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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 16 octobre 2000

• 1533

[Traduction]

Le président suppléant (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité de l'environnement. On m'a donné une série de directives techniques très compliquées selon lesquelles je dois d'abord frapper un coup de marteau sur la table pour ouvrir la séance; c'est donc ce que je vais faire tout de suite.

Comme le président et le vice-président sont tous deux absents, on m'a demandé de présider la séance d'aujourd'hui. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous reprenons l'étude de la question de la protection des espèces sauvages en péril au Canada relativement au projet de loi C-33, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada.

Nos témoins d'aujourd'hui vont nous donner un aperçu concis du projet de loi C-33. Je crois comprendre que cela prendra environ 45 minutes, après quoi nous pourrons leur poser des questions. Nous devrions lever la séance au plus tard à 17 h 30.

J'aimerais donc demander à Mme Karen Brown, sous-ministre adjointe, Service de la conservation de l'environnement, de nous présenter son exposé. Madame Brown.

Mme Karen Brown (sous-ministre adjointe, Service de la conservation de l'environnement, Environnement Canada): Merci à tous et bon après-midi. Nous sommes très heureux de comparaître devant votre comité cet après-midi. Dans le mémoire que nous vous avons remis, nous avons tenté de faire deux choses. Nous voulons d'abord vous donner un aperçu concis, du projet de loi sur les espèces en péril et aussi vous parler de l'accord ainsi que du contexte dans lequel nous nous retrouvons, et nous tâcherons aussi d'aborder certaines des questions clés dont je sais que le comité a entendu parler et qu'il a abordées avec d'autres témoins au cours des dernières semaines. C'est donc un peu de ces deux questions dont je vous parlerai dans mon exposé.

• 1535

Pour commencer, je vais vous donner un aperçu de ce dont nous parlons ici exactement, c'est-à-dire des espèces sauvages en péril au Canada. Tout le monde connaît les chiffres. On sait qu'actuellement 353 espèces figurent sur la liste des espèces en péril, dont la vaste majorité ont été évaluées comme étant vulnérables par le COSEPAC. Le travail effectué par ce dernier reflète en fait les chiffres. À mesure que le COSEPAC fait ses évaluations et ses réévaluations, nous ajoutons un plus grand nombre d'espèces à la liste.

Au Canada, la gestion directe quotidienne des espèces sauvages est un processus assez complexe. Il y a un certain nombre de personnes qui sont directement responsables de la gestion des espèces sauvages.

Au niveau fédéral, il est clair que les espèces aquatiques relèvent du ministre des Pêches et des Océans conformément à la Loi sur les pêches, et il a également des responsabilités qui découlent de la Loi sur les océans. Le ministre de l'Environnement est responsable des oiseaux migrateurs, selon la définition qui figure dans la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, et il y a également d'autres mesures législatives qui portent sur la gestion des espèces sauvages au Canada dont le ministre de l'Environnement est responsable.

La grande majorité des espèces relève en fait directement, au jour le jour, des provinces et des territoires, et les conseils de gestion de la faune assument de plus en plus de responsabilités à mesure que ces revendications territoriales sont réglées dans le Nord en particulier. Chaque province, et territoire, a sa propre législation sur les espèces sauvages et d'autres lois qui contribuent à la protection des espèces en général et à celle, espérons-le, des espèces sauvages en péril en particulier.

La situation en ce qui concerne l'habitat est tout aussi complexe. Il y a différents types de propriétaires fonciers, notamment les terres relevant du gouvernement fédéral qui comprennent les grandes zones aquatiques marines, mais naturellement une grande partie des terres relèvent directement des gouvernements provinciaux, des gouvernements municipaux et du secteur privé.

Tout cela pour dire que la situation qui existe au Canada, du fait de Constitution, rend la collaboration absolument fondamentale et essentielle si nous voulons nous assurer de faire ce qu'il faut faire à la fois pour la gestion des espèces sauvages en général mais également des espèces en péril. La collaboration est essentielle entre les ministères fédéraux dont certains gèrent de très vastes territoires, et sont directement responsables de la gestion des espèces sauvages. Les provinces et les territoires sont essentiels à notre succès à long terme, tout comme les Autochtones.

Nous sommes certainement d'avis qu'en ce qui concerne l'habitat également, la collaboration avec les secteurs des ressources, ceux qui gèrent d'importantes propriétés foncières, les propriétaires fonciers privés, est également essentielle. L'approche que nous tentons de prendre tant en ce qui concerne l'accord proprement dit ainsi que le projet de loi consiste à mettre en place au Canada un cadre stratégique qui garantisse en réalité que ceux qui sont directement responsables s'acquittent en fait de leurs responsabilités et jouent un rôle de partenaire.

Le gouvernement a adopté une stratégie en trois volets pour la protection des espèces en péril, dont projet de loi à l'étude est un élément.

Le premier élément, qui a été mis en place en 1996, est l'Accord pour la protection des espèces en péril au Canada. En vertu de cet accord, les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral unissent leurs initiatives pour protéger les espèces en péril. Il s'agit d'un accord particulièrement important qui a été renforcé il y a à peine quelques mois par les premiers ministres qui, dans un communiqué, ont renforcé leur appui à l'accord. Cet accord a servi de base à une série de changements très importants qui se sont produits depuis 1996. Huit provinces et territoires ont soit modifié, soit modifié considérablement, soit introduit une nouvelle loi afin de respecter les engagements pris aux termes de l'accord. Je pense que dans un contexte de politique, la rapidité et le dévouement avec lesquels les provinces et les territoires ont réagi à cet accord ne s'étaient sans doute jamais vus.

• 1540

L'accord renforce par ailleurs le Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril qui est composé des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des espèces sauvages. Ils font partie du cadre de gestion globale qui nous permettra en fait d'offrir des programmes directement liés aux espèces en péril, directement liés au travail du COSEPAC, et une combinaison d'initiatives de rétablissement. Ce travail se poursuit déjà depuis quelque temps, et le Conseil a beaucoup travaillé à une foule de questions concernant les espèces en péril, même en l'absence d'un cadre législatif à ce moment-ci.

La troisième partie de notre stratégie, qui est extrêmement importante, est notre engagement à l'égard d'une série de programmes d'encouragement et d'intendance. Dans le budget 2000, le gouvernement s'était engagé à investir 180 millions de dollars dans des programmes pour protéger les espèces en péril au cours des cinq prochaines années, et sur ce montant, 45 millions de dollars sont consacrés à des programmes d'intendance. Ces derniers mois, on a annoncé publiquement un bon nombre de projets qui nous aident vraiment à obtenir la collaboration des propriétaires fonciers, du secteur privé et des industries d'utilisation des ressources dont nous avons besoin.

Nous avons fait d'importantes consultations. Steve l'a sans doute fait plus que moi, puisqu'il a participé à l'élaboration du projet de loi C-65. Les consultations à ce sujet se sont poursuivies pendant sept ans, sinon plus. Nous avons continué de travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires et les autres ministères et organismes fédéraux afin d'obtenir le point de vue de tous les intervenants. Il n'y a sans doute pas un seul groupe au Canada qui n'ait exprimé un intérêt pour cette proposition en particulier, comme vous le savez déjà et en entendrez sans doute parler davantage.

Nous avons eu de longues discussions avec les Autochtones avec qui, à notre avis, nous devons avoir un rapport très spécial si nous voulons mettre en place toute cette mosaïque. Un groupe de travail autochtone a été créé pour deux ans. Lorsque les ministres de la Faune se sont rencontrés à Iqaluit, en août dernier, il y a eu une rencontre sans précédent avec les chefs des Premières nations. En fait, ces derniers ont dit qu'il s'agissait à leur avis d'une consultation sans précédent sur un projet de loi fédéral. Il est clair que ce ne sera pas la dernière fois que nous les consulterons. Nous avons de toute évidence besoin que les peuples autochtones continuent à travailler avec nous alors que nous nous apprêtons à planifier le travail sur le terrain.

Nous vous avons transmis au comité la liste des personnes consultées avant que le projet de loi ne soit déposé. Nous avons également inclus une liste des personnes avec lesquelles nous avons eu des séances d'information. Depuis l'introduction du projet de loi, nous avons reçu un très grand nombre de demandes de personnes qui voulaient recevoir le compte rendu des séances d'information, des séances d'information technique et des explications—pour les aider à comprendre le projet de loi sur le plan technique.

En ce concerne le projet de loi comme tel, le dépôt de la Loi sur les espèces en péril qui est proposée est un engagement important qui a été pris et qui renforce l'engagement pris par le Canada lorsqu'il a signé la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. La LEP vise à prévenir la disparition des espèces sauvages en péril. Elle vise également à assurer leur rétablissement et à s'assurer que d'autres espèces ne deviennent pas elles aussi en péril. C'est une question qui est extrêmement importante pour bon nombre de gens que nous avons consultés ces dernières années.

La LEP, une fois promulguée, protégera toutes les espèces sauvages inscrites comme étant en péril au niveau national, leurs habitats essentiels peu importe leur emplacement et servira de pierre angulaire pour la protection et le rétablissement des espèces.

