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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 juin 1998

• 0908

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto Centre—Rosedale, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

Nous entendrons ce matin un groupe de témoins qui nous exposera la situation au Soudan. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Sandelle Scrimshaw du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

Je crois savoir que vous serez la première à intervenir. C'est vous qui donnerez le coup d'envoi. Vous serez suivi du prince Marciano Luwanla-Eli qui représente le Equatorian People of the Soudan. Je souhaite à tous la bienvenue.

Le troisième intervenant sera M. Gary Kenny de la Coaliation inter-Églises pour l'Afrique. Bonjour, monsieur Kenny.

Le quatrième intervenant sera M. Ron Robotham de la société Roll'n Oilfield Industries, de Red Deer.

Comparaît également M. Mel Middleton.

Je vais aussi déposer le mémoire d'une organisation de Toronto appelée Sudan Human Rights Organization.

[Français]

Ce document n'est pas dans les deux langues officielles, mais j'ai demandé au Bloc québécois la permission de le déposer en anglais. Nous le ferons traduire aussitôt que possible.

[Traduction]

Sans plus attendre, madame Scrimshaw, je vous invite à commencer.

Mme Sandelle Scrimshaw (directeur général de l'Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci beaucoup, monsieur le président. Certains d'entre vous savent peut-être pour janvier 1991, qu'une délégation de parlementaires canadiens s'est rendue au Soudan. À son retour, elle a déclaré que la situation dans la Corne de l'Afrique était périlleuse, chronique et en détérioration. Malheureusement, cette détérioration reste vraie à bien des égards aujourd'hui.

La population soudanaise continue d'être victime de guerres civiles chroniques. Dans certaines parties du sud plane à nouveau la perspective de la famine sur une grande échelle.

• 0910

On estime à plus d'un million et demi le nombre de personnes tuées depuis 15 ans que dure cette guerre incessante et à bien des égards oubliée. Le conflit soudanais est aussi complexe que jamais.

Le Canada a un rôle à jouer, mais notre capacité d'influencer la situation dans la région est limitée.

Dans les prochaines minutes, je vais essayer de décrire pour le comité la nature du conflit, la situation humanitaire qui règne au Soudan, faire le point sur le processus de paix et enfin discuter brièvement du rôle joué par le Canada.

Je vais d'abord aborder la question de la nature du conflit.

Ce pays est ravagé par la guerre civile depuis qu'il a accédé à l'indépendance en 1956. De fait, la paix n'a régné que pendant 11 ans, entre 1972 et 1983. Les derniers combats ont commencé en 1983 lorsque le président Nimeiri a tenté d'islamiser la totalité du pays et a imposé la loi coranique. Plusieurs mouvements armés de résistance s'y sont opposés dans la région du sud, à majorité noire, chrétienne et animiste.

La résistance contre le gouvernement a en grande partie été menée par le Mouvement de libération du peuple soudanais, du sud, dirigé par John Garang.

La situation s'est aggravée après le coup d'état de 1989 qui a porté au pouvoir le Front islamiste national dirigé par le général Omer Al-Bashir et son programme d'extrémistes religieux.

Toutefois, il faut comprendre que le conflit actuel n'est pas que le choc entre la culture arabe du nord et la culture africaine noire sub-saharienne, comme le dépeignent souvent les médias.

Il y a une dimension sud-sud au conflit, qui oppose l'ALPS, basée à Dinka au Mouvement pour l'indépendance du sud-Soudan, basé à Nur. Les deux groupes ethniques sont noirs et en grande partie chrétiens. Le MISS était lié avec le MLPS mais fait maintenant partie de la coalition gouvernementale qui lutte contre le MLPS.

Il y aussi un conflit politique et théologique nord-nord entre les intégristes islamiques du FIN et des éléments musulmans plus modérés.

Depuis 1996, les éléments du nord opposés au Front islamiste national se sont joints au MLPS dans une coalition d'opposition lâche appelée l'Alliance démocratique nationale.

Enfin, monsieur le président, il s'agit d'un conflit régional transnational. L'Erytrée, l'Ethiopie et l'Ouganda s'estiment tous des victimes de l'agression terroriste lancée par Khartoum et, pour cette raison, ils appuient aujourd'hui l'ADN.

C'est en décembre 1996 et au début de janvier 1997 que, pour la première fois, des forces d'opposition du nord et du sud se sont unies à l'occasion d'opérations combinées et ont lancé des attaques d'envergure contre les positions gouvernementales soudanaises le long de la frontière est du pays.

À la fin de mai 1997, il y a à peine un peu plus d'un an, les forces de l'ADN avaient pris le contrôle du territoire en bordure de la frontière du Soudan avec l'Ethiopie et l'Erytrée. D'autres forces de l'ALPS ont capturé un cordon de villes et de villages dans le sud du Soudan et ont menacé d'attaquer Juba, une grande ville du sud.

Actuellement, de grandes parties du sud du Soudan, à l'exception des grandes villes de garnison du sud, sont sous le contrôle de l'ALPS.

Les violations des droits de la personne se sont multipliées au fur et à mesure que la guerre civile s'est intensifiée. Les diverses parties au conflit se servent de la nourriture et de l'assistance humanitaire comme arme militaire et politique. Le vol de bétail, la destruction par le feu des denrées et des habitations font partie des opérations militaires.

À l'heure actuelle, les combats semblent à nouveau dans une impasse. Il n'y a à notre avis aucune solution militaire à ce conflit.

J'aimerais maintenant parler brièvement de la situation humanitaire au Soudan. Il est certain que la détérioration de l'économie de ce pays et le fait que ses ressources sont accaparées par l'effort de guerre, auquel s'ajoutent les vagues de réfugiés et de personnes déplacées par le conflit, ont créé une crise humanitaire grave et dorénavant chronique.

La Communauté internationale a négocié la création de l'Opération survie au Soudan, OSS, un consortium d'organismes de l'ONU et d'ONG fédérés sous l'égide de l'ONU dans le but d'apporter de l'aide d'urgence et d'autres secours aux civils victimes de la guerre dans le nord et dans le sud.

• 0915

La grande sécheresse de 1997 et les restrictions imposées par le gouvernement soudanais à la livraison d'aide alimentaire à cause de la multiplication des attaques par les rebelles ont rendu plus critique l'urgence de la situation dans le sud du Soudan.

Le Programme alimentaire mondial estime à plus de 930 000 le nombre de personnes ayant besoin d'aide alimentaire humanitaire dans le sud, dont 595 000 dans la région frappée par la famine de Bhar-el-Ghazar. La situation est également sérieuse dans les monts Nuba.

La gravité de la situation s'est atténuée lorsque le gouvernement soudanais a levé les restrictions sur la livraison d'aide humanitaire dans le sud; trois avions Hercules et trois avions Buffalo sont maintenant en service pour l'OSS.

Les renseignements les plus récents provenant du Programme alimentaire mondial indiquent que les donateurs ont répondu aux besoins pour l'immédiat. Les conditions climatiques seront toutefois un facteur déterminant du succès de l'opération.

J'aimerais maintenant faire le point du processus de paix.

L'IGAD, l'Autorité intergouvernementale pour le développement, est un organisme sous-régional qui regroupe Djibouti, la Somalie, l'Ethiopie, l'Erytrée, le Kenya et l'Ouganda. Elle a lancé une initiative de paix en 1993. En 1994, on espérait que la déclaration de principe de l'IGAD qui recommandait la réinstauration d'un régime laïque et d'un processus d'autodétermination dans le sud aboutirait à un accord.

Un groupe de coordination des pays donateurs, appelé le Forum des partenaires de l'IGAD, dont le Canada est un membre important, a offert des encouragements et de l'aide aux efforts de médiation de l'IGAD, mais a bien fait comprendre que le rôle des donateurs était de faciliter les choses et non de faire office de médiateur.

Pour le Forum partenaire de l'IGAD, la guerre ne peut être gagnée par ni l'un ni l'autre camp; deuxièmement, il n'y a pas d'autre choix que de négocier; troisièmement, les droits de la personne continueront d'être bafoués tant que la guerre durera; et, quatrièmement, l'aide ne peut être livrée efficacement et le développement ne peut pas se produire tant que la guerre ne sera pas terminée.

Malheureusement, les pourparlers de paix de l'IGAD sous la direction du Kenya ont échoué parce que le gouvernement du Soudan a refusé de discuter de la question de la laïcité par opposition à la loi coranique ainsi qu'à la question de l'autodétermination. Trois ans plus tard, à l'occasion du sommet de juillet 1997 de l'IGADS à Nairobi, le Soudan a accepté la déclaration de principe de l'IGADS, mais uniquement à des fins de discussion.

Depuis, les pourparlers ont progressé de façon épisodique et avec une lenteur accablante. N'ont pas été résolues les questions de l'État laïque, de la redéfinition des frontières et des modalités provisoires dans l'attente d'un référendum sur l'autodétermination.

Aux pourparlers de mai 1998, il y a à peine un mois, on s'est entendu en principe sur la tenue d'un référendum sur l'autodétermination. Les détails restent toutefois à négocier. Aucun progrès n'a été fait sur les autres questions en suspens et aucun accord n'a été conclu sur le cessez-le-feu demandé par le gouvernement soudanais. La prochaine série de négociations est prévue pour le mois d'août prochain.

Je veux maintenant vous parler du rôle que joue le Canada.

Les préoccupations canadiennes au Soudan se situent à trois niveaux. Premièrement, nous sommes préoccupés par la situation humanitaire et des droits de la personne qui a cours au pays; deuxièmement, nous craignons pour la sécurité des Canadiens au Soudan; et troisièmement, nous sommes préoccupés par la paix et la stabilité dans la Corne de l'Afrique.

Le Canada dénonce ardemment les violations des droits de la personne au Soudan. Nous avons fait connaître nos préoccupations à maintes reprises, notamment par l'entremise de notre ambassade à Addis Abeba, qui est accréditée auprès de Khartoum. Le Canada coparraine aussi régulièrement des résolutions à l'Assemblée générale de l'ONU et à la Commission des droits de la personne pour condamner les violations des droits de la personne commises par toutes les parties engagées dans la guerre civile.

À cause de ces violations des droits de la personne au Soudan, le Canada interdit depuis 1991 la vente de tout matériel militaire au Soudan. Il a aussi suspendu depuis 1992 l'aide bilatérale au développement de gouvernement à gouvernement.

À cause de la misère des Soudanais en proie aussi bien aux affres de la guerre civile qu'aux catastrophes naturelles, le Soudan reçoit beaucoup d'aide humanitaire du Canada. Depuis 1990, l'ACDI a accordé plus de 100 millions de dollars d'aide alimentaire et d'aide humanitaire d'urgence au Soudan par l'entremise des ONG et des organismes de l'ONU exerçant leurs activités sous l'égide de l'OSS et de la Croix-Rouge.

Le Canada, depuis de nombreuses années, exerce des pressions sur le Soudan pour qu'il facilite l'accès à l'OSS. Certaines régions demeurent fermées en raison des combats qui s'y déroulent ou des restrictions imposées par l'ALPS ou par le gouvernement soudanais. Le secrétaire d'État pour l'Amérique latine et l'Afrique, M. Kilgour, a écrit aux autorités soudanaises en avril dernier pour leur demander de permettre le libre accès aux livraisons d'aide humanitaire. En réponse aux pressions exercées par la communauté internationale, le gouvernement soudanais a assoupli ses restrictions.

• 0920

Le Canada a aussi exhorté les autorités soudanaises à donner sans tarder son autorisation pour qu'une équipe d'évaluation de l'OSS puisse se rendre dans les monts Nuba. En réponse directe à l'actuelle situation d'urgence, le Canada a aussi accordé pour près de 6 millions de dollars d'aide humanitaire depuis janvier dernier. Ce montant représente presque 10 p. 100 de toute l'aide humanitaire accordée par l'ACDI.

Nous avons fait savoir aux belligérants qu'il ne pourra y avoir de développement durable tant que la paix ne régnera pas. Le Canada pourrait un jour contribuer, quoique modestement, à la reconstruction, quand un règlement de la paix aura été conclu.

Il y a aussi une dimension consulaire à nos préoccupations. À cause de la guerre civile qui sévit dans ce pays, le ministère conseille depuis plusieurs années aux citoyens canadiens de reporter tout séjour au Soudan. Un certain nombre de pétrolières canadiennes ont décidé de travailler dans les conditions dangereuses qui existent dans le Sud du Soudan. Malheureusement, le gouvernement canadien n'a aucun recours juridique qui lui permettrait d'interdire les activités de ces pétrolières au Soudan. Cependant, nous les avons à maintes reprises alertées aux risques que court leur personnel et nous avons fait savoir à l'opposition soudanaise que le gouvernement canadien verrait d'un très mauvais oeil toute attaque contre des citoyens canadiens. Nous prenons au sérieux les avertissements des groupes de rebelles. Ces groupes considèrent les gisements pétrolifères productifs comme des cibles militaires légitimes et nous avons à maintes reprises communiqué nos préoccupations à cet égard aux pétrolières elles-mêmes ainsi qu'à leurs employés canadiens.

