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CIIT Rapport du Comité

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LE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS ENTRE INVESTISSEURS ET ÉTATS : MATIÈRE À RÉFLEXION POUR LE CANADA

Introduction

Dans les accords internationaux sur le commerce et les investissements, les dispositions conçues pour protéger les investissements comprennent habituellement un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) qui donne aux investisseurs d’un des signataires d’une entente le droit d’accéder à un arbitrage contraignant pour régler un différend s’ils estiment que le gouvernement de l’autre signataire a manqué à ses obligations en matière de protection des investissements.

Bon nombre des accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada comprennent un mécanisme de RDIE. C’est notamment le cas des accords commerciaux suivants, que le Canada a signés récemment : l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE). Par ailleurs, le Canada a signé des accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers qui contiennent un mécanisme de RDIE, comme l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et Hong Kong, l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et la Chine et l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers entre le Canada et l’Ukraine.

Le 23 octobre 2020, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion afin d’entreprendre une étude sur les conséquences des mécanismes de RDIE. Au cours des trois réunions qui ont porté sur cette étude, le Comité a entendu les témoignages de la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, de représentants gouvernementaux, d’un représentant d’une organisation de la société civile et de huit personnes qui ont comparu à titre personnel. Le Comité a également reçu un mémoire du Centre canadien de politiques alternatives.

Selon La procédure et les usages de la Chambre des communes, « [u]n comité peut choisir ses témoins de différentes manières. Normalement, ceux-ci sont proposés par ses membres. » Aux fins de la présente étude, les membres du Comité ont soumis les noms des témoins proposés par ordre de priorité, et les témoins ont été invités à comparaître dans une proportion correspondant à la représentation des différents partis politiques à la Chambre des communes.

Le présent rapport résume les observations formulées par les témoins lors de leur comparution ainsi que dans le mémoire sur les mécanismes de RDIE. La première section présente brièvement certains principes des mécanismes de RDIE et énonce certains de leurs avantages et de leurs inconvénients, alors que la deuxième section porte sur des initiatives qui sont en cours pour réformer ces mécanismes. La troisième section décrit les mécanismes employés dans les accords actuels du Canada sur le commerce et les investissements, ainsi que plusieurs de leurs conséquences sur divers groupes au pays. La quatrième section, quant à elle, porte sur l’approche qu’adoptera le Canada à l’égard des mécanismes de RDIE dans ses futurs accords. Les réflexions et les recommandations du Comité concluent le rapport.

Quelques principes, avantages et inconvénients de ces mécanismes

Les témoins qui ont comparu devant le Comité ont présenté quelques principes des mécanismes de RDIE. En outre, la plupart ont indiqué que ces mécanismes comportent plus d’avantages que d’inconvénients, mentionnant certains des avantages – comme la promotion de la dépolitisation et l’apaisement des différends liés aux investissements, la protection des investissements canadiens à l’étranger et la réduction de la diversité des décisions d’arbitrage – de même que certains des inconvénients – comme l’effet de « frilosité réglementaire » et l’incidence sur la protection environnementale.

A. Quelques principes

Selon Charles-Emmanuel Côté, de l’Université Laval, qui a comparu à titre personnel, l’une des « caractéristiques fondamentales » des mécanismes de RDIE, c’est qu’il y a « consentement des parties » à y avoir recours pour régler les différends de manière contraignante. Selon lui, « les États donnent leur consentement à l’avance, alors que les investisseurs le donnent quand ils font une réclamation ».

Patrick Leblond, de l’Université d’Ottawa, qui a comparu à titre personnel, a expliqué que les mécanismes de RDIE intégrés aux accords sur le commerce et les investissements « servent à fournir un cadre de résolution de conflits neutre, c’est-à-dire non politisé ou impartial, et efficient » lorsque les mesures discriminatoires d’un gouvernement envers un investisseur étranger entraînent une perte d’actifs ou une perte de valeur des actifs. Il a ajouté que ceux qui investissent « dans des pays où les tribunaux sont peu fiables » préfèrent la protection des investissements qui est offerte par les mécanismes de RDIE.