Comme c'est le cas pour d'autres projets de loi dans le domaine environnemental, un certain nombre de ministres sont en fait directement responsables de l'application des dispositions de la loi. Je sais que vous avez entendu certaines préoccupations qui ont été exprimées du fait que la responsabilité pour la LEP est attribuée à trois ministres dans le projet de loi. Il est très important de souligner le fait que le ministre des Pêches et des Océans a une très grande responsabilité en ce qui concerne les espèces aquatiques et que le ministre du Patrimoine canadien est responsable d'une très grande partie des terres domaniales et d'environ 17 espèces que l'on ne retrouve nulle part ailleurs que dans les parcs nationaux. Quant au ministre de l'Environnement, il est responsable des oiseaux migrateurs. On a donc jugé essentiel que ces ministres aient une responsabilité fondamentale en ce qui a trait au régime de protection de ces espèces et qu'en fait, les exigences relatives aux espèces en péril soient entièrement intégrées aux stratégies et aux approches de gestion globale. De toute évidence, nous tentons dans ce projet de loi de renforcer l'importance de leur engagement et de la mobilisation de leurs responsabilités.

• 1545

Le ministre de l'Environnement est le ministre principal responsable de l'application globale de la LEP, de sa politique et de ses directives, en plus des responsabilités attribuées aux trois ministres compétents.

Une autre série de questions portent sur la façon dont la LEP accroît la capacité des ministères fédéraux. Elle le fait de plusieurs façons fondamentales. Tout d'abord, elle crée une liste officielle commune qui établira l'ordre des priorités des réactions et des activités en ce qui concerne la protection des espèces et leur établissement. Elle requiert, pour la première fois, la préparation de programmes de rétablissement, de plans d'action ou de gestion pour les espèces en péril inscrites et exige leur mise en oeuvre. C'est une première; cela s'applique à tous.

Elle impose des conditions et des restrictions sur les permis, licences et accords et elle prévoit la protection des espèces de la liste et de leurs habitats essentiels. Ce n'est pas le statu quo pour ces ministres; ce n'est pas non plus le statu quo pour le ministre de l'Environnement en ce qui concerne les oiseaux migrateurs. La LEP prévoit d'importantes nouvelles responsabilités et de nouveaux pouvoirs.

De plus, la LEP prévoit des accords de conservation, des ententes d'intendance, et elle représente un moyen d'obtenir le financement nécessaire à la protection des espèces en péril. Ce genre de responsabilités se reflètent tout à fait dans le projet de loi à l'étude.

Je passerai en revue très rapidement la prochaine série de diapos et je vais tenter essentiellement de vous donner un aperçu de la façon dont le projet de loi est structuré. Le projet de loi comporte six éléments de base qu'on retrouve sur la diapo numéro 11. La première étape est l'évaluation scientifique de la situation des espèces, évaluation indépendante faite par le Comité sur la situation des espèces en péril, le COSEPAC.

La deuxième partie du projet de loi porte sur le processus d'inscription sur la liste officielle selon une évaluation scientifique. Ensuite, il y a les dispositions pour la protection immédiate des espèces et un processus complet de planification et de réalisation des interventions de rétablissement pour les espèces inscrites sur la liste.

On met également l'accent sur les mesures d'intendance, ce qui constitue un autre élément essentiel du projet de loi, les mesures d'interdiction concernant la destruction des habitats essentiels de même que les mesures prises pour protéger les habitats essentiels et les habituelles mesures de mise en application.

Je vais vous les exposer en détail.

Pour ce qui est du processus d'évaluation du COSEPAC, vous avez pour la plupart que le COSEPAC existe depuis 22 sinon 23 ans. Ce groupe de spécialistes qualifiés des espèces sauvages effectuent des évaluations depuis tout ce temps-là, ils proviennent de tous les milieux où l'on a de l'expérience dans ce domaine, notamment des gouvernements, des conseils de gestion de la faune, des universités, des musées, des ONG.

Le projet de loi, pour la première fois, donnerait un fondement juridique à un processus d'évaluation indépendant qui aurait pour mission de conseiller le gouvernement. Le COSEPAC conseille déjà le gouvernement et procède à des évaluations et publient ses conclusions, mais mis à part le fait que le public peut ainsi prendre connaissance de ces questions, le COSEPAC n'est pas directement tenu d'y veiller. En l'occurrence, alors, pour la première fois, nous fournirions une assise juridique aux évaluations du COSEPAC.

• 1550

Vous savez sans doute que nous avons demandé au COSEPAC d'examiner toutes les espèces qui se trouvent actuellement sur sa liste, et il est en train de le faire, en fonction des nouveaux critères adoptés en fonction de ceux de l'Union internationale pour la conservation de la nature. On est en train de mettre à jour l'information sur certaines espèces pour lesquelles on n'a procédé à aucun examen depuis des années. Dans la mesure du possible, nous tenons compte du savoir traditionnel des collectivités et des Autochtones.

La majorité de ces réévaluations seront terminées d'ici l'an prochain. Nous avons eu une très importante réunion en mai où 123 espèces ont été réévaluées et d'autres le seront en novembre. En fait la plupart de ces espèces auront été réévaluées d'ici la promulgation de la loi. Celles qui ne seront pas réévaluées dans les 30 jours suivant la promulgation seront considérées réévaluées à leur état actuel sur la liste à moins qu'une prolongation précise ne soit accordée pour évaluer de nouveaux renseignements.

Le COSEPAC continuera de rendre ces réévaluations publiques. La liste sera publiée. Ses conclusions seront publiées. Elles établiront en fait, d'un point de vue scientifique, la condition de ces espèces.

Le ministre recommandera au gouverneur en conseil leur inscription sur la liste afin qu'elles fassent partie de la liste officielle. Cette réévaluation nous semble une amélioration par rapport au projet de loi C-65, qui accordait un an pour terminer les réévaluations. Le projet de loi C-65 ne considérait pas la liste existante du COSEPAC comme étant la liste officielle. L'approbation du gouverneur en conseil était aussi requise en vertu du projet de loi C-65.

L'autre grand changement qu'apporte le projet de loi est un processus voulu et très important qui vise à inclure les connaissances traditionnelles des Autochtones au processus d'évaluation du COSEPAC, que nous sommes en train de mettre au point avec certains des groupes de travail autochtones pour essayer de voir quelle est la meilleure façon de procéder.

Je sais que dans les médias et dans des comparutions devant votre comité on a dit beaucoup de choses au sujet du rôle que le COSEPAC devrait ou pourrait jouer relativement au processus d'établissement de la liste officielle. Selon la formule actuelle, les évaluations scientifiques du COSEPAC ou ses conseils scientifiques constituent la base des recommandations du ministre au gouverneur en conseil pour établir la liste des espèces sauvages. Le processus décisionnel, par conséquent, sera très ouvert et transparent. La liste du COSEPAC étant publique tout comme celle que le ministre soumet au gouverneur en conseil, on pourra immédiatement voir quelles sont les divergences entre les deux.

Bien sûr, pour l'instant le COSEPAC n'est pas nécessairement conçu pour prendre ces décisions réglementaires ni des décisions qui auraient des conséquences immédiates de nature réglementaire ou législative. Naturellement, le gouvernement estime qu'en raison des conséquences assez importantes de l'inscription d'espèces à la liste officielle, comme en témoigne le projet de loi même, notamment le fait qu'il devient automatiquement interdit de tuer les espèces ou de leur causer du tort ou de détruire leur résidence, c'est aux élus qu'il revient à juste titre de prendre ces décisions.

Une fois une espèce inscrite sur la liste, toutefois, il devient automatiquement interdit de tuer ou de nuire à des espèces menacées ou en danger. C'est le cas des espèces aquatiques, des oiseaux migrateurs et des espèces sur des terres domaniales. Il y a aussi des interdictions concernant la destruction de leur résidence.

Le ministre peut aussi mettre en place un filet de sécurité concernant l'interdiction de tuer des espèces qui relèvent de la compétence provinciale ou de leur nuire, mais doit pour se faire présenter une demande au gouverneur en conseil. Les conditions sont assez strictes. Si le ministre n'estime pas qu'on accorde une protection suffisante, il doit présenter une recommandation dans ce sens au gouverneur en conseil. Toutes les espèces bénéficieraient ainsi d'une protection, qui serait assurée directement dans le cas des espèces relevant du gouvernement fédéral, et indirectement dans le cas des espèces relevant du gouvernement des provinces.

Au début du processus d'inscription sur la liste, il existe un pouvoir d'urgence d'interdire la destruction de l'habitat essentiel d'une espèce inscrite sur la liste dont la survie ou le rétablissement est en danger imminent.

• 1555

La première étape est l'interdiction même de tuer ou de nuire, et la protection de l'habitat essentiel des espèces inscrites sur la liste. La deuxième étape après l'inscription sur la liste, est la conception de stratégies de rétablissement et de plans d'action obligatoires. Ils doivent être terminés en moins d'un an pour les espèces en voie de disparition et en moins de deux ans pour les espèces menacées. Les plans de gestion doivent être élaborés en moins de trois ans. Bien sûr, quand on pense au nombre d'espèces pour lesquelles nous aurions à concevoir des plans de rétablissement, en tenant compte de l'ensemble du milieu, on voudra pouvoir traiter de plusieurs espèces simultanément ou de tout un écosystème, là où c'est possible.

