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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 032 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 17 juin 2009

[Enregistrement électronique]

  (1545)  

[Traduction]

    Je déclare ouverte la séance numéro 32 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne en ce mercredi 17 juin 2009.
    Chers collègues, vous avez sous les yeux l'ordre du jour. Nous poursuivons l'examen du projet de loi C-232, Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême (compréhension des lois officielles). Nous allons entendre deux groupes distincts de témoins.
    Dans la première heure, j'ai le plaisir d'accueillir M. John Major, juge à la retraite. Merci d'être venu et soyez le bienvenu au comité. Je pense que vous connaissez notre façon de procéder. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
    Mon exposé ne sera pas très exhaustif puisque je n'ai été invité à cette fête surprise, pour ainsi dire, que vendredi dernier. Toutefois, je comprends la nature de cette modification de la Loi sur la Cour suprême voulant que tout nouveau juge désigné comprenne l'anglais et le français sans l'aide d'un interprète.
    Je dirai d'entrée de jeu qu'il ne fait pas de doute que le plaideur a le droit d'être entendu dans la langue de son choix devant les tribunaux canadiens. Il s'agit d'un droit pour ce qui est des tribunaux visés par l'article 96.
    Le concept de base ici doit être tranché comme il se doit, et il faut que le juge comprenne tout à fait les tenants et aboutissants de l'affaire. L'idéal, évidemment, est que le juge soit parfaitement bilingue. Or, il y a en a très peu au pays. De mémoire récente, il y avait feu le juge en chef Lamer, qui maîtrisait aussi bien l'oral que l'écrit.
    Il est essentiel que l'affaire soit bien comprise et il faut que le système soit juste pour toutes les parties. Je suis toutefois tout à fait catégorique quand j'estime qu'à mon avis, c'est la compétence qui doit être le critère de nomination d'un juge. Ce doit être la priorité et tout le reste vient en prime. On aurait tort de remplacer la compétence par quoi que ce soit d'autre. À la Cour suprême en particulier, les choses doivent s'approcher de la perfection le plus humainement possible parce que les décisions ont des conséquences pour le pays tout entier.
    Toute insuffisance linguistique de la part d'un juge est actuellement comblée au moyen de la traduction. À toutes fins utiles, j'étais unilingue et j'ai siégé à la cour pendant 14 ans en recourant à l'interprétation, que j'ai trouvée excellente. Il n'y a pas eu une seule cause en provenance du Québec ou d'ailleurs présentée en français où je n'ai pas eu le sentiment de bien saisir les faits et les arguments des parties.
    Il est intéressant de signaler que l'ONU fonctionne de la même façon, mais avec plusieurs langues à cause de la nature de l'organisation.
    Je sais que je vais avoir l'air de répéter la même rengaine, mais la compétence est ce qui doit présider ici.
    Parfois, les choses se présentent différemment. Comme vous le savez, au Canada, des considérations géographiques jouent dans la sélection des six juges de la Cour suprême; autrement dit, ils doivent venir de différentes régions du pays. Constitutionnellement, le Québec a droit à trois juges. Je sais que la question a été posée lors de la comparution de Rothstein: comment un juge spécialisé en common law se sent-il quand vient le moment de se prononcer dans des affaires de droit civil? Très à l'aise. Tout comme les trois juges du Québec spécialisés en droit civil sont tout à fait à l'aise quand il s'agit de se prononcer dans des affaires de common law provenant des neuf autres provinces. Je ne vois donc pas de grave problème pour ce qui concerne la compréhension d'une cause au moyen de l'interprétation.

  (1550)  

    Je crois que ce serait tout un problème pour le pays dans son ensemble si la compétence n'était pas la première exigence pour une nomination à la Cour suprême. Dans le passé, les plaideurs ne se sont pas plaints, du moins, pas pendant que je siégeais à la Cour suprême. En outre, l'Association du Barreau canadien n'a jamais soulevé cette question.
    En conclusion, je vous demanderais si la modification proposée nuira à qui que ce soit. Selon moi, si le premier critère de nomination à la Cour suprême n'est pas la compétence, les parties au litige pourraient en souffrir.
    Merci, monsieur le président, cela met fin à mes remarques.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant aux questions. Qui commencera?
    Monsieur D'Amours, vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Major, de vous être présenté devant nous cet après-midi. J'aimerais vous poser quelques questions.
    Pour vous, la Cour suprême est-elle la dernière instance ou la dernière chance d'un citoyen?

[Traduction]

    Comme je l'ai indiqué au début, je suis unilingue. Mais la traduction simultanée est très bonne.
    Nous allons d'abord nous assurer que vous avez un écouteur et attendre que vous entendiez bien l'interprétation.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Vous allez maintenant pouvoir entendre la traduction simultanée. Vous allez peut-être comprendre mes inquiétudes. Pour vous, la Cour suprême est-elle le dernier endroit où un citoyen canadien peut faire valoir ses droits?

  (1555)  

[Traduction]

    Vous soulevez là une question intéressante. Sans vouloir faire de la philosophie, c'est le Parlement qui demeure la dernière cour d'appel, mais au sein du système judiciaire, c'est la Cour suprême.

[Français]

    C'est donc le dernier endroit. Je vous posais la question, mais je me doutais bien de votre réponse. Comme on le sait, dans les cours inférieures, on trouve des juges bilingues. Le fait qu'ils soient bilingues assure automatiquement à un francophone la capacité de faire valoir ses droits dans sa langue. Ça assure aussi à un anglophone la possibilité de faire valoir ses droits dans sa langue. Ça veut dire que lorsqu'il a besoin de s'exprimer, il le fait dans sa langue. Il est certain que le juge devant lui sera en mesure de bien saisir l'importance du plaidoyer et il pourra faire valoir ses droits. On parle des cours inférieures.
    Compte tenu que vous avez mentionné un peu plus tôt que la Cour suprême est le dernier endroit où un citoyen canadien peut faire valoir ses droits, on est chanceux que ce ne soit pas une question de vie ou de mort, quand on est à la Cour suprême. Cependant, on ne peut pas aller plus loin.
    Croyez-vous qu'un citoyen peut se sentir à l'aise et avoir l'assurance qu'il ne courra aucun danger, quant à la décision finale de la Cour suprême, à cause de sa langue?
    Dans les cours inférieures, on garantit à cet individu qu'il pourra parler dans sa langue, que la personne devant lui aura la capacité de lui parler dans sa langue et de comprendre sa langue. On ne peut pas aller plus loin, je le répète, on ne pas aller dans une autre cour, on ne peut pas s'adresser à une autre instance, c'est la fin. Un peu plus tôt, vous ne pouviez entendre l'interprétation. Vous n'avez donc pas été en mesure de me comprendre, ce que je respecte, mais imaginez la situation si l'interprétation diffère encore plus de ce que je dis actuellement. Si jamais l'individu ne se fait pas bien comprendre à cause de l'interprétation, croyez-vous qu'un citoyen ou que l'avocat d'un citoyen sera en mesure de plaider et de faire valoir adéquatement les droits de son client?

[Traduction]

    D'après mon expérience, pour avoir vu des plaideurs parler français, je n'ai jamais eu l'impression qu'ils estimaient avoir été mal compris. Il y a toujours, bien sûr, les trois juges du Québec, mais le milieu et l'interprétation sont tels que ce problème ne s'est jamais posé pendant les 14 ans où j'ai siégé à la cour. L'interprétation est très bonne. Les parties plaident en français et semblent tout à fait à l'aise avec les questions qui leur sont posées; dans bien des cas, l'avocat comprend l'anglais et répond directement à la question, sinon, on la lui traduit.

[Français]

    Imaginez, monsieur Major, qu'une personne essaie de faire valoir ses droits, qu'elle dise absolument tout ce qu'elle a à dire devant la Cour suprême et qu'elle veuille s'assurer que les juges sont en mesure de comprendre son plaidoyer et de saisir la direction qu'elle veut prendre. Êtes-vous certain que les juges n'ont aucun problème? Il ne faut pas que ce soit seulement une impression, il faut être certain.
    J'ai seulement augmenté mon débit et je suis convaincu qu'automatiquement, c'est un peu plus difficile pour les interprètes de me suivre. Imaginez-vous un avocat flamboyant et dans tous ses états qui parlerait encore plus vite que moi. À un moment donné, le juge aurait probablement de la difficulté à saisir tout ce qu'il est en train de dire. L'interprète aurait aussi de la difficulté à le suivre.
    Si l'interprète a de la difficulté à me suivre, vous, en tant que juge à la Cour suprême, seriez-vous capable de saisir à 100 p. 100 mon plaidoyer?

[Traduction]

    Je comprends ce que vous dites, mais d'après mon expérience, si l'avocat parle trop rapidement, on lui demande de ralentir. L'interprétation m'a toujours semblé juste et les avocats ont toujours semblé satisfaits. Bien sûr, je ne pouvais pas lire dans leurs pensées, mais je n'ai jamais eu l'impression que les avocats francophones croyaient avoir été mal compris.

  (1600)  

[Français]

    Vous comprendrez que d'un autre côté, ma vitesse d'expression ne serait pas un problème pour un juge qui comprendrait ma langue. Je pourrais parler à la vitesse que je veux, et un juge serait en mesure de me comprendre.

[Traduction]

    Non, n'en soyez pas si sûr, car bien des avocats parlent très rapidement et se font demander de répéter. Le juge se doit de bien comprendre ce qu'on lui dit. Quand un avocat s'emporte et se met à parler très vite, la Cour lui demande de ralentir. Vous devez donc vous adapter à la personne qui est devant vous.

