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SECU Rapport du Comité

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LA SANTÉ MENTALE ET LA TOXICOMANIE DANS LE SYSTÈME CORRECTIONNEL FÉDÉRAL

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION

Les établissements correctionnels du Canada, comme ceux de plusieurs pays dont la Norvège et l’Angleterre, abritent un grand nombre de détenus* aux prises avec des troubles de santé mentale et de dépendance à l’alcool et aux drogues. Au Canada, environ 80 % des délinquants condamnés à des peines d’emprisonnement de deux ans et plus sont confrontés à des problèmes de consommation de drogues et/ou d’alcool. En outre, un peu plus d’un délinquant sur dix (12 %) et une délinquante sur cinq (21 %) souffrent de graves troubles de santé mentale au moment de leur admission dans un établissement correctionnel fédéral[1].

Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Des recherches ont clairement démontré que la collectivité correctionnelle, au pays et à l’étranger, est dans l’ensemble en moins bonne santé que la population en général. Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale (ci-après le Comité) s’inquiète toutefois de l’ampleur que prend le phénomène dans le système correctionnel fédéral canadien et du manque de ressources dont dispose le Service correctionnel du Canada (SCC), dont le mandat est d’assurer la garde des délinquants condamnés à purger une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus, pour répondre aux besoins croissants des délinquants qui sont aux prises avec ces problèmes.

Le présent rapport expose les observations et recommandations du Comité qui découlent de l’examen des politiques, des pratiques et des programmes mis de l’avant par le SCC pour assurer le traitement et le soutien des délinquants sous responsabilité fédérale atteints de troubles mentaux et de toxicomanie. L’étude met en évidence la nécessité d’élargir de toute urgence la capacité du SCC de répondre aux besoins croissants de la clientèle correctionnelle confrontée à des troubles mentaux et de toxicomanie. La situation exige une action décisive du gouvernement fédéral; elle doit se traduire, selon le Comité, par l’allocation immédiate de ressources financières additionnelles au SCC. Quant à ce dernier, il doit accorder la plus haute priorité à l’amélioration de ses interventions en matière de santé mentale et de toxicomanie. Il s’agit d’un enjeu de sécurité publique majeur, puisque les délinquants qui ne reçoivent pas les traitements appropriés en détention risquent davantage de récidiver après leur libération et de compromettre ainsi la sécurité des Canadiens.

Cela étant dit, le Comité convient, avec tous les témoins entendus, qu’il faut éviter dans la mesure du possible que les personnes atteintes de troubles mentaux et de toxicomanie se retrouvent en détention en raison de leurs difficultés ou d’un manque de ressources dans la collectivité. Les établissements correctionnels ne doivent pas servir d’hôpitaux par défaut. En règle générale, la prison ne convient pas à la prise en charge des personnes fragilisées par ce genre de troubles. Les experts de la santé mentale s’entendent d’ailleurs pour dire que l’environnement carcéral est nocif pour la santé mentale. De plus, en raison des contraintes propres au milieu carcéral, les interventions thérapeutiques sont complexes et onéreuses.

Comme tous les témoins, le Comité conclut que le SCC ne peut remédier seul aux problèmes de santé mentale et de toxicomanie en milieu carcéral. La criminalisation et l’incarcération de personnes atteintes de troubles mentaux ou de toxicomanie s’inscrivent dans un contexte plus vaste dans lequel évoluent divers intervenants — organismes gouvernementaux et non gouvernementaux — des secteurs de la santé, des services sociaux et de la justice. Afin d’éviter que des personnes se retrouvent incarcérées à tort en raison de leurs troubles de santé mentale ou de toxicomanie, l’ensemble des participants devra collaborer plus étroitement. Les gouvernements, pour leur part, devront mettre en œuvre un système de santé mentale global, intégré et efficace, fondé sur la promotion de la santé mentale et des soins préventifs, le dépistage précoce des troubles mentaux et de toxicomanie, l’accès à des traitements et des soins efficaces dans la collectivité et, le cas échéant, la réinsertion des personnes confrontées à ces troubles.

L’étude met en lumière la nécessité d’une intervention hâtive, bien avant le stade où les personnes ont des démêlés avec la justice. Lorsqu’un crime est commis, il faut également être en mesure d’évaluer l’état de santé mentale de l’accusé afin de le diriger vers les services de santé et de soutien adaptés et de mettre au courant les intervenants des tribunaux des besoins de l’accusé. Le Comité est convaincu, comme la majorité des témoins rencontrés, qu’une telle approche respecte mieux les droits des personnes atteintes de troubles mentaux et de toxicomanie et pourrait générer des économies importantes à plus long terme. En effet, l’emprisonnement est une mesure coûteuse qui ne convient pas, de façon générale, à la prise en charge de personnes fragilisées par des troubles mentaux et de toxicomanie.

1.1       DÉMARCHE ET MANDAT DU COMITÉ

Le Comité a décidé d’entreprendre une étude sur la santé mentale et la toxicomanie dans le milieu correctionnel fédéral en avril 2009[2] après avoir pris connaissance de renseignements pertinents entourant le décès tragique d’Ashley Smith. Cette jeune femme de 19 ans s’est enlevé la vie en 2007 alors qu’elle était détenue dans l’établissement correctionnel fédéral Grand Valley, situé à Kitchener, en Ontario[3].

Le Comité avait pour mandat d’examiner les politiques, les pratiques et les programmes mis de l’avant par le SCC pour répondre aux besoins des détenus sous responsabilité fédérale atteints de troubles mentaux et de toxicomanie, et d’étudier les pratiques exemplaires dans ce domaine.

