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JUST Rapport du Comité

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LE NOUVEAU PROCESSUS DE NOMINATION DES JUGES À LA COUR SUPRÊME DU CANADA

INTRODUCTION

Le 28 octobre 2016, le juge Malcolm Rowe a été nommé à la Cour suprême du Canada pour remplacer l’honorable juge Thomas Cromwell, qui a pris sa retraite le 1er septembre 2016. Sa nomination est l’aboutissement d’un nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada annoncé par le premier ministre le 2 août 2016. Le nouveau processus « a été mis sur pied afin de favoriser l’ouverture, la transparence et la reddition de comptes[1] ».

Pour la première fois de notre histoire, tous les avocats et juges qualifiés du pays ont pu poser leur candidature en vue d’une nomination au plus haut tribunal du Canada. Les personnes intéressées ont eu jusqu’au 24 août 2016 pour présenter leur candidature au Commissariat à la magistrature fédérale Canada[2], qui a joué le rôle de secrétariat dans le cadre du processus. Dans le but d’évaluer les candidatures et de proposer au premier ministre une liste de trois à cinq candidats, un comité consultatif indépendant sur les nominations des juges à la Cour suprême du Canada (le Comité consultatif) a été mis sur pied.

Le 11 août 2016, l’honorable Jody Wilson‑Raybould, ministre de la Justice et procureure générale du Canada, a comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (le Comité) pour expliquer le nouveau processus et entendre les commentaires du Comité sur la nouvelle approche. Elle a alors informé le Comité qu’elle reviendrait témoigner en compagnie de la présidente du Comité consultatif, soit la très honorable Kim Campbell, suite à la nomination d’un candidat par le premier ministre dans le but d’expliquer le déroulement du processus de sélection et les motifs justifiant le choix du candidat. Cette réunion de suivi a eu lieu le 24 octobre 2016, soit une semaine après l’annonce du premier ministre sur la nomination du candidat. Lors de cette réunion, la ministre de la Justice a invité le Comité à présenter ses recommandations sur l’amélioration du nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême.

Le présent rapport constitue la réponse à cette invitation : il présente les observations et les recommandations du Comité sur la procédure à suivre pour pourvoir les postes de juge à la Cour suprême du Canada. Cette procédure revêt une grande importance, la Cour suprême étant une institution fondamentale dans la société canadienne. À titre d’ancien ministre de la Justice, M. Irwin Cotler a formulé le commentaire suivant : « l’intégrité et l’équité du processus de nomination contribuent certainement à l’excellence et à l’indépendance du pouvoir judiciaire[3] ». Nos recommandations ont pour but de peaufiner le processus afin de préserver la confiance du public à l’égard du plus haut tribunal du pays, tout en maintenant la qualité exceptionnelle des nominations faites à ce jour. Nos critiques ciblent le processus lui-même, et non pas les juges nommés dans le cadre du processus. De façon générale, le Comité convient, comme la ministre Wilson‑Raybould, qu’ « [e]n renforçant la crédibilité du processus de nomination, nous amènerons les Canadiens à respecter encore davantage cette institution fondamentale[4] ».

HISTORIQUE DU PROCESSUS DE NOMINATION DES JUGES À LA COUR SUPRÊME

De la création de la Cour suprême du Canada en 1875 jusqu’en 2004, rien du processus de nomination des juges n’avait jamais été rendu public. Il semblait généralement convenu que le ministre de la Justice consultait des membres de la communauté juridique lorsqu’il fallait faire une nomination, mais le processus était entièrement informel et confidentiel[5].

Les choses ont commencé à changer en 2003 lorsque la Chambre des communes a adopté, de façon unanime, une motion exigeant qu’on fasse l’examen du processus de nomination des juges des cours d’appel et de la Cour suprême du Canada[6]. Le prédécesseur de l’actuel Comité, le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, a donc entrepris l’examen du processus. En 2004, à la demande du premier ministre Paul Martin, le Comité a tenu des audiences additionnelles dans le but de recommander un processus de nomination des juges à la Cour suprême plus transparent et responsable.