[Français]

    Je comprends votre point de vue, mais il est clair que si j'ai un juge devant moi qui comprend ma langue maternelle — même si je viens du Nouveau-Brunswick, ma langue maternelle est le français —, peu importe la vitesse à laquelle je parle, il n'aura pas de problème à me comprendre. C'est à la traduction qu'il peut y avoir des distorsions et des délais.
    Vous dites qu'on peut demander à un avocat de diminuer son débit, mais je rappelle que c'est aussi une façon pour lui de faire valoir ses droits. Il croit ce qu'il dit, ça vient du coeur. Il est là pour s'assurer que son client, qui est un citoyen canadien, obtienne pleine justice. C'est la dernière cour du pays. Je comprends qu'on peut demander aux avocats de ralentir leur débit, mais c'est leur façon de s'exprimer.
    Le fait que les juges comprennent le français et l'anglais ne permet-il pas aux avocats de s'exprimer à la vitesse qu'ils le désirent? Si c'est leur façon de faire valoir les droits de leurs clients, au moins, ça ira jusqu'au bout. Le citoyen, lorsqu'il recevra le jugement, qu'il soit favorable ou non, aura été pleinement compris. Il pourra se dire au moins que la procédure s'est déroulée dans sa langue et que personne ne peut venir lui dire qu'on n'a pas bien compris ce qu'il a dit.

[Traduction]

    Vous partez d'hypothèses avec lesquelles je ne suis pas d'accord.
    Nous parlons d'un compromis. Idéalement, les neuf juges de la Cour suprême seraient bilingues. En pratique, il sera très difficile de trouver des juges de la Colombie-Britannique et de l'Alberta qui ont eu l'occasion d'apprendre le français. La question est donc la suivante: êtes-vous prêt à nommer à la Cour suprême un juge un peu moins compétent qui peut entendre toutes les causes sans l'aide d'un interprète? À mon avis, sacrifier la compétence pour faire en sorte que tous les juges... Ils ne sont peut-être pas bilingues au sens de la modification proposée; ils comprennent les plaidoiries dans l'autre langue à l'aide d'un interprète. C'est un mauvais compromis pour les parties au litige. Je préférerais plaider devant un juge compétent qui a besoin de l'interprétation que devant un juge moins compétent qui n'a pas besoin d'interprétation.
    Merci.
    Je cède maintenant la parole à M. Ménard.

[Français]

    Je vous remercie d'être parmi nous cet après-midi.
    Je vous dirai en toute amitié et avec toute la déférence qui s'impose que votre témoignage me déçoit beaucoup. J'ose espérer qu'il n'est pas partagé par une majorité de juristes.
    Tout d'abord, je refuse de dissocier la compétence et le bilinguisme.

[Traduction]

    Monsieur Storseth invoque le Règlement.
    Merci, monsieur le président.
    Je signale que M. Ménard représente une circonscription au Québec et qu'il représente le Bloc québécois, mais qu'il ne représente pas la majorité des juristes du pays et ne devrait donc pas s'exprimer en leur nom.
    Merci, monsieur Storseth, mais ce n'est pas un rappel au Règlement, c'est plutôt un point de discussion.
    Ce n'est pas un rappel au Règlement, et vous pourrez intervenir quand ce sera votre tour. Pour l'instant, c'est moi qui ai la parole.
    Monsieur Ménard, poursuivez, je vous prie.

[Français]

    Monsieur le juge, comme je le disais, votre point de vue me déçoit, et j'espère qu'il n'est pas partagé par une majorité de juristes. Je refuse de penser qu'il y a un divorce entre la compétence et la connaissance, d'une part, et le bilinguisme, d'autre part. Le député Godin a souligné dans son témoignage que cette obligation d'être bilingue s'appliquait aux tribunaux de juridiction fédérale. Or si cette obligation incombe aux juges de tribunaux fédéraux inférieurs à la Cour suprême, je pense que comme parlementaires, nous sommes fondés à penser qu'elle devrait aussi s'appliquer aux juges de la Cour suprême.
    Je ne sais pas pour quelle raison vous n'avez pas appris le français et je ne porte pas de jugement là-dessus, mais nous avons le devoir, comme parlementaires, de dire que que si le projet de loi du député Godin est adopté, tous les juristes au Canada qui aspirent à la magistrature et se destinent à des niveaux de responsabilité supérieurs, comme ceux de la Cour suprême, devront apprendre le français, qu'ils soient en Alberta, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Saskatchewan ou ailleurs. Dans votre cas, si une pareille obligation avait existé, vous auriez peut-être fait l'effort d'apprendre le français.
    Je crois que le projet de loi du député Godin envoie un message clair à la prochaine génération de juristes. Je ne doute pas de votre érudition juridique et je ne doute pas non plus que vous ayez très bien servi la Cour suprême, mais si le message avait été clair au moment où vous avez appris le droit, peut-être auriez-vous fait l'effort d'apprendre le français.
    J'aimerais connaître votre opinion sur cette question.

  (1605)  

[Traduction]

    Vous m'avez posé une quinzaine de questions, et je vais tenter de répondre à certaines d'entre elles.
    Premièrement, je doute que la majorité des juristes du Canada ou même du Québec appuient ce projet de loi. Ça, c'est le premier point.
    Deuxièmement, dans mon propre cas, je n'ai jamais aspiré à la magistrature. On m'a offert un poste de juge quand j'étais à la fin de la cinquantaine. Il n'est donc pas réaliste de croire que quand on veut devenir juge, on n'a qu'à apprendre le français, parce que je ne crois pas que la plupart des avocats pensent à devenir juges. On ne devient pas juge par choix; on doit être choisi. Il ne suffit pas de réussir un examen pour devenir magistrat.
    Devant les tribunaux inférieurs, comme vous l'avez indiqué, on peut plaider sa cause dans la langue de son choix, mais dans presque tous ces tribunaux... En Alberta, par exemple, il y a 90 juges parmi lesquels quelques-uns sont bilingues et peuvent entendre des causes en français. Dans les cours inférieures, ce n'est donc pas un problème. Il y a suffisamment de juges bilingues pour entendre les causes dans les deux langues. Il en va certainement de même aussi au Québec. Je suis sûr que c'est aussi le cas au Québec. Vous pouvez certainement plaider votre cause en anglais. Une décision de la Cour suprême édicte le droit de se faire entendre en français ou en anglais, mais cela nous ramène à la question de savoir si vous êtes prêt à dire à la population canadienne que vous n'offrirez pas le poste de juge à la Cour suprême au juriste le plus compétent parce qu'il ne pourra pas entendre de causes dans l'autre langue officielle sans interprétation?

[Français]

    Je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour penser qu'une majorité de juristes ne seraient pas d'accord avec l'obligation faite par le projet de loi. J'aimerais que vous me parliez un peu de ce qui vous permet d'affirmer ça.
     D'autre part, je vous répète, en tout respect, que je me refuse à souscrire à votre logique qui, selon moi, est erronée. Il ne peut pas y avoir de divorce entre la connaissance et le bilinguisme. La compétence se trouvera renforcée et accrue par le bilinguisme. Je refuse de penser que nous devons choisir. Combien y a-t-il de juges bilingues présentement à la Cour suprême? On nous a dit qu'il y avait huit juges bilingues. À part le juge Rothstein, les autres juges sont bilingues. Il n'y a pas de divorce. Nous n'avons pas à faire un choix entre le bilinguisme et la compétence. Nous devons envoyer le message à tous les juristes qui seront dans les écoles de formation que la compétence commande le bilinguisme. Il n'y a pas de divorce entre les deux.

[Traduction]

    Posez la question aux avocats: voulez-vous les juges les plus compétents ou voulez-vous des juges compétents qui ont une certaine connaissance de l'autre langue officielle?
     Il est faux de dire que la Cour suprême compte actuellement huit juges bilingues. Il y a huit juges qui satisfont probablement à l'exigence prévue dans ce projet de loi, en ce sens qu'ils ont une connaissance de l'autre langue officielle, mais selon moi — d'après les connaissances qu'ont ma femme et les membres de ma famille — ce n'est pas parce qu'on peut tenir une conversation dans l'autre langue qu'on est bilingue. Être bilingue, comprendre parfaitement l'autre langue, c'est toute une tâche. Il y a de brillants juristes qui n'ont tout simplement pas le don des langues.
    Je répète que si je dois choisir entre le juge le plus compétent et un juge compétent qui a des connaissances de l'autre langue, je choisirais le juge le plus compétent. De même, si je dois subir une intervention chirurgicale, je choisirais le meilleur médecin, quelles que soient ses compétences linguistiques.

  (1610)  

    C'est maintenant au tour de M. Comartin. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président. Merci à vous, monsieur Major, d'être venu.
    Sans vouloir vous offusquer, j'ai assisté...
    M. John Major: Ne craignez pas de m'offusquer.
    M. Joe Comartin: Merci. C'est justement où je veux en venir.
    J'ai assisté à la nomination des quatre derniers juges de la Cour suprême. Chaque fois, on a employé une méthode différente, mais j'ai eu une très bonne idée de qui étaient tous les candidats. Ces audiences étaient confidentielles et je ne peux entrer dans les détails, mais je peux vous dire, monsieur Major, que dans tous les cas, il y avait d'excellents candidats parfaitement bilingues. De plus, s'ils siégeaient déjà à une cour d'appel, ils avaient présidé des procès et des audiences, comme ils auraient eu à le faire à la Cour suprême.
    Essentiellement, donc, je mets en doute votre affirmation selon laquelle les candidats compétents et bilingues au poste de juge à la Cour suprême n'existent pas. J'ajouterai ceci: non seulement ils existent, mais ils sont de plus en plus nombreux. Avec les années, de plus en plus d'avocats et de juges compétents seront candidats à la Cour suprême.
    S'ils sont bilingues, on ne leur en tiendra pas rigueur. Comme je l'ai dit au début, le bilinguisme est souhaitable. L'idéal serait d'avoir un juriste talentueux qui parle couramment l'autre langue.
    Il se peut qu'on ait à prendre la décision difficile de nommer ou non à la Cour suprême le candidat le plus compétent qui ne satisfait pas aux exigences du projet de loi. Dans l'hypothèse que vous devriez prendre cette décision, dans l'intérêt de la justice et de tout le pays, j'estime qu'il faudrait choisir le candidat le plus compétent. Après tout, c'est un bon juge qu'on cherche. Il est fort probable que vous trouverez des candidats bilingues et compétents, mais je ne crois pas que cette exigence devrait figurer dans la loi, car elle créerait le risque que soient exclus les candidats les plus compétents.
    Vous estimez que le projet de loi nous empêcherait de nommer le juge le plus compétent dans l'éventualité peu probable où celui-ci ne serait pas bilingue, compte tenu du grand nombre de juristes compétents qu'il y a déjà aux tribunaux inférieurs, n'est-ce pas?
    C'est exact. C'est là essentiellement ma position. Je tiens à ce que ce soit bien clair. Quelqu'un a laissé entendre que j'ai dit que les juristes bilingues ne seraient pas compétents. Je vois mal comment on aurait pu interpréter ainsi mes propos. Ce n'est pas ce que je dis. Habituellement, les candidats bilingues sont des juges très compétents. Leur bilinguisme ne me pose aucun problème C'est pour eux un atout qui peut leur permettre d'aller un peu plus loin, mais ce n'est pas d'eux que je parle. Je parle plutôt du cas éventuel où il faudrait faire le choix difficile entre le candidat le plus compétent qui n'est pas bilingue et un autre candidat bilingue mais moins compétent.
    À mon sens, ce serait une erreur que de sacrifier la compétence. Si vous n'avez pas à le faire, la question ne se pose pas.

