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INST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION

Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 4 mai 2004




Á 1110
V         Le président (M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.))
V         M. Paul Attallah (professeur, École de journalisme et de communication, Université Carleton, à titre personnel)

Á 1115

Á 1120
V         Le président
V         M. Russell McOrmond (à titre personnel)

Á 1125
V         Le président
V         M. Phil Rogers (associé, Osler, Hoskin & Harcourt, à titre personnel)

Á 1130
V         Le président
V         M. James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, PCC)
V         M. Phil Rogers
V         M. James Rajotte

Á 1135
V         M. Phil Rogers
V         M. James Rajotte
V         M. Paul Attallah
V         M. James Rajotte
V         Le président
V         M. James Rajotte
V         M. Russell McOrmond

Á 1140
V         M. James Rajotte
V         M. Russell McOrmond
V         Le président
V         M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.)

Á 1145
V         M. Paul Attallah
V         M. Andy Savoy
V         M. Phil Rogers
V         M. Andy Savoy
V         Le président
V         M. Phil Rogers
V         Le président
V         M. Andy Savoy
V         M. Paul Attallah

Á 1150
V         M. Andy Savoy
V         M. Russell McOrmond
V         M. Andy Savoy
V         Le président
V         M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD)
V         M. Phil Rogers

Á 1155
V         M. Brian Masse
V         M. Phil Rogers
V         M. Brian Masse
V         M. Phil Rogers
V         M. Brian Masse
V         M. Phil Rogers
V         M. Brian Masse
V         M. Phil Rogers
V         M. Brian Masse
V         M. Paul Attallah

 1200
V         M. Brian Masse
V         M. Paul Attallah
V         M. Brian Masse
V         Le président
V         L'hon. Lyle Vanclief (Prince Edward—Hastings, Lib.)

 1205
V         Le président
V         M. Paul Attallah
V         M. Phil Rogers

 1210
V         Le président
V         M. James Rajotte
V         M. Phil Rogers

 1215
V         M. James Rajotte
V         M. Phil Rogers
V         M. James Rajotte
V         M. Phil Rogers
V         M. James Rajotte
V         M. Russell McOrmond
V         M. James Rajotte
V         M. Paul Attallah

 1220
V         M. James Rajotte
V         M. Paul Attallah
V         M. Phil Rogers

 1225
V         M. James Rajotte
V         M. Phil Rogers
V         M. James Rajotte
V         Le président
V         L'hon. David Collenette (Don Valley-Est, Lib.)

 1230
V         Le président
V         M. Paul Attallah
V         Le président
V         M. Russell McOrmond

 1235
V         Le président
V         M. Phil Rogers
V         Le président
V         L'hon. David Collenette
V         Le président
V         L'hon. Lyle Vanclief

 1240
V         Le président










CANADA

Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie


NUMÉRO 014 
l
3e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 4 mai 2004

[Enregistrement électronique]

Á  +(1110)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie du 4 mai. Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi sur la radiocommunication.

    Nous accueillons aujourd'hui, à titre individuel, M. Paul Attallah, professeur à l'Université Carleton, M. Russell McOrmond et M. Phil Rogers, associé, Osler, Hoskin & Harcourt.

    J'inviterai les témoins à prendre la parole dans l'ordre où leur nom figure à l'ordre du jour. Chacun disposera de cinq à sept minutes au maximum, et répondra ensuite aux questions des membres du comité.

    Je signale aux membres du comité que jeudi, au cours de la première heure, nous entendrons un représentant de la GRC et, pendant la deuxième heure, nous recevrons la commissaire à la protection à la vie privée ou le commissaire adjoint.

    Sur ce, écoutons M. Paul Attallah, professeur à l'Université Carleton.

    Bienvenue à tous.

+-

    M. Paul Attallah (professeur, École de journalisme et de communication, Université Carleton, à titre personnel): Merci beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole au sujet du projet de loi C-2.

    Je pense que ce projet de loi et sa logique sous-jacente reposent sur des hypothèses erronées, et qu'il constitue donc une mauvaise mesure. J'ai rédigé mes commentaires en six points, que je passerai rapidement en revue un à un.

    On dit que 700 000 Canadiens reçoivent illégalement des signaux de satellite, ce qui coûte à l'industrie quelque 400 millions de dollars par année. Je pense que ces chiffres sont douteux. D'abord, s'agit-il de personnes, de ménages, de systèmes, d'un mélange des trois ou d'une autre combinaison? Ensuite, si nous répartissons cette prétendue perte entre 700 000 utilisateurs, il faut supposer que chacun dépense automatiquement quelque 600 $ par année pour un service canadien. Or, il n'en coûte que la moitié pour le service de base offert par câble ou satellite. Pourquoi supposerions-nous qu'il en coûterait plus cher en perte de revenu?

    Quoi qu'il en soit, ces chiffres ne renseignent aucunement sur les autres comportements des 700 000 utilisateurs. Et si, par exemple, la plupart utilisent aussi un service canadien? Une telle donnée changerait notre perception et les solutions que nous proposons. Il convient, par prudence, de se demander si les chiffres produits par l'industrie reflètent la réalité ou l'intérêt de l'industrie. En fait, les chiffres réels sont très vagues, et il serait peut-être imprudent de proposer une loi fondée sur des données aussi peu convaincantes. Par ailleurs, il convient de se demander pourquoi 700 000 Canadiens s'adonneraient à une telle activité. Sommes-nous naturellement enclins à défier la loi? Sommes-nous simplement trop stupides pour mieux nous comporter? Sommes-nous simplement de mauvais citoyens? Ou y a-t-il une faille au coeur de l'industrie canadienne de la télévision?

    Comme vous le savez, la télévision canadienne est également tributaire d'un régime d'interfinancement. Ce régime est en place depuis 1961, année de l'entrée en vigueur de la première réglementation canadienne. Voici ce qu'il en est. Si nous laissons les diffuseurs importer des émissions américaines, ils feront des profits qu'ils réinvestiront dans des émissions canadiennes. Durant cette période, soit de 1961 à nos jours, la télévision canadienne a profité de milliards de dollars sous forme de subventions directes et indirectes, d'impôt reporté et de protection réglementaire. La question va de soi : combien a-t-on réinvesti dans la télévision canadienne? Pour le savoir, il suffit de consulter le télé-guide et d'y recenser toutes les émissions canadiennes qui sont diffusées durant les heures de pointe.

    Je ne le ferai pas maintenant, mais l'exercice serait bref, car ces émissions sont bien peu nombreuses.

    La stratégie protectionniste appliquée depuis des années n'a pas fonctionné. Elle n'a pas réussi à protéger ni à promouvoir la culture canadienne, même si elle a permis d'augmenter les rentrées de fonds des grands de l'industrie. En fait, selon un récent rapport du CRTC, la télévision privée au Canada connaît une année très profitable. Malheureusement, cela vient contredire la thèse du vol de signaux.

    Dans le projet de loi C-2, il n'est pas question de culture canadienne, mais de profit. Quoi qu'il en soit, si le projet de loi C-2 était une si bonne mesure, le comité pourrait peut-être envisager de l'appliquer à tous les médias. Ainsi, le Toronto Star et le Globe and Mail, par exemple, pourraient prétendre qu'il est illégal d'acheter le New York Times parce qu'ils proposent les mêmes nouvelles. Les libraires canadiens pourraient prétendre qu'il est illégal d'acheter des livres à l'étranger. Les producteurs de films canadiens pourraient prétendre qu'il est illégal de regarder des films américains, et ainsi de suite. Nous pourrions criminaliser toute activité qui, selon une industrie canadienne, la prive de recettes du marché canadien. Il n'y a pas de fin au nombre de criminels que nous pourrions créer.

    La logique du projet de loi, me semble-t-il, ouvre simplement la porte aux méfaits, aux irrégularités et aux contradictions.

    Il faudrait aussi examiner le modèle d'interfinancement, dont je parlais plus tôt, que le projet de loi maintient. Ce modèle est remis en question non seulement à cause du comportement des Canadiens, mais aussi à cause des percées dans l'industrie même. Vous êtes probablement tous au courant qu'il existe de nouvelles technologies, notamment la technologie des enregistreurs vidéo numériques, qui comprend les enregistreurs personnels de vidéo TiVo ou Bell ExpressuVu. Ces technologies affranchissent les téléspectateurs des horaires des chaînes et leur permettent de regarder la télé sans subir aucune publicité intégrée. On observe le même phénomène dans le cas de la télévision à la carte et, dans une moindre mesure, sur les chaînes thématiques.

    En effet, la séparation entre émission et la publicité débouche sur une technologie de nouvelle génération appelée vidéo sur demande (VOD) que tous les distributeurs par câble et par satellite proposent. La VOD permet aux téléspectateurs de commander des émissions à la carte. Si, par exemple, je veux regarder l'épisode 54 du Mary Tyler Moore Show, je peux le commander et ne payer que cet épisode. C'est le prochain créneau à forte croissance.

    Cette technologie rendra effectivement obsolète le modèle existant d'interfinancement fondé sur la publicité. En effet, cette technologie est si prometteuse que le président d'AOL Time Warner a même proposé de la faire déclarer illégale—tout comme les tenants du projet de loi C-2—de crainte que cela ne lui fasse perdre son auditoire, ce qu'on ne saurait permettre.

    Le projet de loi C-2 est une mesure législative très vieux jeu, tournée vers le passé et bientôt dépassée. Il vise essentiellement à protéger un modèle que l'industrie elle-même remet en question. Son adoption constituerait un dangereux précédent parce que si je dis aujourd'hui « Non! Vous ne pouvez regarder DIRECTV parce que cela me prive des recettes que vous me verseriez autrement », n'aurais-je pas tendance demain à dire « Non! Vous ne pouvez utiliser cette autre technologie nouvelle—quelle qu'elle soit—parce que cela me prive aussi des recettes que vous me verseriez autrement »?

Á  +-(1115)  

    Le projet de loi C-2 est une approche réactionnaire à une technologie nouvelle qui non seulement criminalise les comportements individuels mais jette le doute sur toutes les nouvelles technologies. En effet, il établit la base pour que toute technologie nouvelle devienne la propriété exclusive des protagonistes, les seuls qui pourront affirmer que la nouvelle technologie les prive de revenus.

    De combien de profit futur nous privons-nous en appuyant aujourd'hui le projet de loi C-2? À quel point cédons-nous aux protagonistes dominants actuels le contrôle futur du choix individuel et de l'innovation technologique? Combien d'entrants futurs refoulons-nous automatiquement hors du marché? Encore une fois, il me semble que le projet de loi C-2 a peu à voir avec la culture, mais beaucoup à voir avec le profit.

    Si nous voulons promouvoir la culture canadienne—et nous le devrions—il faudrait que les Canadiens puissent avoir accès à tout, partout. C'est ainsi que la littérature canadienne s'est imposée—en se mesurant à ce qu'il y a de meilleur dans le monde et non en s'y mettant à l'abri. C'est ainsi que le film canadien perce peu à peu—c'est un lent processus—en se faisant une place dans le marché mondial et non en réclamant la protection de la police. Et c'est ainsi que la télévision canadienne s'imposera—non pas en criminalisant le comportement des Canadiens ou en faisant obstacle à l'innovation technologique, mais en se mettant sérieusement à produire un contenu qui plaît réellement aux gens.

    Si les entreprises canadiennes de communication par satellite devaient se mesurer directement à leurs concurrentes américaines, sans loi comme le projet de loi C-2, elles seraient sans doute obligées de rivaliser par la qualité de leur service et de leurs produits. La télévision privée pourrait même être forcée de produire des émissions canadiennes au lieu de resservir des émissions américaines.