Dans son rapport déposé à la Chambre des communes en mai 2004, le Comité a indiqué que, même si les nominations à la Cour suprême sont excellentes et que « le travail de la plus haute cour du pays est respecté au Canada ainsi que dans le monde entier », le processus par lequel les juges sont nommés « est généralement inconnu et manque de crédibilité aux yeux de bien des gens[7] ». La comparution du ministre de la Justice devant le Comité en mars 2004 pour présenter les qualités professionnelles et personnelles recherchées chez les candidats à la Cour suprême, et expliquer le processus de consultations s’inscrivait dans le cadre des efforts déployés par le gouvernement de l’époque pour éclairer le processus de nomination.

Bien que ni la Loi constitutionnelle de 1867 ni la Loi sur la Cour suprême n’accorde au Parlement de rôle officiel pour la nomination des juges à la Cour suprême, le Comité, dans son rapport de mai 2004, a exprimé le souhait que les parlementaires participent au processus de nomination. Le Comité d’alors a soutenu que la participation des députés donnait au processus une crédibilité démocratique et que ces derniers, à titre de législateurs, travaillaient en collaboration avec le pouvoir judiciaire à l’élaboration des politiques juridiques. Le Comité d’aujourd’hui est d’accord avec l’idée que les parlementaires ont un rôle important à jouer dans le processus de nomination.

En 2004, le Comité a recommandé la mise sur pied d’un comité consultatif chargé de dresser et d’évaluer des listes de candidats pour pourvoir les postes de juge à la Cour suprême. Il a aussi recommandé que ce comité consultatif soit composé d’un représentant de chacune des formations politiques officiellement reconnues à la Chambre des communes, de représentants des provinces, de membres des professions judiciaire et juridique, ainsi que de profanes. Par la voie de délibérations en privé visant à attirer le plus large éventail possible de candidats et à favoriser la discussion, le comité consultatif offrirait au ministre de la Justice une courte liste confidentielle de candidats. Enfin, le Comité a recommandé qu’au terme d’une nomination, le président du comité consultatif ou le ministre de la Justice comparaisse publiquement devant lui pour expliquer le processus qui a mené à la nomination du candidat et les motifs pour lesquels ce dernier a été sélectionné. Comme nous le verrons, ces recommandations ont été suivies en bonne partie dans le nouveau processus de nomination.

Depuis le rapport du Comité de mai 2004, de nombreux changements ont été apportés au processus de nomination des juges à la Cour suprême. Pour la nomination des juges Rothstein (2006), Karakatsanis et Moldaver (2011), Wagner (2012) et Nadon (2013), un comité consultatif a participé à l’établissement d’une courte liste de candidats. Tous ces candidats avaient par ailleurs comparu devant un comité spécial. Pour la nomination des juges Cromwell (2008), Gascon et Côté (2014) et Brown (2015), ce processus n’a pas été suivi. La composition du comité consultatif et du comité spécial a aussi fluctué, mais ceux‑ci ont toujours compté des députés parmi leurs membres.

LE NOUVEAU PROCESSUS DE NOMINATION DES JUGES À LA COUR SUPRÊME

Le Comité estime que le processus de nomination des juges à la Cour suprême doit être clair, ouvert et facilement compréhensible pour que les Canadiens entretiennent une confiance authentique à l’égard du plus haut tribunal du Canada. Il s’est donc réjoui de la décision du gouvernement de communiquer publiquement les différentes étapes du nouveau processus de nomination, les exigences applicables, les critères d’évaluation des candidats, le questionnaire à remplir par les candidats, le mandat du Comité consultatif ainsi que l’information sur ses membres. Le Comité se réjouit aussi de la décision de publier les réponses fournies par le juge Malcolm Rowe dans son questionnaire. Toute personne intéressée peut ainsi se renseigner sur le candidat nommé et ses qualifications.

