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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 025 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 25 octobre 2006

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Chers collègues, je constate que nous avons le quorum.
    Nous sommes à l'heure et nous sommes en ligne. Nous nous réunissons aujourd'hui pour examiner le projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois liées aux tribunaux.
    Ainsi nous poursuivons nos audiences d'hier et nous accueillons aujourd'hui, pour nous parler du projet de loi, les témoins suivants: de l'Association du Barreau canadien, nous avons Robert Leurer et Tamra Thomson, que je reconnais grâce aux nombreuses fois où ils ont comparu devant le Comité de la justice; et nous souhaitons également la bienvenue à Patrice Garant, professeur à l'Université Laval, qui comparaît à titre personnel.
    Nous allons donc commencer. J'invite les témoins à faire un assez bref exposé, et nous allons entendre les témoins dans l'ordre prévu, en commençant par les représentants de l'Association du Barreau canadien. Ensuite les membres pourront poser des questions.
    Vous avez la parole.
    Monsieur le président, honorables membres du comité, je vous remercie de nous avoir invités à vous présenter nos vues aujourd'hui sur la rémunération des juges et le projet de loi C-17. Je vais commencer par vous donner un aperçu général des éléments qui intéressent tout particulièrement l'Association du Barreau canadien dans ce domaine. Ensuite, mon collègue, M. Leurer, fera des observations plus détaillées sur différents aspects de la réponse du gouvernement aux recommandations de la Commission d'examen de la rémunération des juges de 2003 qui méritent, selon nous, d'être examinées avec soin par le comité.
    L'ABC compte environ 36 000 membres dans toutes les régions du Canada. Notre mandat comprend un engagement vis-à-vis d'une magistrature impartiale et indépendante, en l'absence de laquelle la primauté du droit n'est pas possible. Voilà donc l'optique dans laquelle nous avons analysé le projet de loi C-17, et elle sous-tend les observations que nous allons vous faire aujourd'hui.
    Même si on pourrait croire que ce projet de loi concerne une simple question d'argent, la question fondamentale qui le sous-tend est le droit des Canadiens, en cas de différends, de faire entendre leurs causes par un juge impartial qui est à même d'agir librement et sans ingérence de la part d'autrui.
    L'approche de l'ABC en ce qui concerne la rémunération des juges est surtout axée sur une démarche en bonne et due forme et sur les caractéristiques de cette démarche. À notre avis, pour être appropriée, cette démarche doit être objective, impartiale et rationnelle. Certains disent qu'il doit s'agir d'une démarche dépolitisée.
    D'ailleurs, si on met sur pied des commissions d'examen de la rémunération des juges, c'est justement pour en arriver à une méthode non partisane d'examen et d'établissement de la rémunération des juges. Les délibérations du Parlement sur les rapports de commissions de ce genre portent sur certaines considérations constitutionnelles, et ces délibérations ne devraient pas être compromises en raison de l'adoption d'une approche politisée et partisane. Les juges ne peuvent et ne doivent être forcés de participer au débat politique sur la rémunération des juges, et il va sans dire qu'il faut éviter de profiter de cette démarche pour marquer des points politiques.
    Je voudrais maintenant céder la parole à M. Leurer, et lui demander de vous expliquer en détail les faiblesses constitutionnelles qui caractérisent la réponse du gouvernement.

  (1535)  

    Permettez-moi de vous dire, tout d'abord, que l'ABC reconnaît que le rôle conféré à ce comité met les élus qui en font partie dans une situation inhabituelle, en ce sens qu'on leur demande de mettre complètement de côté les considérations politiques. Mais vous devez le faire, parce qu'il y va de la confiance du public dans notre système judiciaire. Il ne faut pas que les Canadiens aient l'impression soit que les juges sont redevables envers leur patron, qui décide de leur salaire, soit que les juges ont une prévention contre le gouvernement en raison d'un désaccord d'ordre salarial.
    Ainsi la dépolitisation du processus d'établissement de la rémunération des juges n'est pas simplement un idéal; c'est une exigence constitutionnelle. Chaque citoyen canadien qui passe par notre système judiciaire doit pouvoir être entendu par un juge juste et impartial et qui -- et c'est tout aussi important -- est perçu comme tel. Ce principe constitue la clé de voûte de notre démocratie.
    Le processus d'établissement de la rémunération des juges est l'un des trois piliers sur lesquels s'appuie l'indépendance de la magistrature, les deux autres étant la permanence, et le contrôle de l'administration des tribunaux. En examinant le projet de loi dont il est actuellement saisi, le comité devrait, d'après l'ABC, se demander, d'abord et avant tout, si le gouvernement a tenu compte de la raison d'être des commissions, qui consiste à préserver l'indépendance judiciaire et à dépolitiser le processus de détermination de la rémunération des juges. Selon l'ABC, la réponse du gouvernement au rapport de la commission -- qui est le fondement même du projet de loi -- n'atteint pas cet objectif.
    En même temps, le retard accusé pour mettre en oeuvre le rapport de la commission est tout à fait excessif. D'ailleurs, l'ABC a mis la dernière législature en garde contre la possibilité de tout retard lorsqu'elle examinait le projet de loi C-51, lui faisant valoir que tout retard compromet l'efficacité de la commission et donc, l'indépendance judiciaire. Par conséquent, nous avons recommandé que le projet de loi soit modifié sans délai dans le sens des recommandations de la commission.
    S'il n'est pas possible d'apporter ces modifications au projet de loi en temps opportun, il faudrait adopter le projet de loi C-17, pour éviter de nuire davantage à l'indépendance judiciaire. Si l'on opte pour cette dernière ligne de conduite, l'ABC exhorte le comité à saisir l'occasion de commenter les lacunes de la réponse du gouvernement. Cela nous paraît particulièrement important étant donné que la prochaine commission se réunira sous peu, et le gouvernement sera tenu, encore une fois, de répondre à ses recommandations.
    Je voudrais maintenant vous parler en détail de la réponse du gouvernement.
    Comme les membres du comité le savent déjà, le gouvernement a refusé de donner suite aux recommandations salariales de la commission. À cet égard, le gouvernement a cité deux motifs: premièrement, il a conclu que la commission n'a pas suffisamment étudié le critère qu'on retrouve au paragraphe 26(1.1) de la Loi sur les juges relativement aux conditions économiques qui prévalent au Canada. Deuxièmement, il était en désaccord avec les groupes de comparaison retenus par la commission de 2003. À cet égard, l'ABC considère que l'une des raisons invoquées par le gouvernement pour ne pas retenir la recommandation de la commission s'appuie sur des faits raisonnables.
    Ainsi, les préoccupations de l'ABC se limitent à la première des deux raisons invoquées par le gouvernement. Malheureusement, même si le gouvernement a fait état de deux raisons pour justifier sa recommandation salariale, il n'a pas indiqué à quel point chaque raison a pu influencer sa recommandation finale. Vu l'ordre des raisons invoquées, on suppose que c'est la première qui a eu une influence dominante. Nous craignons ainsi que cette raison colore l'ensemble de la réponse gouvernementale.
    Aux termes de la Constitution, le gouvernement est obligé d'indiquer les raisons pour lesquelles il décide de ne pas retenir les recommandations d'une telle commission. À cet égard, trois autres principes, dont deux que je voudrais brièvement explorer avec vous, nous aident à mieux comprendre cette exigence constitutionnelle.
    Premièrement, le gouvernement doit faire valoir des motifs rationnels en décidant de ne pas retenir les recommandations de la commission; on dit aussi à ce sujet que le gouvernement doit fournir des raisons légitimes. Selon la Cour suprême du Canada, les motifs énoncés par le gouvernement doivent être fondés sur des faits et un raisonnement solide; de même, de simples déclarations rejetant ou désapprouvant les recommandations ne suffisent pas.
    Deuxièmement, les motifs énoncés par un gouvernement en vue de rejeter la recommandation d'une commission doivent reposer sur un fondement factuel raisonnable.

[Français]

    Monsieur le président, est-il possible pour le témoin de ralentir son débit?

[Traduction]

    Excusez-moi de vous interrompre. Bien sûr, nous assurons en permanence des services d'interprétation simultanée, et parfois il faut 0,113 mots de plus par paragraphe pour interpréter en français les propos de l'intervenant; par conséquent, si vous voulez bien ralentir un peu, les interprètes seront plus en mesure de vous suivre.
    Merci, monsieur le président, je présente mes excuses aux membres du comité. C'est un handicap dont je suis malheureusement atteint; et je vais donc essayer de ralentir.
    Encore une fois, pour citer les propos de la Cour suprême, « ... il ne suffit pas de désapprouver une recommandation de la commission ou de déclarer “suffisants” les traitements en vigueur pour les juges. » Ensemble, ces deux directives exigent une certaine spécificité en ce qui concerne les motifs de rejet de la recommandation d'une commission, et pas seulement au niveau de l'explication fournie au sujet de la solution de remplacement proposée.
    Sauf votre respect, l'ABC estime que la première partie de la réponse du gouvernement sur cette disposition de la Loi sur les juges est à ce point générale et pauvre en détails qu'elle ne permet pas de donner suite au rapport de la commission de 2003. La réponse du gouvernement laisse supposer une tension entre les recommandations de la commission, d'une part, et les priorités sociales et économiques du gouvernement, d'autre part. Cependant, elle n'énonce que des généralités en ce qui concerne l'existence de ces autres priorités, sans justifier de quelque façon que ce soit la conclusion selon laquelle la mise en oeuvre des recommandations de la commission influencerait éventuellement ces priorités.
    Les faits sur lesquels s'appuie le gouvernement pour démontrer que, et je le cite, « les autres pressions économiques et priorités fiscales [conflictuelles] » n'ont pas été bien évaluées dans le rapport de la commission, sont exposés dans seulement deux paragraphes de la réponse du gouvernement. Réduite au minimum, cette dernière indique simplement que le gouvernement a ses priorités fiscales, qu'il énumère, et qui ne comprennent pas l'indépendance judiciaire; le gouvernement s'engage à faire généralement preuve de responsabilité budgétaire et à réduire la dette nationale de 3 milliards de dollars chaque année; de plus, le président du Conseil du Trésor est chargé de trouver des économies de l'ordre de 1 milliard de dollars afin de financer des dépenses de programme nouvelles et courantes.
    Même si le gouvernement parle de ses priorités clés et d'autres objectifs budgétaires, il n'explique aucunement, ni comment ni pourquoi, la mise en oeuvre des recommandations de la commission risquerait de compromettre ou de diminuer la capacité du gouvernement de poursuivre ses objectifs.
    La généralité de la réponse du gouvernement est encore plus évidente au paragraphe suivant de sa réponse. On y lit ceci : « La population canadienne s'attend à ce que toute dépense publique soit raisonnable et proportionnelle aux autres pressions économiques et priorités fiscales. »
    En somme, le gouvernement ne croit pas que la recommandation salariale de la commission tient suffisamment compte de cette réalité. Le gouvernement ne fournit aucune explication ou justification détaillée qui permettrait de savoir pourquoi la recommandation de la commission de 2003 n'est pas, pour reprendre les termes du gouvernement, raisonnable et proportionnelle aux autres pressions économiques des priorités fiscales. En l'absence d'une explication plus complète, nous affirmons respectueusement que le rejet du rapport de la commission repose sur une simple affirmation de la part du gouvernement, plutôt que sur un véritable motif.
    L'ABC admet que les salaires des juges sont payés par le Trésor et que des demandes concurrentielles en ce qui concerne l'utilisation des deniers publics peuvent justifier que le montant des salaires qui seraient autrement versés aux juges soit limité. L'ABC admet de plus qu'un dollar dépensé pour rémunérer les juges est un dollar qui ne peut ni être consacré à une autre priorité, ni encaissé. Cependant, l'indépendance des juges n'est pas une simple priorité du gouvernement; elle représente un impératif constitutionnel. Et c'est pour cette raison que toute décision qui s'écarte de la recommandation d'une commission non seulement devrait, mais doit impérativement reposer sur plus qu'une simple affirmation.
    Un lecteur raisonnable de la réponse du gouvernement supposerait que dans la mesure où le gouvernement invoque l'état de l'économie au Canada et la situation économique et financière du gouvernement comme motif pour ne pas tenir compte du rapport de la commission de 2003, il se contente en réalité de dire qu'à son avis, la recommandation salariale était trop élevée et qu'un traitement moindre serait suffisant. Eh bien, sans vouloir contredire le gouvernement, l'ABC se permet de préciser que la réponse de ce dernier ne respecte aucunement les critères énoncés dans la Constitution.

  (1540)  

    Merci beaucoup.