    La notion selon laquelle les grandes sociétés protègent notre culture est simplement ennuyeuse. Le projet de loi C-2 est à la fois ennuyeux et choquant.

    À défaut de vouloir supprimer carrément le projet de loi, deux modestes propositions pourraient être utiles, et je dis bien « pourraient être utiles ». Je n'en suis même pas convaincu. En tout cas, elles pourraient être un sujet de discussion intéressant.

    La première consisterait à supprimer toute référence au marché gris. Le marché noir devrait être illégal, mais il faudrait reconnaître le marché gris et le déclarer légal. Il faudrait le contraindre, ainsi que les autres secteurs de l'industrie de la télévision, à verser une partie de ses recettes au Fonds canadien de télévision. En transformant un problème en une source de revenu, nous pourrions récupérer une part importante des prétendues pertes de revenu.

    Deuxièmement, il s'est dit beaucoup de choses devant le comité au sujet des personnes ciblées par le projet de loi : les fournisseurs, les particuliers, les abonnés, les gens chez eux ou à l'extérieur de leurs foyers. C'est un point qui manque beaucoup de clarté et qui prête à la discorde. Le texte devrait peut-être débuter par une simple déclaration telle que—mais comme je ne suis pas rédacteur législatif, je m'en remets à des esprits plus éclairés— : « Rien dans le projet de loi ne devrait être interprété comme visant quiconque, quelle que soit son origine, agit en son propre nom ou paie des services de télévision ».

    Merci beaucoup.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Attallah.

    Nous donnons maintenant la parole à M. Russell McOrmond.

+-

    M. Russell McOrmond (à titre personnel): Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant le comité. Je suis ici aujourd'hui en tant que simple citoyen. Je travaille, depuis quelques années, comme bénévole dans des domaines se rattachant à la question à l'étude. Je suis fondateur et hôte du groupe de discussion de Digital Copyright Canada (http://www.digital.copyright.ca) et coordonnateur de OISILLON (Options innovatrices et cynergétiques pour l'introduction du logiciel libre dans les organisations nationales), (http://www.goslingcommunity.org.). Ce groupe rassemble des fonctionnaires et des citoyens désireux de favoriser l'adoption de méthodes et de solutions logiciels libres dans les administrations publiques.

    J'aimerais attirer votre attention sur certains points qui me préoccupent relativement au projet de loi C-2. Le libellé du projet de loi ressemble à celui des traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui portent sur la protection juridique des mesures de protection technologiques. Certaines des nombreuses réserves touchant les conséquences inattendues de ces traités sont susceptibles de s'appliquer aussi au projet de loi C-2.

    Le Parlement doit être très prudent dans son emploi du terme « dispositif ». Ce terme ne devrait être utilisé que pour désigner du matériel, jamais le logiciel servant à contrôler le matériel. Le Parlement doit prendre soin de ne pas interdire la diffusion de logiciels ou de savoir technique et l'importation de matériel lorsque ces pratiques ont un but légitime.

    Certaines des raisons invoquées pour justifier le projet de loi C-2 ne sont pas convaincantes. Plus particulièrement, on peut lire, dans le site Web d'Industrie Canada, que « [l]e piratage des ondes peut mettre en danger la sécurité du public ». Or, cette affirmation n'est appuyée par aucune source digne de foi.

    En ce qui concerne l'Internet et les télécommunications par satellite, l'adoption de la Digital Millennium Copyright Act, aux États-Unis, a eu une foule de conséquences inattendues. Le fait de s'opposer à l'adoption de mesures législatives similaires au Canada ne signifie pas qu'on rejette l'objectif visé par ces mesures. Je salue les efforts qui se font dans le but de limiter l'accès aux signaux aux personnes et aux entités qui y sont autorisées, mais je crois qu'une approche technologique conviendrait mieux qu'une approche législative.

    On ne peut créer un environnement favorable à l'élaboration de mesures de protection technologiques pour les signaux satellites sans tenir compte des mesures de protection technologiques destinées à Internet et aux autres formes de communication numérique. Certaines technologies et certains logiciels qui sont utilisés avec Internet peuvent être mis à profit pour protéger les signaux satellites. De nombreux spécialistes de la sécurité Internet sont disposés à offrir leur aide à cet égard.

    L'une des conséquences inattendues d'une mesure législative visant une question précise ou, parfois, une technologie précise, c'est qu'elle empêche le progrès technologique. On peut utiliser le savoir et la technologie qui servent au progrès pour contourner des mesures de protection technologiques moins avancées. La sécurité numérique, c'est comme les échecs : on veut que les joueurs de notre équipe soient le plus fort possible. Ce n'est pas une chose qu'on peut acheter et oublier ensuite.

    À mon avis, on pourrait mieux protéger les signaux si le marché des idées était plus vivant et plus compétitif, et s'il n'était pas réglementé. Le projet de loi actuel, selon moi, protège les technologies utilisées par le duopole formé par Bell ExpressVu et Star Choice Communications Inc. Il semble renforcer ce duopole.

    À qui appartiennent les technologies de communications? Ce projet de loi a été débattu dans le contexte d'un marché spécialisé. À l'heure actuelle, ce sont généralement les sociétés de communications par satellite qui possèdent et exploitent le matériel servant à l'accès autorisé aux signaux satellites. La prestation des services par satellite aux clients pourrait changer dans l'avenir. Or ce projet de loi semble s'appliquer aux situations où c'est le consommateur qui est propriétaire du matériel de réception servant à capter des signaux autorisés.

    J'estime que tout matériel destiné à faciliter la communication, que ce soit des verres correcteurs, un magnétoscope, un récepteur de signaux par satellite ou un ordinateur domestique, devrait pouvoir être contrôlé par le citoyen qui en est le propriétaire, et non par un tiers. Lorsqu'un citoyen achète du matériel informatique, il devrait être autorisé par la loi à exercer un contrôle sur ce matériel. Et, comme on peut considérer les logiciels comme les règles qui régissent le fonctionnement du matériel, pouvoir contrôler le matériel revient à être légalement habilité à contrôler les logiciels.

    Certaines entreprises traitent les logiciels de la même façon que le matériel, c'est-à-dire comme un « bien industriel ». D'autres, de même que certains particuliers, les considèrent plutôt comme des documents fonctionnels ou des produits de la création. Dans sa définition d'une oeuvre littéraire, la Loi sur le droit d'auteur englobe les programmes d'ordinateur. N'importe qui peut créer des logiciels, à partir d'un jeune qui habite chez ses parents jusqu'à une multinationale. Le Parlement devrait toujours tenir compte de cela lorsqu'il traite de logiciels.

Á  +-(1125)  

    Le piratage par satellite met-il en danger la sécurité du public? Le comité devrait se méfier des affirmations voulant que les récepteurs de signaux de satellite pirates émettent une interférence et que les récepteurs autorisés n'en émettent pas. C'est peu probable. Dans le cas des récepteurs numériques, ce qui fait la différence entre un récepteur non autorisé et un récepteur autorisé, ce sont les logiciels et les autres informations qui y sont stockées. C'est comme si Microsoft, par exemple, prétendait qu'un ordinateur fonctionnant au moyen du logiciel Corel WordPerfect émet une interférence différente de celle d'un ordinateur fonctionnant avec Microsoft Office.

    Je vous remercie. Si vous avez des questions, j'y répondrai avec plaisir.

+-

    Le président: Merci, monsieur McOrmond.

    Monsieur Rogers, nous vous écoutons.

+-

    M. Phil Rogers (associé, Osler, Hoskin & Harcourt, à titre personnel): Monsieur le président et membres du comité, je m'appelle Phil Rogers. Je suis associé dans le cabinet d'avocats Osler, Hoskin & Harcourt, et je pratique le droit des communications depuis plus de 20 ans.

    Je suis heureux et honoré d'accepter l'invitation du comité de comparaître devant lui à titre personnel et de lui faire part de mes commentaires concernant le projet de loi C-2. J'ai suivi les délibérations du comité et j'espère avoir la chance de discuter du projet de loi C-2 avec ses membres.

    Depuis plus de 70 ans, le Canada applique toujours la même politique claire concernant la radiodiffusion au pays : en tant que nation, nous avons résolu d'adopter au Canada un système de radiodiffusion distinctement canadien et nous prendrons toute mesure raisonnable pour que ce soit effectivement le cas. Les instruments de mise en oeuvre de cette politique ont varié au fil des ans, mais le principe sous-jacent est demeuré le même. Cela dénote le maintien d'un consensus remarquable durant des décennies.

    Le Parlement a toujours agi de façon à maintenir un système canadien à l'image de l'expérience canadienne. Concrètement, cela assure à la population l'accès à une programmation variée : affaires publiques canadiennes, événements sportifs, dramatiques, variétés musicales, etc. Outre un contenu canadien, la politique offre aussi un choix grandissant d'émissions non canadiennes.

    Monsieur le président, le projet de loi C-2 poursuit dans la foulée de cette politique canadienne de longue date. S'il est adopté, il renforcera les mesures déjà en place pour faire respecter la loi actuelle. Sur ce point, il est à noter que la présente loi sur le piratage a été soumise à l'examen de la Cour suprême du Canada il y a deux ans. Dans son jugement unanime, la Cour suprême a maintenu l'interdiction du piratage des signaux de télévision. La cour a été claire : le décodage est illégal, que ce soit sur le marché noir ou sur le marché gris.

    La cour reconnaissait ainsi expressément la politique de radiodiffusion que le Parlement a toujours maintenue. Elle a aussi fait remarquer que la légalisation, au Canada, du décodage des signaux mettrait en péril le système de protection du droit d'auteur des créateurs tant canadiens qu'étrangers. Elle a établi que l'interdiction du décodage est conforme aux mesures adoptées par le Parlement pour garantir l'existence d'un système de radiodiffusion canadien et la protection du droit d'auteur des artistes canadiens et étrangers.

    Il convient d'examiner les avantages pour le Canada des nouvelles mesures visant à renforcer la loi actuelle et les inconvénients si le Canada n'élimine pas effectivement le piratage. J'ai mentionné le système de protection du droit d'auteur mis en place ici et à l'étranger pour protéger les créateurs. Le Canada entend maintenir ce système : nos créateurs en bénéficient tout comme les créateurs étrangers. Le Canada ne voudrait pas passer pour un pays qui, concrètement, se soucie peu de la protection des oeuvres artistiques.

[Français]

    Alors, le résultat est clair: le piratage des signaux, soit le marché gris ou le marché noir, viole les droits des créateurs, leurs droits de propriété intellectuelle. Ce sont leurs droits, on devrait les respecter.

Á  +-(1130)  

[Traduction]

    De plus, nous ne pouvons pas passer sous silence que le piratage compromet l'aide à la production d'émissions canadiennes. Actuellement, les distributeurs d'émissions canadiennes sont tenus de contribuer au Fonds canadien de télévision afin de soutenir la production d'émissions canadiennes. Ces contributions dépassent 100 millions de dollars par année. Or, lorsque les vendeurs d'antennes illégales et leur clientèle violent la loi, sur le marché gris ou noir, ils ne versent aucune contribution. En clair, dans le cas des ventes sur le marché gris, pas un cent n'est versé pour soutenir le système canadien ou les émissions canadiennes. Ceux qui sont en faveur du maintien du marché gris malgré son illégalité oublient souvent ce point.