Le Comité accueille par ailleurs la décision de la ministre de la Justice de comparaître publiquement deux fois devant lui. Lors de sa première comparution, elle a expliqué le nouveau processus puis, en compagnie de la présidente du Comité consultatif, elle a fourni des précisions sur le déroulement du processus et sur les motifs justifiant la nomination du juge Rowe lors de sa deuxième comparution. La deuxième réunion a été utile, car la ministre et la présidente ont présenté les motifs justifiant la nomination de M. Rowe.

Le fait de rendre toute cette information publique[8] permet de faire en sorte que les Canadiens n’ont pas l’impression que les nominations sont mal fondées et permet aussi à tout le monde de comprendre aisément le déroulement du processus de nomination des juges à la Cour suprême.

A. Le rôle du Comité consultatif indépendant

Le nouveau processus s’articule autour du Comité consultatif indépendant, qui a pour mandat de fournir au premier ministre des recommandations non contraignantes et fondées sur le mérite pour l’établissement d’une courte liste de candidats en vue d’une nomination à la Cour suprême.

Les candidats retenus devaient posséder les qualifications voulues, être effectivement bilingue, provenir de différents horizons et posséder une diversité d’expériences et d’aptitudes[9]. Voici ce que précisent les qualifications et les critères d’évaluation rendus publics :

Les critères en vue d’une nomination à la Cour doivent tenir compte à la fois des besoins de tout tribunal de dernière instance ainsi que des circonstances particulières, de l’histoire et du contexte de la société canadienne et de son système juridique. Les critères doivent renforcer la capacité de la Cour à régler les différends entre toutes sortes de parties, communiquer efficacement ses décisions au public canadien, faire respecter la Constitution et protéger la primauté du droit.
Les critères d’évaluation peuvent être regroupés en deux volets, l’un individuel et l’autre institutionnel. Les critères individuels ont trait aux aptitudes, à l’expérience et aux qualités des candidats eux-mêmes. Les particularités de la formation juridique, de l’expérience professionnelle non juridique et de l’engagement communautaire varieront beaucoup d’une personne à l’autre, mais elles doivent être évaluées pour obtenir une évaluation du potentiel d’excellence du candidat dans la fonction judiciaire. Il y a également de nombreuses qualités personnelles qui permettront de déterminer si un candidat a le tempérament approprié d’un juge. Les critères institutionnels pourraient, dans une certaine mesure, chevaucher les critères individuels. Toutefois, selon les besoins qui apparaissent au fil du temps, la Cour peut avoir besoin de juges possédant une expertise particulière pour lui permettre de s’acquitter de son rôle en tant que cour d’appel générale et finale dans tous les domaines juridiques.
Une partie du processus de sélection consistera à déterminer les façons par lesquelles des candidats particuliers incarnent les aptitudes, l’expérience et les qualités qui répondent le mieux aux besoins de la Cour à un moment donné précis[10].

Membres du Comité consultatif pour la nomination du juge Rowe :

La très honorable Kim Campbell – présidente – ex première ministre du Canada et consule générale du Canada, actuellement directrice fondatrice du Peter Lougheed Leadership College, à l’Université de l’Alberta.

Camille Cameron – membre – doyenne de la faculté de droit Schulich à l’Université Dalhousie et présidente du Conseil des doyens et des doyennes des facultés de droit du Canada.

Jeff Hirsch – membre – président de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, et associé dans un cabinet de Winnipeg.

Stephen Kakfwi – membre – ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest et ancien président de la Nation dénée, il travaille actuellement à mieux faire reconnaître les réalités que vivent les populations autochtones au Canada.

Lili-Anna Pereša – membre – présidente et directrice générale de Centraide du Grand Montréal.