[Français]

    Nous entendrons à présent le professeur Garant, de l'Université Laval.
    Monsieur le président, messieurs les députés, membres de cet important comité, je vous ai fait parvenir quelques réflexions dont certaines portent sur l'arrière-plan constitutionnel. Peut-être que je suis en retard par rapport à ce sujet, mais je ne pouvais m'empêcher de venir dire — c'est la première fois que l'on m'invite — ce que je pense de ce nouveau processus de détermination de la rémunération de nos juges, au regard de la Constitution.
    Je vois dans la réponse actuelle du gouvernement du Canada, l'accomplissement d'une obligation constitutionnelle qu'a le Parlement du Canada d'assumer ses responsabilités constitutionnelles. Toutefois, je pense aussi qu'il est justifié de prendre ses distances du rapport de cette commission, et je vais m'expliquer.
    En matière constitutionnelle, la Cour suprême dit qu'il faut donner priorité au texte écrit de la Constitution, et ce texte écrit, vous le savez, c'est l'article 100 de la Constitution, même si, comme la Cour suprême l'a dit à plusieurs reprises, il existe ces fameux principes constitutionnels sous-jacents, qui peuvent être une source d'obligations pour les gouvernements et les parlements. Cependant, la Cour suprême nous dit, dans l'arrêt Bodner, et nous répète, en 2005, que ces principes constitutionnels non écrits, sous-jacents, ne sont pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution. « Bien au contraire — nous dit-elle au paragraphe 53 —, nous avons réaffirmé qu'il existe des raisons impératives d'insister sur la primauté de notre Constitution écrite ». Or, notre Constitution écrite, dans l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, prévoit, vous le savez bien, que les salaires, la rémunération, etc. des juges des cours supérieures sont fixés et payés par le Parlement du Canada.
    Et quand on s'interroge sur les raisons historiques de cette disposition, on voit qu'en 1867, les pères de la Fédération ont voulu que la rémunération de nos juges soit faite par le Parlement fédéral, alors que l'administration de la justice est dévolue aux provinces en vertu, comme vous le savez, de la Constitution. L'article 100 ne prévoit aucune consultation, même pas la consultation des provinces. Donc, si le constituant avait voulu qu'une consultation soit prévue sur le plan constitutionnel, il l'aurait probablement édicté.
    Comme vous le savez, seul le Parlement et les législatures peuvent modifier la Constitution, notamment ce texte de l'article 100. Il y a des procédures d'amendement constitutionnel, que vous connaissez, prévues aux articles 38 à 49 de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, je crois qu'en imposant au Parlement la création d'une commission indépendante qui doit être obligatoirement consultée et dont les recommandations s'imposent au Parlement lui-même, à moins que celui-ci ne justifie pourquoi il s'en écarte, à mon point de vue, la Cour suprême a apporté une modification structurelle à notre Constitution, usurpant — je m'en excuse — par là, le pouvoir constituant qui ne lui appartient pas. Je crois que cela est grave, dans un régime constitutionnel.
    Certes, la Cour suprême insiste sur l'importance des principes constitutionnels non écrits, mais, modifier le pouvoir souverain du Parlement, modifier le texte formel de la Constitution, est-ce vraiment, comme le dit la Cour suprême, combler les vides de la Constitution? Car la Cour suprême déclare que ces principes constitutionnels non écrits peuvent aider à combler les vides de la Constitution. Or, la souveraineté du Parlement — qui est la vôtre, donc celle des élus, est, en matière de finances publiques, extrêmement importante — no taxation without representation—, et la dépense du Trésor public est quelque chose de fondamental et fondamentalement inscrit dans notre tradition constitutionnelle depuis la Magna carta jusqu'à aujourd'hui.

  (1545)  

    Or, la détermination de la rémunération de l'ensemble des agents du secteur public est une question éminemment politique, comme nous l'a dit la Cour suprême. Il est difficile de dépolitiser cette action qui est confiée au gouvernement et au Parlement. Le Parlement et le gouvernement doivent répondre devant l'électorat.
    Alors, que sont ces commissions indépendantes que la Cour suprême a inventées, qu'elle nous a imposées, au regard du principe démocratique? Le principe démocratique est inscrit. C'est l'un des quatre grands principes fondamentaux de la Constitution, comme le dit la Cour suprême dans le Renvoi sur la Sécession du Québec, en 1998.
    Ces commissions ont-elles un caractère démocratique? Quelle est leur légitimité démocratique? Évidemment, vous me direz que je suis un peu tardivement critique de ce système, mais il reste que cela donne lieu à une réflexion et cela m'amène précisément à être d'accord sur la position du gouvernement, qui prend ses distances face au contenu de ce rapport.
    Parmi les responsabilités gouvernementales et parlementaires, il y a non seulement celles qui sont inscrites, et dont tient compte la Commission McLellan, mais il y a aussi des responsabilités beaucoup plus larges. Le gouvernement doit apprécier non seulement l'état de l'économie du Canada, mais aussi l'ensemble de la situation financière de la société, la part des ressources financières qui ira dans les différents programmes gouvernementaux, et j'ajouterais le rôle extrêmement important qu'a le Parlement fédéral dans la redistribution de la richesse, au sens de l'article 36 de la Constitution de 1982, le pouvoir fédéral de dépenser. Il y a une part importante du budget fédéral qui doit servir aux transferts vers les provinces pour soutenir des services publics essentiels, et ça, ce sont des préoccupations dont la commission, soi-disant indépendante, n'a pas à tenir compte. Ce sont des responsabilités gouvernementales et parlementaires et, à cet égard, je pense que le Parlement est autorisé à prendre ses distances par rapport au contenu des rapports des commissions.
    Cette commission, comme l'a répété la Cour suprême en 2005, a une fonction consultative. Or, une fonction consultative, ce n'est pas une fonction décisionnelle, vous le savez très bien. La Cour suprême avait d'ailleurs, dit dans un arrêt en 1992, qu'une recommandation n'est qu'une recommandation, ce n'est pas une décision et cela n'altère pas le pouvoir décisionnel du titulaire de ce pouvoir. Or, l'article 100 consacre un pouvoir décisionnel au Parlement, un pouvoir unilatéral.
    Il est intéressant à cet égard — j'en parle rapidement — de comparer l'article 100 avec l'article 99. L'article 99 prévoit le régime de révocation ou de destitution des juges et, il y a une trentaine d'années, la Loi sur les juges a été modifiée pour créer un Conseil de la magistrature et un régime disciplinaire et déontologique qui prévoit que des comités quasi judiciaires d'enquête du conseil peuvent recommander la destitution ou la révocation d'un juge. La constitutionnalité de ce dispositif a été soulevée devant un des comités, le comité impliqué dans l'affaire Gratton, en 1994, et subséquemment, le juge Barry Strayer a dû étudier cette question en Cour fédérale. On a considéré que ce processus n'altérait pas le pouvoir unilatéral du Parlement du Canada de révoquer des juges. À cet égard, on pourrait se demander en vertu de quelle logique, si le Parlement conserve son pouvoir souverain de rédiger une adresse qu'on appelle l'adresse au gouverneur général en conseil en vue de la destitution d'un juge, il serait lié par un rapport d'une commission indépendante en matière d'augmentation de la rémunération des juges?
    Dans un cas, il est question de la sécurité financière, un des ingrédients essentiels de l'indépendance constitutionnelle et, dans l'autre cas, il est question de l'inamovibilité, un autre ingrédient aussi, sinon plus, important encore des composantes de cette indépendance financière.

  (1550)  

    Maintenant, je dirai quelques mots sur ce qu'on retrouve dans tout ce qu'on peut lire depuis cinq ou six ans, aussi bien dans les arrêts de la Cour supérieure que dans ceux de la Cour d'appel, dans les rapports au niveau des différentes provinces et ceux au niveau fédéral. J'ai fait une somme considérable de lectures qui me font réfléchir et qui m'amènent à considérer que c'est un processus lourd qui a été mis sur pied, un processus complexe et qui peut difficilement satisfaire, je pense, les objectifs que ceux qui l'ont proposé avaient derrière la tête.
    Songez qu'au Québec, actuellement, le rapport de 2001 est toujours plus ou moins à l'étude : Cour supérieure, Cour d'appel, etc. Selon un rapport de 2004, il y a peut-être des contestations judiciaires à venir. Il faudrait recommencer : Cour fédérale, Cour suprême, etc., pour en arriver à appliquer des critères qui ne sont pas simples. Quant à des critères de rationalité simple, je vous épargne les explications, parce que j'ai lu, sous la plume d'éminents juges des cours d'appel, des cours supérieures, toutes sortes de nuances apportées à ce sujet.
    Qu'est-ce exactement que la rationalité simple, quand on dit, par exemple, au sujet du fondement factuel de la thèse du gouvernement, que le gouvernement essaie de justifier le fondement de la thèse qu'il adopte, le choix des fondements? On voit bien, en lisant les rapports, qu'on peut avoir des divergences d'opinions respectueuses quant au choix de certains critères, de certains facteurs de comparaison. Il y a des choses qui reposent presque sur une espèce de mythologie. On a véhiculé, au fil des années, un certain nombre de choses. Parfois, cela me fait sourire de constater, par exemple, qu'on insiste ou non tout à coup sur la comparaison entre les juges des cours supérieures et les sous-ministres.
    Il y a neuf DM-3 au Canada et deux DM-4. Il est évident que la plupart de ces DM-3 qui ont une formation juridique peuvent facilement devenir juges. Il y en a à la Cour suprême : l'ancien sous-ministre associé, etc. Mais l'inverse est-il vrai? Je connais un grand nombre de juges de la Cour supérieure et, pour rien au monde, je ne les nommerais sous-ministre d'un grand ministère fédéral. Et plusieurs, quand ils voient qu'ils sont censés avoir des compétences exceptionnelles — c'est du moins ce qu'on lit dans les rapports — reconnaissent être de bons juges, connaître le droit, être capables de faire progresser les litiges, d'être des humains à l'écoute capables de rédiger des décisions, mais ne croient pas avoir des compétences exceptionnelles. C'est pourtant ce qu'on lit dans les rapports : il faudrait que les juges soient exceptionnels, aussi exceptionnels que nos neuf sous-ministres ou nos 11 sous-ministres, qui, naturellement, ont des responsabilités qui ne sont pas du tout — d'ailleurs, les rapports le disent — du même ordre que celles des juges des cours supérieures. La responsabilité d'un sous-ministre est énorme : les programmes gouvernementaux, la reddition de comptes, la direction d'un personnel considérable, etc. Je pense que c'est un exemple de ces mythes qu'on véhicule très souvent.
    Pour comparer, on se sert des normes de comparaison applicables aux avocats de pratique privée, des grands cabinets des grandes villes. Comme on le voit dans les rapports de la commission, on ne tient pas compte de la rémunération de l'ensemble des juristes du secteur public. Comparons, par exemple — c'est un mauvais exemple peut-être, parce qu'il n'est pas très convaincant — leur rémunération à celle des professeurs de droit.
    Une voix: Ce n'est pas rien, ce n'est pas rien.
    M. Patrice Garant: Ce n'est pas rien, mais il y a une différence considérable, quand on connaît le sommet de l'échelle de rémunération des avocats de pratique privée. De plus, on n'a pas une obligation d'exclusivité d'emploi, alors on peut avoir d'autres activités, faire des recherches, mais pour arriver à gagner 230 000 $ ou 220 000 $, il faudrait qu'un professeur de droit travaille sept jours par semaine, 370 jours par année, je suppose. Ce sont des points de comparaison sur lesquels on peut diverger d'opinions, et quand un gouvernement, pour de bonnes raisons étudiées par ses fonctionnaires décide d'être en désaccord avec ces rapports, moi, je ne suis pas du tout scandalisé. Et qu'un gouvernement qui succède à un autre gouvernement n'est pas tout à fait de la même opinion que le précédent, c'est normal.
    Alors voilà, je pourrais ajouter bien d'autres éléments. Et quand on considère, par exemple, la qualité des juges de nos cours supérieures, surtout en première instance, on constate que beaucoup d'excellents juges ne proviennent pas des grands bureaux d'avocats de Montréal ou de Québec, ils viennent des bureaux d'aide juridique, de la fonction publique, etc. Alors, il faut ratisser beaucoup plus large que ne le fait la Commission McLellan.

  (1555)  

    Monsieur le président, je vous remercie de votre patience. Je répondrai aux questions plus tard.

[Traduction]

    Merci, monsieur Garant.
    Je voudrais remercier les deux témoins d'avoir bien voulu nous fournir leurs mémoires écrits avant la réunion. C'est bien utile pour les membres.
    Nous allons commencer par un tour de sept minutes, et le premier intervenant sera M. Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    Je voudrais tout d'abord souhaiter la bienvenue à nos témoins de l'Association du Barreau canadien. Lorsque j'étais ministre de la Justice, j'ai beaucoup profité de vos conseils, y compris sur la question dont nous sommes saisis aujourd'hui.

[Français]

    Je voudrais aussi souhaiter une chaleureuse bienvenue au professeur Garant, que j'ai rencontré, à titre de ministre, à la Faculté de droit de l'Université Laval.

