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ACVA Rapport du Comité

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Aidants : Prendre soin de ceux et celles qui prennent soin des vétérans

Introduction

« Le rôle que jouent les membres de la famille et les vétérans dans leur bien-être respectif est de loin plus déterminant que celui de la médication et des thérapies centrées sur la personne. En somme, aucun traitement centré sur le vétéran n'est aussi important que le contexte social et familial pour favoriser son bien-être et sa guérison[1]. »

On sait depuis longtemps que l’un des moyens les plus efficaces de prévenir les problèmes de santé mentale est le maintien d’un solide réseau de soutien. Les militaires et les vétérans ne font pas exception à ce principe. Les membres de la famille forment pour eux la première ligne de ce réseau. C’est ce que l’on veut signifier par le dicton « Lorsqu’une personne s’enrôle, toute la famille s’enrôle aussi. » Les dangers auxquels sont confrontés les membres des Forces armées canadiennes (FAC) sont ressentis à la maison, par des enfants qui sont inquiets après avoir vu des scènes de guerre à la télé, ou par un conjoint ou une conjointe qu’un « je vais bien » n’a pas complètement rassuré. Si, une fois devenus des vétérans, ils souffrent de problèmes de santé mentale, la personne dont ils sont le plus proches, habituellement le conjoint, doit ajouter le rôle d’aidant à tous les autres rôles que les membres de la famille jouent les uns pour les autres.

Nous verrons plus loin que les définitions de ce qui constitue un « aidant » ou un « aidant naturel » varient énormément. De manière générale, on entend par aidant une personne qui, sans rémunération, doit consacrer quotidiennement aux besoins essentiels d’une autre personne l’équivalent de ce qu’elle consacrerait à un emploi, ou davantage. Les aidants sont très majoritairement des membres de la famille, et très majoritairement des femmes.

Le présent rapport est divisé en deux parties. La première partie présente les programmes d’Anciens Combattants Canada (ACC) s’adressant aux membres de la famille et aux autres aidants. Elle décrit plus en détail les critiques adressées à certains de ces programmes, dont l’allocation de reconnaissance pour aidant et le Programme pour l’autonomie des anciens combattants. La seconde analyse les cinq principaux enjeux qui sont ressortis lors des quatre réunions publiques que le Comité a tenues sur le sujet :

  • le peu de programmes d’ACC s’adressant directement aux membres de la famille des vétérans, et la difficulté d’en définir l’étendue et les objectifs;
  • les limites législatives à la possibilité pour les membres de la famille de vétérans blessés d’obtenir des services d’ACC de plein droit;
  • le changement de politique de janvier 2020 qui, selon l’ombudsman des vétérans, a restreint l’accès aux services de santé mentale pour les membres de la famille;
  • L’ambiguïté des définitions d’ « aidant » ou « aidant naturel » utilisées dans les programmes d’ACC;
  • Les répercussions des problèmes de santé mentale des vétérans sur les enfants, et la responsabilité d’ACC à cet égard.

21 personnes ont témoigné dans le cadre de cette étude, et quatre mémoires ont été présentés. Les membres du Comité tiennent à les remercier chaleureusement.

Programmes d’Anciens Combattants Canada s’adressant aux membres de la famille et aux autres aidants

Il existe un contraste important entre la perception qu’ont les vétérans de la manière dont ils étaient traités quand ils étaient en service au sein des FAC, et la perception qu’ils ont de leur traitement par ACC. Cela semble même avoir une incidence sur l’apparition et la gravité des problèmes de santé mentale qu’ils peuvent éprouver. Comme le notait le Comité dans un rapport de 2017 :

Les facteurs de protection qui encadrent la vie militaire tendent à disparaître lorsque le militaire devient un vétéran. […] Privés de l’encadrement structuré propre à la vie militaire, les vétérans dont les problèmes pouvaient être contrôlés lorsqu’ils étaient militaires sont tout à coup laissés à eux-mêmes et ils peuvent éprouver de la difficulté à composer avec les facteurs de stress de la vie civile dont ils n’ont souvent qu’une expérience limitée[2].

Tant qu’un militaire est toujours en service, les FAC constituent par elles-mêmes un solide réseau de soutien qui vient compléter celui de la famille. Si des problèmes de santé mentale surviennent, les soins offerts par les FAC sont de la plus haute qualité, et sont rapidement accessibles. Les FAC n’offrent pas de soins de santé aux membres de la famille, mais au cours des dernières décennies, elles ont fait des efforts louables afin de les intégrer à la vie opérationnelle, en particulier grâce aux Centres de ressources pour les familles des militaires. Ces centres agissent en quelque sorte comme un réseau parallèle, au sein même des FAC, qui offre du soutien aux membres de la famille. Les militaires se sentent ainsi bien épaulés, et sentent également que leur famille n’est pas laissée à elle-même.

C’est durant la période de transition vers la vie civile que les difficultés d’adaptation se révèlent de la manière la plus critique, en particulier pour ceux et celles qui sont libérés pour des raisons médicales liées à leur santé mentale. Le lien qui les attachait si profondément à la vie militaire se rompt lorsque ces personnes deviennent des vétérans. Le réseau si solide et structuré des frères et des sœurs d’armes se désagrège et les membres de la famille doivent apprendre à composer avec une réalité qui, à bien des égards, demeure mystérieuse même pour les plus grands spécialistes.

Les problèmes de santé mentale ont alors tendance à s’aggraver, le stress sur la famille devient lourd et les ruptures sont fréquentes. L’accès aux soins devient plus difficile en raison de l’engorgement des réseaux de santé et de la pénurie de spécialistes capables de comprendre et de traiter les particularités des problèmes vécus par les vétérans. Les cliniques de santé mentale mises sur pied par ACC contribuent à atténuer le choc vécu lors de cette transition et à améliorer la qualité des services offerts aux vétérans, mais elles n’intègrent les membres de la famille et les autres aidants que de manière restrictive.

Alors que les FAC agissaient comme facteur de protection pour les problèmes de santé mentale, l’expérience que vivent un grand nombre de vétérans, de membres de leur famille et des autres aidants dans leur relation avec ACC semble agir comme un facteur d’aggravation. Au cours des dernières décennies, ACC a déployé des efforts considérables afin de lutter contre cette perception et de démontrer la sincérité de son dévouement envers les vétérans à tous les niveaux de l’organisation.

Il n’en demeure pas moins que, comme l’ont souligné M. Sean Bruyea[3] et le Dr John Whelan[4] lors de leur témoignage, la fréquence des références à l’importance de la famille dans les déclarations officielles d’ACC tranche avec le peu de services que le ministère est capable d’offrir directement aux membres de la famille et aux autres aidants des vétérans. Ce décalage semble créer des attentes que le ministère n’est pas en mesure de combler, ce qui amplifie la perception négative qu’en ont les personnes qui comptent sur ce soutien.

Dans le cadre de la présente étude, plusieurs exemples ont été donnés qui illustraient à quel point les services offerts aux vétérans étaient artificiellement détachés de leur environnement familial. Par exemple, le mémoire de la Caregivers’ Brigade relate l’anecdote suivante :

ACC doit non seulement reconnaître, mais également évaluer les besoins de la famille dans le cadre de l’évaluation des besoins de l’ancien combattant. En ce qui concerne les blessures au dos, [une] option est offerte […]. Il s’agit d’un lit mécanique qui soulève et abaisse la tête et les pieds pour permettre à l’ancien combattant de se coucher et de sortir du lit plus facilement, ainsi que de dormir dans une position confortable. De nombreuses personnes nous indiquent que leur conjoint ancien combattant a suivi le processus établi par ACC pour demander cet appareil, recevant la visite d’un ergothérapeute à domicile et obtenant une ordonnance descriptive de son médecin, seulement pour se faire dire par ACC qu’un lit à une place (lit mécanique de type hospitalier) est la seule option offerte. Lorsque l’ancien combattant demande s’il peut acheter un lit plus grand pour permettre au conjoint de continuer de dormir dans la chambre à coucher, on l’avise que le côté du lit occupé par le conjoint est à ses propres frais et que cette dépense n’est pas couverte par ACC[5].

Comme nous le verrons dans la présentation des programmes, le mandat d’ACC limite considérablement sa capacité de soutenir les membres de la famille et les autres aidants qui s’occupent des vétérans.

Les programmes et services qui sont décrits ci-après sont divisés en trois groupes : les services de santé mentale, les programmes et services financiers et les programmes et services pour les familles des vétérans décédés.

