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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 012 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 mars 2007

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

    Je conviens que nous avons le quorum et je déclare la séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international ouverte.

[Français]

    Ce matin, nous recevons certains témoins qui sont des experts sur les droits de la personne en Iran. Je vais changer l'ordre du jour. Nous recevrons d'abord le professeur Payam Akhavan, entre 11 heures et 12 heures, mais je veux entendre tous les témoins et ensuite nous pourrons poser des questions à l'ensemble des témoins en même temps.
    Lorsque le sous-comité a commencé à établir son plan, il a indiqué sa volonté d'entendre des témoignages sur les droits de la personne en Iran. Ensuite, M. Cotler a proposé une motion portant sur la complicité du régime en Iran

[Traduction]

dans l'incitation au génocide, et cela fait partie de notre discussion.
Vous pourrez poser vos questions à ce sujet aux témoins du panel, mais je crois que la plupart se concentreront sur les droits de la personne en Iran, de façon générale.
    Nous avons l'honneur d'accueillir aujourd'hui trois éminents militants des droits de la personne, notamment des experts de la situation en Iran.
    Commençons avec le professeur Payam Akhavan. Il est professeur à la Faculté de droit de l'Université McGill et président de l'Iran Human Rights Documentation Center. M. Akhavan a également été enquêteur sur les crimes de guerre aux Nations Unies et a publié de nombreux ouvrages sur ce sujet.
    Professeur Akhavan.

[Français]

    Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité. C'est un très grand privilège et un très grand plaisir de pouvoir partager avec vous aujourd'hui quelques idées sur la situation des droits de la personne en Iran.

[Traduction]

    J'aimerais commencer par insister sur l'importance de traiter des droits de la personne en Iran dans un contexte plus vaste. Il est impératif de comprendre que cette question est liée à beaucoup des autres considérations sur la paix et sur la sécurité qui semblent préoccuper la communauté internationale en ce moment. Par exemple, je crois que la question nucléaire, qui semble avoir capté l'attention de la communauté internationale, est inextricablement liée à la démocratisation de l'Iran. Le problème qu'il faut régler en Iran n'est pas tellement la capacité nucléaire, mais plutôt la nature du régime.
    Le problème, c'est qu'un régime autoritaire qui ne tient pas compte de la volonté du peuple iranien aura besoin d'une confrontation avec l'Occident, d'une rhétorique anti-américaine et anti-israélienne, comme outil idéologique. Un régime qui se sent persécuté parce qu'il représente une menace à la paix internationale et à la sécurité ressentira le besoin de se doter d'armes nucléaires pour se protéger d'un conflit armé.
    Il faut comprendre que le régime, ou plutôt les pur et dur du régime qui s'accrochent férocement au pouvoir, qui démonisent l'ennemi étranger associent cette démonisation à la répression interne de la dissidence. Chaque dissident iranien qui finit en prison, y compris le professeur Ramin Jahanbegloo, que vous connaissez sûrement, le canado-Iranien qui a passé l'été dernier en isolement jusqu'à ce qu'il avoue, contre son gré, ce qui était prévisible, d'avoir été agent secret pour les Américains — chaque personne ciblée en Iran finit par être associée à une conspiration étrangère quelconque. De cette façon, le régime déguise la volonté autochtone d'un changement comme une manipulation américaine ou étrangère des esprits des Iraniens.
    Récemment, les droits de la personne se sont détériorés en Iran, sous le président Ahmadinejad, et je crois que mes éminents collègues en parleront plus en détail. À mon avis, il est très important de comprendre la radicalisation de la politique iranienne, la détérioration des droits de la personne non pas comme une tendance à court terme, mais plutôt comme le dernier souffle d'un régime qui a perdu sa légitimité et qui est complètement sourd à la volonté de la majorité des Iraniens.
    Les données démographiques témoignent d'un changement. Soixante-dix pour cent des Iraniens sont âgés de 30 ans ou moins. Ils font partie d'une culture postidéologique, postutopique, pragmatique et se préoccupent beaucoup plus de l'emploi, de la transparence, de l'élimination de la corruption, de la croissance de l'économie, d'un avenir prospère, de liberté culturelle, de droits de la personne et de liberté démocratique qu'autre chose.
    L'Iranien moyen, lorsqu'il se réveille le matin, ne pense pas à la capacité nucléaire de son pays ou à la façon de détruire Israël. C'est plutôt la préoccupation du président Ahmadinejad, parce que c'est la seule chose qu'il peut offrir au peuple iranien au fur et à mesure qu'il s'enfonce dans le désespoir, dans le déclin économique et social.
    Dans ce contexte, je crois qu'il est très important de ne pas concevoir le conflit avec l'Iran comme un conflit de civilisation. Ce n'est pas un conflit de civilisation, c'est un conflit entre l'autoritarisme et la démocratie. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il y a plus de religieux islamistes en prison aujourd'hui en Iran qu'il n'y en a jamais eus sous le régime du Shah et que la plus forte opposition aux structures étatiques totalitaires qui, évidemment, sont plus souples aujourd'hui, vient des ecclésiastiques islamistes, sans parler des nombreux autres mouvements sociaux qui existent en Iran.

  (1110)  

    Pour résumer, il y a deux Iran. Il y a l'Iran des purs et durs et il y a l'Iran de la majorité, avec une société civile florissante, des mouvements pour le respect des droits de la personne, des mouvements féministes et des militants sociaux de tous les horizons. Cette réalité implique une politique étrangère nuancée qui, d'un côté, isole les extrémistes qui vont à l'encontre de la volonté de la majorité du peuple iranien et qui, de l'autre côté, soutient la société civile. Ce dernier élément est la seule solution à long terme, non seulement pour répondre aux préoccupations de la communauté internationale relativement à la stabilité de la région, mais aussi pour réaliser les aspirations légitimes du peuple iranien.
    J'ai le regret de vous dire que de façon générale, historiquement, la politique occidentale vis-à-vis de l'Iran mettait les droits de la personne du peuple iranien au second plan par rapport aux préoccupations politiques. Le Canada a à présent la possibilité d'adopter non seulement une politique étrangère régie par des principes, mais également une politique étrangère réaliste qui tienne compte des liens entre la sécurité régionale et le respect des droits de la personne.
    Inutile de vous dire que récemment, les survivants du tremblement de terre de Bam, en Iran, ont protesté contre la décision du gouvernement iranien d'envoyer des centaines de millions de dollars au Hezbollah au Liban, alors qu'ils n'avaient toujours pas de quoi se loger. Dans une démocratie iranienne, les gens se demanderont forcément s'il est justifié de dépenser 15 milliards de dollars pour un programme nucléaire controversé qui risque d'engendrer un conflit militaire avec l'Occident alors qu'officiellement, le taux de chômage est de 25 p. 100 et que non officiellement, il pourrait atteindre 40 p. 100.
    À mon avis, la solution serait d'envisager des sanctions ciblées, des sanctions axées sur certains éléments précis du régime qui ne pénaliseraient pas la majorité du peuple iranien. Ces sanctions ciblées, en tant que telles, habiliteront de façon significative la société civile iranienne à orchestrer un réel changement du système politique iranien, et ne représenteront pas une nouvelle solution externe forcée. Je ne reviendrai pas sur la douloureuse leçon que nous avons tirée de l'exemple de l'Irak et des résultats des solutions imposées par l'étranger.
    En ce sens, je pense que le Canada a un rôle fondamental à jouer. Nous avons, d'un côté, une diplomatie cow-boy et belligérante, si j'ose dire, aux États-Unis, qui est tombée à point nommé pour le président Ahmadinejad et qui l'a aidé à se proclamer sauveur de l'Islam dans ce conflit des civilisations. La conférence négationniste de l'Holocauste à Téhéran et ce genre d'événements sont des invitations à la condamnation, ce qui aide à rallier les masses iraniennes qui, indubitablement, ont la fibre nationaliste. Il faut garder tout cela à l'esprit.
    D'autre part, la politique européenne, si j'ose dire, a, de façon générale, frôlé la conciliation, même si l'on observe aujourd'hui des politiques plus rigides relativement à la question nucléaire. À mi-chemin entre la conciliation et la confrontation armée, il existe à mon avis une politique efficace, et je crois que le gouvernement canadien, au-delà des paroles sur la sécurité humaine et sur ses principes abstraits, doit à présent accepter de relever ce défi.
    En ce qui concerne des recommandations précises, je veux d'abord parler de ce qui est, à mon sens, un défi unique, mais aussi une occasion unique pour le gouvernement canadien, soit de réagir au décès de la photo-journaliste canado-iranienne Zahra Kazemi, qui venait de ma ville, Montréal. L'été dernier, le gouvernement iranien comptait, dans sa délégation, Saïd Mortazavi, le fameux procureur général de Téhéran impliqué dans le décès de Zahra Kazemi, non seulement selon la commission d'enquête présidentielle du président Khatami en Iran, mais également selon une commission d'enquête parlementaire iranienne.
    Lorsqu'il s'est rendu au conseil des droits de la personne à Genève, c'était une gifle pour la communauté internationale, une gifle pour le Canada et une gifle pour tous les Iraniens. Par ce geste, le gouvernement a clamé haut et fort qu'il enverrait un des individus les plus tristement célèbres au conseil des droits de la personne, un homme qui a envoyé des centaines et des centaines de blogueurs, de journalistes et de militants pour les droits des femmes à la prison d'Evin. Le régime a montré qu'il pouvait bafouer les droits de la personne des citoyens iraniens en toute impunité.

  (1115)  

    À cet égard, le gouvernement du Canada, le premier ministre, avec un grand courage, je crois, a réclamé l'arrestation de Saïd Mortazavi. Cet acte valeureux a fortement infléchi le cours des événements en Iran. Plus d'un réformiste ou défenseur des droits de l'homme m'ont avoué combien l'opposition démocratique avait été enhardie de savoir que ce symbole apparemment intouchable du régime allait désormais redouter d'être arrêté. Rentré précipitamment à Téhéran, il doit maintenant se demander sans cesse s'il peut se rendre à l'étranger sans risquer d'être arrêté. Voilà qui montre bien comment un geste mineur peut avoir un grand retentissement, combien la mesure peut donner des résultats très concrets.
    Je déplore toutefois qu'il n'y ait pas eu de suite à ce que j'ai jugé être un acte très louable et valeureux. Nous avons ici le cas d'une citoyenne canadienne brutalement torturée, violée et assassinée. Les sévices qu'elle a subis et son meurtre ont fait l'objet d'une vaste opération de camouflage par le procureur général de Téhéran, rien de moins.
    Par principe, si le Canada constitue bien une société multiculturelle qui profite des compétences et de la richesse que lui apportent tous les immigrants, il doit aussi en supporter le fardeau. Quand un citoyen canadien, qui se trouve à posséder une deuxième nationalité et qui a passé la plus grande partie de sa vie au Canada est brutalement torturé et assassiné dans un autre pays, nous avons l'obligation de défendre ses droits.
    Un des arguments que j'ai entendus contre l'inculpation de Saïd Mortazavi est qu'il s'agit d'un problème de compétence universelle, que si nous inculpons les Saïd Mortazavi de ce monde, les tribunaux canadiens se transformeront en tribunaux mondiaux et nous aurons le même problème que la Belgique, quand elle porte des chefs d'accusation contre des chefs d'État.
    C'est absolument faux. Le Code criminel du Canada, à l'article 7, alinéa (3.7)(d), prévoit expressément que les tribunaux canadiens ont la capacité de connaître en cas de torture si le plaignant a la citoyenneté canadienne. C'est le seul critère à remplir pour qu'un tribunal canadien ait la capacité de connaître: que la victime de torture soit citoyen canadien. Il est tout à fait erroné d'affirmer qu'il s'agit d'un cas de juridiction universelle qui ouvrira une boîte de Pandore et transformera les tribunaux canadiens en tribunal mondial. Si le Code criminel prévoit expressément l'exercice de la compétence, pourquoi devrait-on traiter le meurtre de cette citoyenne canadienne différemment du meurtre de tout autre Canadien?
    Un autre argument contre l'inculpation de Saïd Mortazavi est que nous n'avons pas accès à la preuve. De toute évidence, nous ne pouvons pas nous rendre en Iran pour mener une enquête. J'estime néanmoins l'argument fallacieux. Tout d'abord, il existe de nombreux éléments de preuve à l'extérieur de l'Iran. Nous avons des rapports de la commission parlementaire iranienne, la commission présidentielle. Il y a le témoignage du médecin iranien, qui a cherché asile au Canada récemment. Il ne s'agit pas ici d'un acte criminel isolé où il faut une preuve tangible irréfutable ou des empreintes digitales.