[Traduction]

    Je comprends que le principe constitutionnel fondamental sur lequel repose le mémoire de l'Association du Barreau canadien est celui de l'indépendance de la magistrature, qui représente la pierre angulaire de notre processus démocratique et de notre régime constitutionnel, principe qui a pris encore plus d'importance depuis l'adoption de la Charte. La sécurité financière est une composante fondamentale de cette indépendance. D'ailleurs, comme le précise votre mémoire, un important principe connexe veut que non seulement la magistrature soit indépendante, mais qu'elle soit perçue comme telle -- et c'était justement la raison pour laquelle l'on établit une commission indépendante. Le fait est que cette commission indépendante -- et là je réponds également aux arguments du professeur Garant -- a été mise sur pied afin de protéger ce principe constitutionnel, de protéger notre démocratie constitutionnelle, car avec l'avènement de la Charte des droits et libertés nous sommes passés d'une démocratie parlementaire à une démocratie constitutionnelle, dans le contexte de laquelle le principe de l'indépendance de la magistrature revêt une plus grande importance, comme je viens de le dire.
    Pour moi, le travail de la commission indépendante devait nous permettre de protéger ce principe de notre démocratie constitutionnelle plutôt que de l'usurper, monsieur Garant, c'est-à-dire de dépolitiser le processus d'établissement des salaires et avantages sociaux des juges et de s'assurer que ces salaires et avantages sociaux seraient établis par suite d'une enquête factuelle menée par une commission qui accomplirait son travail indépendamment du gouvernement et de la magistrature, tout en permettant au Parlement de jouer un rôle important qui consiste à concrétiser ce principe.
    Si je comprends bien, le rôle du Parlement -- et là je fais intervenir à la fois vos observations et celles de M. Garant -- peut se décrire ainsi. La Constitution n'exige pas que le rapport de la commission soit exécutoire, mais le gouvernement doit énoncer des motifs rationnels ou légitimes qui puissent justifier qu'il ne donne pas suite aux conclusions de la commission, et ce motif doive avoir un fondement factuel et probatoire, le tout en vue de protéger l'indépendance de la magistrature. Par conséquent, lorsqu'un comité permanent du Parlement, comme le nôtre, examine la réponse du gouvernement au rapport d'une commission, il nous incombe -- et c'est pour cela que le Parlement a un rôle important à jouer, indépendamment du rôle parlementaire qui est usurpé -- de s'assurer que les motifs énoncés par le gouvernement, comme le dit l'Association du Barreau canadien, ne sont pas incomplets, généralisés, ou pauvres en détails
    Voilà qui m'amène justement au point essentiel. Vous êtes d'avis, si je comprends bien en m'appuyant sur ce que vous nous avez dit aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien -- et j'accepte cet avis -- que la réponse du gouvernement est à ce point générale et pauvre en détails qu'on ne peut considérer qu'elle donne suite au rapport de la commission de 2003. Les prétendus motifs du gouvernement ne nous permettent pas de savoir ni comment ni pourquoi la mise en oeuvre des recommandations de la commission aurait pour résultat, comme vous dites, de compromettre ou de diminuer la capacité du gouvernement de concrétiser ses priorités économiques et sociales, telles qu'elles sont présentées dans le budget de 2006, priorités qui n'ont pas pu être établies avant le travail de la commission de 2003.
    Pour résumer, on ne nous fournit aucune justification ou explication qui nous permettrait de comprendre pourquoi les conclusions de la commission ont été rejetées. Voilà donc la question que je voudrais poser aux représentants de l'ABC: est-il juste de dire que, étant donné ce que j'appelle l'impératif constitutionnel consistant à protéger l'indépendance de la magistrature, et l'absence d'une explication factuelle permettant de justifier le rejet des décisions de la commission, le comité permanent devrait appuyer la recommandation de cette commission indépendante?
    L'un ou l'autre des témoins peut répondre.

  (1600)  

    Merci, monsieur Cotler.
    Vous avez bien résumé la situation relativement à deux éléments. Premièrement, vous avez résumé la position que l'Association du Barreau canadien a essayé de définir dans ses motifs, et deuxièmement, vous avez mis le doigt sur le dilemme que présente la réponse du gouvernement pour l'Association du Barreau canadien en ce qui concerne les deux motifs que le gouvernement y annonce. Il ne fait aucun doute que la loi autorise le gouvernement fédéral à tenir compte de sa situation économique et financière globale. Mais quand nous avons examiné les trois paragraphes de la réponse, qui était la première réponse donnée par le gouvernement fédéral, nous n'avons pas réussi à établir la correspondance entre ces derniers et le mandat constitutionnel défini par le gouvernement fédéral, à savoir d'avoir des motifs rationnels et logiques de ne pas retenir les recommandations de la commission.
    Encore une fois, et c'est une opinion que nous soumettons respectueusement au gouvernement fédéral, la Constitution exige que ces motifs ne se résument pas à de simples déclarations rejetant ou désapprouvant les recommandations. Voilà donc qui présente une difficulté, parce que nous ne savions pas ni comment, ni dans quelle mesure, cet élément avait influencé les autres motifs évoqués par le gouvernement dans sa réponse.

  (1605)  

    Vous dites également qu'il existe un processus en bonne et due forme, et notamment qu'il faut agir et prendre la décision dans les plus brefs délais, car l'indépendance de la magistrature sera compromise tant que nous n'aurons pas pris la décision de donner suite aux recommandations de la commission indépendante.
    Disons que cet état de choses inquiète beaucoup l'Association du Barreau canadien. Et nous invitons les membres du comité à tenir compte du fait que la prochaine commission se réunira en 2007; par conséquent, il faut faire aboutir cette démarche et passer à autre chose. Sinon, nous allons simplement aggraver le problème.
    Il reste une demi-minute, monsieur LeBlanc. Vous avez donc une demi-minute.
    Merci, monsieur le président.
    Ma question est très précise, et c'en est une que me posent d'ex-associés qui exercent le droit au Nouveau-Brunswick ainsi que d'autres membres du Barreau dans ma province. Tous ont été très déçus d'apprendre que le gouvernement avait décidé de supprimer les dispositions de la loi précédente qui créent des sièges additionnels au Tribunal unifié de la famille. Ma question ne porte pas spécifiquement sur la question de la rémunération, la loi précédente incluait cet élément-là.
    Je me demande donc si, selon vous, l'élimination de ces dispositions pourrait éventuellement porter préjudice aux nombreuses causes qui concernent la garde et la protection des enfants dans ma province, causes qui peuvent être retardées actuellement et qui bénéficieraient par conséquent d'une capacité accrue au Tribunal de la famille. C'est une situation qui concerne l'ensemble du Canada, mais j'en entends parler au Nouveau-Brunswick.
    Je voudrais savoir ce que vous pensez du fait que ces dispositions ont été supprimées de la loi.
    Il est évident que certains membres de l'ABC ont justement constaté qu'il y a des retards dans le traitement des causes aux tribunaux de la famille non seulement du Nouveau-Brunswick, mais ailleurs également. En ce qui nous concerne, c'est un problème dans tout le Canada, et nous étions certainement favorables à l'idée d'élargir l'effectif des juges aux tribunaux unifiés de la famille, comme le prévoyait l'autre projet de loi. Nous avons demandé au ministre d'envisager de ramener ces dispositions, et nous espérons qu'il acceptera de le faire.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Ménard, pour sept minutes.

[Français]

    Monsieur le président, il me fait plaisir de saluer nos témoins. Je suis particulièrement heureux de retrouver le professeur Garant. Contrairement à mon collègue, je n'ai pas eu le plaisir de bénéficier directement de son enseignement. Je suis convaincu, néanmoins, que c'est un professeur très dynamique et fort apprécié de ses étudiants.
    Monsieur Garant, j'aimerais aborder avec vous deux questions.
    La commission existe et il faut, bien sûr, composer avec cet état de chose. On ne peut pas en faire abstraction. Le groupe qui a comparu hier devant nous m'a un peu déçu. En effet, il va bien falloir que nous ayons des critères de comparaison. Il faut payer les juges. Nous voulons qu'ils soient bien payés, imperméables à toute corruption ou vicissitude politique et inamovibles, sauf en cas de mauvaise conduite. Nous voulons aussi, évidemment, qu'ils soient impartiaux.
    Je pourrais pousser l'audace jusqu'à vous demander combien gagne un professeur de droit au meilleur de son salaire, mais je vais faire preuve de retenue, à moins que vous vouliez lever le voile sur cette question. Vous dites dans votre mémoire qu'au sein de la profession juridique, ceux qui gagnent bien leur vie font un salaire d'environ 150 000 $. J'ai aimé la comparaison que vous avez faite avec les sous-ministres des catégories 3 et 4.
    Pour que nous déterminions un salaire adéquat pour les juges, qu'est-ce que vous proposez comme base de comparaison? Combien gagne un sous-ministre de niveau 3 et 4 au gouvernement fédéral? Enfin, si vous voulez également répondre aux questions suivantes, je vous demanderai quelles sont d'après vous les qualités requises pour être respectivement un bon juge et un bon sous-ministre.
    Je crois qu'il faut considérer un ensemble de critères et non privilégier uniquement les sous-ministres des niveaux 3 et 4 de même qu'une certaine catégorie d'avocats de la pratique privée qui, parce qu'ils gagnent une fortune, sont considérés comme ayant bien réussi.
    Il faut élargir la palette, et c'est ce que semble dire le gouvernement dans son rapport. Il faut vraiment avoir des critères de comparaison.

  (1610)  

    Donnez-nous des exemples.
    Le milieu juridique n'inclut pas que les avocats des grands cabinets en milieu urbain. Il y a aussi des fonctionnaires. On parle des sous-ministres, mais il existe également un grand nombre de professionnels. Il y en a plusieurs milliers au Canada. Dans tous les ministères de la Justice et dans d'autres ministères, ils font du droit, exercent des responsabilités très importantes, entre autres conseiller leur ministre. Dans leur cas, l'échelle de traitement peut varier, mais elle ne dépasse pas 150 000 $.
    On peut penser aussi aux professeurs de droit. Évidemment, c'est un domaine où on négocie les conventions collectives. Il est rare, cependant, que dans le cadre d'une convention collective, on dépasse 100 000 $ ou 120 000 $. De plus, comme il n'y a pas d'exclusivité d'emploi, les professeurs peuvent détenir des droits d'auteur ou faire de la consultation. Il reste qu'on parle ici de montants pouvant varier entre 25 000 $ et 50 000 $ environ. C'est probablement le maximum que peut décemment obtenir un professeur, à moins qu'il s'agisse d'une grande vedette. Je pense que M. Cotler pourrait le confirmer.
    Oui, mais M. Cotler n'est pas attaché aux biens de cette terre. C'est pourquoi je ne lui ai pas adressé la question.
    Je vais aborder ma deuxième question. Au Bloc québécois, nous voulons lier le mécanisme d'augmentation salariale des juges à celui des élus. C'est un principe que nous défendons, et nous bénéficions dans les circonstances du leadership présent mais subtil de mon leader parlementaire. Or, nous sommes très indignés, au Bloc québécois, du fait que la juge en chef de la Cour suprême, si le projet de loi était adopté, gagnerait 3 000 $ de plus que le premier ministre. Nous pensons aussi, selon un principe de légitimité démocratique, que les juges ne devraient pas gagner plus que des députés.
    N'allez pas penser que je veux une augmentation de salaire de 10 p. 100. J'aimerais néanmoins connaître votre opinion. Pensez-vous qu'on devrait relier l'augmentation de salaire des députés à celle des juges?
    Je suis porté à penser que les parlementaires, vu les responsabilités qu'ils assument, devraient être mieux rémunérés. Pour ce qui est de leur octroyer le même niveau de rémunération que les juges, je n'en serais pas scandalisé, étant donné leurs responsabilités. Il reste que notre société véhicule certains mythes. On s'est toujours attendu, par exemple, à ce que la rémunération des juges soit beaucoup plus élevée que celle des parlementaires ordinaires et même des ministres.
    Est-ce que j'ai le temps de poser une dernière question, monsieur le président? Je ne voudrais pas abuser.
    J'ai été surpris de votre déclaration. J'aimerais savoir, au sujet de ceux qui ont accédé au poste de juge dans les diverses cours de justice, si le fait d'être membre d'un cabinet — et je n'en désignerai aucun en particulier — à Montréal ou à Québec est un facteur qui favorise la sélection. On veut bien sûr savoir quelles sont les personnes les plus qualifiées pour être juge. À mon avis, il faut bien connaître le droit, avoir un esprit de synthèse et des valeurs qui concordent passablement avec celles qui prévalent, ce qui n'exclut pas le droit à la dissidence. Certaines personnes s'en sont prévalu plus que d'autres sur le banc de la Cour suprême. Le fait de provenir d'un grand cabinet d'avocats et de pratiquer dans un centre urbain n'est pas un facteur intéressant, selon vous?
    C'est intéressant, mais ce n'est pas un facteur unique. J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi les commissions lui accordent une si grande importance. Je connais de nombreux fonctionnaires ayant une formation juridique qui travaillent dans des ministères partout au Canada. Dans les tribunaux administratifs, un domaine que je connais relativement bien, se trouvent des gens dont les compétences sont remarquables. Certains deviennent juges.
    Avez-vous pensé au fait qu'un grand nombre d'avocats gagnent des honoraires considérables dans des secteurs du droit qui ne préparent pas très bien à la pratique ordinaire? Les avocats qui travaillent auprès des corporations, par exemple, sont très souvent davantage des hommes d'affaires. Ils travaillent entre autres au sein de conseils d'administration. Imaginez que du jour au lendemain, vous envoyiez ces gens présider des procès en droit de la famille, qui exigent de la psychologie et ainsi de suite.
    D'ailleurs — et M. Cotler pourra le confirmer —, un grand nombre de ces avocats provenant des grands bureaux de Toronto, Vancouver et Montréal n'accepteraient pas de faire carrière dans une Cour supérieure, sauf peut-être à la Cour d'appel ou à la Cour suprême, parce que ça ne leur conviendrait pas. Leur pratique professionnelle ne se compare absolument pas à celle d'un juge d'une cour supérieure, qui entend un grand nombre de causes en droit de la famille, en droit privé ou en droit commercial, entre autres.