  (1615)  

    Permettez-moi de retourner la question car je crois que c'est plutôt cet aspect de votre position qu'on pourrait critiquer. J'estime, comme la plupart de ceux qui appuient le projet de loi, je crois, que, dans l'évaluation de la compétence, on doit tenir compte des compétences linguistiques.
    Selon moi, c'est une erreur. La compétence comme juriste et la compétence linguistique — certains ont les deux, mais tout linguiste n'est pas nécessairement un bon avocat. Il y a beaucoup de bons avocats qui parlent deux langues ou plus. On peut être un bon avocat et avoir de grandes compétences linguistiques.
    Toutefois, revenons au coeur de la question que vous avez vous-même soulevée: allons-nous accorder plus de poids à la compétence ou à la capacité de comprendre l'autre langue? N'embrouillez pas les choses en disant qu'il faut les deux. Si tous les candidats ont tous ces compétences, vous n'avez pas besoin de ce projet de loi et vous n'avez pas à vous demander quelle est la principale qualité d'un juge de la Cour suprême, à savoir la compétence de juriste. Du moins, à mon sens, ce doit être la compétence de juriste.
    Si je vous ai bien compris, s'il y a deux candidats de compétence égale comme juristes mais que l'un d'entre eux est parfaitement bilingue, on retiendra le candidat bilingue.
    C'est exact. Si les compétences sont égales, le candidat qui est bilingue ou qui a une compréhension suffisante de l'autre langue, au sens du projet de loi, est le meilleur candidat.
    Il vous reste une minute.
    Pour revenir à votre exposé, nous avons entendu lundi un avocat professeur de droit qui nous a affirmé qu'au moins une fois, il avait estimé ne pas avoir été bien compris à cause de l'interprétation.
    A-t-il perdu?
    Il a perdu sa cause par cinq voix contre quatre.
    Ceux qui perdent sont souvent de cet avis. J'aimerais bien pouvoir en débattre avec ce professeur. Je n'y crois pas. Je connais bien des avocats qui sont déçus. S'ils sont anglophones et plaident devant un juge anglophone et perdent leur cause, ils affirment en sortant que le juge n'a rien compris. C'est naturel pour l'avocat de blâmer quelqu'un d'autre. Moi, ce professeur ne m'impressionne pas. Je ne le crois pas.
    Merci.
    Je cède maintenant la parole à M. Storseth. Vous avez sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le juge Major, d'être venu. Je sais qu'il peut être éprouvant de témoigner devant un comité, alors, s'il vous faut un peu d'eau ou autre chose, n'hésitez pas.
    S'il n'y a que de l'eau, je m'en contenterai.
    Des voix: Oh, oh!
    Merci de nous avoir accordé de votre temps. Le fruit de votre expérience, vous qui êtes un éminent juriste, nous est très précieux.
    J'aimerais commencer par vous remercier d'avoir consacré votre vie à notre pays, plus récemment en dirigeant l'enquête sur l'attentat contre l'avion d'Air India. Vous avez fait de l'excellent travail pour notre pays. Je sais que tous ceux qui sont ici présents vous en savent gré.
    En ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis, je vous avoue que je ne suis pas avocat, mais il a suscité bien des réflexions dans mon esprit. Je vois mal comment on peut affirmer que quelqu'un comme le juge Rothstein ou vous n'auriez pas dû être nommés à la Cour suprême, en dépit de votre grande compétence de juriste, tout simplement parce que vous n'êtes pas effectivement bilingue. Il est important de s'attarder à l'expression « effectivement bilingue », et j'y reviendrai dans un moment.
    Nous avons entendu des plaideurs... Je voudrais vous donner la chance de réitérer votre position, à savoir que c'est la compétence qui est le critère le plus important, la compétence en droit et non pas la compétence linguistique.
    Ou en musique ou dans un autre domaine.
    En effet.
    M. D'Amours a évoqué le cas d'un avocat qui parle très vite dans sa langue maternelle, que ce soit en anglais ou en français. Vous êtes anglophone, vous avez été juge, notamment à la Cour suprême; avez-vous déjà dû demander à un avocat anglophone plaidant devant vous de ralentir?

  (1620)  

    C'est une réaction fréquente, surtout à la Cour suprême: que l'avocat soit francophone ou anglophone, s'il en est à sa première comparution devant la Cour suprême, il est généralement nerveux. Or, quand on est nerveux, on parle souvent plus vite qu'on ne le voudrait. Il nous arrivait donc très souvent de demander à l'avocat de ralentir. Nous invoquions alors comme prétexte que les interprètes avaient besoin d'un peu de temps ou que le greffier avait besoin d'un peu de temps pour les amener à se détendre. Il arrivait même que certains fassent de l'hyperventilation et que nous suspendions l'audience pour leur permettre de reprendre leur souffle et de boire un peu d'eau.
    La première fois qu'on plaide devant la Cour suprême, c'est très éprouvant, que l'on soit francophone ou anglophone ne fait pas de différence. Souvent, les gens se mettaient à parler trop vite et, comme les anglophones sont plus nombreux au pays et que nous entendions davantage d'avocats anglophones, il nous arrivait souvent de leur demander de ralentir.
    D'après votre expérience, est-ce que cela leur a nui?
    Il faut savoir que l'audience est la dernière étape. Avant l'audition de l'appel, les juges reçoivent les arguments par écrit. Ils reçoivent aussi les jugements rendus par les deux tribunaux inférieurs. Ils lisent tous ces documents. Ils connaissent donc la cause très bien avant l'audience. Pendant l'heure dont il dispose, l'avocat fait valoir ses meilleurs arguments. Mais ce n'est pas à ce moment que les juges en apprennent le plus sur l'affaire. Ils ont recueilli la plupart des informations avant d'entrer dans la salle d'audience. Habituellement, ils connaissent l'affaire avant l'audience.
    Mais il arrive que tout ne se déroule pas comme on l'avait prévu, parce qu'un des avocats soulève un nouveau point ou qu'un juge soulève une question qui donne lieu à un débat et peut amener les gens à changer d'avis. Mais dans 95 p. 100 des cas, ce n'est pas ainsi que ça se passe.
    On a répété à maintes reprises que huit des neuf juges siégeant actuellement à la Cour suprême sont effectivement bilingues. C'est là que l'opposition se contredit, parce que nous avons entendu des témoins nous dire que les procédures judiciaires sont si techniques qu'être effectivement bilingue ne suffit pas ou ne remplace pas l'interprétation que pourrait donner un docteur en interprétation, qui serait beaucoup plus compétent à traduire les arguments.
    Est-ce le cas, d'après votre expérience? Y a-t-il des juges de la Cour suprême qui sont effectivement bilingues mais comptent néanmoins sur l'interprétation?
    Je crois que c'est très fréquent, parce que si on n'est pas sûr d'avoir bien compris, en écoutant l'interprétation, on a une assurance, une confirmation.
    Pour ce qui est d'être effectivement bilingue, je pense que cela implique davantage que de pouvoir tenir une conversation dans l'autre langue. Les arguments juridiques ne ressemblent pas à une conversation. C'est une langue différente, comme vous le savez, et l'interprétation sert à confirmer ce qu'on a entendu. Être effectivement bilingue n'est pas très utile dans une procédure judiciaire. Être parfaitement bilingue, c'est différent. Être parfaitement bilingue — il est certain que ce serait un atout pour la cour si tous les juges étaient compétents et parfaitement bilingues.
    Oui, vous soulevez un point pertinent. Je signale aussi que dans les autres pays bilingues qui ont une cour de dernière instance, des pays comme la Belgique, on nomme des juges unilingues et on compte sur l'interprétation.
    À l'UNESCO, on a recours à l'interprétation, tout comme dans les tribunaux sur les crimes de guerre. Il est vrai que les circonstances sont différentes mais, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, on emploie des interprètes aux Nations Unies. Des interprètes, il n'y en a pas à la pelle. Un bon interprète est une personne très qualifiée.

  (1625)  

    J'ai une dernière question à vous poser, monsieur Major. En 14 ans à la Cour suprême, l'interprétation vous a-t-elle posé un problème? Avez-vous jamais eu des doutes quant à l'exactitude de l'interprétation des arguments qui vous étaient présentés?
    Non. En outre, nous tenions toujours une discussion après l'audition d'une cause et s'il y avait eu des problèmes de ce genre, ils seraient vite devenus évidents.
    Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps.
    Merci.
    Nous passons maintenant au prochain tour.
    Monsieur Lemay, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

    Bonjour, monsieur le juge.
    Permettez-moi de partager mon expérience personnelle. Je suis allé à la Cour suprême du Canada. Je ne plaidais pas, mais j'accompagnais un collègue qui plaidait en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.
    Je suis convaincu que ce que vous avez répondu un peu plus tôt à la première question de M. Storseth était tout à fait valable, mais je veux simplement que vous sachiez comment un avocat se sent lorsqu'il arrive à la Cour suprême du Canada. On ne va pas à la Cour suprême du Canada tous les jours, et lorsqu'on le fait, c'est qu'on doit défendre une cause importante.
    Pour moi, c'est non seulement d'être entendu qui compte, mais c'est aussi d'être compris. À cet égard, j'ai un peu de difficulté face aux juges qui ne peuvent pas suivre ce qui se dit en français, par exemple. Ce peut être lors d'échanges avec le juge Lamer ou avec un autre juge présent. Vous savez comment ça se passe, car vous avez une très longue expérience, que je ne nie pas. C'est ce qui est important pour nous.
    La réalité apparaît souvent de façon différente. Nos clients se demandent pourquoi le juge ne comprend pas ce qui se dit, pourquoi il a besoin de traduction, alors que nous avons toujours plaidé dans des instances où il était possible d'avoir des juges parfaitement bilingues.
    Vous comprenez qu'il est important pour plusieurs groupes d'avoir ce sentiment d'être entendus et compris. Être entendu est différent d'être compris. Cette subtilité est importante pour nous. Les juges de la Cour suprême du Canada, la plus haute instance, doivent pouvoir nous comprendre dans la langue française, par laquelle on s'exprime, que l'affaire soit en première, en deuxième ou en dernière instance.

