programme?

M. Steven Shrybmen: Cela dépend de la question particulière dont il s'agit. Par exemple, si la question consiste à savoir ce que devraient être les objectifs des règles qui gouvernent le commerce international des denrées agricoles, je ferais valoir que les objectifs les plus importants devraient consister, d'abord, à garantir la sécurité alimentaire de tous les habitants de la planète et, ensuite, de préserver la diversité biologique des systèmes de production agricole dans le monde.

Je crois pouvoir démontrer que non seulement les règles en place ne tiennent pas compte des objectifs de ces deux politiques, mais encore qu'elles fonctionnent à leur encontre, au profit d'un objectif qu'engendre le régime de l'OMC, qui consiste à mondialiser la production agricole et les systèmes de distribution. C'est très explicite. Ce n'est pas là ma façon de décrire les objectifs. Ce sont les descriptions offertes par les auteurs de l'accord sur l'agriculture.

Nous avons bien besoin de règles internationales pour régir le commerce. Nous en avons vraiment besoin. Mais les objectifs ne sont pas les bons. Voilà le problème. Je crois que ce ne sont pas les bons, car personne n'a vraiment songé aux objectifs de la politique commerciale d'un point de vue autre que ceux que proposent Industrie Canada et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Je pense que les gens pensent sincèrement que ce projet permettra d'en arriver à un monde meilleur. L'entreprise ne me paraît aucunement malicieuse ni diabolique. Je crois simplement qu'il y a un déséquilibre.

J'ai déjà travaillé pour les pouvoirs publics. J'ai travaillé au bureau du conseil des ministres en Ontario. Je sais comment se prennent les décisions au gouvernement. Je n'ai pas travaillé au ministère de l'Environnement, mais si je l'avais fait, j'aurais envisagé le monde d'un point de vue environnemental. Si j'avais travaillé à Industrie Canada, ce serait du point de vue des objectifs d'une politique commerciale économique que j'aurais envisagé le monde.

Il y a des gens autour de la table qui disent que si vous envisagez l'agriculture du point de vue de la sécurité alimentaire ou du changement climatique, car c'est une activité qui exige beaucoup d'énergie, vous n'arriverez peut-être pas au même résultat pour ce qui est de savoir à quoi le monde devrait ressembler.

Ce n'est là qu'un exemple. Mais nous pouvons étudier l'accord point par point et, à chaque endroit, nous adonner au même exercice, qu'il s'agisse de la propriété intellectuelle, des règles régissant l'étiquetage des produits et les résidus de substances anti-parasitaires dans les aliments, ou encore pour savoir si les aliments devraient être modifiés génétiquement ou non. Sous chacune de ces facettes, nous avons la plainte selon laquelle les règles ont été formulées de manière à évacuer des problèmes très pressants concernant la santé publique et l'environnement. De fait, cela mine la capacité que vous avez, en tant que député, de traiter de ces questions en notre nom.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Vous parlez beaucoup des responsabilités du gouvernement fédéral dans la gestion des mammifères marins, des baleines, etc. Dans un comité antérieur, on nous avait démontré de façon assez ironique la problématique des relations fédérales-provinciales concernant la protection de la baleine. Je ne sais pas si vous avez le même problème ici. Il semble que lorsqu'une baleine meurt au milieu du fleuve Saint-Laurent, c'est de juridiction fédérale alors que lorsqu'elle échoue vivante sur les berges, c'est de juridiction provinciale. Par contre, lorsqu'elle échoue sur les berges et qu'elle est morte, c'est de juridiction fédérale alors que lorsqu'elle est malade dans le milieu du fleuve, c'est une autre juridiction. Pouvez-vous me dire si on a effectivement ce type de problèmes ou si cette histoire est fausse?

• 1155

[Traduction]

Mme Annelise Sorg: Oui, c'est le cas, au sens de la captivité, en fait. Vous avez raison. Les baleines dans l'océan relèvent du ministère des Pêches et Océans. Une fois qu'elles arrivent sur les terres provinciales, si elles sont encore en vie, elles passent entre les mailles du filet législatif, car le gouvernement provincial ne les inclut pas dans sa loi sur la faune et que les administrations municipales n'ont pas compétence à cet égard. Si la baleine est morte, la simple élimination de la carcasse devient une coentreprise.

Je crois que c'est là la plus grande difficulté concernant la Loi sur les pêches, dans ce cas, c'est-à-dire que les mammifères marins ne sont pas protégés. Le seul article réglementaire qui se rapporte à eux concerne la chasse. Pour prendre l'exemple des États-Unis, disons que ce pays a une loi sur la protection des mammifères marins depuis 1972. Nous n'avons pas même pas commencé à travailler là-dessus.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Speller.

M. Bob Speller: Merci beaucoup, madame la présidente.

J'aimerais remercier les personnes qui ont présenté un exposé ce matin. Je suis sûr que bien des politiciens aimeraient être des environnementalistes. Peut-être que ça ne paraît pas parfois à l'autre bout, mais je sais que chacun de nous est impressionné par le travail que vous faites.

Je n'ai qu'une seule question. Je pense que chacun d'entre vous a parlé de l'importance du développement durable. Cependant, lorsque vous êtes à Genève, vous faites face à quelque 140 pays, certains du Nord et certains du Sud. Leur perception de ce que nous considérons comme du développement durable dans les pratiques environnementales, que nous pensions être partagée par le monde entier, peut-être différente. Ils pourraient penser que nous faisons tout pour mettre des restrictions afin de les empêcher de faire entrer leurs produits au Canada. Je me demande comment vous pensez que nous pourrions remédier à cette lacune et établir un genre d'entente qui pourrait être adoptée par 143 pays.

Dr Peter Carter: Depuis six ou sept ans, les instances internes de l'Organisation mondiale du commerce propose des accords environnementaux multilatéraux auxquels elle a su résister. Une des bonnes choses qui sont ressorties du symposium de haut niveau sur le commerce et l'environnement qui a eu lieu le mois dernier était le rapport du directeur général. Il a déclaré que l'entente est généralisée et il est d'accord pour conclure des accords environnementaux multilatéraux. Cela aurai dû commencer il y a des années. C'est là qu'est le déséquilibre. Nous n'avons pas d'accords environnementaux multilatéraux. Selon moi, c'est par là qu'on devrait commencer si l'on voulait que les règles soient les mêmes pour tous.

La mondialisation économique fondée sur le développement durable est fort prometteuse. Elle sauvera la planète. Elle donnera à nos enfants et petits-enfants des perspectives d'avenir aussi reluisantes que celles que nous avons eues lorsque nous étions jeunes. Alors commençons par conclure des accords environnementaux multilatéraux et rétablir des normes environnementales et sanitaires qui seront les mêmes pour tous. Bien sûr, certains des pays les moins riches auront besoin d'aide de la part des plus riches, mais sur le plan économique le monde a déjà accepté que cela se passe ainsi. C'est donc une occasion en or.

M. Steven Shrybmen: Je pense que c'est une très bonne question. Il y a certaines questions qui divisent effectivement les environnementalistes du Nord et du Sud et qui concernent l'utilisation de ce qui est parfois décrit comme des sanctions commerciales unilatérales par les pays industrialisés, par exemple la loi sur la protection des mammifères marins aux États-Unis.

L'OMC s'est dotée d'un comité sur le commerce et l'environnement qui peut servir de tribune pour les délibérations sur ces questions. Je pense fondamentalement que la prérogative dont jouissent les gouvernements pour établir leurs propres politiques environnementales doit être préservée et qu'on en profite dans certains cas pour des motifs de protection du commerce. Je pense qu'en améliorant la transparence et la participation dans le cadre de la résolution des conflits commerciaux, on réduira ces risques, mais je ne saurais dire s'ils seront entièrement éliminés.

• 1200

Si vous examinez le régime du commerce international selon une perspective Nord-Sud, vous constatez qu'il perpétue le paradigme actuel du développement, qui a en réalité amené une répartition grotesque des richesses et du pouvoir sur notre planète, où les 20 p. 100 de la population mondiale qui vivent dans des pays industrialisés utilisent 80 p. 100 des ressources du globe.

En intégrant aux accords commerciaux des règles qui restreignent la capacité des gouvernements de contrôler les exportations de ressources non transformées, nous faisons en sorte que ces modèles de développement se perpétuent. Les accords commerciaux ont pour effet réel de miner la capacité des pays en développement d'ajouter de la valeur à leurs ressources avant de les exporter vers les pays industrialisés.

Si cela se produit, c'est parce que les interdictions d'exportation ou les mesures de contrôle sur la transformation du poisson, comme celles que possède le Canada, sont illégales en vertu de ces régimes. Cela se produit aussi en raison d'une politique d'escalade tarifaire qui pénalise les pays qui transforment les ressources. À mesure que vous transformez un billot en bois d'oeuvre et du bois d'oeuvre en meubles, il se produit une escalade tarifaire.

Ainsi donc, tout le régime existe pour empêcher, dans un certain sens, les gouvernements des pays du Sud de profiter de débouchés de développement économiques. Il les empêche également d'avoir la capacité d'établir des politiques agricoles qui leur permettraient d'être autonomes, parce que l'Organisation mondiale du commerce a négligé le dumping d'exportation.

Ce sont là les problèmes les plus fondamentaux, pour ce qui concerne la dynamique Nord-Sud. Je pense que c'est une erreur d'être entraîné malgré soi dans une discussion au sujet des rares cas où la réglementation environnementale du Nord peut être invoquée pour des motifs de protection commerciale plutôt que pour des motifs légitimes de conservation et de protection de l'environnement. Je ne pense pas que ce soit un problème grave. Il y en a un bien pire qui ne reçoit pas toute l'attention voulue.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Si vous me permettez de conclure, j'ai une question rapide pour M. Carter. Je sais que nous avons déjà dépassé le temps alloué.

Dans le résumé et les recommandations que vous avez soumis, vous mentionnez que les examens environnementaux devraient être effectués pour les accords multilatéraux et les accords d'investissement. Qui procéderait à ces examens?

Dr Peter Carter: C'est, encore une fois, l'une des meilleures choses qui aient découlé du rapport du directeur général de l'OMC du mois dernier, où il mentionnait que c'était une bonne idée. Je pense que c'était une recommandation du comité qui a été tirée ou inspirée de l'AMI. Je présume que les examens seraient effectués à une échelle nationale, du moins pour débuter. Nous aurions ainsi une idée de ce que seraient les ramifications environnementales et les avantages sur le plan du coût de chaque accord multilatéral sur le commerce.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Alors cela se déroulerait à une échelle nationale, puis à une échelle individuelle, après quoi cela serait porté à l'attention de l'OMC.

Dr Peter Carter: Exactement, et si nous pouvions mettre sur pied une organisation environnementale intégrée à l'OMC, ce serait quelque chose qui pourrait fonctionner.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): D'accord, je vous remercie.

M. Steven Shrybmen: Puis-je ajouter brièvement un commentaire?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Allez-y.

M. Steven Shrybmen: Si vous cherchez un texte officiel pour cette proposition, vous pourrez le trouver dans les engagements pris par le Canada en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique et de la Convention sur la biodiversité, qui obligent le gouvernement national à procéder à l'examen d'objectifs stratégiques importants afin de réaliser les buts de ces conventions.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci. Malheureusement, notre temps est épuisé.

Il y a une autre question que je voulais poser à M. Shrybmen, surtout maintenant qu'ont lieu les négociations relatives à l'ALE.

Si nous présumons que l'ALE n'est pas une extension de l'ALENA—personne ne dit cela, malgré le fait que cet énoncé ait été fait plutôt gratuitement ici—et que nous incluons réellement un accord, que faisons-nous avec les accords collatéraux sur l'environnement et la main-d'oeuvre? N'est-ce pas une possibilité affolante que, en quelque sorte, ces accords collatéraux soient inclus dans l'ALENA? Si un ALE précède un ALENA et qu'il n'y a pas d'accords collatéraux, que ferons-nous pour l'environnement? Ce n'est pas une question à laquelle je veux que vous répondiez tout de suite, mais peut-être pouvez-vous y penser, après quoi nous en parlerons.

Je tiens à remercier tout le monde d'être venu et de nous avoir présenté des exposés et des mémoires écrits. Comme je l'ai déjà dit, nous sommes au début d'une consultation permanente; ce n'est pas la fin de nos consultations. N'hésitez pas à communiquer avec les membres du comité ou à envoyer tout document additionnel au greffier. Pour que le dialogue soit maintenu, les deux parties doivent faire leur part. Merci beaucoup.

Nous reprenons nos travaux à 13 h exactement. La séance est levée.

• 1205




• 1304

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bon après-midi, mesdames et messieurs. Le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international vous souhaite la bienvenue. Notre comité et le Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements est chargé de l'examen des intérêts prioritaires du Canada, avant les négociations relatives à l'OMC et à la ZLEA.

• 1305

Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Nous avons une heure pour vous entendre. Alors, pour que nous puissions entendre tout le monde, je vous demanderai de limiter à dix minutes la durée de votre exposé. Je sais que la lecture de certains de vos mémoires pourrait prendre plus longtemps, mais vos mémoires tout entiers seront versés dans notre compte rendu.

Si vous pensez qu'il y a d'autres questions auxquelles vous n'avez pas eu le temps de vous attacher ou que vous souhaiteriez étudier davantage avec le comité, nous vous demanderons de faire parvenir tout document supplémentaire au greffier. N'oubliez pas que nous n'en sommes qu'au début de nos consultations. Nous espérons que le dialogue entre le comité et vous sera constant. Alors, au nom du comité, bienvenue.

Bienvenue, monsieur O'Connell. Je vais vous demander de lancer notre heure de discussion.

M. Sean O'Connell (témoignage à titre personnel): Je suis arrivé au Canada il y a six ans. Auparavant, j'ai beaucoup travaillé en Europe, où j'ai eu une carrière passablement remarquable. J'ai aussi travaillé en Asie. Je veux vous parler de ces deux expériences, parce qu'elles peuvent avoir quelque chose à voir avec ce dont nous parlons aujourd'hui.

J'ai fait un stage d'une vingtaine d'années dans l'industrie de l'informatique et des télécommunications. J'ai ensuite laissé de côté les aspects techniques de ma carrière pour devenir consultant, pénétrant dans cet univers radieux où l'argent coule à flots et où tout respire le prestige.

J'ai travaillé principalement pour la Commission européenne, mais aussi pour Shell, à La Haye. J'ai ensuite travaillé pour le ministère du Revenu thaïlandais, à tenter d'infliger une TPS aux pauvres commerçants thaïlandais. J'ai aussi travaillé en Inde et à Washington au nom de la Commission européenne, à tenter de vendre un projet auquel j'avais travaillé en Europe pour la Commission.

Lorsque je suis arrivé au Canada, cette expérience et cette expertise ne m'ont servi à rien. Alors maintenant, pour gagner ma vie, je crée des mots croisés. Je mène une vie honnête et je dors bien la nuit. Ce sont les seules vertus que j'ai.

Durant mes pérégrinations, j'ai rencontré à l'occasion certains des plus grands joueurs au jeu du commerce international. Mon commissaire à Bruxelles était le socialiste espagnol multimillionnaire Abel Matutes. Il était alors responsable de DG-XXIII, la direction chargée des petites et moyennes entreprises. Plus tard, il est passé à DG-I, qui s'occupe des affaires étrangères, où il était responsable des relations Nord-Sud. J'avais énormément de respect pour Abel Matutes.

J'ai aussi passé un peu de temps en merveilleuse compagnie, celle de Lord Arthur Cockfield. Il a été vice-président de la commission durant quatre ans, de 1985 à 1989. Il était alors responsable de la rédaction d'une loi unique. C'est celle-là qui a mené à la concrétisation du marché intérieur le 1er janvier 1993.

Je veux vous parler un peu d'Arthur Cockfield et aussi de la façon dont fonctionne la Commission européenne.

Mais auparavant, je voudrais dissiper quelques mythes au sujet de la Commission. Tous ceux qui n'en connaissent rien pensent que la Commission européenne est une énorme bureaucratie. Il y a certaines théories qui relèvent de la conspiration. Je pense qu'on vous en a énoncée au moins une hier. Je pense que le nom du témoin était Lyndon LaRouche. On fait croire qu'il y a un énorme super ordinateur européen caché quelque part derrière l'immeuble Berlaymont à Bruxelles. Tout ça fait partie de ce complot découlant du nouvel ordre mondial instauré par George Bush: des méga-entreprises internationales, des homosexuels, des Juifs, des crypto-communistes et d'autres bons à rien qui veulent renverser les gouvernements nationaux souverains et instituer un gouvernement mondial unique capitaliste exploité par des communistes. Au moment où je vous parle, en ce moment même, il y a des troupes des Nations Unies déguisées qui entreprennent des manoeuvres de formation dans les Prairies canadiennes, marchant près de la frontière américaine. Ils préparent des attaques surprises au sud de Washington DC pour préparer le règne de l'Antéchrist—et vous savez ce qui se passe ensuite.

• 1310

Je puis vous dire avec certitude que le super ordinateur européen n'existe pas. J'y suis allé, et il n'y est pas. Quant au reste de cette histoire, je ne sais pas. Je crois tout ce que les gens disent de mal à propos de Ralph Klein et de l'Alberta. Mais si je me fie à l'expérience que j'ai vécue dans la CE, vous ne pouvez pas vous fier à leurs experts en informatique pour installer correctement la nouvelle version de Windows, alors imaginez lorsqu'il s'agit de configurer un super ordinateur Cray. Et la commission ne peut même pas forcer les pêcheurs espagnols à cesser de piquer les turbots de Brian Tobin.

Lorsque j'étais à Bruxelles, environ 24 000 personnes au total—des professionnels, des techniciens, des employés de bureau et des gestionnaires—travaillaient pour la Commission. Cela semble beaucoup. C'est à peu près le même nombre de fonctionnaires que le gouvernement de Terre-Neuve a à son service. Avec l'élargissement de la communauté à 15 membres, je crois savoir que l'établissement s'est enrichi de quelques milliers d'employés supplémentaires.

Il est vrai que des gens comme moi—qu'on appelle des experts, par opposition aux employés, qu'on appelle des fonctionnaires—peuvent à tout moment rencontrer sans s'y attendre des milliers de personnes, mais ils—je devrais dire nous sommes tous partie à un contrat à terme pour faire un travail spécifique, après quoi nous nous en allons. J'avais deux contrats, l'un pour mettre sur pied le Business Cooperation Network, ou BC NET, et l'autre pour assurer la liaison avec les ministères des Douanes et Accise des États membres pour la collecte de statistiques sur le commerce lorsque les frontières sont tombées le 1er janvier 1993. Une fois ces travaux terminés, je vais terminer mon travail.

Personnellement, je suis très impressionné par cette façon d'attaquer la dotation, je pense que bien des gouvernements nationaux devraient s'en servir comme modèle. Mais je m'écarte de mon sujet.

Il est intéressant de savoir ce qui se passe lorsque vous arrivez pour la première fois à Bruxelles, à Strasbourg ou au Luxembourg à la solde de la Commission. Vous êtes renversé. Ce n'est pas comme si on nous faisait un lavage de cerveau. C'est plus comme si on nous ouvrait les yeux. Presque tout le monde, garçon ou fille, qui arrive apporte avec lui un certain bagage national, régional ou ethnique et pense qu'il pourrait défendre ses idées contre ces affreux Européens. Mais il ne leur faut pas longtemps pour apprendre qu'ils sont là pour servir les intérêts de tous les peuples de l'Europe, et non pas seulement ceux de leur petite bande de copains dans leur pays. Il y a environ 130 peuples distincts dans l'Euroland moderne. Ils vont des Basques, Catalans et Castillans en Espagne aux Cornouillais et à leurs semblables de l'autre côté de la Manche, en Bretagne. Vous avez les Friesians, Zealanders, Vlams—ou Flems—hollandais et leurs anciens ennemis en Belgique, en Wallonie. Vous avez les Normands, les Bourguignons et les Alsaciens français, les Saxons, Bayernische, Saaren allemands, et ainsi de suite. Vous pouvez penser que le Canada doit se débattre avec sa collection hétéroclite de quelques dizaines de groupes ethniques, qui roulent carrosse et qui beuglent des chansons au sujet de leur patrie imaginaire. En Euroland, c'est une chose réelle et concrète. Vraiment.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur O'Connell, je ne veux pas vous interrompre, mais selon mon horloge, il ne vous reste qu'une minute.

M. Sean O'Connell: Oh, zut.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vais vous donner quelques minutes de plus. Je voulais simplement vous le signaler.

• 1315

M. Sean O'Connell: J'aimerais dire deux choses. J'aimerais poursuivre au sujet de Lord Cockfield et des motifs qui l'animaient lorsqu'il a rédigé la loi unique. Il a produit 300 règlements en seulement trois mois, dont 250 ont été promulgués dans une loi nationale avant 1993. C'était une tâche herculéenne. Ces règlements étaient symétriques et justes. Ils permettaient à toute personne—pas aux seuls commerçants, mais à toute personne—de se déplacer n'importe où en Europe pour y travailler. J'avais le droit, en ma qualité de sujet britannique, de travailler et de vivre n'importe où et d'obtenir tous les avantages de l'État où que ce soit en Europe, sans qu'un gouvernement national ne s'y oppose vraiment, quel qu'il soit. C'est ce que j'appelle du libre-échange, de l'échange honnête.

Si vous voulez lire le reste de mes commentaires, je vous invite à le faire.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): J'y ai jeté un coup d'oeil, et comme je l'ai dit, ils seront consignés au compte rendu. Ils sont excellents. Si vous pouviez simplement en souligner les deux ou trois arguments principaux...

M. Sean O'Connell: Il y a une autre chose que je voulais dire. Je ne sais pas si vous avez eu le choix à cet égard, mais il y a une élection qui s'en vient pour le nouveau PDG de l'OMC. Roy MacLaren est le candidat canadien pour cette élection. J'aimerais vous recommander la candidature de M. Supachai. Je l'ai rencontré et j'ai traité avec lui plusieurs fois en Thaïlande. C'est un homme incroyable. C'est un bouddhiste confirmé, et je ne peux m'empêcher de penser à lui comme l'équivalent thaïlandais d'Arthur Cockfield, un homme fort honorable qui estime que le commerce est une importante méthode pour favoriser le mieux-être du plus de gens possible, et non pas simplement une façon d'accroître la richesse des entreprises, même si c'est une bonne chose en soi, mais le commerce rend les guerres inutiles et devrait améliorer le niveau de vie de tout le monde. Aucun autre candidat ne me fait cette impression, et certainement pas Roy MacLaren. Alors, si vous avez le choix, examinez soigneusement la candidature de M. Supachai. C'est un homme excellent. Vraiment.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur O'Connell.

M. Ross Johnson est le suivant sur notre liste.

M. Ross Johnson (témoignage à titre personnel): Bonjour et bienvenue à Vancouver. Je suis heureux, madame la présidente, que vous nous ayez menacés de revenir plus souvent. Vous êtes la bienvenue.

Je me présente. Je suis un économiste politique, maintenant à la retraite, qui s'intéresse toujours vivement aux politiques canadiennes, surtout celles qui concernent le commerce et la politique étrangère.

J'estime que cette série d'audiences qui se déroule dans tout le Canada a une importance exceptionnelle parce que ce qui se produit en ce moment sur le plan du développement mondial aura une importance cruciale pour l'avenir de tous les Canadiens. Votre comité a l'occasion, comme jamais aucun autre comité parlementaire n'en a eu dernièrement, d'aider les Canadiens à façonner leur avenir.

Lorsqu'il est devenu premier ministre en 1984, Brian Mulroney a déclaré que lorsqu'il quitterait son poste, les Canadiens ne reconnaîtraient plus le Canada. Voilà une promesse politique qui a vraiment été respectée.

Avant que la mondialisation ne commence, les Canadiens étaient un peuple prospère, confiant et attentionné. Lorsque l'ère Mulroney s'est terminée, nous étions devenus une société stratifiée, où les riches étaient devenus beaucoup plus riches, les pauvres, beaucoup plus pauvres, et où la classe moyenne s'était rétrécie et affaiblie. Pour protéger les gains des riches et prévenir d'autres pertes pour le reste d'entre nous, nous sommes devenus une société plus égoïste et plus âpre au gain.

Au cours des vingt dernières années, le Canada a perdu une part importante de sa souveraineté au profit d'entreprises privées en raison des divers traités que nous avons signés. Le taux de chômage au pays est toujours d'au moins 8 p. 100. Nous commençons à lésiner sur les règlements de protection environnementale et de sécurité alimentaire, tandis que la distribution de la richesse est de plus en plus inéquitable. Exception faite des 2 p. 100 de Canadiens les plus riches, et dont les revenus, comparativement à ceux des autres Canadiens, sont plus élevés que jamais dans notre histoire, les citoyens canadiens sont dans une situation économique plus difficile depuis que la mondialisation a commencé.

Quelque chose ne va pas, et je pense que le moment est venu de nous arrêter et de nous demander comment nous pourrions corriger le problème.

Des changements phénoménaux se produisent dans notre pays, et il est primordial que nous en fassions l'évaluation. Il nous faut examiner où la mondialisation et l'ALENA nous ont amenés et, par extension, où une ZLEA et l'expansion de l'OMC nous amèneront. Pour y arriver, nous devons confier à des chercheurs indépendants le soin de réaliser des études impartiales afin d'examiner tous les domaines qui ont été touchés lorsque nous avons plongé tête baissée dans la mondialisation: les investissements, l'emploi, l'environnement, la sécurité alimentaire, les soins de santé, les normes du travail, la souveraineté nationale, les droits de la personne et, par-dessus tout, la démocratie. Cette étude devrait être réalisée dans une optique qui exclut toute idéologie et tout préjugé. J'exhorte votre comité à résister aux pressions exercées par divers groupes qui souhaiteraient que nous allions de l'avant avec l'ALE et que nous élargissions les pouvoirs de l'OMC parce que, selon eux, les études révèlent que nous n'avons pas le choix d'agir ainsi si nous ne voulons pas tirer de la patte.

• 1320

Notre gouvernement met sur pied des commissions royales pour déterminer le parcours des oléoducs, pour explorer des techniques de manutention du sang et pour obtenir des recommandations au sujet des populations autochtones du Canada, même si aucun de ces sujets ne touche la vie de chacun de nous comme le font la mondialisation et le libre-échange. Certains éléments de notre société exigent des référendums et des discussions sur des choses comme le traité des Nishgas, mais ils sont prêts à renoncer à toute discussion publique ou à tout examen des effets de l'ALENA ou de la mondialisation.

En plus d'étudier les diverses répercussions des accords commerciaux actuels sur la société canadienne, j'exhorterais votre comité à recommander d'examiner soigneusement certaines des questions fondamentales et troublantes que suscitent actuellement le libre-échange et la mondialisation. Par exemple, voici six questions auxquelles il faudrait répondre avant d'aller plus loin.

Premièrement, l'ALENA et l'OMC encouragent-ils réellement le libre-échange, ou s'agit-il de commerce contrôlé? En 1995—c'est-à-dire il y a à peine trois ans—The Economist a procédé à une étude qui a permis de constater que 70 p. 100 des ventes de biens de consommation durables sur le marché mondial sont contrôlées par seulement cinq multinationales. Cela relève davantage de l'oligarchie que du libre marché et de la libre concurrence.

Deuxièmement, en quoi la mondialisation contribue-t-elle, non seulement au Canada, mais à l'échelle mondiale, à l'inégalité, à la surexploitation des ressources, à la dégradation de l'environnement, des normes du travail, des normes sanitaires, de la culture et de la démocratie proprement dite?

Troisièmement, pour quels types de choses le libre-échange est-il avantageux? La théorie du libre-échange a été créée au XIXe siècle pour des produits et des biens manufacturés. Sans recherche à l'appui et sans formulation théorique, nous avons depuis dix ans ajouté des services et prévu le mouvement libre et instantané des devises et des investissements à la liste des éléments soumis au libre-échange. Les négociateurs de l'AMI n'ont procédé à aucune recherche adéquate pour étayer leurs allégations selon lesquelles l'accord bénéficierait au monde entier. Plutôt que de miser sur les faits, on a fait des hypothèses idéologiques—c'est-à-dire, néolibérales—, qu'on a acceptées les yeux fermés. Maintenant, les défenseurs des droits exercent des pressions pour que les principes de l'AMI soient intégrés à l'OMC. Cette façon cavalière de traiter des actes qui ont un effet marqué sur la vie des gens de partout dans le monde doit cesser. Le libre-échange des produits, des biens fabriqués et, peut-on croire, des services répond aux idéaux classiques du libre-échange qui concernent l'avantage comparatif. Dans le cas des investissements et des services financiers, il ne procure un avantage absolu qu'aux riches, qu'aux entreprises riches et qu'aux pays riches par rapport aux pauvres des pays pauvres. Tant que des études ne révéleront pas le contraire, on ne devrait même pas penser à inclure, et encore moins inclure, une libéralisation des investissements comme celle que préconise l'AMI dans l'OMC.