Richard Jamieson Scott – membre – ex-juge en chef de la Cour d’appel du Manitoba, actuellement conseiller juridique, arbitre et médiateur dans un cabinet d’avocats de Winnipeg.

Susan Ursel – membre – actuellement associée principale dans un cabinet de Toronto et présidente de la composante canadienne de l’équipe de recherche juridique africaine qui offre un soutien en recherche juridique au projet Envisioning Global LGBT Rights.

Source : Annexe A - Rapport du Comité consultatif indépendant sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada

 

Conformément à son mandat, le Comité consultatif comprenait quatre membres nommés par des organisations professionnelles indépendantes, soit l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, le Conseil canadien de la magistrature et le Conseil des doyens et des doyennes des facultés de droit du Canada, ainsi que trois membres nommés par la ministre de la Justice, dont au moins deux n’exerçaient pas la profession d’avocat dans une province ou un territoire. Outre le président, le Comité consultatif comprenait un ancien juge, trois membres de la profession juridique et deux autres membres exerçant des professions autres que juridique.

Le Comité consultatif a été chargé de chercher activement des personnes qualifiées et de les encourager à poser leur candidature ainsi que d’évaluer les candidatures présentées au Commissariat à la magistrature fédérale Canada.

Le Comité consultatif a envoyé de la documentation à plus de 20 organisations pour encourager des personnes qualifiées à poser leur candidature[11]. Dans le cas où des organisations ont recommandé des candidatures, le Comité consultatif a fait suivre la documentation aux personnes concernées en précisant que leur candidature avait été proposée et les a fortement incitées à participer au processus. Toutes les personnes intéressées ont eu du 2 août, date de l’annonce du nouveau processus, jusqu’au 24 août pour poser leur candidature.

Lorsqu’elle a comparu devant le Comité, la très honorable Kim Campbell a indiqué que le Comité consultatif avait examiné 31 candidatures. Dans le cadre de son évaluation initiale, ce dernier a réalisé 10 entrevues puis fourni au premier ministre une courte liste de cinq candidats le 23 septembre 2016. La liste devait comprendre au moins deux personnes du Canada atlantique.

Comme l’indique le rapport du Comité consultatif, les candidatures n’ont pas été présentées selon un ordre de priorité. Toutefois, le rapport présenté au premier ministre « comprenait un bref résumé de leurs mérites, de même que leurs résultats obtenus à l’évaluation relative au bilinguisme effectif[12] ».

Le Comité considère que le Comité consultatif a joué un rôle clé dans le bon déroulement du nouveau processus de nomination. La réussite tient au fait que les membres du Comité consultatif étaient qualifiés et qu’ils avaient tous été nommés de manière non partisane. La nomination d’une ancienne première ministre comme présidente du Comité consultatif a par ailleurs renforcé la crédibilité du processus. La présence de représentants provenant de différents horizons de la profession juridique ainsi que de membres exerçant des professions autres que juridique a aussi contribué à la réussite du processus. Le Comité voit d’un bon œil la composition du Comité consultatif, parce qu’il compte des membres nommés par le gouvernement et par des organisations externes.

Compte tenu de ces considérations :

RECOMMANDATION 1

Le Comité recommande que le Comité consultatif indépendant devienne un élément permanent du processus pour toutes les nominations de juge à la Cour suprême du Canada. Il soutient la composition du Comité consultatif indépendant, dont la majorité des membres ont été nommés par des organisations juridiques non gouvernementales et qui comprend aussi des membres exerçant des professions autres que juridique.

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande que le gouvernement et les organisations qui choisiront les membres des prochains comités consultatifs tiennent compte, dans le processus, de la diversité du Canada.