  (1120)  

    Saïd Martazavi est impliqué dans une criminalité systémique. Pendant toutes les années où il a été une figure judiciaire imminente, des centaines de dissidents ont été incarcérés sur ses ordres à la prison d'Evin, où ils ont été torturés et assassinés. Il suffit de retrouver les nombreux dissidents qui ont maintenant trouvé asile en Europe et en Amérique du Nord pour monter un dossier d'éléments indirects convaincants.
    À tout le moins, même si la preuve est difficile à obtenir, si le gouvernement du Canada n'exprime pas son intention d'au moins ouvrir une enquête, comment ceux qui pourraient apporter des éléments pourront-ils se faire connaître et contribuer à rassembler ce qui est nécessaire pour inculper Saïd Mortazavi?
    J'insiste sur le fait que l'administration de la justice ne doit jamais être le fait de considérations politiques. Ce n'est pas pour des raisons de politique étrangère qu'il faut inculper Saïd Mortazavi. C'est bien pour des motifs de justice pénale. La diplomatie avec l'Iran a fait son temps quand il est devenu clair que le régime refusait tout net de traduire en justice les auteurs de ce crime odieux. C'est à ce moment-là que la justice pénale devait prendre le relais de la diplomatie. C'est ce que nous enseigne la Cour pénale internationale, les tribunaux de la Yougoslavie et du Rwanda: quand vous torturez ou commettez des crimes contre l'humanité, vous n'êtes plus ministre ni procureur général — vous êtes un criminel.
    Dans ce cas-ci, cependant, nous ne pouvons pas être sourds aux longues ramifications de politique étrangère que suppose l'ouverture de l'affaire. La conduite vigoureuse de cette affaire annoncera que le Canada ne permettra plus que ses ressortissants soient assassinés avec impunité. Le régime iranien s'entendra également dire que les atteintes aux droits de la personne ont un prix et qu'il ne peut torturer des Iraniens, qu'ils possèdent ou non la nationalité canadienne. On ne peut pas torturer et assassiner avec impunité. Cela rejoint le rôle que le Canada peut jouer en exigeant que les individus rendent des comptes en cas d'atteinte aux droits de l'homme, au lieu de se contenter d'une simple condamnation à la Commission des droits de l'homme de l'ONU, importante, certes, mais éphémère comme une manchette de journal.
    La valeur d'une inculpation — comme nous l'a appris la traque des criminels de guerre nazis ou de l'ancienne Yougoslavie et d'ailleurs — est de stigmatiser ceux qui sont au pouvoir. Le message, c'est qu'ils ne seront pas toujours au pouvoir et que le jour viendra où ils devront faire face à la justice.
    Pour terminer, je voudrais dire combien il est important d'investir dans la relève en Iran au lieu de chercher à se gagner les faveurs du régime actuel. Certes, il faut tenir compte de certaines réalités politiques mais en fin de compte, la marée démocratique en Iran, l'éclosion de la société civile, annonce la fin de la triste ère d'autoritarisme dans ce pays. C'est pourquoi il faut de l'imagination, de la prévoyance et une vision politique au Canada — au moyen d'une diplomatie à deux voies ou autrement — pour renforcer la société civile iranienne et s'adresser à elle, au lieu de songer à ceux qui détiennent le pouvoir aujourd'hui mais pas forcément demain.
    Je terminerai simplement en disant que des actes judiciaires peuvent avoir un effet important. Je sais que d'autres ont parlé de la possibilité d'inculper le président Ahmadinejad pour incitation au génocide et à d'autres crimes, mais je veux vous donner un dernier exemple instructif connu sous le nom du jugement de Mykonos.
    Le Mykonos était un restaurant grec à Berlin où des agents iraniens ont tué quatre dirigeants kurdes en 1992. Les juges d'instruction allemands ont fait enquête, arrêté certains des auteurs des faits et mis en cause les plus hautes autorités iraniennes, y compris le chef suprême, l'Ayatollah Khomenei, et le président de l'époque, Rafsanjani, ainsi que le ministre de l'intérieur, Fallahian — des noms qui reviennent aussi au sujet de l'attentat à la bombe contre le centre culturel juif en Argentine et de l'assassinat du professeur Rajavi à Genève en 1989, et ainsi de suite.
    Ce qui est important, c'est la décision rendue dans l'affaire Mykonos en 1997, à cause du tôlé qu'elle a créé dans la communauté internationale, il n'y a plus eu d'assassinats politiques en Europe. Jusqu'à cette date, 300 dissidents iraniens avaient été assassinés en Europe, souvent avec la complicité des gouvernements européens. Je pense que le jugement Mykonos devrait être une source d'inspiration quand se pose la question de savoir s'il faut inculper Saïd Mortazavi pour l'assassinat de Zahra Kazemi.

  (1125)  

    Merci de votre patience, monsieur le président.
    Merci, professeur Akhavan.
    Nous allons maintenant entendre M. Jared Genser, qui vient des États-Unis, où il est avocat et président de l'organisation de défense des droits de l'homme Freedom Now.
    Monsieur Genser, soyez le bienvenu au Canada.
    Monsieur le président, distingués membres du comité, c'est un plaisir pour moi d'être ici. Je passe beaucoup de temps au Canada. Ma femme est canadienne, de Toronto, si bien que le Canada est littéralement mon deuxième chez-moi. C'est un plaisir pour moi d'être ici à Ottawa pour témoigner sur la question des droits de la personne en Iran.
    La déclaration du professeur Akhavan a bien planté le décor pour une discussion plus détaillée des abus spécifiques du régime, même si dans les cas qu'il a évoqués, il a déjà discuté de plusieurs exemples en détail.
    En un mot, la situation en matière de droits de la personne en Iran est catastrophique et a été condamnée plus de 50 fois par les Nations Unies. La règle de droit en Iran est exclusivement fondée sur un point de vue extrémiste de l'Islam qui punit sévèrement toute interprétation du Coran pouvant différer de l'interprétation des dirigeants religieux. Tout geste incompatible avec cet extrémisme est sévèrement puni par l'entremise de traitements inhumains comme les châtiments corporels en public, l'emprisonnement, la torture et la mort, et la peine de mort est souvent décidée sans procédure équitable.
    Par conséquent, de nombreux dissidents politiques meurent ou disparaissent afin d'éliminer la menace qu'ils représentent pour le régime totalitaire. Malgré le tollé international, la situation continue de se détériorer. L'Iran a accru l'oppression et la violence contre les dissidents politiques, les journalistes, les femmes et les minorités.
    Dans mon témoignage aujourd'hui, j'ai prévu couvrir un large éventail de pratiques abusives de l'Iran en matière de droits de la personne en abordant les sujets suivants: l'exploitation que fait l'Iran de l'Islam, la répression du droit de parole et d'association, la violation de la liberté religieuse, le déni des droits des femmes, le meurtre, la torture et les traitements inhumains ainsi que les récentes menaces et l'incitation au génocide contre l'État d'Israël.
    Premièrement, permettez-moi de parler de l'exploitation que fait l'Iran de l'Islam. C'est en effet ce qui caractérise le régime de Téhéran. La majorité des abus commis par les dirigeants de l'Iran sont fondés sur l'exploitation de l'Islam. En fait, l'article 4 de sa constitution énonce strictement que toutes les lois et tous les règlements doivent être fondés sur des principes islamiques. Bien sûr, cela renvoie à l'interprétation faite par le régime religieux au pouvoir.
    Le chef suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, est chargé d'appliquer la loi musulmane et il est le chef absolu et non élu de l'Iran. De fait, il y a un principe dans la constitution, le Velayat-E-Faqih, qui énonce la suprématie du pouvoir religieux. Toutes les branches du gouvernement sont contrôlées directement ou indirectement par l'Ayatollah ou son conseil des gardiens. Toutes les tentatives de libéralisation législative sont rejetées par le conseil et souvent remplacées par des lois encore plus restrictives.
    Comme si cela ne suffisait pas, une police des moeurs, les Basiji, a été créée pour repérer les gestes non islamiques. La police des moeurs a beaucoup de pouvoir relativement aux châtiments extrajudiciaires, comme les châtiments corporels dans la rue, les arrestations et la torture. Les Basiji existent au sein d'autres groupes qui sont des comités de surveillance indépendants dont l'objectif est de trouver les personnes qui, selon eux, agissent de façon non islamique. Ils infligent souvent des blessures graves à leurs victimes qui ne sont pas remises en question par les représentants du gouvernement et leur comportement est appuyé par bon nombre de partisans du régime.
    Deuxièmement, je voudrais parler de la liberté d'expression et d'association parce que les Iraniens jouissent de très peu de droits politiques, si tant est qu'ils en ont. Fondamentalement, ils n'ont aucune possibilité de modifier leur gouvernement. L'Iran prétend être une démocratie complète où se tiennent des élections pour choisir le président et la législature. Ce n'est toutefois qu'une façade. En pratique, les votes n'ont aucune signification puisque les chefs religieux au pouvoir contrôlent la liste des candidats ainsi que le processus électoral. Ils ont même été accusés de falsifier les bulletins de vote.
    L'expression est fortement réprimée et la constitution ne protège pas le droit de parole. Les manifestations publiques sont généralement bannies et lorsqu'elles surviennent spontanément, elles sont brutalement réprimées.
    Bien que la liberté de la presse soit garantie par la constitution, elle est restreinte et n'existe que pour diffuser les déclarations qui n'offensent pas l'Islam ainsi que les groupes religieux au pouvoir. Cela aussi se base sur leur propre interprétation de l'Islam. Les déclarations critiquant le défunt Ayatollah Khomenei, le chef suprême Khamenei et les règlements des chefs religieux sont interdites de publication, de même que les énoncés favorisant les opinions de certains dissidents religieux et encourageant les droits des minorités. Par exemple, trois journaux dissidents ont été fermés en Iran par le gouvernement juste avant l'élection récente du président Ahmadinejad après que l'un d'entre eux eut publié une lettre critiquant le gouvernement pour avoir truqué les élections. Voilà pourquoi la presse, même si elle n'est pas officiellement contrôlée par l'État, pratique souvent l'auto-censure de peur des représailles du gouvernement.

  (1130)  

    Actuellement, le régime prend des mesures encore plus sévères en ce qui concerne les journalistes et les blogueurs qui font des déclarations incompatibles avec les opinions prescrites par le régime.
    Je parlerai maintenant des violations de la liberté religieuse, encore une fois à un niveau élevé. La liberté de pratiquer sa religion existe, mais elle se limite à la pratique de l'Islam shiite, la religion officielle de l'Iran. Même si la population sunnite n'est pas généralement victime de violence, les plaintes de discrimination contre le gouvernement sont nombreuses. De plus, les activités religieuses des chrétiens et des Juifs sont limitées et les membres de ces groupes souffrent grandement de discrimination. Par exemple, ils n'ont pas accès aux emplois dans l'administration, qui constituent une grande partie des emplois en Iran.
    Les données indiquent qu'ils sont plus souvent arrêtés pour avoir eu un comportement non islamique. C'est encore pire pour les Baba'is. Les membres du bahaïsme n'ont droit à aucune protection et leur religion est considérée comme non islamique en vertu des lois iraniennes et, par conséquent, illégale.
    Il y a quantité d'autres exemples de discrimination religieuse dans le code pénal iranien. Si un musulman est assassiné, le coupable est assujetti à des mesures de rétorsion. En revanche, si un musulman tue un non-musulman, le tueur doit simplement verser le prix du sang à la famille de la victime pour s'acquitter de sa « dette ». Comme c'est le cas dans plusieurs pays intégristes islamiques, celui qui veut se convertir à une autre foi que l'Islam est passible de la peine de mort.
    Je voudrais maintenant parler des droits des femmes, parce que les femmes, en tant que minorité, sont fortement réprimées. En raison des attentes élevées envers elles en vertu du code islamique, elles sont ciblées plus fortement. Même s'il y a bien quelques députées, cela ne reflète pas fidèlement le statut de la femme. En outre, l'application des lois iraniennes à la femme est une violation du droit international en matière de droits de la personne.
    La femme a en fait peu de droits indépendamment de son mari. Elle ne peut pas voyager sans son autorisation. Le témoignage de deux femmes équivaut à celui d'un seul homme. Le prix du sang versé à la famille d'une victime de sexe féminin est la moitié de la somme versée pour un homme. Souvent, la police des moeurs bat les femmes dans la rue parce qu'elles sont habillées de façon inconvenante, portent des produits de beauté ou fréquentent un célibataire.
    Les femmes reçoivent souvent des peines beaucoup plus lourdes que les hommes pour le même crime. Par exemple, un homme qui commet un viol peut ne recevoir aucun châtiment tandis que des accusations liées à l'absence de chasteté contre une femme, même dans le cas d'un viol, peuvent entraîner la peine de mort. Le traitement est encore pire pour les femmes qui sont emprisonnées, car le viol, en particulier des vierges, y est un châtiment très commun.
    En outre, les militants des droits de la personne de sexes féminin et masculin sont persécutés lorsqu'ils tentent d'obtenir davantage de liberté pour les femmes en Iran. Plus tôt ce mois-ci, les forces de sécurité en Iran ont attaqué et dispersé une foule d'une centaine de personnes qui soulignaient la Journée internationale de la femme.
    Je voudrais maintenant aborder la question des assassinats, de la torture et des traitements inhumains par les autorités iraniennes.
    Depuis la révolution de 1979, on estime à 120 000 le nombre d'exécutions politiques commandées par le régime. Le nombre de prisonniers en Iran est devenu alarmant et ne cesse d'augmenter. Le nombre d'Iraniens incarcérés est horrifiant et largement condamné. Par exemple, en décembre 2004, quand des journalistes ont affirmé publiquement qu'ils avaient été torturés et arrêtés sans mandat, le procureur en chef du pays a menacé de leur infliger des préjudices corporels à eux et à leur famille.
    Il y a peu de justice pour les victimes de torture et de « mort accidentelle » subséquente, qui survient souvent pendant les interrogations. L'Iran est au sommet de la liste d'après un grand groupe de défense des droits de la personne, en ce qui a trait au nombre d'exécutions.
    Les méthodes d'exécution inhumaines que sont la pendaison, la crucifixion et la lapidation sont encore plus affligeantes. La lapidation, souvent une peine imposée pour les crimes allant à l'encontre de la chasteté, est régie par des directives très précises indiquées dans le code pénal iranien. Par exemple, l'article 104 dispose que les pierres ne doivent pas être assez grosses pour tuer la personne en un ou deux jets. Le but de cette précision est de s'assurer que la personne ne meurt pas immédiatement et connaisse plutôt une mort lente et douloureuse.
    Malgré les accusations nombreuses de l'ONU et d'autres instances partout dans le monde, l'Iran continue de commettre de graves violations des droits de la personne.
    Pour terminer, je parlerai des menaces et de l'incitation au génocide avant de faire des recommandations.
    Ces dernières années, des hauts dirigeants iraniens ont publiquement appelé à la destruction de l'État d'Israël, ce qui, je crois, constitue une violation des obligations de l'Iran en vertu de la convention sur le génocide, signée par l'Iran. Pour être plus précis, le président Mahmoud Ahmadinejad a publiquement appelé à la destruction d'Israël. Je cite: « Comme l'a dit l'imam, Israël doit être rayé de la carte. » Si le moindre doute subsistait quant à ses intentions, le président Ahmadinejad a présidé au défilé d'un missile Shahab-3 drapé d'une bannière déclarant qu'Israël devait être rayé de la carte. Il a répété différentes versions de cette déclaration à plus de dix reprises entre 2005 et 2007. L'Ayatollah Khamenei, le chef suprême de l'Iran a déclaré ceci: « Il n'y a qu'une solution au conflit au Moyen-Orient, l'anéantissement et la destruction de l'État d'Israël ». Vous trouverez d'autres citations dans mon texte.

