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IWFA Rapport du Comité

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CHAPITRE UN — INTRODUCTION

A. L’APPROCHE DU COMITÉ

Lorsqu’elles ont comparu devant le Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones (le Comité), les familles de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées ont parlé des diverses circonstances qui ont mené à la perte tragique de l’être cher. Les membres du Comité ont été bouleversés par les tragédies qui ont frappé ces familles et par les séquelles durables qu’elles vivent encore aujourd’hui.

Les familles ont parlé des différents moyens qu’elles avaient employés pour surmonter l’épreuve que constituait la disparition ou la mort violente de leur être cher. Dans leurs témoignages, elles ont décrit le long chemin qu’elles avaient parcouru dans l’espoir d’entamer le processus de deuil. Pour certaines, ce deuil est impossible.

Les familles organisent des vigiles et des marches à la mémoire de leurs proches. Si elles tiennent tant à garder vivante la mémoire de ces femmes, c’est parce qu’au cœur de la tragédie des femmes autochtones disparues et assassinées, il y a le silence. Les familles ont vécu la douleur de ne pas avoir été entendues quand elles ont appelé à l’aide, quand elles ont signalé la disparition de leur être cher. Ce silence est celui que garde une société laissant entendre aux Autochtones qu’ils ne comptent pas. Il s’ajoute par ailleurs au silence assourdissant qui entoure d’autres tragédies que les Autochtones ont vécues et continuent de vivre au sein de la société canadienne : les pensionnats indiens, le retrait massif des enfants autochtones de leur famille dans les années 1960, de même que la marginalisation et le racisme. C’est ce silence qu’il faut briser. C’est ce silence que l’initiative Sœurs d’esprit cherchait à briser en consignant les récits de ces femmes qui étaient des mères, des filles, des sœurs et des amies.

En 1996, John Martin Crawford a été trouvé coupable du meurtre de trois femmes autochtones: Eva Taysup, Shelley Napope et Calinda Waterhen, à Saskatoon, en Saskatchewan. Warren Goulding, l'un des rares journalistes à couvrir le procès, a écrit ce qui suit: « Je n'ai pas l'impression que le public en général se soucie beaucoup de la disparition ou du meurtre de femmes autochtones. Tout cela fait partie de l'indifférence générale à l'égard de la vie des Autochtones. Ils ne semblent pas compter autant que les Blancs[1]. »

Les observations suivantes permettent de mieux comprendre le sentiment d’abandon ressenti par plusieurs des familles de victimes que nous avons rencontrées :

Qui se soucie de nous qui avons la peau brune? Est-ce que ça intéresse quelqu’un? J’aimerais bien le savoir. Parce que c’est un meurtre. Et ces deux hommes sont toujours en liberté, libres de torturer d’autres personnes. Où est la justice pour notre peuple? Elle n’existe tout simplement pas, n’est-ce pas?
(Brenda Bignell, témoigne au nom de sept membres
de sa famille disparus ou assassinés)
Lorsque je vois une autre mère, un autre enfant, un autre frère, un autre fils porté disparu ou assassiné ici au Canada, il me semble que tout le monde se fiche des gens comme nous à la peau foncée. Tout le monde s’en fiche. On doit se débrouiller seul.
[…]
Nos enfants sont ciblés […] Il faut arrêter cela. Je vous implore. Il y a longtemps, longtemps que je le fais. Je vous implore de nous soutenir. Faisons du vacarme et changeons la situation au Canada.
(Susan Martin, mère de Terrie Ann Dauphinais
assassinée le 29 avril 2002 à Calgary)

1. Un puissant appel à l’action

L’un des souhaits prononcés par plusieurs des familles et des témoins rencontrés au cours de l’étude a été de retrouver dans le rapport du Comité des Recommandations qui pourront faire une réelle différence dans la vie des femmes et des filles autochtones du Canada. Les témoins ont exhorté le Comité à ne pas se limiter à produire un autre rapport. Voici ce qu’a noté Michelle Audette de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) :

En 20 ans, on en a vu, des comités, des mémoires, des rapports, etc. J’aimerais, madame Ambler et vous tous, membres de ce comité, que vous fassiez en sorte que cette fois-ci ce soit différent et que les Recommandations du comité soient différentes. Nous n’allons pas choisir seulement les Recommandations qui coûtent le moins d’argent ou celles qui se déroulent sur une petite période, ni tout simplement les choisir en fonction d’un capital politique. Je vous demande que nous prenions ici des résolutions dont l’ensemble de la société canadienne va pouvoir bénéficier à court, moyen et long terme[2].