B. Les consultations

En ce qui concerne les consultations, Mme Campbell a indiqué que le Comité consultatif avait rencontré la juge en chef de la Cour suprême en août ainsi que deux anciens juges de la Cour suprême. Voici certaines des questions abordées : la signification de servir la Cour suprême, les qualités qui constituent un atout pour un juge de la Cour suprême et les besoins actuels de celle-ci[13]. La ministre de la Justice a par ailleurs sondé elle-même le terrain :

J’ai consulté la juge en chef du Canada, les procureurs généraux provinciaux et territoriaux concernés, les membres de votre Comité et du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, les porte-parole de l’opposition en matière de justice, ainsi que les membres du Cabinet. Ensuite, j’ai présenté les résultats des consultations au premier ministre, avec ma recommandation[14].

La ministre de la Justice a discuté de la courte liste de candidats avec seulement trois membres de notre comité, soit MM. Housefather, Nicholson et Rankin, à titre de président et de porte-parole de l’opposition en matière de justice. Avant d’être consultés, ils ont tous signé un accord de confidentialité. On leur a ensuite accordé une brève période de temps pour examiner la courte liste de candidats et exprimer leur opinion.

Le Comité considère que tous les membres du Comité devraient pouvoir être consultés. Par conséquent :

RECOMMANDATION 3

Le Comité recommande que tous les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes qui sont prêts à signer un accord de confidentialité soient consultés par le ministre de la Justice au sujet de la courte liste de candidats en vue de la nomination de juges à la Cour suprême du Canada. Les députés pourront ainsi assumer leur rôle de représentants démocratiques et de législateurs. Le Comité recommande également que le Comité consultatif communique, aux membres du Comité permanent qui auront signé l’accord de confidentialité, toute l’information qu’il possède sur les candidats. Il recommande aussi qu’on donne à ces membres suffisamment de temps pour effectuer les recherches nécessaires sur les candidats une fois la documentation obtenue (soit au moins deux jours ouvrables), pour qu’ils puissent formuler des commentaires éclairés au ministre de la Justice, avant que celui‑ci ne communique la courte liste au premier ministre.

C. La rencontre avec le candidat nommé

Le 25 octobre 2016, les membres de notre comité et du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, ainsi que des membres du Bloc québécois et du Parti vert, ont assisté à une période de questions en compagnie du candidat choisi, le juge Malcolm Rowe. La réunion a eu lieu à l’Université d’Ottawa; un professeur de droit choisi par le premier ministre a animé les discussions.

Le Comité estime que ses membres et les autres personnes invitées ont été avisés suffisamment à l’avance pour préparer leurs questions à l’intention du candidat, M. Rowe, mais trouve que le déroulement de la réunion a posé quelques difficultés. Premièrement, celle-ci n’a pas été suffisamment longue pour permettre à tous les membres du Comité de discuter avec le candidat nommé. Les membres qui ont eu la chance de poser une question ne disposaient que de cinq minutes chacun. Cela s’est révélé souvent trop court pour permettre des discussions abouties. En outre, la réunion n’avait pas le caractère d’audience officielle d’un comité parlementaire. Par conséquent, le privilège parlementaire protégeant tant les membres qui posaient des questions que le candidat interrogé ne s’appliquait pas.

Il peut être très avantageux d’inviter un candidat nommé à comparaître publiquement devant un comité parlementaire. Les audiences publiques, en plus d’être un témoignage de transparence, font œuvre pédagogique auprès du public. Les citoyens qui assistent aux audiences publiques peuvent ainsi en apprendre davantage sur le candidat nommé et sur les travaux de la Cour suprême, qui constitue l’un des piliers de la démocratie canadienne. Les comparutions en comité parlementaire constituent par ailleurs une tribune pour le contrôle parlementaire.

Le Comité est d’avis que des audiences de cette nature risquent peu de constituer un empiétement du pouvoir législatif par rapport à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Voici ce qu’a écrit Peter Hogg par suite de la nomination du juge Rothstein en 2006 : « l’audience a permis d’établir que les parlementaires canadiens sont capables de tenir une audience publique ne constituant pas un danger de politisation du pouvoir judiciaire et ne visant pas à mettre le candidat choisi dans l’embarras [traduction] »[15].

