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SNUD Rapport du Comité

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CHAPITRE 9 : LA MARIJUANA

1. MANDAT DU COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS

Comme il a été expliqué au chapitre 1, le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments a d’abord reçu le mandat d’étudier « les facteurs sous-jacents ou parallèles à l’usage non médical des drogues ou médicaments au Canada » et de soumettre des recommandations visant à réduire « l’ampleur du problème que ce phénomène constitue ». Ce mandat s’est élargi le 17 avril 2002 lorsque la Chambre des communes y a ajouté par ordre de renvoi le sujet du projet de loi d’initiative parlementaire C-344, Loi modifiant la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (marihuana)299. Le présent chapitre traite des dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances seulement dans la mesure où elles concernent la poursuite pénale se rapportant aux infractions liées à la marijuana300.

Le projet de loi C-344 visait à modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de faire de la possession, de la possession en vue de faire le trafic et du trafic de petites quantités de marijuana (un gramme ou moins de résine de cannabis et 30 grammes ou moins de cannabis), des infractions donnant lieu à une contravention. Les amendes prévues sont de 200 $ pour la première infraction, 500 $ pour la deuxième infraction et 1 000 $ pour toute autre récidive. À l’heure actuelle, la possession de petites quantités est une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’une amende maximale de 1 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces deux peines. Le trafic de moins de 3 kg de résine de cannabis ou de marijuana est un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 5 ans moins un jour301. À l’appui de ce projet de loi, le Dr Martin soutient qu’il permettrait de soulager les tribunaux, d’économiser de l’argent et de libérer des ressources policières pouvant être affectées à la répression d’infractions plus graves.

2. OPTIONS LÉGISLATIVES

Le Comité a entendu toutes sortes de suggestions concernant le régime juridique du cannabis. Certains intervenants recommandent la légalisation réglementée ou non. Certains préconisent une forme de décriminalisation qui ferait de la possession une infraction non criminelle, d’autres préfèrent une démarche plus prudente qui maintiendrait les interdictions actuelles tout en offrant des options de déjudiciarisation plus nombreuses et meilleures comme moyen d’éviter certains des méfaits associés aux poursuites. D’autres encore prônent l’alourdissement des peines du moins pour les infractions de trafic ainsi qu’un engagement renouvelé en faveur de l’abstinence. Certains professionnels de la santé pensent qu’il faudrait augmenter et améliorer la recherche sur les effets du cannabis avant de modifier la loi afin de permettre un débat éclairé tandis que d’autres font remarquer que, en raison de l’illégalité du cannabis, « plusieurs s’opposent à la réalisation d’études à ce sujet »302.

Aux fins de la discussion, le Comité entend par légalisation la suppression de toutes les sanctions pénales frappant la production, la vente ou la possession d’une substance donnée. La légalisation n’implique pas la suppression de tous les contrôles réglementaires. En fait, la possibilité de réglementer la production et l’offre, de taxer et de limiter l’accès en fonction de l’âge est souvent citée comme un grand avantage de la légalisation. Le Comité entend par décriminalisation le fait de supprimer les sanctions pénales frappant certaines activités tout en maintenant les interdictions légales. La décriminalisation permettrait de continuer d’intenter des poursuites au pénal pour un grand nombre ou la plupart des activités liées à une substance illicite comme le cannabis. Cependant, en même temps, elle ferait en sorte que la possession de petites quantités de la substance à des fins d’usage personnel soit considérée comme une infraction réglementaire ayant des conséquences semblables à celles dont sont assorties les infractions au code de la route provincial. Suivant ce système, la poursuite de l’infraction réglementaire pourrait être entamée par la délivrance d’une contravention, des amendes pourraient être payées sans comparution et l’application de la loi ne donnerait pas lieu à une condamnation.

Le Comité a entendu plusieurs personnes qui estiment que les poursuites ayant trait aux infractions liées à la marijuana absorbent une part excessive des ressources limitées du système de justice pénale. On évoque souvent les éventuelles répercussions négatives d’une condamnation pour possession, comme argument en faveur d’une modification de la loi. La possibilité d’une application inégale ou incohérente de la loi peut en conduire certains à préconiser des modifications législatives de manière à éviter que les uns ne se voient infliger une grosse amende et ne se retrouvent avec une condamnation pour possession d’une faible quantité, alors que d’autres s’en tirent avec un avertissement et(ou) la confiscation du cannabis. Certains témoins soutiennent que les autorités policières ne ciblent plus la possession de cannabis parce qu’elles préfèrent s’en tenir aux poursuites liées à des infractions plus graves prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il ressort toutefois de statistiques récentes que la majorité des infractions liées au cannabis faisant l’objet d’une poursuite à l’heure actuelle sont des infractions de possession. Par exemple, Statistique Canada note que le cannabis est en cause pour environ trois quarts des 91 920 infractions liées à la drogue déclarées par les services de police canadiens en 2001. Or, dans 70 % des cas, il s’agit d’infractions de possession303.