Quatrièmement, dans quelle mesure le libre-échange mondial contribue-t-il aux désastres météorologiques qui frappent notre planète? Dans leur publication de 1998 intitulée The Living Planet Report, le Fonds mondial pour la nature, la New Economics Foundation et le World Conservation Monitoring Centre de l'université Cambridge mentionnent que plus de 30 p. 100 des milieux naturels du monde ont été détruits par l'homme depuis 1970, et qu'il y a eu grave détérioration des forêts, des réserves d'eau douce et des systèmes marins dont la vie dépend. On estime qu'une grande part de la misère humaine qui frappe maintenant la planète est attribuable à la mondialisation des économies, qui mène à la surexploitation des ressources et qui rend la nature plus vulnérable aux inondations et à la désertification. Dans certains cercles, ça fait chic de dire que les environnementalistes sont comme des prophètes de malheur qui courent partout en criant que le ciel va nous tomber sur la tête, mais on a maintenant tellement de données provenant de diverses sources qui semblent indiquer que c'est le cas que nous aurions tort de ne pas les prendre au sérieux.

• 1325

Cinquièmement, dans quelle mesure les Canadiens veulent-ils que les gouvernements soient capables de s'occuper d'eux lorsque les circonstances le justifient? Les Canadiens n'ont jamais eu de dialogue national à ce sujet. En tant que citoyens, nous devrions savoir clairement quels pouvoirs décisionnels nous perdons en raison de l'OMC. Nous devrions avoir l'occasion de dire ce que nous pensons de tout cela. La culture du secret et l'absence de transparence qui marquent les tractations relatives à l'AMI au Canada ne sont pas ce à quoi sont en droit de s'attendre des citoyens de notre démocratie.

Sixièmement, qu'est-ce qui prouve que l'augmentation des richesses attribuable au libre-échange profitera à la société en général et non pas aux seules entreprises? Il faut mettre de côté le principe de l'OMC selon lequel il faut écarter tous les objectifs culturels, sociaux et environnementaux afin de libéraliser le commerce et les investissements. Il semble manifeste que cela ne va pas dans le sens de l'intérêt public. Les promoteurs de la mondialisation allèguent—sans aucune espèce de preuve, soit dit en passant—que la libéralisation du commerce et des investissements aura des retombées dont tout le monde pourra profiter. En réalité, comme le montrent les chiffres dont je vous ai fait part plus tôt, nous nous dirigeons inévitablement vers un affaiblissement des normes sociales et environnementales pour adopter partout celles qui sont le moins rigoureuses.

Le libre-échange mondial se fait à l'initiative des nations les plus riches du monde, qui sont toutes devenues riches en protégeant leurs propres industries contre la concurrence extérieure. Voilà maintenant qu'elles ne veulent pas permettre aux économies plus petites de protéger leurs propres industries. C'est une autre façon de leur dire qu'elles ne seront jamais aussi riches que celles du monde industrialisé actuel.

Les grandes entreprises veulent s'installer dans les pays non industrialisés, où les normes environnementales sont moins sévères et où il y a moins de réglementation. En vertu de l'AMI, ou de la version des règlements de l'AMI intégrée dans l'OMC, le pays hôte sera toujours un pays pauvre, parce que toute tentative de modifier le code du travail ou d'améliorer la réglementation environnementale mènera à une poursuite de la part de la société touchée, qui voudra se faire indemniser pour une perte de profits.

Voici mes recommandations.

Tout d'abord, je recommande que votre comité demande l'arrêt immédiat des plans visant à étendre l'ALENA par la création d'une ZLEA et à accroître les pouvoirs de l'OMC. L'ALENA et l'OMC n'ont pas encore prouvé au grand public que leur façon de faire est la meilleure pour le Canada et pour le monde.

Ensuite, je recommande que le gouvernement du Canada mette sur pied un programme d'étude objective afin de déterminer quelles répercussions l'ALENA et l'OMC ont eues. L'étude devrait aussi s'attacher aux questions suivantes: premièrement, l'ALENA et l'OMC encouragent-ils le libre-échange, ou s'assortissent-ils d'un contrôle des échanges par les entreprises? Deuxièmement, en quoi la mondialisation contribue-t-elle, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, à l'inégalité, à l'épuisement des ressources, à la dégradation de l'environnement, des normes du travail, des normes sanitaires, de la culture et de la démocratie? Troisièmement, le libre-échange devrait-il se limiter aux denrées et aux articles fabriqués? Doit-il, au contraire, s'étendre aux services financiers et aux investissements? Quatrièmement, dans quelle mesure le libre-échange mondial contribue-t-il aux désastres météorologiques qui frappent le monde? Cinquièmement, dans quelle mesure les Canadiens veulent-ils que leur gouvernement conserve sa liberté d'apporter des rajustements à l'économie au besoin? Enfin, qu'est-ce qui donne à croire que l'augmentation des richesses dont peuvent profiter les entreprises grâce au libre-échange profitera aux sociétés en général?

Je tiens à vous remercier de votre attention. Je suis très déçu et très mécontent du fait que le libre-échange, qui a une incidence bien plus énorme sur la vie des Canadiens que le rapatriement de la Constitution, des amendements constitutionnels ou même la possibilité que le Québec se retire de notre fédération fasse l'objet de si peu de discussions publiques, et surtout de discussions éclairées par une recherche impartiale.

Vous avez en partie le pouvoir de corriger cette situation. Je vous souhaite beaucoup de succès. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Johnson.

Je suis désolé de ne pas avoir appelé Mme Jezrah Hearne alors que c'était son tour. Je n'avais pas mes lunettes. Madame Hearne, s'il vous plaît.

Mme Jezrah Hearne (témoignage à titre personnel): Merci. Mesdames et messieurs, je viens vous parler en ma qualité de recherchiste en communication et de rhétoricienne. Je tiens à m'excuser du manque de finition de mon texte, parce que je devrai en sauter des passages pour ne pas dépasser les dix minutes.

Je crois que la ZLEA doit corriger les aspects pernicieux de l'ALE et de l'ALENA ou être rejetée d'emblée. Si on l'accepte telle quelle, la ZLEA aura tout simplement pour effet d'augmenter de façon exponentielle le risque auquel est exposé le Canada. Si l'on jette un coup d'oeil sur l'historique de l'ALE et de l'ALENA, il y a certains points dont nous devons tenir compte pour la création d'une ZLEA.

• 1330

Premièrement, les gains que peut retirer le Canada des accords de libre-échange sont douteux. L'essentiel de cela a touché les ressources brutes, mais cette affaire avec les États-Unis aurait eu lieu de toute façon sans les accords en raison de la vigueur de l'économie des États-Unis et de la convoitise que manifestent les Américains pour nos ressources. Ces ressources ont subi une baisse délibérée de leur valeur en raison des manipulations exercées par les investisseurs en marchandises, investisseurs qui sont en grande partie des Américains; dans d'autres cas, les entreprises américaines ont investi dans des sociétés canadiennes, ce qui mène généralement à une réduction de leurs activités ou à leur déménagement aux États-Unis. Tout cela constitue une double menace pour le Canada.

Deuxièmement, le libre-échange a permis aux fabricants canadiens et aux directeurs d'usines étrangères installées au pays de déménager leurs usines dans les zones américaines où l'on paie de faibles salaires, c'est-à-dire à l'extrême sud du pays où dans le nord du Mexique. Le seul recours pour nos travailleurs canadiens est de concurrencer ces faibles salaires. C'est donc dire que notre économie est doublement menacée pour cette seule question.

Il y a ensuite le fait que les protections accordées à notre réseau social, à notre culture, à notre environnement et à notre eau, protections considérées comme des éléments secondaires des anciens accords commerciaux, lesquelles, quand elles sont contestées par les entreprises américaines, manquent d'efficacité et ne valent donc pas le papier sur lequel elles sont imprimées. En moins d'un an, le Canada a dû se défendre contre des poursuites en justice d'une valeur de près de un milliard de dollars qui découlaient toutes de ces accords commerciaux et de la contestation de ces prétendues protections. Notre souveraineté nationale et la volonté démocratique des citoyens qui sont à l'origine de ces dispositions législatives protectrices sont donc profondément menacées. Voilà une énorme menace pour le Canada.

Une quatrième considération découle de ce dernier point. Avec les allégations concernant la façon dont les droits des travailleurs, la culture et l'environnement sont protégés dans ces accords, on fait croire que les normes de l'Amérique du Nord sont aussi protégées. Un désolant spectacle de la zone franche industrielle qu'est la maquiladora prouve hors de tout doute que le libre-échange travestit les normes qui ont cours en Amérique du Nord.

Enfin, on craint que les diverses dispositions des ententes n'équivalent à la reddition la plus totale de notre propre économie aux barons des entreprises dont le comportement prouve hors de tout doute qu'ils se considèrent au-dessus de la règle de droit, sauf s'ils en sont à l'origine. Par exemple, les principales dispositions où c'est le cas sont la capacité juridique privée, le mécanisme de règlement des différends, la proportionnalité, le traitement national, l'élimination des exigences de rendement et le traitement de la nation la plus favorisée. Quelle conclusion pouvons-nous tirer de tout cela? Manifestement, nous avons lâché la proie pour l'ombre. Nous avons perdu et continuons à perdre bien davantage que ce que nous avons gagné. En effet, notre souveraineté, notre liberté et notre citoyenneté, autant de précieux éléments essentiels au fonctionnement d'un État démocratique, qui sont menacés. C'est une perte incalculable.

Tout ces éléments étant maintenant mis en contexte, je m'attacherai maintenant au cinquième point de mon argumentation, c'est-à-dire aux dimensions sociales du commerce. Je ne m'attacherai donc qu'à une seule des questions posées par le comité. Selon moi, c'est de cette question que découlent toutes les autres qui ont été posées par le comité, et elle est donc l'élément central de l'enquête tout entière.

La deuxième question qui se pose est la suivante: que se passe-t-il dans les Amériques? Qu'est-ce qui est unique et propre à notre hémisphère? Ce qui est le plus distinctif des Amériques, ce qui ne se passe nulle part ailleurs sur le globe, c'est que, à mi-chemin entre l'Équateur et le Pôle Nord sur le continent nord-américain, vous avez une nation qui croit avoir pour destinée manifeste de contrôler les Amériques tout entières, depuis le Cercle arctique jusqu'à la Terre de feu. Cette nation, les États-Unis, considère toute interaction avec d'autres pays comme une bataille. Elle doit gagner en dominant l'autre partie. Elle veut dominer l'hémisphère; les États-Unis sont en guerre contre les Amériques.

• 1335

C'est avec cette attitude de matamore que les États-Unis abordent les négociations commerciales. Il est donc évident que ces négociations sont faussées en faveur des États-Unis—surprise. L'Organisation mondiale du commerce semble alors être dominée par des intérêts américains, et il est inévitable que les différends commerciaux seront réglés en leur faveur. Puisque la plupart des méga-multinationales ont leur siège social aux États-Unis et que l'OMC n'existe que pour le bénéfice des entreprises, il est inévitable que les décisions à ce chapitre favoriseront les États-Unis. De plus, les Américains sont coupables d'impérialisme culturel lorsqu'ils veulent que les produits de leur industrie du spectacle dominent totalement la pratique culturelle des autres pays du monde pour ce que les Américains appellent avec arrogance la «culture mondiale». Voilà le dragon que nous tentons en nous efforçant d'instaurer une zone de libre-échange dans les Amériques.

En résumé, en vertu des modalités qui sont actuellement prévues pour la ZLEA, c'est-à-dire qu'elle doit se fonder sur les modèles de l'ALE et de l'ALENA, je ne peux voir en quoi l'ensemble du Canada pourrait en retirer une prospérité généralisée et authentique. Nous continuerions tout simplement à faire ce que nous avons fait depuis l'imposition de l'accord du libre-échange: lâcher la proie pour l'ombre. Cependant, rien de tout cela ne pourra se produire si on se donne la peine de corriger, dans la ZLEA, les erreurs et déséquilibres qui marquent l'ALE et l'ALENA. Pour qu'on puisse y arriver, j'ai formulé les recommandations suivantes.

Premièrement, inviter les organismes non gouvernementaux qui font progresser la politique sociale, des ONG, de partout dans l'hémisphère occidental à se prononcer sur les mécanismes de l'accord commercial. Par ONG, je veux dire les organisations reconnues de citoyens voués à l'établissement d'un monde juste et sain. J'établis une distinction cruciale ici entre ces organismes et les imposteurs mis en place par de grosses boîtes de relations publiques afin de s'approprier cyniquement et de détruire la société civile.

Deuxièmement, n'utiliser aucune des dispositions pernicieuses mentionnées plus haut ni celles que révélerait un examen approfondi de l'ALE et de l'ALENA.

Troisièmement, codifier des règlements qui permettraient l'établissement de normes égales à celles qu'on trouve en Norvège, en Allemagne et en France. Intégrer à ces normes les aspirations enchâssées dans plusieurs accords des Nations Unies pour protéger les droits de la personne et l'environnement et auxquels la plupart des pays de l'hémisphère occidental ont adhéré.

Quatrièmement, codifier les règlements afin de protéger la souveraineté des nations et la démocratie de leur peuple.

Cinquièmement, instaurer un processus d'harmonisation continu des salaires dans tout l'hémisphère de façon à ce qu'ils soient élevés à ce qu'ils étaient au Canada avant l'ALE. Préconiser une réduction des salaires des cadres supérieurs de façon que les profits puissent être distribués sous forme de hausse salariale aux travailleurs subalternes.

Sixièmement, instaurer des règlements stricts pour exiger que tout développement économique fondé sur les ressources soit axé sur les principes d'une pratique saine sur le plan écologique.

Septièmement, réhabiliter—et je dis bien réhabiliter—l'Organisation mondiale du commerce pour qu'elle cesse d'être un véhicule de domination mondiale des entreprises pour devenir un tribunal devant lequel les citoyens et les gouvernements pourront porter leurs griefs contre des entreprises afin d'obtenir un recours et une indemnisation, et qui serait chargé d'imposer les normes de la réforme que je viens de mentionner à la pratique des entreprises de tout l'hémisphère et de les tenir responsables devant la loi des nations hôtes et leur population. Il faut obtenir l'aide des ONG pour la transformation et l'exploitation de cette entité.

• 1340

Enfin, huitièmement, «dire aux Américains», pour reprendre l'expression de Sergio Marchi, «qu'ils ne sont pas les patrons du monde.» Cette volonté devrait être enchâssée dans une déclaration de principe prévoyant l'imposition de contraintes à la pratique commerciale américaine dans l'hémisphère.

Par ailleurs, j'estime que le Canada devrait travailler avec toutes les autres nations de l'hémisphère occidental, à l'exclusion des États-Unis, pour établir une position unifiée sur la façon de mater le matamore. C'est ainsi qu'il faut agir avec les matamores: vous recourez aux pairs pour une observation et une critique, après quoi vous imposez la règle de droit.

En conclusion, je dirais que ce n'est que si le processus prévu pour la formulation et le maintien de la ZLEA mise sur les ONG et que si la ZLEA en question invalide les ententes absurdes établies plus tôt dans l'ALE et l'ALENA que l'hémisphère occidental aura l'occasion de connaître la liberté, la vérité, l'équité, la prospérité généralisée et un environnement sain au XXIe siècle. La seule façon de concrétiser cette vision consiste à rechercher un échange honnête plutôt qu'un libre-échange.

Je vous remercie.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, madame Hearne; votre exposé a été très éloquent.

Madame Olive Johnson.

Mme Olive Johnson (témoignage à titre personnel): Bonjour, et merci de me donner l'occasion de venir vous parler.

Je suis une citoyenne préoccupée qui suit de près l'évolution du libre-échange, et je suis alarmée par ce qui se passe dans mon pays. Je suis aussi une psychologue, de sorte que je m'inquiète particulièrement des répercussions du libre-échange sur la santé mentale et le bien-être général des familles canadiennes puisque l'ALENA déchire le tissu social et économique du Canada. Nous vivions naguère dans un grand pays. Quelle désolation de voir ce qui s'est passé depuis dix ans.

Ceux qui prétendent que le libre-échange a profité au Canada se justifient par la hausse du commerce et des investissements outre-frontières. Mais il est sûrement manifeste, vu que ces choses profitent principalement aux entreprises et aux riches du Canada, qu'elles ne profitent pas au reste d'entre nous. Comme les entreprises ont eu la liberté de rationaliser leurs activités, de déménager et de réduire les salaires, les Canadiens ont connu une baisse marquée de leur revenu réel et de leur pouvoir d'achat. Nous avons assisté à la conversion de millions d'emplois permanents et bien rémunérés en emplois précaires, faiblement rémunérés, à temps partiel et contractuels. Le fossé qui sépare les riches et les pauvres s'élargit chaque jour. On a observé une hausse révoltante de la pauvreté et de l'itinérance, et nous assistons à la détérioration de nos soins de santé, de l'éducation, de l'aide sociale et d'autres programmes du genre.

Depuis l'entrée en vigueur du libre-échange au Canada, le nombre d'emplois rémunérés à temps plein n'a presque pas augmenté. La grande majorité des emplois créés depuis 1989 ont pris la forme du travail autonome et du travail à temps partiel. Même si le taux de chômage officiel depuis 1989 se situe en moyenne à environ 9 p. 100, le taux réel se situerait davantage aux alentours de 18 p. 100 si l'on tient compte des gens qui, par découragement, ont abandonné leur recherche d'emploi et des travailleurs qui ont été forcés d'accepter un emploi à temps partiel.

En 1973, les revenus de la tranche de 10 p. 100 des familles les plus riches comptant des enfants étaient environ 20 fois supérieurs à ceux de la tranche des 10 p. 100 les plus pauvres. En 1996, ils sont de 300 fois supérieurs. Cette tendance pose une grande menace à la santé mentale et physique de notre peuple. On dispose maintenant de données fiables qui révèlent une relation entre la santé et la disparité au chapitre des richesses. Ce n'est pas dans les nations les plus riches qu'on trouve les gens en meilleure santé; c'est dans les nations les plus égalitaires.

Depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, notre système de soins de santé s'est détérioré sans cesse. Le maintien du système américain d'octroi de brevets pour les médicaments et les profits monopolistiques qui en résultent pour les grandes sociétés pharmaceutiques ont fait augmenter de façon spectaculaire les coûts de l'assurance-maladie. On dépense maintenant davantage pour les médicaments que pour les honoraires du médecin. Colleen Fuller a récemment documenté dans son ouvrage intitulé Caring for profit la façon dont les entreprises prennent le contrôle du système de santé canadien pour le rapprocher de plus en plus du modèle américain. La souveraineté même de notre pays est maintenant gravement compromise puisque les entreprises peuvent poursuivre directement notre gouvernement.

• 1345

En 1990, l'Ontario a assisté à l'humiliant scénario par lequel son gouvernement a été forcé de renoncer à ses projets d'assurance-automobile provinciale après avoir été menacé d'une poursuite de 2 milliards de dollars par la compagnie d'assurances State Farm Mutual.

Plus récemment, nous avons eu la désagréable occasion de voir le gouvernement fédéral changer d'idée à propos de l'interdiction du MMT dans l'essence au Canada après que l'Ethyl Corporation eut réagi à l'interdiction en intentant une poursuite. Quel jour triste pour la souveraineté canadienne que celui où notre gouvernement a versé à Ethyl 20 millions de dollars de l'argent des contribuables pour un règlement à l'amiable et lui a écrit une lettre d'excuses, que cette société peut maintenant utiliser pour amener d'autres pays du monde à se plier à ses désirs.

Je suis indignée que mon gouvernement ait à se placer dans une position si ridicule. En tant que neuropsychologue, je sais que le MMT est un produit très dangereux. Lorsqu'on inhale le gaz d'échappement des voitures, le manganèse contenu dans le MMT passe directement dans le cerveau et endommage les cellules nerveuses. Malheureusement, ce sont les contribuables canadiens, et non pas Ethyl Corporation, qui devront payer la facture des soins médicaux nécessaires pour traiter les effets du MMT.

Le Canada n'est pas le seul à avoir souffert des effets de l'ALENA. C'est aussi le cas du Mexique. Je suis allée au Mexique bien des fois au cours des ans et j'ai été attristée par les épreuves imposées au peuple mexicain par l'ALENA.

Les salaires réels versés aux travailleurs mexicains ont diminué de 45 p. 100 au cours des quatre premières années d'application de l'ALENA, et des milliers de petites et moyennes entreprises ont été rayées de la carte, amenant nombre d'ex-entrepreneurs mexicains de la classe moyenne à ne plus soutenir l'ALENA et à se joindre aux millions de membres du groupe El Barzon qui veut remplacer l'ALENA.

Le chômage au Mexique a également connu une augmentation marquée avec l'ALENA. Trois ans après son entrée en vigueur, la moitié des Mexicains étaient considérés comme extrêmement pauvres, comparativement à 31 p. 100 en 1993, c'est-à-dire avant l'ALENA.

Nous sommes tous maintenant familiarisés avec les histoires d'horreur qui marquent les maquiladoras mexicaines. Outre les faibles salaires, les conditions de travail grossièrement inéquitables et la situation désastreuse du logement, les travailleurs endurent un environnement assimilé par l'American Medical Association à une fosse d'aisance.

Maintenant que nous avons pu voir les retombées négatives de l'ALE et de l'ALENA, nous ne pouvons que prévoir que la ZLEA étendra encore la misère et compliquera encore davantage les choses pour notre propre pays.

Dans son numéro de samedi dernier, le Globe and Mail signalait que le ministre du Commerce, Sergio Marchi, était revenu les mains vides d'une importante réunion avec ses homologues américains et mexicains, ne réalisant aucun progrès sur la question des magazines dédoublés ou de l'effort déployé par le Canada pour clarifier les règles d'investissement de l'ALENA.

Un représentant mexicain, M. Blanco, s'est opposé aux efforts du Canada et a plutôt exhorté les ministres de l'ALENA à instaurer ensemble une meilleure stratégie de communication afin de souligner les avantages du libre-échange et à convaincre les opposants de l'ALENA, qui sont nombreux dans chacun des trois pays. En d'autres termes, les ministres du Commerce ont été invités à ne pas tenir compte des préoccupations réelles de leurs citoyens et à traiter l'opposition à l'ALENA comme une cynique campagne de relations publiques.

Je tiens à souligner que, pour ma part, j'en ai assez de l'approche de relations publiques préconisée pour le libre-échange. Ce que je veux de la part de mon gouvernement, ce n'est pas une stratégie de communication à l'épreuve de tout. C'est une stratégie commerciale honnête et intelligente. Plutôt que d'élargir l'ALENA en ZLEA et d'ajouter encore à nos problèmes, il nous faut remplacer ces mauvais accords par d'autres accords plus logiques qui permettront des échanges équitables. Les échanges ne doivent pas servir à réduire les salaires, à affaiblir les droits des travailleurs ni à nuire à l'environnement.

Des échanges honnêtes comprendraient les codes de conduite et une formule de reddition de comptes pour les entreprises. Ils préconiseraient des normes environnementales strictes et applicables ainsi que des droits internationaux en matière de travail. Plutôt que de niveler par le bas les salaires et les normes environnementales, ces accords contribuaient à améliorer la situation des pays les plus pauvres.

Je recommande tout d'abord au gouvernement du Canada de commander un examen impartial des répercussions du libre-échange et des investissements sur la vie des citoyens canadiens. Ensuite, le gouvernement devrait cesser de vouloir libéraliser encore davantage le commerce et les investissements, notamment par la ZLEA, et s'opposer à ce que la question des investissements soit ajoutée à l'ordre du jour des pourparlers de l'OMC pour le nouveau millénaire. Ensuite, le gouvernement devrait organiser un débat public sur le commerce équitable au Canada. Nous devons commencer par nous demander quels genres d'accords commerciaux pourraient profiter au plus grand nombre possible de citoyens plutôt qu'à de rares chanceux.

• 1350

Il nous faut de toute urgence nous tirer des sables mouvants du libre-échange avant que d'autres victimes ne s'y enlisent. En compagnie de nos partenaires commerciaux, nous devons sans tarder regagner la terre ferme du commerce international équitable.

Pour terminer, je tiens à féliciter votre comité parlementaire d'organiser ces audiences. Il est très important que les citoyens canadiens aient l'occasion de s'exprimer devant vous. Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, madame Johnson, de nous avoir fait part de vos opinions de psychologue et de citoyenne canadienne préoccupée.

Le dernier mais non le moindre des membres de ce groupe de témoins est M. Gil Yaron, du Citizen's Council on Corporate Issues. Bienvenue.

M. Gil Yaron (témoignage à titre personnel): [Citizen's Council on Corporate Issues] Au nom du Citizen's Council on Corporate Issues, nous félicitons le gouvernement fédéral et les membres du comité permanent de nous donner l'occasion de présenter nos opinions au sujet du commerce international. Une telle consultation est absolument nécessaire si l'on veut promouvoir une gouvernance efficace et représentative dans une société civile. Elle représente un important précédent dans les négociations d'accords commerciaux internationaux.

Le Citizen's Council on Corporate Issues, que je vais désigner sous sa forme abrégée, CCCI, est une organisation qui a son siège social à Vancouver et qui est préoccupée par le pouvoir de plus en plus grand dévolu aux entreprises dans la société canadienne. Notre rôle est d'effectuer les recherches sur les répercussions qu'a la structure de l'entreprise sur la société, de renseigner le public canadien au sujet de sa relation avec les entreprises et de dénoncer la disparité croissante entre les entreprises et les particuliers au sujet de la richesse et du pouvoir.

CCCI se fait l'écho des préoccupations exprimées par d'autres, comme le Conseil des Canadiens et la West Coast Environmental Law Association dans le cadre de la présente audience et par mon éloquent collègue, au sujet des effets du régime actuel de commerce international sur l'environnement mondial, le travail et la culture.

De récentes audiences de panels de l'OMC, concernant par exemple la décision relative à l'hormone bovine illustrent clairement en quoi le régime actuel mine nos institutions démocratiques en plus d'être contraire à l'intérêt public en général. De plus en plus, nos gouvernements sont empêchés d'établir une réglementation et des politiques. Le public canadien doit assumer les coûts des contestations découlant des accords de libre-échange. Cependant, nous laisserons le débat sur les effets des accords commerciaux internationaux aux organisations qui, dans le cadre des présentes audiences, seront plus aptes que nous à les préciser.

Le CCCI aimerait profiter de l'occasion pour attirer plutôt l'attention sur l'entité qui est au coeur de la création de l'Organisation mondiale du commerce et des accords internationaux en matière de commerce, c'est-à-dire l'entreprise moderne. Les accords internationaux en matière de commerce sont créés pour faciliter l'activité économique des entreprises; par conséquent, il est capital de comprendre la nature de cette entité si l'on veut apprécier les effets des accords commerciaux internationaux.

Notre mémoire contient trois arguments fondés sur des principes élémentaires de la théorie organisationnelle selon lesquels il faut démanteler et remettre en question des structures comme l'OMC et les accords commerciaux internationaux. Premièrement, les répercussions évidentes du commerce international sur tous les aspects de la société, l'OMC et les accords commerciaux internationaux établis sous son régime ne reconnaissent que les aspects économiques du commerce et, de ce fait, les intervenants organisationnels qui facilitent l'activité économique.

Deuxièmement, les entreprises sont des créatures fictives des lois, simplistes et incapables de prendre des décisions responsables dans le contexte du commerce international.

Troisièmement, l'OMC et les accords commerciaux internationaux doivent faire en sorte que les institutions démocratiques et les citoyens, et non pas les entreprises, aient directement voix au chapitre pour l'élaboration, l'instauration et l'application des régimes de commerce international.

J'aimerais profiter de l'occasion pour préciser brièvement chacun de ces trois points. Premièrement, l'OMC et les accords commerciaux internationaux établis sous son régime ne reconnaissent que les aspects économiques du commerce et les acteurs organisationnels qui facilitent l'activité économique. De récentes décisions de comités de l'OMC illustrent clairement le fait que le commerce international a un effet direct sur tous les aspects de la société mondiale, et non sur les seuls intérêts économiques des parties contractantes.

Lorsqu'on décide de faire l'échange de ressources, de biens et de services à l'échelle internationale, il faut tenir compte non pas de la seule valeur économique, mais de bien d'autres facteurs, dont les répercussions sociales et environnementales. Pourtant, l'OMC et les accords commerciaux internationaux continuent de placer les aspects économiques au-dessus de tout autre intérêt et de toute autre préoccupation.

Les comités d'arbitrage des différends commerciaux établis en application du GATT et de l'OMC ont toujours accordé la priorité aux intérêts économiques. Ce n'est que logique lorsqu'on considère la structure institutionnelle qui sous-tend le libre-échange et la croissance économique. L'entreprise n'a été créée que pour promouvoir l'intérêt économique par la production et le commerce. Par conséquent, il n'est pas étonnant que les institutions qui s'occupent du commerce ne l'aient considéré que sous l'angle de l'entreprise, puisque le commerce a pour fondement la recherche de profits.