De l’avis d’Armand de Mestral, de l’Université McGill, qui a témoigné à titre personnel, les mécanismes de RDIE permettent aux tribunaux d’arbitrage de prendre des décisions exécutoires. Il a aussi fait observer que ces tribunaux disposent de pouvoirs de procédure semblables à ceux des tribunaux nationaux.

B. Quelques avantages

En ce qui concerne la dépolitisation et l’apaisement des différends, Charles-Emmanuel Côté a indiqué que les mécanismes de RDIE offrent principalement un « avantage politique [qui] contribue à dépolitiser le règlement des différends liés à l’investissement ». Par conséquent, a‑t‑il fait observer, les gouvernements ne sont pas tenus d’intervenir dans les différends qui concernent leurs investisseurs dans d’autres pays. Dans la même veine, Armand de Mestral a signalé que les gouvernements préfèrent que « ces différends soient cantonnés sur un plan beaucoup moins politique ». Comparaissant à titre personnel, Mark Warner, de la firme MAAW Law, a également indiqué que les mécanismes de RDIE ont aussi pour avantage de « ramener » les conflits « dans la sphère privée justement dans le but de les dépolitiser ».

Barry Appleton, de la New York Law School, qui a comparu à titre personnel, a indiqué que les mécanismes de RDIE permettent « le compartimentage et la désescalade » des différends. Il a expliqué qu’ils assurent que les décisions sur « l’application de traitements discriminatoires, inadéquats, injustes ou même corrompus contre les [investisseurs] Canadiens puissent être réglées » à l’étranger sans que le gouvernement du Canada ait à intervenir sur le plan diplomatique pour protéger les intérêts de ces investisseurs.

En ce qui concerne la protection des investisseurs canadiens à l’étranger, la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international a fait valoir que le Canada cherche à atteindre « un équilibre judicieux de dispositions sur le RDIE pour des entreprises afin qu’elles investissent en toute confiance tout en nous assurant en même temps qu’un pays continue de conserver le droit de réglementer dans l’intérêt du public. »

Soulignant que le Canada est maintenant un « importateur net de capitaux », Mark Warner a soutenu que les mécanismes de RDIE protègent les investissements canadiens à l’étranger. Pour sa part, Charles-Emmanuel Côté a indiqué que, « [j]usqu'aux années 1990, le Canada était essentiellement un importateur net de capitaux étrangers » et que depuis, « le Canada est un exportateur net de capitaux étrangers ».

Selon l’honorable Yves Fortier, du Cabinet Yves Fortier, qui a comparu à titre personnel, les récents événements géopolitiques – dont « [l]’imposition des tarifs et le trumpisme […] font foi » – soulignent « la nécessité de maintenir [les mécanismes de] RDIE » dans les accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada. À son avis, comme certains pays sont perçus comme étant « hostiles aux investissements étrangers », les investisseurs étrangers évitent les tribunaux nationaux et ont plutôt recours aux mécanismes de RDIE pour résoudre leurs différends. De l’avis de Charles-Emmanuel Côté,  « le RDIE peut rassurer les investisseurs ».

En outre, l’honorable Yves Fortier a fait valoir que l’une des « plus grandes forces » des mécanismes de RDIE est l’absence de processus d’appel, ce qui assure, a‑t‑il souligné, « la finalité des décisions et l’absence de délais » occasionnés par le processus judiciaire national qui pourrait être utilisé comme solution de rechange. Charles-Emmanuel Côté a affirmé que « le RDIE apparaît comme un outil ou un instrument pour régler ces différends, qui existent depuis toujours et qui existeront de toute manière ».

Les représentants d’Affaires mondiales Canada ont déclaré que grâce aux mécanismes de RDIE, e le Canada bénéficie « d'un important avantage parce que nous avons un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États dans les pays où nous avons investi dans le secteur minier et dans divers autres secteurs ». Comparaissant à titre personnel, Lawrence Herman, du cabinet Herman and Associates, a noté que les mécanismes de RDIE comportent « un avantage pour les capitaux canadiens », précisant que « dans d’autres procédures d’arbitrage en cours qui ne concernent pas le secteur de l’extraction, des investisseurs canadiens ont eu recours » à ces mécanismes.