Compte tenu de ces considérations :

RECOMMANDATION 4

Le Comité recommande qu’à l’avenir, les candidats nommés en vue d’occuper un poste de juge à la Cour suprême du Canada comparaissent devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes dans le cadre d’une réunion télédiffusée pour répondre aux questions de ses membres. Le Comité ne voit aucune objection à inviter d’autres parlementaires – un représentant de chacune des formations politiques non reconnues ou encore des membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, par exemple – dans le but de poser des questions aux candidats nommés, dans la mesure où on prévoit suffisamment de temps pour permettre des échanges significatifs entre le candidat et toutes les personnes présentes. Le privilège parlementaire devrait s’appliquer à l’audience en comité. Le Comité recommande également qu’on donne aux parlementaires un préavis d’au moins sept jours pour préparer les questions qu’ils poseront aux candidats. Pour plus de certitude, le Comité souhaite confirmer que la réunion aurait pour objectif de permettre aux parlementaires et à toute la population canadienne de mieux connaître le candidat, et que les membres du Comité n’auraient pas à s’exprimer par vote sur le choix d’une candidature.

D. Le respect de la convention sur la représentation régionale

Selon l’article 6 de la Loi sur la Cour suprême, au moins trois des juges de la Cour suprême doivent provenir du Québec. Selon une convention établie, on nomme par ailleurs trois juges de l’Ontario, deux de l’Ouest et un du Canada atlantique. Conformément au nouveau processus, et bien que le mandat du Comité consultatif prévoit la prise en compte de la représentation régionale pour les délibérations sur le choix des candidats, le gouvernement du Canada a décidé de permettre à tout avocat ou à tout juge canadien qualifié de poser sa candidature, peu importe d’où il venait, et cela même si le juge ayant pris sa retraite, le juge Cromwell, venait du Canada atlantique.

Le Comité reconnaît que l’objectif de cet écart par rapport à la convention établie visait à assurer que les juges de la Cour suprême soient le reflet de la diversité de la population canadienne et souligne l’importance de la diversité au sein de la magistrature. Il considère toutefois que cette diversité ne devrait pas s’obtenir aux dépens de la représentation régionale au sein de la magistrature. Dans un pays aussi grand et diversifié que le Canada, la représentation régionale est un élément fondamental de la Cour suprême.

Compte tenu de ces considérations :

RECOMMANDATION 5

Le Comité recommande que les qualifications et les critères d’évaluation applicables à la nomination de juges à la Cour suprême du Canada soient modifiés afin d’inclure une déclaration sur l’importance du maintien de la représentation de chacune des régions du Canada, en fonction du calcul proportionnel historiquement reconnu.

E. Les délais encadrant les prochains processus de nomination

Comme l’a indiqué le Comité consultatif dans son rapport[16], le processus de candidatures ayant mené à la nomination du juge Rowe s’est déroulé dans des délais serrés. Bien que le processus ait mené à la nomination d’un juge très éminent, le Comité est d’avis que, sauf imprévu, il conviendrait de prévoir une période d’au moins 90 jours pour le processus de candidatures. Cette période donnerait aux candidats suffisamment de temps pour remplir le questionnaire long et complexe exigé et fournir toute l’information demandée. Elle donnerait également au Comité consultatif suffisamment de temps pour solliciter des candidatures partout au pays et rejoindre le plus grand nombre de groupes possible, en particulier les groupes qui représentent des minorités. Le Comité est d’accord avec le Comité consultatif sur le fait que les activités de prise de contact sont essentielles « afin de cibler un large éventail de candidats provenant de divers milieux[17] ». Ces activités feront aussi en sorte qu’on examinera la candidature de personnes en dehors des cercles coutumiers, comme les juges des cours d’appel. Sauf imprévu, le prochain processus de nomination aura lieu en 2018, à la retraite de la juge en chef McLachlin.