[Traduction]

    Monsieur Comartin, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je dois présenter mes excuses au comité et aux témoins de mon retard cet après-midi, mais comme vous le savez, monsieur le président, j'étais pris à la Chambre sur une question de privilège.
    Monsieur Garant, à mon avis, personne autour de cette table ne doute du fait que les pouvoirs constitutionnels au Canada, en ce qui concerne l'établissement des salaires des juges, sont détenus par le gouvernement -- ou plutôt par le Parlement, en fin de compte. À mon avis, le mémoire que vous nous avez présenté confirme tout cela. Mais je soumets respectueusement que vous avez négligé d'aborder les points qu'explore le mémoire de l'ABC, à savoir qu'il existe trois critères de base qui sont généralement acceptés dès lors qu'il s'agit d'analyser la réponse du gouvernement au rapport d'une commission. Vous ne les avez abordés qu'indirectement dans votre exposé.
    Il y a donc trois critères de base. Premièrement, le gouvernement doit énoncer des motifs rationnels lorsqu'il décide de ne pas retenir les recommandations de la commission. Deuxièmement, le gouvernement, s'il souhaite rejeter les recommandations de la commission, doit pouvoir indiquer le fondement factuel et raisonnable de son rejet. Et troisièmement, la démarche du gouvernement doit respecter le processus mis en branle par la commission.
    Ce que les membres de la commission nous ont dit hier, notamment pour ce qui est de ce dernier point, c'est qu'ils avaient l'impression qu'on avait totalement manqué de respect envers eux en leur imposant notre démarche, et ils étaient d'accord avec l'ABC pour dire que le gouvernement n'avait pas énoncé de motifs rationnels ou n'avait pas indiqué le fondement raisonnable et factuel de son rejet.
    Je voudrais donc que vous me disiez en quoi la position adoptée par le gouvernement vous semble valable, notamment par rapport aux deux premiers critères?

  (1615)  

[Français]

    En ce qui concerne le troisième, je ne crois pas que dans la réponse du gouvernement, on mentionne que le processus a été vicié. Pour ma part, je dois dire que le niveau de preuve, l'argumentation que doit soumettre le gouvernement, me satisfait.
    Évidement, le gouvernement pourrait élaborer davantage quand il nous dit, par exemple, qu'il a d'autre priorités économiques et sociales et que celles-ci ne cadrent pas avec les préoccupations normales de ce genre de commission. L'attention de cette dernière se concentre en effet sur des aspects particuliers de la dépense publique tels que la politique de rémunération des juges.
    Le gouvernement dit avoir bien d'autres priorités économiques et sociales et que celles-ci l'amènent à répartir différemment le budget. Jusqu'où peuvent se rendre nos exigences face au gouvernement? Par exemple, le gouvernement devrait-il, pendant des pages et des pages, nous déballer tout le programme politique en vertu duquel il a été élu et préciser comment le prochain budget mettra en oeuvre ce programme?
    Pour ma part, je suis relativement satisfait. Je vois mal comment l'exposé des éléments de preuve que le gouvernement et le Parlement doivent faire pour tenter de convaincre qu'il est justifié de prendre ses distances, donc d'écarter la recommandation, pourrait aller beaucoup plus loin. Évidemment, on se trouve dans des zones assez marginales. La commission propose un montant de 240 000 $. Le gouvernement dit de son côté que pour telle et telle raison, la somme de 230 000 $ lui paraît raisonnable dans les circonstances. Il pourrait peut-être donner plus de détails sur ces raisons.
    Présentez cela devant un juge, devant une cour, peu importe dans quelle province. Pensez-vous qu'une cour dira que les trois raisons ont été développées adéquatement par le gouvernement? Il n'a pratiquement rien expliqué concernant les changements apportés aux recommandations.
    Vous pourriez faire comme on l'a fait au Québec, c'est-à-dire de renvoyer l'affaire au gouvernement et lui demander d'étayer et d'élaborer davantage ses justifications, sans pour autant prétendre qu'il a tort de prendre ses distances, vu ses priorités. Le gouvernement pourrait traiter cette question assez rapidement. Si vous la jugez valable, cette approche pourrait porter fruit.
    On ne peut pas faire ce genre de chose, professeur Garant. Ce n'est pas du ressort du comité.
    Ce serait oui ou non.

[Traduction]

    Monsieur Leurer, pourriez-vous vous prononcer sur ce que j'appellerais l'insuffisance des motifs énoncés par le gouvernement? Si nous essayons, encore une fois, de porter un jugement là-dessus à l'aide d'un élément de décision neutre qui s'appuie sur le droit constitutionnel et la pratique au Canada, selon vous, la position du gouvernement serait-elle encore plus faible en ce sens que les motifs qu'énonce ce dernier sont exactement les mêmes qu'au départ, comme nous le fait remarquer la commission elle-même dans son rapport? Vous n'en avez pas parlé dans votre mémoire, mais selon vous, cela risque-t-il d'affaiblir encore plus la position du gouvernement devant un tribunal indépendant imaginaire?

  (1620)  

    Je dois résister à la tentation de répéter un certain nombre d'éléments que nous avons examinés dans le mémoire écrit que nous vous avons fait parvenir.
    Dans ses décisions et jugements sur la question, la Cour suprême a déclaré que le gouvernement ne doit pas se contenter de répéter les arguments qu'il a fait valoir auprès de la commission au moment d'énoncer les motifs de son rejet des recommandations du rapport de la commission.
    Dans ce contexte-là, c'est certainement le genre d'observations que pourrait faire une tierce partie en examinant ces motifs, et vous comprendrez donc plus facilement pourquoi nous avons tant de mal à trouver, dans les trois paragraphes de cette réponse, les motifs ou des éléments qui permettraient d'expliquer la raison pour laquelle le gouvernement trouvait justifié de ne pas donner suite aux recommandations de la commission en raison de sa position économique et financière. À notre avis, c'est un élément secondaire qui milite en faveur de notre conclusion, sans pour autant constituer en lui-même un motif.
    Je voudrais aborder très brièvement l'autre question dont on a un peu parlé, et c'est la question des éléments de comparaison.
    En ce qui concerne l'Association du Barreau canadien, il convient d'insister sur le fait que les juges doivent être avocats. Le fait est que les questions sur lesquelles les tribunaux sont appelés à rendre une décision sont de plus en plus importantes, ce qui donne parfois lieu à des réactions négatives.
    Mais pour nous, c'est un jeu de dupes. Nous exhortons donc le comité à ne pas opter pour ce genre d'étude comparative maintenant. La question critique en l'occurrence est celle de la démarche et la mesure dans laquelle la réponse du gouvernement a respecté les conditions de cette démarche.
    J'espère que cette réponse vous satisfera, monsieur Comartin.
    Elle me satisfait, effectivement.
    Permettez-moi, cependant, d'aller un tout petit peu plus loin, même si je suis d'accord pour dire qu'il ne convient pas que le comité se penche sur ce genre de détails. Il reste que M. Ménard du Bloc québécois soulève sans arrêt un point qui ne présente aucun intérêt, à mon avis, au sujet du lien possible à établir entre les salaires des juges et les salaires versés aux députés. Pourriez-vous nous dire si, selon vous, la commission aurait dû en tenir compte?
    La chose la plus utile que je puisse faire pour vous aider, monsieur Comartin, ainsi que les autres membres du comité, consiste à vous renvoyer au rapport de la commission proprement dit. Il s'agit justement d'une question à propos de laquelle des conclusions ont été déposées auprès de la commission. La commission -- à juste titre, à mon avis -- indiquait qu'il ne lui appartenait pas -- et d'après nous, il en va de même pour vous -- d'examiner les conséquences possibles d'autres décisions ayant pour résultat d'établir un lien entre les salaires de certains et les salaires des juges. La question qui doit nous intéresser au plus haut point en l'occurrence, et vu l'impératif constitutionnel, est la nécessité d'établir les salaires des juges conformément à la démarche prescrite par la Cour suprême.
    Votre temps est écoulé.
    Monsieur Moore, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président et merci à tous nos témoins d'avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd'hui.
    J'ai une ou deux questions à vous poser, mais j'aimerais vous dire, tout d'abord, que je trouve que la réponse, et notamment celle de l'opposition, a été de nature un peu alarmiste. À bien des égards, je suis d'accord avec les observations de certains des témoins que nous avons reçus, et je suis également d'accord avec l'Association du Barreau canadien pour dire que nous devons agir rapidement. En fait, je dirais que notre gouvernement a agi très rapidement. Peu de temps après avoir été élus, nous avons déposé ce projet de loi. Nous avons ensuite examiné les conclusions du comité. En fait, ce projet de loi reprend toutes les recommandations du comité, à une exception près, et c'est celle qui concerne les salaires. Certains prétendent que cette démarche mine l'indépendance judiciaire, mais j'estime qu'une telle réaction est alarmiste. Je sais très bien que telle n'est pas du tout son intention.
    Monsieur Garant, vos témoignages sur les fondements constitutionnels de la question m'ont beaucoup intéressé, puisque vous dites que même aujourd'hui, c'est nous, les parlementaires et membres du gouvernement qui sommes responsables des deniers publics en fin de compte.
    Donc, le fait est que le gouvernement a agi rapidement en déposant ce projet de loi. Le seul élément qui ne cadre pas parfaitement avec la recommandation du comité est celui-ci: le comité a recommandé que les juges reçoivent une augmentation de 10,8 p. 100 qui serait rétroactive à 2004, et après avoir dûment examiné cette recommandation, nous avons conclu que son analyse comportait certaines lacunes et qu'il serait donc préférable de recommander une augmentation de 7,25 p. 100.
    Donc, je tiens à vous faire savoir que, selon moi, et selon le gouvernement, cette décision n'influe aucunement sur l'indépendance de la magistrature. Certaines observations assez alarmistes ont été faites à ce sujet, certains laissant entendre que cela pourrait compromettre le fondement même de notre régime et que les juges pourraient plus facilement faire l'objet de corruption, mais tout cela me semble assez farfelu. Que nous retenions la solution (a) ou la solution (b), je ne crois pas que les juges seront plus susceptibles d'être mêlés à des actes répréhensibles. Laisser entendre une telle chose dénote, à mon avis, un manque de confiance dans notre magistrature.
    J'ai presque l'impression, en écoutant les membres de l'opposition, qu'il est impossible que la commission -- une commission indépendante composée d'un membre nommé par le gouvernement, d'un membre nommé par la magistrature, et d'un autre membre choisi par les deux partis -- fasse quoi que ce soit qui ne cadre pas parfaitement avec les attentes du public et les responsabilités du gouvernement. Je me demande donc comment nous aurions réagi, compte tenu de nos responsabilités, si la commission avait recommandé une augmentation salariale de 30 p. 100.
    Nous avons tous une idée de ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas. Je sais que si vous parlez à des avocats, et c'est certainement votre cas, la plupart des avocats qui sont membres de l'Association du Barreau canadien, quelles que soient les augmentations qui sont accordées en fin de compte -- que cela cadre avec la recommandation ou que ce soit une solution intermédiaire -- seraient tout à fait ravis d'être nommés juges. Je dirais même que certains avocats et surtout ceux qui finissent par être nommés juges trouveraient peut-être insultant que les gens pensent que le salaire qu'ils touchent est une considération importante pour eux. Bon nombre de personnes accepteraient volontiers d'assumer cette responsabilité même si les juges touchaient les moitiés moins de ce qu'ils touchent actuellement. Donc, se dire que 10,8 p. 100 correspond à une sorte de chiffre magique... parce que j'ai vraiment l'impression, en écoutant les membres de l'opposition, qu'il est tout à fait impossible qu'on accepte l'autre chiffre, et que cette recommandation de 10,8 p. 100 est tout à fait inattaquable.
    Par exemple, comparativement aux revenus se situant au 75e centile dans tous les centres provinciaux, urbains et ruraux, on avait, selon nous, mis trop l'accent sur les revenus en milieu urbain. Et je peux vous dire -- d'ailleurs, vous le savez tous déjà -- que les personnes qualifiées et même hautement qualifiées qui seraient ravies d'être nommées juges et de devenir membre de la magistrature ne manquent pas.

  (1625)  

    Mais peut-être pourriez-vous m'indiquer dans quel contexte ce serait raisonnable? Dans quel scénario le critère serait-il respecté? Et aux représentants de l'Association du Bureau canadien, je constate que d'après vous, le gouvernement a respecté certains des critères établis par la Cour suprême, et par conséquent, j'aimerais que vous me disiez ce qu'il faudrait faire ou dans quel contexte l'ensemble de ces critères serait respecté?
    Merci, monsieur Moore. Je vais faire de mon mieux pour répondre à votre question.
    D'abord, j'aimerais revenir sur l'une des questions que vous avez évoquées dans vos commentaires, à savoir la situation hypothétique -- et j'insiste bien sur le terme « hypothétique » -- d'une recommandation de la part de la commission consistant à augmenter les salaires de 30 p. 100, même si -- et je ne commenterai pas plus longuement cet élément -- la commission n'a évidemment pas fait une telle recommandation, puisqu'elle a recommandé un tout autre chiffre.
    En ce qui concerne l'Association du Barreau canadien, le principe fondamental dans ce contexte n'a rien à voir avec le chiffre lui-même. La commission a expliqué comment elle en est arrivée à ce chiffre, et une fois que la commission a proposé un certain chiffre, il est clair, du point de vue de ce que prévoit la Constitution, que l'analyse qu'il convient de faire à ce moment-là ne doit porter que sur la démarche elle-même.
    Et voilà que cela m'amène à aborder la deuxième question que vous avez posée, en demandant l'avis de l'Association du Barreau canadien au profit de la commission, à savoir quelle serait une réponse appropriée de la part du gouvernement? Là je dois réinsister sur le problème que pose cette démarche et les éléments de la réponse du gouvernement pour l'Association du Barreau canadien, puisque vous dites à juste titre que le gouvernement a expliqué le choix d'un élément de comparaison différent pour en arriver à un chiffre particulier.
    Le problème, c'est que le point de départ des motifs que le gouvernement énonce l'un après l'autre dans sa réponse n'explique pas le rapport entre la nécessité de ne pas retenir la recommandation de la commission et -- pour reprendre ses propres termes -- la « position économique et financière » du gouvernement. Par conséquent, nous nous retrouvons dans un vide ce qui nous oblige en quelque sorte à simplement lui faire confiance... On nous a dit que « la population canadienne s'attend à ce que toute dépense publique soit raisonnable et généralement proportionnelle aux autres pressions économiques et priorités fiscales ». Mais rien dans ce rapport ne nous permet de déterminer pourquoi la recommandation de la commission n'est pas raisonnable et généralement proportionnelle aux autres pressions économiques et priorités fiscales. C'est là que ça ne va plus, en ce qui concerne l'Association du Barreau canadien.