Au sujet de la diversité des décisions d’arbitrage liées aux investisseurs étrangers, Armand de Mestral a déclaré que si « tous ces différends sont renvoyés devant les tribunaux nationaux, il y aura 189 solutions différentes ». De même, Patrick Leblond a signalé que « les entreprises canadiennes [feraient] alors face à plus d’incertitude lorsqu’elles [feraient] des affaires à l’étranger » et qu’elles auraient à « faire face à 189 règles différentes, c’est-à-dire une règle pour chaque pays. »

C. Quelques inconvénients

Gus Van Harten, de l’Université York, qui a comparu à titre personnel, a fait observer que les gouvernements risquent de modifier leur réglementation en fonction de décisions découlant de plaintes formulées par des investisseurs étrangers au moyen des mécanismes de RDIE. En outre, selon lui, le pouvoir des arbitres de RDIE « d’interpréter un libellé imprécis » dans les accords sur le commerce et les investissements et d’ordonner aux gouvernements de verser des dommages « pouvant atteindre des milliards de dollars » est « extraordinaire ».

Dans un mémoire soumis au Comité, le Centre canadien de politiques alternatives a estimé que la « pire conséquence » des mécanismes de RDIE est le droit accordé à des investisseurs étrangers de « contester des mesures de politique publique vitales et légitimes » devant un tribunal d’arbitrage. Le Réseau pour le commerce juste a signalé que les gouvernements déploient « de grands renforts d’énergie » pour déterminer si leurs projets de règlement sont susceptibles d’enfreindre les mécanismes de RDIE et, souvent, ils jugent que « les risques sont trop élevés pour même tenter le coup », ce qui donne lieu à la « frilosité » réglementaire. Il soutient aussi que les mécanismes de RDIE sont « la manifestation la plus flagrante de la priorisation des droits des entreprises » et il estime que le gouvernement du Canada ne doit pas accorder à des investisseurs étrangers des droits différents de ceux dont jouissent les investisseurs nationaux.

Pour ce qui est de la « frilosité réglementaire » qui, selon certains, coexiste avec les mécanismes de RDIE, Barry Appleton a soutenu que « [l]es restrictions sur la politique publique canadienne découlent des textes des traités, et non du processus d’arbitrage investisseur-État ». À son avis, la « longue liste d’exceptions sur la base des politiques publiques » qui figure dans les accords sur le commerce et les investissements permet aux gouvernements d’adopter des règlements dans l’intérêt du public, et il a estimé que les représentants du gouvernement doivent miser sur ces exceptions à cette fin.

Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, le Réseau pour le commerce juste a estimé que le risque de plaintes éventuelles au titre des mécanismes de RDIE contre les gouvernements, qui s’exposeraient à des millions de dollars en dommages, empêchent ceux‑ci de prendre des mesures « pour protéger la santé de leur population », comme la production de vaccins génériques.

En ce qui concerne les plaintes pour des motifs environnementaux formulées au titre du RDIE, le Réseau pour le commerce juste a fait remarquer que des investisseurs canadiens « ont eu recours au RDIE […] pour s’en prendre de façon démesurée aux politiques environnementales adoptées par les pays en voie de développement », ce qui, selon le Réseau, constitue un obstacle aux « efforts de lutte contre les changements climatiques » déployés par ces pays. Le Centre canadien de politiques alternatives a décrit les investisseurs canadiens – particulièrement dans les secteurs minier et énergétique – comme de « grands utilisateurs du RDIE contre d’autres gouvernements ». En outre, il a affirmé que les mesures de protection de l’environnement et de gestion des ressources naturelles du Canada « ont été une cible privilégiée » et qu’elles sont visées par plus de 60 % des plaintes déposées contre le pays au titre du RDIE. Selon le Centre canadien de politiques alternatives, ces plaintes « sapent les efforts de protection de l’environnement qui bénéficieraient à la communauté mondiale ».