Nous travaillons en très étroite collaboration avec les pétrolières et avec notre mission afin de veiller à ce que des plans d'urgence soient en place et nous surveillons activement la situation dans la région.

En ce qui a trait à la paix et à la stabilité dans la Corne de l'Afrique, nous préconisons l'adoption de solutions régionales aux conflits. Nous avons versé 2,5 millions de dollars à l'Organisation de l'unité africaine pour l'appuyer dans ses démarches en faveur d'un mécanisme de résolution des conflits.

Nous sommes un membre fondateur actif du groupe de pays donateurs qui cherchent à promouvoir la coopération régionale dans la Corne de l'Afrique, à savoir le Forum des partenaires de l'IGADD dont j'ai déjà parlé. En juillet 1997, le Canada était au nombre des quatre membres de la mission d'enquête du FPI qui a participé au Sommet de l'IGADD tenu à Nairobi et qui a rencontré tous les ministres des Affaires étrangères de la région ainsi que les dirigeants de l'opposition du Sud afin de définir le rôle éventuel de la Communauté internationale dans le sentier logistique au processus de paix.

Nous avons contribué directement aux efforts de médiation de l'IGADD en finançant les services d'experts-conseils, en accordant pour 2,5 millions de dollars d'aide à des institutions et à des projets, notamment pour des activités liées à la gestion et à la prévention des conflits, et en réservant spécialement 35 000 $ à l'intention du fonds de paix de l'IGADD.

Quelles seront les prochaines étapes? D'abord, nous continuerons à surveiller de près les événements au Soudan, tant du point de vue humanitaire que du point de vue des droits de la personne. Nous continuerons à dialoguer avec le gouvernement soudanais et avec les représentants de l'opposition et à faire connaître nos préoccupations quant à la paix et à la stabilité dans la Corne de l'Afrique.

Nous reconnaissons toutefois que la complexité de la situation au Soudan est telle que le Canada n'a qu'un pouvoir d'action limitée. Seule la population de la région peut faire régner une paix durable. Le Canada continuera à concentrer ses efforts sur la collaboration de la communauté internationale à l'appui du processus de paix. Nous continuerons également à maintenir la pression sur toutes les parties au conflit en ce qui a trait aux principes de l'impartialité, de la neutralité et du libre accès de l'aide humanitaire ainsi que du respect des normes internationales relatives aux droits de la personne.

Nous poursuivons le dialogue avec le secteur privé et avec les ONG qui s'intéressent au Soudan. Nous surveillerons les événements et nous continuerons à discuter avec eux de leurs idées quant à la façon de contribuer à la paix au Soudan. Nous tentons d'ailleurs de fixer une date pour une table ronde sur le Soudan

Monsieur le président, nous tenons à remercier le comité permanent de nous avoir donné l'occasion de porter à l'intention du public cette guerre terrible qui sévit au Soudan et la gravité de la situation humanitaire dans ce pays. Je suis accompagnée aujourd'hui d'autres représentants du ministère des Affaires étrangères: M. Aubrey Morantz, Shig Uyeyama ainsi que M. Don McMaster, de l'ACDI, et de M. Marco Domaschio. Nous serons heureux de répondre aux questions que vous voudrez nous poser en ce qui concerne la politique du gouvernement canadien à l'égard de ce pays.

Le président: Merci beaucoup, madame Scrimshaw.

Monsieur Assadourian, vous avez dit que vous vouliez un éclaircissement.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Monsieur le président, je veux simplement obtenir un éclaircissement. Je crois savoir que nous avons plus d'une société pétrolière qui exerce son activité au Soudan, mais une seule de ces sociétés est ici comme témoin. Les autres ont-elles refusé de venir pour une raison quelconque? On les a invitées et elles ont refusé de venir?

• 0925

Le président: Non, la société pétrolière qui est ici est la seule qui avait exprimé son intérêt. Je crois savoir laquelle a manifesté le désir de témoigner et c'est la seule avec laquelle nous avons communiqué. Il y a en peut-être d'autres cependant.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Il y en a d'autres.

M. Sarkis Assadourian: Je suis préoccupé par le fait que nous risquons d'examiner la situation, non pas dans son ensemble, mais d'un point de vue bien particulier.

Le président: Nous serons prudents de ce côté-là. Ce n'est pas parce que vous vous inquiétez des actions pétrolières en Bourse. Vous ne vous inquiétez pas que l'une d'entre elles ait un avantage par rapport à une autre du fait de sa présence à ces audiences.

M. Mills est le spécialiste des gisements pétrolifères de Calgary, alors vous n'avez pas à vous inquiéter. Nous veillerons à obtenir toute l'information pertinente.

Nous avons encore quatre témoins à entendre. Si nous pouvions les entendre tous avant 10 heures, pour que nous ayons une heure complète pour les questions, cela serait utile. C'est généralement l'échange qui est le plus intéressant. Si les quatre témoins suivants pouvaient s'en tenir à 35 minutes environ, cela nous serait utile.

Le prince Marciano Luwanla-Eli (gardien du peuple équatorien du Soudan): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité permanent. Que Dieu vous bénisse tous et chacun.

L'histoire écrite du Soudan a commencé à l'époque des pharaons. Il va sans dire que c'est à partir du moment où le pays a été soumis à la domination turco-égyptienne que le cauchemar du peuple indigène du Soudan a commencé. C'est à ce moment-là qu'on a commencé à prendre des esclaves et à piller l'or et l'ivoire.

Quand la domination anglo-égyptienne a commencé, la situation est demeurée la même pendant un certain temps. Les Britanniques ont tenté de mettre fin au trafic des esclaves, mais les mauvais traitements infligés aux Soudanais du sud par les Arabes se sont poursuivis.

Les problèmes ont vraiment commencé l'échec de la Conférence de Juba de 1947 où on a discuté de la question de l'autonomie du Soudan a abouti à l'échec et la situation a empiré en 1954 quand toute la partie sud du Soudan a été exclue de la conférence finale tenue au Caire pour décider de l'indépendance pour le sud du Soudan et le Soudan en général.

Quand l'autonomie a été accordée et que toute l'administration du Soudan a été remise aux Soudanais du Nord, ils ont immédiatement entrepris leurs politiques d'islamilisation et d'arabisation ce qui n'a pas plu aux Soudanais du Sud. Ce qui fait que le corps d'armée soudanais du Sud entraîné par les Britanniques et se trouvant dans la ville de Torit dans le district d'Equatoria s'est mutiné, ce qui a signalé le début de la guerre civile qui a duré jusqu'en 1972 lorsqu'un accord a enfin été signé par Joseph Lagu, le chef de la résistance et Abel Alier, un représentant du gouvernement, lui-même Soudanais du sud.

Le même président qui était à l'origine de cet accord a décidé de l'abroger, tout d'abord en essayant d'annexer aux provinces du Nord les champs pétrolifères de Bentiu et ensuite en refusant de rendre le comté méridional d'Abei, le tout assorti d'un comportement totalitaire se traduisant par sa façon de gouverner le Sud par la guerre. Tout cela a alimenté les combats entre les tribus, les ethnies et les factions qui ont mené au génocide et à la purification ethnique.

À cause des bombardements aléatoires entrepris par le gouvernement de Khartoum, les terres fertiles comme celles que l'on trouve dans la partie ouest d'Equatoria ne sont pas cultivées parce que les gens se cachent des avions et de l'artillerie qui les bombardent. D'où une famine qui ravage la population du Sud, surtout les femmes et les enfants dénutris. Beaucoup meurent de maladies banales qui seraient sans conséquence si l'aide arrivait à point nommé.

• 0930

Nous adressons donc une demande, ou plutôt une supplique, au gouvernement canadien afin qu'il se penche sur la question des violations des droits de la personne au Soudan et plus précisément sur l'emprisonnement aléatoire des Soudanais méridionaux à la fois au sud et au nord du pays sans oublier l'islamilisation et l'arabisation forcées des peuples du Soudan méridional par le Croissant Rouge soudanais et l'Islamia Dawa qui se servent de l'aide alimentaire comme d'une arme pour atteindre leurs objectifs; de permettre aux médias, aux chefs religieux et aux chefs d'État qui désirent visiter le Soudan méridional, les camps de réfugiés de Khartoum et du Sud et toutes autres zones affectées par la guerre, la maladie et la famine, de pouvoir circuler librement et sans contrainte.

Nous demandons aussi que le gouvernement du Canada demande au M/ALPS de se pencher sur la question des violations des droits de la personne dans les zones libérées du Soudan méridional et plus particulièrement sur les mauvais traitements, l'emprisonnement et l'assassinat des autres tribus méridionales dont l'idéologie serait différente de la leur; sur l'emprisonnement et l'exécution de gens soupçonnés d'espionnage ou d'autres crimes mineurs; sur l'interdiction imposée aux médias et aux agences distribuant de l'aide alimentaire, des médicaments et des vêtements de circuler dans toutes les zones touchées par la guerre, la maladie et la famine; de prier instamment les organismes d'aide internationaux, surtout les organismes canadiens, de s'abstenir de faire preuve de partisanerie en accordant leur aide, quelle qu'elle soit, aux divers groupes ethniques du Soudan méridional ou qu'ils puissent se trouver dans les zones libérées du Soudan.

Cela dit, nous voudrions porter à l'attention du gouvernement canadien et du monde occidental en général le fait que sans la pleine participation du reste des tribus et des autres mouvements de libération du Soudan, et surtout de ceux du Sud dans leur lutte pour la liberté, la justice et l'égalité, la paix ne pourra se réaliser facilement sans destruction et dépopulation massives.

Nous prions donc le gouvernement canadien d'aider à mettre fin à une situation épouvantable qui pointe à l'heure actuelle au Soudan méridional et qui pourrait mener au génocide et à la purification ethnique en faisant pression auprès du gouvernement des E.U. pour encourager le M/ALPS à permettre librement aux autres mouvements de libération comme le A/MRP, c'est-à-dire l'Armée et le Mouvement de résistance patriotique, commandés par Alfred Ladu Gore, dont les soldats à l'heure actuelle se trouvent éparpillés dans tous les camps de réfugiés déplacés dans le Sud, de participer et d'agir pleinement et librement pour soustraire le peuple du Soudan au joug répressif de Khartoum.

Le président du A/MRP mentionné plus tôt a beaucoup d'influence au sud du Soudan, particulièrement chez le peuple équatorien, aux montagnes Nuba et à Ingessna. Plusieurs défections gouvernementales du M/ALPS de Khartoum sont reliées aux comportements abusifs déjà mentionnés dans notre rapport.

Nous demandons au gouvernement canadien d'inviter le président Alfred Ladu Gore, qui a été marginalisé par le M/APLS à venir expliquer au gouvernement du Canada comment il pourrait réussir à faire régner la paix au Soudan, rapidement et sans purification ethnique ou génocide du peuple de Soudan méridional ou du Soudan en général. Au moment où je vous parle, Alfred Ladu Gore se trouve en assignation à domicile et n'a pas le droit de communiquer soit à l'intérieur de l'Ouganda ou à l'étranger.

Nous implorons le gouvernement du Canada d'envoyer quelqu'un pour s'entretenir avec Alfred Ladu Gore pour confirmer nos allégations. Nous demandons aussi au gouvernement canadien d'essayer d'exercer des pressions sur le président ougandais et le presser de ne pas être partisan mais plutôt de promouvoir l'unité afin que tous les Soudanais du Sud puissent participer à la lutte contre l'injustice au Soudan afin de mettre un terme rapidement à la souffrance du peuple du Soudan méridional et du Soudan en général.

• 0935

Au nom du Custodian, nous demandons au gouvernement du Canada de se faire le médiateur de la paix entre l'Ouganda et le gouvernement du Soudan.

Nous demandons au gouvernement canadien d'influencer au moyen de pressions les États membres du G-7 et du Conseil de sécurité des Nations Unies pour que ces derniers imposent un embargo sur les armes au gouvernement du Soudan.