  (1135)  

    Sur la foi des déclarations publiques et répétées des plus hauts dirigeants du gouvernement iranien incitant au génocide contre les Juifs d'Israël, quantité de gens, y compris des membres de votre comité, ont réclamé qu'une action soit intentée contre l'Iran à la Cour internationale de justice pour violation de la convention sur le génocide. Ici au Canada, l'importante organisation juive pour les droits de la personne B'nai Brith a demandé au gouvernement canadien d'intenter la poursuite.
    Je n'ai fait que décrire brièvement ici le large éventail d'abus commis par le régime iranien. Le plus déplorable, à mon avis, c'est que pendant que l'attention du monde est braquée sur la question nucléaire, la population iranienne continue de souffrir aux mains de ses propres dirigeants. Vu l'impunité avec laquelle ils agissent, il est très difficile d'influer sur leur conduite mais, comme le professeur Akhavan l'a dit, c'est chose possible. Comme lui, je pense que le Canada est bien placé pour continuer à exercer des pressions sur le gouvernement iranien. En particulier, je recommande que le Canada envisage de prendre les mesures suivantes:
    Premièrement, profiter de sa présence au Conseil des droits de l'homme de l'ONU pour soulever le problème de l'Iran et combattre les efforts d'autres pays siégeant au Conseil pour éliminer les résolutions et les rapporteurs propres à chaque pays. À ce jour, le Conseil des droits de l'homme a malheureusement concentré son attention presqu'exclusivement sur Israël. Pas plus tard que la semaine dernière, j'étais à Genève au Conseil des droits de l'homme et j'ai été encouragé de voir le représentant du Canada participer activement aux discussions, se porter à la défense de l'État d'Israël et exprimer de vives inquiétudes au sujet des violations des droits de la personne dans plusieurs autres pays dont le cas était débattu pendant ma visite.
    Deuxièmement, demander aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU d'élargir le débat sur la situation en Iran, de ne pas se contenter de discuter des armes nucléaires mais aussi de se pencher sur l'incitation au génocide comme menace possible pour la paix et la sécurité internationale. Ils pourraient aussi envisager de transmettre l'affaire au procureur de la Cour pénale internationale. Même s'il y a peu de chance que cela se fasse, étant donné que plusieurs membres du conseil jouissent d'un droit de véto, je pense qu'il serait très utile que le Canada soulève la question auprès des membres du conseil de sécurité.
    Troisièmement, déposer une plainte directe entre États en vertu de la Convention sur le génocide contre l'Iran et continuer de dénoncer publiquement les abus continuels de l'Iran en matière de droits de la personne, ce que le Canada fait et doit continuer de faire.
    Enfin, continuer de collaborer avec les autres agences de l'ONU et la communauté internationale pour exercer davantage de pressions sur l'Iran.
    Je crois que rares sont les Iraniens qui se réjouissent d'être gouvernés par les mollahs. Pour avoir parlé avec beaucoup d'Iraniens revenus dernièrement d'une visite en Iran ou qui viennent d'immigrer aux États-Unis ou au Canada, je sais que la plupart d'entre eux les détestent. En fin de compte, il faut envisager d'autres manières d'épauler les forces démocratiques en Iran et parmi les exilés pour maintenir la pression sur le gouvernement iranien. Le système tout entier est fondé sur une perversion de l'Islam et ce n'est qu'en appuyant ceux qui peuvent parler au peuple iranien dans leur langue que le gouvernement changera et que nous verrons à terme liberté, démocratie et droits de la personne s'épanouir au profit de tout le peuple iranien.
    Merci beaucoup.

  (1140)  

    Merci beaucoup, monsieur Genser, de votre témoignage et d'être venu ici.
    Je vais maintenant donner la parole à Nazanin Afshin-Jam, de Vancouver. C'est une porte-parole et militante bien connue des questions des droits de la personne en général, notamment en Iran. Elle est à l'origine de la campagne « Halte à l'exécution de mineurs ». Malgré la distance, elle est intervenue avec succès à partir du Canada pour empêcher l'exécution de jeunes Iraniennes.
    Nous sommes ravis de vous accueillir ici pour témoigner, madame Afshin-Jam. Vous avez la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président, et merci aux autres députés membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

[Traduction]

    Je vais tenter de donner un visage plus humain aux exemples qui ont été fournis aujourd'hui afin d'illustrer la brutalité des violations des droits de la personne commises en Iran.
    En mars dernier, j'ai reçu un message électronique de la part d'un étranger à Paris qui m'a raconté l'histoire de Nazanin Fatehi en Iran. Nazanin Fatehi est une jeune fille de 17 ans qui se trouvait dans un parc avec sa nièce de 15 ans, l'an dernier, lorsque trois hommes ont tenté de les attaquer et de les violer. En tentant de se défendre, Nazanin a poignardé l'un de ces hommes. Au lieu d'être traitée comme la victime d'une tentative de viol, elle a été jugée comme une criminelle et condamnée à être pendue par les tribunaux de la république islamique.
    J'ai été consternée par cette histoire lorsque je l'ai entendue et par le fait qu'aucune agence de presse ne retenait cette histoire parce que, selon elles, elle ne valait pas la peine d'être publiée et était trop banale. J'ai décidé d'entreprendre une campagne, en commençant par créer une pétition qui comporte maintenant plus de 350 000 signatures. Par la suite, j'ai fait pression auprès de différentes organisations internationales telles que le Parlement canadien, l'Union européenne, les Nations Unies et finalement le Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Louise Arbour. Elle a rappelé à l'Iran que le gouvernement avait des obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que de la Convention relative aux droits de l'enfant, dont l'Iran est signataire. La convention indique que l'Iran n'a pas le droit d'exécuter quiconque ayant moins de 18 ans.
    Les efforts combinés de la communauté internationale et de ces organisations internationales, de même que les pressions ont forcé les tribunaux islamiques à parler. En juin dernier, le chef de la magistrature iranienne, Ayatollah Shahrudi, a accordé un sursis d'exécution à Nazanin et a ordonné un nouveau procès complet.
    Le nouveau procès a eu lieu en janvier, et les cinq juges qui présidaient l'affaire ont reconnu qu'il s'agissait d'un cas d'auto-défense. Ils ont blanchi Nazanin de toutes les accusations de meurtre, et le 31 janvier, Nazanin a été libérée de prison.
    Je mets cette affaire en lumière parce que je veux tout d'abord qu'il s'agisse d'un symbole des violations très graves des droits de la personne qui existent en Iran et des situations désespérées des femmes. De l'autre côté, je veux démontrer au sous-comité aujourd'hui que lorsque les gouvernements de pays comme le Canada prennent des mesures et exercent des pressions internationales, ces efforts font réellement une différence et forcent la république islamique à parler et à répondre à son propre peuple.
    Je suis seule et j'ai pu rassembler de nombreuses personnes, alors je ne peux qu'imaginer ce que pourrait faire le gouvernement canadien afin de sauver des milliers de vies et de « délivrer » les Iraniens qui sont emprisonnés dans un système avec lequel ils ne sont pas d'accord.
    Je ne suis pas ici à titre d'analyste politique; je suis ici un peu comme une représentante non officielle du peuple iranien. Depuis cette campagne, j'ai reçu des milliers de messages électroniques d'Iraniens, tant en Iran qu'au sein de la diaspora, qui me parlaient de leur douleur, de leur souffrance et des exemples précis des différentes sortes de brutalité dont ils ont souffert dans ce régime. Aujourd'hui, j'essaie de m'exprimer en leur nom pour vous communiquer leur message et, je l'espère, vous offrir certaines de leurs solutions.
    L'un des exemples dont je vous parle est le cas d'un jeune couple, Azita Shafaghat et son époux, qui se sont sauvés de l'Iran. Ils étaient emprisonnés à la suite des révolutions étudiantes de 1999. Ils ont quitté le pays via l'Irak et se sont rendus en Turquie. Ils tentaient de se rendre en Grèce, où vit la famille d'Azita. Les autorités grecques les ont rattrapés, parce qu'ils se trouvaient au pays illégalement, et les ont expulsés vers la Turquie, où ils ont passé neuf mois en prison. Ils viennent tout juste d'être libérés, et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés leur offrira l'entrée dans un tiers pays.
    Je voulais vous parler de cette affaire parce qu'Azita et son époux se sont convertis au christianisme, ce qui fait que s'ils avaient été expulsés vers l'Iran, ils auraient encouru de graves conséquences; peut-être même la peine de mort. C'est un seul exemple.

  (1145)  

    Il y a aussi l'exemple de Zahra Kamalfar et de ses deux enfants. Je dois féliciter le gouvernement canadien, qui a récemment offert l'asile à Zahra Kamalfar et à ses enfants. Ils ont vécu dans un corridor de l'aéroport de Moscou pendant plus d'un an parce qu'ils ne voulaient pas être expulsés à nouveau en Iran. Lorsque les autorités russes ont tenté de les expulser, Zahra Kamalfar et sa fille ont tenté de se suicider. Le fait qu'elles aient pris de telles mesures démontre à quel point le régime dans leur pays d'origine doit être brutal.
    Il y a aussi l'exemple d'Amir Abbas Fakhravar, qui vit maintenant à Washington. Il a été victime de torture. Il a été enfermé dans une salle blanche, une cellule, pendant environ huit mois. Les lumières étaient toujours allumées. On lui servait du riz blanc sur un bout de papier blanc, et les gardes qui lui apportaient ces repas portaient des chaussures à semelles silencieuses; cela vise la sensibilité de la personne et a pour objectif de la désorienter. C'est une forme de torture. Voilà seulement quelques exemples.
    Il y a quelques jours, j'ai appris l'histoire d'une autre femme, qui est en fait Canadienne. Je ne vous dirai pas son nom maintenant parce que l'histoire n'a pas été publiée dans les médias et que personne ne la connaît. Ce sont des documents officiels, et je veux qu'ils demeurent assez confidentiels. Elle est documentariste. Elle s'est rendue en Iran, et elle a été emprisonnée. Elle a maintenant été libérée contre une caution de 120 000 $, mais devra retourner après le nouvel an perse. J'ai présenté cette affaire au MAECI hier, et on m'a dit que cette histoire serait examinée.
    Nous ne parlons pas seulement d'Iraniens en Iran; cela touche les Canadiens également. Je me suis rappelée, avec un frisson dans le dos, de l'exemple de Zahra Kazemi, dont M. Akhavan a déjà parlé.
    Nous voyons une telle brutalité et de telles violations des droits de la personne depuis 27 ans, soit depuis la Révolution iranienne. Seule une petite minorité de dirigeants islamiques fondamentalistes contrôlent les 70 millions d'habitants. Je veux répéter le fait que le président Ahmadinejad et le chef suprême, l'ayatollah Khamenei, ne sont pas des représentants du peuple; la population n'est pas d'accord avec les principes de ces dirigeants.
    Je suis ici aujourd'hui pour encourager le Canada à agir comme un leader afin d'aider à la construction d'un nouvel Iran et de nouvelles solutions. M. Akhavan a déjà indiqué que le Canada ne devrait adopter aucune solution extrême. Le Canada ne devrait pas adopter les aspects extrêmes de certaines recommandations formulées par nos voisins américains au sujet d'une intervention militaire, parce qu'une telle intervention finirait par pousser les Iraniens à se rallier à Ahmadinejad — en dépit du fait qu'ils ne veulent pas le faire — parce qu'ils auront l'impression que leur souveraineté territoriale est attaquée et qu'ils voudront riposter.
    En revanche, il ne faut pas non plus adopter la tactique de pacification, comme l'ont fait les Européens. Depuis des années, les Européens offrent aux représentants iraniens un dialogue, ce qui légitimise les représentants iraniens. Cela revient à dire qu'ils représentent le peuple, ce qui n'est en fait pas le cas.
    Selon moi, le Canada devrait adopter une position mitoyenne. Je ne dis pas cela simplement en raison de mes croyances personnelles; de nombreux érudits iraniens de partout dans le monde disent la même chose, c'est-à-dire que la seule solution est d'appuyer le peuple iranien de l'intérieur, d'appuyer les mouvements des droits civils et en particulier les mouvements de défense des femmes et des enfants, en les encourageant à agir au moyen de la désobéissance civile non violente, pour tenter d'apporter des changements vers un nouvel Iran démocratique.
    Nous avons vu des cas semblables, comme par exemple les révolutions en Europe de l'Est, en Afrique du Sud et en Amérique latine. C'est une nouvelle façon d'agir. Je crois que le Canada pourrait réellement être un chef de file dans ce domaine.
    La question est de savoir si les Iraniens sont prêts. Que veulent-ils? Selon moi, oui, ils sont prêts et ils veulent cela depuis des années. Ils veulent la démocratie. Ils veulent la liberté. Ils veulent la primauté du droit. Ils veulent une constitution fondée sur les droits de la personne. Ils veulent le développement économique et ils veulent une distinction entre la religion et l'État.
    Encore une fois, qui saisira la chance? Selon moi, il s'agira des mouvements des droits des femmes et des enfants et le mouvement ouvrier.