Nous tenons vraiment beaucoup à adopter une approche intégrée, notamment dans le cas de terres où il peut y avoir de huit à dix espèces à risque ou qui ont besoin de mesures de rétablissement. Nous aimerions avoir une approche intégrée, surtout quand nous traitons avec des propriétaires de terres privées, des agriculteurs et d'autres encore. Le projet de loi est assez souple pour permettre également de traiter de tout un écosystème.

Dans la mesure du possible—on veut dire par là qu'on ne pourra peut-être pas parfois arriver à rallier l'adhésion de tous—tout cela se fera en collaboration avec les provinces, les territoires, les organisations autochtones, les conseils de gestion de la faune, et tous ceux qui sont directement touchés. Ce qu'il importe de se rappeler, c'est que si l'on n'obtient pas l'assentiment de l'un ou l'autre de ces intéressés, il faut se demander s'il faudrait ou non interrompre le processus parce qu'il n'y a pas entente. C'est pourquoi nous avons tendance à employer des expressions comme «dans la mesure du possible».

Je vais maintenant traiter des stratégies de rétablissement et des plans d'action. Je pense qu'il y a pas mal de confusion sur ce qu'on entend par là dans ce projet de loi. Nous y voyons là deux étapes et une équipe de rétablissement, la première étape consistant à fournir l'information scientifique pour voir ce qui est faisable et quels sont les objectifs scientifiques, et la deuxième consistant à se donner les moyens d'exécuter les plans d'action pour vraiment réaliser ce qu'on pense qu'il est possible de faire sur le plan scientifique. En fait, nous pensons qu'il peut y avoir différents plans d'action. À cette étape, nous ne le savons pas. Nous avons une certaine expérience des opérations de rétablissement, mais peut-être pas autant que nous en aurons à l'avenir.

Comme dans le cas de la plupart des projets de loi concernant la faune, il est question de systèmes biologiques, d'entités biologiques, d'essayer de concevoir une stratégie de rétablissement et un processus de rétablissement pour tout, depuis les lichens jusqu'aux grues blanches en passant par les poissons. Il est parfaitement impossible d'essayer de définir exactement quels sont ces besoins. Nous avons plutôt essayer de définir ce que serait à notre avis les besoins essentiels, en nous accordant encore une petite marge de manoeuvre, étant donné qu'à mesure que nous apprendrons nous serons mieux en mesure d'adopter les bons processus. Il nous a fallu beaucoup de temps—20 ans—pour découvrir que l'aire de nidification de la grue blanche se trouvait dans le Nord, et jusqu'à l'année dernière nous ne savions pas que la chevêche des terriers passait l'hiver sur la côte du Texas. On met parfois beaucoup de temps à découvrir ces choses, et il faut effectivement beaucoup de patience pour arriver à découvrir ce que font toutes ces créatures à un moment ou l'autre de leur cycle de vie.

Les dispositions du projet de loi concernant l'intendance sont considérées par beaucoup comme absolument essentielles à la réussite de cette approche globale. Des ententes de conservation sont prévues, grâce auxquelles nous pouvons conclure des ententes avec des gouvernements, des organisations ou des particuliers pour protéger les espèces en péril et leurs habitats essentiels et pour élaborer et mettre en oeuvre des stratégies de rétablissement. Nous estimons bien sûr que ces ententes de conservation et que l'octroi d'une aide sous forme d'entente de financement, au besoin, au titre par exemple de servitudes ou de garanties de conservation, sont un moyen essentiel pour nous de vraiment protéger beaucoup d'habitats. Nous avons acquis une longue expérience à ce sujet depuis 10 à 12 ans. Nous avons travaillé avec des propriétaires fonciers du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, et je pense que nous avons maintenant une idée assez juste des difficultés auxquelles nous aurons à faire face en essayant de conclure ces ententes d'intendance.

• 1600

Je vous le répète, nous avons déjà annoncé un bon nombre de nos projets de première étape reliés à l'intendance. Nous avons aussi récemment annoncé notre nouveau programme de dons écologiques, dont il était question dans le budget 2000, ce qui devrait encourager davantage de propriétaires à donner des terres privées désignées comme étant écosensibles.

Nous croyons sincèrement que les ententes de conservation et les mesures d'intendance sont la ligne de front de la protection des habitats essentiels, un principe de base qui s'applique à toutes les terres et à toutes les eaux. Comme dernier recours, la LEP dispose que le ministre impose effectivement des interdictions pour éviter la destruction d'habitats essentiels si aucune autre loi du Parlement n'assure une protection suffisante sur les terres domaniales ou, dans le cas des terres provinciales, si la loi ou la réglementation provinciale ne sont pas suffisantes, qu'il existe ou non une entente de conservation permettant de protéger adéquatement ces terres.

Nous avons ainsi tenté de veiller à ce que les personnes visées fassent d'abord ce qu'il y a à faire, et que le propriétaire, le propriétaire privé, par voie d'entente facultative, que ce soit une garantie de conservation ou un don, ou une entente avec le gouvernement fédéral, puisse assurer la protection de cette terre. Les provinces et les territoires, par exemple, pourraient réserver des terres, soit en procédant à des changements de zonage ou en utilisant des aires protégées, des parcs, ce que bon leur semble. Il en irait de même pour les terres domaniales et les pêches. En vertu de la Loi sur les pêches, nous pourrions invoquer ce genre de pouvoirs.

Au cas où ni l'une ni l'autre de ces options ne donnerait de résultats, le projet de loi sur les espèces en péril assurerait un filet de sécurité qui permettrait au ministre de décider s'il doit ou non intervenir. En fin de compte, tout cela revient à dire qu'une protection sera assurée si l'habitat était menacé.

Selon la législation sur les espèces en péril, le ministre fait rapport dans le registre public des mesures prises pour protéger les habitats essentiels dans les 180 jours, et continue à faire rapport après chaque période de 180 jours par la suite. Parfois, ces négociations prennent du temps. Parfois, il faut du temps pour établir des servitudes et obtenir des garanties. Mais l'on estime que pour la plupart des aires, quand nous définirons un habitat essentiel, nous tiendrons compte dans cette définition d'une diversité de propriétaires et d'utilisations foncières dans ces zones. Nous prévoyons qu'il y aura des terres privées et des terres provinciales et un ensemble de types d'outils dont nous aurons effectivement besoin.

L'ancien projet de loi C-65 ne prévoyait pas de protection pour l'habitat essentiel se trouvant à l'extérieur des terres domaniales. Le projet de loi accorde donc une protection beaucoup plus étendue.

Le projet de loi confère le pouvoir de prévoir une indemnisation et de l'accorder. Comme vous le savez, le ministre a demandé à Peter Pearse de le conseiller sur l'étendue et la forme que pourrait avoir ce régime d'indemnisation. Peter y travaille activement. Ce matin, il y a un article dans le journal d'Edmonton, je pense, un petit compte rendu sur le travail qu'il a effectué et certaines des difficultés auxquelles il s'est heurté au cours de l'été. Nous espérons que son rapport nous sera communiqué au début du mois prochain, même s'il ne s'agit pas encore d'un rapport final, et il sera rendu public.

D'après le rapport de Peter, il faudrait consulter davantage. Cela ressort des observations que les personnes intéressées lui ont communiquées en grand nombre. Nous allons essayer de proposer un projet de règlement, puis nous consulterons encore les Canadiens sur la tournure qu'il convient de lui donner.

La législation sur les espèces en péril ne nous y oblige pas, mais nous avons l'intention de préparer ce règlement avant même la promulgation ou la sanction royale. Cela nous semble fondamental.

• 1605

Il y a d'autres questions qui ont suscité un grand intérêt ou des préoccupations. La première, c'est la révision des projets. Les évaluations environnementales des projets imposés par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale doivent prendre en compte les effets du projet sur les espèces inscrites et sur leurs habitats essentiels; des mesures doivent être prises pour éviter ou atténuer ces effets, et pour exercer un contrôle. C'est pourquoi le projet de loi sur les espèces en péril propose une modification à la définition des «effets environnementaux» qui figurent dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale de façon à y inclure l'espèce inscrite et son habitat essentiel, et à préciser que les opérations portent une attention particulière aux espèces en péril.

Finalement, dans tout le projet de loi, on voit que chaque étape comporte une procédure ouverte et transparente pour les évaluations aussi bien que pour la planification de la remise en état. Toute la documentation à fournir à chaque étape de la procédure doit être publiée dans un registre public, y compris les critères utilisés par le COSEPAC dans ses évaluations, les rapports de situation et tous les documents du même ordre. La législation sur les espèces en péril comporte une disposition qui va permettre aux citoyens, entre autres choses, de demander l'évaluation d'une espèce, de se prononcer sur les stratégies de rétablissement et de demander qu'on fasse enquête.