Efforts actuels pour réformer ces mécanismes

À l’occasion de leur comparution devant le Comité, des témoins ont fait des observations générales sur des tentatives de réforme des mécanismes de RDIE, plus particulièrement sur certains efforts déployés au Canada et ailleurs dans le monde.

A. Observations générales sur les efforts de réforme

Gus Van Harten a estimé que les efforts déployés pour réformer les mécanismes de RDIE « sont en quelque sorte dispersés, [qu]’ils prennent du temps ou [qu’ils] sont peu prometteurs ». Patrick Leblond, quant à lui, a insisté sur le fait qu’il faut « focaliser les énergies » des gouvernements afin de rendre ces mécanismes « plus justes, transparents et accessibles ».

En ce qui concerne les réformes procédurales, Armand de Mestral a fait remarquer que de nombreux accords sur le commerce et les investissements excluent maintenant certaines « formes » de plaintes au titre du RDIE, notamment celles qui sont jugées « frivoles ou manifestement non fondées ». Pour ce qui est des arbitres en matière de RDIE, il a affirmé que ceux‑ci sont désormais nommés « avec beaucoup plus de soin » que dans le passé et qu’ils doivent respecter des codes de conduite. Il a également laissé entendre qu’« il y a de plus en plus de diversité au sein de la communauté des arbitres ».

B. Efforts déployés au Canada

Du côté du Canada, les représentants d’Affaires mondiales Canada ont signalé que des discussions ont eu lieu « avec des organisations de la société civile, des syndicats, des partenaires autochtones, des associations professionnelles, des régimes de retraite, des juristes et des universitaires ainsi qu’avec [les] provinces et territoires » au sujet du modèle de RDIE qui figure dans les accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers du pays. Signalant qu’ils avaient fait « énormément d’analyses » sur ce modèle, ils ont fait observer que celles‑ci constituent le fondement d’un nouveau modèle « exhaustif, inclusif et moderne » qui – selon eux – sera publié bientôt par le gouvernement du Canada. Ils ont également déclaré que le gouvernement fournira « l’analyse interne » qui a orienté l’élaboration du nouveau modèle.

Armand de Mestral a soutenu « la façon dont le gouvernement du Canada a tenté de moderniser […] le plus possible [ses accords sur le commerce et les investissements] ». Il a fait observer que des « réformes procédurales » ont été apportées à certains « grands » accords du Canada sur le commerce et les investissements, ce qui indique, selon lui, que le processus de réforme du RDIE est « largement entamé et […] n’est certainement pas terminé ».

C. Efforts déployés ailleurs dans le monde

Pour ce qui est des efforts de réformes du RDIE déployés dans le monde, l’honorable Yves Fortier a mentionné que l’UE propose la création d’un tribunal multilatéral des investissements au Groupe de travail III : Réforme du règlement des différends entre investisseurs et États de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Il a souligné que le tribunal proposé serait une « entité permanente comportant deux niveaux, soit un tribunal de première instance et un tribunal d’appel. Ces deux tribunaux compteraient sur les services d’arbitres à temps plein assujettis à des exigences strictes en matière d’éthique et de diversité. » Armand de Mestral a dit que le Canada a tout intérêt à appuyer la proposition de l’UE et il a estimé que le tribunal proposé pourrait finir « par être constitué à parts égales d’hommes et de femmes ».

Les mécanismes employés dans les accords conclus par le Canada et leurs conséquences

Des témoins ont parlé au Comité des mécanismes de RDIE employés dans les accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada, ainsi que de leurs conséquences sur les investisseurs canadiens à l’étranger et d’autres groupes en sol canadien.

A. Mécanismes présents dans les accords conclus par le Canada

Affirmant que les mécanismes de RDIE inclus dans les accords commerciaux du Canada « offre[nt] une protection pour les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger », la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international a fait valoir que les investisseurs canadiens peuvent ainsi « accéder avec confiance à ces marchés internationaux ».