[Traduction]

    Eh bien, tout ce que je peux vous dire, c'est que je me suis senti tout à fait à l'aise de compter sur l'interprète.
    Je suis ici pour répondre à des questions, et non pour en poser, mais j'aimerais que vous repensiez à une discussion que vous auriez pu avoir par le passé avec un de vos clients. Vous leur auriez demandé ceci: « Écoutez, nous avons le choix entre le juge A et le juge B. Le juge A parle les deux langues relativement bien, mais il n'est pas aussi bon juge que le juge B. Si vous choisissez le juge B, vous allez devoir dépendre de l'interprète. Quel juge préférez-vous?

[Français]

    Sauf votre respect, monsieur le juge, ce n'est pas comme ça que j'entends ma question.
    J'ai quelques années d'expérience. Bien évidemment, je ne nie pas les vôtres. Toutefois, je crois que quand un juge est nommé à la Cour suprême du Canada — je pense au juge Lebel, par exemple, et à tous les juges qui sont là —, de toutes façons, il est nommé parce qu'il est très compétent. Je ne connais pas de juges qui ont été nommés à la Cour suprême du Canada et qui ne sont pas compétents. Peut-être que vous en connaissez, mais moi, je ne peux pas en connaître, car je n'y suis allé qu'une fois, même si je prends toutefois connaissance de tous les jugements.
    La compétence est le premier critère, c'est tout à fait exact. Mais en plus de cette exigence, nous demandons également de pouvoir être compris par les juges qui nous entendent. De plus, la question ne se pose pas de cette façon, pour mon client. Celui-ci n'a pas le choix. Peut-être qu'en première instance, c'est différent. Cependant, à la Cour suprême du Canada, ils sont toutes et tous compétents, selon moi, sans aucune exception. Je crois donc que la capacité de parler la langue française ou de la comprendre est une exigence qui devrait s'ajouter.

  (1630)  

[Traduction]

    Vous êtes libre d'avoir votre opinion, évidemment. Je reviens à la mienne qui consiste à dire que la compétence prévaut par rapport à toute autre considération.
    Il veut mon opinion, et je n'ai rien de mieux à lui offrir que cela.

[Français]

    Je la respecte. Merci.

[Traduction]

    Monsieur Moore, je vous donne cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci monsieur le juge de votre présence ici aujourd'hui. Nous sommes heureux de vous avoir comme témoin.
    Quelques observations que vous avez faites m'ont particulièrement frappé. Tout d'abord, il va sans dire que tout plaideur a le droit de s'exprimer dans sa propre langue officielle. De plus, vous avez insisté sur le fait que la traduction est, à l'évidence, probablement très bonne à la Cour suprême du Canada. Pour ce qui est de donner la priorité à la compétence, en tant que gouvernement, lorsque nous choisissons les juges pour la Cour suprême, je dois dire que je suis d'accord avec vous que la compétence doit en effet primer.
    Quelqu'un a dit qu'à un moment donné, les gens décident qu'un jour ils seront juges à la Cour suprême du Canada, et qu'ils peuvent donc commencer à prendre des cours pour devenir bilingues d'où qu'ils viennent au pays. Je ne crois pas que ce soit réaliste du tout. Je ne pense pas que c'est comme cela que la plupart des vies ou des carrières des gens évoluent.
    Qu'en pensez-vous? Je sais qu'il n'y a pas qu'un chemin qui mène à la Cour suprême, mais dites-nous pourquoi cette prémisse vous semble irréaliste.
    Une personne avec de telles ambitions pourrait vivre dans une région où il est impossible d'apprendre l'autre langue. Si l'on vit à Prince George, à ce que je sache, et qu'on a 12 ans, je ne pense pas qu'on puisse apprendre le français. Je ne sais pas ce qu'il en est au Saguenay pour quelqu'un qui voudrait apprendre l'anglais.
    Nous n'avons pas tous les mêmes chances d'acquérir les deux langues dès le début de l'école. Je crois personnellement que la formation des juges, lorsqu'ils apprennent un peu l'autre langue, ne dépasse pas beaucoup la capacité de converser. Je connais bien des juges qui ont étudié le français et des juges qui ont étudié l'anglais. Ils apprennent la langue en partie, mais si l'on prend quelqu'un de 55 ans et qu'on essaie d'en faire une personne bilingue, je crois que ce serait plutôt accablant comme objectif et rares seraient les personnes de 55 ans qui réussiraient à l'atteindre.
    Vous pouvez continuer, monsieur Moore.
    Voilà ce qui m'amène à ma deuxième question. Que pouvez-vous nous dire au sujet des néo-Canadiens? Le Canada accueille, bien entendu, des néo-Canadiens, ils peuvent participer à tous les aspects de la vie canadienne. Qu'en serait-il de quelqu'un qui proviendrait d'un autre pays du Commonwealth, où il est clair qu'on n'a pas les mêmes occasions d'apprendre nos deux langues officielles? Ou qu'en serait-il de quelqu'un qui a l'anglais ou le français en tant que langue seconde mais n'aurait pas pu apprendre les deux langues officielles du Canada pendant sa jeunesse? Il ne faut pas oublier que l'anglais et le français sont les langues officielles dans ce pays.
    Quelle limite serait imposée sur une telle personne dans ce scénario? Et quel message serait transmis à un étranger qui veut devenir Canadien concernant sa capacité de participer?
    La langue française et la langue anglaise sont les langues officielles, mais nous avons des interprètes. Si quelqu'un vient d'Asie ou d'Europe de l'Est et ne parle pas l'anglais, le procès ne peut pas commencer sans la présence d'un interprète. L'interprète interprète. C'est le cas dans tous les tribunaux. Mais c'est surtout important, il faut le dire, en première instance, lorsque la preuve est présentée et que la personne peut témoigner, etc.
    Devant les cours d'appel, on traite généralement de questions de droit. Fréquemment, l'accusé ou les parties ne se présentent même pas. Les avocats sont là, mais pas les parties.
    Toute personne qui doit subir un procès au Canada a droit à un interprète.

  (1635)  

    Vous avez mentionné que le juge Lamer est bilingue. Pour ceux qui nous écoutent, on parle de quel niveau de compétence dans les deux langues? Il y a une notion qui prévaut en ce qui a trait au bilinguisme, et c'est la capacité de parler à quelqu'un dans les deux langues officielles. Mais quel niveau de compétence serait requis — dans le bassin de personnes qui pourraient être nommées à la Cour suprême du Canada pour ne jamais avoir besoin des services d'interprétation?
    Ma femme est complètement bilingue. Le français est sa langue première. Quand je compare son français à celui de certains de nos amis, et ce serait suffisant pour répondre à ce critère, il y a une différence marquée. Je suis sûr que mes collègues ici dont la langue première est le français verraient les choses exactement de la même façon.
    Un bilinguisme qui consiste à pouvoir soutenir une conversation est inadéquat pour un tribunal. J'ai parlé du juge Lamer. C'était un des rares juges qui était complètement bilingue. Charles Gonthier, qui vit toujours, est de ceux-là. Il était aussi capable d'écrire avec aisance dans les deux langues. Il comprenait les nuances de la langue en français et en anglais. Il était vraiment bilingue et il était compétent. Il n'est pas impossible pour certaines personnes d'être douées en langue et compétentes en droit. Je dis tout simplement que lorsqu'on se concentre sur l'essentiel de savoir si c'est la compétence qui prime ou la capacité de fonctionner sans traducteur, je dirais que le critère doit être la compétence. L'avantage marginal que procure une certaine aisance dans l'autre langue à tel point qu'on puisse faire la conversation sans être capable d'écrire ou de lire en français ou en anglais avec aisance — ne me paraît pas mieux que l'interprétation.
    Merci.
    Avant que vous nous quittiez, j'ai quelques petites questions. Pendant les 14 années au cours desquelles vous avez siégé à la Cour suprême du Canada, combien de plaintes avez-vous reçues au sujet des services d'interprétation qui étaient disponibles? Je ne parle pas des gens qui auraient été insatisfaits du résultat, mais y a-t-il eu des plaintes spécifiques quant au niveau ou à la qualité de l'interprétation disponible pendant ces audiences?
    Les seules plaintes avaient trait au volume, un problème mécanique, au fait qu'on n'entendait pas de traduction. Ce n'est pas ce que vous me demandez. Sinon, il n'y a jamais eu de plainte.
    Deuxièmement, en fonction de votre expérience à la Cour suprême, des juges qui ont été vos collègues, combien d'entre eux étaient bilingues au niveau requis par le projet de loi dont nous sommes saisis?
    Je dirais plusieurs. Il est difficile de vous donner un chiffre, mais je dirais... Vous parlez de la Cour suprême?
    Oui.
    Je dirais au moins la moitié, peut-être un peu plus, répondraient à ce critère.

  (1640)  

    Et les autres ont besoin de services de traduction et utilisent probablement des écouteurs?
    Il y en a peut-être deux ou trois qui ont vraiment besoin de services de traduction. Il me semble qu'il y a des gens dont la connaissance du français n'est pas si bonne que ça et qui devraient utiliser les services de traduction mais, parfois c'est une question de fierté, peut-être que certaines personnes aiment donner l'impression qu'elles comprennent tout à fait. C'est en fonction de conversations que nous avons eues par la suite qu'il me semble qu'ils auraient pu se prévaloir de l'interprétation.
    Merci beaucoup. Votre témoignage nous a été fort utile, nous prendrons tout cela en délibéré dans l'étude du projet de loi.
    Nous suspendons la séance pendant cinq minutes.