Services de santé mentale

Soutien par les pairs aux membres de la famille d’un vétéran atteint d’une blessure de stress opérationnel

Le Programme de Soutien social aux blessures de stress opérationnel (SSBSO) est un réseau de soutien pour les membres des FAC, les vétérans et leur famille aux prises avec un traumatisme lié au stress opérationnel. Il est géré conjointement par le ministère de la Défense nationale (MDN) et ACC. Mis sur pied en 2001 à l’initiative du lieutenant-colonel Stéphane Grenier, il a été conçu pour surmonter la résistance des militaires et des vétérans à demander de l’aide. Il offre ses services aux membres de la famille depuis 2005. D’après les documents d’information du SSBSO, les services sont offerts aux aidants qui sont définis comme étant « membres de la famille ou amis[6] » : « Le programme de SSBSO offre un soutien par les pairs à toutes les personnes touchées par une blessure de stress opérationnel, y compris les vétérans, les membres des FAC, les membres adultes de la famille, les amis proches et/ou les aidants étant conjoints ou non d’une personne vivant avec une blessure de stress opérationnel[7]. »

Le programme compte environ 125 bénévoles, et les services sont organisés par une cinquantaine de coordinateurs du MDN, auxquels se joignent une quinzaine d’employés d’ACC. Presque toutes ces personnes ont déjà souffert de problèmes de santé mentale.

Service d’aide d’Anciens Combattants Canada en santé mentale

Ce Service d’aide est un service téléphonique sans frais, accessible 24 heures sur 24, qui permet aux vétérans des FAC et de la Gendarmerie royale du Canada, ainsi qu’aux membres de leur famille, d’obtenir des services de counseling en santé mentale et d’aiguillage. Il est le seul programme de soutien à la santé mentale offert aux membres de la famille de plein droit. Le service est comparable aux services offerts par les programmes d’aide aux employés dans la fonction publique. Les vétérans, ou les membres de la famille, qui veulent se prévaloir de ces services n’ont pas besoin d’être clients d’ACC, et le service est évidemment confidentiel et bilingue. Les personnes qui répondent aux appels font partie du registre des fournisseurs autorisés d’ACC, et sont des professionnels de la santé possédant une maîtrise ou un doctorat. En décembre 2014, le nombre de séances offertes sans frais est passé de six à vingt. ACC estime qu’environ le quart des appelants sont des membres de la famille[8]. Il n’existe aucun critère d’admissibilité autre que d’être vétéran, ou d’être conjoint-e ou enfant d’un vétéran. En 2016, le délai d’attente était d’un à cinq jours[9].

Selon le Bureau de l’ombudsman des vétérans (BOV), la faible participation des membres de la famille, seulement 578 en 2018-2019, est attribuable au fait que : « ce service est un élément important pour fournir des services de counseling à court terme pour un problème défini ainsi qu’une intervention en cas de crise, mais il n’est pas en mesure de donner lieu à un diagnostic de santé mentale ou de répondre aux besoins de santé mentale à long terme des membres de la famille des vétérans[10] ».

Malgré ces limites, et jusqu’à ce que d’autres services puissent être offerts de plein droit aux membres de la famille et aux autres aidants, les membres du Comité sont d’avis qu’ACC devrait mieux faire connaître le Service d’aide et s’en servir afin de mieux soutenir les aidants et les aiguiller au besoin vers les ressources dont ils pourraient bénéficier, notamment en matière de formation. Le Comité recommande donc :

Recommandation 1

Qu’Anciens Combattants Canada fasse publiquement la promotion de son Service d’aide en santé mentale afin de mieux le faire connaître et d’y sensibiliser les vétérans, les membres de leur famille et les autres aidants.

Programmes et services financiers

Allocation de reconnaissance pour aidant

Cette allocation consiste en une subvention mensuelle non imposable de 1 043,46 $ versée directement à l’aidant qui s’occupe d’un vétéran souffrant d’une invalidité grave et qui bénéficie d’une prestation d’invalidité en vertu de la Loi sur le bien‑être des vétérans. La demande ne peut cependant pas être soumise par l’aidant lui‑même. C’est le vétéran qui désigne la personne qui recevra l’allocation. Cette personne n’a pas besoin d’être un membre de la famille du vétéran. ACC prévoit qu’en 2020‑2021, environ 1 125 personnes la recevront, pour une dépense totale de 13,5 millions de dollars. Elle remplace l’allocation pour relève d’un aidant familial depuis le 1er avril 2018. Cette dernière poursuivait le même objectif, mais était versée au vétéran dont on s’attendait qu’il en fasse bénéficier l’aidant.

L’allocation de reconnaissance pour aidant est un montant non imposable, en partie pour éviter d’être assimilée aux prestations similaires versées par les régimes provinciaux et territoriaux et qui sont imposables parce qu’elles visent à remplacer partiellement la perte de revenu des aidants qui s’occupent d’une autre personne. Si le montant était plus élevé, l’allocation serait rapidement comprise comme un remplacement de revenu, ce qui pourrait créer des difficultés de coordination avec d’autres prestations.

Selon la « Politique sur l’allocation de reconnaissance pour aidant », l’aidant doit être une « personne de 18 ans ou plus qui joue un rôle essentiel dans la prestation et la coordination de soins continus prodigués à un vétéran au domicile de ce dernier, et qui ne reçoit aucune rémunération[11] ». Pour être admissible, le vétéran doit avoir « besoin de recevoir des soins de façon continue », et requérir au moins un élément parmi les suivants :

  • un niveau de soins et de surveillance comparable à ce qui exigerait l’admission dans un établissement, comme un établissement de soins de longue durée;
  • l’aide physique quotidienne d’une autre personne pour la plupart des activités de la vie quotidienne;
  • des instructions et une surveillance continue durant l’exercice de la plupart des activités de la vie quotidienne;
  • une surveillance quotidienne et, pour sa sécurité, de ne pas être laissé seul (à savoir que le vétéran constitue un risque pour lui-même ou les autres s’il ne bénéficie pas d’une surveillance quotidienne).

Comme l’a expliqué Mme Crystal Garrett‑Baird, directrice générale, Politique et recherche, d’ACC, cette définition désigne une faible proportion des clients d’ACC, soit les « vétérans qui ne sont pas en mesure de s’acquitter de la plupart des activités de la vie quotidienne[12] ».

Les références à un « établissement de soins de longue durée », à « l’aide physique quotidienne », à la « surveillance continue » ont fait dire à plusieurs témoins que les critères de cette allocation avaient été pensés en fonction des vétérans âgés ou souffrant de graves invalidités physiques, mais étaient mal adaptés aux personnes souffrant de maladies mentales.

Mme Marie‑Andrée Malette, de Caregivers’ Brigade, a donné l’exemple de son mari. La demande de ce dernier a été rejetée, parce « qu’il est capable de s’habiller, de se nourrir et de se laver lui-même[13]. » Cela a pour effet de rendre inadmissibles à l’allocation les vétérans souffrant de problèmes graves de santé mentale qui les empêchent de participer aux activités de la vie domestique, mais sont tout de même capables de « s’acquitter de la plupart des activités de la vie quotidienne ». Les critères d’admissibilité semblent donc contraignants, et leur application semble également être restrictive, comme l’ont montré, parmi d’autres, les exemples donnés par le Dr Greg Passey[14].

Une autre contrainte d’admissibilité à l’allocation de reconnaissance pour aidant vient du fait que le « besoin de recevoir des soins de façon continue » doit être une conséquence de la blessure ou de la maladie pour laquelle le vétéran a reçu une prestation d’invalidité. À titre de comparaison, l’allocation pour soins, versée en vertu de la Loi sur les pensions et qui poursuit un objectif semblable, ne peut être versée qu’aux vétérans totalement invalides, mais cette invalidité n’a pas besoin d’être celle pour laquelle une pension fut versée initialement. Une clause de bénéfice du doute a été ajoutée aux politiques relatives à l’allocation de reconnaissance pour aidant lorsqu’il est « difficile, voire impossible, de faire la distinction entre les conséquences d’une affection médicale pour laquelle une indemnité d’invalidité ou une indemnité pour douleur et souffrance a été accordée et d’autres affections qui n’ouvrent pas droit à une indemnité[15] ».

Les vétérans dont la demande a été déposée avant le 1er avril 2006, et qui se trouvent donc sous le régime de la Loi sur les pensions, ne sont pas admissibles à l’allocation de reconnaissance pour aidant. Les vétérans de la Gendarmerie royale du Canada n’y sont pas admissibles non plus puisqu’ils ont continué d’être indemnisés en vertu de la Loi sur les pensions après 2006. Ils sont donc admissibles à l’allocation pour soins, alors que les vétérans sous le régime de la Loi sur le bien-être des vétérans n’y ont pas droit.

Le Conseil national des associations d’anciens combattants, dans son mémoire déposé au Comité, ne cache pas sa perplexité devant l’existence parallèle de ces deux allocations dont l’objectif semble être le même :

La communauté des anciens combattants se demande encore pourquoi le gouvernement a décidé de « réinventer la roue » […]. Depuis plusieurs décennies, l’allocation pour soins en vertu de la Loi sur les pensions (et ses cinq catégories) s’est avérée efficace à cet égard en offrant une indemnisation nettement supérieure et en appliquant des critères d’admissibilité plus généreux. […] ACC devrait revenir à l’allocation pour soins, laquelle peut procurer aux vétérans ayant grandement besoin de soins des revenus de plus de 23 000 $ par année en avantages non imposables. Cette prestation devrait être versée directement aux aidants[16].