  (1150)  

    Je parle des jeunes parce que, comme M. Akhavan l'a déjà indiqué, 70 p. 100 de la population a moins de 30 ans, et ils aspirent tout simplement à la démocratie et à la liberté. Il existe 70 000 blogues en perse, ce qui est davantage que dans toute autre langue, à l'exception de l'anglais. Ils clavardent constamment avec des Occidentaux. Ils veulent de la modernité. Ils veulent être libres.
    Nous avons pu voir un exemple de leur courage en 1999, comme je l'ai dit, lors des manifestations étudiantes du 9 juillet. Des milliers de jeunes se sont rassemblés et ont exigé leur liberté, et des milliers d'entre eux ont été emprisonnés et torturés. Certains de ces prisonniers politiques sont toujours en prison aujourd'hui, et l'ont été depuis sept ou huit ans.
    Récemment, un groupe d'étudiants a tenu une photographie d'Ahmadinejad à l'envers. Ils ont fait brûler la photographie et scandaient « À bas le dictateur ». Cela représente bien leurs impressions. En dépit du fait qu'ils pourraient encourir la torture et l'emprisonnement, ils continuent de se faire entendre.
    C'est la même chose avec les femmes. Les femmes ont toujours joué un rôle important dans la société civile iranienne. Il s'agit d'un mouvement très fort. Les femmes sont hautement éduquées. En Iran, entre 65 et 70 p. 100 des étudiants universitaires sont des femmes, contrairement à certains pays voisins au Moyen-Orient, comme l'Arabie saoudite, où les femmes sont réprimées depuis des centaines d'année, et où elles sont habituées à un mode de vie servile.
    Encore une fois, les droits des femmes leur ont été retirés depuis seulement 27 ans. En 1935, les femmes disposaient de lois sur l'émancipation et elles pratiquaient l'égalité. Mais cette égalité leur a été enlevée. Leurs droits leur ont été enlevés. Selon la charia, la vie d'une femme vaut la moitié de celle d'un homme en diya. Pour ce qui est des cas de garde d'enfants, c'est le père qui obtient la garde des enfants. Dans les cas de divorce et en vertu des lois portant sur la succession, les hommes et les femmes ne sont pas traités équitablement.
    Que puis-je dire d'autre?
    Les femmes n'ont pas peur de se prononcer contre cet apartheid des sexes. En juin dernier, des centaines de femmes se sont réunies pour manifester et pour demander l'égalité des droits. Une immense campagne a été entreprise par 50 des principaux activistes pour les droits des femmes en Iran. C'est une campagne intitulée « Un million de signatures demandant des changements aux lois discriminatoires ». Cette campagne a joué un rôle considérable pour élargir les idées de la démocratie. Ces femmes sortent du centre-ville de Téhéran et forment d'autres femmes dans les villages et d'autres villes afin qu'elles aient plus de pouvoirs, qu'elles expriment leurs inquiétudes et qu'elles veuilles l'égalité.
    En mars, quelques jours avant la Journée internationale de la femme, une cinquantaine de femmes se sont rassemblées pour exprimer leur solidarité envers les quatre femmes qui ont été arrêtées lors du rassemblement de femmes de l'an dernier. Elles tenaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Nous avons la liberté de réunion ». Trente de ces femmes ont été arrêtées. Elles ont été relâchées environ une semaine plus tard, mais deux d'entre elles sont demeurées en isolement cellulaire jusqu'à il y a quelques jours. L'une de ces femmes était Shadi Sadr, l'avocate de Nazani Fatehi, dont j'ai parlé au début de cet exposé. Elles ont été libérées moyennant un cautionnement de 200 000 $. Elles devront retourner là-bas, et elles seront passibles de deux à cinq ans d'emprisonnement pour avoir porté atteinte à la sécurité nationale, et elles pourraient même être condamnées à mort. Voilà à quel point ces condamnations sont graves.
    Ce que je veux dire, c'est que les jeunes et les femmes ont la volonté de se faire entendre et sont prêts à le faire. Ils ont simplement besoin de l'appui de la communauté internationale. Ils ont besoin de l'appui du gouvernement canadien. Ils ont besoin de l'appui des organisations internationales. C'est la seule façon qu'ils ont de pouvoir changer le système de l'intérieur et d'amener la paix et la sécurité non seulement aux Iraniens mais également aux régions avoisinantes ainsi qu'aux Canadiens.

  (1155)  

    Que peut donc faire le Canada précisément? Je ne sais pas si vous avez reçu le document que je vous ai envoyé, qui contenait certaines mesures que le Canada peut prendre précisément. Je ne les lirai pas toutes, mais je vais en souligner quelques-unes.
    En plus d'appuyer les dissidents, je suggère fortement au Canada de condamner les atrocités brutales continuelles, les violations des droits de la personne commises par la République islamique d'Iran et, plus précisément, de demander la libération immédiate des prisonniers politiques ainsi qu'un moratoire sur les exécutions des enfants qui commettent une infraction. D'ailleurs, l'Iran est le seul pays au monde qui exécute toujours des mineurs, et il y a à l'heure actuelle environ 25 mineurs qui attendent leur exécution en Iran. Le Canada devrait demander la fin de la pratique de la lapidation et demander des procès équitables et le droit à des avocats.
    M. Akhavan a déjà indiqué le besoin de sanctions ciblées contre l'Iran, sans toutefois, mettre en danger les Iraniens.
    Il faudrait surveiller les relations commerciales entre le Canada et l'Iran ainsi que les investissements iraniens au Canada. J'ai reçu des plaintes des gens de ma propre communauté à Vancouver, selon lesquelles le Canada accepte beaucoup d'argent sale de ces mollahs, qui achètent des manoirs à Vancouver et un peu partout au Canada. J'ai entendu dire que Rafsanjani avait investi un montant considérable ici au Canada. Ainsi, le Canada devrait geler les avoirs et les comptes personnels de ces représentants iraniens corrompus qui ont investi à l'étranger.
    Les hauts fonctionnaires iraniens associés à des violations des droits de la personne devraient être poursuivis devant un tribunal international. M. Akhavan a déjà parlé de la nécessité d'arrêter Saïd Mortazavi.
    Il faudrait aussi donner la chance aux dissidents Iraniens de se faire entendre; invitez-les à comparaître devant votre sous-comité pour entendre ce qu'ils ont à dire, y compris les avocats et les chefs de syndicats, ou encore certains leaders des jeunes et d'autres experts dans le domaine des questions iraniennes.
    Il faudrait par la suite entreprendre le deuxième volet de l'établissement de la diplomatie, fournir du financement aux dissidents politiques, aux syndicats et aux activistes dans le domaine des droits humains, et donner des subventions aux différentes ONG ici au Canada, afin qu'elles travaillent avec les ONG en Iran. Il serait bon de fournir du financement à des organisations en Iran, mais encore une fois, il faut être prudent, parce que si elles reçoivent de l'argent de l'étranger, on pourrait les considérer comme des espions et leurs militants pourraient être emprisonnés. Il faut agir de façon extrêmement prudente.
    Le Canada devrait également fournir des bourses d'études, des bourses de recherche, des échanges et des offres d'ateliers aux Iraniens afin qu'ils viennent ici au Canada. J'ai reçu de nombreuses plaintes à l'effet que le Canada ne permet souvent pas aux conjoints des personnes qui viennent ici pour étudier de venir également; ces personnes veulent que leurs conjoints puissent venir ici également.
    Il faudrait permettre à plus de réfugiés iraniens de venir au pays, et il faudrait créer une équipe d'observateurs avec d'autres membres des Nations Unies pour mener des enquêtes sur les prisons et le traitement des prisonniers en Iran.
    Il faudrait demander à la GRC d'ouvrir un dossier sur le procès de Zahra Kazemi.
    Finalement, le Canada devrait encourager la tenue d'un référendum régi par les Nations Unies en Iran, au cours duquel les gens pourraient décider de la façon dont ils veulent être dirigés.
    Le Canada ne devrait pas investir dans le régime actuel parce que son effondrement est inévitable. En faisant la promotion de la démocratie en Iran, nous investissons dans la paix et la stabilité de toute la région, ce qui, encore une fois, touche inévitablement les Canadiens.
    Je vais terminer en vous lisant le témoignage d'un prisonnier politique en Iran, nommé Valiollah, qui résume ce dont j'ai parlé:
Je crois réellement que la liberté, la démocratie et la justice sont vitales pour la vie des humains, tout comme l'air que l'on respire. Je me permets donc de vous demander de ne pas abandonner notre combat juste contre le régime d'oppression des mollahs. J'adresse également ces quelques mots aux leaders et aux laquais du régime: nous ne nous résignerons jamais à l'ignominie qui consiste à nous rendre à votre dictature répressive, même si nous devons le payer de nos vies.

  (1200)  

    Merci beaucoup, madame Afshin-Jam pour cet émouvant exposé.
    Je pense que les membres du comité doivent savoir que la diaspora souffre également. Je crois comprendre que Mme Afshin-Jam n'a pu se rendre dans son pays de naissance et ne pourra le faire à cause du régime actuel et de son activisme. Nous vous félicitons, vous et vos semblables, qui devez payer le prix de vos convictions.
    Passons à présent aux questions. Monsieur Cotler.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux me joindre au président pour vous féliciter, madame Afshin-Jam, de nous montrer le visage humain du témoignage que nous avons entendu ce matin. J'aimerais revenir sur vos recommandations et établir un parallèle avec le témoignage du professeur Akhavan et de M. Genser. J'aimerais leur poser des questions à ce sujet.
    Professeur Akhavan, je vais commencer par vous. Votre exposé était très exhaustif. J'aimerais que vous étoffiez certains des éléments dont vous avez parlé.
    D'abord, vous avez fait référence à des sanctions « ciblées ». Pouvez-vous nous en dire davantage? Pensez-vous à des sanctions onusiennes ou à des sanctions que le Canada pourrait imposer dans ce contexte?
    Deuxièmement, j'aimerais parler de la diplomatie à deux voies, dont a parlé Mme Afshin-Jam dans ses recommandations. Je sais que vous avez beaucoup étudié cette question. Quelles recommandations pouvez-vous nous donner à ce sujet?
    Troisièmement, je suis d'accord avec ce que vous avez dit, soit que le gouvernement devrait prendre l'initiative de préparer un acte d'accusation pour Saïd Mortazavi. Ça, c'est pour le côté criminel. En ce qui concerne le côté civil, j'aimerais savoir si vous pensez que le Canada devrait offrir des recours civils ici pour les victime de torture et de terrorisme en changeant la loi canadienne.
    Enfin, je m'adresse à vous, monsieur Genser, et vous pose les mêmes questions. Vous pouvez répondre à celles que vous voulez ou encore revenir sur votre dernier argument, au sujet de l'incitation au génocide.
    J'aimerais simplement signaler aux témoins que nous fonctionnons avec des tours de sept minutes pour chaque député, puis un deuxième tour de cinq minutes. Je vous demanderais d'être brefs, pour que chacun puisse poser des questions à chaque tour.