• 1355

Cependant, compte tenu de la nouvelle ampleur de l'activité des entreprises et de la répercussion de ces activités, nous devons revoir cette relation. Si les entreprises doivent prendre des décisions qui affectent non seulement notre bien-être économique mais aussi la situation des collectivités locales, la culture, la santé et l'environnement, alors les règles internationales régissant l'activité organisationnelle et la structure de l'entreprise proprement dite doivent pouvoir s'attacher à autre chose qu'aux seuls aspects économiques.

Le deuxième point concerne le fait que les entreprises sont des créatures fictives des lois, simplistes et incapables de prendre des décisions responsables dans le contexte du commerce international. Ce point peut vous aider à apprécier l'argument que je viens juste de vous énoncer.

À l'origine, les entreprises étaient des institutions qui existaient par la volonté de la Couronne, la volonté du gouvernement et elles agissaient dans l'intérêt public. Une entreprise pouvait être dissoute par déchéance de sa charte s'il y avait un abus ou une utilisation à mauvais escient de ses pouvoirs et privilèges. Une condition était tacitement ou implicitement rattachée à toute constitution en société d'une entreprise commerçante, selon laquelle s'il y avait mauvaise utilisation ou abus du statut, la charte de l'entreprise ou la franchise devait être déchue. La constitution en société était à l'origine un privilège et non un droit. Les entreprises étaient perçues comme des entités fictives auxquelles la charte de la Couronne ou une loi spéciale du Parlement accordait des pouvoirs prescrits. Plus tard, le contrôle de l'entreprise a été transféré à des actionnaires, mais l'entreprise proprement dite est demeurée une entité fictive.

La première conclusion qu'on peut tirer de cela est que les entreprises n'existent pas réellement au sens physique du terme et qu'elles sont plutôt créées et contrôlées par des personnes. Même aujourd'hui, les entreprises demeurent des créatures de la loi et sont régies par le droit des sociétés. Aujourd'hui, les lois sur les sociétés maintiennent le pouvoir du public de modifier, par l'entremise de ses représentants gouvernementaux, tout aspect de la structure de l'entreprise et de la façon dont elle fonctionne. Bref, les entreprises n'ont aucune existence hors des lois publiques qui les ont créées.

Le libéralisme a négligé la véritable nature de l'entreprise et a graduellement accordé aux sociétés les droits des particuliers. Aujourd'hui, les entreprises ont le droit de libre expression et la liberté de réunion et des pouvoirs qui ne sont même pas accordés aux particuliers, comme l'immortalité, la responsabilité limitée, la capacité de s'échanger et de se transférer par des actions et la capacité de fusionner et de s'amalgamer.

S'il est vrai que nos lois sur les sociétés ont été modifiées pour accorder une personnalité juridique aux entreprises, la Cour suprême du Canada s'est constamment opposée à cette opinion lorsqu'elle a dû analyser les droits octroyés aux sociétés par la Charte des droits et libertés, soutenant de façon constante que la société est une entité fictive.

Les genres d'accords commerciaux internationaux qui sont en train d'être négociés sous l'égide de l'OMC et d'autres organisations internationales, comme l'OCDE, accordent d'autres droits à cette entité fictive, y compris l'interdiction de faire de la discrimination dans les investissements, la liberté de mobilité et l'accès à des mécanismes privés de résolution des différends. Aucun de ces droits n'est reconnu aux humains en vertu du droit international. Il est incorrect, imprudent et incompréhensible qu'on accorde de tels droits surhumains à des entités fictives quand on les refuse à des humains. De plus, de par sa structure, l'entreprise est incapable de prendre des décisions responsables lorsque ses activités de production et de commerce affectent les localités et l'environnement où elles s'exercent.

Les entreprises sont incapables de prendre des décisions si complexes et, dans la plupart des cas, elles ne peuvent le faire en raison d'une interdiction. L'entreprise est une institution économique mandatée par la loi pour agir dans l'intérêt unique de ses actionnaires, dans une optique de maximisation des profits.

Je suis désolé, je ne sais plus où je suis rendu.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Avant que vous ne repreniez, je tiens à vous signaler que vous avez pris neuf minutes. Vous ne pourrez pas lire votre document en entier. Pouvez-vous en énoncer seulement les faits saillants?

M. Gil Yaron: Très bien. J'aimerais simplement finir cette partie, parce qu'il s'agit réellement de la partie la plus critique.

La plupart des décisions que nous prenons en tant que particuliers tiennent compte de considérations morales ou éthiques ainsi que des intérêts de la famille et de la collectivité. S'il faut prendre de grandes décisions complexes, un processus décisionnel encore plus perfectionné sera nécessaire. La structure d'entreprise et la théorie économique classique rendent impossible toute prise en considération des effets complexes du commerce mondial. Pourtant, en vertu des accords commerciaux internationaux, les décisions qui ont des ramifications dans le monde entier sont prises compte tenu, uniquement, du principe économique de la maximisation des profits. Les accords de commerce international élaborés sous l'égide de l'OMC font de l'entreprise simple l'institution responsable de ces décisions.

• 1400

Pour ne pas dépasser le temps qui m'est alloué, je ne m'étendrai pas sur mon troisième point. Je vous renvoie simplement aux pages 6, 7 et 8 de mon mémoire.

Je vais donc conclure par mes recommandations. Compte tenu des commentaires qui précèdent, le Citizen's Council on Corporate Issues demande au comité permanent d'enjoindre aux ministres des Affaires étrangères et du commerce international d'appliquer les recommandations suivantes avant de procéder à toute autre consultation au sujet du commerce international: premièrement, adopter et appliquer une définition plus exhaustive et plus détaillée du commerce; deuxièmement, étendre les groupes consultatifs chargés d'examiner les divers aspects des accords de commerce international de façon à inclure les représentants des groupes de citoyens et des organismes non gouvernementaux, plutôt que de créer en parallèle des groupes consultatifs formés de citoyens; troisièmement, insister pour que les citoyens aient un accès au gouvernement qui soit égal ou supérieur à celui des entreprises au moment de la rédaction d'accords de commerce international; et, quatrièmement, insister pour que l'OMC accorde aux citoyens et aux organismes non gouvernementaux un statut égal ou supérieur à celui qu'ont actuellement les entreprises pour ce qui touche les accords de commerce international et les mécanismes de résolution des différends.

L'OMC est marquée par un préjugé découlant de l'institution que sont les entreprises selon lequel le commerce est essentiellement une question économique. Sa structure coupe ce préjugé d'autres secteurs d'intérêt public, par exemple la culture, la société et l'environnement. Le soutien accordé par l'OMC aux accords de commerce international qui considèrent le commerce comme une relation entre entreprises contractantes a pour effet de privilégier les droits des entreprises au détriment des intérêts plus généraux du public. L'OMC encourage l'élaboration d'accords de commerce international qui placent le contrôle décisionnel entre les mains des entreprises, de créatures fictives de la loi qui sont incapables de faire des choix responsables tenant compte des nombreux aspects, économiques ou non, du commerce.

Nous exhortons par conséquent le gouvernement canadien à cesser d'appuyer, comme il le fait actuellement, le développement du commerce international pour garantir la survie de nos institutions démocratiques et la protection des intérêts du grand public. La nature de la relation entre la structure d'entreprise et les accords de commerce international doit être révisée. Le système de commerce international a été établi pour satisfaire l'intérêt des entreprises. Pour changer les accords de commerce international, il faudra repenser l'entreprise.

Merci beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci, monsieur Yaron. Je suis désolée que nous n'ayons pas plus de temps. Certaines de vos recommandations sont très intéressantes. Même si nous n'avons pas le temps aujourd'hui, j'espère que le comité pourra communiquer avec vous si nous avons d'autres questions à vous poser ou que nous souhaitons obtenir des précisions sur vos recommandations. Merci beaucoup.

Monsieur Lovett, vous venez de vous joindre à nous. Vous avez au maximum dix minutes pour faire votre exposé, parce que nous sommes déjà en retard.

M. John Lovett (témoignage à titre personnel): D'accord. Merci d'avoir organisé ces audiences.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci d'être venu.

M. John Lovett: Selon moi, il nous en faut d'autres, bien d'autres.

Je tiens à m'excuser. J'ai eu des retards au moment d'obtenir des exemplaires de mon exposé d'aujourd'hui, mais ils nous parviendront sous peu.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Votre exposé sera intégré au compte rendu public, peu importe si vous nous le lisez maintenant ou que vous nous le remettiez plus tard. Alors vous n'avez pas besoin de vous excuser.

M. John Lovett: D'accord. Merci.

Le sujet dont nous discutons aujourd'hui est fort vaste, et compte tenu des dix minutes qui me sont allouées, j'essaierai de vous parler de quelques petites choses qui sont extérieures à la chose pour donner un aperçu général. Je vais vous parler un peu de diverses histoires et des prédictions qui pourraient être faites.

L'histoire du Canada d'avant la Confédération nous révèle qu'il y a eu un grand mouvement d'annexion, qui a encore cours aujourd'hui et qui a toujours existé dans l'histoire de notre pays. Ce qui a empêché le mouvement d'annexion de modifier notre pays, c'est la Constitution et l'union des conservateurs fédéraux, des conservateurs provinciaux du Québec et du Parti réformiste de l'époque. Ils devaient s'unir pour mettre un terme à ce mouvement d'annexion, qui était dirigé par le Parti libéral de l'époque. Sous le régime de cette constitution, le dollar canadien était, au milieu des années 60, à son point culminant, et le Canada était vraiment le pays le plus riche, plus que ce que les Canadiens aient jamais pensé.

• 1405

Au cours des 35 dernières années, et plus particulièrement ces jours-ci, on assiste à une vive reprise du mouvement d'annexion aux États-Unis, ce que suppose en réalité toute cette affaire de zone de libre-échange des Amériques. Dans l'histoire du GATT, du nouveau GATS et de l'Organisation mondiale du commerce, et aux alentours de 1973, les États-Unis ont délégué quelque 20 représentants commerciaux qui devaient maintenir des relations plus étroites avec le GATT, et ils ont eu la même idée avec le Fonds monétaire international au début de tout cela. Dans les chroniques du Fonds monétaire, les quelques premiers textes proviennent du Royaume-Uni et des États-Unis. Les deux pays ont décidé de travailler ensemble et de le faire rapidement, de sorte qu'ils en seraient les principaux responsables et qu'ils pourraient contrôler le fonds monétaire du monde.

Je vais passer rapidement sur tous ces sujets et me contenter de vous donner une vue d'ensemble.

En vertu de notre Constitution, aucun pouvoir étranger ne peut s'exercer contre un gouvernement du Canada ou les citoyens de notre pays. Il incombe à notre pays de le faire. Et savez-vous ce que j'ai découvert hier soir? En fouillant dans Internet pour trouver quelque chose sur les activités actuelles du Sénat, j'ai constaté qu'il a établi un comité spécial chargé de modifier l'article 93 de notre Constitution. Voilà un point auquel il nous faut faire attention, parce qu'il peut permettre réellement et de façon légale d'outrepasser les frontières du droit canadien. Je sais également que le Sénat examine actuellement la possibilité de faire du dollar américain notre devise.

Je sais que l'une des raisons pour lesquelles l'administration américaine prône la création d'une ZLEA, c'est que les Américains craignent que l'Amérique du Sud ne fasse de la Communauté économique européenne un plus grand partenaire commercial étranger.

Les annexionnistes sont absolument insensibles à cette réalité. Mais nous devons, comme peuple et comme nation, nous rendre compte que l'orientation de toute l'affaire ne tient pas compte des besoins des gens. Les gens n'ont plus aucun rôle, sinon d'être les valets de l'industrie du commerce et de toutes les parties de l'économie qu'elle touche.

Tout me porte à croire fermement que pour se plier aux voeux de l'Organisation mondiale du commerce... Je sais qu'au cours d'un débat au Congrès qu'il a eu avec Ralph Nader, Mickey Kantor a déclaré avec force que les Américains avaient fait preuve de protectionnisme et qu'ils le faisaient encore et qu'ils font tout leur possible pour protéger leurs façons de faire en refusant de respecter le traitement national, le principe de la nation la plus favorisée et le droit d'établissement. Depuis 12 ans au Canada, le droit d'établissement est la forme la plus absolue de dumping; c'est un long travail qui vise à prendre le contrôle de l'économie canadienne et à se l'approprier.

Alors, lorsque nous parlons de faire une intégration économique avec les États-Unis et avec toutes les Amériques, qui participera à cette activité au Canada? Est-ce que ce seront les Canadiens de souche, ceux qui sont arrivés ici en raison du droit d'établissement, qui ne sont pas intéressés à protéger le Canada ou le mode de vie canadien parce qu'ils veulent d'abord et avant tout envoyer nos ressources dans d'autres parties du monde?

Rien de tout cela ne concerne le débat sur la protection contre l'ouverture des marchés au monde. Rien de tout cela ne concerne les barrières commerciales et autre chose du genre. Tout ça concerne la fin de l'État-nation pour le Canada. Et il est évident pour bien des gens et pour moi qu'avec Chrétien et Mulroney... Cela fait 35 ans que nous allons dans la même direction. Avec le contrôle qu'il exerce sur les ministères qui établissent les façons de faire à Ottawa et au Parlement, je ne peux qu'espérer que vous rentrerez chez vous et que vous vous regarderez dans le miroir pour évaluer votre propre perception du patriotisme et voir ce que vous pourriez faire pour ralentir ce processus, parce que la plupart des Canadiens assimilent la ZLEA à l'ALE et qu'ils n'ont aucune idée de ce dont il s'agit. Et il s'est déjà écoulé 12 ans.

• 1410

Je ne sais pas combien de temps il me reste. Je me contenterai de dire que...

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Il vous reste quelques minutes.

M. John Lovett: Eh bien, il y a d'autres choses qui se préparent aux États-Unis—et pour le peuple américain—, je ne suis pas sûr si le ministère des Affaires étrangères devrait s'en préoccuper ou pas. Par exemple, on peut y observer un mouvement... 29 des États ont demandé des modifications constitutionnelles, et ils n'en ont plus besoin que de cinq. Si 34 États demandent une modification constitutionnelle, elle sera faite.

Vaughn Shatzer a rédigé un ouvrage intitulé The Foundational Documents of The New World Order, dans lequel la nouvelle constitution regroupe toutes les Amériques, dans un monde digne de George Orwell, à la limite de l'Apocalypse. Je ne veux pas trop m'aventurer dans les détails, mais c'est ce qui semble miner le moral des Canadiens en général.

Vous en voulez encore? Les Américains contrôlent 60 p. 100 du commerce mondial. C'est très bien comme ça, mais cela n'a rien à voir avec la stabilité des peuples et des États-nations. La différence entre l'Organisation mondiale du commerce et le GATT, c'est que le GATT respectait les nations. Avec le droit d'établissement et le traitement national, l'Organisation mondiale du commerce ne reconnaît pas les États-nations. Tout ce qu'elle reconnaît, c'est le contrôle des ressources et le contrôle des gens qui les exploitent, les amènent sur le marché et les vendent.

Alors je recommanderais de mettre tout ce concept sur les tablettes et de recommencer à recourir à la Banque du Canada pour financer la reconstruction de notre pays. Le Canada devrait se retirer de l'ALENA tandis qu'il est encore temps, parce qu'il y a une expansion de l'ALENA. Nous devrions nous retirer tandis que nous pouvons encore le faire et nous reconstruire en adoptant certaines politiques qui limiteraient le si grand contrôle étranger sur les entreprises, l'économie, les ressources et les industries de service de notre pays. Nous devons rebâtir cela, après quoi nous pourrons réintégrer l'Organisation mondiale du commerce, s'il nous faut le faire, selon nos propres conditions. Cela permettrait énormément d'améliorer les choses.

Une dernière remarque, si vous me le permettez: l'économie d'aujourd'hui va dans une seule direction, celle des banques mondiales. Toutes les ressources monétaires du monde diminuent comme peau de chagrin... on ne peut plus retirer les devises sous forme de profits quand on le veut, et les entreprises du Canada ne peuvent réellement fonctionner aujourd'hui comme des entreprises; elles peuvent fonctionner comme des entreprises qui font davantage de profits pour pouvoir être vendues à profit à la bourse. Et cela ne profite pas aux gens. La plupart des gens n'ont pas d'argent à investir, et si vous n'avez pas d'argent, vous ne pouvez acheter.

Les conditions de l'Organisation mondiale du commerce font en sorte que le Canada ne peut agir comme il le veut. Notre gouvernement n'a pas pour mandat de représenter l'Organisation mondiale du commerce, et c'est pourtant ce qu'il semble vouloir faire, et il semble bloquer n'importe quel—tout ce qui peut ressembler à du «protectionnisme» est interdit.

Pour résumer et pour terminer, je crois que si le Canada veut survivre—et tout le monde ici peut comprendre cela—nous devons nous retirer, reconstruire et revenir s'il le faut.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci, monsieur Lovett. Merci beaucoup de vos comparaisons entre le GATT et l'OMC. Nous avons hâte de lire votre mémoire lorsque vous pourrez nous le fournir.

Merci beaucoup à tous d'être venus.

J'invite les représentants du Business Council of British Columbia à s'avancer à la table des témoins.

• 1414




• 1416

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bon après-midi, messieurs, et bienvenue devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Si je comprends bien, monsieur Lampert, vous êtes président et chef de la direction du Business Council of British Columbia, et vous êtes accompagné de M. Finlayson, vice-président responsable des politiques.

M. Gerry L. Lampert (président et chef de la direction, Business Council of British Columbia): C'est exact.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Très bien. Qui commence?

M. Gerry Lampert: Moi.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Vous avez la parole.

M. Gerry Lampert: Merci. Bon après-midi et bienvenue à Vancouver. En suivant les témoignages précédents, je me disais qu'il est dommage que cette pièce ne soit pas équipée d'une grande baie vitrée car cela vous aurait permis d'apprécier notre magnifique printemps précoce. Je ne vous envie pas de devoir tenir toutes ces audiences à l'intérieur, mais je sais qu'elles sont très importantes.

Comme vous l'avez dit, je suis président du Business Council of British Columbia, et je suis accompagné de Jock Finlayson, vice-président du Conseil, responsable des politiques, et aussi notre économiste en chef. Nous sommes heureux de pouvoir nous adresser à vous aujourd'hui.

Le Business Council of British Columbia est une association qui représente 165 grandes et moyennes entreprises de toute la province. Ces entreprises, qui comprennent la plupart des plus grandes entreprises actives dans la province, représentent tous les secteurs de l'économie et sont à l'origine du quart environ de tous les emplois de la province.

Le Business Council s'intéresse depuis toujours au commerce international et aux questions d'investissement, ainsi qu'aux politiques gouvernementales canadiennes touchant ces domaines. Nous avons appuyé et continuons d'appuyer vigoureusement l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis ainsi que l'Accord de libre-échange nord-américain. Nous appuyons aussi vigoureusement l'action que mène le Canada en matière de diplomatie commerciale multilatérale dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce et de l'Accord général sur les tarifs et le commerce.

Votre comité est saisi de questions importantes concernant la participation et les objectifs du Canada dans le cadre des futures négociations commerciales internationales. Vous devez en effet vous pencher sur l'efficacité de l'OMC, sur la portée et la nature de la prochaine ronde de négociations commerciales, qui doit commencer à l'OMC fin 1999, sur les objectifs et priorités du Canada dans ce contexte, sur les liens existant entre la libéralisation du commerce international et des questions telles que les normes environnementales, les politiques de main-d'oeuvre, les droits sociaux et les droits de la personne, ainsi que sur la possibilité de conclure un accord de libre-échange plus global, pour toutes les Amériques.

Avant d'aborder ces questions importantes, je tiens à faire quelques remarques sur l'importance du commerce international pour notre province.

Les exportations de biens et de services représentent à l'heure actuelle environ 35 p. 100 du produit intérieur brut de la Colombie-Britannique, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne canadienne. Comme les autres provinces, la Colombie-Britannique importe beaucoup et de plus en plus de biens et de services de l'étranger. À certains égards, la province est en fait plus touchée que n'importe quelle autre par l'économie globale et par les règles du commerce international. La raison en est qu'elle dépend relativement moins que les autres des États-Unis, et plus des marchés et capitaux d'outre-mer.

Avant la crise asiatique, 45 p. 100 des exportations de marchandises de la Colombie-Britannique étaient destinées à des marchés extérieurs à l'Amérique du Nord, notamment à des marchés d'Asie, qui représentaient à eux seuls environ 36 p. 100 du total. La province reçoit également des investissements considérables d'outre-mer, en grande partie de l'Asie, mais ces investissements ont diminué ces dernières années. En conséquence, on peut dire que les mécanismes de commerce et d'investissement multilatéraux que représente l'OMC sont particulièrement importants pour la Colombie-Britannique.

• 1420

Suite à la crise asiatique, les exportations autant du Canada que de la Colombie-Britannique vers cette région ont sensiblement diminué. L'an dernier, les États-Unis ont absorbé près de 60 p. 100 des exportations de la province, proportion plus élevée qu'avant la crise asiatique mais encore sensiblement inférieure à la proportion globale du Canada, qui est de 82 p. 100, et à celle de l'Ontario, qui est de 90 p. 100. La croissance rapide de la valeur des exportations de la province vers les États-Unis et du nombre de touristes américains dans notre province a permis à cette dernière d'atténuer la récente récession économique, en tout cas par rapport aux normes historiques.

La Colombie-Britannique a tiré des avantages considérables de l'ouverture du marché américain grâce à l'accord de libre-échange bilatéral et à l'ALENA. Depuis 1990, les exportations de marchandises provinciales vers les États-Unis sont passées de 6,9 milliards de dollars à 16,2 milliards, soit une hausse de 131 p. 100. En outre, ce sont les secteurs des produits manufacturés et des autres produits à valeur ajoutée qui ont enregistré la croissance la plus forte sur le plan de l'exportation. Par exemple, les exportations d'outillage et de biens d'équipement de la province vers les États-Unis ont augmenté de 300 p. 100 depuis le début de cette décennie.

Malgré les difficultés existant en Asie, les perspectives à long terme pour la plupart des économies de cette région sont favorables. Autrement dit, les perspectives de relance économique de cette région augurent bien pour la Colombie-Britannique. En même temps, toutefois, cette situation fait ressortir la nécessité de veiller à ce que les pays asiatiques soient à la fois bien intégrés au système des échanges internationaux et de plus en plus ouverts aux produits, services et capitaux canadiens. Voilà pourquoi il importe que le Canada se prépare bien à la prochaine ronde de négociations de l'OMC et s'efforce dans ce contexte de resserrer ses liens économiques avec les pays d'Asie.

Je vais maintenant donner la parole à Jock Finlayson, qui va vous parler des objectifs du Canada dans les prochaines négociations de l'OMC.

M. Jock Finlayson (vice-président, Politiques, Business Council of British Columbia): Merci. À notre avis, le Canada devrait se fixer quatre ou cinq grandes priorités pour les prochaines négociations de l'OMC, et peut-être aussi pour d'éventuelles négociations visant à élargir l'Accord de libre-échange à toute la zone des Amériques.

Le premier de nos objectifs, qui est absolument primordial, est d'endiguer le protectionnisme américain car c'est le Canada qui en serait la première victime à l'échelle mondiale. Malgré l'ALENA, certaines politiques protectionnistes américaines continuent de menacer les biens et les producteurs canadiens. L'expérience a montré qu'une des méthodes permettant d'endiguer le protectionnisme américain est d'entreprendre une nouvelle ronde de négociations commerciales globales afin d'ouvrir les marchés. Lancer une nouvelle ronde de négociations globales permet en effet de mobiliser les forces politiques et économiques des États-Unis qui sont favorables au libre-échange et qui s'opposent au protectionnisme. Entreprendre des négociations multilatérales peut aussi avoir pour effet de donner des atouts supplémentaires à l'administration américaine par rapport au Congrès en matière de politiques commerciales.

L'affaire du bois d'oeuvre suffit à nous rappeler douloureusement, surtout à nous qui vivons en Colombie-Britannique, les préjudices que peut causer le protectionnisme américain. L'accord bilatéral actuel sur le bois d'oeuvre est un exemple classique de ce que les économistes appellent des échanges administrés. Il met clairement en relief les distorsions économiques qui découlent inévitablement des échanges administrés. Lorsque l'accord actuel de cinq ans arrivera à expiration, le Canada devrait exiger le retour au libre-échange normal en ce qui concerne le bois d'oeuvre, dans le cadre des dispositions de l'ALENA. La Colombie-Britannique pourrait faire sa part pour assurer un résultat positif dans ce domaine en réexaminant attentivement le régime foncier de son industrie forestière.

Le deuxième grand objectif du Canada devrait être de faire baisser les tarifs douaniers à l'étranger et d'améliorer l'accès des biens et services canadiens aux marchés des autres pays. La moyenne des droits de douane de la nation la plus favorisée au sein de l'OCDE a baissé grâce aux précédentes rondes de négociations. Sur les produits manufacturés, elle se situe actuellement à environ 4 p. 100.

Toutefois, un examen plus attentif de la situation montre que les droits de douane des pays industrialisés ont tendance à être plus élevés pour certains groupes de produits qui intéressent particulièrement le Canada, notamment les minerais transformés, les produits forestiers et d'autres denrées de base. Cette escalade tarifaire milite contre l'ajout de valeur aux ressources naturelles au Canada même, avant l'exportation. Il convient de souligner aussi que les tarifs douaniers des pays en développement sont considérablement plus élevés que ceux qu'appliquent le Canada et les autres pays de l'OCDE.

En conséquence, lors de la prochaine ronde de négociations à l'OMC, le Canada devrait arguer en faveur de la baisse continue des droits de douane, tant dans les pays développés que dans les pays en développement. En contrepartie, bien sûr, le Canada devra accepter de baisser ses propres tarifs douaniers, y compris dans des secteurs sensibles tels que l'agriculture, les textiles et l'habillement.

Notre troisième objectif devrait être d'obtenir de nouvelles règles internationales et d'améliorer l'accès aux marchés en ce qui concerne les services. À l'heure actuelle, près du quart des échanges globaux concernent non pas des produits mais des services. Certes, la plupart des services ne font pas encore l'objet d'échanges binationaux, ni même interprovinciaux, mais le nombre de ceux qui se prêtent aux échanges internationaux ne cesse d'augmenter. Parmi les plus importants, mentionnons les services financiers, par exemple de banque et d'assurance, les services professionnels, par exemple de génie, d'architecture et de consultance, les services informatiques, les services de transport et un large éventail de services fondés sur le savoir. De fait, la plupart des catégories qui enregistrent le taux de croissance le plus rapide, du point de vue des échanges mondiaux, concernent des services plutôt que des marchandises.

• 1425

Depuis 1986, les exportations internationales de services du Canada ont augmenté de plus de 100 p. 100, puisqu'elles sont passées de 18 milliards à plus de 41 milliards de dollars par an. Et le même phénomène a été constaté pour nos importations de services. L'an dernier, notre organisation a publié une analyse du commerce international de services du Canada, dans le cadre de sa série régulière de bulletins bimensuels. Nous avons joint le texte de cette analyse à notre mémoire d'aujourd'hui, au cas où les membres du comité voudraient se faire une idée plus précise de ce que nous entendons quand nous parlons de commerce international des services.

Les services représentent l'un des secteurs du commerce mondial qui connaissent le plus fort taux de croissance, et ils offrent des possibilités d'expansion considérables aux entreprises canadiennes. Je m'écarte un instant de mon mémoire pour vous dire que notre organisation, le Business Council of British Columbia, comprend un nombre élevé d'entreprises provinciales de services, comme des firmes de génie, d'architecture, de services professionnels et de transport. Or, ces entreprises réalisent une partie importante de leur chiffre d'affaires en vendant des services à l'étranger. Il s'agit là d'un secteur en pleine croissance.

À l'heure actuelle, le commerce international des services est régi par l'Organisation mondiale du commerce dans le cadre de son entente subsidiaire, l'Accord général sur le commerce des services, ou GATS. Toutefois, les membres de l'OMC n'ont pris jusqu'à présent que des engagements modestes en matière d'amélioration de l'accès à leurs marchés intérieurs. Pour la prochaine ronde de négociations, nous croyons que le Canada devrait se fixer pour objectif de faire avancer le processus de libéralisation multilatérale dans le secteur des services. Cela exigera en contrepartie que le Canada fasse plus pour ouvrir ses propres marchés aux fournisseurs étrangers de services.

La quatrième priorité devrait être l'investissement international. La part canadienne de l'investissement direct global a baissé au cours de la dernière décennie, notamment parce que les réformes économiques engagés par maints pays en développement ont rendu ces derniers plus attrayants pour les investisseurs étrangers. Cela dit, l'investissement étranger reste une source importante de capital, de technologie et d'innovation pour le Canada. En outre, un nombre croissant d'entreprises et de particuliers canadiens investissent à l'étranger pour diversifier leurs portefeuilles et pour tirer parti d'opportunités économiques attrayantes ailleurs.