Lors de son témoignage, M. Richard Gauthier, de l’Association du Royal 22e Régiment, a exprimé la même idée en ajoutant que le versement devrait être automatique dès que le vétéran atteint un certain degré d’invalidité : « J'ai atteint un seuil d'invalidité de près de 100 %, mais je n'ai pas accès à [l’allocation de reconnaissance pour aidant]. Il me semble qu'en franchissant chaque seuil d'invalidité, ce devrait être automatique[17]. »

On ne voit non plus pourquoi cette aide serait plus généreuse pendant qu’un militaire souffrant d’une invalidité grave est encore en service, et diminuerait lorsqu’il devient un vétéran, même si l’invalidité grave est permanente. C’est pourtant ce qui se produit avec la prestation pour soins auxiliaires versée par le ministère de la Défense nationale. Cette prestation est limitée aux militaires dont l’invalidité fut causée lors d’une opération en Afghanistan. Elle consiste en un montant maximal de 100$ par jour versé pour un maximum de 365 jours, c’est-à-dire le temps nécessaire pour que le militaire effectue sa transition vers la vie civile. Selon le Conseil national des associations d’anciens combattants :

Cette politique constitue une reconnaissance implicite du fait qu’il vaut mieux assurer le coût financier d’un soignant que de chercher à financer un répit pour les soignants. Ce qui est inquiétant dans le contexte de la transition de l’ancien combattant entre le MDN et ACC, c’est le fait que l’aide financière accordée à ces familles devrait beaucoup chuter quand elle passera du programme du MDN à l’allocation pour relève d’un aidant familial d’ACC[18].

Il est difficile de comprendre pourquoi les aidants des vétérans bénéficieraient d’une aide supérieure pour la seule raison que le vétéran gravement handicapé dont ils s’occupent a déposé sa demande avant le 1er avril 2006 ou qu’il a participé à une opération en Afghanistan plutôt qu’à une autre, et pourquoi elle diminuerait parce que son dossier est passé du MDN à ACC.

Il existe également des questions de juridiction qui viennent brouiller les responsabilités des uns et des autres. La prestation pour soins auxiliaires du MDN ne peut pas être versée directement aux aidants, car la responsabilité du ministère se limite aux militaires, alors que les membres de la famille et les autres aidants sont sous la responsabilité des provinces et territoires. Comme il en sera question plus en détail, cette logique de juridiction s’applique également aux responsabilités d’ACC envers les vétérans.

Plusieurs témoins ont jugé que le montant de l’allocation était dérisoire en comparaison des sacrifices que les aidants devaient faire et des pertes financières que cela entraînait. Le Dr Passey, qui traite depuis des décennies des vétérans aux prises avec des problèmes de santé mentale, a dit :

Il est difficile pour des professionnels d'offrir un tel niveau de soins, et on s'attend à ce que des gens ordinaires, qui ne sont pas des professionnels, le fassent. Je pense que l'allocation pour aidant… S'il en coûte 4 000 $ par mois lorsqu'une personne est placée dans un centre de soins de longue durée et qu'on offre seulement 1 000 $ aux aidants, je pense que c'est absurde[19].

De tels commentaires montrent que, selon ces témoins, l’allocation devrait effectivement servir au remplacement du revenu. En ce cas, il faudrait bonifier l’allocation, et déduire du montant versé les sommes versées par un programme provincial / territorial ou par un régime d’assurance qui remplit le même objectif. C’est de cette manière, par exemple, qu’est calculé le montant de la prestation de remplacement du revenu d’ACC lorsque le vétéran est également admissible aux prestations d’invalidité de longue durée du Régime d’assurance revenu militaire du MDN. Le Comité recommande donc :

Recommandation 2

Que l’allocation de reconnaissance pour aidant soit modifiée de la manière suivante :

  • que le montant maximal de l’allocation soit le même que celui de la prestation pour soins auxiliaires du ministère de la Défense nationale;
  • que les critères d’admissibilité soient les mêmes que ceux de l’allocation pour soins versée en vertu de la Loi sur les pensions;
  • que l’accès soit étendu afin de mieux refléter les défis spécifiques auxquels sont confrontés les membres de la famille et les autres aidants des vétérans qui souffrent de troubles mentaux et de lésions cérébrales;
  • que l’admissibilité soit étendue aux aidants de moins de 18 ans.

Autres programmes généraux

Programme pour les familles des vétérans

Ce programme permet aux membres de la famille des vétérans libérés pour raisons médicales d’avoir accès aux 32 centres de ressources pour les familles des militaires, administrés par les FAC, et à certains programmes de soutien à la transition. Environ 3 000 vétérans ou membres de la famille ont eu recours à l’un ou l’autre des services des centres en 2019-2020[20].

Assistance professionnelle

Les conjoints peuvent avoir accès à des services d’assistance professionnelle si le vétéran y serait admissible, mais ne peut pas y participer en raison de son état de santé, ou si le vétéran est décédé d’une blessure ou maladie liée à son service militaire.

Espace aidants

Cette ressource en ligne gratuite permet d’accéder à une communauté de partage, ainsi qu’à des listes de professionnels et de ressources pour les aidants naturels.

Fonds pour le bien-être des vétérans et de leur famille

Ce fonds est doté d’un budget annuel de trois millions de dollars et subventionne des projets qui viennent en aide aux vétérans et, dans certains cas, aux membres de leur famille. Parmi les 22 projets subventionnés en 2019, plusieurs sont destinés principalement aux vétérans et incluent une composante de soutien aux membres de la famille, mais aucun ne s’adresse principalement aux membres de la famille.

Programmes offerts aux survivants des vétérans

Régime de soins de santé de la fonction publique

Les survivants des membres des FAC décédés en service ou des vétérans décédés des suites d’une blessure ou maladie liée à leur service peuvent adhérer au Régime de soins de la fonction publique moyennant le paiement de la cotisation mensuelle. Depuis 2006, les vétérans qui sont clients d’ACC peuvent quant à eux adhérer au Régime[21]. Selon la politique qui encadre cette adhésion, c’est ACC qui a la responsabilité de déterminer l’admissibilité des conjoints et personnes à charge.

Prestation de remplacement du revenu accordée aux survivants et aux orphelins

La prestation de remplacement de revenus peut être versée aux survivants et orphelins des vétérans dont le décès est attribuable aux suites du problème de santé pour lequel ils étaient admissibles à la prestation. Si le décès n’est pas attribuable au service, et que le vétéran décédé était admissible à la prestation, les survivants et orphelins peuvent recevoir un montant forfaitaire correspondant à deux années de la prestation.

Pension de survivant

Les survivants et orphelins d’un vétéran décédé qui recevait une pension d’invalidité en vertu de la Loi sur les pensions ont droit à une pension à vie correspondant à 75 % du montant de la pension que recevait le vétéran décédé si son degré d’invalidité était supérieur à 50 %, ou 50 % du montant que recevait le vétéran si son degré d’invalidité était inférieur à 50 %.

Indemnité de décès

L’indemnité de décès est un montant forfaitaire non imposable de 385 091,61 $ versé à l’époux ou au conjoint survivant et aux enfants à charge du militaire qui meurt en service. Ce montant équivaut à la prestation forfaitaire maximale payable au titre de l’indemnité pour douleur et souffrance.

Aide à l’éducation des enfants

Ce programme a été créé en 1953, a été aboli en 1995, et rétabli en 2003. Il couvre les frais d’études supérieures des enfants des militaires décédés en service, des vétérans décédés des suites d’une blessure ou d’une maladie liée à leur service militaire, ou des vétérans décédés dont le degré d’invalidité était de 48 % ou plus, même si le décès n’est pas lui-même attribuable au service. Les prestations sont versées à l’étudiant-e pour une durée maximale de quatre ans.

Programme pour l’autonomie des anciens combattants à l’intention des survivants et des principaux dispensateurs de soins

Les services d’entretien ménager et d’entretien du terrain du Programme pour l’autonomie des anciens combattants peuvent être offerts au survivant du vétéran si le survivant était son aidant naturel au moment du décès et n’en retirait aucune rémunération.

Dans son mémoire, le Syndicat des employé-e-s des Anciens combattants (SEAC) soulève certains questionnements liés à ce programme. L’exemple fourni pourrait révéler un problème de fond.

Selon le SEAC, un changement de politique est intervenu en 2016 et les ménages des vétérans qui bénéficiaient de certains avantages du Programme pour l’autonomie des anciens combattants ont bénéficié d’un droit acquis et ont pu les conserver. Toutefois, ce droit acquis n’a été maintenu que tant et aussi longtemps qu’il n’y avait pas de changement significatif dans la situation du ménage. Or, ACC a interprété le décès du vétéran comme étant un changement significatif, et, selon le SEAC, a procédé à une réévaluation des services admissibles et a privé les conjoints des vétérans décédés de services dont ils bénéficiaient depuis de nombreuses années[22]. Afin de s’assurer que de telles situations n’ouvrent pas la porte à une interprétation rigide des règles, le Comité recommande :

Recommandation 3

Que les services offerts dans le cadre du Programme pour l’autonomie des anciens combattants soient transférés au conjoint et maintenus comme droit acquis après le décès du vétéran.