Enfin, le Equatorian People of the Sudan implore le gouvernement canadien, les chefs d'opposition et les gouvernements provinciaux du Canada de les aider à réaliser les objectifs politiques qui avantageront à la fois le Canada et un soudan uni. Nous, le peuple d'Équatoria, croyons que le Canada favorise l'unité et non pas la séparation des pays. Nous allons promouvoir les intérêts de l'économie canadienne ainsi que l'influence du Canada au Soudan une fois que la paix règnera.

Que Dieu vous bénisse.

Le président: Merci.

M. Garry Kenny (Coalition inter-églises pour l'Afrique): Merci, monsieur le président. Nous apprécions beaucoup cette occasion qui nous est donnée de comparaître devant votre comité aujourd'hui.

La Coalition inter-églises pour l'Afrique, CIEPA, est un organisme oecuménique formé en 1982 par les églises traditionnelles au Canada. La CIEPA a le mandat de surveiller et de faire rapport sur la situation des droits de la personne au Soudan et dans d'autres pays africains. Nous travaillons étroitement avec nos partenaires oecuméniques soudanais qui entretiennent des réseaux importants de base populaire au Soudan. La CIEPA estime que les droits de la personne et la justice sociale sont inexorablement liés. Comme le veut l'Évangile, la CIEPA se range du côté des peuples opprimés d'Afrique qui se voient refuser leurs droits fondamentaux ainsi que la justice politique et économique.

Le peuple soudanais a enduré la guerre civile pendant près de 50 ans. Pendant la dernière ronde, qui en est maintenant à sa 15e année, l'ONU estime que 1,3 million de personnes sont décédées. La plupart ont péri à cause de famine résultant de la guerre ou créée artificiellement. Les récentes images télévisuelles de la famine au Soudan ont documenté davantage ce même phénomène. Quelque 900 000 personnes dans la région de Bahr-el-Ghazal du Soudan méridional risquent actuellement de mourir de faim. Bien que la sécheresse ait durement touché les récoltes saisonnières, elle ne devrait pas avoir entraîné une famine. Une des plus grandes et plus complexes opérations de secours humanitaire dans l'histoire des Nations Unies, Opération survie Soudan, se trouve à quelques heures par avion dans le nord du Kenya.

Pourquoi donc y a-t-il une famine au Soudan? C'est à cause de la guerre et, plus particulièrement, le rôle de l'aide alimentaire en cas de guerre. Les bombes, les balles et les mines sont les instruments de la mort que l'on associe généralement avec la guerre civile, mais au Soudan, la nourriture est tout aussi mortelle comme arme qu'un fusil d'assaut AK-47.

Le Front National Islamique, le gouvernement du Soudan et l'armée populaire de libération du Soudan, le principal groupe rebelle, ont tous utilisé la nourriture comme arme de guerre stratégique.

Cependant, le gouvernement du Front National Islamique est de loin le plus grand utilisateur de cette stratégie brutale, qui touche les civils beaucoup plus que les combattants. L'utilisation de la nourriture comme arme par le gouvernement de Khartoum est systématique et très répandue. Il empêche régulièrement l'ONU et d'autres agences de secours de livrer de la nourriture aux populations touchées par la guerre. Il a interdit aux vols de secours de l'ONU d'atteindre les populations affamées de Bahr-el-Ghazal pendant huit semaines en mars et en avril, aggravant encore la sévérité de la famine actuelle. Le gouvernement continue de restreindre l'accès aux territoires occupés par les rebelles dans d'autres parties du Soudan. Pendant plus de dix ans, il n'a pas permis aux agences humanitaires de livrer de l'aide à des centaines de milliers de personnes déplacées par la guerre dans la région des Monts de Nuba.

La Commission des droits de l'homme des Nations Unies a critiqué le gouvernement du FNI de commettre les pires infractions aux droits de la personne dans le monde de nos jours. La Coalition inter-églises pour l'Afrique partage cet avis. En plus d'utiliser la nourriture comme arme, d'autres violations flagrantes des droits de la personne incluent l'imposition d'une forme extrême de l'islamisme à tous les Soudanais, y compris chrétiens et musulmans; le bombardement aérien systémique de tous les villages civils, des hôpitaux et des camps pour personnes déplacées; l'enlèvement d'un grand nombre de civils; la conception de l'esclave-chose ainsi que le viol comme arme de guerre.

Quel genre de gouvernement traiterait ses propres citoyens avec autant d'indifférence et de mépris? Pour bien comprendre cette guerre, il faut comprendre la nature et l'orientation du FNI. Ses connaissances sont également nécessaires à l'élaboration d'une politique étrangère efficace.

Depuis son indépendance, plusieurs forces politiques au Soudan ont préconisé l'islamisation du pays. Le FNI a été le plus efficace à promouvoir sa cause qui s'appelle maintenant «l'islamisme». Le FNI a accédé au pouvoir grâce à un coup militaire en 1989 au moment même où la démocratie commençait à s'implanter au Soudan. Le FNI s'oppose vivement aux principes de la démocratie et du pluralisme. Afin de justifier son existence et sa légitimité, le FNI a utilisé le conflit politique qui perdurait dans le sud du Soudan comme cri de ralliement.

• 0940

Le conflit est immédiatement devenu islamique. Il est devenu islamique comme la guerre du Nord est devenue le djehad, la guerre sainte. Parmi les images islamistes, les gens craignent le plus l'image du djehad parce qu'elle peut entraîner des conséquences dévastatrices. Le djehad peut être soit une guerre d'autodéfense ou une agression contre l'autrui.

Dans sa forme agressive, le djehad est une négation de l'autre, une négation qui aboutit à l'anéantissement, ou bien la subjugation. Voilà la forme que prend le djehad au Soudan.

L'islamisme soudanais a toujours été pluraliste et respectueux des autres traditions religieuses. Mais l'islamisme du FNI est tout à fait intolérant. Il traite les personnes qui ne partagent pas les mêmes opinions que nous comme des objets et des non-personnes. C'est le même genre d'islamisme qui encourage les crimes haineux en Algérie et interdit l'accès des femmes aux endroits publics en Afghanistan.

L'islamisme du FNI ne se limite pas au Soudan. Lorsque le Front est venu au pouvoir en 1989, il a annoncé son intention d'utiliser le Soudan comme tremplin pour promouvoir l'islamisme sur tout le continent africain. À présent, il appuie la déstabilisation des éléments dans les pays avoisinants de l'Érythrée, l'Éthiopie et l'Ouganda, dont les gouvernements appuient maintenant les rebelles soudanais. Voilà pourquoi un véritable danger existe que la guerre au Soudan ne devienne un conflit régional.

Malgré le rôle joué par l'islamisme, la guerre au Soudan n'est pas vraiment une guerre de religion. L'islamisme n'est pas une religion dans le sens traditionnel du terme. Il s'agit d'une idéologie née de la peur et de l'insécurité. Au Soudan, on a allié l'islamisme au désir d'exercer une emprise politique et économique sur le pays qui a une abondance de ressources naturelles, y compris le pétrole. Une fois réunis tous ces facteurs constituent un amalgame puissant, virulent et dangereux.

La guerre n'est pas non plus un simple conflit entre Nord et Sud, musulmans et chrétiens, Arabes et Africains. L'envergure du conflit actuel est beaucoup plus complexe. La guerre au Soudan est devenue une guerre nationale. Les Soudanais de toutes les régions, de toutes les religions et de toutes les cultures résistent de plus en plus et se regroupent pour confronter le gouvernement à Khartoum.

La guerre au Soudan n'est pas entre des égaux. Les Soudanais du Sud, en particulier, ont été victimes de discrimination économique, raciale et culturelle pendant des décennies. Divers gouvernements centraux à Khartoum les ont privés de leurs droits fondamentaux. Le régime du FNI s'est révélé le pire des oppresseurs en déclarant le djehad.

Étant donné la négligence politique et économique qui dure depuis des années, et maintenant le djehad, la guerre au Soudan n'est pas sans justification. Les Soudanais ont le droit de vivre dans un État démocratique multipartite. Ils ont le droit de s'épanouir sur le plan économique et d'élever leurs enfants dans un environnement sécuritaire. La population du Soudan du Sud a créé l'APLS afin de protéger ses droits, et récemment, la population du nord du Soudan a créé les Sudan Alliance Forces pour la même raison.

Malheureusement, la question de la purification a été estompée, surtout en raison des scissions politiques et ethniques chez les Soudanais du Sud qui ont mené à la violence. En conséquence, le ministère des Affaires étrangères du Canada a tendance à mettre le comportement des groupes rebelles sur un pied d'égalité avec celui du gouvernement NIF. Cette attitude nie implicitement toute notion de purification dans la guerre et donne au régime islamiste une légitimité qu'il ne mérite pas.

Il est vrai que le SPLA a commis des violations des droits de la personne qui ne doivent pas être tolérées dans aucune circonstance. Il est également vrai que le SPLA a considérablement amélioré son bilan à cet égard depuis quelques années. Si d'autres pays donnaient de l'aide en renforçant les capacités, on pourrait apporter d'autres améliorations. Pendant les années 1990, le Canada a décidé d'aider un autre mouvement de la libération qui était aux prises avec la tyrannie, le Congrès national d'Afrique, en l'aidant à mettre sur pied des institutions démocratiques et à respecter les droits de la personne. Pourquoi pas faire la même chose pour les mouvements de libération au Soudan?

En redonnant une certaine perspective et proportion au conflit au Soudan et à ses racines historiques, le Canada pourrait apporter une contribution plus significative à la cause de la paix. Nous pourrions rendre notre politique plus productive. Dans ce but, nous recommandons la tenue d'une table ronde pour explorer de nouvelles possibilités en matière de politique. Nous recommandons que l'on invite des experts qui comprennent le Soudan et qui sont en mesure d'expliquer non seulement l'histoire du conflit civil au Soudan mais aussi la dynamique propre aux Islamistes du Soudan.

Le Canada peut aider à établir une paix juste et durable au Soudan de plusieurs façons. Je voudrais suggérer quatre possibilités brièvement.

Tout d'abord, il faut se pencher sérieusement sur la désunion qui règne chez les Soudanais du Sud. Le règlement des conflits politiques et ethniques dans le Sud du Soudan stabilisera le Sud et réduira beaucoup le sentiment d'insécurité qui règne à l'heure actuelle. Il servira étalement à préparer les Soudanais du Sud pour l'avenir. Peu importe si le Soudan reste un État unifié ou est divisé par la sécession du Sud, l'unité des gens du Sud est essentielle à la reconstruction et à l'établissement d'une nation. Le programme canadien de consolidation de la paix, parrainé conjointement par les Affaires étrangères et l'ACDI, est un bon mécanisme pour appuyer des initiatives dans ce domaine.

Deuxièmement, l'ACDI devrait encourager des projets de reconstruction et de développement non seulement dans des secteurs contrôlés par le gouvernement mais aussi dans des secteurs sous l'autorité des rebelles, surtout dans le Sud du Soudan. Le sous-développement historique et les ravages de la guerre ont laissé beaucoup de communautés sans aliments, eau potable, hôpitaux, écoles et autres services.

• 0945

Troisièmement, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a lancé un appel urgent pour l'envoi d'observateurs indépendants au Soudan pour veiller au respect des droits de la personne. Ces observateurs renforceraient considérablement le respect des droits de la personne et contribueraient à rendre les communautés hantées par les conflits, plus sécuritaires et plus stables, surtout dans le Sud du Soudan. Le nouveau programme de l'ACDI visant à renforcer les capacités dans la Corne de l'Afrique pourrait servir à appuyer cette initiative.

Quatrièmement, le Canada devrait organiser une conférence pour étudier le droit des États à la souveraineté et faire des recommandations. C'est une question extrêmement complexe, mais la notion du droit des États à la souveraineté doit être définie de nouveau dans le monde de l'après-guerre froide, où la plupart des conflits se déroulent à l'intérieur des États. En invoquant leur droit à la souveraineté, les gouvernements qui ne respectent pas les droits de la personne, comme celui du Soudan, peuvent tenir la communauté internationale en échec pendant qu'ils persécutent, bombardent et affament leurs citoyens à leur gré pour les rendre dociles.

Il faudrait modifier la définition du droit à la souveraineté et établir les mécanismes appropriés pour empêcher de tels actes. Comme le Canada est bien connu pour son respect et sa promotion du droit international en matière des droits de la personne, nous estimons qu'il peut donner l'exemple dans ce domaine et qu'il devrait le faire.

M. Ron Robotham (Roll'n Oilfield Industries Inc.): Bonjour. Je suis très heureux que vous m'ayez invité à comparaître ici aujourd'hui.

Tout d'abord, je vais vous expliquer, comment je me suis trouvé impliqué dans le projet d'exploitation d'un gisement pétrolifère dans le centre du Sud du Soudan. Je vais vous faire part de mes observations directes, y compris l'impact de ce projet sur le peuple du Soudan. Je vais vous expliquer nos inquiétudes, et enfin, je vais formuler quelques recommandations à l'intention du comité.