Il importe de souligner que le Canada profite des flux d'investissement directs à la fois vers l'extérieur et vers l'intérieur. Nous avons donc clairement intérêt à ce qu'il existe des politiques et des règles nationales claires en matière de traitement de l'investissement étranger par les gouvernements nationaux. À notre avis, le Canada devrait essayer d'obtenir un accord multilatéral de large portée sur l'investissement, en se fondant sur l'accord actuel de l'OMC concernant les mesures d'investissement reliées au commerce. Le principe fondamental d'un tel accord serait celui du traitement national, c'est-à-dire l'interdiction pour les gouvernements d'adopter des lois, règlements et politiques discriminatoires à l'égard des investisseurs étrangers. Toutefois, certaines exceptions ou exclusions appropriées à la règle du traitement national pourraient être élaborées dans le cadre du processus de négociation.

Pour être efficace, un nouvel accord global sur l'investissement doit englober les grands pays en développement car ce sont eux qui sont à l'origine de la plupart des conflits en la matière. J'ajoute entre parenthèses que cela fut l'une des faiblesses de l'ex-AMI. La plupart des pays en développement ne voulaient pas faire partie de cet accord notamment parce que c'est à l'OCDE qu'on avait tenté de le négocier. Nous pensons qu'il serait largement préférable de reprendre cette négociation dans le cadre de l'OMC.

Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur l'environnement, la main-d'oeuvre et les droits de la personne. L'histoire prouve de manière convaincante que des marchés plus ouverts et une expansion soutenue du commerce international et de l'investissement sont des sources puissantes d'expansion économique et de hausse du niveau de vie. On a donc tort, à notre avis, de relier la libéralisation du commerce et de l'investissement à une baisse des normes relatives à l'environnement, à la main-d'oeuvre ou aux droits de la personne. En fait, le développement économique est une condition indispensable de la hausse du niveau de vie, ce qui englobe l'amélioration de la qualité de notre structure sociale. Comme le commerce et l'investissement ont en général tendance à favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie, ce sont aussi des phénomènes positifs pour les normes de travail et la protection de l'environnement. Il vaut la peine de souligner que les pays les plus intégrés à l'économie mondiale ont tendance à avoir des revenus réels plus élevés, ainsi que des normes plus élevées en matière de protection de l'environnement, de main-d'oeuvre et de services sociaux que les pays qui sont encore en dehors de l'économie mondiale ou qui ne participent que de manière limitée aux échanges internationaux.

C'est au sein d'organismes internationaux ayant un mandat clair et explicite qu'il est préférable d'élaborer des normes communes dans des secteurs tels que le travail, l'environnement et les droits de la personne. Les accords internationaux sur le commerce et sur l'investissement ne sont pas les meilleurs véhicules pour traiter de ces questions. Cela dit, nous convenons que l'environnement et la main-d'oeuvre, en particulier, occuperont probablement une place importante dans la prochaine ronde de négociations de l'OMC, étant donné les positions adoptées par le gouvernement des États-Unis et par un certain nombre de pays de l'OCDE.

• 1430

Finalement, pour ce qui est de la zone de libre-échange des Amériques, il s'agit là à notre avis d'un objectif moins prioritaire pour le Canada qu'assurer le succès de la prochaine ronde de l'OMC. Il n'en reste pas moins que le Canada participe aux efforts destinés à négocier un accord commercial de plus large portée pour l'hémisphère occidental, processus qui a avancé d'un cran en avril dernier lorsque 34 pays sont convenus d'essayer de conclure une ZLEA d'ici à l'an 2005.

De manière générale, le Business Council of B.C. estime que les priorités du Canada en matière de négociation d'une éventuelle ZLEA devraient correspondre étroitement à celles que je viens d'exposer pour la prochaine ronde de l'OMC. Nous croyons aussi que les dispositions d'un futur accord devraient être compatibles avec les principales règles qui fondent l'OMC. Autrement dit, nous ne voulons pas d'un accord de libre-échange des Amériques qui comprendrait des règles et principes foncièrement différents de ceux que l'on trouve au palier multilatéral dans le cadre de l'OMC.

Cela dit, nous pensons que l'évolution vers une ZLEA est fortement tributaire du gouvernement américain et que le progrès est loin d'être assuré. Il n'est pas du tout évident qu'il existe à l'heure actuelle un mouvement suffisant au sein du Congrès des États-Unis pour permettre à l'administration américaine d'entreprendre des négociations sérieuses sur une ZLEA. Le Congrès semble plus intéressé par la prochaine ronde de l'OMC, étant donné que celle-ci impliquerait l'Europe, le Japon et d'autres pays asiatiques clés qui sont des partenaires commerciaux très importants des États-Unis.

Pour ce qui est du Canada, les préparatifs concernant une future ronde de l'OMC constitueront probablement la fondation d'une stratégie cohérente vers la ZLEA.

En conclusion, madame la présidente, nous pensons que le Canada devrait jouer un rôle de chef de file en matière de libéralisation multilatérale des échanges et de l'investissement, à la fois dans le cadre de l'OMC et dans le cadre d'arrangements régionaux. Dans l'ensemble, nous estimons que tout progrès réalisé en la matière correspondra aux intérêts bien compris du Canada. Sur le plan national, cette orientation stratégique devrait s'accompagner de consultations étroites entre le gouvernement fédéral, les provinces, les milieux d'affaires, les syndicats et les autres parties prenantes, afin que les priorités de négociation du Canada recueillent un large assentiment au sein de la population.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Finlayson.

Y a-t-il des questions? Monsieur Stinson?

M. Darrel Stinson: Je donne mon tour à M. Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je vais prendre son temps plus le mien, d'accord? C'est une blague.

Bonjour, messieurs. J'aimerais vous poser quelques questions. Nous avons entendu de nombreux groupes qui sont en faveur du libre échange, tandis que d'autres s'y opposent. Ces derniers disent que le libre-échange est la cause de l'augmentation du chômage, des problèmes environnementaux et de la dégradation de nos étudiants dans nos écoles. Vos arguments me chicotent un peu parce qu'ils ne réussissent pas à me convaincre.

Certains groupes ont témoigné des avantages du libre-échange, qui semble nous amener vers un monde idéal, vers le nirvana de la complaisance humaine. Vous représentez des entreprises importantes, et je me pose des questions au sujet d'un paragraphe qui figure dans votre rapport et qui ne me convainc toujours pas. Au cours des audiences de ces deux derniers jours, je ne crois pas avoir indiqué si j'étais pour ou contre. Nous sommes ici pour vous écouter, mais nous voulons aussi que vous sachiez nous convaincre.

Lorsque vous parliez d'environnement et de droits humains, vous disiez que l'histoire nous avait montré à plusieurs reprises que les marchés ouverts améliorent la qualité de vie des individus. Je ne voudrais pas vous manquer de respect et j'essaierai de faire preuve de prudence dans mes propos, mais cette affirmation me semble sans fondement. J'aimerais que vous puissiez étayer cette affirmation et, si vous ne pouvez le faire tout de suite, j'apprécierais, compte tenu de la multitudes de services et de possibilités dont vous bénéficiez en tant que représentant du Business Council of British Columbia, que nous fassiez parvenir de plus amples renseignements.

Après avoir pris connaissance des chiffres et écouté les témoignages que nous avons entendus jusqu'ici, j'ai davantage été convaincu de ce que la mondialisation a créé un écart grandissant entre les riches et les pauvres, que les riches s'enrichissent tandis que les pauvres s'appauvrissent, et que la classe moyenne s'amenuise.

Dans certains pays membres de l'OMC, les conditions environnementales, tout comme les conditions de vie et de travail, se détériorent de façon épouvantable. Cette affirmation de la part d'un groupe sérieux comme le vôtre me chicote. Enfin, c'est mon premier constat. Il arrive parfois qu'une toute petite phrase porte atteinte à la valeur du reste d'un document très important.

Mon deuxième commentaire s'inscrit dans un tout autre ordre d'idées. Monsieur Lampert, au début de votre intervention, vous avez affirmé que le commerce extérieur de la Colombie-Britannique, surtout avec les États-Unis, avait beaucoup augmenté. Selon vous qui représentez le Business Council of British Columbia, est-il plus facile de faire du commerce entre pays souverains qu'entre les provinces canadiennes?

• 1435

Des voix: Ah, ah!

[Traduction]

M. Darrel Stinson: C'est une bonne question.

M. Jock Finlayson: Je vous remercie de cette question. Je regrette de ne pas vous avoir totalement convaincu.

Soyez certain qu'il existe beaucoup d'études d'économistes et d'autres experts confirmant l'existence d'un lien entre le niveau de vie et la libéralisation des échanges et de l'investissement dans l'économie globale. Je serais très heureux d'en dénicher quelques-unes et de vous envoyer les références.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): En fait, monsieur Finlayson, pourriez-vous faire ça parce que je dois...

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je suis sûr que de très nombreux économistes ont fait de telles études, mais celle qu'a faite Maude Barlow indique autre chose. Il existe deux extrêmes. Le Brésil et le Mexique n'étaient-ils pas membres de l'OMC lorsque la valeur de leurs devises a chuté? Il ne faut pas se prêter à des allusions trop fortes. Depuis qu'ils sont devenus membres de l'OMC, est-ce que le PIB de ces deux pays s'est amélioré? Je sais qu'il existe des groupes de droite et que vous pouvez me fournir des statistiques, mais d'autres statistiques pourraient me révéler autre chose puisqu'on peut les interpréter à sa façon et à ses propres fins. Les chiffres sont neutres mais, soit dit en passant, certains sont davantage neutres.

Votre affirmation m'étonne. Si vous aviez entièrement raison, on n'aurait qu'à regarder l'augmentation du commerce international et on pourrait en conclure qu'il ne subsiste aucun problème dans le monde. Non?

[Traduction]

M. Jock Finlayson: C'est une bonne question. La relation entre l'ouverture des marchés et le niveau de vie—j'utilise le revenu par habitant comme succédané du niveau de vie—est une chose qui évolue à long terme. Ce n'est pas une corrélation que l'on peut vérifier pendant une seule année ou une période relativement courte. Évidemment, un phénomène comme la crise asiatique, qui a profondément déstabilisé l'économie mondiale et dont l'origine réside non pas dans les échanges commerciaux mais plutôt dans les flux financiers non réglementés et dans d'autres facteurs de distorsion, peut faire dérailler le progrès économique de n'importe quel pays, que ce soit l'Indonésie ou le Brésil, et qu'il y ait ou non du libre-échange ou des échanges ouverts. Ce n'est donc pas une panacée qui permet de résoudre tous les problèmes.

Il existe cependant une forte corrélation à long terme entre la participation aux échanges commerciaux avec les autres pays, d'une part, et la hausse du niveau de vie et du revenu par habitant, d'autre part. Après tout, c'est précisément pour ça que les pays ont été créés. C'est pour que les différentes régions d'une même nation, qu'il s'agisse de 10 provinces au Canada ou de 50 États aux États-Unis, puissent avoir des frontières ouvertes les unes avec les autres, ou au moins relativement ouvertes, afin de multiplier leurs échanges.

Pourquoi les nations font-elles ça? Parce que c'est une manière sûre d'accroître le niveau de vie, les revenus réels et la gamme des biens et de services offerts au consommateur à plus bas prix. C'est le même principe que nous utilisons dans un pays comme le Canada pour essayer d'abolir le plus possible les obstacles au commerce entre les provinces.

Je serai très heureux d'envoyer au comité quelques références d'études rédigées en anglais accessible, et non pas technique, qui expliquent ce phénomène de manière plus détaillée.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Pourriez-vous répondre à ma deuxième question?

[Traduction]

M. Gerry Lampert: En ce qui concerne votre deuxième question, les chiffres que nous avons utilisés dans notre exposé sont des chiffres externes. Pour ce qui est des échanges internes, cependant, notre Conseil s'est joint à d'autres associations d'entreprises de la province pour tenter de convaincre le gouvernement provincial de s'engager dans un processus d'ouverture des échanges ou de réduction de certains obstacles interprovinciaux. Je sais que nous avons encore beaucoup à faire avant d'arriver au libre-échange interprovincial complet mais je pense que les choses se sont quand même un peu améliorées ces derniers temps. Il ne fait aucun doute pour nous que, plus nous aurons la possibilité de faire des échanges interprovinciaux, plus ce sera bénéfique à la Colombie-Britannique, sur tous les plans.

• 1440

M. Jock Finlayson: J'ajoute que, sur le plan intérieur, l'Alberta est notre premier partenaire commercial, l'Ontario le deuxième et le Québec le troisième, du point de vue de la valeur des importations et des exportations. Or, les exportations totales vers les autres provinces représentent environ 20 p. 100 de notre PIB, soit moins que nos échanges internationaux.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Merci.

Nous avons déjà entendu aujourd'hui plusieurs groupes de témoins et rares sont ceux qui ne penchent pas clairement dans un sens ou dans l'autre. Il y en a qui sont pour le libre-échange à tout prix, alors que d'autres s'y opposent tout aussi vigoureusement. Je veux donc vous poser quelques questions.

Que répondez-vous à ceux qui disent que la perte de souveraineté serait un prix trop élevé pour les Canadiens? Quand le gouvernement fédéral adopte une loi pour interdire le MMT, trouvez-vous normal qu'une société américaine puisse intenter des poursuites contre le gouvernement et réussisse à nous faire abroger une loi que nous avions adoptée pour la santé de notre population? Cela vous cause-t-il un problème quelconque?

Je me suis laissée dire que la pauvreté augmente au Mexique. Croyez-vous que nous devrions viser le libre-échange des marchés financiers ou que nous devrions plutôt exclure ce secteur ou imposer une taxe spéciale pour endiguer le problème?

Considérez-vous que le gouvernement... D'aucuns souhaitent que nous fassions des études pour voir si les Canadiens sont vraiment plus prospères aujourd'hui qu'avant l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange. Que pensez-vous d'une telle proposition?

M. Jock Finlayson: Ce sont des questions intéressantes. Je vais commencer par la dernière.

Comme je suis économiste, c'est sous l'angle économique que j'examine le monde. Je ne saurais parler pour les autres...

Mme Colleen Beaumier: C'étaient aussi des économistes.

M. Jock Finlayson: Le facteur fondamental du niveau de vie de n'importe quel pays ou de n'importe quelle province, à long terme, est en fait le niveau de productivité, c'est-à-dire le niveau de production obtenu avec une quantité donnée d'intrants tels que la main-d'oeuvre, le capital ou n'importe quoi d'autre. C'est le principal déterminant du niveau de vie. On peut donc analyser l'incidence des échanges commerciaux sur ce facteur.

Quand nous commerçons avec les autres, nous ouvrons notre marché. Supposons que nous ne fassions de commerce avec personne. Supposons que notre province, la Colombie-Britannique, vive complètement en autarcie—ce qui conviendrait d'ailleurs parfaitement à certaines personnes—c'est-à-dire que nous ne faisions d'échanges qu'à l'intérieur de notre marché provincial, en restant complètement imperméable à tout échange de biens, de services et de capitaux avec le reste du Canada ou le reste du monde. Nous aurions alors un marché beaucoup plus limité pour écouler nos produits et nous ne tirerions aucun profit de l'importation de biens et de services venant d'ailleurs. Ce n'est pas la situation actuelle. Nous avons décidé de ne pas agir ainsi, tout comme le Canada.

Il y a une raison à cela. La raison est que l'ouverture aux autres marchés nous garantit plus de prospérité à long terme. Si ça ne vous plaît pas, vous pouvez faire comme la Corée du Nord ou d'autres pays qui sont complètement autarciques, c'est-à-dire qui ne font absolument aucun commerce avec le reste du monde.

Mme Colleen Beaumier: Certes, mais personne ne conteste que les échanges aient augmenté. La question que l'on pose est de savoir à qui cela a profité. Quand vous dites que l'augmentation des échanges est le critère du succès économique, comment tenez-vous compte de l'augmentation du nombre de sans-abri? En tenez-vous d'ailleurs compte?

M. Jock Finlayson: Les années 90 ont été pour le Canada la période non seulement de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, puis de l'ALENA et enfin de l'OMC, ratifié en 1994, mais aussi d'un processus pénible de restructuration et d'un recul marqué des dépenses gouvernementales, aux niveaux tant fédéral que provincial, recul qui est en grande mesure terminé pour ce qui est du gouvernement fédéral.

Cette période a aussi été caractérisée par la mise en oeuvre par la Banque du Canada d'une nouvelle politique monétaire, sous l'égide du précédent gouverneur qui avait décidé de ramener le taux d'inflation à près de 0 p. 100. Je vivais à Ottawa à l'époque et je me souviens que ce fut un processus pénible pendant plusieurs années.

Il y a donc eu bien d'autres choses que des accords commerciaux qui se sont passées au Canada pendant les 10 dernières années. En fait, ces autres choses ont probablement eu une incidence plus profonde sur notre économie que l'élimination des tarifs douaniers dans le cadre du libre-échange. Il est donc erroné, à notre avis, d'attribuer ce qui est arrivé à notre économie au seul libre-échange. Cela ne me paraît pas raisonnable.

• 1445

Mme Colleen Beaumier: Personne n'essaie de tout imputer au libre-échange. Seriez-vous contre l'idée d'étudier cette question en profondeur?

M. Jock Finlayson: Non. Je n'ai aucune difficulté avec ça. Bien que je n'aie pas de chiffres précis en tête, je peux vous dire que notre province a enregistré une hausse de 120 p. 100 de ses exportations vers les États-Unis, et de 80 p. 100 de ses importations, depuis l'entrée en vigueur du libre-échange.

À l'heure actuelle, les secteurs industriels de la province qui se portent le mieux sont les industries manufacturières ou les industries à valeur ajoutée qui peuvent vendre sur le marché américain car elles bénéficient du libre accès à ce marché et d'un avantage de change. Voilà ce qui a permis à l'économie de la Colombie-Britannique de s'en tirer relativement bien ces dernières années.

Cela dit, le libre-échange produit aussi des perdants dans certains secteurs industriels. Tout le monde en convient. Ceux qui sont pénalisés par la libéralisation des échanges commerciaux ont le droit de s'attendre à une certaine aide, à certaines politiques de soutien, et cela constitue un volet important de toute analyse en profondeur du libre-échange.

Vous avez parlé des flux financiers et c'est une question importante. Les économistes débattent actuellement de la question de savoir si le système financier actuel, caractérisé par des flux de capitaux globaux sans réglementation, a un effet extrêmement déstabilisateur sur le commerce, entre autres choses, étant donné que des quantités énormes d'argent circulent d'un bout à l'autre de la planète, ce qui a souvent pour effet de déstabiliser les taux de change et les taux d'intérêt. D'aucuns appuient des propositions comme la taxe Tobin, qui viserait à ralentir ce processus en imposant une toute petite taxe sur les transactions financières.

À mon avis, toutes ces choses méritent d'être débattues. Aucune n'invalide cependant en soi l'idée que la libéralisation des échanges de biens et de services soit bénéfique. Il y a cependant des choses qui méritent d'être débattues car l'expérience de l'an dernier, et surtout la crise asiatique d'il y a un an et demi, permet de penser que la circulation planétaire déréglementée de capitaux à court terme peut causer des problèmes très sérieux, surtout dans les pays en développement qui n'ont pas de systèmes financiers bien étoffés ni de bons systèmes de réglementation et de prudence.

Je préfère toutefois ne pas mélanger ce débat avec celui concernant la question de savoir si l'on veut une autre ronde de l'OMC. L'OMC ne s'occupe pas de politique monétaire ni de réglementation des flux financiers. Cela se fait ailleurs. Évidemment, nous sommes bien prêts à répondre à ce type de questions et je pense que c'est quelque chose que nous et tous les pays de l'OCDE devrions examiner.

Mme Colleen Beaumier: Ce qui m'embête le plus, sur un plan très personnel, c'est que j'ai voté en faveur d'un projet de loi interdisant ce que je pensais être un produit dangereux pour les Canadiens, et que c'est une société américaine qui a gagné cette bataille. Que répondez-vous à cela?

M. Jock Finlayson: Le problème dans ce cas—bien que je n'en connaisse pas tous les détails—est que chaque pays devrait pouvoir fixer ses propres normes environnementales, à condition de ne pas en faire une barrière commerciale déguisée. Si nous voulions réglementer la teneur en carbone de tout combustible fossile au Canada, ou si n'importe quel autre pays de l'OCDE voulait le faire, rien ne nous en empêcherait. Par contre, nous ne pourrions pas le faire, et nous ne devrions pas le faire, si l'objectif réél était en fait d'entraver les importations au profit de la production nationale. Voilà la question fondamentale du traitement national. Il ne s'agit pas de savoir si nous avons ou non le droit de fixer des normes dans notre pays mais plutôt de ne pas les concocter dans le but de faire de la discrimination à l'égard des importations.

Il existe au Canada des milliers de lois, fédérales et provinciales, régissant toutes sortes d'activités commerciales, l'émission de substances polluantes et des milliers d'autres choses, et elles ne sont pas contestées. La raison en est qu'elles n'ont pas été conçues pour traiter de manière discriminatoire les marchandises étrangères ou les investisseurs étrangers par rapport aux marchandises canadiennes ou aux investisseurs canadiens. Et tant que nous respecterons ce principe de non-discrimination, nos gouvernements auront à mon avis toute liberté pour réglementer comme bon leur semble.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous allons malheureusement devoir mettre fin à cette partie de la session. Merci beaucoup d'être venus, et merci aussi de votre mémoire et du document complémentaire. Si vous pouvez nous envoyer les informations demandées par M. Sauvageau, nous vous en serons très reconnaissants, monsieur Finlayson. Merci beaucoup.

• 1450

J'invite maintenant les témoins suivants, du Cascadia Institute, du Discovery Institute et du Pacific Corridor Enterprise Council.

Bon après-midi. J'essaie de ne pas prendre de retard dans nos travaux parce que notre horaire est plus serré qu'hier puisque nous devons prendre un vol pour Edmonton à 5 h 30.

Monsieur Harcourt, c'est vous qui allez ouvrir cette partie de la séance, au nom du Cascadia Institute.

M. Mike Harcourt (porte-parole, Cascadia Institute): Merci beaucoup, madame la présidente. Je tiens à vous souhaiter la bienvenue à Vancouver par cette belle journée ensoleillée qui, je l'espère, deviendra typique.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

[Traduction]

M. Mike Harcourt: Je voudrais vous présenter brièvement le B.C.-Washington Corridor Task Force, dont je suis le coprésident avec un homologue de l'État de Washington. J'inviterai ensuite mes collègues à décrire très brièvement nos activités, qui nous semblent être un excellent modèle pour d'autres corridors très actifs de croissance et de commerce le long de cette célèbre et énorme frontière non défendue qui existe entre nos deux pays.

J'aimerais tout d'abord attirer votre attention sur les brefs documents que nous avons envoyés à Christine pour préciser ce qu'est le B.C.-Washington Corridor Task Force et décrire certaines de nos activités. Pour ma part, je ferai un bref historique de l'organisme, en exposant les raisons pour lesquelles le premier ministre Clark et le gouverneur Locke, de l'État de Washington, ont décidé de le créer. J'aimerais ensuite que mon collègue, Alan Artibise, expose brièvement certaines des activités qui nous semblent les plus pertinentes pour le Canada et les États-Unis.

Nous sommes accompagnés de deux amis de l'État de Washington, soit Bruce Agnew, du Discovery Institute, et Jim Miller, directeur du Whatcom County Council of Governments.

Comme vous avez un avion à prendre à 5 h 30 pour vous rendre dans ma ville natale, Edmonton, je vais commencer tout de suite mon exposé. Ensuite, nous entendrons Peter Fraser et certains des représentants de PACE, ainsi que John Winter, qui décrira certaines des activités visant à faciliter la circulation et les échanges commerciaux entre nos régions.

Depuis environ une décennie, diverses parties se penchent attentivement sur l'énorme relation qui existe entre l'État de Washington et la Colombie-Britannique, en particulier, et qui s'étend jusqu'à l'Oregon, par ce que nous appelons l'autoroute de la Cascadie, qui emprunte les routes I-5 et 99. La Table ronde de la Colombie-Britannique sur l'environnement et l'économie avait jeté les bases de ce concept dans un rapport de 1993. Alan Artibise, professeur principal à l'École de planification régionale et communautaire de l'Université de la Colombie-Britannique et membre du groupe de planification cascadien, ainsi qu'associé du Cascadia Institute, a fait beaucoup pour décrire cette entité qu'est la Cascadie et pour formuler des recommandations.

• 1455

Le but de notre Groupe de travail est d'examiner les grands défis qui se posent en matière d'engorgement à la frontière, de circulation des marchandises et des gens, et de phénomènes frontaliers entre la Colombie-Britannique et l'État de Washington du fait d'une énorme croissance de la démographie et du commerce. J'aimerais dire que nous ne sommes pas ici pour débattre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, de l'expansion du libre-échange dans les Amériques ou de la libéralisation des échanges. Nous sommes ici pour parler des conséquences de la croissance du point de vue de l'engorgement du trafic, de la circulation des marchandises, etc. Devrions-nous construire plus d'autoroutes ou plus de trains rapides? Comment réagir à la croissance dans nos zones touristiques? Comment faire face à la croissance de la région Seattle-Vancouver-Victoria, c'est-à-dire du Georgia Basin et de la région de Puget Sound, qui passera de 6 millions d'habitants aujourd'hui à 10 ou 12 millions au cours des 30 à 40 prochaines années, alors que nous parlons d'une région géographiquement très complexe, comprenant des montagnes, la mer au milieu, d'énormes deltas fluviaux comme celui du Fraser, et des terres agricoles très, très riches adjacentes à des secteurs en voie d'urbanisation. C'est une région très, très difficile pour planifier ce type de croissance, sans compter que les problèmes sont compliqués par l'existence d'une frontière internationale et plus de 200 juridictions différentes.

Voilà donc le genre de problèmes auxquels nous essayons de nous attaquer. Le gouverneur et le premier ministre nous ont confié ce mandat et nous collaborons étroitement avec des ministères fédéraux, par exemple des Transports, des Douanes et de l'Environnement, pour analyser ces questions frontalières—par exemple, aménager des équipements frontaliers communs et coopérer pour les utiliser. Nous nous occupons aussi de ce qu'on appelle l'article 110, qui pourrait limiter sérieusement la libre circulation des Canadiens de part et d'autre de la frontière, notre objectif étant d'obtenir l'abrogation de cette disposition avant qu'elle n'entre en vigueur.

Nous nous penchons sur des problèmes de transport, comme l'amélioration d'Amtrak sous TEA-21, qui est un programme américain d'infrastructure de transport. Il existe un mécanisme de financement de l'infrastructure de transport jusqu'à 60 milles au-delà de la frontière, selon un principe de partage des coûts pour l'aménagement de couloirs et d'équipement de transport communs—ce qui constitue un avantage considérable. Cela exigera toutefois des ressources réciproques. Nous examinons la possibilité de créer un train rapide, de 200 kilomètres heure, de Eugene et Portland, en Oregon, jusqu'à Seattle puis Vancouver, au lieu de construire une autre autoroute.

Le camionnage a beaucoup augmenté. Nous allons vous remettre un document qui montre que le camionnage vers les États-Unis enregistré par les douanes américaines a augmenté de 120 p. 100 au cour de la dernière décennie—et de 86 p. 100 depuis l'adoption de l'ALENA. Cela constitue une augmentation de volume considérable. Nous réfléchissons à des systèmes de transport intelligents des deux côtés de la frontière pour faire face à cette croissance.

Pour ce qui est du tourisme, notre région—le Washington, l'Oregon et la Columbie-Britannique—devient de plus en plus populaire et l'on envisage donc un programme de marketing touristique basé sur des vacances binationales. Certains de nos amis autochtones diraient que nous avons tout faux étant donné que nous devrions en fait parler de vacances trinationales puisque le bassin du détroit de Georgia et de Puget Sound est en fait la mer de Salish, ce qui veut dire que nous devrions inclure les Autochtones dans nos activités. En fait, nous sommes tout à fait favorables à cette idée et nous collaborons déjà avec la communauté autochtone dans ce contexte. J'ajoute que nous devons planifier tout cela en tenant compte de l'octroi probable des Jeux olympiques d'hiver de 2010 à Vancouver et Whistler, ce qui aggravera les problèmes d'engorgement et de transport.

Notre quatrième préoccupation est la croissance. J'ai signé quatre protocoles avec des gouverneurs américains pour traiter de problèmes de croissance, d'environnement, de transport, d'économie et de commerce, et nous essayons de bâtir sur cette base. En fait, du 27 au 29 août, un certain nombre d'experts, de leaders politiques, d'ONG et de chefs autochtones se réuniront pour débattre de cette question de croissance. La question est de savoir comment maintenir une qualité de vie élevée dans l'une des régions du monde les plus difficiles sur le plan géographique, dont la population va doubler.