Soutien du revenu des Forces canadiennes pour les survivants

Cette allocation vient en aide aux survivants et orphelins à faible revenu lorsque le vétéran décédé recevait ce soutien, ou avait reçu l’allocation pour perte de revenus. Le montant mensuel maximal est de 1 658,77 $.

Funérailles et inhumation

Administrée par le Fonds du Souvenir, cette aide est offerte à la famille des vétérans dont le décès est attribuable à une blessure ou maladie liée au service militaire, ou, lorsque le décès n’est pas lié au service militaire, aux familles dont les actifs sont insuffisants pour offrir des funérailles et une inhumation convenables.

Service de pastorale

Ce service est offert aux vétérans et aux membres de leur famille qui sont aux prises avec une situation de fin de vie, le décès d’un vétéran, un enterrement dans un cimetière national ou un deuil.

Accès indépendant des membres de la famille aux services d’Anciens Combattants Canada

« Les témoignages d'aujourd'hui ne m'ont rien appris. Moi aussi je les ai malheureusement entendus maintes fois[23]. »

L’étendue des programmes auxquels sont admissibles les membres de la famille soulève des ambiguïtés depuis plusieurs années. En 2009, ACC, dans son évaluation des programmes de la Nouvelle Charte des anciens combattants, avait noté que « les membres de la famille ne sont pas admissibles au soutien direct d’ACC dès le départ, de plein droit[24] ». Dès 2010, le Comité avait abordé cet enjeu dans son rapport intitulé La Nouvelle Charte vivante des anciens combattants à l’heure de la mise au point et avait recommandé : « Que les membres de la famille des vétérans puissent avoir accès aux programmes de réadaptation d’ACC de manière indépendante ».

Le Comité avait à nouveau soulevé cette lacune dans son rapport de mai 2012 intitulé De meilleurs services pour une meilleure qualité de vie des vétérans et de leur famille, puis dans son rapport de juin 2014 intitulé La Nouvelle Charte des anciens combattants : allons de l’avant, et dans son rapport de décembre 2016 intitulé Aller vers les vétérans pour améliorer la prestation des services.

En août 2016, le Bureau de l’ombudsman des vétérans, sur son blogue, a recommandé que les avantages pour soins de santé mentale soient offerts aux membres de la famille en fonction de leurs propres besoins ainsi que la création d’une allocation pour aidant[25].

À moins que le vétéran soit décédé, les programmes d’ACC ne permettent pas que les membres de la famille des vétérans soient considérés comme des clients du ministère de plein droit. Pour les programmes s’adressant aux membres de la famille, c’est le vétéran qui doit soumettre la demande, même dans le cas de l’allocation de reconnaissance pour aidant qui est pourtant versée directement à la personne qui fournit les soins.

Selon la colonelle (à la retraite) Nishika Jardine, ombudsman des vétérans, les difficultés que vivent les membres de la famille quant à leur propre santé mentale doivent être envisagées comme une conséquence directe du service militaire du vétéran : « nous croyons que les membres de la famille des vétérans méritent un accès exempt d’obstacles à un traitement de santé mentale financé lorsque leurs propres besoins sont liés au service militaire, ce qui n’est pas prévu à l’heure actuelle pour les membres de la famille qui ne participent pas au plan de traitement d’un vétéran[26] ».

Cet accès serait offert aux membres de la famille en tant que tels, peu importe qu’ils soient ou non dispensateurs de soins auprès du vétéran. Les services offerts devraient être totalement indépendants des particularités de la condition du vétéran et de sa volonté ou non de se prévaloir des programmes d’ACC[27]. Comme l’a dit le major-général (à la retraite) Glynne Hines : « L'ancien combattant peut choisir de ne pas demander d'indemnité d'invalidité ou ne pas chercher à obtenir de l'aide, quelle que soit sa raison personnelle, mais cela ne signifie pas que le service de l'ancien combattant n'a pas eu de répercussions sur les personnes à sa charge ou qu'elles n'ont pas besoin d'aide[28]. »

Suivant la recommandation du BOV, de même que la position exprimée par de nombreux témoins lors de cette étude et de plusieurs autres études menées par le Comité au cours des quinze dernières années, le Comité propose une recommandation qui encadre toutes les autres et à laquelle il souhaite donner une valeur prioritaire :

Recommandation cadre

Que le gouvernement du Canada veille à ce que les conjoints et les enfants à charge des vétérans qui seraient admissibles au programme de réadaptation d'ACC puissent avoir accès à d'autres programmes d'ACC, y compris du soutien financier et des services de santé mentale, de plein droit et avec un numéro de client individuel.

Selon le Dr Whelan, l’importance du souci accordé aux difficultés vécues par les vétérans a fait passer au second plan les difficultés vécues par les personnes qui vivent avec les vétérans, dont le rôle de soutien dévoué est pris pour acquis :

Les vétérans sont l'objet d'une attention continue, mais il n'existe pas de mécanisme parallèle pour évaluer les conséquences des blessures de stress opérationnel pour les familles des militaires, y compris les traumatismes indirects et secondaires. Je pense que le modèle courant, fondé sur une vision du vétéran comme une victime, fait fi de la cellule familiale dans son ensemble, et du fait qu'elle peut aussi être une victime du service militaire. Les partenaires des vétérans reçoivent peu d'aide directe et pratique pour gérer le quotidien avec un ex‑militaire qui souffre de troubles de santé mentale[29].

Cela n’est pas sans lien avec le fait que la très grande majorité des aidants sont des femmes : « Je pense que cela fait vraiment partie de l'idéologie, et représente une extension de l'idéologie selon laquelle les responsables de la gestion de la vie familiale, de la vie à la maison et de la culture affective de cette maison sont, implicitement, les femmes. Par inadvertance ou par manque de réflexion, je pense que nos politiques tiennent cela pour acquis[30].

Le Dr Whelan, qui a traité pendant près de 30 ans des vétérans souffrant de problèmes de santé mentale, a brossé un portrait éloquent de l’aidante typique :

Selon notre expérience, les épouses et les conjointes de fait sont souvent celles qui prennent soin des vétérans. […] La tâche principale de ces épouses ou conjointes de fait est de combler les besoins en matière de santé mentale et affective des vétérans blessés. On attend de ces aidantes qu'elles réduisent le stress et qu'elles gèrent les déclencheurs potentiels, qu'elles deviennent les interlocutrices principales auprès d'Anciens Combattants Canada et qu'elles empêchent les enfants de déranger à la maison. Ces attentes sont en quelque sorte le prolongement de l'image de force de l'uniforme qui est véhiculée par l'armée et d'une croyance, très répandue parmi les vétérans, suivant laquelle la gestion du foyer est l'apanage des femmes.
Pour la plupart, les aidantes sont des femmes courageuses. Des chercheurs qui se sont intéressés aux familles des militaires canadiens ont décrit les formidables efforts qu'elles déploient pour obtenir de l'aide de sources formelles et informelles. […] Parmi celles que nous avons rencontrées, les troubles du sommeil, l'anxiété et l'épuisement physique et émotionnel étaient assez fréquents. Souvent, ces femmes font passer les besoins des autres bien avant les leurs[31].

Ce portrait est tout à fait conforme à ce que Mme Tracy Lee Evanshen a décrit comme une journée typique où chaque détail de la vie quotidienne devient un déclencheur potentiel des symptômes du trouble de stress posttraumatique de son mari : les routes à éviter parce qu’elles rappellent de mauvais souvenirs, la routine du vétéran à laquelle toutes les personnes de la maisonnée doivent se conformer, le bruit de la télé ou des jeux vidéo qui déclenchera peut-être une crise, le chien des voisins, les armes à feu des voisins, la tondeuse, l’odeur de brûlé dans la cuisine, les enfants constamment sur le qui-vive, la frustration des communications avec ACC. Puis, le soir, le calme revenu, arrivent les terreurs nocturnes. « Kevin n'en peut plus. Mes garçons sont confus. Je suis épuisée. Pour fuir le bruit et les distractions […], ma fille va chez ses amis[32]. »

Ce sont parfois les parents qui deviennent les aidants de leurs enfants. C’est ce que raconte Mme Helena Broad dans un courriel envoyé au Comité :

Voici ma situation : Les troubles de stress post-traumatique (TSPT) dont je souffre on fait leur apparition brutale en novembre 2019 (je me suis séparée de mon époux en janvier 2019). Mon anxiété, mes problèmes de sommeil et les TPST m’ont complètement épuisée. Je dors seulement trois heures certaines nuits. J’ai juste assez d’énergie pour effectuer une seule tâche. Ma mère a pris sa retraite, et s’occuper de moi est maintenant son nouvel emploi. Je suis incapable de m’organiser, je perds tout, et c’est ma mère qui prend soin des enfants lorsque je n’en ai pas la force. Je ne crois pas pouvoir vivre seule un jour, et ma mère devra donc rester avec moi pour de bon. Je n’ai aucune idée des ressources qui s’offrent à elle. Ma mère subit mon stress en plus de vivre du stress parce qu’elle prendre soin de tout le monde lorsque je ne suis pas capable de le faire[33].