Le Centre canadien de politiques alternatives a signalé que malgré l’absence de mécanisme de RDIE entre le Canada et les États‑Unis dans le cadre de l’ACEUM, le gouvernement canadien demeure « empêtré dans un vaste réseau d’accords bilatéraux et régionaux » qui comprennent de tels mécanismes. Il a mentionné en particulier le PTPGP et les accords commerciaux « globaux » du Canada avec des pays comme la Corée du Sud, le Chili, la Colombie « et d’autres pays plus petits ».

Gus Van Harten a affirmé qu’on a « fait fausse route » en intégrant un mécanisme de RDIE au PTPGP parce que, à ce moment‑là, le Canada et l’UE étaient en train de « modifier le mécanisme de RDIE aux termes l’AECG » et que le Canada « s’apprêt[ait] à [s’]en retirer dans le cadre de l’ALENA » en n’intégrant pas de mécanisme du genre entre le Canada et les États‑Unis dans l’ACEUM.

Lawrence Herman, de la firme Herman and Associates, s’est concentré sur l’AECG et a mentionné que les réformes apportées récemment à son mécanisme de RDIE « doivent être ratifiées par tous les États membres ». Il a exprimé un certain scepticisme à l’égard de cette ratification et, en conséquence, il a estimé que l’« AECG sera donc maintenu pendant un certain temps sans ces dispositions [modifiées] relatives au RDIE ».

Charles-Emmanuel Côté a souligné le fait que, en raison « de la démarche un peu incohérente du Canada » au sujet des mécanismes de RDIE, « il peut être relativement aisé pour un investisseur [étranger] de contourner l’abandon [éventuel] du RDIE [par le Canada] » en investissant ici par l’intermédiaire de filiales situées dans des pays avec lesquels le Canada a des accords sur les investissements.

B. Plusieurs conséquences sur divers groupes

En ce qui a trait aux conséquences des mécanismes de RDIE sur les investisseurs canadiens à l’étranger, Charles-Emmanuel Côté a déclaré que les investisseurs canadiens « arrivent au cinquième rang parmi les plus grands utilisateurs [des mécanismes de] RDIE au monde » et que, « [j]usqu’à maintenant, 55 réclamations ont été faites par des investisseurs canadiens à l’étranger ». Gus Van Harten a affirmé que des investisseurs canadiens à l’étranger « subiront certains revers » et « ne seront pas aussi bien lotis » si les mécanismes de RDIE sont retirés des accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada. Selon lui, toutefois, le gouvernement du Canada serait avantagé dans « l’ensemble », car s’il n’a pas « à s’inquiéter » de devoir verser potentiellement des « milliards de dollars » à la suite de plaintes au titre du RDIE, il sera plus à même d’édicter des règlements dans l’intérêt du public et de « répondre à une future crise ».

Patrick Leblond a fait valoir que, si l’objectif consiste à protéger les investissements canadiens à l’étranger, il faut que les accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada disposent d’un mécanisme de RDIE. Selon lui, les entreprises canadiennes qui investissent à l’étranger « seraient désavantagées » si leurs investissements ne sont pas protégés par des mécanismes de RDIE qui sont au moins aussi efficaces que ceux auxquels ont accès leurs concurrents d’autres pays. Charles‑Emmanuel Côté a fait observer que le Canada doit adopter « une approche plus raisonnée et plus systématique » pour protéger ces investissements. Il a avancé qu’il est « impératif » de commencer par définir les besoins de ces investisseurs et qu’il « faut » aussi déterminer si le gouvernement du Canada « souhaite avoir la responsabilité de régler les différends de toutes les entreprises canadiennes à l’étranger » s’il décide de retirer les mécanismes de RDIE de ses accords.