• 1500

Voilà donc certaines questions qui nous préoccupent. Pour vous donner un peu plus de détails sur les possibilités de collaboration transfrontalière, je vais donner la parole à mes collègues, en commençant par Alan Artibise.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

M. Alan Artibise (porte-parole, Cascadia Institute): Merci, Mike.

Bon après-midi, mesdames et messieurs. Je tenterai d'être bref.

Je pense qu'il pourrait être utile d'établir un peu le contexte. Je suis né et j'ai passé ma jeunesse au Manitoba mais je vis maintenant sur la côte Ouest depuis de nombreuses années. Comme beaucoup de gens de l'Ouest, j'ai toujours eu des problèmes avec le centre du Canada. Avant que vous ne me posiez la question, je pense qu'il est important d'indiquer pourquoi nous faisons ce que nous faisons dans la région de la Cascadie.

Chaque fois que je participe à une entrevue nationale, que ce soit à la télévision, à la radio ou pour la presse écrite, on me demande si je participe à une forme nouvelle de séparatisme de la côte Ouest. Je refuse généralement de m'engager dans ce genre de débat car la question pour nous n'est pas de savoir si nous allons coopérer avec nos voisins du Sud mais seulement de savoir comment. Comme le disait l'ancien chef du Crédit social Robert Thompson, «les Américains sont nos meilleurs amis, que ça nous plaise ou non». C'est très vrai.

Le fait est que si nous ne coopérons pas avec nos voisins du Sud, si nous n'harmonisons pas nos activités et ne travaillons pas ensemble, nous ne pourrons pas obtenir la qualité de vie, le type d'environnement et le type d'économie que nous voudrions, pour la Colombie-Britannique, afin d'avoir une province forte contribuant à un Canada fort. À mon sens, nous n'avons tout simplement pas le choix. La question est uniquement de savoir si nous allons coopérer ou non.

Les nouvelles unités économiques du monde contemporain—et mon domaine est le développement régional—sont ce que nous appelons les régions urbaines, ce qu'est la Cascadie. Nous fonctionnons ensemble même si nous avons deux gouvernements nationaux, plusieurs gouvernements d'État et de province et, littéralement, des milliers de gouvernements locaux et régionaux. Malgré tout cela, nous sommes une seule entité globale. L'air, l'eau et, de plus en plus, le commerce et le capital sont de moins en moins limités par les frontières politiques.

Harmoniser notre action dans les secteurs que vient de décrire Mike Harcourt nous semble donc essentiel pour améliorer la vie de nos concitoyens. Ce processus a commencé malgré la réticence initiale des gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique. Cela fait maintenant 10 ans que nous nous occupons de ces questions. Vous entendrez plus tard des représentants de PACE, l'une des premières organisations qui se soient intéressées à cette question. Vous avez peut-être aussi déjà entendu parler de la Pacific Northwest Economic Region, mais il y a aussi le Cascadian Metropolitan Council, le Cascadian Mayors Council, le Sustainable Communities Network, le Groupe de travail sur le commerce et le transport, etc.

Toutes ces choses-là sont arrivées malgré la réticence initiale des gouvernements supérieurs. Je dois dire toutefois que nous avons été extrêmement encouragés par trois textes législatifs importants qui ont été adoptés au cours des 10 dernières années: l'accord des Ciels ouverts, l'accord sur la frontière partagée et, bien sûr, l'ALENA.

Voilà donc le contexte dans lequel nous oeuvrons. Notre but n'est rien de moins que de devenir littéralement un modèle, sur le plan global, pour une forme de coopération transfrontalière basée sur le respect de la souveraineté et de la culture mais aussi sur l'idée que la coopération permet de faire beaucoup plus que l'action individuelle. C'est dans cet esprit que nous avons forgé les liens personnels qui font que des dizaines de millions de gens traversent la frontière chaque jour.

Nous demandons à votre comité et au Parlement du Canada de bien comprendre la nécessité d'adopter des politiques plus focalisées au sujet de la frontière. Je suis frappé, tout comme vous l'êtes certainement, en tant que comité international voyageant en Europe, par le fait que, si l'Europe peut survivre et s'épanouir sans frontières, être obligé d'attendre deux ou trois heures dans une file d'attente à notre frontière est tout à fait aberrant.

Je ne veux pas dire que nous devrions éliminer la frontière demain matin, ni même que nous devions jamais l'éliminer. Nous devons par contre avancer vers une description et une compréhension différentes de cette frontière, c'est-à-dire de ce que nous essayons de protéger et des choses complètement inutiles auxquelles nous consacrons beaucoup d'énergie et d'argent. Au palier national, et malgré l'accord sur la frontière partagée, je ne pense pas que nous ayons encore vraiment focalisé notre attention comme il le faut sur cette question et sur le genre d'avantages que l'on pourrait tirer d'une réflexion radicalement différente à cet égard. Voilà pourquoi ce que nous faisons ici doit être envisagé dans un contexte résolument global.

• 1505

Notre slogan, en Cascadie, est que nous devons coopérer régionalement pour faire concurrence internationalement, étant donné que notre concurrence, dans cette région, ne vient pas du port de Seattle mais du port de Singapour et d'autres ports mondiaux. Or, c'est seulement en coopérant, c'est-à-dire non pas en construisant des infrastructures inutiles mais en partageant des infrastructures, que nous pourrons nous épanouir comme commencent à le faire bon nombre de régions transfrontalières en Europe. Nous avons parfois tendance à être arrogants, en Amérique du Nord, car nous nous imaginons que l'Europe n'a rien à nous apprendre. Dans le domaine qui nous intéresse, ce serait une erreur que de penser ainsi.

C'est donc dans cet esprit que notre groupe de travail a été mis sur pied, afin d'entériner ou, si l'on veut, d'institutionnaliser cette relation, en maintenant des liens solides avec le gouvernement fédéral. Votre comité ne le sait peut-être pas mais il y a au gouvernement fédéral un groupe de travail interministériel sur les corridors de transport et de commerce auquel participent Transports Canada, Revenu Canada, les Affaires étrangères, etc. C'est un bon signe car cela montre que le gouvernement du Canada commence à saisir l'importance énorme de cette question—pas pour plus tard mais dans l'immédiat. Nous encourageons donc tous les députés à appuyer le travail de ce groupe.

Sur ces bonnes paroles, je vais céder le micro à mon collègue de longue date, Bruce Agnew, qui est directeur du projet Cascadia au Discovery Institute. Je suis pour ma part directeur du Cascadia Institute à Vancouver. Lui et moi sommes donc les deux personnes qui essaient de donner vie à ce concept.

Bruce.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

M. Bruce Agnew (porte-parole, Discovery Institute (Seattle)): Comme l'a dit Alan, le Discovery Institute a été le point focal primordial des initiatives de la Cascadie depuis 10 ans, et j'attire votre attention sur le document que nous aurions dû vous distribuer, intitulé «Connecting the Gateways and Trade Corridors». J'espère que vous aurez la possibilité de le lire.

Phil Condit, P.-D.G. de Boeing, et les représentants du port de Seattle, du port de Tacoma et de l'Assemblée de l'État de Washington, nous ont demandé de dresser un plan à long terme pour relier les portes d'accès et les couloirs commerciaux. Les portes d'accès dont nous parlons sont Vancouver, Seattle, Tacoma et Portland. Les corridors commerciaux sont la route I-5 et le corridor ferroviaire du nord-ouest qu'utilise Amtrak, ainsi que les corridors est-ouest qui relient les portes d'accès Nord-Sud.

La première phase du projet est maintenant terminée. La deuxième phase consistera à développer l'interconnexion entre les portes d'accès Nord-Sud et les couloirs commerciaux Est-Ouest, englobant le système de transport par péniche de l'intérieur vers la mer sur le réseau fluvial Columbia et Snake River, les systèmes autoroutiers de la Transcanadienne et des routes 90 et 84, et le réseau ferroviaire transcontinental.

Suite à une recommandation des dirigeants de la Colombie-Britannique et de l'Oregon, le projet Cascadia examine aussi l'amélioration du corridor intérieur qui ferait le lien entre l'Alberta et l'intérieur de la Colombie-Britannique en allant jusqu'à l'État de Washington, Spokane, et la route 97, en Oregon, qui est une sorte de couloir secondaire entre la Transcanadienne, l'Alberta, l'est de la Colombie-Britannique, la Californie et la route 5.

Notre étude ne porte pas seulement sur les flux commerciaux internationaux, dans le cadre à la fois de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange, mais aussi sur le système de transport existant et sur sa capacité à assurer ces flux commerciaux et les voyages internationaux. Mike et Alan ont parlé d'Amtrak. Nous envisageons un système de trains à grande vitesse similaire à celui du corridor du Nord-Est qui relie Boston, Washington et New York, avec des trains à grande vitesse qui relieraient nos grands aéroports de Vancouver, Seattle, Tacoma et Portland.

La deuxième phase d'activité, qui commence cette année, portera sur des projets particuliers, notamment la restructuration de la route 5 jusqu'à Seattle, avec le percement d'un tunnel. La route 5 est le troisième couloir de camionnage le plus chargé d'Amérique du Nord. Comme elle passe par Seattle, qui est en forme de sablier, il y a plusieurs problèmes d'engorgement. Nous examinons donc la possibilité de creuser un tunnel par Seattle pour le train et la route.

Nous examinons aussi la possibilité d'apporter des améliorations aux réseaux ferroviaires et routiers entre les ports de Seattle et de Tacoma dans le but de faciliter la circulation des marchandises, en oeuvrant avec le Département des transports de l'État et avec les industries du transport ferroviaire et du camionnage. Avec mon collègue Jim Miller, notre partenaire de Whatcom County, nous préparons un plan intitulé Programme international de mobilité et de corridor commercial, qui sera fondé sur l'idée d'une frontière Canada—États-Unis sans obstacles et, à terme, du déménagement de certaines routes et voies ferrées qui provoquent actuellement l'engorgement à la frontière, en améliorant en même temps l'accès à l'aéroport de Vancouver et au terminal du traversier de Tsawassen.

• 1510

Vous ne savez peut-être pas que de plus en plus de citoyens de l'État de Washington accèdent au traversier de Tsawassen par l'Aéroport international de Vancouver plutôt que par SEATAC. Il nous faut donc des systèmes frontaliers, des infrastructures et des services de transport facilitant cet accès. Nous utilisons aussi la possibilité d'un nouveau pont routier et ferroviaire sur le Columbia pour desservir la région de Portland.

Outre les projets d'investissement, le plan des portes d'accès et des corridors commerciaux englobe certains programmes fonctionnels. Nous examinons la possibilité de créer une société de développement du corridor de la Cascadie, qui permettrait de réunir des fonds publics et privés pour financer des services de transport, des travaux d'aménagement et des chemins de fer et des routes. Du point de vue de la gestion, cette société serait divisée entre huit différentes banques d'infrastructures régionales, ce qui permettrait aux élus locaux d'intervenir sur les questions concernant l'utilisation des sols et les corridors de transport.

Nous examinons la possibilité de réformer le processus de planification des transports, ce qui est depuis longtemps un grand problème pour les sociétés du nord-ouest car il est actuellement beaucoup trop morcelé du fait de l'existence de nombreuses autorités gouvernementales locales.

Nous essayons de faire l'usage maximum de la technologie, pas seulement pour le télétravail mais aussi pour la circulation du fret. Nous examinons la possibilité d'élargir ce qu'on appelle les stratégies environnementales de croissance intelligente pour assurer une meilleure intégration du logement dans nos corridors de transport. Bien sûr, avec l'inscription du saumon sur la liste des espèces menacées—je parle du saumon Chinook du bassin central de Puget Sound—tous les projets de transport devront être examinés du point de vue de leur incidence environnementale sur les ressources. Cela fera partie du plan global.

Voilà donc où en est le concept. Notre modèle est la Voie maritime du Saint-Laurent. Nous essayons aussi de nous inspirer de certains programmes infrastructurels d'Asie et d'Europe. Nous terminerons notre rapport d'ici un an ou deux, grâce à des fonds publics et privés.

Le plan des portes d'accès peut fonctionner localement, cependant. Jim Miller, de Whatcom County, est ici pour vous parler du processus de planification des activités frontalières, que nous considérons comme un laboratoire de coopération. Les leçons tirées pourront être appliquées à d'autres corridors du nord-ouest et de l'ouest du Canada.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Monsieur Miller.

M. Jim Miller (Discovery Institute (Seattle)): Merci, Bruce, et bon après-midi.

Nous sommes un conseil régional de Whatcom County, qui se trouve à Bellingham, dans l'État de Washington, à 45 milles à peine au sud d'ici. La notion de conseil régional ne vous est peut-être pas familière au Canada. Il s'agit d'une organisation assez lâche d'entités locales, pouvant comprendre des autorités portuaires s'il y en a dans les villes et les comtés concernés, au sein d'une zone géographique donnée. Nous représentons donc toutes les juridictions locales le long des cinq points de passage frontaliers du comté de Whatcom.

À titre de conseil régional, nous sommes aussi une MPO, c'est-à-dire une organisation de planification métropolitaine, pour le gouvernement fédéral. En tant que MPO, nous pouvons recevoir des crédits de transport directement du gouvernement fédéral, ce qui est un peu différent de ce qui se fait au Canada, si je comprends bien.

Si vous voulez savoir comment nous en sommes arrivés à collaborer avec Bruce, je dois vous dire qu'il y a environ deux ans et demi, Bruce, moi-même et des représentants de PNWER nous sommes mis à discuter de la foule de problèmes et de préoccupations qui concernent la frontière, dans le but d'examiner tout cela de manière un peu plus exhaustive. Nous avons décidé que la législation fédérale et les fonds fédéraux que nous pourrions obtenir nous permettraient d'entreprendre l'analyse des problèmes et de chercher des solutions.

• 1515

Il y a environ deux ans, ce concept a été officialisé dans un groupe appelé IMTC, soit le Corridor international de mobilité et de commerce. C'est un groupe binational. Le document que l'on vous a remis, qui contient des graphiques, explique le processus. C'est un groupe binational qui est public et privé. Nous avons toutes les juridictions locales des deux côtés de la frontière, ainsi que Revenu Canada, Transports Canada, le ministère provincial des Transports et des Routes, et tous leurs homologues américains. Du côté privé, nous avons la chance d'avoir la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique comme entité coprésidente. John Winter, qui est ici, vous en parlera un peu plus tard. C'est donc vraiment un projet public et privé et binational.

La première chose que nous avons faite a été de réunir tous les plans concernant tout ce qui pouvait être envisagé à la frontière—essentiellement des projets d'infrastructure mais aussi toutes sortes d'autres choses. Nous nous sommes ainsi retrouvés avec une pile de plans de 4 pieds et demi de haut. Nous avons ensuite créé une matrice qui nous a permis de voir où il pouvait y avoir chevauchement ou dédoublement d'efforts. Nous avons aussi constaté qu'il y avait certaines failles dans ces plans, c'est-à-dire qu'il y avait des problèmes et des besoins qui n'avaient pas été pris en compte.

Pendant les deux années qui ont suivi, nous avons préparé 11 projets différents concernant les problèmes identifiés par ce processus. Nous avons ensuite demandé des fonds au gouvernement fédéral pour étudier les problèmes en profondeur, nous avons élaboré des projets d'infrastructure, dans certains cas, et nous avons proposé des projets de transport intelligent.

La plupart de nos premiers efforts—nous en sommes conscients—visent à équiper cette région d'une infrastructure de niveau mondial, dans l'intérêt des deux pays. Pour ce faire, nous devons avoir des données solides et des plans, et coordonner le tout avec les gouvernements.

Pour dresser les plans, nous avons utilisé la dernière version du programme fédéral de financement des routes, appelé TEA-21, soit Transportation Equity Act of the 21st Century. Certaines des améliorations infrastructurelles seront financées dans ce contexte, ainsi que certains systèmes de transport intelligent. Notre but est de nous préparer à ce qui arrivera dans environ trois ans et demi, c'est-à-dire lorsque les travaux de construction commenceront vraiment.

Il est intéressant de préciser que ce que notre gouvernement fédéral définit comme une région frontalière n'est pas nécessairement une bande étroite mais plutôt une bande qui s'étend 60 milles de part et d'autre de la frontière. Pouvons-nous donc dépenser des crédits américains au Canada? La réponse est oui, dépendant de la nature du projet. Il y a beaucoup de bonnes choses qui peuvent sortir de tout ça.

Le Département fédéral des transports présente actuellement au reste du pays le projet IMTC comme un modèle de planification locale et de coopération binationale. C'est un exemple dont peuvent s'inspirer d'autres régions.

Nous avons présenté notre première série de projets en janvier. Les gens de Washington, D.C., nous ont dit que, sur les 11 projets que nous avons soumis, si nous ne sommes pas dans le premier groupe du pays, nous sommes les premiers au pays. Donc, sur le plan du mérite, nos efforts ont vraiment porté fruit.

Les choses vont maintenant passer sur le scène politique, à Washington, D.C., et nous saurons probablement dans environ un mois si nous allons obtenir les crédits que nous avons demandés. Je me trouvais à Washington il y a deux semaines et j'ai entendu dire que la réponse devrait venir à la fin du printemps. Évidemment, on m'a dit ça en souriant parce que la fin du printemps arrive à des moments différents selon la région où l'on se trouve. Dans notre cas, ça pourrait être vraiment tard. Nous espérons que ce ne sera pas plus tard que fin mai ou, en tout cas, le 21 juin.

Une autre chose qui est intéressante est l'expansion de notre programme de dédouanement accéléré, le programme PACE. Nous avons fait ça avec beaucoup de groupes. Nous avons collaboré étroitement avec l'Immigration, les Douanes et Revenu Canada pour la mise en oeuvre de ce projet, et pas seulement dans notre région. Nous essayons d'étendre ça à toute la frontière canado-américaine afin de faciliter et de simplifier le franchissement de la frontière.

Voilà qui met un terme à mon exposé et je rends la parole à M. Harcourt.

M. Mike Harcourt: Comme vous pouvez le voir, nous sommes très occupés.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): C'est le moins que l'on puisse dire, monsieur Harcourt.

• 1520

M. Mike Harcourt: Nous pensons que les deux pays ont ici une occasion extraordinaire de faire preuve de leadership au palier national. La TEA-21, c'est-à-dire la Transportation Equity Act, prévoit 218 milliards de dollars au cours des quatre ou cinq prochaines années pour ce type de projets de transport. Nous pensons qu'il convient de recréer et de repositionner le concept de frontière et qu'il est nécessaire de construire de nouvelles structures, en faisant preuve d'innovation, comme nous avons déjà su le faire dans le passé avec la Voie maritime du Saint-Laurent ou l'épuration des Grands lacs. La clé est la créativité.

Nous sommes ici pour promouvoir la coopération. Nous avons par exemple dans la région frontalière la nappe phréatique de Sumas, qui se situe à moitié du côté américain et à moitié du côté canadien. Peu importe qui répand des déchets animaux, des pesticides ou des déchets humains dans cette nappe phréatique, tout le monde en souffre de la même manière. Même chose avec la pollution atmosphérique: elle ne s'arrête pas à la frontière. Comme l'a dit Alan, nous sommes ensemble, que ça nous plaise ou non. Il se trouve que ça nous plaît. L'État de Washington est l'un des partenaires commerciaux de la Colombie-Britannique.

Nous sommes donc ici pour partager ces idées avec votre comité parlementaire très important et pour répondre aux questions que vous pourriez vouloir nous poser. En même temps, nous voulons évidemment vous donner l'occasion d'écouter Peter Fraser et le groupe PACE, ainsi que John Winter.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Harcourt. J'aimerais maintenant donner la parole au représentant du Pacific Corridor Enterprise Council, après quoi nous pourrions passer aux questions.

Avant ça, monsieur Artibise, j'aimerais obtenir une précision. Ce n'est pas vraiment une question. Vous avez dit qu'il y a un comité international qui s'occupe de... quel est le nom exact de ce comité?

M. Alan Artibise: C'est le Groupe de travail interministériel sur les corridors de commerce et de transport nord-américains. Son secrétariat, si je puis m'exprimer ainsi, se trouve à Transports Canada, mais c'est un groupe qui réunit au moins quatre ministères fédéraux.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

Bienvenue, monsieur Fraser.

[Français]

M. Peter Fraser (président, Pacific Corridor Enterprise Council): Merci, madame la présidente. Je suis un Canadien de la belle province de Nouvelle-Écosse,

[Traduction]

et je me suis finalement retrouvé sur la côte Ouest. Je suis canadien et américain. J'ai passé mon enfance au Cap-Breton et j'ai fait mes études chez les Jésuites à Halifax et à l'école secondaire et à l'université St. Mary's. J'utilise maintenant ma nationalité américaine et cela fera 20 ans cet été que je vis à Seattle. Depuis lors, j'ai eu l'occasion de connaître beaucoup de gens exceptionnels comme Mike Harcourt.

À l'automne de 1988, le Service canadien des délégués commerciaux m'a envoyé en affectation spéciale travailler pour une firme de Seattle qui s'appelait The Rocky Company. Elle n'est pas cotée en bourse mais son propriétaire et dirigeant, Jay Rocky, en a fait l'une des meilleures sociétés et équipes de marketing du nord-ouest des États-Unis. Comme il avait toujours un oeil sur le Canada, j'en avais entendu parler avant même de venir à Seattle, étant donné qu'il avait obtenu des contrats du gouvernement canadien.

Notre mission, en 1988, était d'examiner attentivement les élections prochaines sur le libre-échange et de trouver des opportunités pour le secteur privé. C'est de là qu'est sortie cette organisation, le Pacific Corridor Enterprise Council—soit PA pour Pacific, C pour Corridor et E pour Enterprise.

Comme je veux rester bref, je ne vais pas lire le mémoire qui vous a été remis, vous pourrez le consulter plus tard à votre convenance.

Dans notre deuxième année d'activité, nous avions environ 200 membres, soit des propriétaires et gérants de PME des deux côtés de la frontière, c'est-à-dire de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, du Yukon, de l'État de Washington et de l'Alaska. Pendant cette deuxième année, nous avions invité le premier ministre de la Colombie-Britannique à prendre la parole lors de notre assemblée, à Seattle, et nous n'avons eu aucun mal à le convaincre. Cela dit, nous avons constaté qu'il parlait beaucoup d'environnement et des activités d'un centre de réflexion. PACE est une organisation qui s'intéresse aux aspects concrets du libre-échange et à la manière dont celui-ci fonctionne pour le secteur privé, notamment les PME.

• 1525

Je suis accompagné aujourd'hui de trois de nos administrateurs qui vont vous parler des activités qui nous semblent importantes et au sujet desquelles nous pensons que vous devriez être informés.

John Winter n'est pas seulement un administrateur de PACE, c'est aussi le président et P.-D.G. de la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique, laquelle regroupe 23 000 membres de toute la province. Il fait partie de notre conseil d'administration pour assurer la liaison canadienne avec COGS, le groupe de Bellingham dont Jim Miller vous a parlé.

K. David Andersson est un partenaire de la firme d'avocats Clark, Wilson, de Vancouver. Sa spécialité est l'immigration des gens d'affaires, ce qui est l'une des questions importantes dont nous nous occupons quotidiennement à PACE. Il rencontre nos membres et donne des conférences sur ces questions dans toute la Colombie-Britannique et dans le nord-ouest des États-Unis. Il est membre du Barreau à la fois dans l'État de Washington et de la Colombie-Britannique.

James Kohnke, notre spécialiste du tourisme et des transports, connaît particulièrement bien l'histoire des transports commerciaux et toutes les questions de transport allant de l'Alaska jusqu'en Californie et même au Mexique. Jim est aussi secrétaire de notre conseil d'administration bénévole. Il est président de notre comité des transports et, depuis deux ans, il collabore étroitement avec nous dans le cadre des réunions dont Jim Miller et Bruce Agnew vous ont parlé un peu plus tôt.

Pendant notre deuxième ou notre troisième année d'activité, nous avons invité Bruce Agnew à une réunion de notre conseil d'administration, à Seattle, pour qu'il nous parle des aspects politiques du libre-échange et des activités de son projet Cascadia. Depuis deux ou trois ans, nous sommes devenus une sorte de groupe de tutelle et c'est dans ce contexte que nous avons commencé à collaborer activement, après avoir réalisé que cette question—c'est-à-dire ce que nous appelons un corridor du Pacifique—concerne plus que des activités de réflexion et des solutions ponctuelles.

Par exemple, nous avons réalisé qu'une organisation comme la nôtre devrait attirer votre attention sur le fait que... je ne veux pas donner l'impression que je fais de la politique, comme l'ont dit certains journaux le long de la côte. Le revenu par habitant en Colombie-Britannique est d'environ 18 000 $ après impôt, contre environ 35 000 $ dans l'État de Washington. Cela offre aux Canadiens d'extraordinaires opportunités s'ils décident de s'établir au sud de la frontière, ce que font les sujets les meilleurs et les plus brillants de la Colombie-Britannique. Voilà un problème important pour Ottawa.

Je voudrais vous dire quelques mots de PACE. Notre président—qui est en fait une présidente—Mme Wendy McDonald, a fait partie de l'Équipe Canada du premier ministre. Elle est présidente et P.-D.G. de B.C. Bearing Engineers, à Vancouver. Elle n'a pas pu nous accompagner car elle est en voyage d'affaires au Mexique. Elle a aussi un bureau aux États-Unis, à Portland, et elle se trouvait au Chili avant que ce pays ne négocie un accord de libre-échange avec le Canada.

Elle est aussi présidente de la branche provinciale du Conseil d'entreprises Canada-Amérique latine, ce qui se reflète évidemment dans les activités de PACE. Nous avons toujours été très actifs sur la côte ouest du Mexique, disons dans la région de la basse Californie. Nous avons des membres de cette région au sein de notre organisation. Mme McDonald a mené notre première mission commerciale dans la région, à La Paz, lorsque le gouverneur de cet État nous a accueillis, en novembre 1994.

• 1530

Nous prévoyons une deuxième mission dans la région cet automne, avec notre prochain président, M. Allan Skidmore, autre entrepreneur connu de la Colombie-Britannique. Il est P.-D.G. de la société internationale que les consommateurs connaissent sous le nom de Speedy Auto Glass. C'est lui qui prendra la direction de notre organisation cet été—en fait, lors de l'assemblée que nous tiendrons à Vancouver le 22 juin avec COGS, Cascadia, la Chambre de Bellingham, la Chambre de C.-B. et le Vancouver Board of Trade.

En fait, c'est surtout le Vancouver Board of Trade, plus que n'importe quelle autre organisation, qui a assuré la survie de PACE. C'est en effet sous son leadership, il y a 10 ans, qu'un groupe du secteur privé a été constitué, avec feu Peter Manson, qui était l'un des partenaires de la firme d'avocats Ladner, Downs et qui fut notre premier président. Ce groupe a mené des missions à Ottawa et à Washington, D.C., dans l'espoir de trouver une solution à ce qu'on considérait déjà il y a 10 ans comme étant un problème d'engorgement à la frontière, à 40 milles d'ici.

La solution que souhaitait le groupe consistait à appliquer en Amérique du Nord un système relativement similaire à ce qu'est l'Europe aujourd'hui. À l'entrée ou à la sortie, on est complètement déshabillé et fouillé, après quoi on a le droit d'aller partout en Amérique du Nord au lieu de devoir être contrôlé par les Douanes et l'Immigration. Le groupe a conçu ce qu'il a appelé la «voie rapide», c'est-à-dire une voie permettant aux véhicules de tourisme de passer rapidement la frontière. Cette initiative était destinée à faciliter les choses aux gens d'affaires qui doivent traverser chaque jour la frontière. Cette initiative a été couronnée de succès et, bien qu'elle n'ait pas encore été généralisée, nous tous autour de cette table espérons qu'elle sera finalement entérinée par voie législative et qu'il ne s'agira plus simplement d'une expérience.

Je vais maintenant laisser la parole à M. John Winter.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Winter.

M. John Winter (président, B.C. Chamber of Commerce, projet IMTC; directeur, Pacific Corridor Enterprise Council): Merci, Peter. Bon après-midi, madame la présidente. Merci de me donner la parole aujourd'hui.

Comme on vous l'a dit, je m'adresse à vous avec une double responsabilité. En effet, je représente le volet canadien du projet IMTC dont M. Miller a parlé, et aussi le conseil d'administration de PACE et de la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique. Je vous adresse donc mes remarques au nom de ces deux groupes.

La Chambre de commerce de la Colombie-Britannique est une organisation bénévole à but non lucratif qui joue pour ses membres le rôle de fédération provinciale des chambres de commerce communautaires autonomes, des Boards of Trade et de diverses entreprises. Créée en mars 1867, si l'on en croit les archives, la Chambre a été reconstituée en 1951 avec le mandat suivant: défendre les intérêts communs des milieux d'affaires de la Colombie-Britannique, exposer l'opinion des membres devant les gouvernements provincial et fédéral, promouvoir les échanges internationaux et le commerce, et favoriser la prospérité économique et le bien-être de la population de la Colombie-Britannique.