Les arguments suivants sont souvent invoqués en faveur de la légalisation :

 les sanctions pénales qui n’ont pas l’appui d’une forte majorité de la population conduisent à une diminution du respect pour la loi et ceux qui la font respecter;
 l’illégalité de la marijuana a pour effet d’exposer les consommateurs à des trafiquants qui offrent aussi des substances plus nocives (la « séparation des marchés » est souvent citée comme une des principales motivations de la politique néerlandaise ayant trait à la marijuana)304;
 la légalisation offre la possibilité de réglementer et de taxer ainsi que de limiter l’accès en fonction de l’âge.

Ceux qui s’opposent à la légalisation du cannabis invoquent le plus souvent les raisons suivantes :

 en normalisant l’usage, le message véhiculé par la levée des interdictions est inapproprié, surtout à l’égard des jeunes305. Par exemple, plusieurs personnes soutiennent que la publicité entourant l’usage médical de la marijuana est perçue par certains comme un acquiescement à ses effets favorables sur la santé;
 le cannabis sert d’« introduction » à des substances psychoactives plus nocives sinon directement par la dépendance, du moins indirectement par le milieu social et les risques inhérents au comportement306.

La majorité des membres du Comité sont persuadés qu’il faut réformer la législation sur le cannabis pour diverses raisons. Ils conviennent, par exemple, que, comme la loi semble être appliquée de façon sporadique, inégale et variable d’une région à l’autre, sa mise en œuvre risque d’être incohérente et injuste. Ils conviennent également que les conséquences d’une condamnation au criminel pour simple possession de cannabis sont sans commune mesure avec les méfaits potentiels associés à une consommation personnelle. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on songe au tort que cause tous les jours la consommation de substances licites comme le tabac, l’alcool et certains médicaments en vente libre d’usage courant.

Toutefois, le Comité partage l’inquiétude d’un grand nombre d’éducateurs, de fournisseurs de traitement et de policiers, entre autres, qui craignent que nombre de Canadiens, et de jeunes en particulier, perçoivent la légalisation comme une indication que l’usage répandu du cannabis ne préoccupe pas le Parlement. Au moins en ce qui concerne le Comité, il n’en est strictement rien. En fait, le Comité a entendu des professionnels de la santé, des spécialistes de la toxicomanie et des fournisseurs de traitement déclarer que la consommation fréquente et prolongée de cannabis pouvait conduire à la dépendance et à des problèmes sociaux chez certains usagers. En outre, le Dr Mark Zoccolillo a exprimé des inquiétudes concernant la fréquence de la consommation de marijuana chez les élèves qu’il a examinés ainsi que l’éventuel effet perturbateur de cette consommation sur la mémoire à court terme ou « opérationnelle » et ses conséquences à long terme pour ce groupe d’âge. Enfin, le Comité n’est pas convaincu que la légalisation assortie de réglementation supprimerait les bénéfices tirés de la production et de la vente illégales du cannabis ou découragerait de façon notable les criminels qui en font la distribution.

Pour ces raisons, le Comité préférerait qu’on maintienne les infractions liées au cannabis prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais qu’on décriminalise la possession simple en la désignant comme une « contravention » à peu près dans le sens où on l’entend aux termes du projet de loi C-344307. Cependant, à l’encontre du projet de loi C-344, le Comité n’appuie pas l’allégement des peines afférentes au trafic ou à la possession en vue du trafic. Le Comité préférerait donc que la possession et(ou) la culture à des fins d’usage personnel donnent lieu à la délivrance d’une contravention sauf en cas de circonstances aggravantes. Par exemple, compte tenu des préoccupations des services de police en matière de sécurité et de maintien de l’ordre, le Comité croit qu’il convient de continuer à engager des poursuites au criminel pour les infractions de possession liées aux violations ayant trait à la conduite d’un véhicule avec facultés affaiblies aux termes de la Loi réglementant certains drogues et autres substances308. Il se peut que la mise en œuvre de ces propositions oblige à réviser les infractions de possession prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances de manière à maintenir les peines prévues à l’heure actuelle pour les infractions de possession avec circonstances aggravantes.