Je vais m'arrêter là, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président suppléant (M. David Pratt): Je vous remercie de cet exposé très complet, madame Brown.

J'ai ici une liste d'intervenants, qui commence par M. Herron.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC): Merci beaucoup de cet exposé. Il nous sera utile à l'avenir et nous nous souviendrons de votre témoignage après les élections.

Une voix: Lorsque vous serez ministre.

Des voix: Ah, ah!

M. John Herron: Non. Ne nous égarons pas.

Dans le projet de loi C-65, en ce qui concerne l'inscription des espèces, une fois qu'une espèce figurait sur la liste du COSEPAC après l'étude obligatoire du début, dont vous avez parlé... Maintenant, tout doit se passer sur une période d'un an. Chaque espèce inscrite doit être réévaluée dans un délai d'un an, mais le projet de loi C-65 rend la liste du COSEPAC obligatoire.

Mme Karen Brown: Non; le projet de loi C-65 nécessite l'approbation du gouverneur en conseil pour que la liste du COSEPAC devienne officielle.

M. John Herron: Vous parlez là de la liste générale, mais qu'en est-il de la liste des nouvelles espèces?

Mme Karen Brown: C'est la même chose.

M. John Herron: Est-ce qu'il faut l'approbation du gouverneur en conseil à chaque fois?

Mme Karen Brown: Oui.

M. John Herron: En ce qui concerne les interdictions sur les terres domaniales, que prévoit le projet de loi C-65?

Mme Karen Brown: Cette interdiction n'était pas automatique. La Loi confiait des responsabilités à chaque ministre, de telle sorte que si des besoins apparaissaient au cours de l'élaboration du plan de rétablissement, les ministres pouvaient protéger les terres en question par voie de règlement.

M. John Herron: Qu'est-ce qui a donc changé depuis lors et qui justifie une modification de la Loi?

Mme Karen Brown: L'interdiction n'était pas automatique dans le projet de loi C-65, alors qu'elle l'est désormais dans le projet de loi sur les espèces en péril.

M. John Herron: Dans le projet de loi C-65, il n'y avait pas d'interdiction sur les terres domaniales.

Mme Karen Brown: La formule...

M. John Herron: Vous dites que sur les terres domaniales, l'interdiction concernant les espèces inscrites n'était pas automatique dans le projet de loi C-65.

Mme Karen Brown: Steve, pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet?

M. Steve Curtis (directeur général délégué, Service canadien de la faune, Environnement Canada): Je suppose que vous parlez de l'habitat plutôt que...

M. John Herron: Oui.

M. Steve Curtis: Dans le projet de loi C-65, il fallait établir la nécessité de prendre un règlement pour protéger l'habitat aux fins de la planification du rétablissement. Lorsqu'on avait établir la nécessité d'un règlement dans un plan approuvé, il fallait ensuite l'élaborer et le mettre en oeuvre. Voilà ce qui était prévu dans le projet de loi C-65.

M. John Herron: Qu'est-ce qui vous a amené à procéder à ce changement?

• 1610

M. Steve Curtis: La formule du projet de loi C-33 n'est pas bien différente, en réalité. Dans les stratégies de rétablissement et dans les plans d'action, il faut identifier l'habitat essentiel d'une espèce inscrite afin de déterminer les mesures de protection de cet habitat. La loi énonce une interdiction contre la destruction de l'habitat essentiel sur les terres domaniales, à moins qu'on ait déjà mis en place des mesures pour le protéger. C'est un règlement établi par le gouverneur en conseil. Dans le projet de loi C-65, c'était un règlement ministériel. Voilà la seule différence.

M. John Herron: Changeons de sujet une fois de plus. Dans le projet de loi C-65, l'interdiction s'appliquait automatiquement en cas d'inscription d'une espèce animale transfrontalière. Comme la grande majorité des espèces en péril au Canada sont des espèces transfrontalières, qu'avez-vous à répondre à ceux que cette question préoccupe?

Mme Karen Brown: La proposition sur les espèces en péril est bien supérieure à celle du projet de loi C-65. Vous avez remarqué que celui-ci mettait l'accent sur les espèces animales internationales. C'était une de ses faiblesses. Il ne couvrait pas les végétaux ni les espèces dont l'aire de distribution géographique dépasse les frontières. La proposition sur les espèces en péril couvre toutes les espèces, et non pas uniquement les animaux. Elle ne fait pas de distinction. Peu importe qu'on soit dans le domaine international, provincial ou interprovincial.

M. John Herron: Mais d'habitude, les végétaux ne franchissent pas les frontières.

Mme Karen Brown: Les animaux non plus. Le défi était de déterminer si une espèce internationale était une espèce qui franchissait une frontière en volant, en se déplaçant au sol, ou parce qu'elle vivait de part et d'autre de la frontière. Les populations étaient-elles établies de part et d'autre, ou y avait-il matériellement des migrations qui franchissaient la frontière? Nous en avons beaucoup débattu. Évidemment, le mot «animal» est important car il exclut les autres espèces vivantes.

M. John Herron: Bien. Je vous remercie.

Le président suppléant (M. David Pratt): Merci, monsieur Herron.

Monsieur Knutson.

M. Gar Knutson (Elgin—Middlesex—London, Lib.): Je ne veux pas faire de comparaison entre le projet C-65 et celui-ci, mais j'aimerais avoir une précision, car je comprends mal. Lorsque vous dites que le projet de loi C-65 ne protégeait pas automatiquement les espèces sur les terres domaniales, parlez-vous du projet de loi C-65 que notre comité a renvoyé à la Chambre des communes, qui n'y a pas apporté d'amendements? Il y a eu plusieurs versions du projet de loi C-65.

M. Steve Curtis: Vous ne vouliez pas faire de comparaison, mais vous avez quand même posé la question.

M. Gar Knutson: On me dit que le projet de loi ne...

M. Steve Curtis: Pour être précis, je crois que c'est l'article 42 du projet de loi C-65 qui exigeait que dans un délai de 180 jours, je crois, après l'approbation du plan de rétablissement, lorsque celui-ci établissait la nécessité d'un règlement pour protéger un habitat sur des terres domaniales, ce règlement devait être mis en place. La seule modification apportée par le gouvernement, c'est ce principe de la nécessité du règlement. On a donc une formule...

M. Gar Knutson: Le comité n'a pas imposé au gouvernement l'obligation de protéger l'habitat sur les terres domaniales. Vous me dites que l'amendement n'existait pas, ou que s'il existait, il n'a pas survécu...

M. Steve Curtis: Je crois que le comité permanent qui s'est occupé du projet de loi C-65 a rendu obligatoire la prise d'un règlement lorsque le plan de rétablissement en prévoyait un. C'était donc une obligation, effectivement. Dans le projet de loi C-33, on dit que le ministre recommande un tel règlement au gouverneur en conseil.

M. Gar Knutson: Ce n'est pas la même chose.

M. Steve Curtis: Non, pas tout à fait.

M. Gar Knutson: Certains croyaient sincèrement que dans la précédente loi, du moins dans l'état où elle était avant que les élections n'y mettent fin, la protection était automatique. Certains étaient convaincus que la loi comportait une mesure de protection automatique.

Mme Karen Brown: C'est l'amendement qu'avait apporté le comité, mais le gouvernement ne l'a pas accepté.

• 1615

M. Gar Knutson: Il me semblait que le gouvernement l'avait accepté. En tout cas, c'est une distinction de pure forme...

M. Steve Curtis: Il n'y a qu'un mot de différence.

M. Gar Knutson: De pure forme, mais pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi?

À la page 14 de votre document, sur la protection immédiate des espèces, on lit le paragraphe suivant:

    Une fois les espèces inscrites à la liste comme étant menacées ou en voie de disparition, il devient automatiquement interdit de tuer les espèces aquatiques, les oiseaux migrateurs et les espèces sur les terres fédérales, ou de leur causer du tort, et de détruire leurs «résidences» [...]

Est-ce bien important si l'on remplace les «résidences» par «l'habitat»?

Mme Karen Brown: L'important, c'est que d'un point de vue biologique, il est bien difficile de savoir ce qu'est l'habitat essentiel. Matériellement, il nous est presque impossible de savoir ce que constitue l'habitat essentiel avant d'être en mesure de le définir correctement aux fins de la loi. On aurait pu ainsi se retrouver avec tout le sud-est de l'Ontario désigné comme habitat essentiel avant qu'on ait pu définir précisément l'aire de distribution géographique de telle ou telle espèce.

M. Gar Knutson: Ne peut-on pas...

Mme Karen Brown: C'est beaucoup plus facile pour les plantes, mais ça ne l'est pas pour la plupart des espèces animales de grande taille.

M. Gar Knutson: Sauf votre respect, nous savons que le sud-ouest de l'Ontario ne constitue pas partout un habitat essentiel.

Mme Karen Brown: Si, peut-être, pour certains oiseaux.

M. Gar Knutson: J'habite le sud-ouest de l'Ontario. Je connais mon...

Mme Karen Brown: Je parlais du sud-est.