    Enfin, monsieur le président, je terminerai par un bref commentaire sur les modifications prévues dans le projet de loi C-2 relativement aux infractions et aux sanctions. Les amendes proposées pour les diverses infractions sont comparables à celles prévues dans les autres lois sur les télécommunications déjà adoptées par le Parlement. Elles sont raisonnables par rapport à ce que prévoient les dispositions correspondantes de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion. Il va sans dire que le Parlement agit de manière raisonnable lorsqu'il prend des mesures pour que ses lois ne soient pas considérées comme de simples suggestions ou conseils que nous pouvons ignorer comme bon nous semble. Les mesures proposées dans le projet de loi sont raisonnables par rapport à celles prévues dans les lois existantes portant sur des questions semblables.

    Monsieur le président, j'ai maintenant terminé mon exposé. Il me fera plaisir de répondre à toutes les questions que voudront me poser les membres du comité.

+-

    Le président: Merci, monsieur Rogers.

    M. Rajotte sera le premier à poser les questions.

+-

    M. James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous, messieurs, pour vos observations.

    Monsieur Rogers, je me reporterai à votre exposé. En fait, je vous poserai la question que soulevait M. Attallah; elle me semble tout à fait juste. Dans la première partie de son exposé, il disait : « [...] il convient, certes, de se demander pourquoi 700 000 Canadiens s'adonneraient à une telle activité. Sommes-nous naturellement enclins à défier la loi? Sommes-nous simplement trop stupides pour mieux nous comporter? Sommes-nous simplement de mauvais citoyens? Ou y a-t-il une faille au coeur de l'industrie canadienne de la télévision? » Selon lui, la réponse se trouve dans la dernière question. Selon vous, pourquoi 700 000 Canadiens font-ils des choix illégaux?

+-

    M. Phil Rogers Monsieur Rajotte, j'aimerais dire deux choses à ce sujet.

    Premièrement, on parle de 700 000 personnes, mais leur nombre peut jouer entre 600 000 et 900 000. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un nombre élevé et la question que vous avez soulevée est justifiée. Pourquoi les gens agissent-ils de la sorte? Certains ne se rendent peut-être pas compte qu'ils sont dans l'illégalité. Les décisions rendues par la Cour suprême du Canada sont connues, mais tout le monde n'en maîtrise pas forcément le contenu. C'est peut-être une question de degré de méconnaissance de la loi.

    Toutefois, il y a probablement un problème d'une portée beaucoup plus vaste. Dans la mesure où il est possible de le vérifier, il semble que la grande majorité des cas surviennent sur le marché noir. Comme vous le savez, monsieur Rajotte, la façon de faire, dans ce cas, consiste à payer un entrepreneur local pour un dispositif de décodage à puce; vous ne payez que pour cela. Il s'agit bel et bien d'un vol, et d'autres témoins qui ont précédemment comparu devant votre comité ont clairement dit que le marché noir constitue un vol; et c'est le cas de la majorité de ces services.

    Si vous offrez à quelqu'un la perspective d'avoir accès à un très bon bloc de programmation d'émissions, qu'il s'agisse d'une programmation canadienne de l'un des fournisseurs autorisés de services DTH ou d'un bloc de programmation non canadien, et que vous l'offrez gratuitement ou à un prix très réduit parce qu'il s'agit d'un produit de contrebande, c'est une bonne affaire.

    Cela s'est produit, comme vous le savez, dans d'autres industries, et pas seulement dans ce secteur. On a pu observer la même chose dans l'industrie des cigarettes et des spiritueux, notamment. Les avantages économiques sont évidents.

    Je ne veux pas abuser de votre temps car je sais qu'il vous est compté, mais je voudrais ajouter une chose. Certaines personnes recherchent un type particulier de programmation qui n'est pas encore disponible et qui vient de l'étranger. Selon moi, la solution à ce problème ne consiste pas à fermer les yeux ou à cautionner l'illégalité. Il faut plutôt réagir au problème dans le cadre de la Loi sur la radiodiffusion. On compte déjà environ une douzaine de services en langue étrangère dont la distribution est autorisée au Canada. Comme vous le savez probablement, le CRTC est déjà saisi d'une proposition visant à ajouter 15 autres services. C'est la bonne façon d'élargir l'éventail de choix.

+-

    M. James Rajotte: Cela met deux choses en évidence. Tout d'abord, les chiffres. La plupart des gens estiment, et vous avez raison, qu'il y aurait entre 600 000 et 900 000 personnes. Comme le disait M. Attallah au début de son exposé, nous n'avons pas de données convaincantes à ce sujet. Une bonne partie de ces données sont purement circonstancielles.

    Le second point, c'est la raison du comportement. Selon moi, il existe une différence fondamentale entre des personnes qui veulent obtenir quelque chose gratuitement ou qui veulent commettre un vol, qu'il s'agisse d'une programmation américaine ou canadienne, et des personnes comme les témoins qui ont comparu à la dernière séance, qui veulent avoir accès à une programmation étrangère. Il y a une différence fondamentale entre le premier cas et le cas de personnes qui veulent accéder à HBO mais qui ne peuvent le faire en passant par les deux fournisseurs autorisés au Canada. Admettez-vous qu'il y a là une différence?

    D'après les données approximatives disponibles, quel est le pourcentage du marché noir comparativement au marché gris, et de quelle autre information, outre les données circonstancielles, disposons-nous pour tirer nos conclusions?

Á  +-(1135)  

+-

    M. Phil Rogers: Voici ce que je vous répondrai, monsieur Rajotte. Premièrement, d'après les témoignages préalablement entendus par votre comité, il s'agit en grande partie de marché noir. Lorsqu'on enquête sur cette activité illégale, on constate qu'elle se produit principalement sur le marché noir. Je ne vous donnerai pas de chiffres précis; je ne suis pas dans l'industrie. Je parle en tant que juriste.

    En ce qui concerne la distinction que vous faisiez, je pense qu'il est permis d'établir une distinction entre les divers types d'activité, à condition de ne pas oublier ce qu'a dit la Cour suprême du Canada : les deux activités sont illégales. La cour a été très claire à ce sujet. Vous demandez s'il y a une différence quant à la nature, peut-être, des services offerts sur le marché gris? Je pense que la réponse est double. D'une part, on ne peut pas cautionner l'activité illégale, même si elle repose sur une raison légitime. D'autre part, il existe un mécanisme légitime, la Loi sur la radiodiffusion, pour élargir l'éventail des services légalement accessibles aux Canadiens. Nous pouvons répondre à leurs besoins dans le cadre de la Loi sur la radiodiffusion, mais pas en fermant les yeux sur l'illégalité.

    Comme je le disais plus tôt, dans le cas des ventes sur le marché gris, pas un cent n'est versé pour soutenir le système canadien. Un fournisseur de services étranger profite du marché canadien, ce qui peut être une bonne chose, mais il n'y contribue pas un cent. Je pense que nous sommes en droit d'attendre des personnes qui font des affaires chez nous qu'elles fassent une contribution.

+-

    M. James Rajotte: Monsieur Attallah, aviez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

+-

    M. Paul Attallah: Plusieurs idées me traversent l'esprit, mais je ne suis pas convaincu qu'elles soient tout à fait ordonnées pour l'instant.

    Pourrais-je simplement parler de la distinction entre le marché gris et le marché noir? Je connais l'arrêt rendu par la Cour suprême. Je crois que, la semaine dernière, quelqu'un a dit devant votre comité que la Cour suprême aurait en quelque sorte suggéré que l'on conteste un article de la Loi sur la radiocommunication, afin d'en vérifier la constitutionnalité. Comme je ne suis pas qualifié pour en parler, je ne le ferai pas.

    Toutefois, si je ne m'abuse, je crois que le Parlement a récemment envisagé de décriminaliser la possession de petites quantités de marijuana. Il nous arrive fréquemment de modifier les peines et les sanctions prévues dans nos lois ou de faire en sorte que la loi tolère certains comportements. Je ne suis pas convaincu qu'il soit pire de tolérer le marché gris que de tolérer la possession de petites quantités de marijuana; cet exemple montre qu'on peut tolérer certaines choses.

+-

    M. James Rajotte: Le Parlement pourrait aussi modifier la Loi sur la radiocommunication pour établir une distinction juridique entre le marché noir et le marché gris.

    Combien de temps me reste-t-il?

+-

    Le président: Continuez. Vous pouvez prendre une minute si vous le voulez.

+-

    M. James Rajotte: Monsieur McOrmond, votre exposé a éveillé ma curiosité. Je veux m'assurer de vous avoir bien compris. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par le mot « dispositif », car vous faisiez une mise en garde au sujet de la définition qu'on doit en donner.

    Vous disiez également que lorsqu'un citoyen achète du matériel informatique, il devrait être autorisé par la loi à exercer un contrôle sur ce matériel. Vous ajoutiez : « Et, comme on peut considérer les logiciels comme les règles qui régissent le fonctionnement du matériel, pouvoir contrôler le matériel revient à être légalement habilité à contrôler les logiciels. » Pourriez-vous nous décortiquer cela et nous expliquer ce que vous entendez par matériel informatique et logiciel.

+-

    M. Russell McOrmond: J'ai déjà fait des exposés plus longs sur le même sujet.

    Certains secteurs de l'industrie considèrent le logiciel comme une propriété industrielle et le traitent de la même façon que vous traitez du matériel informatique. Je suis un praticien; je crée des logiciels et, lorsque j'analyse un logiciel, je le fais un peu comme le Parlement analyse une loi. Il ne s'agit pas, en soi, d'une technologie, mais des règles qui sont utilisées pour régir la technologie, et les gens qui créent des logiciels créent aussi, souvent, les règles qui nous régiront.

    Je suis très actif au sein du mouvement pour la libre utilisation des logiciels. Cet organisme rend publics tous les plans détaillés, tous les codes sources des logiciels. Ainsi, lorsqu'une personne utilise un logiciel, elle a accès à toutes les règles qui la régissent; c'est comme au Parlement. Selon moi, chaque citoyen, lorsqu'il achète des produits électroniques, devrait pouvoir installer les logiciels qu'il a la capacité d'examiner et de contrôler.

    J'illustrerai par un exemple la confusion qu'il y a entre le matériel informatique et le logiciel. Les États-Unis ont adopté la Digital Millennium Copyright Act, qui était censée porter sur les dispositifs de cryptographie. La plupart des exemples de cas portés devant les tribunaux étaient des solutions logiciel. L'une des solutions logiciel était un dispositif qui permettait de convertir un fichier du format Adobe eBook en format Adobe PDF; il s'agit d'un dispositif de conversion de fichier. Selon moi, si une personne achète légalement un eBook, elle devrait avoir le droit, en tant que citoyen, de le convertir en un autre format.

    En fait, dès que vous affichez un format dans un ordinateur, c'est le type d'opération que vous devez faire. Je pense que les citoyens devraient en avoir le contrôle.

Á  +-(1140)  

+-

    M. James Rajotte: Vous pourriez, dans ce cas, l'appliquer au système satellite...?

+-

    M. Russell McOrmond: À l'heure actuelle, les récepteurs de signaux de satellite sont la propriété des exploitants des satellites, mais comme on l'a dit dans le premier exposé, nous sommes peut-être en train de nous éloigner de ce système. Nous avons maintenant les dispositifs TiVo. Dans ce cas, lorsque vous achetez une antenne parabolique votre abonnement ne comporte pas l'achat du matériel informatique. L'abonnement peut simplement comporter l'accès à la clé d'information cryptographique, pour pouvoir effectuer légalement le décodage.