ACC a malheureusement peu à offrir à ces personnes. Dans son rapport de janvier 2021, le Bureau de l’ombudsman des vétérans (BOV) suggère que l’incapacité du ministère à offrir des soins de santé mentale aux membres de la famille tient aux limites imposées au mandat du ministre des Anciens Combattants dans la Loi sur le ministère des Anciens Combattants. C’est en effet en vertu de cette loi que fut adopté le Règlement sur les soins de santé pour les anciens combattants qui définit l’admissibilité aux divers programmes de soins de santé offerts par ACC. L’admissibilité à certains programmes élaborés en vertu de ce Règlement est transférée aux « survivants » des vétérans en cas de décès, mais tant que le vétéran est en vie, les membres de la famille n’y ont pas accès. Le rapport du BOV suppose ainsi que si on élargissait cette admissibilité par voie législative, rien n’empêcherait les membres de la famille de bénéficier des services offerts.

Or, la principale raison évoquée par ACC pour expliquer les restrictions à l’admissibilité des membres de la famille à ses programmes de soins de santé en est une de juridiction : « Il revient aux autorités provinciales de la santé de prendre en charge les problèmes de santé des membres de la famille, raison pour laquelle ACC n’a pas l’intention d’offrir aux membres de la famille un accès aux programmes auxquels ils ne sont pas admissibles[34] ».

L’argument de la juridiction aurait de la force si ACC n’offrait aucun soin de santé aux membres de la famille. Or, il le fait à sa discrétion s’il considère que cela contribuerait au rétablissement du vétéran. L’admissibilité des membres de la famille étant soumis à la discrétion du ministère, il faut donc reconnaître que l’intervention d’ACC dans la juridiction provinciale est elle-même soumise à sa discrétion.

De plus, les régimes publics provinciaux ou territoriaux ne couvrent qu’exceptionnellement les soins psychologiques dont les aidants demandent qu’ils leur soient offerts. Il n’y aurait donc pas de conflit de juridiction puisque les soins offerts aux membres de la famille et aux autres aidants complèteraient l’offre provinciale et territoriale, tout comme ACC le fait déjà pour tous les programmes offerts en vertu du Règlement sur les soins de santé pour les anciens combattants.

Restrictions apportées à l’accès des membres de la famille aux programmes de santé mentale

Comme l’a clairement démontré le BOV dans un rapport récent qui recense les études à ce sujet, les membres de la famille des militaires et des vétérans font face à des défis uniques qui requièrent un soutien psychologique particulier : « si le problème de santé mentale du membre de la famille découle de conditions liées au service, le BOV conclut que le gouvernement du Canada a l’obligation de lui donner accès aux soins et aux traitements nécessaires pour le soutenir[35] ». Le ministère lui-même l’avait noté dans l’évaluation de ses programmes en 2009 : « La santé mentale du vétéran a une incidence grave et profonde sur les membres de la famille et son fonctionnement, mais ACC est incapable de fournir un appui à la famille à moins que le vétéran ne participe au Programme de réadaptation[36] ».

Selon les politiques d’ACC en vigueur, les membres de la famille peuvent obtenir certains services si cela « faisait partie des plans de traitement ou de réadaptation du vétéran des FAC pour aider ce dernier à atteindre ses propres objectifs[37] ». L’admissibilité à ces services n’est donc pas établie en fonction des besoins des membres de la famille qui les demandent, mais en fonction des besoins du vétéran : « les avantages médicaux seront fournis lorsqu’on s’attend à ce qu’ils donnent des résultats positifs dans le traitement de l’affection ouvrant droit à des indemnités, ou lorsqu’on s’attend raisonnablement à ce qu’ils atténuent les symptômes ou les effets causés entièrement ou partiellement par l’affection ouvrant droit à pension[38] ». Comme l’avait conclu le BOV dans un rapport de 2016, « [à] part le nombre accru de séances du Service d’aide d’ACC [voir section B.1.(b) ci-haut], les initiatives actuelles ne prévoient pas d’avantages médicaux conçus expressément pour les familles[39] ».

Toujours selon le BOV, une nouvelle ligne directrice touchant les soins de santé mentale pour les membres de la famille des vétérans, entrée en vigueur en janvier 2020, a restreint l’accès à ces soins. Avant janvier 2020, les services couverts par cette politique permettaient aux membres de la famille de de se faire rembourser pour :

  • des services de counseling de famille ou de couple;
  • des services de psychoéducation;
  • des traitements individuels de santé mentale.

En septembre 2018, l’admissibilité à ces services avait déjà été retirée aux membres de la famille qui écoulent une peine de prison dans une institution fédérale. Cette décision faisait suite aux protestations entourant les services de santé mentale reçus par Christopher Garnier, le fils d’un vétéran, après qu’il ait été condamné pour le meurtre au second degré de Catherine Campbell, une policière de Truro en Nouvelle‑Écosse[40].

Selon le BOV, après l’entrée en vigueur de la nouvelle ligne directrice, les membres de la famille sont devenus inadmissibles aux « traitements individuels de santé mentale », et une limite de 25 séances par année a été établie pour les services de counseling et de psychoéducation. Plusieurs membres de la famille qui bénéficiaient de services de santé mentale pour eux-mêmes ont été informés du changement par la personne qui leur fournissait ces services ou par la Croix Bleue, la compagnie d’assurance qui administre le paiement de ces services. Malgré les représentations du Bureau de l’ombudsman des vétérans auprès du ministère, la nouvelle ligne directrice a été maintenue après une révision en mai 2020.

Selon les données d’ACC que cite le BOV, alors que 31 151 vétérans recevaient une prestation d’invalidité pour une affection psychiatrique en 2019, seulement 1 575 membres de la famille ont eu recours à des services individuels en santé mentale[41]. Il n’est cependant pas possible de savoir si cette disparité est attribuable à une faible demande pour ces services ou à une offre trop restrictive.

En effet, la route vers l’obtention de ces services pouvait être ardu. Comme l’ont expliqué la Dre Heather MacKinnon et M. Bruyea :

Avant qu'un membre de la famille puisse recevoir des soins de santé mentale, il faut tout d'abord que le dossier d'un vétéran soit confié à un gestionnaire de cas.
Après une période d'attente – qui dans certains cas peut se prolonger sur des mois, et même sur plus d'une année dans certains districts – , le dossier du vétéran est confié à un gestionnaire de cas. Le vétéran est ensuite admis au programme de réadaptation médicale, ou professionnelle dans certains cas. Une fois admis, le vétéran établit un plan de gestion de cas avec le gestionnaire, qui détermine ensuite si ces plans doivent englober la famille[42].

Le principal argument invoqué par les personnes qui réclament que les aidants et les membres de la famille puissent obtenir des services de plein droit auprès d’ACC est que la nécessité de démontrer que ces services auront un effet bénéfique sur la santé des vétérans est superflue.

Les services de psychologues ou de psychothérapeutes n’étant pas couverts par la plupart des régimes provinciaux de soins de santé, ils peuvent s’avérer coûteux si la personne qui les utilise ne bénéficie pas d’une autre couverture d’assurance. Le Régime de soins de santé de la fonction publique n’est accessible qu’aux membres de la famille de militaires décédés en service, ou décédés des suites d’une blessure ou d’une maladie liée à leur service. Depuis 2006, les vétérans qui sont clients d’ACC peuvent quant à eux adhérer au Régime[43]. Selon la politique qui encadre cette adhésion, c’est ACC qui a la responsabilité de déterminer l’admissibilité des conjoints et personnes à charge. Comme cela fut mentionné en Comité, cela signifierait que les conjoints et personnes à charge des fonctionnaires fédéraux, en exercice ou retraités, ont un accès plus facile à des soins psychologiques que les conjoints et personnes à charge des vétérans qui souffrent d’une invalidité liée à leur service militaire et reconnue par ACC[44].

Il semble équitable de penser que les services auxquels ont accès les membres de la famille et les autres aidants des vétérans souffrant de problèmes de santé mentale devraient être au moins équivalents à ce qui est offert par le Régime de soins de santé de la fonction publique. Présentement, la couverture familiale de base rembourse 80 % des honoraires d’un psychologue jusqu’à concurrence de 2 000$ de dépenses admissibles par année (1 600 $ de remboursement) pour le membre, le conjoint et chacun des enfants à charge. Ce programme est accessible à toutes les familles des fonctionnaires fédéraux, peu importe qu’ils souffrent ou non de problèmes de santé mentale. Dans le cas des vétérans, la cause des problèmes de santé mentale est le service au sein des FAC. La famille doit composer avec des difficultés causées par le fait qu’un de ses membres a accompli son devoir au service du Canada. La valeur des avantages offerts aux membres de la famille devrait donc être supérieure aux 2 000$ de dépenses admissibles pour chaque membre de la famille. Le Comité recommande donc :

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattants Canada rembourse automatiquement les honoraires des professionnels en santé mentale consultés par le conjoint et les enfants à charge des vétérans admissibles à un programme de réadaptation pour des problèmes de santé mentale jusqu’à concurrence de 3 000$ par personne, et que l’autorisation du ministère ne soit nécessaire que lorsqu’une demande est présentée pour que ce montant soit dépassé.