Du 2 juin 2009 au 1er avril 2010, le Comité a tenu dix audiences publiques à Ottawa et une dizaine de séances informelles dans des établissements correctionnels de la Saskatchewan, de l’Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick. Le Comité a recueilli les témoignages de représentants du SCC, du Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC), des ministères de la Sécurité publique et de la Justice, de la Commission de la santé mentale du Canada, de l’Association canadienne pour la santé mentale, du Centre de toxicomanie et de santé mentale, de la Société John Howard du Canada, de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et de nombreux experts et intervenants du domaine correctionnel, en toxicomanie et en santé mentale, y compris des tribunaux spécialisés[4].

Au Canada, le Comité a aussi visité le plus grand nombre d’établissements correctionnels dans les délais imposés. Dans l’ensemble, les établissements visités sont de taille et de niveau de sécurité divers et constituent un échantillon représentatif des établissements correctionnels traditionnels, des pavillons de ressourcement autochtones et des centres régionaux de traitement en santé mentale du SCC. Toutefois, le Comité ne s’est pas rendu dans la région du Pacifique et n’a visité qu’un seul établissement destiné aux femmes[5].

Le Comité a également voulu placer ses constats et ses observations dans un contexte international en se déplaçant en Norvège et en Angleterre où il a pu discuter avec des experts et des intervenants du domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, et examiner les pratiques adoptées dans ces pays pour surmonter les troubles de toxicomanie et de santé mentale en milieu correctionnel. Le Comité souhaitait déterminer s’il pouvait tirer des leçons des approches adoptées dans ces pays en ce qui a trait, plus précisément, à la prestation des services de santé mentale et de toxicomanie en détention. Pendant son séjour, le Comité a discuté avec des ministres responsables de la justice, des parlementaires, des criminologues, des professionnels de la santé, des directeurs d’établissements, des gardiens de prison et des personnes chargées de la surveillance des administrations correctionnelles (ombudsmans). Le Comité a également visité trois prisons pour hommes et un centre hospitalier médico-légal[6].

La mission du Comité à l’étranger a été très productive grâce à la contribution de tous les experts et intervenants qu’il a eu l’occasion de rencontrer et au recensement de pratiques prometteuses en matière de prestation de soins de santé en milieu correctionnel.

Pour remplir son mandat, le Comité a également consulté des études sur la question, notamment le rapport de Lord Keith Bradley, chargé par le gouvernement britannique en 2007 de procéder à un examen indépendant de la prise en charge des individus atteints de troubles mentaux et d’apprentissage par le système de justice. En outre, il a pris connaissance du rapport de James Livingston, Mental Health and Substance Use Services in Correctional Settings: A Review of Minimum Standards and Best Pratices [Services en santé mentale et en toxicomanie dans le milieu correctionnel : Examen des normes minimales et des pratiques exemplaires], et aussi du Cadre pour une stratégie en matière de santé mentale au Canada, élaboré par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Le Comité a également relevé l’excellent travail réalisé par la CSMC depuis sa création au printemps 2007 pour combattre la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes atteintes de troubles mentaux et de toxicomanie au Canada[7].

Enfin, au cours de l’étude, le Comité a constaté le dévouement et le professionnalisme du personnel qui travaille jour après jour — dans des conditions souvent inadéquates — avec les délinquants incarcérés dans les établissements correctionnels du Canada, de la Norvège et de l’Angleterre et de l’apport essentiel des bénévoles du SCC à la sécurité publique.

1.2       STRUCTURE DU RAPPORT

Le rapport s’articule autour de cinq chapitres, dont celui-ci. Le deuxième chapitre donne un aperçu de la séparation des pouvoirs dans les domaines correctionnels et de la santé au Canada. Le troisième présente quelques faits et chiffres relatifs à la capacité du SCC. Le quatrième chapitre fait état des connaissances accumulées par le Comité en ce qui a trait à la prévalence des troubles de santé mentale et de toxicomanie dans le système correctionnel fédéral, à la vulnérabilité des délinquants affectés par ces troubles et au défi que pose au SCC la gestion de cette clientèle correctionnelle. Enfin, le dernier chapitre comprend les observations du Comité et des recommandations qui visent à pallier les lacunes relevées par les témoins entendus tout au long de l’étude.



*           Afin de faciliter la lecture du texte, le masculin a généralement été employé comme genre neutre pour désigner aussi bien les femmes que les hommes.

[1]           Service Correctionnel du Canada, cahier d’information présenté au Comité en novembre 2009.

[2]           Conformément à l’article 108(2) du Règlement. Procès-verbaux du Comité, 28 avril 2009.

[3]           Deux rapports importants ont été publiés en juin 2008 à ce sujet : Le rapport de l’ombudsman du Nouveau-Brunswick et du défenseur des enfants et de la jeunesse intitulé Le rapport Ashley Smith, http://www.gnb.ca/0073/PDF/AshleySmith-f.pdf, et celui de l’Enquêteur correctionnel du Canada intitulé Une mort évitable, http://www.oci-bec.gc.ca/rpt/oth-aut/oth-aut20080620-fra.aspx.

[4]           La liste des témoins qui ont comparu devant le Comité se trouve à l’annexe A.

[5]           Le Comité a visité l’établissement correctionnel de Dorchester et le Centre de rétablissement Shepody dans la région de l’Atlantique, le Centre régional de réception et le Centre régional de santé mentale dans la région de Québec, le Centre régional de traitement et le pénitencier de Kingston dans la région de l’Ontario, et le Centre psychiatrique régional et le Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci dans la région des Prairies.

[6]           Le Comité a visité les prisons Ila et d’Oslo en Norvège de même que le centre médico-légal Bracton à Londres et la prison Whitemoor dans le Cambridgeshire, en Angleterre.

[7]           Commission de la santé mentale du Canada, Vers le rétablissement et le bien-être : cadre pour une stratégie en matière de santé mentale au Canada, novembre 2009.