Compte tenu de ces considérations :

RECOMMANDATION 6

Le Comité recommande de prévoir une période d’au moins 90 jours afin de permettre aux candidats intéressés de présenter leur candidature pour pourvoir un poste à la Cour suprême du Canada et au Comité consultatif de solliciter des candidatures de qualité, à moins que des circonstances exceptionnelles n’obligent l’accélération du processus.

F. La rencontre de la présidente du Comité consultatif et de la ministre

Finalement, comme susmentionné, le Comité se réjouit de la décision de la ministre de la Justice de comparaître en compagnie de la présidente du Comité consultatif pour expliquer le déroulement du processus et le choix du juge Rowe. Les rencontres de cette nature sont importantes pour les parlementaires et le public, car elles permettent de mieux comprendre le choix du candidat et le fonctionnement de la Cour suprême du Canada.

Par conséquent :

RECOMMANDATION 7

Le Comité recommande que, pour toutes les futures nominations, le président du Comité consultatif et le ministre de la Justice comparaissent devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes pour expliquer le déroulement du processus de nomination et le choix du candidat final.


[1]              Justin Trudeau, premier ministre du Canada, « Le premier ministre annonce la nomination du juge Malcolm Rowe à la Cour suprême du Canada », communiqué, 17 octobre 2016.

[2]              Le Commissariat à la magistrature fédérale Canada « a été créé en 1978 pour protéger l’indépendance de la magistrature et procurer aux juges de nomination fédérale une administration indépendante de celle du ministère de la Justice ». Pour obtenir des renseignements additionnels, consultez le site Web du Commissariat à la magistrature fédérale Canada.

[3]              Irwin Cotler, « The Supreme Court Appointment Process: Chronology, Context and Reform », La Revue de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick, volume 58 (2007), 131-146, p. 131.

[4]              Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne (JUST), Témoignages, 1re session, 42e législature, 11 août 2016 (l’honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureure générale du Canada).

[5]              Voir Peter W. Hogg, « Appointment of Justice Marshall Rothstein to the Supreme Court of Canada », Osgoode Hall Law Journal, volume 44, numéro 3, (automne 2006), 527-538, p. 528; Ian Peach,« Legitimacy on Trial: A Process for Appointing Justices to the Supreme Court of Canada », Institut de politiques d’intérêt public de la Saskatchewan, Public Policy Paper 30, février 2005.

[6]              Le libellé de la motion M-288 est le suivant : « Que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne étudie le processus de nomination des juges aux Cours d’appel et à la Cour suprême du Canada ». Journaux de la Chambre des communes, 1er octobre 2003, p. 1077.

[7]              Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, « Améliorer la procédure de nomination des juges de la Cour suprême du Canada », mai 2004, p. 1.

[8]              Le 2 août 2016, le Commissariat à la magistrature fédérale Canada a lancé un site Web qui fournit de l’information sur le nouveau processus, y compris des instructions pour la mise en candidature, les qualifications nécessaires et les critères d’évaluation, les questions fréquentes ainsi que le Mandat du Comité consultatif.

[9]              Gouvernement du Canada, Qualifications et critères d’évaluation, 2 août 2016.

[10]           Ibid.

[11]           La liste complète des organisations se trouve dans le Rapport du Comité consultatif indépendant sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada, 25 novembre 2016 (rapport rendu public le 16 décembre 2016), p. 7.

[12]           Ibid., p. 9.

[13]           JUST, Témoignages, 1re session, 42e législature, 24 octobre 2016 (la très honorable Kim Campbell, présidente, Comité consultatif indépendant sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada).

[14]           JUST, Témoignages, 1re session, 42e législature, 24 octobre 2016 (l’honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureure générale du Canada).

[15]           Hogg, p. 531.

[16]           Rapport du Comité consultatif indépendant sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada, 25 novembre 2016 (rendu public le 16 décembre 2016).

[17]           Ibid.