Qu’est-ce qu’un aidant?

La notion d’« aidant » ou d’« aidant naturel » utilisée aux fins de l’allocation de reconnaissance pour aidant soulève des ambiguïtés puisque la définition ne dépend pas de ce que la personne fait pour le vétéran, mais bien de la gravité de la condition du vétéran. Autrement dit, une personne qui s’occupe quotidiennement d’un vétéran ne sera pas considérée comme un aidant, au sens de l’allocation de reconnaissance pour aidant, si le vétéran est « en mesure de s’acquitter de la plupart des activités de la vie quotidienne[45] », c’est-à-dire, selon certains témoins, si le vétéran est capable de se laver, de s’habiller et de se nourrir.[46] Or, de nombreuses personnes, qu’elles en soient ou non les conjoints, consacrent des énergies considérables à apporter des soins et du soutien au vétéran sans que l’invalidité de ce dernier soit suffisamment grave pour que l’aidant devienne admissible à l’allocation. Ces personnes se considèrent à juste titre comme des aidants, et, en tant que tels, s’attendent à une forme de soutien psychologique et financier pour eux-mêmes sans que leur admissibilité dépende de la gravité de l’invalidité du vétéran.

En réponse à une question posée au sujet de la définition des termes « famille » et « aidant » dans les programmes d’ACC, la réponse donnée au Comité fut la suivante : « Les différents textes de loi d’Anciens Combattants Canada ne définissent pas le terme "famille", mais chaque texte de loi établit qui est admissible aux prestations pour chaque programme et comprend des définitions, notamment celles d’« enfant à charge », d’"aidant" ou de "survivant". »[47]

La seule définition donnée du terme « aidant », à laquelle la réponse du ministère ne fait pas référence, est celle qui rend admissible à l’allocation de reconnaissance pour aidant. Or, comme il a été expliqué plus haut, cette définition n’en est pas une puisqu’elle ne fait référence qu’à la gravité des incapacités du vétéran, et non à l’étendue du rôle des personnes qui s’en occupent. La version anglaise de l’article 16 (3) du Règlement sur les soins de santé pour les anciens combattants fait référence au « primary caregiver », rendu en français par « principale personne à s’occuper du client ». Elle désigne la personne admissible au transfert de certains services advenant le décès du vétéran ou son admission dans un établissement de soins de santé. Selon cette définition, beaucoup plus proche de l’acception usuelle du terme, la principale personne à s’occuper du client « s’entend de l’adulte qui [est] la principale personne à veiller, sans rémunération, à ce qu’il reçoive les soins voulus. »

Le décalage entre cette définition usuelle et la définition plus restrictive utilisée par ACC aux fins de l’allocation de reconnaissance pour aidant a donné lieu à une lettre bouleversante de M. Derek Hollingworth qui mérite d’être citée au long :

Mon épouse et moi sommes d'anciens combattants, et tous deux, nous souffrons du syndrome de stress post-traumatique. Son cas à elle a été si grave qu'il l'a plongée dans une profonde dépression et une dépendance au jeu. Ma question pour le comité est donc la suivante, et veuillez me pardonner d'être abrupt, car je suis très fatigué et je n'ai pas le temps de mettre des gants blancs : Comment le gouvernement, et plus précisément ACC, a le toupet de dire que les gens qui prennent soin de leurs êtres chers souffrant de ce syndrome particulièrement handicapant et pernicieux n'ont pas droit au statut d'AIDANT? Moi, son mari, je suis celui qui lui fait prendre ses médicaments, qui planifie sa journée, qui administre ses affaires, qui lui « fournit » des soins médicaux de première ligne, et j'en passe. On a dû me retirer d'un exercice important parce que ma femme a tenté de se suicider. Je l'imagine, à la maison, avec ma fille… J'ai tiré ma femme du camion après l'avoir cherchée longtemps, le jour où elle a avalé le contenu de ses flacons de médicaments pour mettre fin à sa vie. J'ai vu ma femme, à l'hôpital, immobilisée dans une camisole de force si serrée qu'elle en hurlait, parce que personne ne m'écoutait quand je disais que ce n'était pas nécessaire. Et la liste des horreurs est longue. Elle a été violée, soumise à de la violence, etc. J'ai pris soin de ma fille de ses 14 ans à ses 21 ans (oui, DURANT TOUTES CES ANNÉES) pendant que ma femme souffrait tellement de sa dépression qu'elle ne pouvait quitter le divan ou le lit, ou qu'elle passait ses journées dans les casinos, à tenter d'engourdir sa douleur parce qu'elle ne voulait plus vivre. C'est ma fille qui a trouvé le mot que ma femme a laissé quand elle a tenté de se suicider. Elle l'a trouvé et lu avant moi… au cas où vous ne le sauriez pas, ce genre de choses laissent des traces dans l'esprit d'une fille qui aime sa mère. Ce n'est là qu'une des nombreuses choses que je pourrais raconter. Ma fille… Comment ne mérite-t-elle pas l'aide d'ACC, étant donné le syndrome dont souffre son père et sa mère? Elle souffre d'anxiété et de dépression. Elle a dû abandonner l'université de ce fait. Si un type peut obtenir une couverture après avoir tué quelqu'un parce que son père souffrait du syndrome de stress post-traumatique, VOULEZ-VOUS BIEN ME DIRE CE QUI CLOCHE AVEC MA FAMILLE? Encore une fois, comment se fait-il que toute ma famille soit laissée pour compte, et comment diable se fait-il que je n'aie pas droit au statut d'aidant quand j'ai dû m'assurer que ma fille MANGE tandis que ma femme souffrait de son côté? Moi aussi, je souffre du syndrome de stress post-traumatique. Que va-t-il se passer si mon état empire? Qui s'occupera de tout le monde, alors? Il faut que je pense à mon propre traitement. Que va-t-il arriver à ma famille quand il va falloir que j’impose des limites au bout de six années, afin que j’aie la chance de me remettre? Qui va aider les autres, alors? Derek Hollingworth, Adj. (à la retraite) CD1, (et bien d’autres choses qui commencent à ne plus rien vouloir dire) [XXX-XXX-XXXX] (au cas où quelqu’un voudrait me parler). Bonne journée gouvernementale.[48]

Mme Jeanette McLeod, de Caregivers’ Brigade, a elle aussi évoqué la situation périlleuse qui pouvait se produire lorsque l’aidant lui-même se met à éprouver des problèmes de santé. Suite à un AVC subi par Mme McLeod, ni elle ni son mari n’était en mesure de préparer les repas et de gérer la prise des médicaments[49]. Le couple a obtenu une certaine aide, lorsqu’ACC a pu fournir sept repas par semaine, mais ces repas étaient uniquement destinés au vétéran :

Mon mari a dû demander les sept repas pour s’occuper de moi, parce qu’il est devenu le proche aidant. Les rôles se sont inversés. En raison des restrictions qui m’ont été imposées à la suite de l’AVC, comme l’interdiction d’utiliser le four, et ainsi de suite, il a dû demander des repas et les partager avec moi, son épouse, pour que je puisse aussi m’alimenter[50].

Comme l’a décrit Mme Malette, ce sont aussi les aidants qui subissent le plus souvent le stress lié aux interactions parfois difficiles avec ACC :

C’est moi qui remplis la demande pour mon mari. Si la demande est rejetée, c’est moi qui essuie un refus. C’est aussi simple que cela, car ce sont les aidants et aidantes qui remplissent toutes les formalités. […] Si les demandes de mon mari sont refusées sans cesse, c’est parce qu’il est physiquement capable de porter une cuillère à sa bouche, de s’essuyer en se levant de la toilette, de se laver lui-même et d’enfiler un chandail. C’est la raison des refus[51].