    Une fois qu'un consommateur est propriétaire du matériel, il devrait pouvoir installer le logiciel de son choix qui a fait l'objet d'un examen public. On parle de la Digital Millennium Copyright Act et de la nécessité d'assurer une protection légale du logiciel dans le cadre de mesures de protection technologiques. Nous avons dit qu'il ne s'agissait pas tant d'une protection du droit d'auteur que d'un remplacement de ce droit, le vendeur du logiciel décidant, à la place du Parlement, de l'utilisation que le consommateur peut ou ne peut pas faire du matériel. C'est une distinction très importante.

+-

    Le président: Merci, James.

    Andy Savoy, vous avez la parole.

+-

    M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.): Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui.

    À mon avis, la situation telle que je la perçois n'est certes pas claire. D'abord, de toute évidence, le marché noir est entièrement illégal, et j'appuie les initiatives prévues à cet égard dans le projet de loi. À propos du marché gris, j'ai de sérieuses préoccupations—et je les ai déjà exprimées—au sujet de son expansion au Canada, qu'il s'agisse d'émissions en langues étrangères, culturelles ou éthiques que veulent capter des localités, mais j'estime que cela va encore plus loin.

    Je viens d'une région rurale de chasseurs et de pêcheurs. Je sais que beaucoup de gens regardent des émissions de chasse et pêche qui ne sont pas offertes au Canada. Ces émissions peuvent être offertes par l'entremise du CRTC, mais je crois, et des témoins m'ont dit, que cela dépend essentiellement du marché. S'il y a un marché assez vaste, ils capteront ces émissions. J'estime que c'est dommage. Nous devons envisager un projet de loi qui nous permettra...

    L'autre question est celle de l'interfinancement et du contenu canadien. Je crois que nous devons envisager un projet de loi qui nous permettra d'interdire le marché noir et de financer le contenu canadien, mais qui permettra aussi une certaine part de marché gris.

    J'ai donc été très intrigué, monsieur Attallah, lorsque j'ai pris connaissance de votre proposition dans laquelle vous recommandez qu'on transfère un pourcentage des recettes des fournisseurs du marché gris dans le Fonds canadien de télévision. Et lorsque j'entends M. Rogers dire que, s'ils exercent des activités dans notre pays, ils devraient payer leur part, je crois que cela répondrait à cette préoccupation. S'ils font des affaires au Canada, ils devraient faire une sorte de contribution au Fonds canadien de télévision, ce qui aiderait à promouvoir le contenu canadien.

    Monsieur Attallah, pourriez-vous commenter cette proposition et le mécanisme ou la procédure qui permettraient de la mettre en oeuvre?

    Et vous, monsieur Rogers, vous pourriez peut-être nous donner votre avis, car, de toute évidence, vous estimez que, si des gens exercent des activités au Canada, ils devraient également être mis à contribution. Vous pourriez peut-être tous deux commenter cette proposition.

Á  +-(1145)  

+-

    M. Paul Attallah: M. Rogers connaît certainement le mécanisme beaucoup mieux que moi, et je me couvrirais probablement de ridicule si je disais que nous devrions procéder comme ceci ou comme cela.

    Nous savons déjà que le CRTC impose certains types d'investissement. Sauf erreur, MuchMusic consacre 5 p. 100 de ses recettes au fonds de production de musique vidéo. Des mécanismes comme celui-là sont déjà en place. Il me semble—je ne veux pas me couvrir davantage de ridicule en expliquant le mécanisme—que nous avons une occasion de transformer ce que nous percevons comme une menace en moyen de contribution au système canadien de télévision. Selon le raisonnement contraire, seules les plus grandes entreprises ont le privilège de contribuer au système canadien de télévision, et il me semble que ce raisonnement soit très étrange. Pourquoi dirions-nous que seuls Bell ExpressVu et Star Choice sont autorisés à faire une telle contribution?

    Inversement, on pourrait dire que beaucoup de Canadiens et d'étrangers travaillent aux États-Unis et produisent des émissions de télévision, des films et toutes sortes de choses qui sont énormément populaires. Ces émissions, et leur contenu, apportent également une contribution au système américain de télévision. Pourquoi les Américains diraient-ils : « Désolés, mais seule une société entièrement américaine de Hollywood peut avoir le privilège de contribuer à notre système? »

    Il n'est pas logique que nous formions un îlot et que décidions de le fortifier et de le défendre contre toute activité commerciale. Nous ne ferions que restreindre et affaiblir notre marché.

+-

    M. Andy Savoy: Monsieur Rogers.

+-

    M. Phil Rogers: Monsieur Savoy, d'abord, il m'est difficile de parler d'un mécanisme, car j'ai songé à la question avant même que vous ne la souleviez, et je constate qu'il est très difficile de créer un mécanisme pratique, efficace ou légal, comme tout le monde aimerait en concevoir un. Nous pouvons commencer par quelques pistes de solution.

    Je crois que vous étiez présent lorsque les représentants de la Coalition contre le vol des signaux satellite étaient ici la semaine dernière. Il y avait ceux de DIRECTV, un des plus grands fournisseurs, sinon le plus grand, et le mieux connu des fournisseurs américains de diffusion directe. Ils ont insisté très clairement sur quelques éléments qui nuiraient à un mécanisme de ce genre. Ils n'ont aucun droit de distribution d'émissions au Canada. Ils ne desservent délibérément aucun client au Canada. Ils n'ont pas acheté les droits canadiens des émissions qu'ils diffusent. Ainsi, nous essayerions présumément de les amener à faire une contribution dans un fonds canadien en vertu d'une loi qui n'existe pas actuellement.

    J'ignore comment nous pourrions modifier notre Loi sur la radiodiffusion d'une façon pratique ou constitutionnelle pour obliger ainsi DIRECTV à payer pour la distribution d'émissions qu'il n'a même pas le droit de distribuer. C'est un dilemme auquel je ne peux actuellement trouver aucune solution pratique qui fonctionnerait sur le plan commercial ou légal. La notion selon laquelle nous pouvons simplement obtenir cet argent des fournisseurs étrangers part peut-être de bonnes intentions, mais je ne vois aucun moyen pratique, légal et commercial de la concrétiser.

+-

    M. Andy Savoy: Je crois que mon problème, c'est de savoir comment trouver cette solution, car j'estime que, manifestement, nous ne devrions pas cibler le marché gris, sauf s'il est question d'une contribution à la création de contenu, qu'il s'agisse du Fonds canadien de télévision ou de quelque autre mécanisme.

    Cela pose un dilemme. Je suis d'accord avec vous.

+-

    Le président: Lalita m'a dit que la FCC, aux États-Unis, a une loi interdisant à un fournisseur américain de vendre sciemment un signal au Canada. C'est de cela que vous parlez, je crois. Est-ce exact, monsieur Rogers?

+-

    M. Phil Rogers: Je ne parlais pas expressément de cela, mais je ne suis pas en désaccord. Je crois que cette observation est tout à fait valable.

+-

    Le président: Veuillez poursuivre au sujet du dilemme, Andy.

+-

    M. Andy Savoy: Monsieur Attallah, dans votre deuxième recommandation, vous avez dit que le projet de loi cible les vendeurs, les abonnés, et que le projet de loi devrait commencer par sur un simple énoncé : « Rien dans le projet de loi ne devrait être interprété comme visant quiconque agit en son propre nom. »

    Ai-je raison de présumer que vous ne parlez pas du marché noir, car, il me semble que, peu importe s'il est question du marché noir, si on agit en son propre nom, on n'est toujours pas...? Cet énoncé ne rendrait-il pas le projet de loi presque sans objet?

+-

    M. Paul Attallah: Vous avez raison. Ce n'est pas une très bonne formulation. Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que, comme bien des intervenants l'ont déjà dit, nous ne voulons pas cibler des personnes, nous ne voulons pas nous en prendre aux consommateurs qui sont dans leur foyer, tout en les menaçant de le faire.

    Je voulais juste faire valoir que, si les gens veulent sincèrement cibler les vendeurs, y a-t-il un problème à le dire clairement dans le projet de loi, au lieu d'entretenir la confusion sur les personnes qui sont menacées ou non?

Á  +-(1150)  

+-

    M. Andy Savoy: En raison du marché noir, je ne vois aucun inconvénient à ce que nous visions les personnes qui enfreignent sciemment la loi. Je considère également qu'il s'agit d'un vol.

    Monsieur McOrmond, dans votre premier point, vous avez dit que le libellé du projet de loi ressemble à celui des traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et que certaines réserves touchant les conséquences inattendues de ces traités pourraient s'appliquer aussi à ce projet de loi. Pourriez-vous expliquer cela?

+-

    M. Russell McOrmond: Je crois que cela rejoint ce que je disais un peu plus tôt, à savoir que les lois qui visent à empêcher des gens de déchiffrer la cryptographie ralentissent en fait le progrès de la cryptographie.

    Par exemple, un chercheur américain avait fait de la recherche sur la cryptographie. Au moment de publier, on lui a dit qu'un document décrivant les failles de la génération actuelle de dispositifs cryptographiques serait en soi un dispositif de neutralisation, car il fournirait aux gens la technique nécessaire pour neutraliser les mécanismes d'encryptage.

    Le progrès de la cryptographie exige que de simples citoyens, pas des agents ou des détenteurs de permis d'importation, mais de simples citoyens, participent de façon interactive à la discussion suivante : voici un nouveau code cryptographique; pouvez-vous le déchiffrer? Oui, je le peux; voici comment; améliorons-le.

    Les gens ciblés pourraient être ceux qui neutralisent les mécanismes de cryptographie pour enfreindre la loi, mais les délinquants doivent contourner ces mécanismes pour qu'ils puissent être améliorés. Voilà le genre de conséquences inattendues dont il s'agit.

    Aux États-Unis, l'Electronic Frontier Foundation a publié un document très volumineux qui traitait en détail d'un certain nombre de conséquences inattendues pour la Digital Millennium Copyright Act, qui est en fait l'instrument américain de mise en oeuvre des traités de l'OMPI.

+-

    M. Andy Savoy: D'accord; parfait.

+-

    Le président: Brian, avez-vous des questions à poser?

+-

    M. Brian Masse (Windsor-Ouest, NPD): Oui. Merci, monsieur le Président.

    Je vais commencer par M. Rogers. L'utilisation du terme « intentions » fait partie de ce langage codé qui me préoccupe lorsqu'on parle d'intention ou de non-intention de cibler les usagers ou quoi que ce soit.

    Ma circonscription est située tout près des États-Unis. Nous pouvons régulièrement capter des émissions de radio et de télévision dans lesquelles des fabricants, des entreprises de divertissement et autres entreprises du Canada font de la publicité. Des auditoires canadiens captent donc les stations américaines et entendent des entreprises canadiennes faire des annonces publicitaires sur ces stations.

    Vous avez dit que les représentants de DIRECTV étaient ici l'autre jour. C'est intéressant, car le Shaw Satellite, ou Star Choice, a la capacité d'empêcher le décodage de ses signaux. DIRECTV a conçu un nouveau circuit électronique qui a pratiquement éliminé le risque de décodage pour l'instant. Il est également en mesure de brouiller les systèmes. Il peut procéder à leur vérification par retour d'information. Cela ne coûte pas cher. En fait, il s'agit seulement de transmettre un signal qui harcèle constamment ceux qui utilisent ce produit.