Dans certains cas, notamment en ce qui concerne certains oiseaux et de nombreuses espèces migratrices, il est très difficile de définir l'habitat essentiel avant d'avoir fait de recherches approfondies. Nous nous heurtons à des difficultés considérables parce qu'une bonne partie de ces espèces ne bénéficient pas de l'attention qu'elles méritent tant qu'elles n'ont pas été inscrites sur la liste et tant que les recherches scientifiques n'ont pas été faites sur le terrain pour déterminer leur habitat essentiel.

Donc, pour ce qui est des interdictions, puisqu'il va falloir les appliquer, il faut avoir une idée précise de l'emplacement géographique de cet habitat essentiel.

M. Gar Knutson: Est-ce que vous reconnaissez que certaines provinces ont prévu la protection de l'habitat dans leur législation?

Mme Karen Brown: Oui, c'est vrai. Du point de vue de la gestion des affaires publiques, la difficulté consiste à déterminer dans quelle mesure l'inscription doit comporter automatiquement des interdictions. Plus il y aura d'interdictions automatiques, plus la procédure d'inscription sera contestée. Et les provinces qui imposent des interdictions automatiques pour la protection de l'habitat essentiel constituent rarement de liste des espèces à protéger, précisément à cause de cela.

L'équilibre est bien difficile à respecter, c'est indéniable. Il n'y a pas de solution miracle. On n'y parviendra pas par magie. Il va falloir peser le pour et le contre...

M. Gar Knutson: Bien. Je vais vous poser une autre question.

Le président suppléant (M. David Pratt): Monsieur Knutson, ce sera votre dernière question pour ce premier tour.

M. Gar Knutson: Bien, j'en ai beaucoup d'autres.

Le ministre a dit dans son exposé que si l'on prévoit toute une hiérarchie de mesures de protection, comme il a dit, le projet de loi sera plus facile à contester sur le terrain du droit constitutionnel. Pouvez-vous expliquer ce raisonnement et commenter la jurisprudence qui le sous-tend?

Je ne suis pas un spécialiste de la question. La dernière décision que j'ai lue portait sur l'affaire mettant en cause Hydro-Québec. Dans cette affaire, le tribunal a clairement reconnu la compétence du gouvernement fédéral dans le domaine de l'environnement, compétence qui découle de sa compétence en matière criminelle. C'est la première fois que j'entends dire qu'en créant une hiérarchie, nous nous exposons à ce qu'une partie de la loi soit invalidée par les tribunaux. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Karen Brown: Je ne suis pas avocate. Je dois admettre ignorer la jurisprudence en la matière. Nous pouvons certainement nous renseigner à ce sujet et vous transmettre l'information par la suite.

M. Gar Knutson: Les avocats qui vous accompagnent ne peuvent-ils pas vous aider?

Mme Karen Brown: Nous pouvons certainement vous transmettre l'information par la suite.

Lorsque nous avons établi le cadre stratégique portant sur les espèces en péril, nous nous sommes efforcés de cerner les critères à prendre en compte sans faire de distinction à cet égard entre les terres privées et les terres provinciales. L'approche sur laquelle repose le projet de loi est celle-ci: le projet de loi part du principe que les propriétaires terriens géreront adéquatement ces terres; l'intervention du ministre, le filet de sécurité et les sanctions pénales ne sont prévus que dans le cas contraire.

• 1620

Nous sommes bien conscients du fait que cette approche déplaît à un bon nombre de provinces, en particulier en ce qui touche l'habitat essentiel. On vous a sans doute dit et on continuera à vous dire que les provinces considèrent qu'il s'agit d'une ingérence du gouvernement fédéral.

M. Gar Knutson: En fait, je n'ai pas entendu cela du tout.

Mme Karen Brown: C'est ce que les provinces nous ont fait savoir à nous. On nous a même menacés. C'est peut-être un mot un peu trop fort, mais on a certainement parlé de contestations constitutionnelles.

M. Gar Knutson: Le gouvernement fédéral fera encore une fois l'objet de poursuites comme dans le cas des armes à feu et d'Hydro-Québec.

Mme Karen Brown: Oui. Les interdictions relatives à l'habitat essentiel découlent cependant de la compétence du gouvernement fédéral en matière criminelle. Ces dispositions ne figuraient pas dans le projet de loi C-65.

M. Gar Knutson: Mon temps est écoulé.

Le président suppléant (M. David Pratt): Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Madame Brown, j'aimerais me mettre à la place d'un promoteur de projet pour essayer de comprendre le projet de loi. Le projet de loi soulève un certain nombre de questions évidentes. Quelles sont les attributions de chacun en ce qui touche la désignation des espèces? Qui assume les coûts et quels sont ces coûts? Les espèces en péril seront-elles déjà désignées dans une région ou appartiendra-t-il au promoteur de fournir gratuitement l'information voulue au gouvernement?

Prenons un cas concret. Combien de temps le gouvernement prendra-t-i pour répondre aux questions d'un promoteur qui souhaite mettre en oeuvre un projet et qui doit attendre avant de le faire pendant que les intérêts courent sur l'emprunt qu'il a contracté?

Je préfère aussi l'approche fondée sur la collaboration plutôt que sur la coercition. Je pense que la collaboration de chacun est absolument essentielle et plus j'entends des gens qui s'y connaissent nous parler de la loi américaine, plus je me rends compte qu'elle ne fonctionne pas très bien dans la plupart des cas. Je me préoccupe cependant des exigences qui sont imposées aux promoteurs. À l'heure actuelle, quelqu'un qui veut exploiter un projet sur une rivière ou à proximité d'une rivière doit lui-même mener toutes les études portant sur l'habitat du poisson et ensuite soumettre les renseignements recueillis à un service gouvernemental; le plus souvent, ces renseignements ou la qualité de la recherche sont contestés malgré l'argent et le temps que le promoteur du projet a dû consacrer à ces études. Je crains donc qu'on n'ait pas tenu compte du fait que cette loi pourrait compromettre ou retarder le développement économique.

Mme Karen Brown: Permettez-moi d'abord de faire remarquer que je ne peux pas vous donner trop de précisions sur la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. La modification corrélative que prévoit cependant le projet de loi précisera que les évaluations menées en vertu de cette loi devront prendre en compte la question des espèces en péril.

Par conséquent, si le projet d'un promoteur doit faire l'objet d'une évaluation en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, le promoteur devra effectivement fournir certains renseignements à l'organisme de réglementation, à l'investisseur ou au propriétaire pour que l'évaluation puisse avoir lieu et pour qu'on puisse établir de façon générale si le projet risque de nuire aux espèces en péril.

M. Julian Reed: Je ne parle pas ici de la loi fédérale, mais des projets dont l'évaluation environnementale relève des provinces. Dans le cas de chaque projet, il faut décider s'il s'agit d'un projet de grande envergure ou d'un projet d'envergure secondaire. C'est notamment ce qui est prévu en Ontario. Je songe donc ici au cas de l'Ontario. Pour protéger leurs arrières, les fonctionnaires vont évidemment dire que tous les projets sont des projets d'envergure majeure. Par conséquent, tout entrepreneur voulant mettre en oeuvre un projet valable devrait tenir compte dans la planification de ses coûts du temps, de l'argent et des investissements qu'il lui faudra consentir pour se conformer aux exigences de la loi.

• 1625

Mme Karen Brown: Je ne peux vraiment pas me prononcer sur le processus d'évaluation environnementale en Ontario, car je ne le connais absolument pas.

M. Julian Reed: Je vous remercie.

Le président suppléant (M. David Pratt): Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président. J'aimerais poursuivre dans la même veine que mon collègue. Je pense que nous avons tous à l'esprit les conséquences imprévues de la loi américaine. Le fait qu'il a été possible d'obtenir la collaboration des agriculteurs, des pêcheurs, des Autochtones, des ouvriers forestiers et des propriétaires de boisés privés en ce qui touche ce projet de loi m'apparaît très encourageant.

Ma question est en fait très simple. À votre avis, la loi proposée permettra-t-elle d'atteindre les objectifs visés? Correspond-elle aux besoins? Peut-elle vraiment être appliquée?

Mme Karen Brown: En un mot, oui. Nous avons essayé de tirer parti de l'expérience des États-Unis dans ce domaine au cours des 20 dernières années. Nous avons vraiment passé beaucoup de temps avec nos collègues américains à essayer de comprendre les dilemmes auxquels ils ont fait face. Nous avons essayé de faire en sorte que le projet de loi repose sur la collaboration, qu'il fasse place aux mesures facultatives comme les accords de conservation et les servitudes. Le projet de loi tient également compte du fait que la protection de l'habitat relève aussi des gouvernements provinciaux et municipaux et qu'on devrait d'abord permettre à ces paliers de gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent. Le projet de loi renforce cette approche.

Nous sommes d'avis que si nous avons obtenu un appui qu'on ne peut cependant peut-être pas qualifié d'enthousiaste de la part des propriétaires de boisés, c'est surtout parce qu'ils reconnaissent la valeur de la collaboration et des mesures facultatives.

Les États-Unis essaient depuis 12 ans de bonifier leurs lois. Ils n'y sont pas tout à fait parvenus et ont donc opté pour l'interprétation administrative de certaines des questions liées à la protection de l'habitat et ils suivent avec grand intérêt la façon dont nous nous sommes attaqués à ce problème, qu'ils ne sont pas encore parvenus à régler.