Le Dr Passey a confirmé cette frustration : « En toute franchise, tous mes anciens combattants – et je dis bien tous – deviennent anxieux lorsqu'ils reçoivent une lettre ou un courriel d'ACC, car ils ont eu, en grande majorité, de mauvaises expériences avec le ministère. Ce n'est pas pour rien que les bureaux d'ACC ont maintenant des vitres pare-balles. Cela ne devrait pas exister. Ce qu'il faut, c'est un environnement de soutien[52]. »

La forme que pourrait prendre un tel environnement a été évoquée par la Dre MacKinnon : « Je suis vraiment convaincue qu'un ancien combattant a besoin d'un intervenant, d'un gestionnaire ou de quelqu'un d'autre qui lui serve de personne-ressource. […] Je suis d'avis que si nous avions un plus grand nombre de ces personnes-ressources, cela permettrait de régler davantage de problèmes[53]. » Ces personnes pourraient aiguiller les vétérans et les membres de la famille vers les ressources et les programmes existants. Le fait d'avoir un employé responsable de leur dossier aiderait tous les vétérans à rédiger et à présenter des demandes, ainsi qu'à explorer les besoins non satisfaits ou non identifiés. L'objectif serait d'aider les vétérans à fournir des renseignements suffisants pour répondre aux critères du programme d'ACC, tout en reconnaissant que les invalidités, en particulier les blessures psychologiques, affectent le fonctionnement cognitif et diminuent la capacité de faire face à des processus bureaucratiques complexes. Le Comité recommande donc :

Recommandation 5

Qu’Anciens Combattants Canada s’assure que chaque client du ministère, peu importe qu’il bénéficie ou non de la gestion de cas, ait un employé affecté à son dossier, puisse accéder directement, par téléphone ou par courriel, à cet employé, et qu’un groupe de ces personnes-ressources soient chargées de répondre aux questions des membres de la famille et des autres aidants qui ne seraient pas clients d’ACC.

Comme l’a dit M. Gerry White, les meilleures solutions sont souvent aussi les plus simples : « Répondez au foutu téléphone. Tout ce que je vous demande, c'est de répondre au téléphone[54]. »

La responsabilité envers les enfants

M. Duane Schippers, directeur et conseiller juridique, Examen et analyse stratégiques, du Bureau de l’ombudsman des vétérans (BOV), a noté les répercussions que pouvait avoir la vie militaire sur la santé mentale des enfants :

On a relevé une hausse considérable des troubles de comportement qui ont grimpé de 19 % chez les trois à huit ans, alors que les troubles de stress augmentaient de 18 %.
Bien que les familles de militaires soient résilientes, comme le notait la colonelle Jardine, environ 10 % d’entre elles arrivent difficilement à surmonter les difficultés liées au service militaire, c’est-à-dire les déménagements fréquents, les déploiements et les affectations. Les déploiements dans un environnement de combat actif augmentent les risques de blessure et de décès. Les proches voient les reportages qui sont diffusés, ce qui ne manque pas de les inquiéter.
Il y a un constat qui m’apparaît particulièrement préoccupant. Les adolescents à la charge d’un militaire sont beaucoup plus susceptibles que les autres d’être admis à l’hôpital pour une blessure, une tentative de suicide ou un problème de santé mentale[55].

Pas plus que les conjoints ou les aidants, les enfants ne peuvent obtenir de services de plein droit auprès d’ACC. Mme Malette a fourni un exemple des répercussions concrètes de cette limitation :

Mon fils souffre d’un TDAH, ce qui a de fortes répercussions sur le comportement de mon mari. C’est un élément déclencheur important pour lui. Nous avons demandé l’aide d’ACC, qui a approuvé le recours à du soutien psychologique. Pour obtenir cette aide, je dois prouver à la Croix bleue que cela a des répercussions sur mon mari. Il s’agit de courir sans cesse d’une partie de la bureaucratie à l’autre. ACC accepte, mais il ne transmet pas l’information. La Croix bleue demande qu’on lui fournisse une lettre d’un psychologue.
[…]
Je suis une infirmière à temps plein. Durant la pandémie de COVID, je travaille avec des unités. Je n’ai pas eu le temps de courir après un psychologue pour faire approuver une lettre qui indique que lorsque mon enfant de huit ans crie sans arrêt, cela provoque des problèmes chez mon mari[56].
[…]
Les enfants savent que papa est allé à la guerre, ils savent qu’il a couru après les méchants, parce que nous vivons dans un monde de superhéros. Ils ont dû s’habituer au fait qu’il ne faut pas effrayer papa, qu’ils ne peuvent pas sauter sur papa et qu’ils ne peuvent pas crier quand papa est là. Les enfants s’y sont habitués. Ils ont été élevés ainsi, mais c’est parfois très difficile pour eux[57].

M. Bruyea a également dénoncé les changements de politiques qui ont entraîné la fin de l’allocation pour garde de personnes à charge dont il bénéficiait pour son fils en vertu de la politique sur les Frais de garde supplémentaires des personnes à charge[58]. Selon lui, cette annulation reflète les lacunes de la Loi sur le bien-être des vétérans qui ne comporte aucune obligation envers les personnes à charge du vétéran, sauf après son décès.

M. Roy MacEachern, dans son mémoire, a parlé de l’importance du maintien du lien avec les enfants :

Si je suis encore ici, ce n’est pas grâce à une quelconque intervention d’ACC en matière de santé mentale, mais grâce à l’amour inconditionnel de mon fils de six ans. Un simple garçon qui ne comprend rien à ce qui ne va pas chez son père, mais qui ne me juge pas, ne me persécute pas, il m’accepte simplement comme je suis, et cela suffit à me faire avancer. Sans lui et la joie qu’il m’apporte, je ne sais pas ce que je ferais[59].

Pour la Dre MacKinnon, il est clair que certains enfants adultes de vétérans ont des besoins de soins qui sont liés aux expériences militaires d’un parent :

Un de mes patients souffre de troubles mentaux et physiques. Son père a un trouble de stress post-traumatique lié à ses déploiements. Un autre enfant a commencé à éprouver des troubles physiques et mentaux quand son père est rentré de mission. Sa mère et lui recevaient des services de counseling en santé mentale, mais ils ont cessé d'y avoir accès quand il a été découvert que le fils d'un vétéran qui avait assassiné un policier recevait de tels services en prison. Cette découverte a entraîné un examen et un resserrement de la politique. Depuis, la famille n'est plus admissible à des traitements financés par ACC[60].

Le Dr Whelan a évoqué la situation dramatique des enfants dans ces familles qui doivent fréquemment prendre de lourdes responsabilités sur leurs épaules :

Nous savons que, dans les familles des militaires, les enfants et les adolescents assument des responsabilités. Dans ces familles, chacun des membres adhère à l'idée « d'équipe. » Lorsque le militaire de la famille retourne à la vie civile, ses enfants connaissent déjà leurs rôles. Si un membre de la famille se trouve dans un état de détresse, ce que nous [Difficultés techniques] les garçons s'efforcent vraiment de protéger la famille ou la mère, en s'efforçant d'assurer la stabilité du père. Ils nous appuient lorsque nous essayons d'offrir des services personnels à leur parent. Pourtant, très peu de services sont prévus à leur intention[61].

Comme le recommande M. Bruyea dans son mémoire[62], le Comité recommande :

Recommandation 6

Que la Loi sur le bien-être des vétérans soit modifiée de sorte qu’elle prévoie une obligation envers les enfants à charge des vétérans vivants, et que les applications aux programmes créés à cet effet puissent être présentées par l’un ou l’autre parent.

Conclusion

Depuis les débats entourant l’adoption de la Nouvelle Charte des Anciens combattants (Loi sur le bien-être des vétérans) en 2005, les déclarations publiques des représentants d’ACC ont souvent mis de l’avant l’importance du soutien offert par les membres de sa famille lorsque le vétéran souffre d’une invalidité physique ou mentale. Cependant, le ministère a mis en place peu de programmes qui auraient concrétisé de manière explicite cet engagement.

Avant les années 1960, on s’attendait naturellement à ce que les vétérans blessés, presque exclusivement des hommes, soient pris en charge par leur épouse s’ils étaient mariés, ou par d’autres membres de la famille s’ils ne l’étaient pas. On avait donc ajouté à la Loi sur les pensions toutes sortes de bonifications et d’allocations particulières afin de reconnaître et d’indemniser ces responsabilités supplémentaires qui retombaient sur les membres de la famille. Ces avantages sont disparus avec l’adoption de la Nouvelle Charte des Anciens combattants, mais on a continué à présumer que si le vétéran avait besoin d’une attention continue à la maison, la conjointe s’en chargerait tout naturellement.

Or, la notion même « d’aidant » est apparue lorsqu’on s’est mis à dissocier le rôle de « conjoint » et celui de « fournisseur de soins ». L’accès des femmes à l’autonomie professionnelle a rendu possible cette distinction et on ne s’attend plus à ce qu’elles en fassent le sacrifice pour s’occuper d’un conjoint malade ou souffrant d’une invalidité. Dans le cas des vétérans qui sont clients d’ACC, l’invalidité a été causée par le service militaire. À ce titre, le ministère a prévu toute une série de programmes qui viennent complémenter les régimes provinciaux et territoriaux pour les vétérans. Les seuls services qui ne reçoivent pas de compensation financière complémentaire à celle des autres régimes sont ceux qui sont prodigués gratuitement par les aidants.

Cette incohérence apparaît clairement si on se demande ce qui arriverait si un vétéran souffrant d’une invalidité mentale grave ne pouvait pas compter sur le soutien d’un aidant, membre de la famille ou non. Dans ce cas, il est évident qu’on s’attendrait à ce qu’ACC déploie tous les efforts nécessaires pour procurer tous les services appropriés à ce vétéran. On ne lui demanderait pas de se trouver un conjoint.