  (1630)  

[Français]

    J'aurais tendance à relier cette question à l'idée de perception d'indépendance, qui a été abordée de ce côté-ci de la table. Devant la commission, le processus qui a eu lieu était très correct. Je crois que l'association avait demandé une augmentation de 17 p. 100. La commission, qui s'est fondée sur des études sérieuses, a tenu des audiences et consulté un bon nombre de gens, dont des experts, propose une augmentation de 18,9  p. 100. Pour des raisons un peu différentes, assez bien expliquées dans la réponse du gouvernement, celui-ci propose une augmentation de 7,5 p. 100.
    Demandez au grand public, à vos électeurs ou aux 750 000 prestataires de l'assurance-emploi s'ils considèrent déraisonnable une telle augmentation de traitement. Demandez aux 40 p. 100 de travailleurs de la Ville de Montréal qui gagnent moins de 30 000 $ par année s'ils ont l'impression que nos juges ne sont pas indépendants du fait qu'on n'augmente pas leur rémunération de 17 p. 100 ou de 10,5 p. 100. Je pense que la réponse sera évidente.
    Comme député, vous devez comprendre que cette perception d'indépendance ne tient pas à ce genre de chose. Ces questions ne vont pas changer grand-chose. Les spécialistes que nous sommes entretiennent peut-être un mythe en s'attardant à ces questions et en triturant le rapport de la commission de même que la réponse du gouvernement. À mon avis, si on regarde les choses globalement, on peut avoir la satisfaction de constater que dans notre régime constitutionnel, le judiciaire est indépendant et le processus de rémunération est satisfaisant. Que chacun prenne ses responsabilités. Le Parlement a la sienne, qui est de nature constitutionnelle.
    J'ai précisé qu'à mon avis, il pouvait prendre ses distances. Il a de bonnes raisons de le faire. Peut-être aurions-nous aimé obtenir un peu plus que ce qui est indiqué aux pages 5 et 6. L'ensemble de la population connaît les priorités gouvernementales. Les gens veulent qu'il y ait des transferts fédéraux pour diminuer les listes d'attente dans le domaine de la santé ou pour améliorer le système des garderies. Le grand nombre de programmes gouvernementaux fédéraux suppose que le gouvernement va devoir investir beaucoup d'argent. Or, cet argent, il ne peut pas l'investir ailleurs.

[Traduction]

    Vous avez eu environ 11 minutes. Merci.
    Je donne maintenant la parole à M. Bagnell, qui dispose de cinq minutes. Ensuite ce sera à M. Lemay et à M. Petit.
    Ma question s'adresse aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Je dirais que la question la plus importante pour l'opposition, pour moi, personnellement, et peut-être pour vous également, est le risque qu'un changement frivole ou idéologique touchant les salaires des juges menace l'indépendance de la magistrature.
    Hier nous avons reçu les membres de la commission, et je vous fais remarquer que telle n'était pas leur plus grande préoccupation. Leur plus grande préoccupation concernait le fait qu'après que le gouvernement au pouvoir avait déjà pris une décision au sujet du rapport de la commission, que tous les détails étaient réglés et que les mesures devaient être mises en oeuvre, un nouveau gouvernement a été élu et a décidé de tout changer. Les membres de la commission ont eu une attaque d'apoplexie en apprenant cela, car selon eux, en agissant ainsi, le gouvernement transformait toute cette démarche en une véritable parodie.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

  (1635)  

    D'abord, je me dois de vous faire remarquer que l'Association du Barreau canadien estime que le premier projet de loi aurait dû être adopté, auquel cas la pertinence de votre point devient discutable. À part cela, l'Association du Barreau canadien n'a pas encore pris position sur la mesure dans laquelle le changement d'opinion du nouveau gouvernement est constitutionnel.
    Ce n'est pas l'aspect constitutionnel qui m'intéresse, mais plutôt le fait que le gouvernement fait fi de l'esprit d'indépendance de la commission et de toute la démarche.
    Il m'est impossible de m'éloigner de la première conclusion que j'ai tirée tout à l'heure, car il aurait fallu, pour respecter l'esprit de la loi, que le gouvernement réagisse rapidement et qu'il donne suite aux rapports de la commission elle-même. Or nous sommes à moins de 12 mois de la création de la prochaine commission quadriennale. Je ne sais pas si je peux vraiment aider davantage les membres du comité sur cette question.
    Pour en revenir au principal sujet d'inquiétude dont nous avons déjà parlé, si vous payez quelqu'un et qu'il vous est possible de fixer son salaire, cette personne n'est pas vraiment indépendante; d'après ce que nous avions compris, c'est justement pour cette raison qu'on a mis sur pied une commission indépendante, et je pense qu'on a laissé entendre hier en comité que c'est seulement dans une situation tout à fait dramatique qu'il devrait y avoir lieu de modifier les recommandations de la commission.
    Je pense que vous conviendrez avec moi pour dire qu'il n'y a pas de raisons dramatiques qui justifieraient que nous compromettions la perception publique de l'indépendance de la magistrature en modifiant ainsi les recommandations salariales qui ont été faites.
    En termes simples, le critère prévu -- l'existence ou la non-existence de motifs rationnels et légitimes qui s'appuient sur des faits -- n'est pas respecté, selon l'Association du Barreau canadien. Encore une fois, nous avons le sentiment qu'une personne raisonnable, mettant de côté la question du salaire, conclurait que le gouvernement dit dans sa réponse que les juges sont déjà assez bien payés, ou le seront, mais sans jamais en donner les détails, du moins en ce qui concerne sa tentative pour justifier sa décision en invoquant la situation économique du gouvernement.
    Si je ne m'abuse, vous avez dit au départ que vous recommandez que le comité et le Parlement acceptent les recommandations de la commission et y donnent suite. Si j'ai bien compris, le problème concerne la nécessité d'avoir la recommandation royale, car il s'agirait d'augmenter le salaire et nous ne sommes pas habilités à le faire. Le gouvernement a déjà énoncé sa position. C'est au gouvernement de faire la recommandation royale, et par conséquent ni le comité ni le Parlement n'ont le pouvoir de donner suite à la recommandation de la commission.
    Dans ce cas, qu'est-ce que vous nous recommandez maintenant?
    Il y a deux éléments. L'Association du Barreau canadien espère que le gouvernement trouvera les arguments de l'Association suffisamment convaincants pour changer de position. Sinon, et si la seule possibilité consiste à adopter le projet de loi dans sa forme actuelle, il sera très important que le comité insiste sur les lacunes de la réponse actuelle et qu'il fasse comprendre que dès l'année prochaine, une autre démarche s'enclenchera au sein de la commission.
    C'est d'ailleurs l'une des seuls conséquences positives du fait que cette question ait pu traîner pendant trois ans sans être réglée.
    Monsieur Garant, vous avez attaqué la validité de la commission -- vous avez dit, alors que ce n'est pas du tout le sujet de la discussion d'aujourd'hui, que notre régime canadien s'appuie aussi sur les conventions, mais les décisions de la Cour suprême précisent le droit, et ces dernières devraient donc être une raison suffisante pour justifier l'existence de la commission.
    Je suis désolé, je n'ai pas bien saisi votre question.

  (1640)  

    Je vous disais que le régime canadien s'appuie beaucoup sur les conventions, telles que la séparation de la magistrature et de l'Exécutif, et qu'il appartient à la Cour suprême de préciser et d'améliorer nos lois, lorsqu'elles ne sont pas assez bien définies. Donc, ces raisons devraient être suffisantes pour valider la commission.

[Français]

    Je ne crois pas que la Cour suprême, dans le renvoi de 1997, ait opéré une révolution constitutionnelle et ait mis en veilleuse, par exemple, le principe de la séparation des pouvoirs. Elle nous a dit qu'en plus du principe démocratique et d'autres principes constitutionnels, il y avait aussi le principe de l'indépendance judiciaire, et que pour le mettre en oeuvre, elle allait se doter d'une commission consultative qui ferait une recommandation au gouvernement. Ce dernier allait devoir tenter de l'appuyer ou de s'en écarter, s'il avait des raisons valables de le faire. Subséquemment, les tribunaux allaient apprécier la réponse du gouvernement en utilisant le critère de la rationalité simple, ce qui est raisonnable.
    Quand on lit l'ensemble des rapports, on voit bien que le choix des fondements d'un gouvernement peut varier considérablement. Ce n'est pas nécessairement déraisonnable que d'insister sur tel aspect plutôt que tel autre. Les gouvernements se succèdent et on peut admettre qu'ils se font élire pour des programmes qui peuvent être différents.
    Alors, je ne suis pas du tout scandalisé par le fait que le gouvernement ne prenne pas cela au pied de la lettre, à 100 p. 100. Il n'y a rien d'inconstitutionnel là-dedans. La Cour suprême a ouvert la porte à cette divergence d'opinions.
    Monsieur Lemay.
    Merci, monsieur le président.
    Je ne suis pas certain que votre éclairage, vos lumières aient servi et serviront à comprendre tout ce complexe problème. C'est la raison pour laquelle je vais m'adresser au professeur Garant, que j'ai eu comme professeur en cours administratif I, II et III, dans les années 1970.
    Professeur Garant, je pense que ce serait une extraordinaire question d'examen que vous devriez poser à vos étudiants. Voici comment je verrais cette question: l'article 100 de la Constitution dit que les salaires et allocations, etc., sont payés par le gouvernement du Canada. Par contre, l'article 99 de la même Constitution dit que les juges de la Cour supérieure resteront en fonction durant bonne conduite, etc.
    Je dois absolument être présent à la Chambre à 16 h 55. Je poserais donc la question de cette manière, mais vous allez probablement me reprendre. Où s'arrête le pouvoir du législatif, celui de notre comité, par rapport au pouvoir judiciaire, celui des juges de la cour? La ligne m'apparaît tellement mince, surtout lorsqu'on parle de rémunération des juges.
    Donc, je me pose la question et je m'excuse de vous la transférer dans votre grande sagesse. Je suis convaincu que vous allez nous éclairer. Jusqu'où peut-on aller? Où cela s'arrête-il? Je ne sais pas si vous comprenez. L'étudiant en moi revient et pose la question au professeur. S'il vous plaît, éclairez-nous.
    J'ai lu de nombreux arrêts où les juges des cours d'appel et de la Cour supérieure ont tenté de déterminer ce qu'est ce critère de la rationalité simple, ce qui est raisonnable.
    Mais lorsqu'il s'agit d'établir une politique de rémunération, c'est plus complexe. Il faut tenir compte d'un ensemble de considérations politiques et économiques. C'est surtout politique. En effet, la Cour suprême a bien dit que la politique de rémunération était une question politique. On a beau vouloir la dépolitiser par un processus de commission indépendante, cela reste fondamentalement un choix politique. Dans un régime démocratique, en dernière analyse, cela appartient au Parlement.
    Maintenant, le Parlement peut-il commettre des erreurs en divergeant d'opinion? Vraisemblablement. Mais, au bout du compte, il y a l'électorat. Vous allez me dire que ce dont on discute ici, autour de la table, ne sera sûrement pas un enjeu électoral, mais il reste que c'est là notre processus démocratique.
    Finalement, comme démocrate, je suis porté à dire que cela appartient aux parlementaires. Si on trouve que leurs raisons ne sont pas suffisantes, qu'on fasse comme le Barreau canadien. La prochaine fois, articulez davantage, alimentez davantage votre justification. Mais si demain matin, insatisfaits de cette législation, les juges vont en Cour fédérale et, subséquemment, en Cour suprême, dans un dossier comme celui-ci, j'ai beaucoup de difficulté à concevoir comment on pourrait considérer que le gouvernement est inconstitutionnel, en ce sens que sa réponse n'est pas conforme à la rationalité simple qui a été exigée par la Cour suprême. Enfin, c'est un peu comme cela que je le vois.