Je suis le propriétaire de Roll' Oilfield, une entreprise qui offre des services dans les champs pétrolifères. J'ai fondé l'entreprise en 1977. Parmi nos clients se trouvent des sociétés pétrolières internationales ou canadiennes comme Petro-Canada, Pan Canadian, Arco et ainsi de suite. Notre entreprise est bien établie au Canada et en Alaska. Depuis 1994, nous participons au projet d'exploitation pétrolifère au Soudan entrepris par Arakis Energy, une société publique canadienne.

Roll'n a environ 60 employés canadiens au Soudan, et avec Arakis et les autres entrepreneurs, nous croyons qu'il y a environ 83 Canadiens qui travaillent à ce projet normalement.

En 1994, Roll'n a livré le premier appareil de forage au Soudan. En 1995 nous avons livré le deuxième et en 1996 deux autres, dont un pour creuser des puits d'eau. Nos investissements se chiffrent en millions de dollars. Les propriétaires du projet ont formé un consortium comprenant la Chinese National Petroleum Company qui détient 40 p. 100 des parts, PETRONAS, une société pétrolière malaysienne qui en détient 30 p. 100, Arakis, avec 25 p. 100 et une société d'État soudanaise qui en détient 5 p. 100. D'autres sociétés pétrolières internationales ont aussi entamé des démarches en vue d'effectuer de la prospection pétrolière au Soudan, y compris Red Sea Oil et International Petroleum Corporation, qui sont toutes les deux canadiennes, et je crois qu'il y en a d'autres.

Les gisements se trouvent dans des endroits isolés qui sont peuplés par quelques nomades et où il n'y a que quelques villages. La richesse de ces gens, d'après ce que nous avons pu constater, est déterminée en fonction du nombre de têtes de bétail qu'ils possèdent.

Nous avons constaté de grands changements depuis 1994. Le projet a été avantageux pour ces gens sur le plan des routes, de l'eau, des services médicaux et des emplois. Un village s'est établi près de notre camp de base et vit grâce aux marchés locaux qui vendent des céréales et des articles d'artisanat aux passants. Des musulmans et des chrétiens cohabitent dans ce village.

Les sociétés pétrolières y financent la construction d'un hôpital qui sera terminé d'ici six mois, nous l'espérons.

Nous avons environ 125 employés soudanais. Certains travaillent chez nous depuis notre arrivée en 1994. Les musulmans et les chrétiens travaillent ensemble dans nos installations, sans la moindre tension.

Les puits d'eau que nous avons creusés font vivre environ 10 000 têtes de bétail, les gens de deux villages et le nouvel hôpital. Les routes construites pour les sociétés pétrolières rendent les voyages plus faciles pour les habitants et les étangs-réservoirs ont capté beaucoup d'eau. De plus, la qualité de vie a augmenté de façon remarquable pour les Soudanais qui travaillent à Roll'n. Grâce à la propreté, à l'éducation et aux soins médicaux, aucune famille de nos travailleurs soudanais n'a perdu de nourrisson depuis plus d'un an.

• 0950

Malheureusement, les conflits civils au Soudan durent depuis trop longtemps. Nous espérons que les récentes négociations de paix vont aboutir, mais rien ne semble indiquer que cela se produira rapidement. Il est regrettable de voir souffrir autant de Soudanais, car trop de ces conflits sont des conflits internes.

Une industrie pétrolière forte est indispensable pour améliorer la qualité de la vie dans ce pays appauvri. Le projet pétrolier de notre consortium est le plus gros projet économique en cours au Soudan. L'oléoduc sera un catalyseur pour d'autres projets de prospection.

Le chef des rebelles, John Garang, a menacé de saboter les projets de forage et de construction de l'oléoduc à maintes reprises. Peu importe les raisons qui les motivent, ces menaces seront contre—productives et ne feront que nuire aux Soudanais.

Les États-Unis ont décidé d'imposer des sanctions économiques au Soudan. Nous estimons que ces mesures aussi sont contre-productives. Les sanctions n'ont pas réussi à influencer les gouvernements dans les pays tels que Cuba, l'Iran et la Lybie et elles n'aboutiront pas non plus au Soudan.

La Chine est devenue un allié important du Soudan et sa présence y est très apparente. Au fur et à mesure que les pays occidentaux se retirent du Soudan, leur influence diminuera.

Le ministère des Affaires étrangères du Canada nous déconseille d'envoyer des Canadiens au Soudan. Nous nous demandons si le Canada est sur la bonne voie. Nous doutons de la qualité des renseignements utilisés pour prendre ces décisions.

À notre connaissance, le Canada ne fournit pas d'aide économique au Soudan à part des secours d'urgence de façon sporadique. Nous savons que le financement des exportations et les autres incitatifs fournis aux pays en voie de développement ne sont pas disponibles au Soudan. Nous nous demandons si le Canada traite le Soudan de la même façon que d'autres pays dans des situations semblables.

Le ministère des Affaires étrangères nous conseille de quitter le pays chaque fois l'APLS émet un avis. Chaque année au début de la saison sèche qui commence en novembre, on nous avertit qu'il y a de nouvelles menaces. Nous prenons ces menaces au sérieux, tout comme le font nos employés. Nous avons toujours donné à nos employés le choix de quitter le pays à nos frais et nous avons en place un plan d'évacuation d'urgence de grande envergure.

Ce ne sont pas les avertissements qui nous préoccupent, c'est la qualité de l'information sur laquelle ils reposent et leur actualité. On semble faire très peu pour s'assurer de la véracité des faits. De plus, nous sommes habituellement au courant de la situation quand l'avis officiel nous parvient.

Heureusement, les employés de Roll'n n'ont pas été blessés jusqu'à présent. Nous les prévenons de la situation qui règne au Soudan bien avant qu'ils ne s'y rendent. Nous sommes à une bonne distance des combats et il n'y a eu qu'un petit nombre d'escarmouches relativement mineures à proximité.

Il est difficile de déterminer qui ou quoi se cache derrière ces escarmouches. L'armée assure la protection de tout le chantier pétrolifère. Même si cela crée des problèmes particuliers, c'est une garantie importante.

Nous ne pensons pas non plus que ALPS, ou tout autre groupement, souhaite faire du tort aux travailleurs étrangers. Nos employés sont tenus au courant de la situation. Ils peuvent compter sur l'information provenant d'autres travailleurs dans le secteur ou de leurs compagnons de travail soudanais. Le consortium dispose de ses propres agents de sécurité et recrute périodiquement des consultants canadiens indépendants qui ont noué des liens avec les deux camps.

Il est difficile pour quiconque d'établir avec certitude l'état de la situation dans le sud du pays, puisque les deux camps s'adonnent à la propagande. On peut toutefois apprendre beaucoup de choses des gens qui sont sur le terrain.

Le Canada ne peut pas résoudre les problèmes du Soudan. Toutefois, notre pays peut jouer un rôle. Nous qui travaillons dans l'industrie pétrolière ne sommes pas les coupables. D'après notre expérience, la population soudanaise se préoccupe davantage de survie que de politique.

Voici ce que nous voudrions que le Canada fasse.

Premièrement, nous voudrions que le Canada repense sa politique vis-à-vis du Soudan. Faites le tri à travers toute la propagande et songez à l'effet de la politique actuelle au Soudan et sur la situation du Canada à l'étranger et pourquoi vous recommandez que nous ne fassions pas affaire dans ce pays. Nous vous demandons de tenir compte de toute l'information disponible.

• 0955

Deuxièmement, nous voudrions que le Canada prenne l'initiative d'obtenir des renseignements de première main, établis et à jour sur ce qui se passe. Il faudra peut-être pour cela compter sur une personne en contact direct et régulier avec les deux camps. Nous ignorons quelle est la source actuelle des renseignements dont disposent les Affaires étrangères, mais nous pensons qu'il y a place à l'amélioration.

En résumé, nous sommes une entreprise internationale relativement petite. Une société comme la nôtre a besoin de l'aide de son gouvernement pour poursuivre son expansion et créer des débouchés pour les Canadiens. Nous avons besoin de votre aide pour maintenir la sécurité de nos concitoyens.

Je vous suis reconnaissant d'avoir pu prendre la parole devant le comité et de pouvoir répondre à vos questions. Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci.

On a remis aux membres du comité deux cartes du Soudan. Pourriez-vous nous dire où sont situées vos installations?

Quelle carte avez-vous? Celle intitulée «Sudan Administrative Districts» ou celle intitulée «Soudanä?

M. Ron Robotham: Pouvez-vous voir Bentyu? Directement au Nord se trouve Kadougli. Nous sommes entre les deux. À peu près au milieu.

Le président: Êtes-vous dans le Kordofan Ouest ou le Kordofan Sud ou bien dans le Darfour Sud...

M. Ron Robotham: Nous sommes dans le secteur sud-est. Presque directement au Sud.

Une voix: C'est juste au sud du Kordofan Sud.

Le président: Si nous trouvons Kadougli dans le Kordofan Sud, c'est dans cette région-là.

M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Est-ce pour la totalité des opérations pétrolières?

Le président: Est-ce que toutes les opérations pétrolières sont dans ce secteur ou s'étendent-elles sur toute la région?

M. Ron Robotham: Non. Les opérations canadiennes sont toutes là-bas, au Sud. Les Chinois sont très présents là-bas.

M. Ted McWhinney: Où?

M. Ron Robotham: Au Nord. Ils ont des concessions partout.

Le président: Mais les Canadiens se concentrent autour de Kadougli, si j'ai bien compris.

M. Ron Robotham: C'est bien ça.

Le président: Entendu. Merci beaucoup.

M. Ted McWhinney: Est-ce que toute la région du Kordofan pourrait être mise en valeur pour son pétrole?

M. Ron Robotham: Y a-t-il un gros potentiel là-bas?

M. Ted McWhinney: Oui. Quelle est l'importance du gisement et où est-il? Y a-t-il eu des analyses géologiques?

M. Ron Robotham: Je ne sais pas. Nous n'avons pas encore déterminé les limites du gisement. Nous sommes toujours en train de prospecter et nous avons maintenant couvert 100 milles carrés. C'est assez étendu.

M. Bob Mills: D'après mes renseignements, il pourrait être très important.

M. Ted McWhinney: Quelle superficie?

M. Bob Mills: Encore une fois, on n'a pas encore établi les limites, mais cela pourrait...

Désolé, monsieur le président.

M. Ted McWhinney: ...être énorme.

M. Bob Mills: ...je vous transmets l'information que j'ai.

M. Ted McWhinney: Merci beaucoup, Bob. Elle est essentielle.

Le président: Nous allons d'ailleurs y venir. Il nous reste à entendre une autre personne, après quoi nous passerons aux questions.

Monsieur Middleton, nous allons maintenant vous entendre. Avez-vous un résumé de votre déclaration?

M. Mel Middleton (à titre personnel): J'ai préparé un résumé, oui.

Le président: Il vaudrait mieux vous contenter du résumé. Avec mon expérience, je sais qu'il faut plus de 10 minutes pour lire une déclaration de sept pages.

M. Mel Middleton: Je vais résumer mon résumé.

Le président: Merci, je vous en suis reconnaissant.

M. Mel Middleton: Je remercie le comité de son intérêt et du temps qu'il consacre à ces audiences. C'est l'occasion pour moi de témoigner sur ce que j'estime être des questions de la plus haute importance pour le Canada et le peuple soudanais.

Pour avoir travaillé plus de 10 ans au Soudan, aussi bien dans le nord que dans le sud, en partie comme conseiller du Haut-Commissariat du Canada en Nairobi, j'ai été témoin direct de bien des choses. J'ai aidé plusieurs organisations à monter leurs programmes au Soudan et j'ai participé à la création d'un réseau d'organismes de secours qui, pour la première fois en plus de 10 ans, en 1995, a apporté des fournitures humanitaires dans les Monts Noubas, une région du pays interdite d'accès par le gouvernement soudanais depuis plus de 10 ans.

Je suis né en Éthiopie et j'ai vécu plus de 26 ans dans la région de la Corne de l'Afrique. Pendant ces années, j'ai parlé à des dizaines de Soudanais victimes de leur propre gouvernement, de la guerre et parfois de leurs propres chefs de faction.

La crise soudanaise mérite beaucoup plus d'attention qu'elle n'en reçoit actuellement de la communauté mondiale. C'est particulièrement le cas du Canada aujourd'hui, car il y a un important élément canadien à la guerre civile et à la prolongation des souffrances.