    


    

    Nous reprenons la séance.
    Nous sommes ravis d'accueillir d'autres témoins pour nous aider dans notre examen du projet de loi C-232. Nous avons maintenant Graham Fraser, notre commissaire aux langues officielles, accompagné de Pascale Giguère et de Christine Ruest Norrena des Affaires juridiques.
    Bienvenue à vous tous. Je crois que vous comprenez que vous disposez de dix minutes pour faire votre exposé et qu'ensuite nous passerons aux questions des députés.
    Monsieur Fraser, vous disposez de dix minutes.

  (1645)  

    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

    Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de vous exposer ma position concernant le projet de loi C-232, qui modifie un article de la Loi sur la Cour suprême concernant le bilinguisme des juges.
    Au cours des 40 années qui se sont écoulées depuis la sanction royale de la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques au Canada se sont imposés et ont progressé dans le cadre d'une discussion complexe à laquelle trois interlocuteurs principaux ont donné le ton. Amorcée par le Parlement canadien dès la formation de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, cette conversation mobilise également le public canadien et les tribunaux, en particulier la Cour suprême du Canada.
    Cette conversation entourant l'application de la Loi sur les langues officielles et la Charte canadienne des droits et libertés a permis à une nouvelle jurisprudence de s'établir, et ce, au gré des relations entre les populations anglophones et francophones du Canada. D'ailleurs, ces relations définissent notre passé, alimentent notre présent et conditionnent notre avenir.

[Traduction]

    L'un des énoncés les plus éloquents sur l'importance de la langue comme élément de l'identité individuelle et collective nous vient d'une décision rendue par la Cour suprême dans la cause Ford, en 1988:
La langue n'est pas uniquement un moyen de communication interpersonnel et un moyen de rayonnement. Ce n'est pas seulement le véhicule d'un message latent ou manifeste. La langue est elle-même un message, un référent pour la loyautés et les animosités, un indicateur du statut social et des relations interpersonnelles, une manière de délimiter situations et sujets ainsi que les buts visés par la société et les immenses champs d'interrelations, tous chargés de valeurs, qui caractérisent chaque communauté linguistique.
    Cette vision de la Cour suprême influence en partie ma position concernant le débat qui nous réunit aujourd'hui.
    Le caractère bijuridique du système judiciaire canadien est un autre facteur qui m'a influencé. Le Canada n'a pas qu'un système juridique, il y en a deux. Nous sommes l'un des rares pays à jouir de l'avantage d'avoir à la fois la common law, issue de la Grande-Bretagne, et le Code civil, qui remonte au droit romain et ensuite au Code Napoléon de la Nouvelle-France, laquelle est devenue le Bas-Canada et finalement le Québec. Il s'agit d'un immense atout pour notre tradition juridique et pour beaucoup de nos avocats pratiquant au sein des deux traditions, qui ensemble couvrent presque le monde entier.
    John Henry Merryman, juriste américain, a écrit: « On ne saurait surestimer l'influence de la tradition civiliste sur le droit particulier de chaque nation, sur le droit des organisations internationales et sur le droit international. »
    Cela ne veut pas dire que tous les juges de la Cour suprême devraient recevoir leur formation en common law et en Code civil. Mais ils devraient pouvoir entendre les arguments d'un avocat formé dans l'une ou l'autre, en anglais ou en français, sans avoir besoin d'interprétation. Comme vous le savez, les lois canadiennes ne sont pas traduites: elles sont rédigées en anglais et en français. Les juges des tribunaux supérieurs du pays doivent pouvoir saisir la nuance lorsqu'il y a un écart entre les deux versions.

[Français]

    Si le Parlement adoptait ce projet de loi, cela enverrait un message éloquent aux facultés de droit du pays: bien connaître les deux langues est un préalable pour avoir la pleine maîtrise du droit et pour être admis aux postes les plus importants et les plus prestigieux de la magistrature canadienne.
    La dualité canadienne, de par sa nature, signifie que les citoyens ont le droit d'être servis par l'État dans la langue de leur choix. C'est en effet un droit que d'être unilingue. L'État est officiellement bilingue, donc le citoyen n'a pas besoin de l'être. Les citoyens du Canada peuvent y mener toute leur vie une existence prospère en parlant une seule langue officielle, sans devoir apprendre l'autre. Ainsi, le fardeau du bilinguisme repose sur l'État et, plus particulièrement, sur ceux qui exercent un rôle de leadership au pays.
    Le Parlement a reconnu la nécessité pour tout tribunal fédéral de pouvoir mener des procédures en français comme en anglais. Fait paradoxal, il n'y a qu'une seule exception: la Cour suprême. À mon avis, cela a perpétué une malheureuse séparation.

[Traduction]

    II y a plus de 30 ans, Ie regretté Jules Deschênes, juge en chef de la Cour supérieure du Québec, prononçait à Toronto un discours où il faisait une mise en garde contre ce qu'il a appelé Ie « séparatisme juridique ». Je cite:
« Le Québec a fait montre de la volonté et de I'aptitude nécessaires pour contribuer à I'édification d'un [...] système de droit fédéral, mais il s'est heurté à la communauté juridique du reste du Canada qui, dans sa grande majorité, s'est fermée à cette idée en ignorant purement et simplement la contribution du Québec, avait-il déclaré. Actuellement, au Canada, il existe une séparation de fait sur Ie plan juridique, mais elle a été imposée au Québec de I'extérieur et non par Ie Québec de I'intérieur. »
    II mentionnait que les travaux en droit commercial, en droit criminel et en droit administratif réalisés au Québec passaient totalement inaperçus dans Ie reste du Canada, et que les jugements des tribunaux québécois n'étaient pas suffisamment cités par les juristes anglophones.
     L'une des choses impressionnantes à propos de la Cour suprême est de voir à quel point elle est devenue plus bilingue dans les trois décennies qui ont suivi I'allocution du juge Deschênes. Mais il suffit encore d'un juge unilingue pour que toutes les discussions se déroulent dans une seule langue.

  (1650)  

[Français]

    La discussion entourant la nomination de juges bilingues n'est pas un sujet nouveau. Comme mes prédécesseurs, j'ai déjà exprimé mon opinion à ce sujet devant divers forums. Au mois de mai 2008, je me suis présenté devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes et j'ai donné mon avis sur le processus de nomination d'un prochain juge à la Cour suprême. À ce moment, je signalais que la connaissance des deux langues officielles devait être l'une des compétences recherchées chez les juges siégeant au plus haut tribunal du pays. Je notais également qu'une telle exigence démontrerait à l'ensemble du public canadien l'engagement du gouvernement du Canada envers la dualité linguistique, de façon symbolique et pratique à la fois.
    Un an plus tard, je demeure du même avis. En effet, il me semble essentiel qu'une institution aussi importante que la Cour suprême du Canada soit non seulement composée de juges ayant des compétences juridiques exceptionnelles, mais qu'elle soit le reflet de nos valeurs et de notre identité canadienne en tant que pays bijuridique et bilingue.
    Nous savons tous que la Loi sur la Cour suprême prévoit que la composition de la cour doit refléter une représentation régionale. Ce principe important bénéficie d'un fort appui, tant du public que des parlementaires. Je trouve cependant curieux que l'on utilise ce principe comme argument pour s'opposer à la reconnaissance du bilinguisme en tant que compétence essentielle. J'ai également du mal à accepter l'argument selon lequel exiger le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême porterait atteinte aux droits d'un individu unilingue qui pourrait vouloir accéder au banc de la plus haute cour de justice du pays.
    D'une part, la connaissance d'une langue est une compétence qu'il est possible d'acquérir. D'autre part, le bilinguisme est déjà une obligation pour les juges de plusieurs cours du pays et pour quelque 72 000 postes de l'administration fédérale, dans le but de servir la population canadienne adéquatement. Je ne crois pas que la barre doit être placée plus bas pour les juges de la Cour suprême.

[Traduction]

    Afin de respecter la population canadienne, il est important de garantir que toute la population canadienne soit servie par des juges de la plus haute distinction et de la plus grande compétence, qui puissent entendre et comprendre une cause dans I'une ou I'autre des langues officielles. Étant donné la complexité et I'importance exceptionnelle des affaires entendues par cette cour, un juge devrait pouvoir écouter les arguments qui lui sont présentés, et ce, sans intermédiaire, afin de saisir les arguments juridiques nuancés et complexes.
    Je reconnais I'importance que la sélection des candidats à la magistrature soit principalement fondée sur les compétences professionnelles et Ie mérite de chaque candidat. Dans Ie cadre du processus de nomination des juges, Ie bilinguisme est un critère important et devrait être un des facteurs prépondérants du mérite et de I'excellence juridique d'un candidat.
    La modification que propose Ie projet de loi C-232 suggère que Ie bilinguisme soit une condition préalable de nomination. J'appuie fortement cette modification.
     Merci beaucoup.
     Je suis maintenant prêt à répondre a vos questions.
    Merci, monsieur Fraser.
    Je cède la parole à M. LeBlanc pour sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, monsieur Fraser, pour vos commentaires. Je partage entièrement vos opinions. D'ailleurs, je n'avais pas constaté cette contradiction que vous avez clairement soulignée, à savoir qu'au Canada, pour obtenir certains postes de cadres dans la fonction publique ou pour être général dans l'armée, il faut être bilingue, mais qu'on peut siéger à la Cour suprême sans avoir à remplir cette même exigence. Il est très utile que vous l'ayez soulignée de façon aussi simple et éloquente à la fois.