  (1205)  

    Oui. Je dois dire que je trouve que la question du professeur Cotler est fascinante. Je vais essayer d'être le plus bref possible.
    Pour les sanctions contre les États qui ont des programmes nucléaires, je pense que l'on commence déjà à cibler par exemple l'interdiction des voyages et le blocage des actifs.
    Ma distinguée collègue, Mme Afshin-Jam, a évoqué les nombreuses allégations au sein de la communauté iranienne selon lesquelles le Canada est la destination de choix pour le blanchiment d'argent, pour blanchir d'énormes quantités d'argent qui sont le fruit de la corruption et du crime. Nous avons maintenant une convention de l'ONU contre la corruption et nous devrions comprendre que nous avons en fait une influence considérable parce que le Canada est une destination de choix pour les immigrants iraniens. Nous devons envoyer le message que nous accueillons à bras ouverts les immigrants iraniens, mais que nous ne laisserons pas le Canada devenir un refuge pour le produit de la criminalité et pour ceux qui ont été impliqués dans des violations des droits de la personne.
    Je pense que nous devrions commencer par mettre de l'ordre dans nos propres affaires en renforçant nos services de renseignements sur les transferts de fonds et les déplacements des personnes. Ensuite, ayant établi ce précédent, peut-être pourrions-nous encourager les discussions aux Nations Unies, notamment en donnant suite à la recommandation de mon collègue M. Genser, à savoir d'établir un lien au Conseil de sécurité entre le dossier nucléaire et la situation des droits de la personne en Iran, et en encourageant la prise de sanctions ciblées comme l'interdiction des voyages et le blocage des actifs, y compris ceux détenus par les dirigeants impliqués dans des crimes contre l'humanité.
    Je veux ajouter que Human Rights Watch a publié récemment un rapport intitulé « Cabinet of Murder », dans lequel on implique au moins deux ministres du cabinet du président Ahmadinejad dans des crimes contre l'humanité, y compris l'exécution en masse, en 1988, de quelque 4 000 prisonniers gauchistes en Iran.
    Pour ce qui est de la diplomatie du volet deux, l'un des problèmes est que les États-Unis ont monopolisé ce dossier. C'est devenu en quelque sorte le baiser de la mort pour la société civile en Iran, comme l'illustre l'arrestation de Ramin Jahanbegloo cet été. Quiconque réclame la résistance non violente est simplement dénoncé par le régime comme membre des services d'espionnage américain.
    Je pense que nous devons non seulement critiquer les États-Unis, mais aussi jeter un regard critique et nous demander pourquoi les Canadiens et les Européens n'ont pas pris de mesures, eux non plus, pour mettre en place une approche multilatérale qui appuie et renforce la société civile en Iran. Je pense que nous devons faire preuve d'imagination et comprendre par exemple que les organisations de femmes au Canada, comme l'a dit Mme Afshin-Jam, peuvent faire beaucoup pour aider les organisations de femmes en Iran. Les syndicats au Canada peuvent faire beaucoup en termes de soutien technique et de solidarité avec les syndicats en Iran.
    Je suis un ancien procureur du tribunal sur les crimes de guerre en Yougoslavie. N'oublions pas que les bombes de l'OTAN n'ont pas fait tomber Slobodan Miloševic. Il a été renversé par la mobilisation massive du pouvoir populaire. La révolution de velours, un million de gens, en grande partie les syndiqués et les étudiants, a mis un terme au règne de Slobodan Miloševic, et c'est le tribunal des crimes de guerre de La Haie qui l'a empêché de se recycler et de ressusciter sa carrière politique.
    Par conséquent, je pense que la diplomatie du volet deux doit peut-être éviter les tensions qui existent au niveau gouvernemental en permettant à la société civile au Canada de travailler en partenariat avec la société civile en Iran. Je veux seulement signaler un événement notable: les chauffeurs d'autobus de Téhéran se sont récemment mis en grève et la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles a exprimé son soutien à ce mouvement. Cet appui était très important.
    Enfin, il y a la question de ce que je pense des exceptions à l'immunité absolue devant les tribunaux canadiens. C'est un principe bien établi en droit international que l'immunité absolue ne s'applique pas aux activités commerciales. La question est de savoir pourquoi ayant accepté ce principe de droit au Canada, nous ne pouvons pas maintenant l'appliquer aux violations des droits de la personne et aux actes de terrorisme.
    Aux États-Unis, la Foreign Sovereign Immunities Act — mon collègue M. Genser serait mieux placé pour vous en parler — renferme explicitement des exceptions en matière de droits de la personne, au point que si un État s'est livré à la torture et dans les cas de graves violations des droits de la personne, l'immunité absolue ne s'applique plus aux États étrangers. Je ne vois aucune raison nous empêchant d'adopter au Canada une loi semblable qui ferait place aux normes fondamentales des droits de la personne, au lieu de faire de l'immunité absolue une sorte de tabou qui, pour une raison ou une autre, doit l'emporter sur toute autre norme.

  (1210)  

    Je pense que l'argument voulant que cela ouvrirait une boîte de Pandore et créerait une situation incontrôlable est déraisonnable. Aux États-Unis, on a vu que le système judiciaire a été tout à fait en mesure de traiter ces situations et que cela a eu une incidence considérable en envoyant le message, encore une fois, que l'on ne peut pas se réfugier derrière le bouclier de la souveraineté quand on s'est livré au terrorisme ou quand on est impliqué dans de graves violations des droits de la personne.
    Monsieur Genser, si vous voulez répondre, veuillez être très bref, parce que nous avons déjà dépassé les sept minutes.
    Je voudrais simplement donner une plus vaste portée aux propos de Mme Afshin-Jam, quand elle parlait tout à l'heure d'ouvrir les bras aux activistes locaux prodémocratie — les femmes, les jeunes et les autres.
    En plus d'être président de ma propre ONG, Freedom Now, j'ai également une bourse de séjour à la National Endowment for Democracy à Washington. Cette organisation, comme vous le savez peut-être, est une organisation quasi-gouvernementale qui reçoit des crédits du Congrès pour appuyer les mouvements prodémocratie locaux dans divers pays du monde, pour les aider à renforcer leur capacité, leur formation, à diffuser des émissions de radio et à financer leurs activités courantes.
    Ces temps-ci, du point de vue des États-Unis, la promotion de la démocratie a mauvaise presse dans le monde, mais je pense que le gouvernement du Canada est très bien placé pour créer une organisation analogue ici au Canada. Droits et démocratie est très bien connu dans le monde entier pour son excellent travail, mais aussi à titre d'organisation parallèle qui fournit une aide financière considérable aux mouvements en faveur de la démocratie dans le monde, y compris ceux qui fonctionnent en Iran. Je pense que ce serait une mesure très positive pour le Canada s'il s'engageait davantage dans le monde en adoptant dans sa politique étrangère une approche fondée sur les principes qui fait correspondre les discours et l'aide financière au bénéfice de ceux dont les valeurs sont compatibles avec les valeurs des Canadiens.

[Français]

    Merci.
     C'est au tour de Mme Saint-Hilaire de prendre la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie aussi d'être ici avec nous cet après-midi. Pour reprendre les propos de mon collègue M. Cotler, je dirai que c'est très intéressant parce qu'on a souvent l'impression que l'Iran est très, très loin. Ce midi, vous donnez un visage humain et plus personnel à l'Iran.
    J'ai trois questions à poser et puisque le président est très rigoureux en ce qui a trait au temps, je les poserai rapidement. Tout d'abord, j'ai récemment lu les propos de la présidente élue de la résistance iranienne qui disait souhaiter un embargo général diplomatique. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Le Canada devrait-il proposer cet embargo et exercer des pressions pour qu'il soit mis en place?
    Ensuite, je ne veux pas vous mettre en opposition, mais je veux bien comprendre. Madame Afshin-Jam, vous disiez souhaiter que le Canada accepte temporairement plus de réfugiés iraniens. Comment le gouvernement canadien pourrait-il éviter que le Canada devienne un refuge pour du commerce, du blanchiment d'argent ou du trafic? Je crois que M. Genser a évoqué cette possibilité. Comment concilier cela?
    Finalement, vous avez énoncé plusieurs mesures que le gouvernement canadien pourrait adopter. Toutefois, cela traîne depuis plusieurs années. Le Canada pourrait-il compter sur l'appui d'autres pays afin d'adopter une approche plus multilatérale plutôt que d'être le seul bon joueur, un joueur qui, je dois le dire, a tendance à être pour l'instant plus près du gouvernement américain? Avec quels pays le Canada pourrait-il s'associer afin d'adopter ces mesures?
    Encore une fois, je vous remercie.
    Les questions s'adressent-elle à quelqu'un en particulier ou sont-elles ouvertes à tout le monde?
    Elles s'adressent à vous trois.
     J'aimerais apporter une précision sur les réfugiés qui arrivent au Canada. Je pense que beaucoup d'entre eux veulent venir au Canada. Depuis quelques années, le gouvernement du Canada n'accepte pas beaucoup de réfugiés. Le ministre Kenney m'a dit qu'une commission étudiait la possibilité d'accepter plus de réfugiés. Les réfugiés sont plutôt ceux qui ont été victimes d'abus en Iran. Ce ne sont pas ceux qui arrivent ici avec des millions de dollars, de l'argent sale, comme je l'ai déjà dit. Ce sont plutôt des représentants du gouvernement qui occupent des postes très élevés, des mollahs, qui contrôlent l'argent. Je ne sais pas comment le Canada va contrôler cet argent. Les réfugiés sont différents de ceux qui arrivent ici avec beaucoup d'argent.

  (1215)  

    Je vais essayer de répondre à la question sur le multilatéralisme.

[Traduction]

    La raison pour laquelle je pense que le Canada peut réussir à encourager une politique de sanctions ciblées est qu'une telle approche est déjà en place dans le dossier nucléaire — c'est un argument.
    Le deuxième point est que les solutions de rechange sont tellement draconiennes en termes de possible confrontation militaire que le Canada est à mon avis bien placé pour offrir une solution de rechange qui ne soit pas perçue comme un apaisement, qui soit efficace tout en étant non violente.
    Pour ce qui est de l'embargo diplomatique, c'est une question difficile. Je pense qu'il faut garder ouvertes les voies de communication. Ce ne serait pas une bonne politique de rompre les liens diplomatiques avec l'Iran, certainement pas d'agir isolément et certainement pas à cette époque où il est particulièrement important de conserver ouvertes les voies de communication à cause du danger d'une quelconque confrontation. Je pense que le message qui a été transmis constamment par la communauté internationale est que ceux qui commettent des violations des droits de la personne en paieront le prix, et ce message sera entendu haut et clair en Iran.
    Je vais vous montrer dans un instant trois rapports de l'organisation que j'ai fondée de concert avec des collègues, le Centre de documentation sur les droits de la personne en Iran, qui a son siège à New Haven.
    Le premier est le rapport d'enquête le plus complet sur le meurtre qui a été commis à Mykonos. Je pense que c'est un très bon exemple. Il montre que lorsque l'Union européenne a dit au gouvernement iranien, d'une seule voix, que l'Europe n'accepterait plus d'assassinats politiques sur son territoire, il n'y a pas eu d'autres assassinats politiques.
    Le gouvernement iranien peut exploiter, disons, les intérêts commerciaux et d'autres motivations comme moyens visant essentiellement à apaiser ces critiques. En un sens, je pense que la communauté internationale est responsable d'avoir toléré la situation qui existe depuis tellement longtemps en Iran.

[Français]

    Je voudrais également ajouter que le Canada peut ouvrir la marche. Par la suite, les Américains, les Européens et les autres pays pourront suivre. Le Canada peut vraiment jouer un rôle très actif. Si nous connaissons du succès, les autres pays pourront le constater. Le fait que les Iraniens autour du monde appuieront la position du Canada va forcer la main aux autres pays, puisque les citoyens à l'intérieur de ces pays vont poser des questions et demander à leur gouvernement de suivre la même route que celle du Canada.

[Traduction]

    Je voudrais ajouter rapidement qu'à mon avis, le plus grand danger pour le Canada ou tout autre gouvernement du monde dans le dossier des droits de la personne, c'est l'auto-censure. Les mollahs laissent entendre que si nous osons soulever les questions des droits de la personne, cela mettra fin à tout dialogue, qu'ils ne sont pas disposés à accepter la moindre critique sur ces questions.
    Je pense que le contraire est vrai, comme le professeur Akhavan l'a dit au sujet du meurtre commis à Mykonos. Comme l'a dit également Mme Afshin-Jam à propos de la libération de son homonyme, en fin de compte, c'est seulement en ne gardant pas le silence que nous pourrons influer sur la situation des droits de la personne en Iran. En dernière analyse, quand la communauté internationale peut parler d'une seule voix comme elle l'a fait récemment dans le dossier nucléaire, on constate que nous pouvons faire bouger l'Iran, quoique lentement, quoique difficilement. Le pire que nous puissions faire, c'est de nous censurer et de dire que nous allons éviter de soulever ces questions de crainte de causer des problèmes.

  (1220)  

[Français]

    Merci.
     On a outrepassé le temps réservé à ce tour. Nous passons donc à M. Sorenson.