Le Comité a longuement délibéré sur l’opportunité de maintenir les sanctions pénales à l’égard de la simple possession de cannabis en rapport avec les écoles et les autres endroits fréquentés par les jeunes. Cependant, la plupart des membres du Comité hésitaient à proposer une façon de procéder qui en impose davantage aux jeunes qu’aux adultes. En outre, le trafic ou la possession en vue du trafic dans une école ou un autre endroit fréquenté par les moins de 18 ans ou à proximité, et le trafic avec des moins de 18 ans sont déjà des « circonstances aggravantes » devant être prises en compte au moment de la détermination de la peine. Comme la formule de décriminalisation que propose le Comité n’a aucun effet sur les infractions et les peines liées au trafic, ces dispositions continueront de s’appliquer. Par conséquent, le Comité propose que la possession d’une petite quantité de cannabis à usage personnel, même à l’école, donne également lieu à une contravention dans le cadre du nouveau système. Le Comité s’attend à ce que les conseils scolaires continuent d’appliquer leurs propres contrôles administratifs, si nécessaire, pour dissuader les étudiants d’apporter du cannabis à l’école à peu près comme ils le font déjà pour les autres substances.

En désignant comme étant des contraventions les infractions de possession ou de culture de petites quantités de cannabis à usage personnel, la formule de décriminalisation proposée laisse en place les sanctions criminelles de sorte que la loicontinue d’être appliquée pleinement contre quiconque se livre au trafic de produits du cannabis ou cultive le cannabis dans un but lucratif. La possibilité de continuer à engager une poursuite au criminel pour une infraction de possession de cannabis liée à une infraction de conduite avec facultés affaiblies permettrait aussi de sévir contre ceux dont la consommation de substances risque de faire grand tort aux autres. Enfin, la décriminalisation aurait l’avantage supplémentaire de permettre au régime en vigueur au Canada de demeurer conforme aux conventions internationales déjà couvertes au Chapitre 7.

3. CONSTATATIONS DU COMITÉ - CANNABIS

Le Comité est arrivé aux constatations suivantes :

 Il est nocif pour la santé de fumer n’importe quelle quantité de marijuana à cause des fortes teneurs en goudron et en benzopryrène.
 Les conséquences d’une condamnation pour possession d’une petite quantité de cannabis à des fins d’usage personnel sont disproportionnées par rapport au tort éventuel associé à cet acte.
 La décriminalisation de la possession de petites quantités de cannabis à des fins d’usage personnel ne modifierait en rien les peines ou les conséquences liées au trafic ou à la possession de toute autre substance contrôlée.
 Tous les ordres de gouvernement doivent renseigner les Canadiens sur les risques de la consommation de cannabis et, en particulier, les risques accrus pour les jeunes.

RECOMMANDATION 40

Le Comité recommande que la possession de cannabis demeure un acte illégal et que le trafic de cannabis, quelle que soit la quantité en cause, demeure une infraction criminelle.

RECOMMANDATION 41

Le Comité recommande que le ministre de la Justice et le ministre de la Santé établissent une stratégie globale de décriminalisation de la possession et de la culture de trente grammes ou moins de cannabis à usage personnel. Cette stratégie devrait comporter :

 des programmes de prévention et d’éducation faisant ressortir les risques de la consommation de cannabis et, en particulier, le risque accru que cela présente pour les jeunes;
 le développement d’outils plus efficaces pour faciliter l’application des interdictions prévues au Code criminel pour la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

299Déposé le 4 mai 2001 par le Dr Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca). Une version antérieure du projet de loi a franchi l’étape de la première lecture le 26 octobre 1999; voir le projet de loi C-266, 2e session, 36e législature.
300Comme cette étude porte sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, il n’y est pas question de l’efficacité et du fonctionnement du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales.
301Le trafic ou la possession en vue du trafic de plus de 3 kg est un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité; voir les paragraphes 5(1) et (2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
302Eugene Oscapella, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues et Réseau pour la réduction des méfaits, témoignage devant le Comité, 28 février 2001.
303Josée Savoie, « Statistiques de la criminalité au Canada, 2001 », Juristat, Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, no de catalogue 85-002-XIF, vol. 22, no 6, p. 11.
304Cette théorie repose sur l’argument suivant : du fait que l’accès à une substance comme le cannabis est légal, les acheteurs éventuels ne sont plus obligés de frayer avec des criminels dont plusieurs peuvent être mêlés à la vente de substances beaucoup plus nocives.
305Ernie How, Services de toxicomanie — Malades externes, témoignage devant le Comité, 23 mai 2002.
306Caporal Ken Murray, GRC, témoignage devant le Comité, 15 avril 2002.
307Au nom de la logique, il serait peut-être souhaitable de traiter la culture à des fins d’usage personnel de la même façon, si, d’un point de vue pratique et administratif, il est possible de le faire.
308Surintendant principal Bob Lesser, Sous-direction de la police des drogues, Direction des services fédéraux, GRC, témoignage devant le Comité, 3 octobre 2001.