    Par conséquent, ne serait-il pas juste de dire que l'industrie possède son propre remède, d'autant plus qu'elle peut prendre ces mesures n'importe quand pour ce qui est considéré comme le secteur du marché de DIRECTV ou un autre secteur des États-Unis qui utilise le chiffrage?

+-

    M. Phil Rogers: Je ne pourrais pas commenter les technologies, car mes connaissances sont plutôt juridiques, mais je peux faire un commentaire qui pourra peut-être répondre à l'essentiel de votre question.

    D'abord, les technologies évoluent constamment sur le plan du chiffrage et sur celui du décodage. Dans les entreprises diffusion de programmation par satellite et en clair, on joue constamment au chat et à la souris. Une technologie efficace aujourd'hui peut être déchiffrée dans un mois ou dans un an.

    Il y a évidemment beaucoup de gens qui cherchent à contourner le système de paiement. Nous savons que cela se produit également dans d'autres secteurs. Si quelqu'un a une occasion de le contourner et la technologie pour le faire, il sera incité à le contourner.

    Le problème n'est pas propre au Canada. Ces pirates existent également dans d'autres pays et s'attaquent à d'autres services. Il est donc encourageant de voir que des percées sont réalisées de temps à autre, comme celle que DIRECTV a mise en oeuvre. Espérons que cela fonctionnera pendant quelque temps. Il ne fait aucun doute qu'on déchiffrera son système à un certain moment et qu'il faudra le remplacer par autre chose. C'est un cercle vicieux. Il faut examiner le phénomène, mais les règles du jeu ne sont jamais les mêmes; elles changent constamment.

Á  +-(1155)  

+-

    M. Brian Masse: C'est pourquoi un grand nombre de mes électeurs sont abonnés légalement à Bell ou à un autre service par satellite, ou à COGECO Câble, ou quoi que ce soit. Ils y sont abonnés, parce ces systèmes ne sont pas fiables lorsqu'ils veulent des émissions de divertissement ou autre. La question culturelle joue beaucoup.

    Je vous poserai donc une question, car je l'ai posée aux derniers groupes qui étaient préoccupés par le vol. Ils ont commenté particulièrement la question du marché gris ou des produits non disponibles—par exemple, les stations multiculturelles qui commencent à se développer aux États-Unis.

    À votre avis, le système de peine de 26 000 $, soit 25 000 $, plus 1 000 $, combiné à d'autres infractions éventuelles, est-il trop sévère ou trop laxiste? Seriez-vous satisfait si le projet de loi réduisait la peine?

    À mon avis, il serait presque draconien d'exiger qu'une personne paie un montant aussi élevé pour ces d'infractions réelles ou potentielles.

+-

    M. Phil Rogers: Monsieur Masse, je dirais deux choses à ce propos.

    D'abord, comme je l'ai mentionné dans mes observations préliminaires, j'ai comparé toutes les dispositions du projet de loi qui concernent les peines et celles que le Parlement a déjà adoptées dans d'autres lois semblables, comme la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. On y trouve des dispositions très semblables.

    Par exemple, dans le cas de la Loi sur les télécommunications, l'amende prévue pour une première infraction aux articles 16 et 17 est de 50 000 $. Elle est donc encore plus élevée dans ce cas-ci.

    Je mettrai donc cela de côté.

    L'autre facteur est...

+-

    M. Brian Masse: S'agit-il d'une personne ou d'une entreprise?

+-

    M. Phil Rogers: Il s'agit d'une personne. Les peines prévues pour les entreprises sont différentes et plus élevées.

+-

    M. Brian Masse: D'accord; merci.

+-

    M. Phil Rogers: L'autre facteur dont il faut tenir compte, c'est que, si vous vous entretenez, et je crois que vous le ferez, avec des responsables de l'application de la loi, vous apprendrez que les dispositions visant les personnes peuvent s'appliquer tout aussi bien à une personne qui exerce une activité commerciale.

    Lorsque vous avec posé la question, vous songiez à une personne qui utilise le matériel à des fins personnelles...

+-

    M. Brian Masse: Oui, c'est exact.

+-

    M. Phil Rogers: ... mais il faut élaborer le projet de loi de manière à viser une personne qui n'exploite pas une entreprise constituée en société; on ne parle pas d'une entreprise officielle; la personne exerce tout simplement une activité illégale et contraire à la loi. La loi devra s'appliquer aux deux types d'activité.

    Vous avez également entendu, au cours de discussions avec le comité, qu'on s'est surtout efforcé jusqu'ici d'appréhender les vendeurs, ce qui va de soi, compte tenu des restrictions frontalières qui entreront en vigueur. C'est l'endroit évident où appliquer efficacement les restrictions.

+-

    M. Brian Masse: Merci de ces observations.

    Je passe maintenant à M. Attallah. Ce qui est intéressant dans tout cela, c'est qu'on dit généralement qu'il est question ici du contenu canadien et de la promotion de l'industrie. C'est paradoxal, car la majeure partie des compressions au réseau de la SRC, par exemple, ont été faites dans la programmation coûteuse, en fait, dans les produits offerts aux téléspectateurs canadiens. Pourriez-vous expliquer vos observations au sujet de la culture canadienne? Je les ai trouvées fort intéressantes. À votre avis, comment peut-on promouvoir cette culture? S'y prendra-t-on par d'autres moyens?

+-

    M. Paul Attallah: C'est une question très délicate, comme vous pouvez l'imaginer. Alliance Atlantis, le plus grand distributeur de films au Canada, était jusqu'à récemment le plus grand producteur d'émissions de télévision canadiennes et a reçu pendant des années des subventions et une protection indirecte, entre autres. L'année dernière, cette société a décidé de cesser de produire des émissions canadiennes, car elles n'étaient tout simplement pas rentables. Alliance Atlantis possède également bon nombre de chaînes spécialisées qui bénéficieront probablement d'une mesure législative comme celle-ci.

    Nous avons actuellement un système de télévision, surtout dans le secteur privé, où les sociétés canadiennes ne sont pas vraiment des diffuseurs, mais plutôt des rediffuseurs de contenu américain. Je ne sais pas au juste s'il est préférable que je capte l'émission Law and Order depuis le réseau CTV plutôt que directement de la source, le réseau NBC. En fait, tant que nous permettrons aux diffuseurs canadiens d'agir ainsi, des émissions canadiennes ne pourront pas bénéficier d'un temps d'antenne. Ce temps d'antenne est occupé par un contenu américain.

    Ils sont censés utiliser les bénéfices provenant de l'importation d'émissions et de les réinvestir dans les émissions canadiennes. Si on retourne 15 ou 20 ans en arrière, ou même plus, on constate qu'il n'y a eu que des investissements minimaux dans le type de programmation le moins coûteux, ou des investissements dans des émissions diffusées en dehors des heures de grande écoute, celles qui ne comptent pas un vaste auditoire. Autrement dit, produire un contenu canadien a toujours été considéré simplement comme un coût lié à l'exercice d'activités au Canada : comme nous devons produire un contenu canadien, nous produirons les émissions bon marché et de mauvais goût aussi rapidement que possible. Des règlements comme ceux qui concernent la substitution de signaux identiques ne font qu'accentuer cette tendance.

    À mon avis, au lieu de cela, nous avons peut-être besoin d'un système qui encourage les diffuseurs à produire un contenu canadien—non seulement un contenu canadien, mais un contenu que les Canadiens veulent regarder—et nous devons veiller à ce qu'il ait un bon créneau, pour qu'ils voient les émissions à des périodes où ils regardent la télévision. La Grande-Bretagne, par exemple, a deux organismes de réglementation et des régimes de réglementation légèrement différents pour le secteur privé et le secteur public. Je crois que le Canada aurait avantage à adopter un système de ce genre, composé d'un organisme de réglementation distinct pour la diffusion par le secteur public et d'un système bien différent du CRTC, quel que soit le nom qu'on déciderait de lui donner, pour la diffusion par le secteur privé; différents types de règlements seraient appliqués à chacun.

    S'il est vrai que les propriétaires de stations privées sont incapables de produire un contenu canadien que les gens veulent regarder, s'ils ne peuvent survivre qu'en important un contenu américain—leur comportement semble le confirmer—il est temps de revoir les règlements que nous leur appliquons et de nous demander si nous voulons vraiment imposer un tel fardeau aux propriétaires de stations privées. Ils devraient peut-être ne produire que des émissions rentables, les vendre dans toute l'Amérique du Nord, et faire leur contribution au contenu canadien en réinvestissant dans le Fonds canadien de télévision.

  +-(1200)  

+-

    M. Brian Masse: Très bien.

    Je voudrais parler des statistiques et demander votre opinion à ce sujet. J'ignore si vous savez d'où viennent le chiffre de 700 000. On a dit qu'il s'agissait d'une recherche, d'une étude. Autant que je sache, il ne s'agit de rien de plus qu'un sondage.

    Aurait-il beaucoup de poids dans votre salle de cours?

+-

    M. Paul Attallah: J'ai l'impression que ce chiffre est avancé par la partie la plus directement intéressée dans cette discussion. Pour cette seule raison, il faut se méfier. Un des intervenants précédents a comparé la situation à l'égard des 700 000 Canadiens à celle qui concerne le téléchargement de fichiers MP3. Une étude de l'Université Harvard, une institution de réputation modeste, je crois, a révélé que le téléchargement de fichiers MP3 avait des effets négligeables sur la vente de musique enregistrée aux États-Unis. Si le téléchargement de fichiers MP3, qui, je présume, est beaucoup plus facile, beaucoup moins coûteux et beaucoup plus répandu que la réception par 700 000 personnes de signaux par satellite non autorisés, si cette technologie facile et répandue n'a pas d'effets perceptibles, pourquoi devrions-nous croire que l'autre technologie coûteuse aurait des effets aussi énormes?

    Si l'étude de l'Université Harvard me plaît, c'est que sa méthode peut être répliquée, elle dit les choses telles qu'elles sont, et n'importe qui peut lire et reproduire l'étude; en outre, il s'agit d'une tierce partie désintéressée qui n'a aucun intérêt à dire que le chiffre est élevé ou non. Je voudrais bien qu'on nous donne le temps de mener une étude semblable au Canada. À mon avis, ce ne serait pas une mauvais chose à faire avant de proposer une politique.

+-

    M. Brian Masse: Je vous remercie.

+-

    Le président: Lyle Vanclief, je vous prie.

+-

    L'hon. Lyle Vanclief (Prince Edward—Hastings, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je remercie vivement les témoins d'être venus ce matin. Je crois que vous avez soulevé des enjeux et des questions que nous, en tant que comité, devons examiner très sérieusement.

    Avant de vous demander de commenter certaines de mes affirmations ou de mes questions, je dirai que je crois, après vous avoir écouté, ainsi que d'autres témoins, que nous savons pourquoi le marché gris existe, car les gens ne peuvent pas obtenir cette information autrement. Nous savons qu'ils paient ce matériel; alors, je présume que nous connaissons la cause du problème. La Cour suprême a dit qu'il est illégal. Cela soulève la question, que je vous pose : faudrait-il modifier les lois appropriées—et je pense que M. Rogers a fait une observation là-dessus, directement ou indirectement—pour corriger la cause, de sorte que ce ne soit plus une activité illégale? M. Rogers a dit, selon mon interprétation de ses propos, que ce serait certes difficile, à moins de prendre des mesures pour qu'ils contribuent au fonds.