La cause première du conflit soudanais, comme on l'a dit, est l'oppression séculaire du nord sur le sud, bien antérieure à l'époque coloniale. La guerre actuelle n'est que la poursuite d'une guerre commencée il y a plus de 40 ans, à l'époque de l'indépendance, interrompue pendant 10 ans seulement à la suite de l'Accord d'Addis Ababa de 1972, qui a accordé une autonomie et des libertés importantes au sud.

• 1000

En 1983, cependant, le gouvernement de Khartoum est revenu sur sa parole et la guerre a éclaté de nouveau. Le gouvernement actuel n'a fait qu'aggraver la situation par sa suppression brutale de toute opposition et la violation des droits et libertés fondamentales. Aujourd'hui, la plupart des habitants du sud ont juré de ne jamais plus faire confiance au nord.

L'actuel gouvernement du FIN est l'une des dictatures les plus brutales du monde aujourd'hui. Il a officieusement encouragé la reprise de l'esclavagisme, massacré des civils à l'aide d'armes de destruction massive et a utilisé les secours à des fins d'endoctrinement religieux forcé. Les forces soudanaises ont eu recours au viol et aux privations comme armes de combat et se livrent à une politique de génocide à l'usure contre les groupes ethniques tels que les Noubas, qui risquent maintenant de disparaître à tout jamais.

Les forces rebelles ont également commis des atrocités. Ces dernières années, cependant, on constate des différences qualitatives et quantitatives entre la conduite du principal groupe rebelle et celle du gouvernement du Soudan. Le camp de la LPS et de ses alliées s'est déclaré en faveur de la démocratie et de la bonne conduite des affaires publiques, quoique même si l'esprit est prompt, la chair est faible. Le gouvernement, quant à lui, poursuit un programme politique et religieux incompatible avec la dignité humaine. Même un grand nombre d'habitants du nord livrent un combat farouche contre le totalitarisme de Khartoum.

Des organisations d'aide internationale, comme l'Opération Survie Soudan, dirigées par l'UNICEF, ont été manipulées par le gouvernement à ses propres fins au cours de neuf dernières années. Cette organisation, comme le CICR, est forcée de respecter des idées périmées comme la souveraineté des États et n'a pas d'autres choix que d'obéir aux diktats de Khartoum, qui limite l'aide humanitaire à des fins militaires.

Le fait que les donateurs dépendant quasi totalement de ces deux mécanismes d'aide pour venir en aide aux populations indigentes du Sud les rend extrêmement vulnérables et tributaires de la communauté internationale pour leur survie. Néanmoins, malgré tous problèmes, l'OSS a réussi jusqu'à tout récemment à stabiliser les niveaux de santé et de nutrition de la plupart des populations qu'elle a pu atteindre.

Khartoum a également adopté la politique de «diviser pour régner», dressant les uns contre les autres divers groupes ethniques et chefs de faction dans le sud, ce qui a occasionné les pires souffrances de la guerre civile. Les destructions commises récemment par l'un des seigneurs de la guerre, armé par le gouvernement, a créé un grand nombre de personnes déplacées et précipité la famine à Bahr el-Ghazal, dans le Nord.

Dès le début de l'an dernier, et même avant, les organismes d'aide avaient prévenu que la famine actuelle allait sévir faute d'intervention de la communauté internationale. Ces avertissements sont restés lettre morte et l'an dernier l'OSS a reçu moins de 40 p. 100 de ce dont elle avait besoin en aide d'urgence.

Depuis plusieurs années, l'ACDI n'envoie quasiment plus d'aide alimentaire au Soudan, jusqu'à tout récemment. En ce qui concerne l'aide humanitaire non alimentaire de l'ACDI, jusqu'à la crise de 1996-1997, le peu qui était fourni aux opérations du sud de l'OSS a été complètement suspendu. Les appels désespérés de l'UNICEF et la vulnérabilité grandissante des populations nettement visible d'après les taux de malnutrition et de morbidité, n'ont pas réussi à amener le service d'aide d'urgence de l'ACDI à prendre des mesures préventives. Au contraire, les représentants de l'assistance humanitaire internationale ont exigé que l'UNICEF rembourse les fonds qui lui avaient été accordés les années précédentes, résultat d'une querelle administrative sur des rapports remontant à trois ou quatre ans auparavant. L'ACDI n'a pas tenu compte du fait que la suppression des fonds dans le cas d'urgence à long terme revient à empêcher les secours humanitaires d'atteindre ceux qui en ont cruellement besoin.

D'autres organismes en activité dans les secteurs occupés par le gouvernement, ainsi que d'autres qui n'étaient même pas dans le pays, n'ont pas reçu de fonds cette année-là. Un organisme, le CICR, a reçu une subvention même s'il avait quitté le Soudan. Nous craignons sérieusement qu'une partie de ces fonds n'ait abouti entre les mains de son partenaire, le Croissant rouge soudanais, qui ne travaille que dans les secteurs sous contrôle gouvernemental et, comme vous l'a relaté Marciano, a été accusé par les Soudanais du sud de se servir des secours à des fins d'endoctrinement religieux. Même si ces dernières semaines nous avons cherché à obtenir des éclaircissements sur ce qu'il est advenu de ces fonds, nous n'avons reçu aucune assurance des fonctionnaires de l'AHI.

• 1005

Même si le Canada a appuyé les efforts d'instauration de la paix de l'IGAD, cette instance ne s'occupe que du conflit qui oppose le gouvernement et l'ALPS. Les conflits inter-ethniques ou interfactions ne reçoivent aucune aide. L'aide au développement du Fonds canadien a été accordée presque exclusivement à la région du Nord, à peine quelques sommes symboliques ayant été accordées aux projets du Sud.

Mais le reproche le plus grave que l'on puisse adresser au Canada, c'est l'effet négatif de l'activité pétrolière à laquelle se livrent des entreprises canadiennes. La mise en valeur du pétrole est l'un des principaux facteurs de la prolongation de la guerre civile. Même si les réserves de pétrole sont pour la plupart situées dans le sud, elles sont contrôlées par le gouvernement. Les recettes pétrolières, soit directes ou indirectes sous forme de crédits, accroissent la capacité du nord de réprimer le sud. Elles financeront aussi largement l'exportation par le gouvernement de son terrorisme et de son militantisme religieux.

La présence du Canada dans ce dossier controversé confère à Khartoum une fausse respectabilité et un imprimatur de facto en faveur de son extrémisme et de son oppression brutale du sud. Les civils Soudanais auxquels j'ai parlé, qui se sont échappés de régions à proximité des gisements pétroliers, m'ont fait des récits horribles d'épuration ethnique commise par des mercenaires et des miliciens et des mesures prises pour assurer la protection des travailleurs pétroliers canadiens. Le fait que le Canada soit impuissant à réprimer les violations associées à cette société pétrolière est perçu par Khartoum comme une bénédiction de notre pays pour que se maintienne le statu quo de la tyrannie.

Dans le sud du Soudan, le Canada est largement perçu comme l'un des rares pays occidentaux qui entretient toujours des relations cordiales avec la junte soudanaise. La partialité du Canada dans la crise soudanaise est un affront déroutant pour la population victime du Soudan et un travestissement du peuple canadien qui croit en la justice, en l'égalité ainsi que dans les droits et libertés fondamentales.

Si le Canada veut conserver sa crédibilité et être perçu comme un pays compatissant attaché à la paix, il est temps pour notre gouvernement de donner suite à certaines recommandations. J'appuie ce qu'a dit M. Kenny à propos de la nécessité de favoriser le règlement des conflits et de venir en aide aux institutions civiles et au développement dans le sud, ainsi que la nécessité de reconnaître la justesse de la cause de la population du sud.

Il faut créer une commission indépendante pour faire enquête sur le rôle que le Canada continue de jouer alors qu'il contribue à la crise actuelle au Soudan et la facilite ainsi que sur la nature et l'ampleur de la violation des droits de la personne dont est victime la population soudanaise. Devraient être examinées les questions de l'esclavage, du génocide, du recours à des armes chimiques et à d'autres armes de destruction massive contre les populations civiles, ainsi que les actes de violence reliés aux activités commerciales canadiennes. Il faut mettre en place des politiques pour veiller à ce que les services d'aide humanitaire du Canada accordent une plus grande priorité à la prévention de la famine au lieu d'attendre que les pressions des médias nous obligent à intervenir de façon superficielle pour aider les mourants.

Le Canada devrait user de ses bons offices et de sa bonne réputation internationale pour appliquer les pressions appropriées sur toutes les parties, en particulier le gouvernement soudanais, pour autoriser l'accès sans entraves à toutes les régions nécessiteuses, en particulier celles des Monts Nuba et les autres régions où sévissent l'esclavage, le viol, la famine et le génocide. Des lois doivent être adoptées pour limiter la capacité des entreprises canadiennes de faire en sorte que des violations des droits de l'homme soient commises en leur nom. Si cela n'est pas possible, il faut veiller à ce que soient adéquatement dédommagées les personnes déplacées par suite de ces activités canadiennes.

Enfin, vu les similitudes entre le régime de Khartoum et celui d'autres états parias, comme l'Irak et l'ancien gouvernement raciste d'Afrique du Sud, les relations diplomatiques du Canada avec le gouvernement soudanais devraient être marquées par la cohérence. Le Canada devrait condamner vigoureusement et sans ambiguïté les activités du gouvernement du FIN, tout en distinguant clairement entre le gouvernement et la population du Soudan, dont la plus grande partie est victime de ce gouvernement tyrannique. Tant que le FIN sera au pouvoir et qu'il n'aura pas changé son orientation de façon avérée, il n'y aura pas de paix juste et durable dans ce pays.

• 1010

M. Bob Mills: Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les témoins. Comme la plupart des membres du comité le savent, j'ai consacré pas mal de temps à ce dossier et j'ai eu avec vous des discussions plus longues que vous avez pu en avoir.

Il est bon que le comité entende différents points de vue et je vous suis reconnaissant, Mel, des questions que vous avez abordées. Il est tout aussi important en revanche que le comité voie un exemple d'une compagnie pétrolière qui s'occupe d'activités industrielles et qui se préoccupe aussi des gens. Il est bon d'entendre des idées nouvelles sur la façon dont l'industrie peut participer à la protection des droits de la personne et aider la population en creusant un puits, par exemple.

Il faut aussi faire comprendre que la question est plus vaste que le pays lui-même ou que la guerre civile, comme vous l'avez dit. C'est très important.

J'aimerais aborder la question de la présence des États-Unis et de la Chine et de l'internationalisation du problème. Ceci va attirer plus d'attention sur la question. Peut-être pourriez-vous nous en parler plus en détail.

Parlez-nous aussi de l'unité de l'ALPS. La plupart des gens reconnaissent que la FIN ne se soucie pas de la population.

L'ALPS est-elle en mesure de former un gouvernement? Parlez-nous aussi de l'avis de la communauté internationale. Chacun aura sûrement quelque chose à nous dire.

M. Mel Middleton: Je vais répondre à la dernière question, parce qu'est la plus facile: l'unité de l'ALPS et sa capacité de former un gouvernement.

Il faut savoir que l'ALPS est le principal groupe qui se bat contre le gouvernement. Il est allié à d'autres groupes d'opposition du nord, qui en compte plusieurs, rassemblés sous l'Alliance démocratique nationale. L'ADN a beaucoup de travail à faire, mais ce serait certainement mieux que le FIN. Le Canada pourrait jouer un rôle important pour renforcer les institutions du FIN.

Il faut rappeler que le FIN n'est pas synonyme d'ALPS et qu'il y a encore beaucoup de problèmes au sein de l'alliance qui doivent être réglés. Mais comme je l'ai dit, elle pourrait former un gouvernement crédible si on lui en donnait la chance.

En ce qui concerne le rôle de États-Unis et de la Chine, le fait que les États-Unis s'opposent au FIN a du bon et du mauvais. Le Soudan se compare à l'Irak de Saddam Hussein, si vous voulez, un pays qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par une superpuissance impérialiste. Le fait que les États-Unis s'opposent vigoureusement à ce pays lui confère une légitimité dans les milieux extrémistes du monde musulman.

C'est pourquoi je pense qu'un pays comme le Canada, qui n'a pas les antécédents des États-Unis, peut dénoncer les violations des droits de la personne du FIN, son inaptitude à gouverner et l'instabilité qu'il crée dans la région.

Le président: Merci. Quelqu'un veut-il ajouter quelque chose?

• 1015

M. Gary Kenny: En réponse à la question de savoir si l'ALPS est en mesure de former un gouvernement, je dirais que non. Dans ma déclaration, j'ai dit que l'ALPS doit se donner les moyens d'agir davantage comme un gouvernement. Je m'aligne davantage sur la position exprimée par les Sudan Alliance Forces, dont le gouvernement sait très peu de choses, je crois.