Selon Mark Warner, les entreprises canadiennes qui veulent investir à l’étranger vont « vouloir obtenir une forme quelconque d’assurance » si elles « n’[ont] pas accès à un recours comme le RDIE ». Il a fait valoir que les mécanismes de RDIE écartent pour ces investisseurs la nécessité de créer « un régime d’assurance fortement subventionné ». À son avis, si Exportation et développement Canada offre une assurance pour ces investissements à l’étranger, ce sont alors les contribuables canadiens « qui, en fin de compte, assumeron[t] ce risque ». Le Réseau pour le commerce juste a soutenu que ni les Canadiens ni le gouvernement canadien n’ont la « responsabilité » d’assurer les entreprises qui investissent à l’étranger et il a fait observer que le gouvernement devrait exiger que ces entreprises souscrivent une assurance.

En ce qui concerne les conséquences des mécanismes de RDIE sur les petites et moyennes entreprises canadiennes qui investissent à l’étranger, Gus Van Harten a fait valoir qu’inclure un mécanisme de RDIE dans des accords sur le commerce et les investissements « [n’]aidera pas [ces entreprises] parce [qu’elles] n’ont pas les moyens d’intenter des poursuites ». Il a affirmé qu’un « mécanisme d’État à État » est nécessaire pour les protéger. Barry Appleton a émis un point de vue différent et il a déclaré qu'un mécanisme de RDIE dans de tels accords est « plus important […] pour les petites entreprises, car celles-ci n’ont pas accès aux réseaux d’influence ni à de grandes sommes d’argent. Or il faut que la justice soit accessible aux petits comme pour les grands. »

Pour ce qui est des conséquences des mécanismes de RDIE sur les droits des peuples autochtones au Canada, le Réseau pour le commerce juste a signalé qu’il doit y avoir « une représentation autochtone à la table des négociations » des accords commerciaux afin de « pleinement mettre en œuvre la [Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones] et les droits commerciaux des [peuples autochtones] ».

Approche préconisée à l’avenir par le Canada pour ces mécanismes

Lorsque les témoins ont parlé au Comité de l’approche préconisée par le Canada pour les mécanismes de RDIE dans ses accords sur le commerce et les investissements, leurs propos ont porté principalement sur le retrait de ces mécanismes des accords existants et sur leur inclusion dans les futurs accords.

A. Retrait des accords existants

Gus Van Harten a suggéré qu’il ne doit pas y avoir de mécanisme de RDIE dans les accords du Canada sur le commerce et les investissements et il a souligné la nécessité de maintenir et de renforcer « les capacités et la flexibilité » du gouvernement du Canada, ainsi que les « institutions nationales en [s]’appuyant sur le droit canadien, qui protège tous les investisseurs ». Il a lancé un appel au gouvernement pour qu’il élabore une « stratégie » afin de retirer ces mécanismes de ses accords « par tous les moyens possibles », qu’il affiche une « détermination douce » pendant qu’il s’efforce de retirer ces mécanismes, et qu’il limite les risques associés au RDIE dans toute la mesure du possible. Selon lui, l’absence de mécanisme de RDIE dans les accords conclus par le Canada présente un risque de répercussions négatives « faible », qu’on pourrait « réduire encore plus » si le retrait s’effectue « de manière calme et non provocatrice ». Lorsqu’il a mentionné que cette approche est semblable à celle qui a été privilégiée par l’Afrique du Sud, il a signalé que les investisseurs étrangers doivent pouvoir compter sur d’autres mesures de protection des investissements et il a recommandé l’adoption d’une mesure législative pour « rendre ces protections plus fiables ». Lawrence Herman a fait remarquer que le retrait des mécanismes de RDIE « au cas par cas » pourrait être une « approche viable ».

Le Centre canadien de politiques alternatives a proposé au gouvernement du Canada d’« éliminer progressivement » les mécanismes de RDIE au moyen d’une série de mesures : informer ses partenaires étrangers dans des accords sur la promotion et la protection des investissements étrangers de « la volonté du [Canada] de renégocier [ces accords] sur la base d’un nouveau modèle qui n’inclut pas de RDIE »; se retirer d’un accord « dès que possible » si un partenaire refuse de renégocier celui‑ci avec le Canada; offrir aux partenaires des accords commerciaux qui comportent un mécanisme de RDIE la possibilité de renégocier les dispositions de l’accord relatives aux investissements sur la base d’un nouveau modèle qui n’inclut pas de RDIE.