    Je manifeste probablement mon exaspération en ce moment. Le projet de loi tel que rédigé est-il applicable? Pouvons-nous l'appliquer? M. Attallah a dit que la situation actuelle et l'arrêt de la Cour suprême ont amené un certain nombre de gens à agir illégalement. Il n'existe pas de loi en ce moment pour autoriser cette activité; devons-nous alors ne pas intervenir? Il semble que cela se soit déjà produit, que tout le monde a dit que nous ne pouvons pas la contrôler. Alors, devons-nous oublier toute l'affaire?

    Enfin, je ne sais pas comment d'autres pays traitent la question. Je serais étonné si les Canadiens étaient les seuls à recourir au marché gris. Il y a sûrement un marché gris dans d'autres pays, aux États-Unis, en Europe ou ailleurs. Quelle est la situation là-bas? Comment y réagit-on?

    Comme les témoins, y compris d'excellents témoins entendus ce matin, ont présenté plusieurs arguments au comité, le comité—je sais que le comité doit se charger de ce travail—devra peut-être songer à inviter des fonctionnaires de Patrimoine Canada à comparaître. Nous devrons peut-être envisager d'inviter de nouveau des fonctionnaires et de leur poser ces questions, car, naturellement, et pour cause, ils ont été les premiers à présenter des exposés. Je crois que le comité devra donner suite aux observations que les témoins ont faites ce matin.

    J'ouvrais seulement une parenthèse.

  +-(1205)  

+-

    Le président: Quelqu'un veut-il répondre?

+-

    M. Paul Attallah: Je vais répondre indirectement.

    On a dit plus tôt que la FCC rend illégale la vente au Canada de signaux diffusés par des entreprises américaines. Un grand nombre de stations situées à la frontière américaine vendent des signaux au Canada. Elles le font en toute connaissance de cause. Dans certains cas, l'auditoire canadien est plus vaste ou plus souhaitable que l'auditoire américain. Mais il y a également des câblodistributeurs de classe 1 au Canada. Rogers, à Ottawa, est un grand câblodistributeur de classe 1. Pour les petits câblodistributeurs, il y a une limite au nombre d'abonnés requis. Ils sont donc autorisés à redistribuer les services américains que les câblodistributeurs de classe 1 ne sont pas autorisés à redistribuer.

    Cela m'apparaît comme une situation où un service américain est toléré au Canada, que cela plaise ou non à la FCC. Qui plus est, cela illustre l'incohérence et l'irrationalité de notre politique de communication, où une activité légale pour un groupe est illégale pour un autre. Ce qui s'applique aux communications électroniques ne s'applique apparemment pas à la vente et à la location de disques DVD, et on pourrait retrouver sur un DVD exactement le même contenu qui est diffusé sur les ondes. Il y a donc beaucoup de risques de méfaits, beaucoup de contradiction et d'incohérence.

    La façon dont les câblodistributeurs de classe 2 s'occupent de la distribution de services comme American Movie Classics ou HBO, par exemple, ou le USA Network au Canada, constitue peut-être un modèle qui pourrait s'appliquer plus largement au marché gris. Mais j'avoue que je viens juste d'y songer.

+-

    M. Phil Rogers: Monsieur Vanclief, j'ai quelques observations à faire au sujet des questions que vous avez soulevées.

    Il est fort possible que les approches soient différentes dans d'autres pays, et il pourrait être aussi compliqué d'appliquer leurs lois qu'il l'est d'appliquer les nôtres. Nous devrions probablement essayer d'améliorer les nôtres.

    À mon avis, notre loi actuelle est très claire, compte tenu de l'arrêt qu'a rendu la Cour suprême du Canada, qui a dit que cette activité est illégale tant sur le marché noir que sur le marché gris. Des dispositions à cet égard existent déjà dans la loi. L'alinéa 9(1)c) existe depuis très longtemps. C'est la disposition qui existe actuellement, qui a été appliquée, et qui a mené aux condamnations qui ont été portées devant la Cour suprême du Canada.

    Alors, nous ne faisons que modifier la loi. On vous demande, en tant que députés, d'étudier des modifications visant à renforcer cette loi pour qu'elle puisse vraiment être appliquée, et non pour la modifier en profondeur. On ne propose pas de modifier la loi en profondeur. On veut renforcer la loi actuelle.

    Vous avez demandé si elle est applicable. À mon avis, elle l'est. Nous avons eu plusieurs cas d'application, qui se poursuivaient même au cours de la présente législature, pas plus tard que la semaine dernière. S'il y avait un problème avec cette application et de graves difficultés légales, les fonctionnaires du ministère les auraient soulevés et auraient demandé d'autres modifications. Rien n'indique que la loi n'est pas applicable. Il y a des questions d'orientation légitimes, comme celles que vous soulevez, mais la loi est manifestement applicable, et le projet de loi à l'étude actuellement constitue en fait un prolongement de la loi qui existe déjà.

  +-(1210)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Je veux souligner, avant que nous revenions à James, qu'en ce qui concerne notre résumé législatif sur le projet de loi C-2, à la troisième page, sous la rubrique A : « Fourniture de signaux satellitaires au Canada », M. Rogers, je crois, a parlé d'un dilemme et cela est revenu dans l'intervention d'Andy, et j'ai fait une observation au sujet de la FCC. Nous ne sommes pas certains—nous allons demander aux attachés de recherche de vérifier de nouveau—des services qu'un fournisseur américain peut fournir légalement à un abonné canadien. Permettez-moi de lire cet extrait : « En vertu des règles de la FCC, ces signaux américains ne peuvent être diffusés à l'extérieur des États-Unis. » De toute évidence, en dépit de toute notre bonne volonté, nous devons faire attention à ce que le système de réglementation américain a à dire à ce sujet.

    James.

+-

    M. James Rajotte: Merci encore, monsieur le président.

    Je veux aborder la question qu'a soulevée M. Attallah au sujet de ceux qui sont visés par le projet de loi. Je sais que d'autres membres du comité l'ont soulevée. En présentant ce projet de loi, le ministère a dit qu'il ciblait les vendeurs, et il a également fait la même distinction que vous, monsieur Rogers, entre les deux sortes de personnes, celle qui est chez elle à regarder ces émissions et celle qui exerce des activités commerciales. Ma grande préoccupation, cependant, c'est que le projet de loi ne permet pas de bien faire cette distinction et ne dit pas que sa priorité est de cibler les vendeurs. Je crois que les fonctionnaires du ministère ont admis cela lorsqu'ils ont comparu devant le comité.

    Le paragraphe 6(2.1) du projet de loi commence ainsi : « Quiconque contrevient à l'alinéa 9(1)c) ». Je crois que c'est le sous-ministre adjoint qui a admis que c'est en fait la personne qui regarde la télévision chez elle qui contrevient à l'alinéa 9(1)c) de la Loi sur la radiocommunication.

    Monsieur Rogers, êtes-vous du même avis? Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que ce projet de loi doit être clarifié de façon à préciser quelles personnes nous ciblons? Actuellement, il ne dit pas que notre priorité est de cibler les vendeurs et les personnes qui exercent des activités commerciales, mais il pourrait servir légalement à cibler la personne qui est chez elle et qui appuie simplement sur un bouton.

+-

    M. Phil Rogers: Plusieurs dispositions connexes existent dans la loi actuelle et précèdent les modifications à l'étude. Ces dispositions portent sur les activités de décodage illégal de signaux encodés diffusés par satellite. Une de ces dispositions est celle dont vous avez parlé, soit l'acte de décoder sans autorisation. Une autre disposition, l'article 10, porte sur la distribution, la vente, etc., du matériel. Je crois savoir que lorsque les responsables de l'application de la loi veulent appliquer les dispositions actuelles, ils invoquent surtout l'article 10, car, lorsqu'on cherche un vendeur, on cherche le matériel, etc.: le vendeur est manifestement en possession du matériel et il le distribue et le vend. C'est une disposition qui existe dans le projet de loi aujourd'hui, et l'alinéa 9(1)c) est déjà dans la loi en ce qui concerne le décodage.

  +-(1215)  

+-

    M. James Rajotte: D'accord, c'est également ce qu'a dit le ministère. Mais pourquoi insérons-nous l'alinéa 9(1)c) si nous ciblons les vendeurs? Si ce projet de loi vise à cibler les vendeurs, et non la personne qui est chez elle et qui n'exerce pas d'activités commerciales, pourquoi insérons-nous l'alinéa 9(1)c) dans ce projet de loi?

+-

    M. Phil Rogers: L'alinéa 9(1)c) est déjà dans la loi actuelle.

+-

    M. James Rajotte: Je comprends cela.

+-

    M. Phil Rogers: Il est dans la loi. Lorsque le Parlement adopte des règlements et des dispositions concernant les infractions dans un secteur qui relève de sa compétence, bien souvent, il adopte des dispositions qui portent sur toutes les activités de ce secteur, que ce soit la possession du matériel ou sa mise en service. Si vous examinez d'autres dispositions qu'a adoptées le Parlement, vous en trouverez au moins deux ou trois qui portent sur les infractions concernant toutes les activités possibles. Elles sont clairement conçues pour que le Parlement ne soit pas freiné par quelqu'un qui contourne simplement une disposition pour se servir d'une autre.

+-

    M. James Rajotte: D'accord.

    Je voudrais mentionner que je m'inquiète du fait que nous allions à contre-courant des progrès de la technologie.

    Je crois connaître la réponse, monsieur McOrmond, mais estimez-vous que ce projet de loi est inutile, que la technologie ou les percées technologiques de l'industrie pourraient régler ce problème beaucoup mieux qu'une mesure législative adoptée par le Parlement?

+-

    M. Russell McOrmond: Non seulement la technologie permettrait de faire mieux, mais le projet de loi ralentirait l'évolution de cette technologie.

    Dans le projet de loi, on parle de certificats d'importation délivrés aux vendeurs actuels de cette technologie. On présume donc que les personnes les plus aptes à faire progresser la technologie sont celles qui ont déjà utilisé une grande partie de la technologie précédente. En fait, à certains égards, ce sont les personnes qui sont le moins encouragées à la faire progresser; et le projet de loi protège en fin de compte leur technologie actuelle, au lieu de les encourager à la faire progresser davantage.

    Alors, je crois qu'il existe déjà des technologies. Le commerce électronique sur Internet n'affronte pas les mêmes problèmes, car la technologie est plus avancée. Le logiciel que j'ai dans mon fureteur, chez moi, est à certains égards plus avancé que ce dont nous parlons ici, en partie en raison des possibilités offertes par la technologie.

    On fabrique le récepteur de signaux de satellite, on le vend au consommateur et on ne s'en préoccupe plus. La plupart des foyers sont équipés de lignes téléphoniques. Pourquoi ne branchons-nous pas ces récepteurs sur les lignes téléphoniques et ne faisons-nous pas des appels extraterrestres à la maison? Ainsi, le fournisseur n'aura plus à faire face au problème de cinq décodeurs illégaux partageant un même abonnement ni à se demander comment il se fait qu'il y en a cinq. Il ne devrait y avoir qu'un décodeur par abonnement. Ce genre de chose...

    Il y a donc des moyens technologiques pour régler tous ces problèmes, et je pense que le projet de loi ne ferait que bloquer ces progrès technologiques.

+-

    M. James Rajotte: Ceci m'amène à parler des propos de M. Attallah au sujet d'un vieux modèle opérationnel. C'est aussi ma préoccupation à l'égard du projet de loi. Si nous passons à un système en vertu duquel on peut, selon vous, tout simplement sélectionner l'épisode 54 du Mary Tyler Moore Show, ou l'épisode 33 de Seinfeld, puis l'enregistrer et le regarder à ce moment-là, cette possibilité change fondamentalement toute l'industrie de la radiodiffusion.