Aujourd'hui, la Chambre représente plus de 24 000 entreprises—nous en avons attiré 1 000 de plus depuis que M. Fraser a commencé—et 110 chambres locales de toute la province. C'est vraiment la voix des milieux d'affaires de la province, et c'est à ce titre que je suis heureux de m'adresser à vous aujourd'hui en son nom.

La Colombie-Britannique recèle une combinaison tout à fait particulière d'avantages naturels comme un climat favorable, des ressources naturelles abondantes et un emplacement de choix sur le bassin du Pacifique. Au cours des années, ces caractéristiques ont favorisé l'immigration et l'investissement et ont permis à la province d'enregistrer un taux d'expansion économique supérieur à celui du reste du Canada. Ces derniers temps, cependant, cette expansion a ralenti, notamment parce que le climat des affaires devient de plus en plus défavorable. La croissance économique de la province est maintenant inférieure à la moyenne nationale, les gens d'affaires et les investisseurs préférant éviter la Colombie-Britannique au profit de juridictions plus favorables aux entreprises.

La crise asiatique et la baisse des cours des ressources naturelles qu'elle a provoquée ont démontré le caractère vraiment global de notre économie. C'est à cause de cette globalisation de l'économie que nous devons continuer nos efforts de libéralisation du commerce. Des règles multilatérales profiteront à l'économie globale puisqu'elles offriront prévisibilité et stabilité, deux éléments actuellement minés par le protectionnisme. Nous avons besoin d'un système ouvert et fondé sur des règles, pas d'unilatéralisme protectionniste.

Le Canada semble prêt à ratifier des accords commerciaux avec d'autres pays des Amériques, ce avec quoi nous sommes tout à fait d'accord. Nous souhaitons toutefois que le Canada fasse une pause dans ce processus de façon à faire le point sur les progrès réalisés grâce à l'Accord de libre-échange avec les États-Unis et à l'Accord de libre-échange nord-américain qui l'a suivi. Les bienfaits sont évidents mais il y a encore des problèmes à résoudre.

• 1535

L'an dernier, dans le cadre du projet IMTC, la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique a organisé une conférence publique pour examiner les obstacles qui subsistent encore aujourd'hui à un vrai libre-échange avec nos voisins du Sud. Ce que nous avons appris à cette occasion porte sérieusement à penser qu'il y a encore beaucoup à faire pour assurer le vrai libre-échange entre le Canada et les États-Unis qu'avaient envisagé les négociateurs.

Des problèmes sérieux continuent d'entraver la libre circulation des biens, des services et des gens. Le décalage qui existe entre les objectifs de Washington et d'Ottawa continue d'empêcher l'ALENA de produire tous ses bienfaits. La faiblesse de certaines infrastructures entrave le libre-échange, et leur amélioration semble prendre un temps interminable. Les propriétaires et exploitants de PME des deux côtés de la frontière expriment de plus en plus de mécontentement face à des retards qui coûtent cher.

D'aucuns estiment que l'économie de cette région binationale qu'on appelle le corridor du Pacifique est en fait menacée. L'infrastructure frontalière a été construite à une autre époque et elle constitue aujourd'hui une entrave sérieuse aux échanges entre les deux pays. Le commerce de la Colombie-Britannique avec les États-Unis a une valeur d'environ 1 milliard de dollars par semaine, et environ 70 p. 100 des marchandises échangées circulent en camion. Il est donc évident que le commerce de la C.-B. avec les États-Unis revêt une importance primordiale pour notre économie.

Selon les associations de camionnage, l'attente à la frontière pour le dédouanement coûte environ 65 $ l'heure. Ce coût se retrouve dans le prix de revient ultime des marchandises canadiennes et contribue au problème croissant de compétitivité du Canada sur la scène internationale. Les entreprises tributaires de l'exportation et de l'importation font face à des difficultés absolument cruciales concernant le transport et l'accès aux passages frontaliers.

Pour ce qui est des transports, il n'y a pas au Canada de plan routier national. Des crédits fédéraux limités sont fournis à la Colombie-Britannique pour le transport mais il n'existe aucun engagement fédéral d'investir dans cette infrastructure clé. Au sud de la frontière, comme on vous l'a dit, une vive concurrence s'exerce pour obtenir les fonds fédéraux consacrés à l'amélioration des frontières internationales des États-Unis. Les entreprises et les associations d'affaires de l'État de Washington collaborent depuis longtemps avec les gouvernements locaux pour veiller à ce que les passages frontaliers entre la Colombie-Britannique et l'État de Washington obtiennent leur juste part de ces budgets.

Au Canada, nous risquons d'être laissés en plan. Nous avons besoin d'engagements fermes à l'égard des deux corridors primaires de la province, c'est-à-dire les routes 99 et 97 qui sont les principales routes côtières pour les transports des marchandises entre nos deux pays. Hélas, ces engagements n'existent pas.

Pour ce qui est des passages frontaliers, maintes indications montrent que le Canada est prêt à adopter des changements réels pour faciliter la circulation des marchandises à travers la frontière. Certes, c'est encourageant mais il faut bien reconnaître qu'il ne s'agit-là que de bonnes paroles. Revenu Canada a bien produit un plan d'action mais, pour qu'il soit efficace, il exigera la cohésion et la coopération des organismes gouvernementaux à tous les paliers et des deux côtés de la frontière. Bon nombre des solutions proposées sont axées sur l'électronique, c'est-à-dire sur une technologie qui existe déjà. Il est important que cette technologie soit mise en oeuvre immédiatement. Ne pas améliorer l'infrastructure et ne pas régler les problèmes de franchissement de la frontière coûterait tout simplement beaucoup trop cher. Le manque-à-gagner serait beaucoup trop élevé.

Un autre problème clé qui fut évoqué lors de la conférence dont j'ai parlé plus tôt concerne les obstacles que rencontrent connaissent depuis quelque temps les gens d'affaires canadiens qui veulent se rendre aux États-Unis. Buter sur des agents d'immigration hostiles devient un phénomène trop fréquent. Des récits beaucoup trop nombreux pour être résumés dans ce document confirment qu'il s'agit là de problèmes absolument contraires à l'esprit des accords de libre-échange et témoignent d'un engagement fort peu enthousiaste en la matière. Il est clair que nos passages frontaliers subissent de grandes pressions, comme d'autres points d'accès tels que les aéroports.

L'accord des Ciels ouverts a beaucoup fait pour accroître le tourisme entre les deux pays. À preuve, le secteur des croisières maritimes entre l'Alaska et Vancouver. En outre, le taux de change favorable du dollar canadien a beaucoup contribué au tourisme en automobile. En fait, nous semblons réussir malgré nous. Cela dit, les voies de passage rapide dont nous parlions il y a un instant entre la Colombie-Britannique et le Washington sont toujours considérées comme une expérience, malgré leur succès général. De vastes sommes d'argent sont produites chaque année des deux côtés de la frontière grâce à cette initiative mais aucune ne semble être réinvestie là où ça compterait le plus.

L'objectif des associations d'entreprises telles que la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique est de collaborer avec nos partenaires commerciaux pour veiller à ce que nos dirigeants politiques comprennent l'importance d'un accès simplifié et n'agissent pas à l'encontre de l'efficacité de ces liens. Une frontière sans obstacles devrait être l'objectif commun. Il importe de régler définitivement cette question avant de négocier d'autres accords de libre-échange. Comme je le disais au début, nous voulons un système ouvert et fondé sur des règles, pas un protectionnisme unilatéral.

Merci.

• 1540

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): À qui le tour?

M. James Kohnke (directeur et président, Comité des transports, Pacific Corridor Enterprise Council): Merci, madame la présidente.

Comme nous cherchons tous un modèle d'infrastructure frontalière, je pense exprimer la pensée de tous les membres de PACE en disant que nous sommes collectivement inquiets et troublés par les obstacles qui entravent actuellement le libre-échange dans le cadre de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis et de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA. Évidemment, tout en continuant de chercher des solutions à ces obstacles, nous hésitons à appuyer l'extension de la zone de libre-échange tant que nous n'aurons pas la garantie que des mesures seront prises pour corriger les problèmes actuels.

Nous savons que le libre-échange n'est en fait vraiment libre que lorsque les pratiques commerciales étrangères sont équitables et que les barrières non tarifaires sont abolies, de façon à ne pas étouffer l'esprit et l'objectif de l'accord de libre-échange. Hélas, il existe encore de nombreuses barrières et restrictions non tarifaires, et je vais tenter de vous en donner quelques exemples de manière suffisamment claire pour que leur importance ne mine ni n'obscurcisse la réalité de leur pertinence.

Des infrastructures telles que les routes et les postes de douane n'ont pas été améliorées, notamment du côté américain, pour tenir compte de l'augmentation du trafic transfrontalier. Par exemple, bien que le trafic ait plus que doublé depuis l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis, l'amélioration des infrastructures reste incomplète ou encore à l'étape de la planification au poste de douane de Blaine Pacific, que l'on dit être le quatrième passage douanier canado-américain le plus occupé pour ce qui est des camions, et le troisième pour ce qui est des automobiles et des personnes. En 1997, 1 268 camions en moyenne traversaient chaque jour ce poste des États-Unis vers le Canada, et 1 083 du Canada vers les États-Unis. Pendant le premier semestre de 1998, ce volume est resté le même vers le nord mais il a augmenté de 27 p. 100 vers le sud. Et cela s'ajoute à plus de 8 millions de véhicules traversant dans les deux sens aux postes de Blaine Peace Arch et Pacific Highway.

Aucun système adéquat de séparation du trafic n'a encore été mis en oeuvre au poste de Pacific Highway pour séparer de manière efficace les automobiles, les camions, les autobus et les clients des boutiques hors douane, ce qui veut dire que tout le monde continue d'avancer pêle-mêle vers les mêmes postes de douane, en passant d'une voie à une autre, ce qui produit des accidents, des embouteillages et des retards. Selon certaines estimations, les retards infligés ainsi aux transports commerciaux coûtent plus de 40 millions de dollars par an.

Les crédits qui seront bientôt fournis par le gouvernement américain pour améliorer les postes frontières et les corridors commerciaux internationaux dans le cadre de la Transportation Equity Act for the 21st century devraient servir à corriger certains de ces problèmes infrastructurels. Au Canada, par contre, il n'existe pas de pouvoir législatif similaire pour affecter une partie du produit des taxes sur l'essence et le diesel à des fins particulières, les fonds étant simplement versés dans les recettes générales pour être utilisés de manière discrétionnaire par les autorités fédérales.

De ce fait, nous sommes encouragés, du côté canadien, quand nous voyons que les autorités américaines vont finalement améliorer leurs infrastructures frontalières, ce qui aurait dû être fait il y a déjà longtemps. Par contre, nous sommes inquiets de constater qu'il n'existe pas de mécanisme législatif similaire au Canada pour consacrer des crédits équivalents à l'amélioration des infrastructures frontalières canadiennes dans le cadre de l'accord de 1995 sur la frontière partagée Canada—États-Unis.

La coordination de l'infrastructure informatique et technologique américaine et canadienne reste largement théorique. Pourtant, cela constituerait à notre avis la meilleure solution au traitement du trafic frontalier, solution qui devrait intégrer des voies spéciales pour les camions admissibles à un dédouanement électronique accéléré.

En ce qui concerne les droits d'utilisation secondaires, les douanes américaines ont clairement reconnu que leur système informatique est inadéquat et elles ont proposé de percevoir des droits d'utilisation pour financer l'amélioration de leurs ordinateurs.

• 1545

J'attire votre attention sur le document joint à notre mémoire, qui est un rapport de la Presse canadienne exposant le projet de l'administration Clinton de percevoir 163 millions de dollars par an sous forme de droits d'utilisation des douanes, projet auquel s'oppose vigoureusement l'industrie du camionnage pour la raison que de tels droits seraient illégaux en vertu à la fois de l'ALENA et du GATT. À notre avis, cela constitue un autre exemple des efforts déployés pour imposer une barrière et une restriction douanières non tarifaires comportant des coûts élevés.

Nous sommes également préoccupés par certaines exigences documentaires secondaires appliquées aux douanes. En vertu de la nouvelle loi américaine sur l'immigration, la Illegal Immigration Reform and Immigration Responsibility Act, l'imposition prochaine de l'article 110 pour documenter, enregistrer et contrôler l'entrée et la sortie de toute personne autre qu'un citoyen américain—que cette personne soit un immigrant, un visiteur, un touriste ou un voyageur autorisé—provoquera d'autres retards et d'autres entraves au trafic commercial international du fait de l'allongement des files d'attente et de l'aggravation des embouteillages.

Si un retard de 45 minutes coûte déjà plus de 40 millions de dollars par an, un retard de 12 heures se traduira par un coût de plus de 640 millions de dollars à chaque poste frontière, somme qui serait manifestement insupportable du point de vue du commerce international. Cette barrière douanière non tarifaire et ce boycott secondaire restrictif seront examinés de manière plus détaillée et plus juridique par mon collègue de PACE, David Anderson, de la firme d'avocats Clark, Wilson.

En vertu de nouvelles exigences douanières américaines d'interprétation et de réglementation, les propriétaires de navires et les agents sont tenus de déclarer en détail les marchandises en transit, tout comme si ces marchandises étaient déchargées pour être importées aux États-Unis au lieu de passer simplement en transit. Le fait de ne pas respecter cette exigence pourrait être passible de peines très sévères, soit 5 000 $ ou plus d'amende et le blocage éventuel du navire.

Ces exigences causeront des difficultés tout à fait particulières aux navires chargés à Vancouver et faisant ensuite un arrêt dans les ports américains de Puget Sound avec des marchandises en transit pour des ports étrangers. J'attire votre attention à ce sujet sur la pièce 2 de l'Autorité du port de Vancouver.

Le volume élevé des marchandises en transit provenant de Vancouver, conjugué à la proximité des ports de mouillage subséquents dans les eaux américaines, empêche dans bien des cas les expéditeurs de fournir aux douanes américaines un préavis de 48 heures par message électronique. À l'évidence, les navires continuent d'être chargés jusqu'au moment de leur départ vers les ports américains, où ils arrivent parfois en à peine plus de huit heures. Étant donné la géographie de la région et les retards parfois inévitables dans la préparation des données demandées, avant l'arrivée ou au moment de l'arrivée, ces nouvelles exigences de déclaration sont problématiques, c'est le moins qu'on puisse dire.

Le fait que de telles marchandises en transit puissent être acheminées à travers la frontière en camion sans problème particulier de description généralisée constitue une application discriminatoire des exigences de déclaration et risque de détourner une partie du trafic vers les postes frontières déjà largement engorgés entre la Colombie-Britannique et Whatcom County.

Le fait que les marchandises en transit soient traitées différemment par les douanes américaines lorsqu'elles circulent par voie terrestre plutôt que par voie maritime est une autre source de préoccupation, étant donné que les exigences de déclaration susmentionnées pourraient aussi être imposées à l'avenir aux postes frontaliers terrestres, ce qui augmenterait d'autant les embouteillages et causerait la panique sur le plan du commerce international.

Bien que le Mexique soit un membre légitime et dûment reconnu de l'ALENA, les marchandises canadiennes transportées vers le Mexique par voie maritime sont apparemment désormais assujetties aux exigences de contrôle et de déclaration des États-Unis si le navire qui les transporte fait la moindre escale dans un port américain en route vers le Mexique.

Normalement, un accord accessoire ne peut primer sur un accord principal, à savoir l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis et l'Accord de libre-échange nord-américain. Il semble que l'accord Canada—États-Unis de 1996 sur le bois d'oeuvre soit une exception à cette règle. Je veux parler de la pièce no 3 jointe à notre mémoire, qui est un rapport préparé à ce sujet par un spécialiste de la question.

• 1550

L'accord extrêmement controversé sur le bois d'oeuvre, fondé sur des quotas, doit arriver à expiration en 2001 et continue donc d'engendrer des litiges entre le Canada et les États-Unis. Le Canada n'aurait jamais dû accepter un tel accord supplémentaire à l'ALENA et il ne l'a fait que pour obtenir une certaine stabilité face à l'incertitude issue de la procédure de contestation continue mise en oeuvre par un groupe de pression américain avec l'appui de concurrents américains. L'érosion des dispositions de l'ALENA pour l'industrie du bois d'oeuvre continue donc sans relâche et un autre processus d'appel vient d'être lancé.

En résumé, ces restrictions non tarifaires injustes minent la confiance des participants envers l'ALENA et entravent l'objectif d'expansion du libre-échange à d'autres marchés, ce qui ne laisse de nous inquiéter. Il importe que des correctifs soient adoptés pour veiller à ce que des problèmes similaires ne deviennent pas chose courante au sein d'un marché élargi.

Tous les secteurs de l'industrie du transport, qu'il s'agisse du transport maritime, ferroviaire, routier ou aérien, sont en dernière analyse interdépendants pour assurer la libre circulation des marchandises. Tous doivent coopérer pour garantir des systèmes de transport sans entraves, dans leur propre intérêt et dans l'intérêt de notre prospérité économique commune.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Kohnke.

Finalement, et ce n'est pas le moindre...

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Je fais appel au Règlement, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je crois qu'il n'y a plus qu'un témoin.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais l'exprimer avant que nous entendions le prochain témoin.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Avez-vous quelqu'un d'autre, monsieur Fraser?

[Français]

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais faire un appel au Règlement avant l'intervention du prochain témoin.

Merci beaucoup. Pourrions-nous demander aux témoins de nous faire parvenir par la poste leur position concernant l'OMC et la Zone de libre-échange des Amériques? Merci.

[Traduction]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Harcourt.

M. Mike Harcourt: Nous ne sommes pas ici pour parler de la ZLEA ou de l'OMC. Ce n'était pas le but de notre témoignage. Si vous voulez mon opinion personnelle, je peux vous la donner, mais ce n'était pas l'objectif de ma présence ici. Je suis venu représenter beaucoup de gens de la Colombie-Britannique qui s'intéressent à ce corridor commercial et à ce secteur de croissance.

J'ai exprimé publiquement mon opinion sur l'Accord de libre-échange et sur l'ALENA dans le passé. Je critique ces deux documents parce que je les trouve insatisfaisants, et je suis tout à fait prêt à en parler plus tard à M. Sauvageau. Toutefois, je suis ici à titre de président du Groupe de travail sur le corridor Cascadia pour traiter des questions que j'ai soulevées.

M. Benoît Sauvageau: Vous n'êtes pas ici pour discuter de l'OMC et de la zone de libre-échange des Amériques. Pourriez-vous nous envoyer par la poste votre position sur ces questions?

M. Mike Harcourt: D'accord.

M. Benoît Sauvageau: Je m'excuse de cette demande.

M. Mike Harcourt: Il n'y a pas de problème.

M. Peter Fraser: Mon intervention sera brève, madame la présidente.

En ce qui concerne l'OMC et la ZLEA, PACE espérait, au moment de sa création, que l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis fonctionnerait comme prévu au bout de cinq ans. Toutefois, il n'a pas fallu cinq ans pour que l'ALENA soit négocié, ce qui reportait notre clause de temporisation à 1999 afin de tenir compte de ceux de nos membres qu'intéresse le Mexique. Au cours de l'an dernier, nous avons complètement éliminé notre clause de temporisation afin d'être tout à fait prêts pour une ZLEA. Sachez bien que nous sommes des partisans de l'OMC.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci, monsieur Fraser.

M. Andersson sera le dernier mais pas le moindre. Nous avons pris un peu de retard et je vais donc vous demander de ne présenter que les dominantes de votre mémoire.

M. David Andersson (directeur et médiateur de l'immigration, Pacific Corridor Enterprise Council): Merci beaucoup, madame la présidente.

Dans notre organisation, nous prenons la parole par ordre d'ancienneté et c'est pourquoi je suis le dernier.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Mais pas le moindre.

M. David Andersson: Comme je n'ai que deux minutes, à peu près, je limiterai mon exposés à deux arguments et deux documents.

Nous vous avons remis deux documents. Le premier, produit par PACE, vous invite à faire du lobbying aux États-Unis pour obtenir l'abrogation complète de l'article 110. Si vous avez des questions au sujet de cet article, je serais très heureux d'y répondre.

Le deuxième document a été produit par M. Papademetriou, qui fait partie du programme des politiques de migration internationale de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. Il était en visite dans cette région il y a environ un an et demi. Ce document est le rapport qu'il a adressé au Congrès américain. Je pense que vous y trouverez d'excellentes informations sur les problèmes frontaliers.

• 1555

Mes deux arguments sont que l'ALENA et l'Accord de libre-échange qui l'a précédé ont tout simplement entraîné la paralysie des politiques et lois sur l'immigration entre le Canada et les États-Unis. Avec l'Accord de libre-échange, cela ne causait pas de problème. Avec l'ALENA, c'est un peu plus complexe car nous avons maintenant une tierce partie dont la relation d'immigration avec les États-Unis est radicalement différente de celle du Canada.

Pour ce qui est des problèmes réels que nous connaissons aujourd'hui avec l'ALENA, les membres de PACE qui me téléphonent chaque jour sont des gens qui se sont fait refouler à la frontière parce qu'ils ne correspondaient pas tout à fait à la bonne catégorie. En vertu de l'ALENA, il existe 65 professions identifiées qui permettent d'entrer aux États-Unis, dont trois ont été identifiées par USINS comme des mécanismes de fraude utilisés par des Canadiens. Ce sont les catégories de consultant en gestion, de technicien scientifique et d'analyste informatique, parce qu'il est prévu dans leurs cas de faire état d'autres qualifications, c'est-à-dire d'expérience professionnelle au lieu d'études officielles.

C'est tout ce que je voulais dire.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Vous dites qu'il n'y avait pas de problème avec l'ALE mais qu'il y en a eu avec l'ALENA. S'il est vrai que l'on doit évoluer vers une zone de libre-échange des Amériques, croyez-vous que cela causera d'autres problèmes du point de vue de l'immigration? Y aura-t-il 32 fois plus de problèmes qu'aujourd'hui?

M. David Andersson: L'immigration est une question très complexe, qui englobe de nombreux volets. Je veux parler de contrôler les criminels qui veulent entrer dans nos pays, mais aussi de faciliter les gens d'affaires légitimes qui font du commerce de biens et de services.

Je vous recommande de lire la cinquième page de l'excellent mémoire de M. Papademetriou au Congrès. Dans le paragraphe du milieu, il parle de la relation actuelle avec le Canada, d'une part, et avec le Mexique, d'autre part. On ne peut négocier un traité tripartite sans traiter tous les gens de manière égale. M. Papademetriou dit ceci: «Il est clair que cette évolution se produira probablement à des vitesses différentes. En reconnaissant que le but ultime de notre politique est le traitement égal des pays—» et disons, d'autres pays si nous ouvrons les portes—«nous nous donnons la souplesse nécessaire pour traiter nos deux partenaires de l'ALENA dans un cadre unique...»

À mon avis, il ne peut y avoir la même politique d'immigration au nord et au sud des États-Unis. Ce n'est tout simplement pas possible. M. Papademetriou convient que c'est notre objectif ultime mais qu'il nous faut pour le moment envisager cet objectif à plus long terme.

Laissez-moi préciser ma pensée. Quand nous avons ratifié l'Accord de libre-échange, nous avions toujours les mêmes 65 professions qui autorisaient l'entrée aux États-Unis. La chose est devenue plus compliquée quand on a ajouté le Mexique, parce que le traitement des professionnels à la frontière du sud exige une procédure différente, selon les États-Unis.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Pourquoi?

M. David Andersson: Prenez notre relation d'immigration avec les États-Unis. Aux yeux de l'INS, le Canadien est l'étranger le plus favorisé. Nous sommes exemptés de visa. En fait, nous n'avons même pas besoin de passeport pour entrer aux États-Unis. Il nous suffit d'avoir un certificat de naissance et un permis de conduire. Selon le règlement, il suffit en fait d'avoir un certificat de naissance mais les douaniers préfèrent un permis de conduire.

Le Mexique, en revanche, ne bénéficie pas du programme d'exemption de visa, c'est-à-dire qu'il représente le deuxième étranger le plus favorisé du point de vue du Service d'immigration et de naturalisation. Les Mexicains ont toujours besoin d'un visa pour entrer aux États-Unis. La procédure ne peut pas être la même.

• 1600

En ce qui nous concerne, il nous suffit d'arriver à un port d'entrée et de présenter nos documents pour être acceptés. Pour ce qui est des Mexicains, ils doivent toujours présenter un visa.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Peut-être pourriez-vous nous donner d'autres précisions plus tard à ce sujet, puisque nous manquons de temps.

L'un des premiers témoins d'aujourd'hui représentait le secteur des services. Il s'agissait d'une femme qui nous a parlé précisément des visas, de la manière dont elle exporte dans 40 pays différents et des problèmes que connaissent les gens d'affaires en voyage de cinq à 10 jours. Je pense qu'il y a là tout un secteur complémentaire que nous pourrions examiner attentivement plus tard.

Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier tous d'être venus. Nous sommes très heureux d'avoir pu vous entendre et nous vous remercions sincèrement d'avoir pris la peine de venir vous adresser au comité.

Comme je l'ai dit à tous les témoins qui vous ont précédés, ceci n'est que le début d'un dialogue. Ce n'est pas la fin des consultations. Nous vous invitons à poursuivre le dialogue avec les membres du comité. Merci.

J'invite maintenant le groupe de témoins suivant. Mesdames et messieurs, veuillez prendre place. J'ai pris un peu de retard, et je n'aime pas ça. Je tiens à ce que tout le monde ait la possibilité de s'exprimer.

Je dois cependant vous dire que nous avons un échéancier inflexible puisque nous devons prendre l'autobus à 17 h 30 car nous partons pour Edmonton. Les gens qui ont préparé notre programme n'avaient pas tenu compte du temps qu'il nous faudrait pour aller à l'aéroport.

Si vous me le permettez, nous allons commencer tout de suite. Je sais que vous avez préparé des mémoires merveilleusement rédigés car j'ai pu les feuilleter très rapidement. Je vous demande de les résumer brièvement pour que chacun ait la possibilité de s'exprimer. Nous pensons que c'est le dialogue qui est le plus productif.

Sans autre forme de procès, je donne la parole à Cory Ollikka, du Syndicat national des cultivateurs.

M. Cory Ollikka (président, Syndicat national des cultivateurs): Merci, madame la présidente.

Étant donné les problèmes de temps, je serai aussi bref que possible. Nous avons remis un mémoire de 12 pages à votre comité et je ne vais évidemment pas le lire. J'en citerai simplement quelques extraits.

Le SNC est heureux de pouvoir présenter l'opinion des agriculteurs canadiens à votre comité permanent. Le SNC est la seule organisation agricole nationale volontaire à adhésion directe du Canada, et c'est aussi la seule organisation agricole qui ait été constituée en vertu d'une loi, en juin 1970.

Le SNC est un organisme non partisan dont le but est de favoriser des politiques économiques et sociales contribuant au succès de la ferme familiale, unité fondamentale de production alimentaire du Canada.

• 1605

Comme vous le savez peut-être, les exportations agroalimentaires du Canada ont doublé depuis 1989, alors que le revenu net des agriculteurs a chuté de 19 p. 100. Les exportations sont cinq fois et demie plus élevées qu'en 1975 mais le revenu agricole net a baissé de 25 p. 100. Pour les agriculteurs, l'accroissement du commerce résultant de l'Accord de libre-échange Canada—États-Unis, de l'Accord de libre-échange nord-américain et de l'accord de l'Organisation mondiale du commerce a engendré fort peu de bénéfices mesurables, voire aucun.

Ces accords ont mis sur la défensive les organismes déjà affaiblis de commercialisation ordonnée du lait, de la volaille et des oeufs, ainsi que l'Office canadien du blé, l'Agence de commercialisation des producteurs de blé de l'Ontario et les quelques offices restants de commercialisation du porc. Ces accords limitent très sérieusement la capacité de notre pays de façonner des filets de sécurité agricole pour protéger efficacement les agriculteurs canadiens contre des marchés mondiaux de plus en plus fluctuants. Ces accords menacent aussi les lois canadiennes régissant la propriété foncière par les étrangers, les lois visant à protéger notre environnement et les lois actuellement envisagées pour insuffler un degré minuscule de concurrence dans le système de transport du grain de l'Ouest.

En ce qui concerne les filets de sécurité agricole, les accords de l'ALENA et de l'OMC ont augmenté les échanges commerciaux et internationalisé les marchés. Ils ont aussi débouché sur des prix plus bas et plus incertains pour les agriculteurs. Il est inacceptable que ces accords limitent aussi la possibilité pour le Canada de faire face à ces prix bas et fluctuants en concevant et en appliquant des programmes de sécurité efficaces. Le SNC recommande en conséquence que le gouvernement fédéral affirme dans toute négociation future son droit souverain de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes de sécurité efficaces et toute autre politique nécessaire pour sauvegarder les familles agricoles du Canada.