Il s'agit d'une organisation relativement récente composée principalement de Musulmans du nord. Ils ont tracé un avenir très intéressant pour le pays. Ils ont aussi commencé à développer des idées sur la structure politique et économique du pays, travail qui reste largement à faire à l'ALPS. Ils songent à une sorte de gouvernement de coalition ou d'unité nationale qui ferait participer les principaux intervenants au Soudan, peut-être même le FIN. Je crois que cela mérite une analyse et une étude plus approfondies par le gouvernement canadien.

M. Bob Mills: Le gouvernement du Soudan, le FIN, a invité le comité, l'un de nous en tout cas, à se rendre au Soudan. Je crois que mes collègues accepteraient de m'y envoyer tout seul. Si un comité parlementaire devait s'y rendre, on m'a assuré que nous pourrions nous rendre dans les monts Nouba, et même dans les zones détenues par les rebelles.

Je vous ai déjà posé la question en privé, mais j'aimerais le faire en public. Est-ce que ce serait une bonne idée et quel effet cela aurait-il? Je sais ce que les Affaires étrangères en pensent, et je ne poserai pas la question.

Le président: Nous avons un aller simple pour vous, Bob.

M. Bob Mills: C'est ce que je craignais. Mais le vice-président du pays a dit que l'on pouvait venir et que l'on pouvait se rendre où l'on voulait. Évidemment, il nous faudra avoir cela par écrit.

Le président: Les représentants du Soudan sont venus ici à l'occasion de la signature du traité sur les mines terrestres et ont présenté à divers membres du comité une nouvelle structure pour le pays qui donne à penser qu'une grande autonomie devait être accordée aux diverses régions. Ils nous ont suggéré d'aller voir sur place.

C'est une question légitime, je crois. J'aimerais ajouter une question à celle de M. Mills. On nous a assurés personnellement que la nouvelle structure politique du Soudan accorderait aux régions la complète autonomie religieuse et culturelle. Peut-on croire ces assurances? Si l'un ou plusieurs d'entre nous se rendaient au Soudan, pourrions-nous déterminer si c'est le cas?

M. Gary Kenny: Je comprends que cette invitation puisse vous tenter. À ma connaissance, toutefois, aucune invitation n'a permis d'avoir accès sans entrave à toutes les parties du pays. Pas même le rapporteur spécial de l'ONU sur le Soudan n'a pu se rendre où il le voulait, en particulier dans les secteurs rebelles, et même dans certains cas dans des secteurs détenus par le gouvernement. J'hésiterais donc beaucoup.

Si une délégation parlementaire se rend au Soudan, et je crois que c'est une bonne idée, elle devrait aller dans le nord. Elle devrait voir ce que c'est, même si elle n'a pas toute liberté de voyager. On vous a fait une offre, mais allez aussi dans le sud. Rendez-vous aussi dans le secteur rebelle et voyez aussi les choses sous cet angle. C'est essentiel.

Le prince Marciano Luwanla-Eli: Comme Soudanais, je crois qu'il faut faire quelque chose pour mon pays. Je suis convaincu au plus profond de moi que le Canada est l'un des meilleurs pays au monde aujourd'hui pour son attachement indéfectible en faveur de la paix et de l'unité dans le monde.

• 1020

Mon ami ici dit que le Canada ne peut rien faire au Soudan. Moi, je crois que les Soudanais du monde entier sont convaincus que si le Canada participe sérieusement aux efforts de paix au Soudan, la paix peut devenir une réalité. Nous avons demandé à de nombreux pays. La plupart des pays nous donnent leur avis politique uniquement dans leur intérêt. Nous avons vu comment le Canada se comporte partout dans le monde.

Comme tous les Soudanais du sud je suis convaincu que le Canada devrait demander au gouvernement du Soudan d'entreprendre des pourparlers de paix avec les rebelles. La situation ne pose pas un problème seulement pour le Soudan, mais aussi pour l'Ouganda. En tant que membres du comité, je vous implore de demander à votre gouvernement de contribuer à faire régner la paix entre l'Ouganda et le Soudan, parce que tant qu'il y aura un problème en Ouganda notre lutte se poursuivra aussi au Soudan.

Pour ce qui est des Chinois et de leur implication dans la situation actuelle au Soudan, des pays comme le Canada permettent aux Chinois de prendre contrôle de tout. Mais si c'est vraiment une question d'intérêt, alors le Canada a aussi des intérêts au Soudan, d'après moi.

Aujourd'hui, le Soudan accepte les Chinois parce que les Chinois se sont portés volontaires pour défendre le Soudan dans leur propre intérêt. Le Canada pourrait aussi élire de ne pas apporter d'armes au Soudan, de ne pas fournir d'armes au SPLA. Le Canada peut faire beaucoup de choses au Soudan qui seront appréciées par le monde entier et par les Soudanais.

Le président: Votre excellence, si un groupe de députés se rendant au Soudan, pourraient-ils librement rencontrer les gens du Sud et du Nord, et voyager avec un calendrier raisonnable? Nous ne pouvons pas nous absenter de nos responsabilités ici à la Chambre des communes pendant de longues périodes. Nous ne pouvons pas venir pour un mois, par exemple. Mais si on faisait un court voyage, est-ce que nous pourrions rencontrer assez de vos citoyens pour avoir une idée juste de la situation?

Le prince Marciano Luwanla-Eli: Excusez-moi, je n'entends pas bien. J'ai perdu l'ouïe. Je suis aussi une victime du gouvernement. On m'a torturé. J'étais perdu l'ouïe...donc vous devez écrire vos commentaires.

Le président: Excusez-moi. Je ne le savais pas. Le son n'est pas très bon dans cette salle. Nous avons aussi des problèmes.

Vous trouverez peut-être ma question plus intéressante en français qu'en anglais. D'après vous, si un groupe de parlementaires se rendait au Soudan, pourraient-ils voyager librement et rencontrer assez de gens pour juger la situation de façon indépendante, dans un délai raisonnable? Comme vous le savez, les députés ne peuvent voyager que pendant de courtes périodes à cause de leurs responsabilités ici.

Le prince Marciano Luwanla-Eli: Étant donné la sincérité que le Canada manifeste envers le reste du monde, je suis convaincu que le gouvernement du Soudan respecte le Canada. Le gouvernement du Soudan n'a jamais fait ou dit quelque chose contre le Canada. Voilà pourquoi je pense que le gouvernement du Soudan permettrait aux représentants canadiens de circuler dans le pays, mais pas vraiment librement. Mais cela va sans doute apporter quelque chose.

M. Ron Robotham: Moi je pense qu'on vous laisserait voyager partout. Nos agents de sécurité voyagent librement et rencontrent toutes les forces armées, tous les rebelles, tout le monde, quand ils veulent.

Le plus grand problème serait de coordonner le voyage. Il va falloir que vous obteniez la permission des rebelles; cela est même plus important que d'obtenir la permission du gouvernement. Mais nos agents de sécurité sont partout, et on les a acceptés.

Vous devez comprendre que tout le monde là veut mettre fin à cet état de choses. Ils veulent tous rétablir l'économie, donc ils sont tous prêts à écouter n'importe qui et à montrer n'importe quoi. D'après moi, une délégation du gouvernement canadien serait bien reçue.

• 1025

[Français]

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Madame Scrimshaw, dans votre description de la situation au Soudan, vous nous avez dit qu'il s'agissait d'un conflit politique, ethnique, religieux, interrégional et territorial, évidemment à cause des ressources naturelles et du pétrole en particulier.

Cependant, on sait que cette guerre existe depuis 50 ans. Les négociations de paix ont à peu près toujours échoué. Les populations subissent des famines incroyables. Devant cette situation qui est, à mon avis, insoutenable pour ces pays-là, j'aimerais savoir, d'une part, si l'Organisation de l'unité africaine a joué un rôle dans ce conflit.

Deuxièmement, croyez-vous qu'on assiste à une forme de génocide appréhendé? Dans ce cas-là, est-ce que l'Organisation des Nations unies n'aurait pas un devoir d'ingérence humanitaire au Soudan? J'aimerais avoir votre avis et l'avis du ministère à ce sujet.

Bien sûr, quand on parle d'ingérence humanitaire, c'est toujours très délicat. Tout le monde a en tête l'exemple de la Somalie et de ses répercussions négatives. Indépendamment de cela, on a eu une situation dramatique au Rwanda et au Burundi, mais l'ONU s'est croisé les bras et on a vu ce qui est arrivé. Je pense qu'on doit aussi se poser la question en ce qui concerne le Soudan. Est-ce que l'ONU a un devoir d'ingérence humanitaire au Soudan, compte tenu que ce conflit perdure depuis 50 ans et qu'il semble impossible à résoudre d'une autre façon?

Mme Sandelle Scrimshaw: Merci, madame Debien. Ce sont des questions très importantes. Est-ce que l'OUA a joué un rôle? Oui, l'OUA, par l'intermédiaire de l'IGADD—je ne sais pas quel est l'acronyme français et vous m'excuserez—a offert d'être le médiateur dans le conflit entre le gouvernement à Khartoum et le SPLM.

On constate effectivement que malgré la bonne volonté de l'IGADD et des donateurs qui ont fait partie de ce groupe d'amis du processus, on n'est pas très avancé dans les négociations de paix. C'est cela, le problème, parce que la paix ne peut pas se réaliser à moins que les protagonistes, les deux parties principales, conviennent de trouver une solution durable. À mon avis, il y a des intérêts de part et d'autre, et c'est cela qui complique tout le processus.

Mme Maud Debien: Et la question du génocide?

Mme Sandelle Scrimshaw: Je pense qu'on ne peut pas, à ce stade-ci, parler de génocide. Je sais que nos amis ont utilisé ce terme. Il y a certainement des actes de brutalité et des abus des droits de la personne très, très graves qui ont été commis, surtout par le gouvernement à Khartoum et jusqu'à un certain point par les autres parties.

Est-ce que les Nations unies ont un rôle à jouer? Bien sûr. Dès le moment où un génocide est déclaré, il y a une obligation internationale d'intervenir. Ce qui est important, c'est que la communauté internationale essaie de fournir un appui au processus de paix et parle d'une même voix, afin qu'il n'y ait pas de ces processus dispersés qui, en fin de compte, diluent les efforts. Je souligne ce qu'ont dit certains des témoins: il y a une responsabilité internationale de venir au secours des victimes de cette guerre. Toute la cause humanitaire est très réelle, et nous avons tous la responsabilité de les aider.

Mme Maud Debien: Je parlais d'un devoir d'ingérence humanitaire, mais en fonction d'une ingérence militaire. On n'a jamais de problème devant l'ingérence humanitaire. Tous les pays donnent de l'aide. Je pense que cela s'est fait au Soudan et que le Canada y a participé d'une certaine façon. Quand je parle de devoir d'ingérence de la part de l'ONU, je parle d'un devoir d'ingérence militaire, mais qui a une connotation humanitaire au bout du compte.

• 1030

Vous dites qu'il n'y a pas de situation de génocide. Je pense pour ma part qu'il y a une situation de génocide appréhendé, ce qui est aussi grave qu'un véritable génocide.

Mme Sandelle Scrimshaw: Nous travaillons de concert avec les pays de la région. À ma connaissance, ils ne préconisent pas—je laisse à mes collègues le soin de me corriger—une intervention militaire à ce stade-ci. Ce qu'ils prônent, c'est un dialogue pour trouver une solution interne au problème. Bien sûr, s'il devait y avoir une détérioration importante de la situation, il faudrait examiner les autres options.

[Traduction]

Le président: Monsieur Middleton.

M. Mel Middleton: Découvrir les faits de ce génocide serait une autre raison pour envoyer une délégation parlementaire dans la région. Souvenez-vous qu'en 1994, quand les Hutus massacraient les Tutsis au Rwanda, il a fallu longtemps avant que la communauté internationale utilise le mot «génocide», même si tout le monde savait ce qui se passait.

Maintenant aussi, tout le monde au Soudan, à quelques exceptions près, sait ce qui se passe dans les Monts Nouba.

Je propose qu'une délégation parlementaire se rende sur place, plus particulièrement dans les zones occupées par l'opposition dans les Monts Nouba, et qu'elle surprenne le gouvernement en acceptant son invitation. Allez voir par vous-mêmes. Rendez-vous dans les champs de pétrole, mais visitez aussi les zones d'opposition, là où se sont réfugiées les personnes déplacées qui ont dû quitter les régions situées à proximité des champs pétrolifères. Allez à la colline d'Ingessna, dans le sud de la province du Nil bleu, visitez le Darfur Sud et dans le nord de la région de Bahr-el-Ghazal, où se pratique un commerce florissant des esclaves.