[Traduction]

    Merci à vous tous d'être présents aujourd'hui.
    Je peux dire que, chose certaine, les membres de notre comité avaient hâte d'entreprendre une étude sur l'Iran. Nous avons fait pas mal de travail sur la Chine et d'autres pays. Mais quand on est en présence d'un dirigeant autoritaire, comme c'est le cas aujourd'hui dans ce pays, cela fait évidemment les manchettes.
    Aussi, en tant que parlementaires, nous rencontrons beaucoup de nos commettants qui nous font part de leurs craintes sur des parents à eux qui vivent en Iran. Ils s'inquiètent des violations des droits de la personne en Iran. Ils s'inquiètent des menaces d'un régime autoritaire qui est prêt à tout et qui pourrait entraîner le pays dans l'abîme.
    Dans votre témoignage, vous avez abordé l'aspect démographique et vous avez dit que 70 p. 100 de la population iranienne a moins de 30 ans. Il est certain qu'au Canada, on constate la situation démographique contraire pour ce qui est des jeunes générations, et c'est également préoccupant.
    Au sujet de l'espoir que nous entretenons à l'égard de cette nouvelle génération qui arrive, cet espoir est-il fondé ou bien ces jeunes sont-ils entraînés dans la philosophie que leur leader voudrait leur inculquer, à savoir que le seul moyen d'apporter un changement est d'embrasser un Islam fondamentaliste ou de se lancer dans l'action militante islamique?
    À votre avis, qu'est-ce que le Canada peut faire précisément pour encourager les jeunes en Iran à passer à l'action? Comment pouvons-nous les rejoindre à partir d'ici?
    Une autre question s'est posée quant M. Cotler ou peut-être Mme St-Hilaire ont parlé d'un embargo diplomatique. D'un côté, on entend l'argument voulant que nous ne devrions pas entretenir la moindre négociation et que nous ne devrions pas adresser même la parole à ceux qui pourraient être perçus comme l'« ennemi » dans certains pays. Quand on songe à la Corée du Nord... Les États-Unis, en particulier, ne veulent pas s'asseoir à la même table que certains représentants du Hamas et du Hezbollah.
    Comment pouvons-nous obtenir l'adhésion d'une grande partie de la population en lui disant: nous allons imposer un embargo diplomatique, nous n'adresserons pas la parole à vos dirigeants et nous allons essayer de coordonner... non pas une révolte, mais un gigantesque soulèvement afin d'opérer un changement en profondeur?
    Dans quelle mesure devrions-nous dialoguer avec le gouvernement, le cas échéant? Que pourrait-on faire d'autres pour tendre la main à la population? Voyez-vous venir le jour où le peuple va renverser ce gouvernement? Cela va-t-il se faire par la boîte de scrutin? Dans quelle mesure le processus électoral est-il corrompu là-bas?
    Je vous invite à répondre à ces trois questions.
    Allez-y. N'importe lequel des témoins peut répondre.
    Mme Afshin-Jam.
    Je vais devoir remplir les blancs.
    Et bien, les élections sont une perte sèche, parce que même si le pays s'appelle république islamique, ce n'est pas une république et ce n'est pas une démocratie. Quand les gens vont voter, ils peuvent seulement voter pour un petit groupe de gens et se sont presque exclusivement des membres du clergé fondamentaliste et de droite, ceux qui sont au pouvoir. Les gens peuvent seulement voter pour un nombre limité de personnes. Cela ne sert quasiment à rien et le changement ne se fera pas par les élections.
    J'ai oublié la question suivante.
    L'autre question portait sur l'engagement des jeunes gens, mais il y avait aussi l'embargo diplomatique. Dans quelle mesure devrions-nous dialoguer et négocier avec un gouvernement?

  (1225)  

    On ne peut pas continuer à négocier, comme l'ont fait les Européens. Ils négocient depuis des années et cela ne sert qu'à gagner du temps.
    Au sujet du programme nucléaire et de son agrandissement, nous ne savons pas pourquoi ils font cela, mais nous devons agir rapidement et nous ne pouvons pas laisser cela de côté. Je répète que les gens souffrent à cause des violations des droits de la personne et nous devons agir vite.
    Personnellement, si les gouvernements du monde appuyaient un changement démocratique, par exemple, les étudiants se soulèveraient, comme on l'a vu dans la révolution d'octobre, la révolution de velours, la révolution rose ou la révolution orange. Si tous les gouvernements choisissaient un jour de dire aux étudiants iraniens: c'est aujourd'hui le grand jour, nous l'avons planifié et nous les avons aidés à le planifier, alors ils obtiendraient leur liberté. J'en suis certaine à 100 p. 100.
    Je sais que cela peut sembler puéril de parler de cette manière à des représentants du gouvernement, et je sais que mon langage n'est pas très diplomatique, mais dans beaucoup de blogues, on constate que les jeunes attendent presque ce grand jour de soulèvement où ils vont renverser le régime.
    Ce serait probablement la solution la plus facile selon moi, mais je suis certaine que M. Akhavan en aura long à dire là-dessus.
    En réponse à votre question sur la différence entre la génération précédente et la nouvelle, celle qui est essentiellement née après la révolution de 1979, j'ai lu un livre dont le titre saisit très bien le sentiment de cette génération. Le livre s'intitule Lipstick Jihac. Les jeunes en Iran lancent leur propre guerre sainte avec comme arme du rouge à lèvre, des IPods, des blogs, comme Mme Afshin-Jam l'a expliqué, et la télévision par satellite. Je crois qu'il y a parmi eux un immense désir de vivre des vies normales, de faire partie de la communauté internationale — et les jeunes en Iran sont très au fait de la nouvelle technologie.
    Je dois expliquer que notre centre a publié des rapports très détaillés sur la mort de Zahra Kazemi et sur la persécution des Baha'is en Iran, et nous croyons que tout cela s'inscrit dans le cadre d'un processus visant à dire la vérité. Tout comme il y a eu des commissions de la vérité dans d'autres sociétés, je pense que les jeunes Iraniens ont besoin de passer par cette transformation en apprenant la vérité sur les crimes qui ont été commis, et que les médias contrôlés par l'État leur dissimulent bien sûr.
    Nous avons une liste de diffusion de 40 000 personnes en Iran. Nous savons avec certitude que les 40 000 personnes à qui nous envoyons ces rapports les envoient à leur tour à beaucoup d'autres personnes, et nous avons donc un réseau très informel mais très efficace.
    Une fois que certaines vérités et certains faits seront connus et que certains tabous seront levés, les répercussions seront profondes et les gens auront le courage de réclamer des changements.
    En 1999, il y a eu une révolte étudiante en Iran, qui aurait pu devenir la révolution de velours de l'Iran si elle avait été appuyée par le président Khatami. L'un des problèmes de cette génération est sa profonde désillusion. Les gens sons désillusionnés parce qu'ils croyaient en 1997 que le président Khatami leur donnerait enfin ce qu'ils attendaient et il ne l'a pas fait. Inutile de nous attarder aux raisons de cet état de fait, mais ce qu'il faut retenir, c'est que la communauté internationale, tout comme elle l'a fait pour le mouvement anti-apartheid, doit inspirer et encourager les jeunes et leur donner la conviction qu'ils combattent pour une juste cause et qu'ils finiront par l'emporter.
    À cet égard, la mise en accusation de Saïd Mortazavi, le symbole, aux yeux des réformistes iraniens, de tout ce qui est mauvais dans ce régime, puisque c'est lui qui a jeté en prison des centaines de blogueurs, de journalistes et de dissidents, enverrait le message que cette figure altière et apparemment intouchable n'est pas intouchable ni invulnérable après tout. Cela créerait un encouragement extraordinaire parmi les jeunes. Ces gens-là doivent comprendre que la communauté internationale est solidaire et les appuie.
    Mais sur le plan plus pratique, on peut encore une fois leur tendre la main en appliquant la diplomatie du volet deux et en encourageant les échanges informels entre la société civile canadienne et la société civile iranienne.
    Pour ce qui est de l'embargo diplomatique, comme je l'ai dit tout à l'heure, je pense que c'est une mauvaise idée de rompre la communication. Mais il faut faire comprendre le message que nous n'allons pas nous contenter de discuter avec les membres du cercle étroit de ceux qui tirent les ficelles du régime; nous allons aussi discuter avec le peuple iranien, qui est inclus dans notre diplomatie. Et il faut envoyer le message que si nous respectons les droits légitimes de l'Iran à titre de puissance régionale ayant ses propres aspirations, nous allons tirer un trait en refusant de tolérer les violations des droits de la personne et le soutien au terrorisme international.

  (1230)  

    J'ai une très brève question supplémentaire.
    Quand des cas précis de violation des droits de la personne sont décelés dans un pays et que les gens exercent des pressions sur le gouvernement pour qu'il défende les personnes visées dans le pays en cause, cela risque fort d'être plus dangereux pour la personne en cause et peut-être même pour l'ensemble de sa famille. Si le gouvernement décide subitement de dénoncer certaines infractions, n'est-ce pas un risque très réel?
    Je dois accepter cela comme une question de pure forme, parce que nous avons dépassé de quatre minutes le temps accordé pour ce tour de table.
    Vous aurez l'occasion d'y réfléchir et d'y revenir dans votre réponse à M. Marston, qui a maintenant la parole.
    Merci pour votre témoignage très complet d'aujourd'hui. Je crois que lorsque le Canada s'exprime, nous sommes à notre meilleur.
    Je viens des milieux syndicaux. Le dialogue et les négociations faisaient partie de mes activités quotidiennes et cette méthode s'est révélée très efficace. Quand on parle de révolution, on évoque toutefois les figures de Lech Walesa et de Solidarnosc et le fait qu'ils contrôlaient l'économie. C'est en paralysant l'économie qu'ils ont été couronnés de succès. J'ai des réserves au sujet de l'Iran dans un tel scénario.
    Je vous ai entendu évoquer les accidents et les paiements pour des blessures. J'étais en Arabie saoudite en 1979, étant à l'emploi de la compagnie de téléphone. Si nous renversions accidentellement un Saoudien, nous devions payer 30 000 $. Si un Saoudien renversait l'un d'entre nous, le paiement était d'un riyal, c'est-à-dire 30¢. Bien sûr, le dollar canadien valait beaucoup plus à cette époque.
    J'ai vu aussi des exemples de confrontation nez-à-nez provoquées par les fondamentalistes. En fait, j'ai été moi-même menacé de mort par le chef de la police secrète. En Arabie saoudite, à cette époque, les mullahs étaient renforcés par ce qui se passait en Iran et le régime craignait beaucoup que l'agitation déborde dans son pays.
    Je vais citer quelque chose. Je sais bien que ma citation n'est pas fidèle, mais le prophète, qu'il repose en paix, a dit que l'homme passe avant la femme en toute chose. C'est à peu près cela. C'est ce que m'a dit une personne avec qui je travaillais en Arabie saoudite. Dans une telle optique, peut-on vraiment s'attendre au retour de l'égalité pour les femmes dans ce pays?
    Par ailleurs, étant donné le bilan épouvantable de ce régime en affaire de droits de la personne, une révolution populaire ne serait-elle pas réprimée de la même manière qu'elle l'a été en Chine?
    Vous avez dit que si le président avait appuyé le soulèvement de 1999, celui-ci aurait pu réussir, mais n'oubliez pas que Zhao Ziyang a appuyé le soulèvement des étudiants sur la place Tiananmen dix ans avant cela et tout ce qu'il a obtenu pour ses efforts, c'est d'être mis aux arrêts pour le reste de sa vie.
    Peut-on s'attendre à l'égalité entre les hommes et les femmes par la suite? Absolument, à 100 p. 100, parce que l'égalité de l'homme et de la femme existe déjà dans l'esprit de la majorité des gens. C'est seulement que l'Iran, à l'heure actuelle, est assujetti à la charia, qui stipule qu'il n'y a pas d'égalité et que les femmes ne peuvent pas devenir présidentes ou juges et--et tout le reste que j'ai mentionné.
    Les gens veulent que ce changement se fasse, même si ce n'est pas tout le monde; évidemment, il y a encore dans les villages des fidèles fondamentalistes qui croient que l'homme est supérieur à la femme.
    Mais ils ont déjà vécu cela. Ils ont déjà connu l'égalité de l'homme et de la femme. C'est seulement depuis 27 ans que cette égalité leur a été enlevée. Cela ne fait pas partie de leurs convictions profondes. Comme je le disais, en Arabie saoudite, les femmes sont réprimées depuis des siècles, mais les hommes et les femmes se perçoivent comme égaux, à mon avis, en Iran.