    Si nous conservons cette approche qui consiste à vouloir protéger le contenu canadien et à appuyer l'industrie de la radiodiffusion ici—ces deux éléments étant reliés—il va de soi que cette volonté d'appuyer les créateurs canadiens et l'industrie canadienne est louable—et que nous pouvons tous l'appuyer—mais si la technologie permet de contourner nos mesures de protection et de soutien dans 10, 15 ou 5 ans, nous ne faisons pas notre travail.

    Je présume que c'est là votre préoccupation en ce qui a trait à l'approche fondée sur l'ancien modèle opérationnel.

+-

    M. Paul Attallah: Je suis frappé par le fait que la logique qui sous-tend le projet de loi—je ne parle pas de son objectif déclaré—est de consacrer une technologie et des modèles opérationnels anciens, parce qu'en vertu de cette logique le fournisseur actuel de signaux transmis par satellite est celui qui décide si la nouvelle technologie est bonne ou mauvaise pour son modèle opérationnel. Par conséquent, ce sont eux qui, comme l'a dit M. McOrmond, ont le moins intérêt à adopter de nouvelles technologies ou à faire en sorte que le système fonctionne plus rapidement ou plus efficacement—en fait, j'ose dire que ce sont eux qui, par conséquent, ont le moins intérêt à contribuer à la télévision canadienne.

    Ce n'est là qu'une façon voilée d'exclure du marché des concurrents éventuels.

  +-(1220)  

+-

    M. James Rajotte: Le dernier Comité de l'industrie a effectué une étude sur les télécommunications. C'est un député du parti ministériel, un libéral, qui a dit que lorsqu'on parle de culture canadienne, il faut toujours faire une distinction entre appuyer l'industrie canadienne, ce qui est incontestablement un objectif louable en soi, et appuyer les créateurs canadiens. Ce sont là deux choses différentes qu'il faut toujours distinguer.

    Même au sein de notre parti nous pensons qu'il est viable d'appuyer le Fonds canadien de télévision et d'autres initiatives du genre, et aussi d'appuyer les créateurs. Nous voulons appuyer l'industrie. Toutefois, sur le plan philosophique, en ce qui a trait à vos remarques au point numéro cinq, pour que la culture canadienne soit vraiment concurrentielle à l'échelle internationale, il me semble toutes les sociétés qui ont produit des génies et des oeuvres d'art que nous admirons encore aujourd'hui sont des sociétés qui étaient ouvertes au monde extérieur et non des sociétés qui ont essayé d'imposer des limites.

    Par conséquent, je pense que non seulement la prémisse qui sous-tend le projet de loi va à l'encontre de la technologie, mais aussi à l'encontre de la façon de favoriser l'éclosion d'artistes et d'oeuvres qui transcendent notre propre culture nationale.

+-

    M. Paul Attallah: Dans le cas de la télévision, nous avons effectivement un système qui, s'il était appliqué aux livres, par exemple, ou aux journaux, nous frapperait par son caractère tout à fait absurde. Vous ne pourriez acheter un roman de John Grisham écrit aux États-Unis, à moins de vous procurer en même temps deux ouvrages de Margaret Atwoods. Si l'on inverse la situation, les autres pourraient dire de Margaret Atwoods qu'elle est une très bonne écrivaine, mais qu'elle n'est pas Américaine et que ses livres ne devraient pas être vendus dans leur pays. Si d'autres pays nous faisaient ce que l'on se propose de leur faire, nous aurions du mal à garder un visage impassible sur la scène internationale.

    En 1990, les studios Universal aux États-Unis ont été achetés par la société Sony, qui est une entreprise japonaise. Quelqu'un a pris la parole au Congrès—je ne me souviens pas du nom de la personne—et a proposé que tous les films réalisés à Hollywood soient déclarés monuments nationaux, de façon à les empêcher d'être réédités ou modifiés de quelque façon que ce soit. Lorsqu'on a demandé à cette personne pour quelle raison elle voulait que les films produits à Hollywood soient déclarés monuments nationaux, celle-ci a répondu que les studios Universal appartenaient maintenant à une société japonaise et que celle-ci pourrait vouloir rééditer les films sur la Seconde Guerre mondiale de façon à faire croire que le Japon n'avait pas perdu cette guerre.

    Nous sommes embourbés dans la même logique boiteuse au Canada. Nous définissons notre marché comme le plus petit territoire possible, et je ne veux pas dire sur le plan géographique. C'est le Canada et c'est tout. Dans le domaine des produits électroniques, nous n'adoptons pas l'attitude selon laquelle le véritable marché pour la culture canadienne ne se trouve pas uniquement au Canada : c'est toute l'Amérique du Nord et au delà; c'est le monde entier.

    Il ne fait aucun doute que l'industrie de la production en Amérique du Nord est déjà intégrée au niveau continental. Les Américains font des programmes au Canada et les Canadiens font des programmes aux États-Unis. Depuis 10 ans, un canal tel que le canal Disney aux États-Unis a eu un contenu canadien de l'ordre de 35 p. 100 ou 40 p. 100, non pas à tous les jours ou à chaque année, mais pendant certaines années. Nous parlons ici d'un système de production et d'un auditoire nord-américain tout à fait intégrés.

    Nous n'avons pas ces règles dans le cas des films américains; ces règles n'existent que pour la radiodiffusion. Pourquoi est-ce une bonne chose de m'empêcher de regarder Law & Order au réseau NBC et de me forcer à regarder ce programme au réseau CTV? Si c'est une bonne chose, peut-être que le programme The Sopranos sera présenté à un moment donné cette semaine. Je peux commander le programme The Sopranos sur DVD par l'entremise d'Amazon.com et le faire livrer à ma porte par Postes Canada. Au moment précis où le réseau CTV diffuse ce programme, je pourrais prendre le DVD, le mettre dans mon lecteur DVD et regarder cette version. De cette façon, je priverais le réseau CTV de mon écoute et de mon argent. Mon argent aura été versé à Amazon.com, mais il n'aura pas profité à qui que ce soit au Canada.

    Peut-être ne devrions-nous pas avoir le droit de posséder des lecteurs DVD. Il me semble que c'est la logique qui sous-tend le projet de loi : une technologie ancienne sous le contrôle des intéressés les plus fermement campés dans leur position.

+-

    M. Phil Rogers: Monsieur Rajotte, j'aimerais revenir sur une remarque que vous avez formulée plus tôt.

    Vous avez commencé par dire que c'était un objectif admirable que celui d'appuyer l'industrie canadienne et les artistes canadiens, et que nous avions des artistes exceptionnels reconnus dans le monde entier. D'un point de vue économique, le système de base pour appuyer les artistes est le régime de droit d'auteur, qui est un système international. Le Canada se sert évidemment de ce régime, tout comme la plupart des autres pays. L'un des problèmes fondamentaux du marché gris est qu'il contourne le régime de droit d'auteur. Les gens qui s'approvisionnent auprès du marché gris au Canada évitent le paiement de droits que les créateurs ont fixés pour leur propre bénéfice.

    Ce régime ne devrait pas être pris à la légère, et ce pour les raisons que vous avez mentionnées. En bout de ligne, c'est grâce au régime de droit d'auteur que les créateurs peuvent choisir dans quelles vitrines ou dans quels marchés leurs oeuvres sont présentées, et de quelle façon ils sont payés. Lorsqu'un pays commence à laisser entendre que l'on ne va pas être rigide à l'égard du régime de droit d'auteur, que l'on ne va pas trop s'en préoccuper, cela envoie des signaux très dangereux au sujet de toute la communauté artistique et aussi de notre relation avec les groupes de créateurs dans d'autres pays. Cette situation soulève une question très importante que les gens négligent souvent lorsqu'ils parlent du marché gris.

  +-(1225)  

+-

    M. James Rajotte: Dans ce cas, la solution ne serait-elle pas d'avoir un accord de réciprocité avec les États-Unis, afin de reconnaître que ces signaux franchissent la frontière, indépendamment de la compétence nationale, et compte tenu que, selon vous, 700 000, et peut-être même jusqu'à 900 000 Canadiens choisissent cette option? Il me semble que ce soit la solution à long terme, plutôt que le projet de loi. Le gouvernement peut décider d'adopter le projet de loi—il peut certainement le faire—mais je doute fort que cette mesure réponde aux problèmes de près d'un million de Canadiens qui optent pour d'autres solutions de rechange.

+-

    M. Phil Rogers: Je vais juste formuler une brève observation en guise de réponse. Il serait peut-être possible de négocier un tel accord. Jusqu'à maintenant, à chaque fois que nous avons amorcé des négociations avec les États-Unis, en commençant par l'accord de libre-échange, la politique du Canada a toujours été claire, à savoir que nous ne sommes pas disposés à inclure les industries culturelles dans le libre-échange.

    Vous laissez entendre que nous devrions nous pencher de nouveau sur cette question. Si cette question devait être réévaluée, la responsabilité de cet exercice n'incomberait peut-être pas au comité. Cela dit, il va de soi que le gouvernement peut étudier cette possibilité. Si nous nous engagions dans cette voie, cela représenterait un changement important. Ce serait un changement fondamental pour le Canada et il va de soi qu'il faudrait que ce changement s'effectue d'une manière très prudente qui procurerait des avantages aux deux parties. Quant à savoir s'il serait possible d'en arriver à une entente qui profiterait tant aux Canadiens qu'aux Américains, je n'ai pas la réponse à cette question.

+-

    M. James Rajotte: Un tel accord n'empêcherait pas le Fonds canadien de télévision d'appuyer les artistes canadiens de cette façon. En fait, cet appui pourrait même être accru.

    J'ai des électeurs qui vont en Arizona à chaque hiver et un bon nombre de ceux-ci emportent leur antenne parabolique avec eux. L'une des préoccupations qu'ils ont relativement au projet de loi est de savoir s'ils vont pouvoir continuer à emporter et à rapporter leur antenne comme ils le font actuellement. Comme je l'ai dit, ils emportent leur antenne parabolique Bell ExpressVu dans le sud.

    Je pense que la solution à long terme consiste à appuyer les artistes canadiens par l'entremise de fonds.

+-

    Le président: Merci James.

    David.

+-

    L'hon. David Collenette (Don Valley-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

    J'ai raté les justifications fournies la semaine dernière à l'égard du projet de loi, parce que je n'étais pas présent au comité, mais après avoir fait certaines lectures et après avoir entendu la lecture de ces trois mémoires en comité aujourd'hui, je suis frappé par le fait qu'il y a quelque chose d'incohérent, d'illogique et d'improvisé relativement à la présentation de cette mesure législative à ce stade-ci de la législature. Ce projet de loi semble avoir été élaboré sans tenir compte des objectifs plus globaux en matière de communications et de politique culturelle canadiennes. Je pense d'ailleurs que les trois témoins ont bien fait ressortir cet aspect.

    J'ai une autre préoccupation fondamentale, qui date d'une vie antérieure, soit il y a plus de vingt ans, dans un autre siècle, lorsque j'étais ministre responsable du multiculturalisme. Nous avons fait de grands progrès pour ce qui est de favoriser la notion de plus grande liberté, non seulement avec l'adoption de la Charte des droits de 1982, mais aussi avec la Loi sur le multiculturalisme canadien en 1983-1984, pour s'assurer que les Canadiens, indépendamment de leurs origines ethniques, puissent vivre et travailler dans leur langue. Il y a évidemment deux langues officielles au pays, l'anglais et le français, mais nous nous sommes aussi fixés comme objectif de politique gouvernementale de favoriser le maintien d'autres langues. Nous avons en quelque sorte fait preuve d'un sens de l'anticipation à l'époque, puisqu'au cours des vingt années qui se sont écoulées depuis, le phénomène de mondialisation a pris énormément d'ampleur. Dans ma circonscription, je vois des jeunes qui parlent trois ou quatre langues. Ils ont appris ces langues à la maison, dans leurs lectures, dans les films et, évidemment, dans leurs conversations. Cet atout les aide à vivre dans le contexte économique global qui est maintenant le nôtre.