Faisant écho au point de vue exprimé par Mme Audette, Tracy Porteous de Ending Violence Association de la Colombie-Britannique a noté :

Je ne vais pas parler en long et en large des multiples recherches qui ont été effectuées sur les mesures qui devraient être prises à cet égard. En fait, j’aimerais vous suggérer de ne pas conclure ces réunions en recommandant plus d’études ou de rapports. Pendant la première décennie des années 2000, EVA BC — c’est l’abréviation du nom de mon organisme —, en collaboration avec la Pacific Association of First Nation’s Women et BC Women’s Hospital, a organisé plusieurs réunions avec les femmes autochtones de la province pour étudier la question de la violence faite aux femmes et les mesures qui devraient être prises selon les femmes autochtones. Au cours des années, nous avons examiné la question en détail et nous avons rédigé deux rapports, dont le dernier est intitulé « Researched To Death ». Je crois que ce rapport présente ce qu’un grand nombre de nos sœurs autochtones croient aujourd’hui, c’est‑à‑dire que de nombreux gouvernements sont prêts à financer des études et des rapports, mais très peu d’entre eux sont prêts à intervenir, à financer et à soutenir les solutions à long terme fondées sur l’infrastructure pour remédier au problème[3].

Le Comité compte plutôt s’appuyer sur les recherches déjà réalisées et sur les témoignages qu’il a entendus afin de cerner des solutions pratiques et axées sur l’action qui amélioreront la sécurité des femmes et des filles autochtones du Canada.

2. Des solutions qui doivent être adaptées aux circonstances propres à chacune des collectivités

Malgré le fait que plusieurs collectivités autochtones partagent des expériences similaires en ce qui a trait aux causes profondes de la violence, dont la violence familiale, la traite de personnes, la toxicomanie, la prostitution, la pauvreté, un accès limité aux services médicaux et sociaux, le racisme et l’héritage du système de pensionnats, des témoins ont insisté sur le fait que la violence se manifeste différemment dans chaque collectivité selon l’interaction de ces différents facteurs et les expériences variées du point de vue culturel, géographique et situationnel de chacune d’elles.

Les Autochtones du Canada regroupent les Inuits, les membres des Premières Nations et les Métis. Certains vivent dans des collectivités rurales et éloignées, ou dans le Grand Nord, tandis que d’autres résident en milieu urbain. Les propos tenus par Tracy O’Hearn, de Pauktuutit Inuit Women of Canada, peuvent servir d’exemple démontrant l’importance de tenir compte de ces différences :

Nous aimerions d’abord vous parler des circonstances et des priorités différentes des femmes inuites. En fait, leur culture, leur langue et les caractéristiques géographiques de leurs collectivités sont uniques. Elles vivent, en grande partie, dans 53 collectivités de l’Arctique. Elles sont toutes isolées. Elles doivent se fier au transport aérien. Il y a une infrastructure très limitée, comme on l’a déjà dit. Parfois, on trouve sur place un travailleur social ou un intervenant en santé et d’autres fois, non[4].

Étant donné la diversité des expériences, l’élaboration de solutions ne peut absolument pas se faire à l’échelle nationale uniquement. Le rôle le plus important que le gouvernement fédéral puisse jouer consiste à appuyer les initiatives mises de l’avant par les collectivités. Les témoins nous ont dit haut et fort qu’il n’existe pas de solution unique pour contrer la violence dont sont victimes les femmes et les filles autochtones du Canada. Il ne faut donc pas imposer un modèle universel, mais plutôt aider les collectivités à se doter des outils nécessaires pour trouver leurs propres solutions. Ce sont les collectivités qui sont les mieux placées pour cerner les priorités locales et pour élaborer des solutions adaptées, comme en témoignent les propos tenus par plusieurs des témoins rencontrés par le Comité.

Pour que les changements soient positifs et durables, il faut que les solutions viennent de la collectivité. Le fait d’imposer des solutions ou d’offrir des solutions rapides qui viennent de l’extérieur n’aura aucune incidence durable. Il faut appuyer les collectivités et parfois les aider à progresser en vue de réaliser leur objectif, mais la vision, le plan et le désir d’aller de l’avant doivent provenir de la communauté en tant que telle[5].
[L]es communautés doivent pouvoir régler leurs problèmes dans le respect de leurs particularités culturelles. Elles sont les mieux placées pour juger de ce qui est efficace […] Le fait que les besoins aient d’abord été définis par la communauté est l’un des facteurs de succès le plus importants. Ce sont les communautés qui sont en mesure de nous dire ce qu’est un besoin approprié, à ce moment de leur cheminement[6].
Nous devons entreprendre un véritable dialogue avec les collectivités. Nous ne pouvons pas simplement intervenir et dire aux gens de quoi ils ont besoin. Nous demandons aux gens des collectivités de nous informer de leurs besoins, de nous donner leur avis sur ce qui ne fonctionne pas et sur ce qui fonctionne. Je pense que c’est une chose que nous avons tendance à oublier : nous n’avons pas toutes les solutions. Certaines personnes ont leurs propres solutions, qui fonctionnent ou non, et elles veulent seulement qu’on les aide à apporter des ajustements, si nécessaire[7].
Il faut des programmes inclusifs de façon concertée. Autrement dit, les Autochtones devraient être entièrement intégrés et consultés au sujet de ce qui se passe, à partir de la collectivité jusqu’aux centres urbains ou aux municipalités[8].