[Traduction]

    Certains diront que la compétence comme juriste, les connaissances en droit et la compréhension du rôle de la magistrature — les éléments qu'on associe traditionnellement à la compétence d'un juge — devraient être les seuls facteurs pris en considération pour les nominations à la Cour suprême. Ajouter une exigence liée au bilinguisme ou aux compétences linguistiques abaisserait la barre et donnerait à des candidats moins qualifiés la chance d'être nommés à la cour, alors que des personnes peut-être plus compétentes mais unilingues verraient leur candidature bloquée.
    Que répondez-vous à cela? C'est une réaction irréfléchie. Le juge de la région atlantique qui a remplacé le juge Bastarache, le juge Cromwell, est le parfait exemple d'un juriste compétent hautement qualifié et bilingue provenant de la Nouvelle-Écosse.
    Que répondez-vous à ces critiques?

  (1655)  

    Je suis convaincu que parler couramment les deux langues officielles est une compétence essentielle. Quand on dit au sujet d'un candidat qu'il est très compétent, qu'il a beaucoup d'expérience, mais qu'il ne peut entendre les causes entendues à la Cour suprême dans la langue dans laquelle elles sont présentées, il lui manque une compétence essentielle. Il est en fait moins compétent que le candidat au poste de juge à la Cour suprême qui, lui, peut le faire.
    À l'heure actuelle, neuf des dix juges peuvent entendre des causes sans interprétation — excusez-moi, huit des neuf juges. Merci de m'avoir corrigé. Du coup, quand les juges discutent d'une affaire entre eux, même si c'est une cause sur la langue au Québec — et nous attendons des décisions en appel de jugements rédigés en français et ayant fait l'objet de représentations en français devant la cour — le débat se poursuit probablement, peut-être même en ce moment, en anglais, sinon, l'un des juges ne comprendra pas. J'estime donc qu'il manque à ce juge une compétence essentielle à ses fonctions.
    Je vous remercie.
    Monsieur le président, ma collègue, Mme Coady, a peut-être une brève question à poser.
    Madame Coady, vous avez la parole.
    Je vous remercie beaucoup. Je vous suis certainement reconnaissante de comparaître devant nous aujourd'hui pour répondre à nos questions. Merci également de votre mémoire.
    Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador. Comme vous le savez, ma province fait partie de la Confédération depuis 60 ans et existe depuis 500 ans. Or, la Cour suprême du Canada n'a jamais compté un juge venant de ma province. Nous parlons les deux langues dans ma province et nous avons des écoles de langue française, mais je crains que parce que nous ne sommes pas ce que l'on pourrait considérer une province véritablement bilingue — et c'est vrai que les juges n'ont peut-être pas la même compétence en français ou la même maîtrise de la langue — je crains, comme d'ailleurs un certain nombre de mes collègues de Terre-Neuve-et-Labrador, que cela constitue un obstacle à la nomination d'un habitant de Terre-Neuve-et-Labrador à la plus haute cour du pays.
    Quelle est votre opinion à cet égard?
    J'aurais deux observations à faire. Premièrement, j'admire l'engagement qu'a pris l'Université Memorial d'offrir une formation linguistique. Je trouve impressionnant le nombre d'étudiants de l'Université Memorial qui se sont inscrits à ces programmes et qui ont fait un séjour linguistique d'un semestre ou d'une année à Saint-Pierre-et-Miquelon. La PDG de Postes Canada, Moya Greene, vient de Terre-Neuve et a elle-même fait un séjour à Saint-Pierre-et-Miquelon.
    À mon avis, il est tout à fait possible que les résidents d'une province aient une carrière très satisfaisante dans leur province en ne parlant que la langue dominante, sans avoir jamais appris l'autre langue mais, lorsqu'une personne souhaite faire carrière sur la scène nationale, c'est à ce moment-là qu'il devient nécessaire qu'elle maîtrise les deux langues officielles.
    J'ai été frappé de constater que les provinces à l'extrémité du pays comprennent cette réalité. À titre d'exemple, l'Université Memorial s'est engagée à favoriser l'immersion linguistique de ses étudiants. La même chose vaut pour la Colombie-Britannique. Dans cette province, 30 000 enfants participent à des programmes d'immersion. Les parents font la queue pour inscrire leurs enfants à ces programmes. En fait, il faut organiser une loterie pour choisir les enfants qui participeront à ces programmes. En effet, les habitants de la Colombie-Britannique comprennent qu'ils n'ont pas nécessairement à parler le français s'ils comptent demeurer dans leur province — mais il serait évidemment plus facile d'assurer la tenue des Jeux olympiques dans les deux langues officielles si davantage de gens parlaient les deux langues —, mais ils sont conscients que sur la scène nationale, il faut parler les deux langues.
    Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste une demi-minute. Votre question et la réponse à cette question devront donc être très brèves.
    Je préfère ne pas poser de question.
    Dans ce cas, j'accorde la parole à M. Ménard pour sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président. C'est toujours un plaisir d'accueillir M. le commissaire. Je suis extrêmement heureux, pour ne pas dire euphorique, d'entendre votre témoignage, parce que j'étais un peu — je le dis en tout respect — déçu du témoignage précédent.
    Je crois que le projet de loi de notre collègue M. Godin est essentiel si on veut envoyer un message clair. Le mérite qu'il a est qu'il permettra de préparer la prochaine génération de juristes, en leur indiquant la règle du jeu. Dans notre système de droit, on n'accède pas nécessairement par concours à la Cour suprême, c'est une question de nomination. Il y a peut-être parfois quelques variables partisanes, mais on ne doute pas que la Cour suprême soit nantie de juges très compétents. Si on se destine à la magistrature, on saura que parmi les facteurs d'appréciation de la compétence, il y aura la connaissance des deux langues. C'est extrêmement important.
    J'ai été un peu surpris. Un collègue que je ne nommerai pas a posé, tout à l'heure, une question qui pourrait échoir à votre domaine de compétence. On a demandé au juge si, à sa connaissance, des plaintes avaient déjà été déposées au sujet de l'utilisation du français devant la Cour suprême. L'intervenant qui vous précédé, avec tout le respect qu'on doit à la fonction qu'il a occupé, a traité ça avec une certaine désinvolture.
    À titre de commissaire, êtes-vous en mesure de nous donner de l'information sur des représentations dont vous auriez fait l'objet de la part des membres de la communauté juridique devant l'incapacité de certains juges? Je comprends que ce domaine est délicat, mais avez-vous déjà eu des plaintes à cet égard?

  (1700)  

    Je dirais deux choses à ce propos. Tout d'abord, malgré tout le respect que je lui dois, je ne crois pas qu'une personne unilingue soit dans la meilleure position pour évaluer la qualité de l'interprétation.
    Quand je vois un film en français avec des sous-titres anglais, je suis en mesure de me dire que je n'aurais pas traduit cette phrase de cette façon. Par contre, quand je vois un film en allemand avec des sous-titres, je ne peux pas juger si le film a été bien sous-titré ou mal sous-titré.
    Je sais qu'un des témoins, cette semaine, a fait remarquer qu'il avait des réserves face à l'interprétation de son propre plaidoyer devant la Cour suprême. Ce témoin a fait des remarques semblables il y a un an, quand on a comparu devant un comité. Je me demandais si c'était exagéré.
    Je suis souvent très impressionné par le travail des interprètes. C'est un travail extrêmement difficile. J'admire beaucoup le travail des interprètes. J'en connais plusieurs et je trouve qu'ils font un travail magistral. Il n'empêche que j'ai déjà visionné, sur CPAC, une de mes comparutions devant un comité et j'ai dit à ma femme que ce n'était pas tout à fait ce que j'avais dit.
    Quand on exprime des nuances, il est souvent possible que l'interprétation passe un peu à côté du sens exact de ce qu'on voulait dire. Ce pourrait être le cas d'un avocat qui plaide devant la Cour suprême.
    On n'a pas reçu de plainte relativement au système d'interprétation, mais on a reçu deux plaintes relatives à certaines incapacités d'autres tribunaux fédéraux, car il y avait une pénurie de juges bilingues. J'ai parlé de ce problème au ministre de la Justice.
    C'est vraiment très intéressant.
    J'ai fait partie du comité spécial qui a interrogé le juge Rothstein. Je lui ai posé une question avec l'élégance et la courtoisie dont vous me savez capable, puisque je suis totalement dépourvu de malice. Il s'est engagé à apprendre le français, mais je ne crois pas que la charge de travail que l'on a, lorsqu'on est à la Cour suprême, fasse que les conditions idéales pour l'apprentissage d'une deuxième langue soient réunies. C'est pourquoi il vaut mieux travailler en amont qu'en aval.
    Partagez-vous mon point de vue?

  (1705)  

    Je suis tout à fait d'accord. J'ai été frappé d'apprendre que des programmes de formation linguistique étaient offerts aux juges. Ça ne s'adresse pas aux juges qui siègent à la Cour suprême du Canada mais à ceux qui commencent leur carrière. Je n'ai jamais suivi ce cours, mais j'ai entendu de très bonnes choses à son sujet. Cette formation est disponible; c'est un cours intensif de français juridique, si je peux le nommer ainsi.
    Certaines écoles de droit offrent des cours spécialisés. C'est le cas de la University of Western Ontario, je crois, où l'on offre un cours spécialisé pour les avocats qui veulent maîtriser l'aspect technique du vocabulaire juridique en français. Plus on s'y prend tôt pour apprendre une deuxième langue, mieux c'est.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    J'invoque le Règlement, monsieur le président.
    Le président: Allez-y, monsieur Storseth.
    J'aimerais une précision. Par respect pour M. Ménard, j'ai attendu jusqu'à la fin de sa question avant d'intervenir, mais je ne...
    Je veux m'assurer d'avoir bien compris ce qui s'est dit par le truchement de l'interprète, monsieur Fraser, concernant la réponse que vous avez donnée à la question de M. Ménard qui voulait savoir s'il y a déjà eu des plaintes à la Cour suprême à l'égard de l'interprétation: avez-vous bien dit qu'il n'y avait pas eu de plaintes touchant la Cour suprême, mais qu'il y en avait eues dans des tribunaux inférieurs?
    Je répète qu'il ne s'agissait pas de l'interprétation, mais de certains...

[Français]

    Je vais demander à mes collègues.
    Y a-t-il déjà eu des plaintes?