Mme Karen Redman: L'évaluation des espèces en péril ainsi que les mesures nécessaires à leur rétablissement constituent l'un des éléments du projet de loi qui nous examinons. Le règlement comportera des interdictions auxquelles s'appliqueront d'importantes sanctions. L'évaluation et le rétablissement ne sont pas des concepts nouveaux, mais je présume que les activités menées dans ces domaines depuis vingt ans n'ont pas été très structurées. Je me demande si la loi qu'on nous propose accorde suffisamment de souplesse aux personnes qui seront chargées de la mettre en oeuvre—je me demande d'ailleurs si c'est le besoin qu'a fait ressortir l'expérience des vingt dernières années—pour qu'elles puissent la mettre en oeuvre de façon efficace.

Mme Karen Brown: C'est une bonne question. Nous avons sans doute beaucoup plus d'expérience en ce qui touche l'évaluation qu'en ce qui touche le rétablissement étant donné que le COSEPAC existe depuis 22 ans. Nous voulons nous assurer que le cadre stratégique nécessaire soit en place. Le COSEPAC est cependant l'élément sur lequel repose tout le projet de loi. Nous devons nous rappeler que le ministre et le gouvernement se fondent sur les travaux de ce comité. Nous devons veiller à ne pas réduire à l'impuissance ce comité ni le placer entre le fer et l'enclume.

• 1630

Notre expérience est limitée dans le domaine du rétablissement. Des équipes de rétablissement mènent des activités depuis environ 12 ans. La science du rétablissement est encore très imparfaite. À titre d'exemple, nous venons d'investir de l'argent dans le rétablissement de la marmotte de l'île de Vancouver car nous ne savons pas si nous pouvons vraiment réintroduire dans leur habitat ces petites créatures qui, l'an dernier, se sont échappées du zoo de Calgary où elles avaient grandi.

Quelles sont donc les données scientifiques dont nous avons besoin? Les inconnues sont nombreuses. Le nombre d'espèces visées est également élevé. En fait, 353 espèces font l'objet d'un plan de gestion ou de rétablissement. Il nous reste encore beaucoup à apprendre au sujet du processus de rétablissement.

Nous avons passablement d'expérience en ce qui touche le rétablissement des gros mammifères et de certains oiseaux migrateurs. Nous en savons beaucoup moins au sujet du rétablissement d'autres espèces comme les reptiles, les serpents ou les plantes.

Je parle en fonctionnaire et en biologiste en disant que j'espère que le cadre stratégique prévu dans le projet de loi sera suffisamment souple, car on ne sait jamais quand aura lieu le rétablissement.

Mme Karen Redman: Cela m'amène à penser à l'examen quinquennal qui est prévu dans la loi. Je ne sais pas si vous voulez faire une observation à ce sujet, mais il m'apparaît qu'il s'agit d'une partie très importante du cadre stratégique.

Mme Karen Brown: C'est vrai. L'examen quinquennal de la loi revêt beaucoup d'importance.

Il y a aussi la question de savoir ce qui doit figurer dans la loi elle-même par opposition au règlement. Pour les équipes de rétablissement qui devront acquérir de nouvelles et nombreuses compétences, il importe que le règlement ou les lignes directrices soient suffisamment souples. L'examen quinquennal nous permettra ensuite d'apporter les améliorations nécessaires à la loi, le cas échéant.

Mme Karen Redman: Je vous remercie.

Le président suppléant (M. David Pratt): Merci, madame Redman.

Monsieur Knutson.

M. Gar Knutson: Merci beaucoup.

Si vous voulez bien jeter un coup d'oeil à l'encadré de la page 14 de votre mémoire, vous verrez qu'on dit:

    Une fois les espèces inscrites à la liste comme étant menacées ou en voie de disparition, il devient automatiquement interdit de tuer les espèces aquatiques, les oiseaux migrateurs et les espèces sur les terres fédérales [...]

Qu'arriverait-il si nous donnions la même protection aux espèces transfrontalières comme le grizzli que la protection accordée aux oiseaux migrateurs dans la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs? Le texte que j'ai cité figure au premier point centré.

Mme Karen Brown: Ces espèces sont incluses dans le deuxième point centré. Les ministres provinciaux qui ont compétence en la matière... permettez-moi de m'expliquer.

Dans l'ensemble, les lois de protection de la faune des diverses provinces du Canada interdisent de tuer ou de piéger toute espèce animale sans permis. Si ces interdictions n'existent pas déjà, on est en train de modifier les lois pour qu'elles y soient. Grâce à ces deux mesures législatives, on aura maintenant un réseau complet pour garantir que ces espèces ne seront pas tuées. Cela se fera automatiquement.

M. Gar Knutson: Seulement si les provinces sont d'accord.

Mme Karen Brown: C'est déjà prévu dans les lois provinciales. On ne peut pas tuer un chevreuil sans permis. On ne peut pas tuer un oiseau sans permis. Je pense que la plupart des cas sont maintenant prévus. C'est la même chose pour les oiseaux migrateurs. C'est aussi le cas des espèces de poisson, car la Loi sur les pêches stipule qu'il est interdit de pêcher telle ou telle espèce. Cela garantit une double protection. Cette mesure ajoute une autre protection en disant que si les interdictions automatiques n'existent pas déjà dans les lois fédérales ou provinciales utilisées pour gérer l'espèce, cette disposition s'appliquera.

M. Gar Knutson: Si j'ai bien compris votre réponse, si nous ajoutions les espèces transfrontalières au premier point centré, rien ne se passerait?

Mme Karen Brown: Les espèces transfrontalières ne sont pas nécessairement régies par le gouvernement fédéral, loin de là. Ce qui arriverait, c'est qu'il y aurait probablement contestation judiciaire.

• 1635

M. Gar Knutson: Existe-t-il des précédents disant que les espèces transfrontalières ne relèvent pas de la compétence fédérale?

Mme Karen Brown: D'après les experts, nous pourrions protéger les espèces transfrontalières ou internationales en vertu de la compétence du gouvernement fédéral en matière criminelle, mais il n'y a aucune rubrique précise qui permette d'accorder cette protection sauf le droit criminel de façon générale.

M. Gar Knutson: Nous pouvons donc protéger ces espèces en vertu de la compétence en matière criminelle?

Mme Karen Brown: Oui, et elles sont déjà protégées de cette façon-là. Elles sont protégées par le mécanisme au premier point centré si ce sont des espèces transfrontalières parce que les oiseaux migrateurs sont des espèces transfrontalières. Au deuxième point centré, on précise que, si le gouvernement de la province ne protège pas l'espèce, le gouvernement fédéral le fera.

M. Gar Knutson: Je suis un peu embrouillé par votre réponse. Vous semblez dire que nous ne pouvons pas inclure ces espèces au premier point centré parce qu'elles ne relèvent pas de notre compétence. Est-ce exact? Je voudrais simplement revenir à ma question originale. Qu'arriverait-il si nous les y ajoutions?

Mme Karen Brown: Tout d'abord, les oiseaux migrateurs sont des espèces internationales et transfrontalières, n'est-ce pas?

M. Gar Knutson: Oui.

Mme Karen Brown: Il y a donc déjà un certain nombre d'espèces visées par la Loi, n'est-ce pas?

M. Gar Knutson: Oui, tous les oiseaux visés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. D'accord.

Mme Karen Brown: En effet. Le mécanisme au deuxième point centré s'applique aussi aux oiseaux parce que, si le ministre provincial ne les protège pas, le gouvernement fédéral le fera.

M. Gar Knutson: Nous semblons tourner en rond. J'ai seulement demander ce qui arriverait si nous modifions la Loi pour inclure...

Mme Karen Brown: Je ne vois pas au juste ce que vous voulez dire en demandant ce qui se passerait.

M. Gar Knutson: Eh bien, vous avez semblé laisser entendre que la Loi pourrait être annulée sous prétexte qu'elle est anticonstitutionnelle. Je...

Mme Karen Brown: Les provinces voudraient certainement intervenir, en effet.

M. Gar Knutson: Elles nous ont dit qu'elles intenteraient des poursuites au gouvernement fédéral de toute façon.

Mme Karen Brown: Exactement.

M. Gar Knutson: Je vais passer à autre chose si vous me le permettez... oh, M. Curtis voulait dire quelque chose.

M. Steve Curtis: J'allais simplement ajouter qu'il n'y a rien dans la loi qui constitue un obstacle juridique absolu à faire ce que vous avez dit, monsieur Knutson, mais nous ne pouvons pas protéger les espèces menacées en faisant cavalier seul. Nous avons besoin de la collaboration des provinces.

Nous avons un accord, une entente politique avec les provinces qui précise les diverses modalités d'application. Les provinces nous ont dit qu'elles prendraient des mesures pour protéger toutes les espèces inscrites par le COSEPAC sur la liste des espèces en péril et menacées et nous voulons nous assurer qu'elles respecteront leur engagement et qu'elles prendront les mesures voulues. C'est dans cette perspective que le projet de loi a été conçu. Si les provinces ne font pas le nécessaire, nous pourrons intervenir pour combler le vide. C'est à cela que sert le filet de sécurité.