Le problème du génocide est très grave. Pour ma part, je suis convaincu, comme une foule d'autres organismes de défense des droits de la personne, que le génocide est l'un des objectifs dissimulés du gouvernement FIN.

Mme Sandelle Scrimshaw: Monsieur le président, je n'avais pas parlé de la visite éventuelle du comité au Soudan, et même si notre réaction était prévisible, j'ajouterai que j'appuie pleinement les propos des membres du groupe. Mais si une délégation parlementaire se rendait sur place, il importe qu'elle visite toutes les parties du pays pour se faire sa propre idée de ce qui s'y passe vraiment.

Cela dit, votre sécurité risquerait d'être compromise et il faudrait prendre les dispositions nécessaires avant d'élaborer trop avant les plans d'une visite.

Le président: Merci beaucoup.

M. Sarkis Assadourian: J'ai deux questions à poser. La première porte sur une note du mémoire de M. Middleton. À la page 7, au point 6, second paragraphe, vous dites que la société Arakis Energy Corporation est l'un des principaux facteurs de la guerre civile au pays. Est-ce exact?

M. Mel Middleton: Tout à fait, oui.

M. Sarkis Assadourian: Pourriez-vous nous donner des exemples de ce que fait cette société pour promouvoir la guerre civile dans la région? Que peut-on faire pour l'empêcher de faire ce que vous prétendez? Voilà ma première question.

Ma deuxième question est la suivante. Je remarque sur la carte que l'Egypte est située au nord du Soudan et la Libye, au nord-ouest. Pourriez-vous, vous ou un autre témoin, nous en dire davantage sur les relations qu'entretiennent le Soudan et la Libye, ainsi que le Soudan et l'Egypte, tant pour ce qui est de l'ensemble du pays que, plus particulièrement, sa partie sud? L'Egypte et la Libye s'intéressent-ils au Soudan?

Il y a quelques années, je sais qu'on a fait une tentative pour unir le Soudan et l'Egypte. Quel rôle l'Egypte joue-t-elle par rapport au gouvernement du Soudan, à Khartoum, ou dans le sud? Ma question s'applique également à la Libye.

M. Mel Middleton: Il me faudrait beaucoup de temps pour répondre à la dernière question.

À l'époque coloniale, l'Egypte et le Soudan formaient un seul pays régi par la règle condominiale anglo-égyptienne. L'Egypte a toujours conservé une influence paternaliste sur le Soudan. Si elle entretient des relations avec le Soudan, c'est surtout parce qu'elle craint que le cours du Nil puisse être bloqué. C'est là son principal intérêt et on ne peut donc pas dire qu'elle soit un observateur objectif. L'Egypte ne fera rien qui puisse nuire au cours des eaux du Nil.

• 1035

Il est très difficile de comprendre la relation avec la Libye puisque celle-ci est assez intermittente. Khadafy n'est pas un homme facile à comprendre. Il a fourni une aide financière au gouvernement, ainsi qu'à diverses factions rebelles et au gouvernement ougandais.

Il est très difficile à l'heure actuelle de se prononcer à ce sujet. La Libye entretient des liens très étroits avec l'ancien royaume du Fur, dans l'ouest du Soudan, avec le Darfur, et il existe encore des liens étroits entre les reliquats de certains de ces royaumes et la Libye.

Pour répondre à votre première question, les réserves pétrolières du sud du Soudan sont très vastes. En 1978, j'ai parlé à un travailleur de la Chevron, qui m'avait déclaré en confidence que ces réserves pourraient dépasser le frontières de l'Arabie Saoudite. Je n'ai aucun moyen de vérifier cette assertion, mais je sais que ces réserves sont très vastes. Elles s'étendent non seulement jusqu'à la région de Bentiu-Kadugli, mais aussi jusqu'à Opari, au sud du Soudan. Je suis persuadé qu'elles sont encore bien plus vastes que nous le pensons.

C'est pourquoi le fait qu'un seul camp profite à l'heure actuelle de prospection et de la production pétrolière constitue l'une des principales sources du conflit. Les Soudanais du sud ne veulent pas que des ressources qu'ils estiment être les leurs servent à aider un gouvernement qui vise leur anéantissement ou leur subjuguation. C'est la principale raison surtout qui alimente la guerre civile.

Il y a aussi une autre question importante, même si ce n'est peut-être pas la plus importante, et c'est qu'il y a eu des efforts de purification ethnique dans certaines régions à proximité des champs pétrolifères. Les mercenaires et les miliciens du gouvernement ont éliminé toutes les personnes qu'ils soupçonnaient de s'être ralliées au principal groupe de la SPLA, dont le chef est John Garang. C'est surtout la population Dinka qui habite les zones sud-ouest et ouest entourant les champs de pétrole de Kadugli.

M. Sarkis Assadourian: Ma question portait sur la société Arakis Energy Corporation. Vous avez dit qu'elle était l'un des principaux facteurs qui alimentent la guerre civile. Que fait la Arakis Corporation de Calgary pour promouvoir la guerre civile dans la région?

M. Mel Middleton: Plus précisément, elle aide le gouvernement à produire le pétrole, ce qui ne va pas...

M. Sarkis Assadourian: La société dont le représentant est à côté de vous, la Roll'n en fait tout autant. Pourquoi ne l'accusez-vous pas des mêmes «crimes»?

M. Mel Middleton: La Roll'n est également liée à Arakis. Lorsque je parle d'Arakis, j'entends par là que c'est la société principale.

M. Sarkis Assadourian: La Roll'n fait donc également la promotion de la guerre civile au Soudan?

M. Mel Middleton: Je ne sais pas exactement ce que fait ce groupe, outre ce que son représentant a déclaré ce matin.

M. Sarkis Assadourian: Mais quel genre de renseignements possédez-vous sur la société pétrolière Arakis? C'est ce que j'essaie de savoir. Vous ne m'avez pas donné un seul exemple de ce que fait cette société pétrolière, et pas cette autre, pour promouvoir la guerre civile.

Le président: Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Assadourian, mais si j'ai bien compris ce que nous a dit le témoin, à son avis, le gouvernement de Khartoum reçoit une part importante de l'argent provenant de la production de pétrole et c'est précisément cet argent qui permet au gouvernement de continuer à dominer le sud. C'est en cela qu'il dit que la pétrolière encourage la guerre civile, puisqu'elle permet à l'une des parties d'avoir un avantage financier, compte tenu des rentrées qui lui viennent des champs de pétrolifères, rentrées auxquelles la population du sud n'a pas accès.

Ai-je bien résumé vos propos? C'est du moins ce que j'ai compris du témoignage.

M. Sarkis Assadourian: Monsieur le président, tout ce que je dis, c'est que les autres sociétés en font autant. Pourquoi ne pointez-vous pas du doigt ces autres sociétés? Vous ne vous en prenez qu'à celle-là. C'est ce que j'essaie de savoir.

M. Mel Middleton: Je ne connais pas les interactions entre les différentes sociétés. Je crois cependant savoir qu'Arakis a employé cette société à titre d'expert conseil. Lorsque je parle d'Arakis, ce que je veux dire, c'est que c'est la principale société pétrolière qui offre des travaux en sous-traitance à d'autres groupes.

Le président: Mais, monsieur Middleton, vous feriez sans doute la même déclaration qu'il s'agisse d'une société pétrolière chinoise, américaine ou autre qui fournirait des recettes au gouvernement.

M. Mel Middleton: Tout à fait. Mais la différence, dans le cas de la société pétrolière canadienne, c'est qu'elle se sert de la bonne réputation du Canada. Et du coup, tous les Canadiens sont mis dans le même panier.

• 1040

M. Sarkis Assadourian: Deux sociétés pétrolières sont en cause ici. Arakis, d'une part, Roll'n, d'autre part. Il y en a peut-être davantage. Je ne connais pas personnellement ces sociétés, mais pourquoi vous en prendre à Arakis et pas aux autres? Avez-vous des renseignements plus précis?

M. Mel Middleton: Je m'en prends à toute société pétrolière canadienne qui prend part à la même activité.

M. Sarkis Assadourian: D'accord alors.

M. Gary Kenny: Arakis a toujours été la compagnie pétrolière canadienne la plus importante au Soudan. C'est pourquoi elle est visée de façon plus précise. Qu'il s'agisse de la Roll'n Oilfield, qui fournit de l'équipement, de l'International Petroleum company ou des autres sociétés dont vous n'étiez pas certain, à notre avis et de l'avis de l'Église, toutes les sociétés pétrolières canadiennes jouent un rôle de complice.

Ces compagnies n'alimentent pas la guerre proprement dite, mais elles sont complices parce qu'elles collaborent avec le gouvernement du Soudan pour prolonger la guerre grâce à la fourniture de réserves de pétrole ou de produits pétroliers transformés. De plus, elles donnent une certaine légitimité au régime parce qu'elles collaborent avec lui.

Ma dernière visite au Soudan remonte à octobre et novembre de l'année dernière. J'étais là pendant sept semaines. Je suis allé dans le sud du Soudan, dans les Monts Nouba et le nord-est du Soudan. J'ai demandé à tous ceux que j'ai rencontrés quelle était leur impression du rôle joué par le Canada dans le conflit au Soudan. Et presque chaque fois, la réponse portait sur Arakis. Tout d'abord, le Canada a une réputation internationale de promoteur et défenseur des droits de la personne. Donc il jouit d'un grand prestige au niveau international et de toutes ces autres valeurs inattaquables. Mais les gens à qui je parlais ne pouvaient pas comprendre pourquoi le Canada permettrait à une compagnie comme Arakis, ainsi qu'aux autres de continuer leur activité au Soudan ce qui, d'après eux, aidait beaucoup à prolonger la guerre.

Je pense que l'image du Canada s'est pas mal ternie à cause de cela. Je parle d'une vaste gamme de domaines—les Églises, les mouvements rebelles, les ailes politiques et militaires de ces mouvements, et des gens ordinaires. J'ai presque toujours eu la même réponse. L'image du Canada était tâchée à cause du comportement de ces compagnies.

M. Ron Robotham: Je ne suis pas d'accord avec cette déclaration. Je pense que les Canadiens sont bien connus partout au monde pour leur compétence technologique dans les champs pétrolifères et dans d'autres secteurs industriels. C'est l'une des raisons de notre présence au Soudan. Comme je l'ai déjà dit, à mesure que nous continuons de réduire notre soutien à ce pays, nous allons constater que d'autres groupes et d'autres factions vont jouer un rôle de plus en plus important. À l'heure actuelle, les Chinois sont là en force, et que je sache, ils ne font pas le travail humanitaire que font les Canadiens.

Je le répète, grâce à la présence des compagnies pétrolières au Soudan, on est en train de construire des hôpitaux et des villages. Les Canadiens font des investissements importants pour améliorer la situation dans la région de Heglig, qui courait un grand marasme économique. Certains de ces travaux vont même à l'encontre des principes de gouvernement mais nous le faisons pour la population soudanaise en général, pas pour une faction ou une autre.

Comme je l'ai dit plus tôt, les sociétés pétrolières ne sont pas les coupables en l'occurrence. Nous avons le beau rôle en essayant d'améliorer la situation économique du Soudan, qui a besoin d'un secteur industriel plus fort. Comme n'importe quel pays c'est la situation économique qui permettra au Soudan de survivre et d'atteindre la paix.

Et les Musulmans et les Chrétiens boivent de l'eau dans les puits que nous avons forés, alors que la veille ils se battaient. On voit les deux groupes venir au même hôpital. On les voit travailler ensemble lorsqu'ils ont la possibilité de travailler.

La famine c'est quelque chose d'horrible, qu'il faut voir afin de la comprendre. Elle pousse les gens à faire des choses horribles, et je le comprends. Mais lorsqu'il existe des possibilités, ils vont tous les partager; ils veulent tous en avoir. Ils ont tous un objectif commun. Ça ne sert à rien de qualifier certains de bons et d'autres de méchants. La solution c'est d'apprendre à tous le bon côté des choses, et à rester neutres.

En tant qu'entrepreneur, je vais rester impartial car je ne sais pas quel groupe sera au pouvoir ni pourquoi. Je reconnais que tous les Soudanais, des deux côtés, veulent avoir des avantages économiques et ils considèrent que le secteur pétrolier, le secteur manufacturier, l'agriculture, etc. comme avantageux pour les deux côtés. Je pense qu'ils recherchent tous la même chose.