  (1645)  

    Me reste-t-il du temps?
    Non. Merci, monsieur Lemay.
    Monsieur Petit, vous avez la parole.
    Je vous remercie, monsieur Garant, ainsi que madame Thomson et monsieur Leurer.
    Je m'adresserai d'abord à monsieur Garant. Vous avez cité les articles de la Constitution et, naturellement, dans la Constitution, on fait référence au Parlement du Canada, dont nous faisons partie ici.
    Vous avez soulevé un doute dans mon esprit parce que la commission qui a été créée viendrait rogner les pouvoirs du Parlement. C'est un privilège que détiennent les députés ici, soit de ne pas se faire ronger par quelque situation que ce soit, et c'est un privilège que la Chambre, par l'entremise de son Président, doit protéger. La raison pour laquelle il y a des jurisconsultes à la Chambre, c'est pour voir si les lois que l'on va adopter nous enlèvent des privilèges.
    Quand je vous entends parler, j'ai l'impression, effectivement, qu'on m'enlève mon droit de décider, à titre de parlementaire, pour différentes raisons que je n'ai pas à justifier, de donner ou d'accorder quelque rémunération ou quelque montant que ce soit. Mon seul et unique patron, c'est l'électorat.
    Ici, on m'impose un patron qui est la commission. Or, si j'ai compris votre façon d'aborder le sujet, je n'ai pas à me justifier vis-à-vis d'une commission. Naturellement, elle a été créée, mais je n'ai pas... Si j'ai à me justifier, cela veut dire que je perds des droits à la Chambre. Cela veut aussi dire que dans quelque temps, la commission aura un pouvoir extrême et pourra me dicter, à moi parlementaire, quel montant je dois allouer. Et lorsque je me présenterai devant mes électeurs, je serai défait à cause d'une commission qui n'est même pas élue. Cela me pose problème.
    C'est vrai qu'il est peut-être un peu tard pour le dire, mais nous avons un projet de loi devant nous. Comme le disait M. Bagnell, ils ne peuvent pas augmenter ce que nous avons mis sur la table, sinon cela ne passera pas à la Chambre. J'aimerais vous demander, parce que vous m'avez littéralement désarçonné, si vous pensez que cette commission semble vouloir m'enlever des pouvoirs à titre de parlementaire.
    C'est l'analyse que j'ai faite de tout ce système, inventé ou proposé par la Cour suprême en se fondant sur un principe constitutionnel non écrit et sous-jacent. Le système en lui-même, si on lui donne une vocation consultative, est parfaitement valide et défendable. Mais qu'on oblige le Parlement à se justifier auprès, non pas uniquement de l'électorat, mais au regard du rapport d'une commission devant des tribunaux, finalement, la Cour supérieure, la Cour fédérale ou la Cour suprême...
    Quant au caractère raisonnable de choix qui sont politiques, cela me surprend. Vous avez raison, comme parlementaire, de considérer qu'on rogne les pouvoirs du Parlement, même si la Cour suprême a dit que c'était une commission consultative. D'ailleurs, je crois que c'est la Cour supérieure ou la Cour d'appel du Québec qui a dit que le juge ne peut ordonner au Parlement. Il y a un juge de la Cour supérieure qui avait donné ordre à l'Assemblée nationale d'adopter une loi pour mettre en oeuvre quelque chose, et la Cour d'appel a dit non, que ce serait carrément inconstitutionnel.
    Il faut donc revenir à la réalité. Je pense que quand le gouvernement trouve des raisons défendables de diverger d'opinion, il doit le faire et tenir à son point de vue. Même la Cour suprême, dans l'arrêt de 2005, a nuancé un petit peu la rigueur, devrais-je dire, de ses propos du renvoi de 1997. M. Cotler n'est pas là, mais je pense qu'il serait d'accord. Quand on lit les deux arrêts et l'ensemble des argumentations des juges de toutes les provinces, c'est très volumineux, il y a une abondante littérature jurisprudentielle sur la question de savoir qu'est-ce exactement qui est raisonnable.
    Vous avez raison de dire que c'est le Parlement qui a le dernier mot, et celui-ci doit faire face à l'électorat. Ce sont des choix politiques qui doivent être raisonnables et qui ne doivent pas violer la Charte. Je suis absolument d'accord avec votre raisonnement. Ce n'est pas contraire à ce que dit la Cour suprême. C'est peut-être une interprétation, une sollicitation des arrêts de la Cour suprême, mais on peut interpréter les arrêts comme on peut interpréter les lois.
    Alors, je suis porté à l'interpréter en faveur de la souveraineté parlementaire, qui est le fondement même de la démocratie.

  (1650)  

[Traduction]

    Vous avez eu cinq minutes. Merci.
    Conformément au Règlement, nous allons continuer de donner la parole aux membres qui n'ont pas encore eu un tour de cinq minutes.
    Le prochain intervenant à ne pas avoir eu de tour est M. Jean, qui sera suivi de M. Batters.
    Merci, monsieur Lee.
    Je remercie les membres qui comparaissent aujourd'hui. Nous vous sommes bien reconnaissants.
    Je n'ai pas l'intention de contredire les observations des uns et des autres en ce qui concerne la constitutionnalité de cette démarche. D'ailleurs, monsieur Garant, je vous remercie de votre recommandation, qui consiste à modifier la loi pour que la démarche de la commission soit considérée comme une démarche consultative. À mon avis, c'est une idée à la fois sage et appropriée.
    Je me demande si l'ABC a sondé ses membres sur la question de l'augmentation salariale et si elle a reçu des réactions à cet égard.
    La politique de l'ABC est établie par l'entremise du conseil et grâce à l'expertise des membres qui siègent aux comités permanents. Toutes les lois adoptées au Canada ne font pas l'objet d'un plébiscite, et de même, les politiques de l'ABC passent par une démarche représentative.
    C'est pour cette raison que je posais la question. En tant qu'ancien membre, je sais que je n'ai pas été consulté et que je n'ai pas eu l'occasion de m'exprimer sur diverses questions sur lesquelles l'ABC a pris position.
    Y a-t-il des juges parmi les membres de l'ABC?
    Oui, il y a des juges. Mais les statuts de l'ABC les empêchent de participer à l'élaboration de nos politiques.
    Et quels sont les droits d'adhésion pour les juges? Doivent-ils verser des droits d'adhésion pour être membres de l'ABC?
    Oui, mais je ne suis pas en mesure de vous dire maintenant à combien ils se montent. Mais leurs droits sont comparables à ceux d'un membre régulier.
    C'est-à-dire, entre 300 $ et 700 $?
    Oui, selon la province concernée.
    Et savez-vous combien de juges sont membres de votre association?
    Sans vérifier, non.
    Mais c'est un assez grand nombre, n'est-ce pas?
    Je ne sais pas quelle proportion de nos membres sont des juges. Comme je vous l'ai déjà dit, tous sont éloignés des décisions relatives à nos politiques. Aucun juge qui est membre de l'ABC a participé à l'élaboration ni de ce mémoire, ni d'aucune autre politique de l'Association.
    Je comprends, mais ils sont tout de même membres de l'Association.
    J'ai travaillé dans les tranchées pendant des années -- et quand je dis « dans les tranchées », je veux parler des tranchées du palais de justice de Fort McMurray -- et je peux vous dire que j'ai passé beaucoup de temps à plaider des causes devant de nombreux tribunaux. Je me suis même présenté devant la Cour d'appel une fois. J'ai donc constaté au cours des 11 années pendant lesquelles j'ai fait ce travail que les juges réagissent différemment en cours. Je ne sais pas comment on pourrait le faire exactement, mais je voudrais savoir si l'Association a réfléchi à la possibilité de lier le salaire à l'éthique du travail.
    Par exemple, dans ma propre région, l'honorable juge Stan Peck est un homme très travailleur -- extrêmement travailleur -- alors que d'autres membres de la profession dans d'autres régions ne travaillent vraiment pas beaucoup, en raison du nombre de cas qu'ils ont à traiter. J'ai entendu parler de situations où un juge travaillera un jour par semaine, ou une ou deux heures par jour pendant quatre ou cinq jours, pour ensuite partir jouer au golf ou faire autre chose. J'avoue que cela me dérange beaucoup. Et je pense que cela risque de déranger la plupart des contribuables.
    J'ai donc une question qui s'adresse à la fois aux représentants de l'ABC et à M. Garant. Le gouvernement actuel défend la responsabilisation, la transparence, et la nécessité d'obtenir quelque chose de valable lorsque l'argent des contribuables sert à rémunérer un travail. L'Association a-t-elle envisagé la possibilité de lier le salaire à la performance?

  (1655)  

    Je vais essayer de répondre à votre question, monsieur Jean.
    Premièrement, le principe fondamental qu'il faut protéger, puisqu'il s'agit de la pierre angulaire de notre démocratie, est l'indépendance de la magistrature. Et même si l'on met de côté ce principe fondamental, je ne connais aucun parallèle qu'on puisse établir qui justifierait qu'on lie le salaire d'une personne qui doit être indépendante, afin de défendre la primauté du droit, à son éventuelle performance.
    Ceci dit, le député doit reconnaître qu'il existe des méthodes, prévues dans Constitution, qui permettent d'examiner des questions liées à la conduite d'un juge. Le Conseil canadien de la magistrature a sa propre démarche. Donc, j'estime que si tel juge ou tel tribunal pose problème, c'est à cette tribune dont le rôle est reconnu dans la Constitution qu'il faut renvoyer l'affaire. Nous trouverions tout à fait inquiétant que l'on propose de lier le salaire d'un juge à la perception que peut avoir une personne de la performance de ce dernier.
    Vous voulez dire son patron, le juge en chef?
    Que je sache, le salaire d'aucun participant au processus judiciaire n'est lié à l'idée que quelqu'un peut se faire de sa performance. Encore une fois, vous devez être au courant de la démarche qui est déjà inscrite dans la Constitution pour la révocation d'un juge. Je me permets donc de répéter que non seulement nous ne pourrions faire cela, mais en tant que société, il n'est pas souhaitable que nous le fassions.
    Donc, votre réponse serait que l'ABC n'a pas examiné la question de la performance...
    À mon avis, l'ABC serait d'avis que cela minerait gravement l'indépendance judiciaire.
    D'accord.
    Monsieur Garant, qu'en pensez-vous?

[Français]

    En ce qui concerne la question de l'évaluation de la performance, on le fait pour les tribunaux administratifs, soit ceux exerçant des fonctions [Note de la rédaction : inaudible], et c'est admis. Ce l'est aux États-Unis également.
    Pour les juges des cours de justice, je crois qu'on a considéré —mais c'est peut-être un mythe — que même les juges en chef ne devaient pas apprécier la performance ou le rendement, bien que certains juges en chef ont l'oeil ouvert sur le travail qui est fait par les juges et sur la distribution du travail.
    Vous avez raison de mentionner que les justiciables se rendent compte que dans certains cas, des juges se la coulent douce. C'est peut-être la faute du système. Un juge m'a raconté cet été qu'il devait se rendre dans un district rural pour une semaine, mais il s'est avéré que la cause s'est réglée en une demi-journée. Ainsi, le reste de la semaine, il a dû se balader dans les environs. Évidemment, il s'agit d'un problème de distribution du travail judiciaire. Le juge avait probablement bien gagné son salaire pour cette semaine-là. Or, cela ne peut pas être un argument. À mon avis, la majorité des juges travaillent fort, surtout les juges des cours d'appel et les juges qui président des affaires importantes et complexes.
    Dans ma profession, en tant que professeur de droit, nous examinons les jugements, etc., aussi bien ceux qui sont publiés que ceux qui sont affichés dans Internet. Nous constatons que certains juges rédigent des jugements relativement courts, voire même relativement peu de jugements. Or, le temps alloué pour délibérer et pour faire la rédaction des jugements peut être très long, mais il y a probablement des juges qui se la coulent douce.
    Enfin, ce n'est pas un argument pour ne pas maintenir à un niveau raisonnable — j'ai écrit dans mon texte « raisonnablement élevé » — le traitement de nos juges, dans une société démocratique comme la nôtre.

[Traduction]

    Monsieur Batters, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je voudrais remercier tous nos témoins pour leur présence aujourd'hui. Je suis vraiment privilégié. C'es la première fois que j'assiste à une réunion du Comité de la justice.
    D'abord, je pense que tous les députés conviendraient avec moi -- y compris, mon collègue, M. Jean -- que les juges au Canada font un travail exceptionnel. La grande majorité des juges sont très compétents. Ils font un travail très difficile, et ils travaillent très fort.
    Mais j'aimerais vous faire part de mon point de vue sur la question et vous expliquer ce qui a donné lieu à mon opinion. Ma femme, Denis, est avocate à Regina. Elle est membre du Barreau depuis une dizaine d'années. Elle touche un salaire annuel d'environ 50 000 $, ou peut-être un peu plus, si elle a une bonne année. Donc, quand je regarde ces chiffres, je trouve qu'il est tout à fait raisonnable que le gouvernement décide, au lieu d'accepter une recommandation d'augmentation salariale de 10,8 p. 100, de faire passer cette augmentation à 7,25 p. 100.
    Les juges gagnent un peu moins de 220 000 $ par an, et je ne peux vraiment pas m'imaginer que beaucoup de Canadiens -- ni sans doute beaucoup de juges, pour vous dire la vérité -- soient tristes en apprenant que les juges n'auront pas une augmentation salariale de 33 000 $ par an. Les gouvernements doivent être sensibles à des questions de prudence budgétaire, et à mon avis, le gouvernement a donc fait une proposition tout à fait raisonnable en prévoyant que l'augmentation soit de 7,25 p. 100 plutôt que 10,8 p. 100.
    J'ai une question que j'adresse à l'un ou l'autre des témoins, selon la personne qui voudra y répondre. Monsieur Garant, je vais commencer par vous.
    Quand la commission s'est penchée sur la question des salaires, elle a choisi comme groupe de comparaison approprié celui des avocats en exercice privé qui travaillent dans les plus grands centres urbains du Canada. Pour ma part, je viens de Regina, en Saskatchewan. Pour moi, le résultat démontre que la commission a donné trop de poids au revenu d'avocats autonomes en exercice privé qui gagnent beaucoup d'argent, et n'a pas suffisamment tenu compte du niveau de revenu d'avocats travaillant dans les centres provinciaux, à la fois urbains et ruraux.
    J'aimerais donc vous demander, puisque l'un des critères devant servir à établir la rémunération des juges est « l'état de l'économie au Canada », c'est-à-dire dans tout le Canada, selon vous, le revenu des avocats les mieux rémunérés des grands centres urbains reflète-t-il l'état de l'économie au Canada?