Voilà donc ce que nous comptons faire. Nous voulons travailler efficacement de concert avec les provinces tout en nous assurant qu'il n'y a aucune lacune et que toutes les espèces seront protégées.

M. Gar Knutson: Très bien. Relativement à l'entrée en vigueur de la liste. Qu'arriverait-il si nous prenions les 135 ou 136 espèces étudiées jusqu'ici à part le COSEPAC et qui fait l'objet d'un rapport, et que nous les ajoutions en annexe à la loi pour que cette liste prenne effet le jour où la loi sera proclamée?

Mme Karen Brown: C'est une possibilité. Le gouvernement propose que ce soit le gouverneur en conseil qui prenne cette décision dans le cadre du processus réglementaire, ce qui veut dire qu'on aura déjà fait l'évaluation bénéfice-coût.

M. Gar Knutson: Y aurait-il un problème à prendre la liste originale, qui est déjà relativement complète...

Mme Karen Brown: Il faudrait tenir compte d'un certain nombre de facteurs pour décider si une espèce figurera ou non sur la liste officielle. Jusqu'ici, 123 espèces sont incluses.

Ce qui nous préoccupe le plus pour l'instant, c'est notamment de savoir si nous avons effectivement toutes les interdictions voulues; si elles pourront être appliquées; la mesure dans laquelle les lois actuelles protègent ces espèces ou non; et si nous avons tout fait de concert avec les gouvernements provinciaux pour garantir l'application régulière de la loi, ce qui est une chose que garantira justement le processus d'établissement de la liste par le gouverneur en conseil.

M. Gar Knutson: Combien de temps cela prendra-t-il?

Mme Karen Brown: Vu la façon dont le projet de loi est rédigé, le COSEPAC doit faire rapport dans les 30 jours après la proclamation du projet de loi au sujet de ces nouvelles évaluations. Nous ne pensons pas que cela prenne plus de temps. La plus grande partie des évaluations sera probablement publiée dans les mêmes délais que les règlements ordinaires, ce qui veut dire qu'on aurait une première partie.

Il faut aussi se rappeler...

M. Gar Knutson: Pardon, mais quels sont les délais normaux pour les règlements?

Mme Karen Brown: Environ 90 jours.

M. Gar Knutson: À compter de...

Mme Karen Brown: La période de pré-publication est de 30 jours et il y a encore 30 jours avant la publication dans la partie deux.

• 1640

L'autre question à propos de laquelle nous avons reçu bien des instances et beaucoup d'interventions a trait à la nécessité de faire bien comprendre à tous les intéressés quelles espèces seront effectivement incluses dans la liste. À ce moment-là, quiconque tue une espèce inscrite sur la liste ou lui cause du tort, serait assujetti aux dispositions d'exécution de la loi.

Bien des gens qui ont communiqué avec nous nous ont dit qu'ils voudraient un processus d'information beaucoup plus vaste selon lequel nous devrions aviser les propriétaires fonciers, les agriculteurs et les travailleurs des industries primaires lorsqu'une espèce est inscrite sur la liste. Le processus de réglementation vise notamment à garantir un processus de publication de la liste très ouvert et très vaste.

Le président suppléant (M. David Pratt): Monsieur Knutson, pouvons-nous maintenant redonner la parole à Mme Redman? Nous pourrons vous revenir quand Mme Redman aura terminé.

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.

Nous savons bien que vous n'êtes pas des avocats, madame Brown, et que des spécialistes en droit de l'environnement se sont penchés sur le projet de loi déjà, mais pour poursuivre dans la même veine que M. Knutson, le projet de loi vise à maintenir l'équilibre. M. Knutson a demandé pourquoi on n'irait pas un peu plus loin si le projet de loi doit faire l'objet de contestations de toute façon. J'imagine qu'on a atteint un certain équilibre et qu'il y a eu des consultations. Vous pourriez peut-être nous en parler un peu à moins qu'il soit préférable que nous posions la question aux avocats.

M. Gar Knutson: Les avocats ne connaissent rien aux questions d'équilibre.

Mme Karen Brown: Nous sommes bien convaincus que le projet de loi accorde toute la priorité voulue à la protection des espèces en péril, vu que bien des gens risquent de confondre équilibre et compromis. Nous n'avons certes pas l'impression de vous proposer une mesure qui compromette d'une façon ou d'une autre la protection des espèces en péril.

Comme je l'ai déjà dit, le projet de loi maintient certaines notions d'équilibre, qui dans la plupart des cas sont relatives à la politique gouvernementale, en ce qui concerne la mesure dans laquelle l'enregistrement entraîne une interdiction automatique. Cela veut dire qu'on exerce beaucoup de pression sur le processus scientifique d'évaluation choisi.

Nous y avons longuement réfléchi. Nous ne voulons pas que le processus scientifique d'évaluation devienne politisé. Nous ne voulons pas que l'inscription sur la liste devienne hautement politisée. Ceux qui siègent au COSEPAC sont des scientifiques. Ils doivent faire leur travail scientifique et fournir les conseils scientifiques et les élus devraient prendre des décisions assez importantes relativement aux engagements et aux promesses du gouvernement fédéral.

Ces notions d'équilibre sont essentielles au projet de loi, tout comme le sont les notions d'équilibre liées à la collaboration pour inciter les personnes appropriées à faire la bonne chose. Environnement Canada et le ministre de l'Environnement ne peuvent pas protéger toutes les espèces. Aucune loi ne peut le faire. Il n'y a pas assez d'argent dans le budget de M. Martin pour y parvenir. Nous avons donc besoin de la collaboration de tous les propriétaires fonciers, de tous les agriculteurs, des provinces et des territoires parce que cela nous touche tous. La façon de procéder et le libellé même du projet de loi reflètent ces notions d'équilibre. Nous sommes convaincus que c'est important.

Mme Karen Redman: Revenons à la question des contestations judiciaires possibles. Le projet de loi s'appuie sur des positions défendables et non pas sur des positions affaiblies. Nous sommes convaincus du bien-fondé de ces positions parce que nous jugeons qu'elles tiennent compte du bien public et de la politique de l'État.

Mme Karen Brown: Tout à fait. Le ministère de la Justice a le dernier mot dans de tels cas, et c'est nettement sa position.

Le président suppléant (M. David Pratt): Monsieur Reed et ensuite monsieur Knutson.

M. Julian Reed: Êtes-vous d'accord, Gar?

M. Gar Knutson: C'est très bien. Nous pouvons rester jusqu'à 17 heures.

M. Julian Reed: Vous avez dit qu'il fallait la collaboration des agriculteurs, des propriétaires fonciers et des utilisateurs de la terre.

La protection et la santé des espèces aquatiques dépend peut-être davantage des habitants des régions urbaines que des régions rurales du Canada. Certains pensent que si l'on s'occupe de la chouette des terriers et du grizzli et de quelques autres espèces, cela suffit. On m'a pourtant signalé que plus d'espèces aquatiques sont menacées que d'espèces terrestres. C'est peut-être faux, mais je sais qu'il y a beaucoup d'espèces aquatiques du lac Ontario et du Saint-Laurent qui sont très menacées à cause des régions urbaines du Canada et non des régions rurales.

• 1645

Ce qui m'inquiète, c'est que le projet de loi ne semble pas tenir compte de ce problème. Je ne sais pas si c'est vrai ou non, mais je ne comprends pas ce que cette mesure fera pour instaurer un programme de rétablissement pour le béluga, par exemple.

Mme Karen Brown: En fait, le béluga est l'une des espèces pour lesquelles nous avons déjà un programme de rétablissement partiel, mais la stratégie de rétablissement sera dorénavant formalisée. La loi dictera sa mise en oeuvre. Cependant, votre commentaire est tout à fait juste étant donné la complexité et l'importance du dossier. Nous avons constaté au fil des ans, et nous continuerons de constater que... Dans le cas des bélugas, par exemple, le gouvernement doit notamment s'employer à diminuer la quantité de produits chimiques toxiques qui s'écoulent du lac Ontario dans le Saint-Laurent...

M. Julian Reed: Exactement.

Mme Karen Brown: ... et le Plan d'action du Saint-Laurent, programme fédéral-provincial mis en place il y a 15 ans et reconduit trois fois, a permis des efforts tout à fait délibérés pour réduire le déversement de substances toxiques dans le Saint-Laurent, ce qui a contribué énormément à la réduction des charges de contaminants qui atteignent le béluga.

M. Julian Reed: Les zones industrielles en bordure du lac Ontario continuent de prélever de l'eau du lac et d'y rejeter des eaux usées. Si c'est ce qu'on appelle un programme de rétablissement, je ne suis pas convaincu de son efficacité.