Comme on l’a vu dans ce rapport, si le vétéran a le bonheur de pouvoir compter sur le soutien d’une personne de son entourage, la personne qui a choisi de remplir ce rôle est en droit de réclamer du soutien financier et psychologique pour y arriver. Or, la réponse officielle du ministère est que ce soutien relève des provinces et des territoires, alors que les régimes provinciaux et territoriaux ne couvrent pas les soins psychologiques.

Sur le strict plan juridique, il n’y a que pour les militaires en service que la fourniture des soins de santé incombe au gouvernement fédéral. Pour les soins aux vétérans, la responsabilité revient aux provinces, tout comme pour les membres de leur famille. Le gouvernement fédéral a toutefois continué d’offrir aux vétérans des soins de santé qui viennent complémenter ceux offerts par les régimes provinciaux ou territoriaux.

Les membres du Comité sont donc d’accord pour affirmer qu’ACC devrait complémenter le soutien offert par les régimes provinciaux et territoriaux aux membres de la famille et aux autres aidants des vétérans. Sur le plan financier, ce soutien devrait être au moins aussi généreux que celui déjà offert au sein des FAC lorsqu’un militaire souffrant d’une invalidité grave attend d’être libéré de son service. Les critères d’admissibilité devraient être les mêmes que ceux qui sont offerts aux vétérans qui bénéficient de l’allocation pour soins en vertu de la Loi sur les pensions. Pour le soutien psychologique dont les membres de la famille et les aidants pourraient avoir besoin lorsqu’ils vivent avec un vétéran souffrant de problèmes de santé mentale, il faudrait leur offrir davantage que ce à quoi les fonctionnaires fédéraux sont automatiquement admissibles puisque c’est le service militaire qui est la cause de l’invalidité.

Ces quelques mesures, ainsi que d’autres qui ont été présentées dans ce rapport, enverraient un message clair et conforme aux déclarations publiques d’ACC sur l’importance de la famille et le rôle irremplaçable des aidants. À long terme, ce seront les enfants des vétérans qui en bénéficieront le plus et ils n’hésiteront pas à manifester leur fierté pour ce que leurs parents ont accompli pour la défense de leur pays.


[1]              Chambre des communes, Comité permanent sur les affaires des vétérans (ACVA), Témoignages, 22 mars 2021, 1535 (Dr John Whelan, psychologue principal, Whelan Psychological Services inc.).

[2]              ACVA, La santé mentale chez les vétérans canadiens : une mission de famille, section 3, juin 2017.

[3]              ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1610 (M. Sean Bruyea, capitaine à la retraite, chroniqueur et défenseur, à titre personnel).

[4]              ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1535 (Dr John Whelan).

[5]              Caregivers’ Brigade, « Mémoire déposé à ACVA », 23 mars 2021.

[6]              Programme des services aux familles des militaires, « Section quatre – Prendre soin des aidants », Pour faciliter votre transition : Journal des familles des vétérans, p. 45.

[7]              ACC, « Réponse à une question d’ACVA », réunion du 17 février 2021.

[8]              ACVA, Témoignages, 20 mars 2017, 1650 (Mme Chantale Malette, gestionnaire nationale, Relations opérationnelles et des clients, Services d’aide aux employés, Santé Canada).

[9]              ACVA, Témoignages, 20 mars 2017, 1700 (Dre Cyd Courchesne, directrice générale, Direction Générale des Professionnels de la santé, médecin-chef, Anciens Combattants Canada).

[10]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, Rapport sur les avantages pour soins de santé mentale destinés aux membres des familles, de plein droit, pour des problèmes de santé mentale liés au service militaire, 19 janvier 2021, p. 26.

[11]            Anciens Combattants Canada (ACC), « Politique sur l’allocation de reconnaissance pour aidant », document 2692, entrée en vigueur le 1er avril 2019.

[12]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1805 (Mme Crystal Garrett‑Baird, directrice générale, Politique et recherche, Anciens Combattants Canada).

[13]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1625 (Mme Marie‑Andrée Malette, directrice pour les familles des vétérans, Caregivers’ Brigade).

[14]            ACVA, Témoignages, 21 avril 2021, 1550-1555 (Dr Greg Passey, psychiatre, à titre personnel).

[15]            ACC, « Politique sur l’allocation de reconnaissance pour aidant », document 2692, entrée en vigueur le 1er avril 2019.

[16]            Conseil national des associations d’anciens combattants, « Mémoire déposé à ACVA », 26 mars 2021.

[17]            ACVA, Témoignages, 21 avril 2021, 1620 (M. Richard Gauthier, Association du Royal 22e Régiment).

[18]            Conseil national des associations d’anciens combattants, « Mémoire déposé à ACVA », 26 mars 2021.

[19]            ACVA, Témoignages, 21 avril 2021, 1635 (Dr Greg Passey).

[20]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1835 (M. Mitch Freeman, directeur général, Gestion des programmes et de la prestation des services, ministère des Anciens Combattants).

[21]            ACC, Accès au Régime de soins de santé de la fonction publique – Programme de soins de santé.

[22]            Syndicat des employé-e-s des Anciens Combattants, « Mémoire à ACVA », 23 mars 2021.

[23]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1725 (Dr John Whelan).

[24]            ACC, Évaluation de la nouvelle charte des Anciens Combattants – Phase I, décembre 2009, p. 30.

[25]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, « Les familles des vétérans : se soucier de ceux pour qui ça compte », 16 août 2016.

[26]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1840 (Colonelle (à la retraite) Nishika Jardine, ombudsman des vétérans, Bureau de l’ombudsman des vétérans).

[27]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1920 (Colonelle (à la retraite) Nishika Jardine).

[28]            ACVA, Témoignages, 21 avril 2021, 1535 (Major-général (à la retraite) Glynne Hines (à titre personnel)).

[29]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1535 (Dr John Whelan).

[30]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1640 (Dr John Whelan).

[31]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1535 (Dr John Whelan).

[32]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1545 (Mme Tracy Lee Evanshen, à titre personnel).

[33]            Mme Helena Broad, Lettre à ACVA, 29 mars 2021.

[34]            ACC, Politique touchant la santé mentale (programme de choix no 12), document 1104, 1er avril 2019.

[35]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, Rapport sur les avantages pour soins de santé mentale destinés aux membres des familles, de plein droit, pour des problèmes de santé mentale liés au service militaire, 19 janvier 2021, p. 20.

[36]            ACC, Évaluation de la nouvelle charte des Anciens Combattants – Phase I, décembre 2009, p. 30.

[37]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, Rapport sur les avantages pour soins de santé mentale destinés aux membres des familles, de plein droit, pour des problèmes de santé mentale liés au service militaire, 19 janvier 2021, p. 6.

[38]            ACC, Politique touchant la santé mentale (programme de choix no 12), document 1104, 1er avril 2019.

[39]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, Soutien aux familles militaires en transition : l’examen, janvier 2016, p. 13.

[40]            Voir la conférence de presse du ministre des Anciens Combattants, l’hon. Seamus O’Regan, le 25 septembre 2018 [disponible en anglais seulement].

[41]            Bureau de l’ombudsman des vétérans, Rapport sur les avantages pour soins de santé mentale destinés aux membres des familles, de plein droit, pour des problèmes de santé mentale liés au service militaire, 19 janvier 2021, p. 25.

[42]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1610 (M. Sean Bruyea).

[43]            ACC, Accès au Régime de soins de santé de la fonction publique – Programme de soins de santé.

[44]            ACC, « Réponse à une question du Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes », 5 mars 2021.

[45]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1805 (Mme Crystal Garrett‑Baird).

[46]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1625 (Mme Marie‑Andrée Malette).

[47]            ACC, « Réponse à une question d’ACVA », réunion du 17 février 2021.

[48]            M. Derek Hollingworth, Lettre à ACVA, 31 mars 2021.

[49]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1630 (Mme Jeanette McLeod, directrice de l’éducation communautaire, Caregivers’ Brigade).

[50]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1635 (Mme Jeanette McLeod).

[51]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1715 (Mme Marie‑Andrée Malette).

[52]            ACVA, Témoignages, 21 avril 2021, 1615 (Dr Greg Passey).

[53]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1700 (Dre Heather Mackinnon, docteure en médicine, à titre personnel).

[54]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1555 (M. Gerry White, capitaine de corvette (à la retraite), à titre personnel).

[55]            ACVA, Témoignages, 17 février 2021, 1900 (M. Duane Schippers, directeur et conseiller juridique, Examen et analyse stratégiques, Bureau de l’ombudsman des vétérans).

[56]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1650 (Mme Marie‑Andrée Malette).

[57]            ACVA, Témoignages, 8 mars 2021, 1725 (Mme Marie‑Andrée Malette).

[58]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1540 (M. Sean Bruyea).

[59]            M. Roy MacEachern, « Mémoire soumis à ACVA », 6 avril 2021.

[60]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1555 (Dre Heather MacKinnon).

[61]            ACVA, Témoignages, 22 mars 2021, 1710 (Dr John Whelan).

[62]            M. Sean Bruyea, « Mémoire soumis à ACVA », Recommandation 19, 8 avril 2021.