[Traduction]

    Aucune plainte n'a été déposée à l'égard de l'interprétation, mais l'un des problèmes que pose l'interprétation, c'est...
    Je regrette, monsieur Fraser.
    Monsieur Storseth, ce n'est pas un point qui peut faire l'objet d'un rappel au Règlement, mais plutôt d'un débat. Vous pourrez toujours poser une question en ce sens plus tard.
    Ce n'était pas un point pouvant faire l'objet d'un débat, monsieur le président. J'ai demandé une précision. Je voulais m'assurer qu'il n'y avait pas eu d'erreur d'interprétation.
    Une précision ne peut pas faire l'objet d'un rappel au Règlement. Je voulais simplement le préciser.
    J'accorde maintenant la parole à M. Comartin.
    Vous avez sept minutes.
    Vous n'avez pas déduit ce temps du temps qui m'est alloué, monsieur le président, n'est-ce pas?
    Non.
    C'est bien.
    Je vous remercie, monsieur Fraser, de comparaître devant nous.
    Lorsque le juge  Major a témoigné devant le comité, il s'est fait l'écho d'une perception assez courante — j'allais dire « préjugé », mais ce serait sans doute mal interpréter ses propos —, à savoir qu'un juriste et un linguiste n'ont pas les mêmes compétences. Je pense que c'est effectivement ce qu'il a dit.
    Ce qui découle non pas tant de ce que le juge a dit, mais du raisonnement qu'on tient souvent à cet égard, c'est que le linguiste possède peut-être des compétences qui lui permettent de parler l'autre langue officielle, mais ses compétences ne l'aident en rien quand il s'agit de comprendre le droit dans ce pays. Je crois que c'est essentiellement le raisonnement que certains tiennent à cet égard.
    J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
    Je ne partage pas du tout cet avis. Je crois que le fait de comprendre les deux langues officielles...
    En particulier lorsqu'il s'agit du tribunal de dernière instance, c'est-à-dire du dernier tribunal où un citoyen ou un avocat peut présenter son cas, j'estime qu'il est très important que cet avocat ou que ce citoyen puisse se faire comprendre dans sa propre langue.
    Il ne s'agit pas ici d'aider les juges. Il s'agit d'établir les compétences exigées des titulaires des neuf postes les plus importants au sein du système judiciaire canadien.
    J'ai beaucoup de respect pour le juge Major, mais je ne suis pas certain qu'une personne qui ne parle pas l'autre langue sache vraiment ce qu'elle ne sait pas. Donald Rumsfeld a déjà parlé du savoir qu'on connaît et du savoir qu'on ne connaît pas. Je ne sais pas comment une personne unilingue peut évaluer l'importance sur le plan professionnel de connaître une langue. Si une personne ne parle pas une autre langue, elle ne comprend nécessairement pas ce qu'elle comprendrait si elle parlait cette langue.

  (1710)  

    Dans votre déclaration, vous avez parlé des discussions qui ont lieu entre juges. Je crois que nous sommes presque tous des avocats. Ceux d'entre nous qui sont avocats savent qu'une fois l'audition d'un cas terminée, les juges se retirent dans leurs appartements et discutent habituellement sur-le-champ du cas. Il y a alors un échange de vues. Dans votre déclaration, vous avez dit que cette discussion doit avoir lieu dans l'une des deux langues officielles à moins que les neuf juges parlent les deux langues officielles. Je crois que nous avons tous compris cela.
    Quelle conséquence le fait que ces discussions doivent maintenant toujours avoir lieu en anglais, étant donné que le juge Rothstein ne parle pas le français, a-t-il sur les droits linguistiques ou peut-être les droits culturels d'une personne?
    Certains des juges auront entendu ou plaidé des cas en français. Si un cas a été entendu en français par les tribunaux inférieurs, les jugements rendus seront en français et les plaidoiries devant la Cour suprême seront également en français. Pour s'assurer que tous les juges ont bien compris les plaidoyers, les juges francophones devront soudainement présenter leurs vues en anglais. Ils ne pourraient pas avoir des échanges entre eux comme celui que j'ai eu un peu plus tôt avec M. Ménard. M. Ménard et moi pourrions avoir un dialogue dans une langue et vous et moi, dans l'autre langue. Si ce comité devait mener ses travaux dans une langue ou dans l'autre, certaines personnes seraient défavorisées.
    Je n'ai plus d'autres questions à poser.
    Je vous remercie, monsieur Comartin.
    J'accorde maintenant la parole à M. Rathgeber. Vous avez sept minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je voudrais vous remercier, monsieur Fraser, ainsi que votre conseiller juridique, de comparaître devant le comité. Je vous remercie également de votre déclaration.
    Je voudrais d'abord vous dire que j'ai des réserves tant au sujet de votre témoignage que du projet de loi. Dans mes questions, je vais sans doute aborder le sujet sous un angle quelque peu différent de celui de mes amis d'en face.
    J'aimerais citer votre mémoire. Vous avez dit: « Le Parlement a reconnu la nécessité pour tout tribunal fédéral de pouvoir mener des procédures en français comme en anglais. » Est-ce que je me trompe en pensant que la Cour suprême du Canada mène ses procédures soit en anglais, soit en français, et qu'il faut faire une distinction claire entre le fait de mener ces procédures dans les deux langues et d'obliger les neuf magistrats à être couramment bilingues?
    Il y a une distinction à faire et vous avez raison de dire que les procédures devant la Cour suprême peuvent être faites dans l'une ou l'autre langue, mais lorsqu'une personne choisit de présenter son cas dans la langue de son choix, elle doit soupeser l'avantage qu'il y a pour elle à parler dans la langue qu'elle maîtrise le mieux par rapport au risque que certaines nuances de ses propos ne soient pas bien comprises. Ce n'est pas le cas dans les tribunaux fédéraux où les gens ont le droit d'être entendus et d'être compris.
    Cette question du droit à être non seulement entendu, mais compris dans sa langue est une question qui a été prise en compte par la Cour suprême pour établir sa propre position sur le droit à un procès en français. Je crois que dans l'affaire mettant en cause la Société des Acadiens qui remonte aux années 1980, je crois que le tribunal a statué qu'une personne avait le droit d'être entendue dans sa langue mais pas d'être comprise dans cette langue. La Cour suprême a modifié ce point de vue dans des décisions subséquentes.
    Je demanderais à Mme Giguère de vous expliquer plus à fond l'évolution de la position de la Cour suprême en ce qui touche le droit à être compris dans sa langue.

  (1715)  

    Allez-y. Soyez très brève.
    Je serai très brève. Une décision a effectivement été rendue dans l'affaire mettant en cause la Société des Acadiens. C'est toujours la décision qui prévaut en ce qui touche l'interprétation de la loi. Ce qui a changé depuis lors, c'est l'interprétation qu'en fait le tribunal.
    Le tribunal s'est prononcé sur l'importance de la langue et a exprimé à cet égard un point de vue différent. Dans l'affaire Beaulac, par exemple, dans laquelle la langue a joué un rôle primordial, le tribunal a reconnu l'importance de la langue dans ce contexte. Dans une cause criminelle, je crois que si le tribunal entendait de nouveau l'affaire mettant en cause la Société des Acadiens, compte tenu de l'évolution qu'a connue la jurisprudence, il rendrait sans doute une autre décision que celle qu'il a rendue à l'époque.
    Monsieur Fraser, je viens de l'Alberta. J'étais jusqu'à récemment un avocat en exercice avec la Law Society of Alberta. Très honnêtement, je crains que si ce projet de loi devient loi, le procureur général aura de la difficulté à trouver un juriste compétent de la province où je pratiquais le droit pour une nomination à la Cour suprême du Canada.
    Vous êtes peut-être mieux informé. Je ne sais pas si votre bureau a des statistiques sur les juges bilingues dans l'Ouest du Canada — et je sais qu'il y en a — mais je vous dirais qu'ils ne sont pas nombreux. Mais peut-être avez-vous des données qui prouvent le contraire.
    Monsieur le président, par votre intermédiaire, je signalerais que la juge en chef est de l'Alberta et qu'elle est entièrement compétente pour ce qui est d'entendre des causes dans les deux langues. Elle a appris le français à l'âge adulte, parce qu'elle estimait qu'il s'agissait d'une compétence essentielle pour avoir une compréhension complète de la loi.
    Il y a un juge bilingue en Alberta. Trente-neuf avocats sont membres de l'Association des juristes d'expression française de l'Alberta. Je pense que si ce projet de loi d'intérêt privé devenait loi, vous seriez surpris de voir combien d'avocats et de juges décideraient qu'il vaut la peine d'apprendre l'autre langue officielle.
    Je sais que vous n'êtes pas avocat, monsieur Fraser, mais vos conseillères juridiques le sont certainement. Vous avez une idée de ce qui se passe à la Cour suprême du Canada. Vous comprenez qu'il s'agit d'un plaidoirie en appel, que la Cour n'entend pas de preuve, que ses décisions sont fondées sur des mémoires écrits déposés à l'avance, et qu'après la conclusion d'une audience, les juges délibèrent, souvent pendant des mois et des mois. Je ne suis pas convaincu que cet obstacle linguistique, cette incapacité d'un juge estimé comme le juge à la retraite Major soit un désavantage, même si le plaideur...
    Ce n'est pas le client. Ce n'est pas le plaideur qui est devant le juge à la Cour suprême; c'est son avocat. Il a l'avantage de pouvoir prendre le temps qu'il faut, de réfléchir aussi longtemps qu'il le désire et de lire un mémoire traduit. Je ne suis pas convaincu qu'un plaideur soit lésé par les services de traduction.
    Peut-être que vous ou vos conseillères juridiques pourriez m'expliquer où se situe le problème quand un juge a l'avantage d'avoir des mémoires écrits et de profiter de tout le temps nécessaire pour délibérer et réfléchir?
    Je vais demander à ma conseillère juridique de répondre à votre question, mais je crois fermement que comme nous vivons dans un pays qui a un système juridique dualiste et deux systèmes juridiques qui fonctionnent de pair à la Cour suprême, et qu'en plus nous avons une jurisprudence qui est rédigée et élaborée dans les deux langues officielles, de même que des lois qui sont rédigées dans les deux langues officielles et si l'arbitre sans appel ajoute à la nuance quant à la version qui a la préséance, le juge qui ne comprend que la moitié de la jurisprudence, la moitié des décisions écrites et seulement la colonne de gauche de la loi n'est pas aussi compétent que celui qui peut lire les deux colonnes, les deux côtés de la question, les deux côtés de la jurisprudence.