Mme Karen Brown: L'écosystème du lac Ontario fait l'objet d'un débat très nourri depuis 25 ans. Je peux vous dire que malgré tout, nous ne sommes toujours pas en mesure d'expliquer, preuves scientifiques à l'appui, quelle relation de cause à effet existe entre ces efforts et le rétablissement de certaines espèces de poissons. Le rayonnement ultraviolet, les pluies acides, les changements climatiques, tous ces facteurs et d'autres encore ont une incidence considérable sur les processus biologiques. Par conséquent, les conseils scientifiques sur l'efficacité des programmes de rétablissement valent ce que valent par exemple les prévisions économiques. Ce sont des prévisions qui doivent être rajustées périodiquement. Nous avons mis 25 ans à élaborer un programme de rétablissement de la grue blanche mais nous continuons de découvrir des faits nouveaux. Ainsi, les efforts scientifiques...

Nous avons mis entre 25 et 50 ans à polluer le lac Ontario et il nous faudra encore de 25 à 50 ans pour le nettoyer. Ce faisant, nous devrons faire face à de nombreux autres changements profonds et notamment aux 125 espèces aquatiques qui ont envahi le lac Ontario. De nombreux facteurs nous obligeront à corriger le tir, à évaluer l'efficacité des divers éléments du plan de rétablissement, de rectifier à nouveau le tir, et ainsi de suite. Ce sont des systèmes biologiques. Parfois nous devrons agir sur les rejets d'affluents; d'autres fois nous devrons envisager des mesures plus précises dans un domaine d'action particulier. Les systèmes aquatiques sont toujours très complexes, mais votre commentaire est tout à fait juste.

Le président suppléant (M. David Pratt): Merci, monsieur Reed.

Monsieur Knutson.

M. Gar Knutson: Merci.

Monsieur le président, je suis moi aussi partisan de l'équilibre et de la coopération, et l'observation volontaire est en quelque sorte un point de départ. J'aimerais que vous vous reportiez à l'encadré de la page 14. Je ne sais pas si votre texte dit la même chose, mais, si je peux me permettre de vous citer, vous avez dit: «Le critère est assez précis», pour que nous puissions passer du premier au deuxième point centre. Vous nous avez dit que si le ministre estime que les provinces ne font pas ce qu'elles doivent, il sera alors contraint, en vertu de la loi, de demander l'application des interdictions. Je ne sais pas si vous avez le texte de ce que vous avez dit...

Mme Karen Brown: J'ai dit quelque chose en ce sens. Je vais vérifier si Steve a le texte. Le texte dit: «Le ministre doit demander que les interdictions s'appliquent à toutes les autres espèces... quand ces espèces ne sont pas protégées par des lois provinciales ou territoriales.» Voilà le critère.

M. Gar Knutson: Je croyais que vous aviez dit que le critère c'était: «S'il estime...»...

Mme Karen Brown: Non. «S'il est d'avis», je crois—je ne me souviens plus au juste des mots que j'ai utilisés.

M. Gar Knutson: Il me semble que ce sont les mots que vous avez utilisés.

• 1650

J'en viens à mon commentaire. Si la décision dépend de ce qu'il pense, ce n'est pas un critère très rigoureux. C'est tout à fait subjectif et il exerce un pouvoir discrétionnaire absolu que personne ne pourrait contester...

Mme Karen Brown: Puis-je vous lire le paragraphe 34(3)?

M. Gar Knutson: Allez-y.

Mme Karen Brown: Le voici:

    Le ministre est tenu de recommander la prise du décret—il s'agit du décret de protection—

—il s'agit du décret de protection...

    s'il estime que le droit de la province ne protège pas l'espèce.

M. Gar Knutson: Et pourquoi dites-vous que son avis subjectif constitue un critère précis?

Mme Karen Brown: Un «critère précis»? D'après mon interprétation, si le ministre estime... il peut alors prendre la décision sans qu'il soit nécessaire de satisfaire à cinq ou six critères.

M. Gar Knutson: Ce n'est pas un critère transparent; c'est un avis subjectif.

Mme Karen Brown: Il s'agit d'abord de déterminer s'il y a ou non une loi provinciale en vigueur. Sinon, le ministre fédéral recommanderait alors la prise du décret.

M. Gar Knutson: Seulement s'il estime... et son avis n'a rien de transparent. C'est un critère tout à fait subjectif.

M. Steve Curtis: S'il ne prenait pas cette décision, pour une raison quelconque, la chose se saurait immédiatement. La politique gouvernementale en matière d'environnement s'élabore dans un milieu très ouvert. Il serait évident que le ministre n'a pas mis en place l'interdiction rendue nécessaire par l'inaction d'une province. Cela n'a rien de secret ou de clandestin.

M. Gar Knutson: Oui, mais son pouvoir discrétionnaire est absolu. Il n'y aurait pas de contestation possible devant un tribunal.

M. Steve Curtis: C'est exact, mais il aurait à justifier publiquement les conséquences de sa décision, ou de son inaction, en l'occurrence.

M. Gar Knutson: D'accord. Nous nous entendons donc pour dire qu'il n'est pas responsable devant les tribunaux, mais uniquement sur le plan politique, ce qui fait que son pouvoir discrétionnaire est absolu.

M. Steve Curtis: Oui.

M. Gar Knutson: Permettez-moi d'aborder une autre question: les recours des citoyens. Ils étaient inclus dans le projet de loi C-65. Vous avez parlé plus tôt de l'expérience américaine en réponse à une question qu'on vous a posée. Quand l'administration Reagan est arrivée au pouvoir et a cessé de faire respecter les lois environnementales, le nombre de poursuites intentées par des citoyens est monté en flèche.

Ces poursuites assurent un arrière-plan légitime au risque d'inaction d'un gouvernement. Nous avions prévu de tels recours dans la LCPE, mais ils ne figurent pas dans le projet de loi à l'étude. Je me demande si vous pourriez m'expliquer pourquoi.

Mme Karen Brown: Ils figuraient dans le projet de loi C-65 et s'inspiraient de la LCPE. Quand le projet de loi C-65 est resté en plan au Feuilleton, c'est le sujet qui a suscité la plus vive controverse. Certains ont exprimé une opposition farouche, surtout les propriétaires fonciers et les agriculteurs qui craignaient que la possibilité d'exercer un recours devant les tribunaux civils donnerait à certaines personnes la possibilité d'intenter des poursuites contre les agriculteurs et d'autres particuliers, à tout moment.

L'énorme différence entre la LCPE et la Loi sur la protection des espèces en péril, c'est que la première s'appliquait à de très grandes entreprises. Dans ce cas-ci, il y aurait possibilité de poursuites contre des particuliers, surtout des petits propriétaires fonciers ou de petits exploitants agricoles. L'opposition a donc été très vive et cette mesure, à notre avis, n'améliorait pas de façon significative la protection des espèces. D'ailleurs, nous craignons que cela n'encourage le syndrome «on tire, on enterre, on se tait».

M. Gar Knutson: J'étais membre du comité qui a étudié le projet de loi C-65. Je me souviens d'avoir défendu la possibilité pour les particuliers d'intenter des poursuites. Je me souviens d'avoir dit aux gens qui s'y opposaient de lire la loi, qu'il y avait des critères à respecter avant qu'un citoyen puisse intenter une poursuite. Il fallait d'abord demander au gouvernement d'ouvrir une enquête. Le gouvernement devait conduire une enquête et motiver sa décision. Ce n'est qu'après qu'un citoyen pouvait intenter une poursuite.

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Je n'ai pas vu énormément...

Mme Karen Brown: Le problème c'est que les dispositions concernant les poursuites intentées par des citoyens ont été très mal comprises et que beaucoup de mythes ont circulé. Vous pourriez répéter un million de fois l'explication que vous venez de donner et les gens ne seraient toujours pas convaincus. Les gens entendaient ce qu'ils voulaient entendre et les poursuites par des citoyens leur semblaient être le symbole inquiétant de l'américanisation de la procédure canadienne.

M. Gar Knutson: J'espère que vous n'avez pas pour habitude de modifier la loi uniquement parce qu'elle est mal comprise. Cela semble être ce que vous nous dites.

Mme Karen Brown: Il ne s'agit pas de modifier la loi. Le projet de loi C-33 est entièrement nouveau. Le C-65 est resté en plan au Feuilleton. Le gouvernement du Canada a passé 18 mois ou plus à réexaminer les grands problèmes les plus controversés du projet de loi C-65. Certaines des questions les plus importantes sont traitées différemment dans le nouveau projet de loi.

M. Gar Knutson: Ça va. L'autre préoccupation concernait l'indemnisation et je crois que vous avez répondu à cela. Je vous en félicite.

Je pense qu'il y aurait toutefois eu lieu de prévoir un autre mécanisme en remplacement des poursuites intentées par les citoyens pour rassurer les propriétaires fonciers sans abandonner totalement les poursuites. Il se peut fort bien que des gouvernements, fédéral ou provinciaux, ne fassent pas ce qu'ils sont censés faire.

Je vais m'arrêter là-dessus.

Le président suppléant (M. David Pratt): Merci, monsieur Knutson.

Les membres du comité ont-ils d'autres questions?

Dans ce cas-là, je vous remercie madame Brown ainsi que vos collègues du Service canadien de la faune d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Votre témoignage a été très instructif.

La séance est levée.