  (1700)  

[Français]

    Vous avez raison de vous poser la question et de douter de la pertinence d'une telle affirmation. Vous avez raison de dire qu'il faut considérer l'ensemble de la profession juridique.
    Vous avez parlé d'une avocate qui a 10 ans de pratique et qui gagne 50 000 $ ou 75 000 $. Elle peut être excellente et faire un travail remarquable. Elle pourrait même, après 10 ans de pratique, être candidate à la magistrature. Alors, pourquoi prendre le motif que de facto, on considère que, dans le passé, un grand nombre de juges provenaient de grands cabinets d'avocats? Ce n'est pas la raison.
    De plus en plus, un grand nombre de fonctionnaires dans les différents contentieux des ministères font un excellent travail. Ils ne sont pas sous-ministres. Ils sont avocats, avocats généraux, etc. Il y a également les avocats des cliniques d'aide juridique.
    Dans le domaine du droit de la famille, je connais quelques juges qui proviennent des bureaux d'aide juridique et qui sont excellents. Ils sont peut-être plus sensibilisés que les avocats de pratique privée aux problèmes familiaux et sociaux que rencontrent les justiciables.
    C'est ce genre de personnes qu'il faut rechercher. Vous avez raison : il faut considérer un éventail beaucoup plus large que ceux qui ont soi-disant réussi dans les grands cabinets de Montréal, Toronto ou Vancouver.

[Traduction]

    Les autres témoins souhaitent-ils répondre?
    Merci, monsieur Batters. Comme je viens moi-même des Prairies, je vais essayer de vous répondre, car à certains égards, je pense très bien comprendre votre attitude.
    Dans un premier temps, j'aimerais vous faire remarquer, comme vous le savez certainement déjà puisqu'il en est question dans le mémoire déposé par l'Association du Barreau canadien, que nous avons bel et bien constaté que le gouvernement a donné un poids différent, par rapport à la commission, aux différents groupes de comparaison, ou a plutôt décidé d'utiliser d'autres groupes de comparaison. À cet égard, l'Association du Barreau canadien estime que même si nous n'avons pas tiré les mêmes conclusions que le gouvernement, d'un point de vue constitutionnel, nous n'y voyons aucun inconvénient et, en conséquence, nous ne nous opposons aucunement à cette façon de faire.
    Par contre, ce qui pose problème selon l'Association du Barreau canadien, c'est que même si l'on essaie d'établir un lien entre les salaires relatifs des juges dans différentes régions du Canada et le paragraphe de la Loi sur les juges qui concerne l'état de l'économie au Canada et la situation économique et financière globale du gouvernement, dans le contexte actuel, ce n'est pas un lien que le gouvernement a réussi à établir, ce qui aurait permis de justifier qu'il ne retienne pas la recommandation de la commission. Or la Cour suprême a clairement indiqué qu'il incombe au gouvernement, pour être en mesure de démontrer que la démarche est juste et équitable, que ce dernier mette cartes sur table, pour ainsi dire.
    Donc, il faudrait que le gouvernement reformule ses motifs afin d'établir un lien de causalité entre le premier et le deuxième éléments, car dans le contexte de...
    Je comprends. Je ne veux pas vous contredire, monsieur Leurer, mais je suis nouveau dans ce comité; je dois vous dire que je suis ici depuis 10 minutes, et c'est justement cela qui m'a tout de suite frappé. Le fait est qu'on semble accorder énormément d'importance à ce que gagnent les avocats travaillant dans les plus grands centres urbains du Canada. La commission y a accordé une grande importance. Mais je me demande si elle a autant analysé les salaires que touchent les avocats qui sont en exercice à Regina, en Saskatchewan.
    Je suis sûr que ma femme serait ravie -- je peux même vous garantir que nous serions tous les deux ravis -- qu'on lui accorde une augmentation salariale de 500 p. 100 en tant que juge. En moins de 10 minutes, dis-je, cela m'a tout de suite frappé, et je suis donc convaincu que le gouvernement en a tenu compte en décidant de ramener une augmentation salariale de 10,8 p. 100 à 7,25 p. 100. Cela me semble tout à fait raisonnable.

  (1705)  

    D'abord, il ressort très clairement du rapport de la commission que cette dernière a cherché à recueillir autant d'information que possible, avec l'aide du gouvernement et d'autres intervenants qui ont comparu devant la commission sur les salaires en général.
    Bon nombre d'entre nous, quand nous avons à examiner une question salariale, avons tout de suite tendance à la ramener à notre situation individuelle. La commission n'a pas tenu compte uniquement des salaires des avocats les mieux payés du Canada. Ce qui est intéressant, c'est que la commission a décidé...
    Si. Elle s'est fondée sur la situation dans les plus grands centres urbains.
    Je voudrais vous dire une autre petite chose, monsieur Batters.
    M. Batters m'a garanti que son intervention serait vraiment très brève. Je vais donc permettre au témoin de conclure.
    Je vais faire vite, monsieur le président.
    Sans vouloir contredire M. Batters, ce qui est intéressant, c'est que la commission a rejeté une soumission mixte émanant à la fois du gouvernement et des juges qui proposait une augmentation annuelle de 2 000 $, et ce pour être sûrs de bien faire les choses.
    Encore une fois, l'Association du Barreau canadien n'est pas là pour défendre tel montant par rapport à tel autre montant. Nous sommes là pour défendre l'intégrité d'une démarche, car c'est essentiellement cette démarche qui permet de protéger l'indépendance de la magistrature.
    Dans ce cas, faisons bien les choses.
    Merci, monsieur Batters.
    M. Bagnell, M. Ménard et M. Comartin m'ont fait savoir qu'ils voudraient intervenir, et le président a également quelques questions particulièrement percutantes à poser quand nous aurons fini; il y a peut-être aussi des membres d'en face qui voudraient intervenir.
    C'est d'abord à M. Bagnell, qui dispose de cinq minutes.
    Merci.
    Monsieur Leurer, vous avez dit, en réponse à M. Jean, que l'indépendance judiciaire est la pierre angulaire de notre démocratie. Comme je ne suis pas avocat, je vais vous poser une question très simple qui est sans doute traitée dans un cours de droit de première année. Où se trouve cette mention? Où est-ce qu'on en parle? Comment est-ce intégré dans notre système? Comment fait-on pour faire respecter ce principe? Et quelle est la référence appropriée au sein de la société canadienne?
    Je suis convaincu que M. Garant est tout aussi capable que moi de vous faire l'historique de la question, mais j'invite l'honorable député à se reporter à l'explication fort éloquente de la Cour suprême dans l'arrêt Bodner.
    Oui, c'était dans l'arrêt Bodner.
    Notre système démocratique repose sur les tribunaux, qui sont les gardiens de notre Constitution, et c'est ce qui distingue le Canada et d'autres démocraties occidentales et sociétés libres et démocratiques des régimes autocratiques.
    Mais quel est le document de référence? Est-ce la Constitution?
    C'est-à-dire que c'est implicite dans diverses dispositions de la Constitution, y compris celles qui concernent la nomination et la durée des fonctions des juges.
    Oui.
    Donc, si vous avez le pouvoir de fixer le salaire de quelqu'un, de décider de sa rémunération, ne croyez-vous pas que cela risque d'être perçu comme une atteinte à son indépendance, surtout si votre décision est frivole ou dénote un fondement idéologique?
    C'est justement pour cette raison que la Cour suprême a fait deux déclarations très importantes à ce sujet: elle a dit que oui, l'affectation des ressources publiques relève essentiellement de la responsabilité du Parlement du Canada. Mais -- et il y a effectivement un « mais », tout comme pour d'autres aspects de la suprématie du Parlement -- il faut qu'il y ait un filtre institutionnel, en l'occurence la démarche de la commission, afin d'éviter, dans cette quasi-relation employeur-employé, l'éventualité d'un conflit entre le gouvernement -- le payeur -- et les juges -- les bénéficiaires -- qui risquerait de politiser tout ce processus et de détruire leur indépendance.
    Donc, oui, c'est très important, car en l'absence de ce filtre institutionnel et la démarche qui le sous-tend, nous risquons avec le temps de saper progressivement l'importance et l'indépendance de la magistrature.
    Très bien. Ma dernière question est celle-ci: vous ne pensez pas que c'est un peu exagéré de dire cela? Si l'on ramène le budget du gouvernement à disons... Supposons que le budget du gouvernement soit de 100 $; à ce moment-là, les juges ne toucheraient que quelques cents comme salaire. Leurs salaires ne représentent en réalité qu'une infime partie du budget du gouvernement du Canada. Ne trouvez-vous pas que c'est un peu exagéré de dire qu'une modification salariale aurait pour effet d'empêcher le gouvernement d'atteindre ses objectifs, surtout quand ce dernier affiche un excédent budgétaire de 13 milliards de dollars, et qu'il n'a encore jamais inclus parmi ses objectifs l'atteinte d'un excédent budgétaire de tel montant ou le remboursement de tel montant de la dette nationale?

  (1710)  

    Le rôle de l'Association du Barreau canadien n'est ni de condamner ni d'appuyer l'affectation d'un certain montant ou tel ou tel autre pourcentage d'augmentation salariale. En fin de compte, la Cour suprême a affirmé que, à condition de bien expliquer ses motifs, le gouvernement est libre de décider de l'affectation des ressources comme bon lui semble. Le problème qui se pose en l'occurrence et notre incapacité de comprendre -- et selon nous, un lecteur raisonnable du rapport de la commission ne comprendrait pas davantage -- l'effet que risque d'avoir sur ses programmes sociaux et économiques le changement que propose le gouvernement, par rapport à la recommandation de la commission. C'est cette lacune dans la réponse du gouvernement qui, selon nous, expose le gouvernement à la critique.
    La Cour suprême a dit que le gouvernement doit énoncer ses motifs, mais si la somme en cause est dérisoire, ne pensez-vous pas qu'il est très difficile dans ce contexte d'énoncer des motifs valables?
    Je ne puis répondre à l'honorable député qu'en répétant ce que je viens de dire.

[Français]

    Cependant, la Cour suprême a exigé que cela soit justifié, donc raisonnable. Elle n'a pas donné tous les détails de la rationalité. C'est une responsabilité gouvernementale. Je pense qu'ils doivent tenir compte de l'ensemble de leurs responsabilités politiques.
    Par contre, la commission a un mandat plus précis. Elle doit également tenir compte des conditions économiques. Le mandat de la commission est beaucoup plus limité que celui du gouvernement et du Parlement. Le gouvernement dit dans sa réponse qu'il doit faire face à la musique pour ce qui est des programmes et des promesses électorales et, subséquemment, à l'électorat. Ce n'est pas du même ordre.
    La Cour suprême, lorsqu'elle parle du contrôle judiciaire qui, subséquemment, interviendra, semble dire que si la réponse du gouvernement est inconstitutionnelle, qu'elle ne respecte pas le principe d'indépendance, elle sera censurée par les tribunaux.
    Certains juges de cours inférieures ont dit que lorsqu'il y a la moindre divergence entre les recommandations de la commission et la réponse du gouvernement, il y a violation du principe d'indépendance. Ce n'est pas cela. On a dit que ce serait le cas si la réponse du gouvernement n'était pas raisonnable. Or, la rationalité politique est très large; elle vise l'ensemble des responsabilités gouvernementales. On pourrait en parler encore longtemps, mais il faut, à un certain point, que quelqu'un décide. Il appartient au Parlement de décider.

[Traduction]

    Monsieur Ménard, nous entamons un tour de cinq minutes qui devra être rigoureusement observé. Quand vos cinq minutes seront presque écoulées, je vous préviendrai, et ensuite je vous couperai la parole.
    Ensuite ce sera la même règle pour M. Comartin, et pour M. Petit après lui. Peut-être pourriez-vous alterner avec M. Petit pour assurer un meilleur équilibre. Donc, après le tour de M. Ménard, si vous êtes d'accord, monsieur Comartin, je passerai à un député d'un autre parti.
    Du moment que j'obtiens mes cinq minutes, monsieur le président, il n'y a pas de problème.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je suis un ardent défenseur de la souveraineté parlementaire, et d'autres souverainetés également. Mais ça, c'est un autre débat.
    La souveraineté parlementaire ne doit pas nous placer en porte-à-faux. Ceux qui désirent un mécanisme alternatif à la commission ne précisent pas de quoi il s'agit. Il y a une différence entre un sous-ministre et les grands commis de l'État, qui sont au service de leurs concitoyens par leur implication dans la fonction publique, où la hiérarchie est claire: le Parlement ou le ministre. Théoriquement, la responsabilité ministérielle s'étend à l'ensemble des décisions que les gens prennent au nom du ministre.
    Il est vrai qu'on parle de deniers publics et, ultimement, de politiques publiques. Le rôle de la magistrature est très particulier. Il faut avoir des garanties constitutionnelles faisant en sorte que, lorsqu'une personne se présente devant une cour de justice, les juges ne rendront pas des décisions qui entraîneront des représailles pour le gouvernement. S'il n'y a pas le mécanisme de la commission, quel mécanisme peut-il y avoir?
    Monsieur Garant, à la page 4 de votre mémoire, j'ai lu un passage intéressant :
Or il est extrêmement rare en droit constitutionnel comparé que les juges soient admis à négocier directement avec les Gouvernements; toutefois les juges sont souvent admis à participer à des instances consultatives.
    Que vouliez-vous dire par cette affirmation?