  (1235)  

    Je suis tout à fait d'accord avec Mme Afshin-Jam. La gouvernance de l'Iran a malheureusement subi de durs coups. Du point de vue de la laïcité, le shah était très loin du peuple. On le percevait comme ayant un mode de vie excessif et cela gênait bon nombre d'Iraniens. En même temps, afin de contrer les dissensions nationales, le shah contrôlait fermement la SAVAK, soit la police secrète, qui opprimait les gens qui s'opposaient au leader. Par conséquent, les mullahs ont réussi à prendre le contrôle suite à la révolution islamique et ont amené la gouvernance à l'autre bout du spectre en instaurant l'intégrisme islamique.
    En 1979, il y avait plusieurs partis modérés au sein de l'Iran qui se battaient pour avoir une voix au chapitre. Massoud Rajavi avait regroupé 500 000 personnes dans un stade de football en 1979. Mais au bout du compte, les Mojahedin-e Khalq, un des groupes de l'opposition qui avait été en prison sous le règne du shah, ainsi que les mullahs, n'ont pas pu convaincre les Iraniens de les appuyer.
    Suites aux conversations que j'ai eu avec les Iraniens et les Iraniens américains, je crois qu'ils souhaitent un centre plus modéré. Ils souhaitent une version plus modérée de l'islam, dans laquelle le « lipstick jihad » — comme on l'explique dans le livre —peut exister. Les Iraniens veulent un État dans lesquels les principes de base de l'islam sont respectés. Ils ne veulent pas que l'on empiète sur les droits de la personne, mais, en même temps, ils ne veulent pas que l'État devienne laïc au point de leur faire perdre leur identité islamique. D'après mes observations, c'est ce que la plupart des Iraniens souhaitent.
    Il s'agit maintenant de savoir comment nous, occidentaux, ainsi que les gens du monde islamique appuieront les partis modérés de la société iranienne qui souhaitent être soutenus. Personnellement, je sais que je n'arriverai pas à persuader un Iranien de faire quoi que ce soit. Pour être franc, le gouvernement du Canada et celui des États-Unis n'y parviendraient pas non plus.
    Ce que nous pouvons faire, c'est d'appuyer les Iraniens en Iran qui ont une vision du monde qui promeut l'égalité. Nous pouvons les appuyer afin de ne pas les empêcher d'arriver à persuader les Iraniens, de manière à leur faciliter la tâche — par exemple, nous pourrions faire de la radiodiffusion en farsi. Si l'on radiodiffusait les nouvelles du monde en farsi et qu'on les transmettait en Iran, les gens entendraient parler des abus des droits de la personne et ils y disposeraient des renseignements nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Ils verraient comment l'Iran est perçu par le reste du monde. Ce geste est un exemple de ce que l'on pourrait faire pour appuyer les besoins des Iraniens.
    Si vous me permettez, nous devons comprendre que le Moyen-Orient islamique constitue une société extrêmement diversifiée. Sauf tout le respect que je vous dois, la comparaison entre l'Arabie saoudite et l'Iran est erronée. Il s'agit de deux sociétés complètement distinctes. L'Arabie saoudite est une version conservatrice de l'Islam. Il y a quelques générations, elle était composée essentiellement de Bédouins.
    Comme l'a mentionné Mme Afshin-Jam, jusqu'à la révolution de 1979, les Iraniennes occupaient des postes de juges, de politiciennes, de ministres et de physiciennes nucléaires. La Loi iranienne de 1967 sur la protection de la famille avait libéralisé la loi musulmane pour le divorce et la garde des enfants. Si vous en parlez avec Shirin Ebadi, lauréate du Prix Nobel de la paix, elle vous dira que, depuis 1979, les Iraniennes tentent de revenir progressivement à l'état de la jurisprudence de 1967.
    Il faut également comprendre que les femmes iraniennes dirigent le mouvement démocratique. Bien entendu, nous connaissons tous le cas de Shirin Ebadi, mais il existe également bon nombre d'autres femmes que l'on pourrait mentionner. Le fait même que le gouvernement a fait tout son possible pour mettre ses femmes en prison lors de la Journée internationale de la femme montre très bien qu'elles représentent une menace inquiétante pour les structures patriarcales et autocratiques.
    Une autre erreur que l'on commet est celle de percevoir l'Islam ou d'autres cultures comme un artefact dans un musée, comme quelque chose que l'on étudie et qui est immuable. L'Islam, tout comme tout autre système culturel ou religieux, évolue. Il est en pleine mutation, car il passe de la tradition à la modernité.
    Au 18e siècle, en Europe, on punissait les gens à Paris en les attachant à des chevaux et en les empalant. Devrions-nous donc dire qu'il s'agit d'une tradition européenne authentique qu'il faudrait conserver à tout prix? Non, ce serait ridicule. Le droit constitutionnel reconnaît la doctrine de la divisibilité. On peut donc enlever des parties de l'Islam qui étaient appropriées il y a mille ans, mais qui ne le sont plus aujourd'hui. L'Islam comporte un message universel transcendant qui est plus important.
    Ainsi, il n'existe pas d'interprétation immuable ou incontestable de l'Islam. Certaines féministes islamiques estiment que le patriarcat est une invention des hommes que l'on a importée dans la tradition islamique. Il existe également des féministes laïques qui croient qu'il ne faudrait pas se préoccuper de l'Islam. Il existe une multitude de voix, que nous devons tous écouter.
    Pour ce qui est de la révolution de velours, je crois qu'on peut la supprimer, mais uniquement de manière temporaire. Bien entendu, la situation en Chine est tout à fait différente. Elle est peuplée de 1,3 milliard d'habitants et la notion de contrôle et de stabilité est d'un tout autre ordre. En Iran, la population n'est pas principalement rurale. Il ne s'agit pas de la même réalité.
    Au bout du compte, même si l'on peut supprimer les libertés politiques, on ne peut pas supprimer les besoins économiques des gens, car la plupart des révolutions consistent ultimement à chercher à obtenir son pain et son beurre. Il s'agit du fonctionnaire qui se réveille un matin à Téhéran et se dit: « Je dois conduire un taxi, travailler dans une boulangerie, et vendre des biens sur la rue pour pouvoir payer mon loyer, alors que M. Rafsanjani habite un palais opulent et que cette révolution était censée aider les pauvres ».
    Au bout du compte, le quatrième exportateur de pétrole au monde ne peut pas fournir un niveau de vie de base à ses habitants. De plus en plus de personnes vivent dans la misère noire. L'Iran affiche parmi les plus hauts taux de toxicomanie et de prostitution. Les maux sociaux en Iran sont énormes. Le pays est une bombe à retardement, non pas tellement en raison des abus de droits de la personne, mais parce qu'on ne peut pas gouverner une société moderne à partir d'une mollahcratie incompétente et corrompue.
    J'aimerais revenir à ce que M. Sorensen a dit sur le fait d'envenimer la situation en attirant l'attention à l'échelle internationale. Je ne crois pas que ce soit vrai. Songez au fait que l'on a sauvé Nazanin d'une exécution. Bon nombre d'autres femmes dans la même position que Nazanin Fatehi ont été exécutées en Iran. La seule raison pour laquelle on ne l'a pas exécutée est que sa cause a attiré l'attention du monde entier.

  (1240)  

    Dans le cas de Ramin Jahanbegloo, l'on voulait d'abord opter pour une diplomatie discrète afin de ne pas envenimer la situation. Lorsque cette forme de diplomatie a échoué, il est devenu apparent, y compris pour les membres de la famille de Ramin, qu'il allait falloir rendre sa situation publique. Si le gouvernement du Canada et les médias ne l'avaient pas fait, il aurait peut-être connu le même sort que Zahra Kazemi. Le fait qu'il n'ait que subi une torture psychologique par le biais d'un isolement prolongé est en quelque sorte une bonne chose car, si vous me permettez d'être cru, on lui aurait autrement brisé les os et arraché les ongles. Cela prouve que le fait d'attirer l'attention à l'échelle internationale fonctionne. Il faut le faire avec soin et après mûre réflexion, mais, au bout du compte, le silence est la pire solution.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Silva.
    Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais remercier tous les témoins de leur excellent travail sur cette question cruciale.
    Monsieur le président, j'ai pris la parole à plusieurs reprises à la Chambre des communes pour dénoncer l'épouvantable crise de droits de la personne qui a lieu en Iran. J'ai parlé des conditions atroces, de l'exécution de mineurs et de la lapidation des femmes. Il y a quelques jours, j'ai parlé du cas de plusieurs femmes très courageuses en Iran qui ont organisé une manifestation contre la lapidation des femmes à l'occasion de la Journée de la femme. Ces femmes sont exceptionnelles. Il existe des personnes incroyablement courageuses en Iran. Je les félicite.
    Plus j'ai appris de choses sur l'Iran et sur son histoire, et j'ai eu l'occasion de rencontrer bon nombre de personnes dans ma circonscription de Davenport qui venaient d'une diaspora... La richesse de leur culture me fascine. Des Iraniens particulièrement talentueux ont malheureusement dû se réfugier ailleurs dans le monde en raison du régime répressif que connaissait leur pays.
    Nous devons faire de notre mieux pour aider ces gens. Nous devons travailler avec eux et susciter des réformes démocratiques qui respectent la primauté du droit dans le monde et les droits de la personne.
    J'aimerais présenter une motion qui, à mon avis, plaira à tous les membres du comité. Je propose que:
    
Conformément à l'article 269.1 et à l'alinéa 3.7d) du Code criminel, le gouvernement du Canada entame une enquête criminelle sur l'implication du procureur général iranien Saïd Mortazavi dans la torture et le meurtre de la citoyenne canadienne Zahra Kazemi, et que cette enquête constitue le fondement d'une mise en accusation internationale pour ces crimes de Saïd Mortazavi.
    Monsieur le président, comme vous le savez et comme le savent certains membres du comité, le gouvernement du Canada avait émis un mandat d'arrestation Interpol pour Saïd Mortazavi il y a un certain moment. Malheureusement, on n'y a pas donné suite.
    J'espère que cette motion y donnera du mordant et nous permettra de donner suite à cette question cruciale.
    De nouveau, j'aimerais féliciter tous les témoins. Ils nous ont particulièrement impressionnés aujourd'hui.

  (1245)  

    Nous acceptons votre motion en tant qu'avis de motion. Lorsque nous traiterons des travaux du comité, nous verrons si nous voulons renoncer à l'exigence de fournir un avis de motion. Quoi qu'il en soit, est-ce qu'un des témoins voudrait discuter de la motion?
    J'aimerais tout simplement féliciter l'honorable député. C'est un grand moment pour les citoyens canadiens partout dans le monde. Merci.
    Dois-je comprendre que vous l'approuvez?
    Avez-vous quelque chose à rajouter, Mario?
     Non. Merci beaucoup.
    S'il me reste encore un peu de temps, monsieur le président, j'aimerais parler... il a été question de l'importance de la société civile et de l'aide à y apporter en Iran. Je me demandais si les témoins pouvaient nous dire comment nous devrions entretenir ce lien et encourager la société civile.
    Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il y a un mouvement — surtout chez les jeunes — de personnes qui veulent un changement. Dernièrement, la CBC a diffusé un documentaire sur la communauté homosexuelle clandestine en Iran. On expliquait qu'il était très difficile pour eux de se rencontrer et qu'ils devaient le faire dans des endroits secrets. On décèle un mouvement. Ces personnes veulent vivre librement, comme tout le monde.
    Alors que faut-il faire... pour appuyer ces sociétés civiles locales?
    Je crois que nous devons opter pour deux stratégies distinctes. D'abord, il faut appuyer les groupes d'expatriés. Je crois qu'on peut le faire de manière ouverte et transparente. Il existe bon nombre de groupes d'expatriés qui ont des liens avec les réseaux en Iran. Ces personnes recueillent des renseignements sur les abus des droits de la personne et les transmettent à l'extérieur du pays, par le biais du Human Rights Documentation Center qui a été mis sur pied par le professeur Akhavan ou par le biais d'autres groupes. Je crois que le Canada est très bien placé pour les aider financièrement et autrement.
    Comme elles font face à de grands risques, il est beaucoup plus délicat d'aider les ONG en Iran. Les États-Unis, par exemple, soutiennent un certain nombre d'ONG qui opèrent dans des régimes répressifs, mais ce financement est octroyé avec beaucoup plus de discrétion. Elles ne récoltent pas le même niveau d'attention que le financement offert à un groupe d'expatriés.
    C'est important, car les ONG dans des pays comme l'Iran seront stigmatisées et les gens risqueront d'être arrêtés, poursuivis, emprisonnés ou condamnés à mort pour avoir collaboré avec le gouvernement du Canada ou un autre gouvernement et pour avoir assuré le financement gouvernemental.
    Il faut donc avoir une stratégie parallèle qui corresponde au genre de soutien que vous offrez. Collaborer avec les groupes d'expatriés peut également revenir à ce que je mentionnais avant, en matière de radiodiffusion et d'Internet. L'information, c'est le pouvoir. Le fait d'aider les gens qui recueillent l'information et la distribuent directement aux Iraniens dans une langue qu'ils comprennent et apprécient — par le biais de personnes qui ont vécu en Iran et qui se définissent comme Iraniennes est probablement la manière la plus puissante d'avoir une influence sur leurs points de vue.