Pour ce qui est de la gestion de l'offre et de la commercialisation ordonnée, la ronde de négociation de l'OMC de 1999 prendra directement pour cible les entreprises de commerce dites d'État. Elle menacera directement la Commission canadienne du blé, l'Office de commercialisation des producteurs de blé de l'Ontario et, dans une moindre mesure, les agences canadiennes de gestion de l'offre du lait, de la volaille et des oeufs. Ces négociations constitueront par ailleurs une menace directe pour les offices de gestion de l'offre par le biais de la réduction des tarifs et de l'accès aux marchés.

Le but des États-Unis et de certains autres pays est clair: utiliser les accords commerciaux existants et les négociations sur de nouveaux accords pour abolir tout ce qui peut empêcher leurs grandes entreprises d'acheter et de vendre n'importe où dans le monde. La Commission canadienne du blé, l'Office de commercialisation du lait et les autres organismes de commercialisation ordonnée et de gestion de l'offre sont de tels obstacles non pas à un commerce libre et juste mais plutôt au commerce sans frein des grandes entreprises.

Les ministres fédéral et provinciaux de l'Agriculture du Canada, forts du succès que représente le doublement des exportations agroalimentaires entre 1989 et 1997, ont déclaré l'an dernier, en juillet 1998, qu'ils souhaitent doubler à nouveau ces exportations d'ici à 2005. Doubler et redoubler les exportations exige un accès accru aux marchés. Lorsque le Canada essaiera d'obtenir cet accès accru aux marchés, lors des prochaines négociations de l'OMC et de la ZLEA, on lui demandera ce qu'il a à proposer. On lui demandera notamment d'ouvrir ses propres marchés. On lui demandera de faire des sacrifices.

Le Canada n'a malheureusement plus grand-chose à sacrifier, si ce n'est ses organismes de gestion de l'offre et de commercialisation, tels que la Commission canadienne du blé. Bien des agriculteurs craignent que, lorsque les négociateurs canadiens essaieront d'obtenir l'ouverture des marchés, le prix qu'ils seront prêts à payer sera la disparition de la CCB ou de la gestion de l'offre.

S'il est vrai que les accords commerciaux ont offert peu d'avantages aux agriculteurs, les organismes de commercialisation ordonnée et de gestion de l'offre que menaceraient ces accords leur en ont donné beaucoup. Manifestement, les agriculteurs qui approvisionnent le marché intérieur le font au sein d'une structure qui empêche la production excédentaire et qui les rémunère en tenant compte de leur coût de production, ce qui veut dire que les producteurs laitiers, par exemple, s'en sont beaucoup mieux sortis que les agriculteurs qui oeuvrent dans les secteurs de l'agriculture canadienne axés sur l'exportation tels que le porc et les céréales.

Cela étant, il serait tout à fait stupide ne serait-ce que d'envisager d'affaiblir nos organismes de gestion de l'offre et de commercialisation ordonnée pour essayer d'obtenir un accès accru aux marchés et une augmentation de nos exportations. Le SNC recommande en conséquence au gouvernement du Canada de ne pas utiliser les organismes canadiens de commercialisation ordonnée et de gestion de l'offre comme carte de négociation dans le cadre des futures négociations commerciales internationales.

En conclusion, face aux critiques actuellement formulées à l'égard du système de commercialisation des produits agroalimentaires, les partisans de ce système disent souvent que ces critiques sont contre le commerce. Le SNC appuie le commerce et la prospérité tant et aussi longtemps que les deux sont liés. À l'heure actuelle, pour les agriculteurs, ils ne le sont pas. Tant que les négociateurs canadiens de l'OMC s'en tiendront aux paramètres étroits dictés par les négociateurs américains, nous aurons fort peu de chance d'avancer vers la résolution des problèmes qui frappent les agriculteurs du monde entier.

Le gouvernement canadien doit s'efforcer d'élargir le mandat des prochaines négociations de l'OMC. Il doit dépasser l'idée trompeuse que commerce égale prospérité pour les agriculteurs, idée qui est pourtant implicite dans le régime actuel de l'OMC, afin d'avancer vers un système plus axé sur les résultats. Il doit collaborer avec les autres gouvernements pour forger un accord international sur le commerce des produits agricoles qui appuie vraiment les agriculteurs, l'environnement et les économies rurales et urbaines.

• 1610

Le SNC recommande en conséquence aux négociateurs canadiens de l'OMC de collaborer avec ceux des autres pays qui souhaitent réduire l'obsession de l'OMC sur l'accélération des exportations, la déréglementation et la destruction des institutions favorables aux agriculteurs. Le SNC recommande par ailleurs aux négociateurs canadiens d'oeuvrer pour élargir la portée du débat au sein de l'OMC dans le but de favoriser des résultats bénéfiques aux agriculteurs du monde entier.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup de cet exposé très intéressant.

Nous avons maintenant M. Mykle, du B.C. Council of Marketing Boards.

M. Arne Mykle (porte-parole, B.C. Council of Marketing Boards): Merci beaucoup. Vous avez très bien prononcé mon nom.

Je commencerai par vous donner quelques informations sur le Council of Marketing Boards, qui représente 11 offices et commissions de commercialisation de la Colombie-Britannique. Nous avons aujourd'hui avec nous des représentants des secteurs de la dinde, du poulet et du lait, ainsi que notre personne-ressource, M. Dolberg, qui a préparé notre mémoire.

Je pense que je pourrais probablement lire notre mémoire aussi rapidement que Cory l'a fait. Votre comité doit cependant bien comprendre que Cory a fait son exposé au nom du SNC, alors que je ferai le mien au nom du Conseil des offices de commercialisation, et que Mme Holm s'exprimera au nom de sa propre organisation. Nous nous adressons donc à vous séparément mais je puis vous dire que les positions prises par Cory au nom de son organisation nous encouragent beaucoup.

Je veux dire aussi que nous vous souhaitons la bienvenue dans notre province et que nous vous remercions de nous avoir invités à nous adresser à votre comité. À la différence des personnes qui m'ont précédé pour dire que l'économie générale de la Colombie-Britannique est en situation de stress, je dois convenir, comme vous le verrez à la première page de notre mémoire, que les quatre secteurs des produits laitiers, des oeufs, de la dinde et du poulet ont enregistré au cours des cinq dernières années une augmentation de 150 millions de dollars de leur chiffre d'affaires dans la province. À part le secteur technologique, très peu d'industries peuvent faire état de tels résultats. Nous constituons donc des ressources renouvelables qui gagnent du terrain.

Je précise aussi que la Colombie-Britannique est la troisième province productrice de produits laitiers, d'oeufs et de volaille, après l'Ontario et le Québec. Les négociations commerciales ont donc autant d'importance pour nos producteurs que pour ceux des provinces centrales. Nous vous demandons de ne pas l'oublier.

Les quatre secteurs, la volaille, les oeufs et... Je dis quatre mais c'est plus que ça. Les produits laitiers, les oeufs et la volaille représentent 40 p. 100 de l'agriculture provinciale et des milliers d'emplois. Au cours des années, ces secteurs ont connu une expansion soutenue, comme le montre le graphique. Il importe toutefois de dire que les secteurs des produits laitiers, des oeufs et de la volaille, tout comme l'agriculture de manière générale, subissent des pressions considérables d'origine très variée, notamment du fait de la hausse des coûts de production et de l'intensification de la concurrence sur le marché. Cela vaut autant pour les producteurs que pour les transformateurs, comme maintes études récentes l'ont montré.

L'un de nos problèmes est que les précédentes négociations commerciales ont eu certaines retombées négatives sur le secteur de la production. Plus précisément, je peux dire que le gouvernement fédéral s'est déchargé de certains des services qu'il assurait, par exemple d'inspection, ce qui constitue pour nous un désavantage compétitif. En outre, lorsqu'on a abandonné la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et le programme d'aide au transport des grains de provende, la Colombie-Britannique a fait l'objet de discrimination dans la mesure où c'est la seule province qui a été pénalisée. J'attire en particulier votre attention sur la case qui se trouve à la page 2 de notre mémoire, où vous trouverez des précisions à cet égard.

Les producteurs et les éleveurs de bétail de la Colombie-Britannique ont été profondément choqués par ces mesures. Nous nous sommes adressés à Collenette, le ministre des Transports, ainsi qu'au ministre responsable de l'Agriculture et de la Commission du blé. Beaucoup de gens ont entendu notre message. En outre, la Chambre de commerce de la Colombie-Britannique entreprendra des démarches en notre nom au palier national au sujet de la discrimination exercée contre les producteurs de bétail de la Colombie-Britannique.

• 1615

Il importe aussi que le Canada revoie sérieusement son système global de soutien de l'agriculture en le comparant à ceux des autres membres de l'Organisation mondiale du commerce. Des données de fond préparées par Agriculture et Agroalimentaire Canada pour la conférence de la semaine dernière concernant la formulation d'une position canadienne sur le commerce agricole montrent que les taux de soutien intérieurs en 1995 au Canada, au Japon, aux États-Unis et dans l'Union européenne étaient respectivement de 16 p. 100, 64 p. 100, 28,6 p. 100 et 42 p. 100. Comment peut-on s'attendre à ce que l'agriculture canadienne reste compétitive à longue échéance dans un tel contexte? Nous considérons que nos producteurs agricoles sont en avance sur les autres et nous ne voulons pas être pénalisés par d'autres négociations qui pourraient être entamées sans que les autres aient été obligés d'arriver au minimum au même niveau que nous.

La position du Canada pendant les négociations devrait être une position unifiée. Nous appuyons l'abolition des subventions à l'exportation et je veux dire que nous sommes là aussi déjà en avance sur les autres pays. Vous l'avez sans doute déjà entendu dire mais je crois que ça vaut la peine de le répéter puisque nous sommes déjà tombés à zéro.

Nous voulons des règles équitables. La prochaine ronde des négociations devrait viser à produire des règles véritables, c'est-à-dire obligatoires et exécutoires, pas simplement des lignes directrices.

Nous appuyons les entreprises commerciales d'État telles que la Commission canadienne du blé et la Commission canadienne du lait, dans le cadre de leur rôle actuel, mais il faut que les règles soient transparentes et qu'elles soient considérées non pas comme des obstacles mais comme un instrument dont peuvent bénéficier les producteurs pour faciliter l'acheminement de leur production.

Nous sommes favorables au maintien de tarifs douaniers au-delà des quotas. Nous pensons que le système de gestion de l'offre qui existe au Canada est un instrument de politique. Nous avons le droit souverain de faire ce genre de choix et, pour pouvoir faire ce choix, il nous faut ces tarifs douaniers au-delà des quotas tels qu'ils existent actuellement.

Il serait peut-être utile au comité de savoir qu'en ce qui concerne les taux de satisfaction des contingents tarifaires, suite à l'Uruguay Round, le Canada a un taux de plus de 90 p. 100. Nous sommes de bons boy-scouts. Les États-Unis ne sont qu'à 50 p. 100, la Communauté européenne, à 70 p. 100, et la moyenne mondiale est de l'ordre de 60 p. 100. Laissons donc les autres nous rejoindre avant de changer notre situation.

Nous pensons qu'il faut plafonner les subventions intérieures, mais il serait bon que le même plafonnement s'applique à tout le monde, par souci d'équité. Or, comme le montre ce graphique, les subventions versées sont de l'ordre de 16 p. 100 au Canada, contre 32 p. 100 aux États-Unis et 42 p. 100 dans la Communauté européenne. Et tous les observateurs du monde agricole savent que les autres pays ont déjà préparé leur Trésor public pour la prochaine ronde. Cela constituera hélas un coût pour beaucoup de producteurs canadiens, quelle que soit votre opinion des producteurs de céréales ou de bétail.

Le Canada doit défendre vigoureusement son droit de maintenir des systèmes efficaces de commercialisation. Nous devons en particulier demander à nos alliés d'oeuvrer en faveur de règles de l'OMC confirmant le droit des pays de donner à leurs organisations de commercialisation le pouvoir de réglementer le volume de production nationale, de constituer des coopératives de vente centralisées, et de mettre les résultats en commun.

En conclusion, au nom des producteurs laitiers, des producteurs d'oeufs et des producteurs de volaille de la Colombie-Britannique, nous vous remercions de nous avoir accueillis devant votre comité.

Je voudrais résumer en soulignant les points qui suivent.

Premièrement, l'avenir de l'agriculture canadienne exige que le gouvernement s'engage à l'égard des programmes et instruments nationaux qui sont nécessaires pour assurer la stabilité et la compétitivité des agriculteurs canadiens, quels que puissent être les accords commerciaux internationaux que nous aurons négociés.

Deuxièmement, les secteurs des produits laitiers, des oeufs et de la volaille de la Colombie-Britannique appuient sans réserve les positions avancées par notre organisation nationale au sujet des futures négociations commerciales, notamment les objectifs énoncés dans First Things First, ainsi que la position formulée par la Fédération canadienne de l'agriculture. Ces positions constituent une assise solide pour formuler le mandat de négociation préliminaire du Canada pour le secteur agricole.

Je tiens à dire aussi que nous tous ici étions à Ottawa au début de la semaine dernière pour participer à la recherche d'un consensus sous l'initiative du ministre fédéral de l'Agriculture. Je pense que nous avons été relativement satisfaits des résultats et je suis sûr que vos collègues vous donneront des précisions là-dessus. Nous avons aussi été vivement encouragés de constater que bon nombre de ministres provinciaux de l'Agriculture étaient présents à cette occasion, tout comme certains de leurs hauts fonctionnaires. Nous pensons que les résultats ont été très positifs.

Merci beaucoup.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup, monsieur Mykle. Vos collègues ont-ils quelque chose à ajouter?

• 1620

M. Arne Mykle: Non, nous sommes plutôt ici pour répondre à vos questions. Si nous voulons apporter d'autres précisions, nous pourrons le faire pendant la période des questions.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Nous allons donc passer à Mme Holm, ce qui nous aura permis d'entendre les trois témoins, après quoi nous passerons aux questions.

Madame Holm.

Mme Wendy Holm (témoignage à titre personnel): Je commencerai par vous dire que je suis très heureuse, à titre de Canadienne et d'agronome, d'avoir la possibilité de m'adresser à votre comité au sujet de deux questions, l'agriculture et l'eau, qui exigeront une attention particulièrement diligente des négociateurs commerciaux canadiens lors de la prochaine ronde de négociation de l'OMC et lors des négociations suivantes.

Puisque vous vous demandez peut-être à quel titre je m'adresse à vous au sujet de problèmes d'agriculture et d'eau, je vais vous résumer brièvement mon expérience. Je suis agronome et économiste agricole et j'ai près de 30 ans d'expérience canadienne dans les secteurs de l'agriculture, de l'économie, du commerce, de la politique de la concurrence, de l'organisation industrielle, de la réglementation et de ses effets sur le rendement du secteur privé, de la planification stratégique et des politiques agricoles. J'ai aussi une expérience particulière et récente en matière de politique internationale de soutien à l'agriculture, de compétitivité internationale, d'agriculture durable, de priorité canadienne en matière de changement climatique, d'émissions de gaz à effet de serre et d'accord de Kyoto, de coopératives, de rôle de l'agriculture du point de vue de la durabilité économique, sociale et environnementale des communautés, et des politiques nécessaires pour atténuer la crise très grave à laquelle sont confrontés les agriculteurs canadiens.

Je suis ex-présidente du B.C. Institute of Agrologists et de la succursale de l'Institut à Vancouver. Je suis ex-directrice pour la Colombie-Britannique de l'Institut agricole du Canada et ex-administratrice de la Okanagan Valley Tree Fruit Authority, de la VanCity Credit Union, de VanCity Enterprises et de la VanCity Foundation. Au cours de la dernière décennie, j'ai eu le privilège de présider le conseil d'administration de Ethical Funds Inc. et de recevoir à la fois la Médaille commémorative de la Reine pour services rendus à la communauté et le Prix du gouvernement de la Colombie-Britannique pour la programmation communautaire.

C'est moi qui ai exprimé la première des préoccupations au sujet de l'application de l'accord de libre-échange à l'eau, et je suis la rédactrice en chef et l'une des rédactrices de l'ouvrage intitulé Water and Free Trade. Je suis actuellement deuxième vice-présidente du conseil d'administration de Mensa Canada.

Pendant la courte période qui m'est impartie pour m'adresser à vous, je voudrais présenter deux arguments très importants.

Tout d'abord, pour préserver la souveraineté canadienne sur les ressources en eau, il est crucial que l'eau, c'est-à-dire le produit no 2201.9 du Système harmonisé, soit explicitement exemptée de toute disposition actuelle et future des ententes internationales, notamment de l'OMC et de la ZLEA.

Deuxièmement, pour assurer l'exploitation durable des terres productives du Canada et l'offre aux consommateurs canadiens de produits alimentaires sains, nutritifs et abordables, il nous faut assurer la durabilité d'une agriculture indépendante et économiquement viable. Pour ce faire, nos négociateurs commerciaux doivent s'écarter de la position de négociation des États-Unis concernant l'agriculture dans le but de mieux défendre les priorités de nos propres agriculteurs.

Comme j'ai souvent parlé de l'eau au cours des 12 dernières années, je parlerai cette fois d'abord des agriculteurs.

Il existe un certain nombre de mythes qu'il convient de renverser au sujet des agriculteurs canadiens, le premier étant sans doute celui de la prudence. D'aucuns affirment en effet qu'en matière de politique étrangère et de commerce international, le Canada ne fait que suivre la politique de prudence de ses concurrents.

L'an dernier, j'ai eu le privilège de préparer pour la B.C. Fruit Growers Association un rapport concernant notamment le niveau de soutien de politique étrangère consenti à l'agriculture dans les pays de l'OCDE. Je vous invite à consulter à ce sujet le document que je vous ai remis. La première page est là uniquement pour vous donner les références du rapport, lequel fait plusieurs centaines de pages. J'ajoute qu'on peut se procurer le rapport en s'adressant à la B.C. Fruit Growers Association de Kelowna et en payant des frais de reproduction de 20 $.

Les graphiques joints à ce rapport et préparés à partir de statistiques qui viennent juste d'être publiées par l'OCDE montrent qu'à l'exception de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande—et j'adorerais avoir le temps, à titre de spécialiste, de préparer un document prouvant que la Nouvelle-Zélande est loin d'être le paradis dont on parle—le Canada est, de tous les membres de l'OCDE, le pays qui a réduit le plus et le plus vite ses programmes de soutien à l'agriculture. J'attire votre attention sur le graphique 12, où vous verrez sur la ligne du bas des noms de pays et trois barres. La barre rouge correspond au niveau de soutien à l'agriculture en 1986, et la dernière barre, au niveau en 1996. Vous pouvez voir clairement que le Canada a réduit ses programmes de soutien agricole plus rapidement et plus fortement que n'importe quel autre pays de l'OCDE, que le calcul soit fait par hectare, par agriculteur ou par équivalent agriculteur à temps plein.

• 1625

Si vous examinez les niveaux de soutien par habitant pour l'agriculture canadienne par hectare, au graphique 13, avec le petit graphique au haut de la page et le plus grand graphique en bas, le transfert total à l'agriculture est de 66 $ par hectare agricole, contre 161 $ l'hectare aux États-Unis, 4 000 $ l'hectare en Suisse et 15 000 $ l'hectare au Japon. Si on prend les chiffres par habitant, c'est-à-dire pour chaque homme, femme et enfant, le chiffre est de 161 $ consacrés à l'agriculture au Canada, contre 259 $ aux États-Unis, 322 $ dans l'Union économique européenne et 935 $ en Suisse.

Passez maintenant au troisième graphique, le graphique 16, qui représente les transferts totaux associés aux politiques agricoles par agriculteur à temps plein. Le résultat est encore le même. Par agriculteur à temps plein, le Canada a un équivalent d'environ 11 225 $ de soutiens agricoles, contre 27 000 $ aux États-Unis et des chiffres encore beaucoup plus élevés dans les autres pays.

Le dernier graphique représente la part des produits alimentaires en pourcentage des dépenses de consommation. De tous les pays de l'OCDE, c'est au Canada que cette part est la plus faible. Et tous ces chiffres viennent de l'OCDE.

On suppose souvent que les marchés nous approvisionneront, à condition que nos agriculteurs soient simplement compétitifs. Le revers de ce mythe est que les subventions sont honteuses. Les économistes considèrent que les bienfaits sont des externalités positives, des cadeaux dont bénéficie la société et que le marché ne prend pas en compte et ne récompense pas. Cependant, comme viennent de le montrer les chiffres que nous avons brièvement présentés au comité, les autres nations de l'OCDE sont en train de remplacer les mauvaises subventions agricoles par de bonnes subventions agricoles au niveau des politiques publiques.

Les soutiens gouvernementaux à l'agriculture consentis au Canada et mesurés par hectare, par agriculteur ou par habitant sont spectaculairement inférieurs à ceux de tous les autres pays de l'OCDE. Je pense qu'il est très important de comprendre ça car le message qui est diffusé aux Canadiens et aux agriculteurs est que c'est tout simplement comme ça que se font les choses et que nous n'avons qu'à nous y adapter. Il est très important de comprendre que les autres nations adoptent actuellement une attitude radicalement différente quant au rôle de l'agriculture et quant à l'importance de l'agriculture dans leur économie. Ces pays cherchent de nouvelles manières d'appuyer leurs agriculteurs au moyen de subventions céréalières. Le Canada ne fait pas ça.

Nos agriculteurs sont des supervedettes en matière d'agriculture durable. En Colombie-Britannique, des groupes comme le Fraser River Basin Council ont démontré l'importance d'une agriculture durable comme pilier fondamental de la durabilité économique, sociale et environnementale communautaire. Pourtant, nous sommes aussi un pays où l'abus des relations de politique, le vide en réalité, avec nos collectivités agricoles met sérieusement en danger la durabilité même de l'agriculture.

Nous recevons de plus en plus de récits des Prairies parlant de catastrophe économique. Pour moi, l'une des histoires les plus poignantes est celle du premier jeune agriculteur du Canada qui a perdu en 1997 l'exploitation que possédait sa famille depuis quatre générations à cause de l'effondrement des marchés du porc. En Colombie-Britannique, trois années de mauvais temps, de chaleur et de pluies excessives, de printemps tardifs et d'automnes humides, conjuguées à une année de grêle, une année de températures à 40 degrés et de sécheresse prolongée, de mauvais marchés et de mauvaises politiques de soutien ont transformé les agriculteurs en girouettes attendant l'aide d'un gouvernement dépourvu de solutions et de dollars.

Nous ne pouvons quand même pas affamer les enfants, ouvrir les fenêtres et couper le chauffage durant cet hiver de catastrophe économique pour les agriculteurs du Canada.

Un autre mythe veut que la solution consiste simplement à avoir des exploitations de plus en plus grosses. Il suffit de restructurer. Le secteur n'a qu'à se réorganiser pour relever le nouveau défi des marchés globaux. Aux États-Unis, selon le roi du poulet, Buddy Pilgrim—je n'ai encore jamais entendu de nom plus évocateur que «Buddy Pilgrim»—il ne reste plus aucun éleveur de poulet indépendant. Les géants de l'agroalimentaire comme Monsanto, American Home Products et d'autres se positionnent pour coloniser les terres agricoles du Canada. Quand les grands intégrateurs se mêlent d'agriculture, ce sont les rendements agricoles et les pratiques d'exploitation agricole durables qui en souffrent car la politique des intégrateurs consiste à accaparer des parts de plus en plus élevées des marges agricoles, ce qui entraîne la décapitalisation du secteur. Ce n'est pas parce que le capital est mauvais mais simplement parce que le capital réagit de manière très prévisible aux occasions qui s'offrent. L'économie, c'est simplement la physique du capital.

Si je devais verser un verre d'eau sur une surface rocailleuse, vous sauriez tous comment l'eau s'écoulerait à cause des bosses et des creux de la surface, non pas parce que vous comprenez nécessairement les propriétés moléculaires de l'eau et de la surface sur laquelle elle s'écoule mais parce que vous comprenez que l'eau réagit de manière immuable et complètement prévisible à certains principes de gravité et de forme.

• 1630

Nous savons que l'eau, lorsqu'elle est répandue dans le paysage par une multitude de rigoles, nourrit les plantes et favorise la production par l'irrigation. Nous savons aussi que l'eau laissée à elle-même a tendance à connaître des gains de vélocité et de force qui la rendent de plus en plus difficile à contrôler et qui en font un élément destructeur.

Le capital répond à des lois similaires et tout aussi immuables. Lorsqu'il est dispersé relativement également dans l'ensemble de la société, par une multitude de rigoles, il produit une classe moyenne solide et une croissance économique forte. Lorsqu'il est laissé à lui-même, il laisse d'énormes régions arides pour se canaliser dans d'énormes rivières qui débordent. C'est destructeur et coûteux.

Le rôle de l'État consiste donc à créer les petits barrages qui sont nécessaires pour veiller à ce que le capital, lorsqu'il circule dans l'économie, se disperse dans la multitude de petites rigoles qui sont nécessaires pour assurer une économie productive et une classe moyenne forte, de façon à ce que la société devienne à moyen terme telle que nous la souhaitons, saine, sûre et abondante.

Vous ne devez pas oublier, lorsque vous négociez au nom des agriculteurs du Canada, les intérêts fondamentaux des acteurs concentrés du secteur agroalimentaire et le rôle que peut jouer le Canada en adoptant des politiques pour créer des petits barrages destinés non seulement à réglementer mais aussi à développer les capacités, ce qui est nécessaire pour soutenir et renforcer le secteur agricole.

Comment le monde peut-il s'adapter aux nouvelles pressions exercées sur le secteur alimentaire? La Banque royale répond à cette question en parlant d'intensification durable, ce qui est en fait en grande mesure un euphémisme pour les produits et aliments modifiés génétiquement.

Au lieu de produire plus d'aliments sur moins de terres, le défi est de conserver les terres cultivées et de les exploiter de manière durable. Dans bien des cas, cela exige des baisses de rendement mais, ce que Mère nature nous prend, elle nous le rend sous forme de valeur commerciale plus élevée pour des récoltes organiques durables commercialement produites.

La mode actuelle est aussi de dire que les questions que j'aborde si brièvement dans cet exposé constituent le pré carré des décideurs publics, pas des négociateurs commerciaux. C'est le vieux système de la politique en cheminée.

À cause de nos liens commerciaux étroits avec les États-Unis, nous sommes souvent amenés à appuyer les Américains sur les questions de commerce international. Toutefois, lier notre position à celle des États-Unis, en matière d'agriculture, reviendrait à attacher nos agriculteurs à la proue d'un brise-glace. L'intérêt des multinationales est de coloniser les terres agricoles du Canada pour obtenir leur eau. L'intérêt des communautés canadiennes est d'en prendre conscience et de défendre la souveraineté du Canada sur sa politique agricole.

Un agriculteur n'enverrait pas une génisse faire le travail d'un taureau. Veuillez donc vous assurer que les négociateurs que nous enverrons à la table de négociation mondiale sont parfaitement bien équipés pour le travail qu'ils auront à faire.

Je voudrais dire quelques mots au sujet de l'eau. Je m'excuse de parler plus d'agriculture que d'eau, étant donné que l'eau est une denrée cruciale qui mériterait un traitement égal, mais Maude Barlow a déjà abordé cette question de manière tout à fait admirable.

Je rappelle seulement que ce sont les agriculteurs qui ont été les premiers à parler d'eau aux Canadiens en 1988. Voyez maintenant où nous en sommes. Nous faisons l'objet de poursuites en vertu d'un mécanisme de règlement des différends parce que nous aurions empêché certaines parties d'avoir accès à une denrée qu'un aréopage d'avocats niaient il y a une dizaine d'années être précisément une denrée. Aujourd'hui, les avocats de la Colombie-Britannique ne peuvent même pas entrer dans la salle où les avocats fédéraux discutent avec l'avocat de Sun Belt de la poursuite d'à peu près un demi-milliard de dollars qu'une société américaine a intentée contre le Canada.

Pour votre information, je vous ai communiqué mon mémoire sur l'eau et l'AMI. Toutes les remarques que j'y fais sont encore tout à fait pertinentes dans le contexte de l'examen par votre comité du rôle de l'eau comme denrée qu'il convient d'exempter des accords commerciaux de l'OMC. Si quiconque veut obtenir des précisions au sujet de ma position sur l'eau, je serais ravie de les fournir. Je pourrais même venir à Ottawa pour ça.

Dans les prochaines négociations de l'OMC, je vous implore de défendre la gestion de l'offre, de défendre la souveraineté du Canada sur ses politiques de soutien à l'agriculture et au sujet de l'eau, et de respecter et de défendre l'intégrité des producteurs agricoles indépendants du Canada.

Au moment où les consommateurs réclament de plus en plus de trucs commerciaux—produits organiques non modifiés—que les grandes multinationales de l'agroalimentaire ne peuvent fournir parce qu'elles sont devenues trop grandes et trop rigides, ce qui veut dire qu'elles auront causé leur propre perte, ce seront les petits producteurs agiles qui réussissent à obtenir un avantage compétitif sur les marchés nationaux et mondiaux. Nos agriculteurs sont idéalement placés. À nous de veiller à ce qu'ils ne soient pas liquidés.

Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci beaucoup.

Chers collègues, avez-vous des questions?

M. Darrel Stinson: Oui.

Je viens d'une famille d'agriculteurs et d'éleveurs et je me souviens de l'époque où notre plus gros problème concernait les barrières commerciales provinciales qui nous empêchaient d'expédier nos produits entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Le problème est le même aujourd'hui, mais à une beaucoup plus grande échelle.

• 1635

Ce que j'ai constaté, c'est qu'il est important que les règles relatives aux subventions soient claires. Quand nous négocions des accords commerciaux, ce qui est considéré comme une subvention au Canada peut ne pas l'être aux États-Unis, et c'est ça qui tend à engendrer des désaccords. Comment pourrions-nous donc réglementer avec exactitude ce qu'est effectivement une subvention, de façon à avoir un système normalisé pour toutes les circonstances, ce qui permettrait à chacun de savoir à quoi s'en tenir?

En ce qui concerne les producteurs laitiers et les éleveurs de volaille, beaucoup ont dû acheter des quotas. Ils ont investi des sommes énormes dans leurs quotas, tout comme d'autres ont investi dans des REER, par exemple, car c'était là-dessus qu'ils comptaient pour leur retraite. Or, j'ai l'impression que ces accords risquent de faire perdre toute valeur à leurs quotas. Qu'en pensez-vous?

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Qui veut répondre? M. Mykle puis M. Wiebe.

M. Arne Mykle: Comme M. Wiebe a dit qu'il aimerait parler des règles relatives aux subventions, je lui laisse la parole.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Wiebe.

M. Dan Wiebe (porte-parole, Office de commercialisation du dindon, B.C. Council of Marketing Boards): Merci.

La FCA, qui représente une bonne proportion des agriculteurs canadiens, appuierait la création d'une sorte de comité indépendant destiné à garantir que tous les pays respectent les mêmes règles et ne transforment pas leurs programmes de soutien, par exemple de l'exportation à l'écologie. Nous estimons que le Canada a respecté les règles et qu'il devrait y avoir un système garantissant que le reste du monde les suit aussi.

M. Darrel Stinson: Pensez-vous que nous pourrions être compétitifs si les règles relatives aux subventions étaient les mêmes pour tout le monde?

M. Dan Wiebe: Les enjeux pour le Canada sont très élevés sur le plan des exportations, par exemple en ce qui concerne les céréales, le porc, la viande de boeuf, etc. De manière générale, le Canada a tout à gagner à ce que le reste du monde respecte les règles qu'il a acceptées.

M. Darrel Stinson: Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Si vous me permettez une question complémentaire, quelle serait la nature de cet organisme indépendant? Ferait-il partie de l'OMC? Comment serait-il constitué?

M. Dan Wiebe: Nous serions favorables à un comité de type OMC qui serait indépendant et qui garantirait qu'il n'y a aucun abus des règles, ce qui est actuellement le cas dans beaucoup de pays.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): M. Ollikka, puis M. Mykle.

M. Cory Ollikka: En ce qui concerne la définition des subventions, madame la présidente, je pense qu'il faut faire une distinction dans le cas des subventions à l'exportation. Certains pays versent des subventions dont le but direct est d'appuyer la mise en commercialisation des produits, ce qui a évidemment pour effet de faire baisser le prix de ces produits. Ce qui inquiète les agriculteurs canadiens, c'est que la définition des subventions soit élargie à ce qu'on appelle aujourd'hui des barrières non tarifaires, ce qui veut dire que des choses comme la commercialisation ordonnée et la gestion de l'offre risquent d'être interprétées comme des obstacles au commerce international alors que ce sont en fait des obstacles empêchant que le capital transnational envahisse notre économie intérieure et n'écrase les petits producteurs.

En conséquence, que l'on parle de subventions à l'exportation ou de subventions tout court, il faut bien veiller à distinguer les subventions à l'exportation des subventions qui sont simplement destinées à protéger une industrie nationale.

Les Européens affirment que nos subventions à l'exportation visent à protéger nos agriculteurs mais le résultat sur le marché international est très différent. Nos systèmes de gestion de l'offre et notre agence collective de vente, la Commission canadienne du blé, ne contribuent aucunement à faire baisser les prix internationaux. Ce sont des mécanismes que nous avons conçus nous-mêmes, collectivement, pour protéger notre industrie et on doit donc les considérer comme des programmes nationaux.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): L'OMC n'a-t-elle cependant pas rendu un jugement contre nous en ce qui concerne l'utilisation finale du lait?

M. Arne Mykle: Un comité a rendu une décision sur les produits laitiers. Le Canada a décidé de porter cette décision en appel car il estime qu'elle était mauvaise. Ce serait donc relativement folie de notre part de faire des commentaires sans attendre la décision finale sur ce différend commercial, étant donné que ce serait pure conjecture.

Pour répondre à M. Stinson, quand nous avons négocié l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, le chapitre 7 portait sur l'agriculture. Suite à cet accord, le Canada et les États-Unis étaient censés négocier une liste des subventions qui seraient autorisées et de celles qui ne le seraient pas.

Je n'aime pas répondre à une question en en posant une autre mais il pourrait être utile que votre comité, étant donné que ces accords relèvent en fait de ce ministère, cherche à savoir ce qu'est devenue cette définition des subventions dans le cadre du chapitre 7 de l'Accord de libre-échange. J'ai le sentiment que les deux pays tenaient vraiment à faire quelque chose à ce sujet au début mais qu'ils ont probablement fini par y renoncer et qu'ils ne s'en occupent sans doute même plus du tout aujourd'hui.

• 1640

M. Darrel Stinson: Je pense que vous avez raison.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: M. Ollikka voulait ajouter quelque chose.

[Traduction]

Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Cory Ollikka: Oui, merci beaucoup.

Quand on parle de définition des subventions, je pense qu'on a tendance à distinguer le secteur privé du secteur public. «Économies d'échelle» est un autre euphémisme qu'on applique de manière générale à l'agriculture. Que sont cependant ces économies d'échelle quand on les transforme en capital transnational? Mme Holm s'exprime très bien et j'ai utilisé moi aussi la métaphore de l'eau pendant tout l'hiver. C'est une bonne métaphore.

Si nous focalisons constamment les négociations commerciales sur ce que font les subventions et crédits gouvernementaux sur l'économie mondiale, notamment sur l'agriculture, pourquoi ne parle-t-on jamais de l'effet du capital du secteur privé? Comment ce capital est-il autorisé à se comporter?

Par exemple, l'expansion du commerce agricole a-t-elle été bénéfique à l'économie canadienne? Eh bien, 79 p. 100 des minoteries canadiennes de blé sont sous propriété étrangère, et 78 p. 100 appartiennent à des intérêts américains, dont 52 p. 100 à la seule compagnie Archer Daniels Midland. De même, 93 p. 100 des houblonneries canadiennes sont sous propriété étrangère ou américaine, 66 p. 100 des minoteries de blé durum sont sous propriété américaine, 90 p. 100 des usines de pâtes canadiennes sont sous propriété étrangère, 66 p. 100 des abattoirs canadiens de boeuf appartiennent à Cargill et IBP.

Ces entités, qui agissent sur les marchés internationaux, détiennent assez de pouvoir pour manipuler ces marchés. Des poursuites collectives ont été intentées aux États-Unis contre Cargill pour manipulation de prix, et d'autres contre un certain nombre d'entreprises de même taille. Donc, si vous voulez parler de subventions, que se passe-t-il du côté du secteur privé?

Voilà pourquoi le SNC prétend qu'il faut élargir les définitions seulement quand elles ont besoin de l'être. Il ne faut pas simplement élargir la définition des subventions commerciales pour y inclure des choses comme la commercialisation et la gestion de l'offre. Que font sur les marchés internationaux ces organismes transnationaux qui représentent de tels conglomérats de capital? Voilà une question à laquelle il faudrait aussi s'intéresser.

M. Darrel Stinson: Ne pensez-vous pas qu'il faudrait aller plus loin? En effet, vous êtes assujettis à beaucoup d'autres contraintes qui ne s'appliquent pas nécessairement dans d'autres pays, par exemple en ce qui concerne les pesticides que vous pouvez utiliser. Est-ce que tout cela ne devrait pas aussi entrer en ligne de compte?

M. Cory Ollikka: Ce serait un gros travail mais vous avez incontestablement raison.

M. Arne Mykle: C'est exactement ce que je voulais dire tout à l'heure quand j'affirmais que les producteurs du Canada sont à bien des égards désavantagés aujourd'hui à cause de l'Uruguay Round. Le gouvernement fédéral s'est déchargé de certaines fonctions en s'adressant directement à nos transformateurs primaires et à nos producteurs, et ce sont donc eux qui doivent aujourd'hui assumer ces coûts. Cela ne s'est pas fait aux États-Unis. Là-bas, ces activités continuent d'être financées par le Trésor public, d'une manière ou d'une autre.

La question des pesticides fait l'objet de débats ad nauseam au Canada mais sans jamais produire les résultats dont ont besoin nos producteurs horticoles pour rester compétitifs. Nous entrons parfois en scène trop tard parce que d'autres ont réussi à s'emparer d'un avantage compétitif que nous n'avons pas su exploiter. C'est une chose à laquelle nous devrions faire beaucoup plus attention en abordant la prochaine ronde de négociations—je veux dire que nous devrions veiller à ne pas nous désavantager nous-mêmes.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Jansen.

M. John Jansen (porte-parole, Office de mise en marché du lait, B.C. Council of Marketing Boards): Merci, madame la présidente.

Je pense que l'Uruguay Round nous a permis d'acquérir une expérience utile en ce qui concerne les retombées éventuelles de ce type d'accord. Par exemple, nous avons constaté que la formulation de certaines clauses n'était pas assez claire. Vous parlez de subventions. Aujourd'hui, on parle de «multifonctionnalité»—c'est-à-dire des facteurs d'ordre social, environnemental et religieux qui faussent ou perturbent le commerce.

En Suisse, par exemple, on dit que les agriculteurs des Alpes ou des régions montagneuses ont aussi un rôle touristique à jouer et qu'ils ne doivent pas être inclus dans la production. Quand j'étais ministre du Commerce international, des représentants du Japon m'ont dit que le prix du riz au Japon est quatre fois le prix mondial, ce qui s'explique en partie parce que le riz fait partie de la religion locale. Les États-Unis ont accordé le statut de nation la plus favorisée à la Jamaïque pour l'exportation de crème glacée alors qu'il n'y a pas d'élevage laitier en Jamaïque.

• 1645

Voilà certains exemples de dispositions de l'Accord qui ne sont pas assez rigoureuses. Nous ne sommes pas les seuls à demander de meilleures définitions. Nous voulons un meilleur mécanisme pour garantir que les dispositions de l'accord seront respectées par toutes les parties, et pour instaurer un mécanisme d'appel adéquat. Il existe actuellement un appel, vous avez raison. La manière dont l'appel a évolué et son incidence seront traitées normalement dans le cadre de notre appel sur le commerce.

Je pense qu'il s'agit là d'une question dont nous devrons tenir compte lors de la prochaine ronde pour veiller à instaurer un régime commun. Le Canada a été tout à fait franc en matière de réduction de ses subventions. On ne peut pas dire la même chose des autres nations, de l'UE et des États-Unis.

[Français]

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Sauvageau, avez-vous des questions?

M. Benoît Sauvageau: Je voudrais faire un commentaire.

Si j'ai bien compris, messieurs Mykle et Ollikka, vous êtes d'accord sur la position de la Fédération canadienne de l'agriculture. Oui? Je trouvais important de me le faire confirmer.

Je voulais vous féliciter et vous remercier. Après avoir entendu une multitude de groupes de témoins et de représentants, je dois dire qu'un groupe m'a semblé très bien structuré—je ne me fais pas le porte-parole du comité—, et c'est celui des agriculteurs, au Québec comme partout au Canada. De la part des producteurs de lait, d'oeufs, de volaille, etc., on a toujours entendu le même discours sans qu'il ne soit redondant. Il y avait de la cohérence dans leurs présentations, et je crois que d'autres groupes de pression auraient des leçons à prendre de vous. Je tenais à vous féliciter.

En terminant, je vous rappellerai les paroles d'un représentant de l'Union des producteurs agricoles du Québec, qui disait que, contrairement à ce qu'on avait vu lors de l'Uruguay Round, les agriculteurs de partout au Canada avaient maintenant une position commune et que si le gouvernement ne défendait pas bien leur position, il devrait mettre ses culottes parce qu'ils sont forts cette fois-ci. C'est donc tout à votre avantage d'avoir une position aussi forte, unie et cohérente dans vos présentations, car où que l'on soit, c'est la même que l'on entend. Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Monsieur Speller.

[Traduction]

M. Bob Speller: La seule remarque que je voulais faire au sujet de l'eau concernait ce que vous avez dit au sujet de l'avocat de la Colombie-Britannique qui n'arrivait même pas à parler à l'avocat fédéral... Savez-vous qui est l'avocat de la Colombie-Britannique?

Mme Wendy Holm: Je ne voulais pas parler de cas individuel mais plutôt du fait que le gouvernement lui-même ne réussissait pas à s'asseoir à la table et à entrer dans cette salle pour savoir de quoi discutaient le gouvernement fédéral et l'avocat de Sun Belt. M. Carten est l'avocat de Sun Belt et de Snow Cap dans le cadre de cette poursuite; c'est en tout cas le Canadien qui représente les intérêts de la compagnie américaine. Les gens qui défendent les intérêts de la population de la Colombie-Britannique, les décideurs publics et les avocats de la province, ne sont à ma connaissance même pas autorisés à savoir de quoi discutent Carten et le gouvernement fédéral dans ce contexte.

M. Bob Speller: Je ne le savais pas parce que, normalement, dans une situation de ce genre, les gouvernements provinciaux travaillent main dans la main avec le gouvernement fédéral.

Mme Wendy Holm: C'est ce que j'aurais pensé moi aussi mais ce n'est pas le cas.

M. Bob Speller: Bien. C'est une question que je vais examiner plus attentivement mais je serais surpris que ce ne soit pas le cas.

En ce qui concerne M. Wiebe, qui est aussi membre de la Fédération canadienne de l'agriculture, je me demande s'il pourrait répondre à la question de M. Sauvageau concernant le pouvoir collectif que détiendrait l'agriculture canadienne dans cette prochaine ronde. Qu'est-ce que votre groupe et les autres groupes concernés, comme le Syndicat national des cultivateurs, ont fait pour forger une position commune? Évidemment, la dernière fois, le processus a été beaucoup plus lent. Il est bon de voir que les différents groupes essaient de coordonner leur position, surtout si l'on considère les difficultés évidentes que rencontre le secteur agricole dans ce genre de négociations.

M. Dan Wiebe: Je suis évidemment heureux de pouvoir dire que la Fédération canadienne de l'agriculture a consacré beaucoup de temps aux négociations commerciales pour essayer d'amener les différents secteurs à+ trouver un compromis.

• 1650

Le compromis que nous avons trouvé a donné satisfaction non seulement aux industries exportatrices—céréales, oléagineux, bétail, porc—mais aussi aux industries de gestion de l'offre. Par exemple, nous appuyons l'abolition des subventions à l'exportation, le plafonnement des soutiens nationaux et les initiatives qui sont chères à toute l'agriculture, comme la préservation de la ferme familiale et l'amélioration de l'efficience.

Sans entrer dans le détail de la position de la FCA, dont le texte est disponible, je peux vous dire que nous avons tenu de nombreuses réunions à l'échelle nationale, à Ottawa, et au plan sectoriel, dans diverses régions, qui ont permis de forger un large consensus. Nous avons la conviction que le gouvernement connaît bien cette position et nous sommes très heureux que votre comité sillonne actuellement le pays pour se mettre à l'écoute des différents secteurs de l'agriculture au Canada.

M. Bob Speller: Dans votre réponse, monsieur Ollikka, pourriez-vous aussi expliquer votre dernière recommandation? Vous recommandez en effet aux «... négociateurs canadiens d'oeuvrer pour élargir la portée du débat au sein de l'OMC dans le but de favoriser des résultats bénéfiques aux agriculteurs du monde entier».

M. Cory Ollikka: Je vais d'abord répondre à votre première question.

Le Syndicat des cultivateurs agit depuis la fin de la dernière ronde de négociations commerciales mondiales. Il a maintenu la liaison avec les autres organisations agricoles, avec les secteurs de gestion de l'offre, avec les gouvernements provinciaux, avec le gouvernement fédéral et avec les différents partis politiques. Nous avons essayé d'entretenir tous les réseaux possibles—par exemple, avec des groupes de citoyens. Ce travail de maillage semble interminable mais il est bon de savoir que les citoyens et les groupes de citoyens sont capables de se joindre à nous sur ces questions qui nous importent à tous.

En ce qui concerne la dernière recommandation du Syndicat des cultivateurs, concernant l'élargissement des limites du débat de l'OMC—c'est de celle-là que vous vouliez parler?

M. Bob Speller: Oui.

M. Cory Ollikka: Laissez-moi d'abord préciser quelque chose. Il n'y a pas qu'un seul comité en déplacement dans le pays, n'est-ce pas? Il y en a d'autres qui sont actuellement dans d'autres régions?

M. Bob Speller: C'est exact.

M. Cory Ollikka: Bien. C'est donc vous ou un autre sous-comité qui vous trouviez hier à Winnipeg?

M. Bob Speller: C'était un autre groupe.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): C'était l'autre moitié du comité.

M. Cory Ollikka: Le Syndicat des cultivateurs a séparé son... Au lieu de présenter d'un seul coup un mémoire de 28 pages nous nous le sommes réparti. Nous nous sommes divisés, tout comme le fait le capital.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Et comme nous aussi.

M. Cory Ollikka: Comme l'eau—tout comme vous.

Le mémoire qui a été présenté à l'autre sous-comité, hier, à Ottawa, dit précisément à la page 6—et vous en recevrez certainement des exemplaires:

    Le Syndicat national des cultivateurs recommande au gouvernement canadien d'oeuvrer avec les agriculteurs pour établir des objectifs numériques qui serviront de repères permettant aux Canadiens de mesurer le succès ou l'échec des politiques agricoles et agroalimentaires du Canada.

Si vous voulez parler de l'élargissement de ces paramètres, j'en ai dit un mot il y a quelques instants. On peut élargir la notion de subvention et de distorsion du commerce international pour aller au-delà du secteur public et y intégrer certaines entités massives du secteur privé. On peut étendre les négociations pour tenir compte de ce type d'organismes mais ce qu'il faut faire, sur le plan intérieur, c'est établir des critères pour mesurer le succès de nos objectifs commerciaux. Je ne pense pas que cela ait été fait pour la dernière ronde de négociations.

La semaine dernière, nous vous avons rencontrés, vous et d'autres députés, à Ottawa. Nous avons présenté un graphique correspondant aux statistiques que j'ai citées au début de mon exposé: les exportations de produits agroalimentaires ont explosé alors que le revenu agricole net s'effondrait. Pourquoi cela? Nous n'adressons aucun reproche aux négociateurs canadiens et nous ne leur disons certainement pas qu'ils nous ont tout simplement laissé tomber ou que leur objectif était de nous détruire. Ce n'était pas du tout notre argument. Ce que nous disons, c'est que l'on n'avait probablement pas fixé d'objectif clair lorsqu'on a entrepris ces négociations commerciales.

Parlons par exemple du revenu agricole net. Nous aurions dû nous fixer des principes fondamentaux exprimant les résultats que nous aurions espérés de notre commerce international, par exemple une hausse du revenu agricole net. Qu'y aurait-il eu de mal à cela? Pourquoi ne pas établir certains paramètres de cette nature dans le but de mesurer le résultat ultime des politiques commerciales et des accords commerciaux qui sont négociés?

• 1655

Voilà donc un domaine dans lequel nous pensons que le gouvernement canadien et nos négociateurs pourraient se fixer des objectifs de négociation complémentaires, en plus de simplement abolir les obstacles au commerce. Abolir les obstacles est une bonne chose mais à condition de savoir qui va en bénéficier. Il faut qu'il y ait une sorte de repère pour pouvoir mesurer les résultats par rapport aux objectifs.

J'espère que ça répond à votre question. Merci.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Merci.

J'ai une brève question à vous poser, monsieur Ollikka. Vous avez donné des chiffres sur le degré de propriété étrangère dans le secteur agricole. Ce que je vais vous dire est peut-être banal mais n'est-ce pas précisément là-dessus que nous devrions axer notre politique de la concurrence?

M. Cory Ollikka: Je le pense. Je ne connais pas les arcanes de notre législation contre les coalitions mais il y a manifestement quelque chose qui ne va pas. Je sais par exemple qu'il existe aux États-Unis certains règlements qui, me dit-on, sont largement supérieurs à notre propre réglementation de répression des coalitions. Je crois savoir qu'il y a une législation sur les abattoirs que certains des conseils de recherche des Plaines du nord et certaines organisations de producteurs des États-Unis essaient d'utiliser pour s'attaquer à Cargill et à IBP, par exemple.

Je pense qu'il faudrait—puisque nous parlons de la ZLEA et de l'OMC—étendre ces négociations à des accords multilatéraux freinant la circulation du capital, réglementant la circulation du capital. Qu'y a-t-il de mal à cela? L'accord de Bretton Woods de 1944, après la Deuxième Guerre mondiale, visait la libéralisation du commerce mondial. Il n'y a rien de mal à libéraliser le commerce mais à condition que l'on puisse en même temps restreindre les flux de capitaux de façon à ce que la richesse engendrée par la production d'un pays puisse rester dans ce pays. Ce qu'il faudrait, à mon avis, ce serait de négocier des accords multilatéraux sur les flux de capitaux en même temps que sur la libéralisation du commerce. Ce n'est pas un problème intérieur.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Bien. Je vais donc vous poser une autre question, qui vous paraîtra peut-être à nouveau banale. Est-il trop tard pour exiger un degré minimum de propriété canadienne dans ces secteurs?

Mme Wendy Holm: Oui.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Il est trop tard?

Mme Wendy Holm: Probablement. J'aimerais ajouter une remarque.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vous en prie.

Mme Wendy Holm: On a tendance à évaluer la compétitivité d'après les marchés intérieurs de ces grandes entreprises. Par exemple, si l'on estime qu'il y a suffisamment de gens qui vendent des jambons au détail, on dit qu'il y a assez de concurrence. Par contre, quand on constate que les agriculteurs n'ont pas beaucoup de choix quant aux transformateurs de viande de porc auxquels ils peuvent s'adresser, on réalise que la concurrence n'est peut-être pas aussi vive qu'on le pensait.

Tout dépend du facteur que l'on mesure. Par exemple, s'il y a deux grandes entreprises dans un secteur, ce qui est un facteur de concentration du pouvoir économique, elles ne tarderont pas à réaliser qu'il y a des choses au sujet desquelles elles ont intérêt à se faire concurrence et d'autres au sujet desquelles ce ne serait pas dans leur intérêt. Elles définissent alors les choses comme étant précompétitives et postcompétitives et elles réduisent leur concurrence en fonction de leurs intérêts.

Les grandes entreprises n'ont pas intérêt à offrir des contrats de plus en plus élevés aux agriculteurs. Elles ont intérêt à limiter la valeur des contrats et à comprimer les marges au niveau de la ferme, pour faire des profits au niveau de la transformation. Idéalement, pour ces entreprises, il faut que les agriculteurs gardent juste assez d'argent en poche pour pouvoir continuer leur production l'année suivante afin de continuer à approvisionner le circuit. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que l'agriculteur exploite sa ferme de manière durable.

J'aimerais aussi, si vous me le permettez, ajouter une brève remarque sur les subventions, puisque je suis aussi une économiste. On utilise l'expression «externalités positives» pour parler des bienfaits tirés de facteurs externes au marché. Par exemple, si vous avez un litre de lait, une douzaine d'oeufs ou une livre de pommes de terre, ces trois produits ont une certaine valeur sur le marché. Le fait que les agriculteurs les aient produits grâce à une exploitation durable a aussi une valeur pour nous, en tant que société, du point de vue environnemental, écologique et communautaire, tout comme le fait que l'on puisse continuer de s'adresser à des fournisseurs qui se font concurrence, ce qui élimine les hausses de prix si l'on n'a pas d'approvisionnement local, etc., etc.

Quand on abolit les obstacles au commerce et qu'on ouvre les marchés à la concurrence, le marché ne donne aucune rémunération à l'agriculteur pour ces avantages fournis à la société. En outre, quand l'agriculteur voit que le prix des terrains ne cesse de monter à cause des pressions exercées par l'urbanisation, il est obligé d'assumer des coûts plus élevés. On ne peut donc tout simplement pas s'attendre à ce que l'agriculteur obtienne le coût de couverture de tous ces bienfaits strictement grâce au fonctionnement du marché.

• 1700

En Suisse, les vaches qui broutent dans les prairies ont une valeur économique qui attire les gens dans les régions et qui profite au tourisme. L'État demande donc à l'agriculteur de leur mettre des cloches autour du cou pour les rendre plus pittoresques, et il leur donne en contrepartie un petit supplément de revenu correspondant aux recettes du tourisme. C'est une valeur légitime. Certes, cela nous paraît amusant et assez typique des Européens mais, au lieu de nous moquer, nous devrions examiner la manière dont ils formulent positivement des politiques pour appuyer la durabilité des exploitations agricoles sans fausser les décisions de production ni l'économie de l'agriculture mais en reconnaissant qu'il y a pour l'agriculteur des bienfaits autres que ceux provenant simplement de sa production. Il s'agit là de subventions vertes qui sont autorisées par l'OMC.

Le problème est que le Canada est tellement proche des États-Unis et que la position des États-Unis est tellement collée à celle des grands intégrateurs à contrat qui s'opposent aux choses de ce genre parce que cela préserve un secteur agricole indépendant que nous sommes en quelque sorte emportés par la même vague.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Avant de donner la parole à M. Mykle, madame Holm, vous avez dit que si quelqu'un voulait d'autres informations au sujet de l'eau... J'aimerais beaucoup avoir des précisions sur l'eau et savoir pourquoi vous pensiez il y a déjà 10 ans qu'elle finirait par être considérée comme une denrée. Nous n'avons pas le temps maintenant...

Mme Wendy Holm: C'est parce que je suis sans doute la seule personne à avoir lu l'Accord.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Quoi qu'il en soit, je me demande s'il y a d'autres choses qui devraient nous inquiéter, mais nous pourrons peut-être en parler une autre fois.

Mme Wendy Holm: J'en serais ravie.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Je vais maintenant donner la parole à M. Mykle, après quoi nous devrons conclure pour aller prendre notre avion.

M. Arne Mykle: Je vais simplement résumer brièvement ma position, en guise de conclusion. Ayant produit des poulets dans la vallée du Fraser pendant 41 ans, je suis parvenu à la conclusion que les accords commerciaux constituent une menace. Malgré toutes sortes de subtilités, les marges dans mon secteur ont baissé de 40 p. 100 au cours des six ou sept dernières années. Bien que je puisse m'adresser à trois acheteurs pour écouler mes produits, je n'ai plus aujourd'hui la liberté de m'adresser à un autre transformateur car ils ont de bonnes excuses pour ne pas accepter ma production.

Je crains que dans mon secteur, qui est le poulet de gril, nous ne suivions de trop près le modèle américain, malheureusement pour nous. En effet, si vous voulez voir où mène le modèle américain de l'élevage du poulet, demandez-vous simplement combien il reste d'éleveurs de poulets de gril et de dindes dans les États situés le long du 49e parallèle. Ils sont tous partis s'établir dans des régions à faible coût de production. Si vous voulez que la même chose nous arrive avec l'un des secteurs économiques les plus sains de la Colombie-Britannique, c'est-à-dire celui des producteurs laitiers, d'oeufs et de volaille, il vous suffit d'ouvrir un peu plus nos frontières. Nous disparaîtrons très, très rapidement car les seuls excédents qui tombent des camions aux États-Unis seraient suffisants pour couvrir toute la demande du Canada, tellement les producteurs américains sont gros.

Merci beaucoup de votre attention.

La présidente suppléante (Mme Sarmite Bulte): Au nom de tous mes collègues du comité, je vous remercie tous et toutes d'être venus. Merci de vos mémoires et de vos exposés. Je sais que votre temps de parole a été limité mais je dois vous dire que ces derniers jours nous ont permis d'entendre 70 témoins ici même, à Vancouver.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous ne considérons pas ces audiences comme la fin d'un processus mais plutôt comme le début de consultations. Donc, si vous pensez qu'il y a d'autres questions sur lesquelles le comité devrait se pencher, n'hésitez pas à en parler au greffier ou aux membres du comité car, si nous voulons contribuer au débat, il est essentiel que nous puissions participer à un dialogue continu avec la population canadienne. Il faut que nous puissions poursuivre ce dialogue en dehors des audiences officielles du comité dans les diverses régions du pays. Merci à nouveau.

La séance est levée.