  (1715)  

    Quand la Cour suprême utilise le mot « négociation », elle fait référence à la négociation au sens des relations de travail, la négociation collective.
    Or, à ma connaissance, il y a relativement peu de négociations collectives des conditions de travail ailleurs dans le monde. Il existe cependant des commissions consultatives en France et dans certaines pays d'Europe, auxquelles les juges participent. Ce ne sont que des commissions consultatives qui font des recommandations au gouvernement, qui détermine ensuite la rémunération des magistrats. Ces commissions jouissent souvent d'une grande crédibilité, car il est relativement rare, en France par exemple, qu'on ne donne pas suite à leurs recommandations. C'est un processus consultatif.
    Je ne connais pas de système où il y a une négociation directe entre les juges et les gouvernements. Dans quelques provinces canadiennes, il est peut-être arrivé qu'une négociation ait eu lieu entre le gouvernement provincial et l'association des juges.
    Je vais poser ma question et ensuite donner la parole à M. Comartin et à M. Petit.
    Vous ne souhaiteriez tout de même pas un système où le législateur fixerait les grandes orientations de la rémunération des magistrats? On convient que, sur le plan de l'étanchéité entre les trois pouvoirs, il y aurait une vulnérabilité ou une interaction non souhaitable entre le législatif et le judiciaire.
    Êtes-vous d'accord avec moi?
    À cet égard, le processus d'une commission consultative est intéressant. Il y a un input différent. Le ministère de la Justice élabore sa politique de rémunération pour l'ensemble des personnes reliées à l'administration de la justice, que ce soit les fonctionnaires de son ministère ou autres. Il en revient un input. Finalement, je pense qu'il appartient au Parlement de trancher la question et d'en rendre compte à l'électorat.
    À mon avis, la notion de rationalité doit être liée au respect de l'indépendance constitutionnelle. Est-ce qu'une telle loi, qui recommande 7,5 p. 100 plutôt que 10 ou 17 p. 100, est en soi inconstitutionnelle? Il faudrait s'arracher les cheveux pour le démontrer. La décision du gouvernement concernant une augmentation de 7,5 p. 100 doit être articulée. Ce document pourrait être plus précis. D'ailleurs, il est curieusement fait. À partir de la page 7, il y a une articulation très intéressante.
    Je vous interrompt afin de laisser du temps à mes collègues de poser des questions.
    Merci de votre engagement.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Petit, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Ma question s'adresse à M. Garant.
    Je me trouve dans une position un peu délicate. Je suis moi-même avocat dans la province de Québec, et vous parlez des salaires des juges. J'espère qu'il n'y a pas de caméra.
    Je me trouve aussi dans une position où je prends la place du Bloc, c'est-à-dire que je défends les contribuables plutôt que les grands bourgeois, si on peut les appeler ainsi.
    Dans leur analyse, ils prennent les avocats par province, les plus riches, les gros bureaux, etc. Or, nous avons une particularité au Québec en ce qui concerne les avocats et les notaires. Dans les autres provinces, les deux sont ensemble, de sorte que leurs revenus sont de beaucoup supérieurs. Au Québec, ils n'ont considéré que les avocats, qui ne peuvent être à la fois des notaires, car les notaires ne peuvent pas être des juges.
    Le problème est que les chiffres utilisés dans l'analyse sont complètement faussés pour ce qui est du Québec. Il est illusoire de vouloir utiliser ce champ de référence, parce que cela ne peut pas toucher la province de Québec. Nous fonctionnons complètement différemment à l'égard de ces deux professions.

  (1720)  

    Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut élargir le bassin de comparaison. Au Québec, les travailleurs juridiques englobent également les notaires. Je connais beaucoup de notaires, surtout des jeunes, qui n'ont pas un revenu très élevé, si on le compare à celui des avocats. Si on tient compte de cette donnée, effectivement, c'est beaucoup plus révélateur de la rémunération des travailleurs juridiques.
    Outre les sous-ministres, ne pourrait-on pas tenir compte de l'ensemble des fonctionnaires qui font du droit? Je connais des personnes au Québec qui sont devenues juges de la Cour supérieure ou de la Cour d'appel après avoir été simplement des fonctionnaires au ministère de la Justice. Pourquoi ne pas considérer aussi les professeurs de droit?
    Il y aurait lieu d'élargir la base de comparaison de tous les travailleurs juridiques.
    Les avocats en Ontario, au Manitoba et au Saskatchewan sont à la fois avocats et notaires. Ce n'est pas le cas au Québec: un avocat ne peut être notaire, et vice versa. La base de comparaison qu'ils ont utilisée ne fonctionne pas pour le Québec. Dans les neuf autres provinces, qui sont anglophones, les avocats sont également des notaires tandis qu'au Québec, les deux fonctions sont séparées. La comparaison n'est donc pas possible.
    Vous avez raison, c'est difficilement applicable tel quel. Il faut apporter des nuances que, hélas!, le rapport de la commission n'apporte pas.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Comartin, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais peut-être demander l'avis de l'Association du Barreau canadien à ce sujet. Mais d'abord, je voudrais vous faire part de quelque chose qui m'inquiète.
    Au cours de ma carrière professionnelle, j'ai constaté, en ce qui concerne la nomination de juges à la cour provinciale et à la cour de comté, puisqu'on en avait une à un moment donné -- que bon nombre de candidats de qualité supérieure ne posaient jamais leur candidature. Nous avions une longue liste de personnes qui souhaitaient devenir juges, mais il ne s'agissait pas des personnes les plus compétentes. Elles aspiraient à ces postes simplement en raison de la rémunération, et du mode de vie auquel elles et leur familles étaient habitués. J'ai bien peur qu'il arrive la même chose maintenant.
    Donc, je ne suis guère surpris que la liste des candidatures soit longue. Je dirais sans hésitation, et sans commenter la question de l'ingérence politique dans le processus de nomination, qu'il arrive généralement que les personnes les plus qualifiées soient nommées. Mais à mon avis, cela ne sera plus le cas si ce genre d'ingérence dans les activités de la commission indépendante continue d'être la réalité.
    Et voilà qui m'amène à ma question, monsieur Leurer. J'ai l'impression qu'au niveau provincial, les commissions ou autres organes mis sur pied à cette fin ne donnent pas vraiment satisfaction parce que trop de provinces ont fait justement ce que fait actuellement ce gouvernement. Elles ont refusé d'accepter le rapport de la commission et ce, sans avoir des motifs valables. L'Association du Barreau canadien a-t-elle pris position sur ce qui arrive actuellement au niveau provincial relativement à des commissions de ce genre?
    L'Association du Barreau canadien est tout à fait du même avis que vous à ce sujet, monsieur Comartin. Heureusement, les personnes qui sont nommées sont très compétentes. Mais nous avons essentiellement la même crainte que vous, à savoir que toute atteinte à l'intégrité de cette démarche risque de compromettre progressivement le résultat.
    L'Association du Barreau canadien n'a pas pris position au niveau national sur le fonctionnement de commissions provinciales particulières. Nous constatons que les actions en justice découlant du travail des commissions provinciales ont diminué en nombre au fur et à mesure que la Cour suprême du Canada a défini et précisé certains principes constitutionnels. Cela veut donc dire que petit à petit, nous faisons des progrès, étant donné qu'elles adhèrent aux principes constitutionnels.
    C'est tout pour moi, monsieur le président. Merci.
    J'ai quelques questions à poser sur la structure créée par la Cour suprême pour en arriver à des recommandations relatives aux salaires et aux allocations, et donc sur cette notion de commissions indépendantes.
    Malgré l'article 100 de la Constitution, qui prévoit que le Parlement devra établir les salaires et la rémunération -- là je paraphrase -- la Cour suprême a décidé que tout ce travail devrait être confié à une commission indépendante qui ferait des recommandations, et pas en tant que simple organe consultatif; cette commission devait essentiellement faire une recommandation salariale spécifique. Mais pour diverses raisons qu'on ignore, la Cour suprême a ensuite décidé que ce rapport ne serait pas renvoyé au Parlement; il serait plutôt renvoyé au gouvernement, à l'Exécutif. Je suppose que c'est compréhensible car, à notre époque moderne, l'Exécutif est l'un des principaux décideurs en ce qui concerne les activités du Parlement.
    Vous n'avez peut-être pas beaucoup réfléchi à la question, mais j'aimerais savoir si, selon vous, le mécanisme établi par les tribunaux risque de nous causer des problèmes, en ce qui les concerne, si vous voulez? Serait-il possible d'établir un autre mécanisme qui ferait que l'organe consultatif relèverait directement du Parlement? Peut-être faudrait-il que le rapport soit renvoyé au Président, plutôt qu'au ministre de la Justice, ce qui permettrait de supprimer le rôle de l'Exécutif dans tout cela. Ainsi les recommandations seraient peut-être adoptées plus facilement par le Parlement que ce ne serait le cas si elles devaient être approuvées par l'Exécutif, et ensuite par le Parlement.
    Je m'attends à ce que vous me disiez que l'Association du Barreau canadien ne pourrait jamais trouver à redire aux décisions de la Cour suprême du Canada et qu'elle n'aurait jamais envisagé de faire une telle proposition, mais j'aimerais tout de même entendre votre réponse.

  (1725)  

    Je pense qu'il serait juste de dire que le témoin assis devant vous n'a jusqu'ici jamais examiné la question, monsieur le président.
    Très bien. Voici donc une question simple: selon vous, depuis la mise sur pied de cette commission indépendante, la Cour suprême du Canada estime que la Commission indépendante a le droit de se tromper et que les recommandations et le rapport de cette dernière devraient être retenus, même si elle a tort?
    Je crois pouvoir répondre à votre question, monsieur Lee.
    La Cour suprême a indiqué qu'en fin de compte, les conclusions de la commission ne sont pas nécessairement exécutoires sauf là où le prévoit la loi, c'est-à-dire, lorsqu'elles sont entérinées par une décision du Parlement. À mon avis, toutes les parties ici réunies, c'est-à-dire le professeur Garant, et moi, serions d'accord pour dire qu'il est possible finalement qu'une décision qui s'écarte des recommandations de la commission soit constitutionnelle.
    Par contre, je ne sais pas si la Cour suprême du Canada jugerait constitutionnels d'autres mécanismes visant à servir de filtre institutionnel pour protéger la légitimité et l'indépendance de la magistrature, qui correspond à l'autre aspect de votre question.
    J'ai une dernière question, et c'est dans le même ordre d'idées.
    Le ministre de la Justice nous a dit hier que cette tâche relève du Parlement. À cet égard, il avait tout à fait raison. Il se contentait de citer la Constitution par rapport à la tâche consistant à établir la rémunération et à examiner le rapport. Je voudrais donc vous poser la question suivante.
    Si le Parlement, sur le conseil de ce comité ou d'un autre comité, décidait de relever le salaire et donc de le faire dépasser ce que prévoit le projet de loi, le Parlement aurait-il une carte maîtresse, relativement à la recommandation royale, de par la nature même du libellé de la Constitution, qui prévoit que le Parlement doit établir la rémunération? Le comité serait-il habilité à relever cette rémunération, affirmant qu'il n'a pas besoin de la recommandation royale qui passe par l'Exécutif; autrement dit, que, d'après la Constitution, c'est au Parlement d'établir la rémunération, et à ce moment-là, le comité se contenterait de déposer un rapport à la Chambre recommandant des salaires plus élevés que ceux que prévoit l'actuel rapport du gouvernement, et ce en vue de se rapprocher des recommandations de la commission indépendante?

  (1730)  

    Monsieur Lee, j'ai appris quelque chose à mes dépens au début de ma carrière d'avocat.
    Vous n'êtes pas avocat constitutionnel.
    Non, et lorsqu'un client me pose une question que je n'ai pas encore analysée, je ne réponds pas.
    Ou encore vous demandez une provision.
    Je savais que je n'obtiendrais pas nécessairement des réponses à mes questions, mais je voulais tout de même qu'elle figure au compte rendu de la réunion, pour que M. Garant puisse en parler à son prochain cours sur le droit constitutionnel.

[Français]

    Vous soulevez des questions intéressantes auxquelles il n'y a pas de réponses faciles. Vous avez suggéré plus tôt que le rapport du comité soit envoyé directement au Parlement plutôt qu'au gouvernement. Cela va à l'encontre des pratiques constitutionnelles selon lesquelles les projets de loi de finances doivent être déposés par le gouvernement, qui assume ainsi sa responsabilité constitutionnelle.
    Il serait quelque peu difficile de court-circuiter le gouvernement en soumettant pour étude un rapport d'une commission indépendante directement au Président de la Chambre et, de ce fait, au Parlement. Le gouvernement se retrouverait quelque peu coincé.
    La question est intéressante et un peu théorique.

[Traduction]

    C'était simple matière à réflexion. Je m'arrête là.
    Je voudrais remercier les deux groupes de témoins de leur présence aujourd'hui. Vous avez apporté une contribution utile au débat.
    Chers collègues, nous allons faire l'examen article par article du projet de loi lundi, si je ne m'abuse.
    Ceci dit, la séance est levée.