  (1250)  

    Merci.
    Monsieur Khan.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, Nazanin, Akhavan et M. Genser d'être venus.
    J'aimerais élargir la discussion. Vous avez parlé d'ambitions nucléaires. Vous pouvez parler de toutes sortes de choses magnifiques, qui n'ont pas été approuvées par le Canada ni par la collectivité internationale, mais je crois qu'il faudrait peut-être parler à un autre moment du contexte de la situation en Iran et en Irak et de leurs intentions. Sont-ils prêts à négocier en ce qui concerne le nucléaire...? Cette question est extrêmement vaste, alors je vais m'en écarter.
    J'aimerais revenir à cette transformation du désir. J'ai beaucoup de respect pour l'intelligence des Iraniens. J'ai déjà volé avec eux. Mon instructeur dans les forces aériennes était le capitaine Ibrahim Mukadami. J'ai également formé des pilotes iraniens et je comprends très bien l'Iran. Les Iraniens sont très intelligents. Il ont créé un jeu d'échecs. Je crois que le gouvernement iranien est encore en train de jouer aux échecs avec le reste de la communauté internationale.
    L'information est communiquée et c'est très intéressant. En revanche, on a essayé la transformation de l'intérieur à la fin des années 1900 et au début des années 2000, mais ce fut un échec lamentable. Certains diront que le seul moyen de créer un changement en Iran, est de donner un rôle diplomatique à l'Iran. Il faudrait la ramener au sein de la communauté des nations et faire en sorte qu'un contact normal puisse être créé au fil du temps. Ce partage de renseignements aurait ainsi l'effet escompté et graduellement... Il n'y a pas de raccourcis.
    J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Monsieur Khan, vous êtes un éminent spécialiste des réalités de la région. Comme je l'ai mentionné, je crois qu'il faut garder la communication ouverte. En revanche, il existe une différence entre une discussion qui mène à un apaisement et une discussion qui mène à un échange par pur principe.
    D'un côté, par exemple, je trouve qu'il est dommage que, suite à l'invasion de l'Irak, les liens diplomatiques n'ont pas été renoués avec les États-Unis. J'appuierais le resserrement des liens diplomatiques entre l'Iran et les États-Unis. Je l'appuierais, car un isolement sert les partisans de la ligne dure.
    Il faut également regarder l'envers de la médaille, dans le cas notamment de bon nombre d'États européens qui ont des liens commerciaux importants avec l'Iran. Ces pays ferment les yeux sur les violations de droits de la personne en Iran et permettent même que des assassinats aient lieu sur leur propre territoire pour des raisons politiques.
    Devrions-nous discuter avec l'Iran? Oui. Mais il faut également comprendre que bien des voix différentes se font entendre en Iran. Nous devons comprendre que le régime doit se rendre compte que l'Iran a des intérêts légitimes en tant que puissance régionale au Moyen-Orient et que ces intérêts seront respectés uniquement s'ils sont soutenus de manière responsable.
    La première responsabilité doit être exercée envers les Iraniens, afin que l'on respecte les droits de la personne. Ensuite, il ne faut pas promouvoir de conflits, qu'il s'agisse du Hezbollah, de Muqtada al-Sadr ou des divers groupes qui représentent un pouvoir régional destructeur. On n'obtient pas le pouvoir en appuyant des organisations terroristes. On l'obtient grâce à une économie florissante, grâce à une culture qui peut influencer les autres.
    Quelles sont les aspirations de l'Iran à titre de pays dans cette région? J'aimerais vous donner l'exemple de l'isolement de la Syrie par le reste du monde arabe. Qu'en est-il?
    De nouveau, il existe plusieurs types d'Iraniens. Certains Iraniens veulent répandre la révolution islamique, en passant d'abord par les régions de l'Irak et du Liban qui ont une forte majorité chiite et en allant ensuite peut-être en Arabie saoudite et ailleurs. D'autres Iraniens ont des aspirations très laïques. Ils ont une vision politique réaliste de ce dont l'Iran a besoin pour défendre les intérêts de la région. D'autres estiment que le changement doit venir de l'intérieur, en transformant l'économie, et que le pouvoir à long terme dépend d'une réforme interne.
    Ces diverses composantes existent, mais il faut reconnaître que l'Iran est une puissance régionale et que toute politique étrangère réaliste doit composer avec ce fait. En même temps, cette politique doit incorporer des principes dans son réalisme et comprendre que la stabilité à long terme, que ce soit pour l'Iran ou pour le Moyen-Orient, dépendra de la possibilité de s'écarter des structures de puissance autoritaires qui ont intérêt à engendrer la haine et le conflit pour pouvoir détenir le pouvoir absolu.

  (1255)  

    En ce qui concerne le lien avec les ambitions nucléaires de l'Iran et son influence en Irak, qu'il voudra maintenir à long terme — il a perdu 1 million de personnes, alors pourquoi voudrait-il permettre à l'Irak de se remettre sur pied — croyez-vous qu'on puisse utiliser cet argument comme point de négociation? Est-ce que vous croyez que les États-Unis perçoivent l'Iran et l'Arabie saoudite comme une solution pour l'Irak pour ce qui est de l'influence qu'ils y exerceraient?
    Vous avez posé d'excellentes questions, mais je ne suis pas en mesure d'y répondre aujourd'hui. J'aurais besoin de plus de temps pour y réfléchir.
    L'Iran a évidemment des intérêts légitimes envers l'issue des événements en Iran. Il faut comprendre ces intérêts dans le cadre de certains principes. Il est question de principes de droits de la personne et d'égalité souveraine. Le message serait le suivant : « Nous reconnaissons vos intérêts légitimes, pourvu que vous les exerciez convenablement. »
    Merci beaucoup.
    Cela met fin à la période des questions. Je vais céder la parole à M. Cotler qui aimerait présenter un avis de motion.
    Merci, monsieur le président. Comme vous le savez, j'ai déjà présenté un avis de motion sur l'incitation publique et directe au génocide qui contrevient à la Convention pour la prévention et la répression du crime des génocides. Cette motion était très longue, et on l'a reportée afin d'écouter d'abord les témoins.
    À la lumière des témoignages de ce matin, j'aimerais présenter un avis d'une motion bien plus brève que celle que j'avais déposée. Elle se lit comme suit:
Attendu que des hauts fonctionnaires iraniens ont violé l'article 3c) de la Convention sur le génocide en effectuant à maintes reprises « des incitations directes et publiques de commettre un génocide » à l'endroit des Juifs en Israël;
Qu'il soit résolu que :
1. Le Canada demande au Conseil de sécurité des Nations Unies de non seulement continuer à examiner le développement des armes nucléaires de l'Iran, mais d'examiner également l'incitation au génocide sanctionnée par l'État de l'Iran comme une menace permanente à la sécurité et à la paix internationales, et que ce cas soit renvoyé à la Cour pénale internationale aux fins d'enquête ou de poursuites.
2. Le Canada, en vertu de la Convention sur le génocide, porte plainte contre l'Iran auprès de la Cour internationale de justice pour incitation au génocide.
    Merci.
    Notre temps est écoulé, alors nous ne pourrons pas demander aux témoins de nous faire part de leurs observations.
    J'aimerais remercier nos témoins de leur témoignage éclairé, complet et convaincant. Vous nous avez beaucoup aidés et j'espère que cela aidera le sous-comité à raviver le débat politique à la Chambre sur le viol des droits de la personne en Iran.
    Merci à tous d'être venus.
    Nous allons maintenant passer aux travaux du comité. M. Marston a déposé une motion. Elle demande à ce que l'Armée impériale japonaise présente des excuses aux femmes de réconfort.
    Monsieur Marston, voulez-vous discuter de votre motion?
    J'aimerais d'abord souligner que l'excuse présentée lundi par le premier ministre du Japon n'était pas une excuse officielle pour beaucoup de personnes, car elle ne reconnaissait pas la responsabilité du gouvernement dans l'utilisation des femmes de réconfort à l'époque. Dans cette motion, nous voulons que le gouvernement du Japon accepte la pleine responsabilité pour les crimes commis à l'endroit des femmes de réconfort. Nous voulons que, conformément aux normes internationales, il offre un dédommagement complet aux survivants et une indemnisation directe aux femmes de réconfort ou aux membres de leurs familles. Nous en parlons car des personnes de partout au Canada — des Chinois, des Coréens du Sud et des Philippins — en ont parlé avec notre caucus et nous ont dit qu'ils avaient été grandement affectés par ces événements haineux. Je crois que cette question est très importante.
    J'aimerais parler d'une chose. Il existait un fonds d'indemnisation intitulé le Fonds des femmes asiatiques. Il a été créé par des individus et des personnes morales. Bon nombre de femmes ne connaissent pas ce fonds; d'autres n'ont pas pu respecter la date limite; d'autres encore ont accepté l'argent à condition que cela ne les empêche pas de recevoir un dédommagement de la part du gouvernement.
    Cette question est très importante et nous croyons qu' il faudrait l'étudier. La motion, bien entendu, sera présentée à tout le comité.

  (1300)  

    Je m'explique, tout d'abord. Je crois que cette motion est identique à une motion d'initiative parlementaire présentée à la Chambre par Mme Chow. Personnellement, comme probablement tous les membres du comité, je n'ai rien contre l'intention.
    Sachez toutefois que, premièrement, je crois que le ministre des Affaires étrangères MacKay a téléphoné la semaine dernière à son homologue japonais pour lui faire part des préoccupations du Canada quant aux observations du premier ministre Abe il y a trois semaines et a encouragé le gouvernement japonais à présenter rapidement des excuses au sujet du système de femmes de réconfort. M. Marston a fait allusion au fait que face aux pressions internationales — et j'espère en partie suite aux pressions exercées par le Canada — le premier ministre Abe a, hier, en session du Sénat japonais, déclaré: « Permettez-moi, en tant que premier ministre, de présenter des excuses ».
    Apparemment, certains des groupes qui, au Canada, sont préoccupés par la question estiment que ce genre d'excuses n'est pas suffisant. Je voulais simplement signaler cela. Ce sont des faits. Il y a une sorte de zone grise; ce n'est pas aussi clair qu'il y a deux jours avant qu'il n'ait présenté des excuses au Sénat. Je voulais simplement que vous le sachiez.

[Français]

    Madame St-Hilaire, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je comprends l'intention de mon collègue, qui est tout à fait louable, mais après avoir lu la motion, j'ai plusieurs questions. Je suis contente, monsieur le président, que vous parliez de la déclaration du premier ministre.
    Est-ce bien ou non? Je vous fais part de mon malaise. Bien honnêtement, j'ai l'impression qu'on s'ingère dans les affaires d'un autre pays. Il y a eu des excuses. On peut s'interroger sur le fondement, l'intention des excuses. Il y a eu un programme par lequel celles qu'on appelle les femmes de confort — ce terme me rend inconfortable, mais peu importe — auraient été dédommagées. On comprend bien que ce n'est certainement pas un dédommagement intéressant.
     Je pense qu'il faudrait se questionner sur la façon dont cela a été fait. Selon le libellé de la motion, on s'immisce dans les relations...
    Une voix: ... les relations bilatérales.
    C'est cela. On s'immisce dans les relations bilatérales avec le Japon, et je ne suis pas certaine que ce soit la bonne façon de procéder. Je vous fais donc part de mon malaise.
    Une voix: Merci.
    Monsieur Sorenson, c'est à vous.

[Traduction]

    Merci.
    Nous tenons à remercier M. Marston d'avoir présenté cette motion.
    Je l'aurais peut-être appuyée si nous n'avions pas eu cette réponse du premier ministre japonais. Toutefois, lorsqu'on demande à un gouvernement de présenter des instances, de téléphoner à un autre gouvernement et à un autre premier ministre pour lui demander de s'excuser et qu'après réflexion le premier ministre en question présente des excuses, j'hésiterais beaucoup à appuyer une motion portant que le premier ministre dans ce pays très lointain n'a pas présenté d'excuses assez officielles ou exactement comme nous l'aurions voulu.
    Je crois qu'il serait très dangereux de demander au premier ministre d'aller plus loin, de rendre les choses plus officielles ou de présenter de meilleures excuses. Nous pouvons dire que nous avons exercé des pressions, nous avons demandé des excuses et nous en avons eues. Dans la culture japonaise, c'était peut-être quelque chose de très important que de présenter des excuses comme cela a été fait.
    Pour le moment, je ne crois vraiment pas que je puisse appuyer cette motion. Si l'on considère tout le reste, les relations que nous avons avec cet allié très important, cet ami et ce partenaire commercial et le fait qu'il s'est plié à notre demande, je crains vraiment que si, à nos risques et périls, nous adoptions une motion semblable, nos relations pourraient en souffrir. Je ne suis certainement pas prêt à appuyer la motion.

  (1305)  

    Y a-t-il d'autres commentaires?
    Voilà, nous l'avons. Voulez-vous que je mette la motion aux voix, monsieur Marston?
    J'aimerais répondre brièvement car je reconnais que certains puissent être mal à l'aise.
    Tout d'abord, si nous nous reportons à la situation et nous nous demandons si cela mérite que le Canada se prononce, c'est un peu comme ce que nous avons entendu aujourd'hui à propos de l'Iran. Il s'agit d'une violation très sérieuse des droits de la personne, de quelque chose de dégradant. Il y a des tas de gens dans notre pays qui souhaitent que nous prenions position.
    Je répète que pour ce qui est de la façon dont cela doit être présenté, je suppose que le MAECI et notre ministre pourraient le faire de façon respectueuse et ferme à la fois.
    Tout ce que je puis dire, c'est que jusqu'ici la position du Canada a été considérée comme un reproche et n'est pas allée aussi loin que l'auraient voulu les femmes concernées. Elles ont des opinions bien arrêtées là-dessus.
    Je demanderais donc que vous mettiez la motion aux voix.
    Nous allons donc voter.
    Tous ceux en faveur de la motion telle que présentée?
    Égalité. La convention veut que la présidence autorise la poursuite du débat et je me sens donc obligé, du fait de cette convention, de voter en faveur de la motion afin qu'elle puisse être présentée au comité complet. Je tiens à ce qu'il soit clair que je vote ainsi, par pure convention et sans me prononcer sur le fond de la question.
    (La motion est adoptée.)
    Il y a des avis de motion. Voulez-vous que nous les réservions pour la prochaine réunion? Ce sont celles de M. Silva.
    Vous pouvez demander le consentement unanime de renoncer à l'avis.
    En règle générale, d'après ce que j'ai déjà vu à ce comité, il semble qu'on accepte que des motions comme celles-ci puissent être proposées. Je demanderais que nous acceptions les motions et que nous les mettions aux voix.
    Je ne crois pas qu'il ait le consentement unanime.
    C'est dommage.
    Restons-en là pour l'instant.
    Je veux pouvoir examiner la motion d'un peu plus près. Je comprends le sentiment qui l'anime, mais si on nous présente un avis de motion et que la motion est ensuite proposée à la prochaine réunion, cela devrait suffire.
    D'accord. C'est pourquoi nous avons la règle sur les avis de motion.
    Je suppose qu'il en va de même pour la motion de M. Cotler.
    Une voix: Oui.
    Le président: Très bien.
    La prochaine réunion est jeudi, à 9 heures.
    Merci beaucoup. La séance est levée.