B. MANDAT ET PROCESSUS D’EXAMEN

Le 26 février 2013, la Chambre des communes a adopté la motion suivante à l’unanimité :

Que la Chambre reconnaisse qu’un nombre disproportionné de femmes et de filles autochtones ont été violentées, portées disparues ou assassinées au cours des trente dernières années; qu’il incombe au gouvernement de rendre justice aux victimes, de ressourcer les familles et de collaborer avec les partenaires pour mettre fin à la violence; et qu’un comité spécial soit chargé de tenir des audiences sur le problème crucial des disparitions et des assassinats de femmes et de filles autochtones et de proposer des remèdes aux causes fondamentales de la violence faite aux femmes autochtones […]

Le Comité s’est réuni pour la première fois le 26 mars 2013 et a alors décidé d’articuler son étude autour de trois grands thèmes : la violence et ses causes profondes, l’assistance de première ligne, et la prévention de la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones. Fait rare dans le cadre des activités d’un comité, on a décidé à cette occasion d’octroyer le statut particulier de « témoin expert » à l’Association des femmes autochtones du Canada, ce qui aurait permis à l’organisation de participer à toutes les réunions du Comité consacrées à l’étude et au rapport.

Le Comité a décidé que l’AFAC serait invitée à prendre la parole au début de l’examen de chacun des trois thèmes (la violence et ses causes, l’assistance de première ligne, et la prévention de la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones) et à prendre part à toutes les réunions publiques. L’AFAC a accepté d’être un témoin expert, mais lors de sa comparution devant le Comité, le jeudi 21 novembre 2013, elle a fait part de son mécontentement quant au rôle qui lui était réservé. En réponse aux préoccupations exprimées, le Comité a adopté la motion suivante :

Il est convenu, — Qu’une représentante de l’Association des femmes autochtones du Canada soit invitée à assister à toutes les délibérations du Comité à titre d’experte‑conseil et de témoin expert.
Qu’on demande à cette représentante d’assister à chaque réunion du Comité et de faire part de ses commentaires verbalement ou par écrit après chaque réunion et que ces commentaires soient annexés aux témoignages du Comité.
Qu’en lien avec sa participation, les dépenses raisonnables de déplacement, de logement et de subsistance de la représentante soient remboursées, sur demande.

Bien qu’ayant accepté le libellé de la motion, l’AFAC n’a fourni aucun commentaire au Comité et n’a assisté à aucune autre réunion, et ce, sans donner d’explication.

Une partie importante du travail de notre Comité a été d’écouter des membres de familles de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées nous raconter l’histoire de leurs proches disparues et leurs expériences du système de justice et des services de soutien aux victimes lors d’une séance spéciale qui s’est tenue le 9 décembre 2013. Les familles ont partagé ouvertement leur histoire avec notre Comité dans l’espoir de mettre un terme à cette violence dont sont victimes plusieurs des femmes et des filles de leurs collectivités. Le Comité a été grandement touché et impressionné par leur force, leur générosité, leur courage et leur résilience.

Le Comité a également tenu 13 séances pour discuter avec des experts en matière de prévention et des fournisseurs de services de première ligne[9]. Nous résumons dans le présent rapport les propos entendus au cours de ces audiences, principalement en ce qui a trait aux lacunes soulevées à la protection des femmes et des filles autochtones contre la violence, et nous y présentons nos propres Recommandations. Lors de leur témoignage, les familles des victimes ont lancé un véritable cri du cœur : elles ont perdu une mère, une fille, une sœur ou une amie qui comptaient beaucoup pour elles. Leur courage et leur attachement indéfectible à cette conviction ont trouvé un écho chez les membres du Comité, qui sont choqués par la violence dont souffrent tant de femmes autochtones.


[1]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 30 mai 2013 (Michèle Audette, présidente, Association des femmes autochtones du Canada).

[2]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages. 30 mai 2013. Mentionnons que des propos similaires ont été tenus par plusieurs des témoins rencontrés, dont Bridget Tolley (cofondatrice, Familles des sœurs par l’esprit) et Mary Teegee (directrice générale, Aide à l’enfance et à la famille, Carrier Sekani Family Services).

[3]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 6 juin 2013 (Tracy Porteous, Ending Violence Association de la Colombie-Britannique).

[4]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 6 juin 2013 (Tracy O’Hearn, directrice générale, Pauktuutit Inuit Women of Canada).

[5]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 2 mai 2013 (Shawn Tupper, sous-ministre adjoint, Secteur de la sécurité de la population et des partenariats, ministère de la Sécurité publique).

[6]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 23 mai 2013 (Linda Savoie, directrice générale, Direction du Programme de promotion de la femme et des opérations régionales, Condition féminine Canada).

[7]             IWFA, 1re session, 41e législature, Témoignages, 13 juin 2013 (Ruth Proulx, thérapeute et coordonnatrice de la liaison communautaire, Pace Sexual Assault and Crisis Centre).

[8]             IWFA, 2e session, 41e législature, Témoignages, 5 décembre 2013 (chef Cameron Alexis, Assemblée des Premières Nations).

[9]             La liste des témoins qui ont comparu devant le Comité figure à l’annexe A et la liste des mémoires à l’annexe B. Le Comité a également choisi de reproduire intégralement les témoignages qu’il a recueillis lors de la séance spéciale réservée aux familles de femmes et de filles portées disparues et assassinées à l’annexe C du rapport.