    Il me semble que le point qu'ont fait valoir les témoins—et je ne veux pas leur faire dire des choses qu'ils n'ont pas dites, mais je pense que c'est M. Attallah qui a été très clair à ce sujet—c'est que cette mesure législative semble se fonder arbitrairement sur la nécessité, pour deux grandes sociétés, de réaliser des bénéfices. Nous convenons que celles-ci ont investi de l'argent et qu'elles ont acquis une certaine compétence dans le domaine de la technologie mais, dans les faits, elles font des choix culturels au nom des Canadiens, au niveau individuel, quant aux services offerts en matière de langue, aux services en provenance de l'étranger, qui peuvent être importés au pays par satellite. À mon avis, cette situation est fondamentalement injuste et il y a lieu d'examiner ce dossier.

    Je ne sais s'il y a des témoins qui aimeraient formuler des observations suite à mes propos relativement à leurs présentations à ce sujet.

    Monsieur le président, je vais conclure en disant que je pense qu'il nous incombe de faire revenir la ministre et ses fonctionnaires pour qu'ils justifient le fait que ce projet de loi soit adopté, dans ce contexte, à ce stade-ci de la législature, sans tenir une discussion plus générale sur la politique canadienne en matière de culture et de radiodiffusion, et sur les défis auxquels notre pays est confronté, compte tenu des progrès technologiques rapides que l'on constate. Au lieu de se contenter d'adopter cette mesure maintenant, de fermer la porte en quelque sorte et de s'en aller en campagne électorale—au lieu de fermer boutique—nous devrions nous demander ce qui va se passer après les élections. Allons-nous revenir sur ce dossier? Allons-nous nous pencher sur les répercussions plus globales de ce projet de loi dans le contexte de notre politique en matière de culture et de radiodiffusion?

  +-(1230)  

+-

    Le président: Nos témoins ont-ils des observations à formuler relativement aux propos de M. Collenette?

+-

    M. Paul Attallah: Si vous me le permettez, je vais encore une fois être le premier à prendre la parole. Je le fais toujours. C'est une habitude qui découle du fait que je donne des conférences et des cours magistraux.

    Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que si vous faites partie d'une communauté culturelle, à l'heure actuelle vous vous sentez très marginalisé, criminalisé et ciblé parce que vous faites des choses telles que regarder la Coupe du monde de soccer dans votre propre langue, ou que vous regardez une reprise de Golden Girls en version espagnole. Quel crime grave est-ce que je commets en agissant de la sorte?

    Il existe donc un profond malaise et une grande colère au sein des communautés culturelles à l'heure actuelle. Je suis un peu au courant de ce qui se passe dans certaines de ces communautés à Ottawa.

    Je pense aussi qu'il est très clair que l'autre phénomène qui se produit ici c'est que l'on se sert de l'occasion fournie par ce qui semble une mesure de réglementation de la technologie pour faire des choix qui ont une incidence étendue sur la culture. Personne n'a discuté de cet aspect. Je ne pense que qui que ce soit ait donné aux sociétés l'autorisation de faire des choix en son nom dans le secteur de la culture et, personnellement, j'aimerais bien qu'un véritable débat approfondi se tienne sur cette question.

    Par conséquent, je vous remercie d'avoir soulevé ce point. Je suis tout à fait d'accord avec vous.

+-

    Le président: Monsieur McOrmond, et ensuite monsieur Rogers.

+-

    M. Russell McOrmond: Dans mon exposé, j'ai employé le terme « duopole ». L'une des préoccupations de notre groupe est que ces duopoles, ou différents monopoles, sont utilisés à titre de procuration pour la créativité canadienne.

    Le groupe dont je fais partie, digital-copyright.ca, compte un grand nombre de créateurs. On y trouve des musiciens indépendants et une maison de production de musique. L'une des choses que cette maison fait c'est d'octroyer des licences relativement à la musique qu'elle produit, de telle façon que la distribution de poste à poste de cette musique sur l'Internet est gratuite. Pourquoi? Parce qu'ils détiennent les monopoles... et qu'il y a évidemment plus qu'une entreprise participante avec l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement, la CRIA. Toutefois, les membres de la CRIA ne sont pas perçus comme des aidants qui essaient de promouvoir la musique de ces artistes sur le marché. Ils sont plutôt considérés comme la menace. Ainsi, les artistes ne s'inquiètent pas du fait que de simples citoyens dans leur maison ne respectent pas les droits d'auteur, mais plutôt du fait que les membres de la CRIA ne fassent pas la promotion de leur travail, et qu'en fait ils y font plutôt obstacle.

    Par conséquent, oui, les intéressés sont très préoccupés par le fait que ces grands monopoles contrôlent la créativité canadienne.

  +-(1235)  

+-

    Le président: Monsieur Rogers.

+-

    M. Phil Rogers: Monsieur Collenette, je pense que vous avez mentionné de très bons points sur lesquels tous ceux qui font partie du comité auraient intérêt à réfléchir. Cela dit, il y a quelques observations formulées dans le cours de la discussion à l'égard desquelles j'aimerais présenter un point de vue différent.

    On fait souvent allusion au duopole et on dit que cette mesure va servir les intérêts du duopole. En fait, le système canadien de radiodiffusion englobe un grand nombre d'entreprises de distribution. Nous avons deux entreprises de satellite autorisées et plusieurs centaines d'entreprises de câblodistribution qui sont toutes autorisées à distribuer ce type de programmation, que son contenu soit canadien ou étranger. Ces centaines de petites et grandes entreprises dans tout le Canada agissent comme une chaîne réglementée par le CRTC pour fournir un mélange de programmation canadienne et étrangère.

    Par conséquent, dans le contexte dont nous discutons, lorsque des personnes sortent du système canadien et se tournent vers le marché gris ou le marché noir, elles cessent de faire appel aux entreprises de câblodistribution et aux deux satellites. Elles sortent complètement du système canadien.

    Vous avez soulevé, à juste titre, la question de savoir s'il s'agit d'un changement technologique dont nous allons devoir nous occuper. Vous avez tout à fait raison. La technologie pose des défis constants au système de radiodiffusion. La technologie ne peut rester statique. Lorsque les premiers services de diffusion directe par satellite ont été installés aux États-Unis il y a un certain nombre d'années, certains intervenants au Canada ont craint que tout le système canadien allait s'effondrer par suite de ce changement technologique. Cela ne s'est pas produit. Les Canadiens ont réagi en créant leur propre industrie de diffusion par satellite et leur propre système de câblodistribution terrestre. Nous avons mis au point un système numérique très étendu et d'une grande capacité au Canada.

    Ainsi, le système canadien a répondu d'une manière qui tenait compte de ce changement technologique, et je suis convaincu qu'il y aura d'autres changements technologiques qui vont miner le système existant. Cela signifie tout simplement qu'il ne faut pas se résigner et abandonner la partie. Nous avons des lois en vigueur et ces lois visent simplement à assurer l'application du système actuel.

    Vous vous êtes demandé si nous ne devrions pas changer? Il va de soi que la réponse est oui. Le système doit évoluer avec le temps. Je me permets de dire qu'il ne faut pas laisser votre système actuel de réglementation s'effondrer pour cause d'inaction pendant que vous réfléchissez à ce que devrait être un régime approprié dans l'avenir. En effet, lorsque cela se produit, vous éliminez en quelque sorte vos options en tant que gouvernement. Les événements décident avant que le gouvernement n'ait eu le temps de déterminer ce qu'il veut faire.

+-

    Le président: David, avez-vous quelque chose à ajouter?

+-

    L'hon. David Collenette: Eh bien, je deviens tout simplement nerveux lorsqu'on parle de duopoles et je suis content que ce point de vue différent ait été exprimé. La dernière fois que j'ai été confronté à des duopoles, il y avait deux grandes sociétés aériennes qui gardaient les prix artificiellement élevés et qui limitaient les options pour les Canadiens. L'arrivée des transporteurs à rabais a donné naissance à un marché beaucoup plus dynamique. Ainsi, lorsque M. McOrmond a prononcé le mot « duopole », cela a touché une corde sensible chez moi.

+-

    Le président: Merci.

    Lyle, s'il vous plaît.

+-

    L'hon. Lyle Vanclief: Monsieur le président, je pense que je me répète quelque peu ici. Il est clair dans mon esprit que les témoins que nous avons entendus ont formulé toutes sortes de points de vue relativement au projet de loi. Nous sommes au courant des points de vue des deux grands fournisseurs de ces services, Star Choice et Bell Express Vu. Je dis très respectueusement qu'ils font valoir leur point de vue personnel lorsqu'ils disent pourquoi ils aiment cette mesure législative. D'autres témoins ont exprimé des points de vue différents à l'égard du projet de loi.

    Je vais être très bref et dire que, selon moi, cette mesure législative nécessite encore beaucoup de travail. Un grand nombre de questions et de points ont été soulevés et nous devons faire en sorte que cette mesure soit la plus adéquate possible.

    Je ne conteste pas le propos de M. Rogers portant que ce projet de loi pourrait être appliqué. Oui, il pourrait être appliqué, mais est-ce qu'il représente la mesure appropriée? Y a-t-il d'autres changements qui doivent être apportés, que ce soit dans d'autres lois ou relativement à cette mesure, afin de faire face à la situation qui nous confronte, afin de répondre, dans la mesure du possible, à toutes les préoccupations formulées? Il va de soi que ce projet de loi pourrait être appliqué, mais je ne pense pas que celui-ci serait efficace et qu'il répondrait aux préoccupations de tous.

    Par conséquent, je recommande fortement qu'avant d'aller plus loin, on envisage de communiquer non seulement avec les représentants d'Industrie Canada, mais aussi avec d'autres groupes touchés par cette mesure. Nous aimons adopter les projets de loi le plus rapidement possible, mais j'ai la conviction qu'il faut néanmoins s'assurer que ce sont les meilleures mesures possibles. Si cela prend plus de temps... Il y a des rumeurs d'élections. Si nous n'adoptons pas cette mesure au cours de la présente législature, celle-ci constituera une tâche intéressante pour le prochain Comité de l'industrie.

  -(1240)  

-

    Le président: Merci beaucoup.

    J'ose dire que s'il existe un consensus, c'est que cette mesure nécessite plus de travail. C'est un dossier extrêmement intéressant.

    J'ai peut-être une question pour nos attachés de recherche. M. Attallah a parlé des investissements dans la programmation canadienne au moyen du Fonds canadien de télévision. Je me demande s'il existe des rapports ou des études sur la qualité de ces investissements, sur ce que les Canadiens ont obtenu en retour. Je fais simplement mentionner cet aspect afin que, peut-être, nos attachés de recherche vérifient si de telles études ont été faites.

    Sur ce, je remercie les témoins.

    Merci collègues. Nous poursuivrons jeudi avec la GRC et le Commissariat à la protection de la vie privée.

    Je vous remercie de vos excellentes questions et observations.

    Le comité s'ajourne pour la journée.