L’honorable Yves Fortier a toutefois une opinion différente sur la question, et il a affirmé que les mécanismes de RDIE doivent « continuer […] de faire partie de l’arsenal de la politique commerciale et étrangère du Canada ». À son avis, il est « essentiel […] que le Canada continue d’offrir la protection du RDIE aux investisseurs étrangers ». Il a fait valoir que retirer les mécanismes de RDIE des accords commerciaux du Canada pourrait porter ces investisseurs à croire que « le Canada n’est pas un partenaire commercial fiable ou sérieux ». Selon Lawrence Herman, le retrait de ces mécanismes serait « très difficile à réaliser sur les plans politiques, diplomatiques et juridiques ». Il estime qu’« il sera impossible de changer le régime de RDIE » qui est « enraciné » dans les accords sur le commerce et les investissements qui ont été conclus par le pays.

Charles-Emmanuel Côté a rappelé que l’existence des mécanismes de RDIE est « une considération parmi d’autres lors d’une décision d’investissement ». Il a fait remarquer que si ces mécanismes « devai[en]t disparaître, l’investissement étranger ne disparaîtrait pas pour autant ». Selon lui, le RDIE est « un outil ou un instrument pour régler [l]es différends, qui existent depuis toujours et qui existeront de toute manière ». Il a affirmé que, « sauf quelques exceptions assez connues, les dommages accordés représentent une très petite fraction des capitaux qui sont investis dans les États et dont ceux-ci ont besoin pour faire croître leur économie ».

Armand de Mestral, qui s’est concentré sur certains accords commerciaux signés par le Canada, a indiqué que « [l]’ALENA a en quelque sorte sonné le réveil au Canada » et a fait remarquer que le pays a été la cible des deux premières plaintes au titre du chapitre 11. Cependant, les représentants d’Affaires mondiales Canada ont affirmé que « très peu de poursuites [ont été intentées] contre le Canada par des investisseurs étrangers » dans le cadre du RDIE de cet accord.

Selon Gus Van Harten, l’absence de mécanisme de RDIE entre le Canada et les États‑Unis dans le cadre de l’ACEUM est une bonne chose. En revanche, Mark Warner a fait observer que cette situation pourrait entraîner « à nouveau » la politisation de tous les différends en matière de commerce et d’investissement entre les deux pays.

Par ailleurs, Gus Van Harten a mentionné qu’aucun mécanisme de RDIE ne s’applique entre l’Australie et la Nouvelle‑Zélande en raison d’« accords parallèles » conclus entre ces deux pays. À son avis, le Canada pourrait « conclure de tels accords parallèles avec ces mêmes pays […] ». Lawrence Herman partage cette opinion et il a avancé que le Canada pourrait négocier des accords parallèles bilatéraux avec des pays signataires du PTPGP pour « [éliminer] les dispositions de RDIE ».

Par rapport à certains pays, Barry Appleton a fait valoir que les mécanismes de RDIE protègent les entreprises canadiennes qui investissent dans le secteur minier au Venezuela. Les représentants d’Affaires mondiales Canada ont souligné que le Canada « bénéficie d’un important avantage » que lui offrent les mécanismes de RDIE dans ses accords sur le commerce et les investissements avec des pays où des Canadiens ont investi dans le secteur minier et divers autres secteurs.

B. Inclusion dans les futurs accords

Pour ce qui est de l’inclusion de mécanismes de RDIE dans de futurs accords sur le commerce et les investissements conclus par le Canada, la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international a déclaré qu’elle a « travaillé en étroite collaboration avec la communauté internationale » pour chercher « des mesures de protection en vue du [RDIE] pour des entreprises canadiennes à l’étranger tout en maintenant également [le] pouvoir de réglementation [du gouvernement du Canada] dans l’intérêt public ».