  (1720)  

[Français]

    Pouvez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?

[Traduction]

    Oui. À ma connaissance, il y a interprétation simultanée durant les audiences devant le tribunal, mais je crois comprendre que les parties peuvent déposer leur mémoire dans la langue de leur choix, alors il n'y a aucune garantie que le juge comprendra les mémoires déposés.
    Les services d'interprétation n'interprètent-ils pas les mémoires?
    Ils interprètent les arguments faits oralement devant le tribunal à l'audience.
    Mais pas les mémoires? Il incombe aux plaideurs de traduire les mémoires s'ils le désirent?
    Je crois comprendre que les plaideurs déposent le mémoire dans la langue de leur choix, et ensuite il incombe au juge de...
    Ou les deux.
    Oui. D'avoir son propre service.
    Mais encore une fois, cela signifie que le fardeau du bilinguisme, selon moi, est imposé à l'avocat, et ultimement au citoyen qui paie l'avocat, plutôt qu'au tribunal.
    Merci.
    J'aimerais demander une précision; vous avez dit que la juge en chef McLachlin venait de l'Alberta. Elle m'a enseigné le cours sur la preuve. Il me semble qu'elle a été nommée de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.
    Vous avez raison. Je crois qu'elle a également exercé des fonctions dans les tribunaux de l'Alberta. Elle a pratiqué le droit en Alberta. Elle vient de l'Alberta, mais je reconnais mon erreur.
    Très bien. Nous allons passer à M. Lemay.
    Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Je veux d'abord vous remercier d'être parmi nous.
    Dans votre présentation, vous mentionnez la décision rendue par la Cour suprême dans la cause Ford en 1988, mais vous n'en donnez pas la référence. Habituellement, on peut trouver la référence au bas de la page. Pourrait-on l'obtenir?
    Je m'excuse, on va vous la faire parvenir.
    Évidemment, c'est exactement ce que je disais à l'honorable juge Major.
     Au fait, de quoi traitait cette cause? Vous en souvenez-vous?
    C'était une cause linguistique. Il s'agissait de l'affichage au Québec, je crois.
    J'aimerais beaucoup avoir la référence de cet arrêt. Si c'est celui dont je me souviens, nous pourrons constater que la subtilité de la langue et de la traduction fait que les affiches on un sens en anglais et un autre en français. Il serait important, je crois, que mes collègues en aient une copie ou, du moins, la référence.
    Monsieur le président, on peut probablement trouver aussi la décision, et vous en envoyer une copie.
     À une occasion, j'ai accompagné un collègue à la Cour suprême. Mon expérience se limite à cette seule fois.
     Diriez-vous qu'à la Cour suprême, l'important n'est pas d'être entendu mais d'être compris?
    Oui, tout à fait.
    Je pense être bilingue et capable de comprendre l'anglais, mais je dois dire que plus tôt, en écoutant la version anglaise de ce qui se disait en français, avec tout le respect que je dois à nos traducteurs, qui font du travail extraordinaire, j'ai constaté qu'ils avaient de la difficulté à suivre quand on accélérait le tempo. Dans cette situation, il est certain que ça peut prendre du temps ou devenir difficile et compliqué. C'est la même chose à la Cour suprême. Ceux qui y sont allés le savent: un juge pilote le dossier, et c'est lui qui vous pose des questions. Il peut y avoir des échanges entre d'autres juges durant votre présentation, mais généralement, il y en a un, et quand il connaît bien le dossier, ces échanges ont lieu. Le problème se situe au niveau de la traduction, et c'est là que la subtilité opère. Le factum est déposé dans la langue que l'on choisit, mais s'il n'est pas traduit, c'est la fin.
    Êtes-vous vraiment certain que le Barreau canadien et le Barreau du Québec, en particulier, n'ont pas demandé que le bilinguisme soit accru à la Cour suprême, qui est le dernier rempart?

  (1725)  

    Je dois faire une rectification: il y a eu un vote unanime à l'Assemblée nationale à cet égard à l'époque où le juge Bastarache a pris sa retraite. Mais quand je parlais de plaintes, je voulais précisément parler de celles que nous avons reçues au Commissariat aux langues officielles.
    En tout respect, étant un avocat qui pourrait aller plaider à la Cour suprême, je ne porterais jamais plainte, je ne dirais jamais que j'ai été mal servi. Je crois que personne, pour des raisons stratégiques, ne le ferait. Un avocat qui a plaidé devant la Cour suprême ne porterait jamais plainte. Ce serait plutôt le fait d'une association des avocats de la défense ou de l'Association du Barreau canadien. Ceux-là m'intéressent.
    Avez-vous eu des remarques à ce sujet?
    Je pense qu'au moment où ce débat a repris, ces institutions se sont exprimées clairement. Vous avez reçu plusieurs témoins. Je vais demander à Mme Giguère d'en parler, il y a peut-être d'autres institutions dont je n'ai pas eu connaissance.
    Je pense que l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario s'est exprimée précisément au moment de la nomination du successeur du juge Bastarache. Cela portait davantage sur la pénurie de juges bilingues en général, mais ils se sont aussi exprimés sur la nécessité qu'il y ait des juges bilingues à la Cour suprême. L'Association du Barreau canadien s'est aussi exprimée très clairement dans les médias à cet égard. Elle avait d'ailleurs adopté une résolution qui avait été rendue publique.
    Je ne sais pas si c'est exact, mais il me semble que lorsque nous plaidons devant la Cour suprême, il y a une traduction simultanée. Cependant, il n'y a pas de traduction simultanée lorsque les juges se rencontrent pour discuter de la cause avec leurs recherchistes. Ils en ont tous. Il s'agit de collègues éminemment compétents.
    À ce que je sache, non, mais je vais poser cette question.
    Il n'y en a pas, n'est-ce pas?

[Traduction]

    Nous devons poursuivre. La dernière question va à M. Petit.
    Vous avez trois minutes.

[Français]

    Bonjour, monsieur Fraser. On se voit régulièrement à plusieurs comités. Je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
    Vous savez que cette question nous intéresse, d'autant plus qu'il s'agit d'un projet de loi émanant d'un député. Naturellement, vous avez vu que le projet de loi est très simple. Ce n'est pas parce qu'on met beaucoup de mots qu'on veut dire beaucoup de choses. Parfois, on met peu de mots et ça veut dire beaucoup de choses.
    Je m'intéresse à quelques mots qui proviennent directement du projet de loi, et je cite: « [...] qui comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète. »
    J'ai déjà posé cette question lors d'une réunion qui portait sur le même sujet. On sait que je viens d'une province où c'est unilingue, en français. La Loi 101 s'applique à toutes les étapes, même devant les tribunaux, etc. Mon collègue qui a présenté ce projet de loi vient d'une province qui est officiellement bilingue. Vous comprenez la différence. Naturellement, le projet de loi C-232 vise à établir le bilinguisme institutionnel. Vous êtes ici pour témoigner. On dit « sans l'aide d'un interprète ». Vous avez entendu un peu plus tôt, qu'il y a ici plusieurs avocats. M. Dosanjh a peut-être déjà été procureur général dans sa province. Étant unilingue, il ne pourrait même pas accéder à la Cour suprême. Je ne le pourrais peut-être pas, même si je suis bilingue, car je n'ai peut-être pas les compétences requises. Il y a autre chose, comprenez-vous? Il y a toutes sortes de choses.
    Vous connaissez peut-être la Cour suprême. Nous envoyons des mémoires, des requêtes, il y a des procédures pour obtenir l'autorisation de se présenter devant la Cour suprême, Ça se fait dans la langue d'origine, par exemple le français. Même si mon vis-à-vis est anglophone, je vais parler dans ma langue. Cependant, comme M. Lemay l'a dit un peu plus tôt, une personne s'occupe des dossiers. Si on utilise les mots « sans l'aide d'un interprète », ça voudra dire que le juge qui va lire mon dossier devra lire tous les mémoires dans la langue de l'avocat ou du client, que ce soit en français ou en anglais. Il devra se taper toutes les requêtes dans la langue de l'individu, peu importe d'où il vient. Il devra comprendre non seulement en écoutant, mais il devra aussi avoir une bonne compréhension en lisant. Si on dit « sans l'aide d'un interprète » ce n'est pas uniquement quand quelqu'un nous parle, c'est aussi pour toutes les matières que nous recevons.
    Comment avez compris l'expression « sans l'aide d'un interprète »? Est-ce uniquement à l'écoute, au parlé ou à l'écrit? C'est important, n'oubliez pas. Ça coûte cher.

  (1730)  

    Selon nous, cette expression réfère au discours oral. Si on parlait de traduction, ce serait différent. L'interprétation réfère au discours oral, donc à ce qui est présenté verbalement devant un juge.
    Les trois critères de compétence linguistique qui sont utilisés pour les employés de la fonction publique sont la lecture, la compréhension et l'interaction orale. En général, les candidats trouvent beaucoup plus difficile l'interaction orale. On n'exige pas de compétences en interaction orale pour un juge. On ne demande pas que le juge soit capable de poser ses questions dans l'autre langue, mais qu'il soit capable de comprendre la présentation orale.
    En général, bien des fonctionnaires que j'ai rencontrés m'ont dit qu'ils n'avaient aucun problème quant à la lecture et la compréhension, mais qu'ils avaient beaucoup plus de difficulté à s'exprimer ou à écrire.
    On n'exigerait pas que les décisions des juges soient écrites dans les deux langues. Les juges ont le droit d'écrire la décision dans la langue de leur choix; ça se fait actuellement.
    L'exigence de pouvoir comprendre les plaidoyers dans la langue choisie par celui qui plaide devant la cour en est une assez simple.

[Traduction]

    Merci.
    C'est tout le temps que nous avons, malheureusement. J'aimerais vous remercier tous les trois de votre témoignage aujourd'hui. Nous allons certainement en tenir compte dans notre examen du projet de loi.
    La séance est levée.
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