Les représentants d’Affaires mondiales Canada ont affirmé que l’inclusion possible d’un mécanisme de RDIE dans les futurs accords commerciaux du Canada « doit [être examiné] au cas par cas ». Ils ont expliqué que « [c]haque marché est un peu différent » et fait observer qu’inclure un mécanisme de RDIE dans un accord pourrait être « logique, surtout si [le Canada n’a] pas vraiment confiance à l’égard du système judiciaire d’un pays en particulier ».

Le Réseau pour le commerce juste a proposé que le Canada « [renonce] pour de bon » à inclure des mécanismes de RDIE dans ses accords sur le commerce et les investissements. Le Centre canadien de politiques alternatives, qui abondait dans le même sens, a également exhorté le Canada à ne pas ratifier les accords en attente qui contiennent de tels mécanismes.

Mark Warner, Charles-Emmanuel Côté, Armand de Mestral et Barry Appleton ont indiqué que le Canada devrait s’efforcer d’inclure un mécanisme de RDIE dans tout accord de libre‑échange éventuel entre le Canada et l’Indonésie.

Réflexions et recommandations du Comité

Les mécanismes de RDIE sont très répandus dans les accords internationaux sur le commerce et les investissements. Leurs avantages et leurs conséquences sont sujets à controverse et suscitent des opinions divergentes.

L’une des inquiétudes que suscitent les mécanismes de RDIE concerne la mesure dans laquelle ceux-ci limitent la capacité des gouvernements de prendre des décisions qui sont dans le meilleur intérêt du public qu’ils servent. Le Comité est conscient que la capacité d’agir dans l’intérêt de tous les Canadiens est particulièrement importante en période de crise, comme la pandémie qui demeure au premier plan des préoccupations de bien des gens. Aucune disposition d’un accord sur le commerce et les investissements conclu par le Canada – actuel ou futur – ne devrait restreindre la capacité du gouvernement du Canada à adopter des lois ou à prendre des règlements – rapidement, adéquatement et efficacement – d’une manière qui sert au mieux les intérêts des Canadiens. Dans cette optique, les exceptions qui permettent d’agir dans l’intérêt du public sont d’une importance capitale.

Les investissements étrangers peuvent contribuer à la prospérité économique d’un pays et, selon certains analystes et observateurs, les mécanismes de RDIE fournissent une protection nécessaire à ces investissements. Le Comité reconnaît qu’il est nécessaire de protéger les investissements à l’étranger, tout particulièrement lorsque les investissements sont réalisés dans des pays où le système judiciaire national est jugé peu fiable ou inadéquat. Les mécanismes de RDIE font partie depuis longtemps des options qui permettent de protéger les investissements étrangers.

Dans un monde en constante évolution, de nouvelles façons de faire des affaires, d’exercer des activités commerciales, de réaliser des investissements et de régler des différends émergent. Pour reconnaître cette évolution, le Comité note qu’un examen périodique des accords sur le commerce et les investissements – et des réformes nécessaires – doit avoir lieu. C’est pour cette raison que l’examen récent du modèle canadien de RDIE ainsi que d’autres activités d’examen et de réforme liées au RDIE, menées au pays et à l’étranger, sont intéressants. La transparence, l’accessibilité et l’équité accrues, de même que l’objectivité de l’arbitrage, la diversité des arbitres et la diminution des coûts liés aux poursuites devraient compter parmi les objectifs des efforts de réforme du RDIE.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité présente les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada s’engage à mener un examen périodique des accords sur le commerce et l’investissement que le Canada a signés. Dans le cadre de cet examen, le gouvernement devrait identifier les réformes nécessaires à mettre en place.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada s’engage à produire un rapport sur toutes les poursuites passées et actuelles contre le gouvernement du Canada et celles contre un gouvernement d’un État étranger faites par des entreprises canadiennes qui sont liées au mécanisme de règlement des différends investisseur-État. Ce rapport doit inclure le montant total déboursé en dommages à des investisseurs étrangers et tout autre coût pour le Canada.