Je pense que les Canadiens doivent encourager le développement économique au Soudan, et non pas le décourager, car plus on le décourage, plus il y aura des violations des droits de la personne. Plus les gens ont faim, plus la situation sera grave au Soudan. Ce n'est que logique.

• 1045

La chose la plus logique à faire c'est d'essayer d'améliorer leur situation économique à tous les niveaux et d'informer tous les côtés des avantages du développement économique. En tant qu'entrepreneur au Soudan, c'est ce que nous essayons de faire. Nous pouvons le faire de façon limitée. Nous employons 125 Soudanais. Ils sont heureux. Leur santé et leur hygiène sont bonnes. Leurs familles se portent de mieux en mieux et cette tendance va s'étendre. Cette tendance va continuer à s'accroître.

Je ne suis pas d'accord pour dire que des petites factions ici et là n'aident pas, mais je pense que si nous faisions assez, peu à peu, nous finirions par atteindre notre objectif. Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes en même temps, mais nous pouvons essayer d'utiliser nos sociétés, la libre entreprise etc. pour procurer des avantages économiques au Soudan et pour expliquer au gouvernement comment bien utiliser ces avantages économiques.

Des pays étrangers ou des entreprises étrangères vont dépenser probablement 1,5 milliard de dollars avant qu'une seule goutte de pétrole ne soit vendue. Je pense que nous n'allons ni produire ni commercialiser de pétrole avant au moins cinq ans. Certains analystes disent 10 ans, à cause de la guerre civile et tout le reste. C'est fort possible, mais je pense que cela va arriver d'ici cinq ans, car je pense que toutes les factions vont collaborer pour essayer de profiter des avantages économiques éventuels.

En ce moment, la seule crédibilité du gouvernement soudanais provient peut-être de sa tentative d'exploiter un champ de pétrole. Mais il ne reçoit pas de fonds comme tels, rien n'est dépensé.

Le président: Je veux m'assurer que le comité comprenne bien car il s'agit de ce que M. Middleton a dit à M. Assadourian et vous-même. Vous dites que vous n'exploitez pas de pétrole, et donc que le gouvernement ne retire pas de recettes, ce qui d'après vous ne se produira pas avant cinq ans. Est-ce exact?

M. Ron Robotham: C'est exact, monsieur.

Le président: Permettez-moi d'informer le comité de ce qui se passe sur le plan de la procédure. On entend la sonnerie d'appel parce que l'opposition a présenté une motion selon laquelle la Chambre doit passer à l'étude de l'ordre du jour. Il y aura par conséquent un vote à 11 h 10. Nous allons continuer jusqu'à 11 heures et ensuite nous prendrons une pause pour aller voter. Nous allons demander à M. Boudria de venir ici après le vote.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Monsieur le président, je suis heureuse que le comité discute de ces questions ce matin et je remercie nos témoins de leur franchise.

Nous savons que vous avez suggéré plusieurs choses que le Canada doit faire, d'après vous. Par ailleurs, les députés reçoivent certains documents, dont une revue où il est question d'une nouvelle constitution.

Puisque nous avons déjà examiné certaines des autres questions, j'aimerais me renseigner au sujet de cette nouvelle constitution, si l'un ou l'autre de nos témoins est au courant. Quel est le rôle de cette constitution pour ce qui est du règlement du conflit? Est-ce que le Canada a participé à cette ébauche? Quelle est la position des partis d'opposition et d'autres groupes pour ce qui est de ce projet de constitution?

Le prince Marciano Luwala-Eli: La nouvelle constitution du Soudan ne propose pas de changement. Le gouvernement islamique essaie tout simplement d'user de manoeuvres pour convaincre les Soudanais du Sud qui font partie du gouvernement qu'il a présenté une nouvelle constitution capable d'unifier tous les Soudanais.

D'abord, tant que la loi islamique reste la loi officielle du Soudan, il n'y a rien qui garantit aux gens du Sud que la constitution est pour tout le monde. Nous, les gens du Sud, n'accepteront jamais d'être gouvernés par la constitution islamique, parce que nous estimons que la loi du pays est la loi internationale qui puisse s'appliquer d'une façon égale à tout le monde. Donc, il n'y a pas de changement au niveau de la constitution.

• 1050

Le président: Lorsque les représentants officiels du Soudan étaient ici, je leur ai dit ce que vous venez de dire. Ils ont répondu, qu'en vertu de la nouvelle constitution, toutes les régions pourront adopter leur propre code religieux, et que la loi islamique ne s'appliquerait pas dans le Sud. Nous avons beaucoup de difficultés à comprendre si c'est vraiment la vérité qu'on nous racontait ou s'il ne s'agit que de trompe-l'oeil. Vous êtes les premiers témoins à comparaître devant le comité qui sont véritablement de cette région, et vous pouvez nous aider à savoir s'il s'agit de propagande ou la vérité.

Vous nous dites catégoriquement qu'en fait le gouvernement n'entend pas accorder la liberté religieuse aux gens du Sud. Est-ce exact?

Le prince Marciano Luwala-Eli: D'après les croyances musulmanes, pas seulement dans le Soudan, mais partout dans le monde islamique, on estime que l'Islam vient avant tout, ainsi que les Musulmans.

Nous, les Chrétiens du Soudan, savent très bien qu'ils essaient de nous cacher la vérité. Ils essaient de vous dire qu'ils ont conçu de bonnes idées concernant l'unité, mais rien... Le Coran dit explicitement que vous avez votre propre religion et que j'ai la mienne, mais au Soudan, on n'applique même pas les principes du Coran.

Le représentant qui vous a parlé essaie de vous convaincre pour obtenir l'appui des Canadiens.

Le président: Madame Augustine, je regrette, j'ai interrompu votre interrogatoire.

Mme Jean Augustine: Monsieur le président, j'essayais de ne pas révéler la conversation très publique que nous avons eue à ce déjeuner, mais elle est importante parce que cela correspond à cet article que j'ai lu. Mais j'aimerais entendre parler les autres témoins.

M. Mel Middleton: Je suis d'accord avec mon collègue. C'est une tentative pour tromper l'Ouest. Je crois qu'il faut vraiment écouter ce que le gouvernement dit à ses propres gens du Nord, le Front national islamique, parce, je vous le garantis, il n'affirmera jamais devant ces gens que l'Islam ne gouvernera pas le pays. Ils peuvent le dire à l'étranger, aux diplomates de la Communauté internationale, mais jamais à ses propres gens.

Pour vous rappeler de ce qui s'est passé en 1983, il y avait une entente écrite qui avait été négociée grâce aux efforts de Haile Selassie à Addis Ababa, qui accordait l'autonomie régionale au Sud, la liberté religieuse, etc. À l'époque, le Fonds national islamique était d'avis que cette entente ne figurait pas dans le Coran et donc qu'elle n'avait pas de force exécutoire. Alors, soyons un peu sceptiques.

Mme Sandelle Scrimshaw: Nous avons un exemplaire de l'ébauche de constitution, et j'en fournirai volontiers des exemplaires aux membres du comité. Nous cherchions tout à l'heure la référence, mais nous croyons comprendre que la constitution, dont l'ébauche a été adoptée par l'assemblée du Soudan, et qui fera maintenant l'objet d'un référendum, ne contient pas de disposition visant la séparation de l'État et de l'Église, et elle a donc été critiquée par l'opposition. Par ailleurs, il ne prévoit pas la formation de partis politiques, même si le FIN avait dit qu'il y aurait des élections multipartites à l'avenir. Alors, cela nous préoccupe aussi.

Je crois que M. Kilgour a soulevé ces préoccupations lors d'une réunion récente avec le chargé d'affaires du Soudan.

[Français]

Mme Monique Guay (Laurentides, BQ): Monsieur le président, évidemment, on est tous très préoccupés par la pauvreté et par la situation au Soudan. Ce sont surtout les femmes et les enfants qui paient le prix de cette situation. On a entendu différentes opinions ici, autour de la table. Mes questions porteront surtout sur l'aide internationale. Donc, M. McMaster pourra probablement me répondre.

• 1055

La ministre Marleau, qui est venue devant le comité dernièrement, nous a dit qu'elle avait un plan d'action ou qu'elle allait en produire un pour qu'on puisse atteindre le niveau 0,7 p. 100 du PIB. Est-ce que vous êtes au courant de cela?

[Traduction]

M. Don McMaster (directeur général, Afrique de l'Est et programme «Corne de l'Afrique», Agence canadienne de développement international): Je sais que le ministre, comme tout le gouvernement, espère pouvoir revenir à la cible de 0.7 p. 100, qui, bien sûr, a été la cible du Canada depuis qu'elle a été établie à la fin des années 60. Évidemment, notre capacité d'atteindre cet objectif dépendra des montants qui seront affectés à l'ACDI par le ministre des Finances.

Comme vous le savez sans doute, notre pourcentage par rapport au PIB a chuté radicalement depuis cinq ans, alors que tous les ministères ont subi des compressions budgétaires pour pouvoir lutter contre le déficit. Nous espérons que dans les années qui vont suivre cette année fiscale, le budget de l'ACDI va augmenter de même que ceux des autres ministères, et que nous pourrons, pour ainsi dire, rétablir le progrès que nous avions réalisés dans les années 80 pour atteindre la cible de 7 p. 100.

[Français]

Mme Monique Guay: On est très conscients qu'il y a eu des coupures partout. On est censé donner de l'aide au Soudan. Je pense qu'il faut continuer à l'aider. J'aimerais que vous me fassiez une description des programmes qu'on a là-bas. Est-ce qu'il y a eu des coupures jusqu'à présent dans l'aide de l'ACDI en Afrique de l'Est? Qu'est-ce qu'on devrait dépenser pour aider le Soudan concrètement et rapidement? Est-ce qu'on a en ce moment des programmes qui fonctionnent sur place pour apporter cette aide qui est essentielle au développement du pays?

[Traduction]

M. Don McMaster: Monsieur le président et madame Guay, le Canada n'a pas eu de programme bilatéral de coopération avec le Soudan depuis 1992. Le programme a été suspendu après la visite de la délégation parlementaire, dont on a parlé, parce qu'on estimait, d'abord, que les violations des droits de la personne au Soudan par le gouvernement étaient telles que nous ne pouvions pas continuer à l'appuyer par un programme bilatéral, et, aussi, nous étions d'avis qu'il était impossible dans une situation de conflit de monter un programme de développement bilatéral parce que normalement cela nécessite qu'on puisse travailler sur le terrain à long terme.

Depuis lors, nous avons répondu seulement aux appels pour l'aide d'urgence et l'aide alimentaire d'urgence. Comme Mme Scrimshaw l'a dit dans son exposé, nous avons contribué plus de 100 millions de dollars en aide d'urgence depuis 1990.

Dans l'année en cours, 1998, nous avons déjà contribué presque 6 millions de dollars d'aide au Soudan. Je crois qu'il est important de souligner que nos contributions d'aide d'urgence se font en réponse aux demandes d'aide. Cela veut dire que nous répondons aux demandes qui sont adressées au gouvernement canadien par des organismes internationaux et par les ONG. Pour le Soudan, la plupart de ces activités sont coordonnées par Opération Survie Soudan. Mais nous ne prenons pas l'initiative d'accorder de l'aide humanitaire, parce que cela ne figure pas dans le mandat du programme d'aide humanitaire de l'ACDI. C'est un programme qui répond aux appels.

Nous avons un programme à vocation régionale. Je crois que M. Kenny en a parlé. C'est le programme d'habilitation administré par OXFAM, un ONG canadien, qui travaille au Soudan ainsi que dans d'autres pays de la région. C'est un programme qui est géré par OXFAM et qui répond aux demandes faites par les ONG de la région. Il s'agit d'un programme, financé bilatéralement, à caractère régional, qui pourrait fonctionner au Soudan.

De plus, on a parlé de l'appui que nous accordons à l'Autorité internationale pour le développement (IGAD). Ce programme vise aussi le développement de capacités dans la région, et plus précisément, vise à résoudre des conflits, notamment dans le Soudan et aussi en Somalie.

• 1100

Le président: Merci.

J'aimerais juste faire remarquer, étant donné que nous allons très vite manquer de temps que M. Middleton, qui je vois a levé la main, a signalé dans son mémoire qu'il craint un mauvais usage des fonds de l'ACDI, et il se demande si ces fonds atteignent les gens qui devraient les recevoir.

Monsieur McMaster, si vous ne pouvez pas répondre à cela maintenant, très rapidement, je vous proposerais que l'ACDI fournisse une réponse écrite au comité sur cette question, que nous pourrions ensuite faire parvenir à M. Middleton. Je sais que M. Kenny aimerait bien à savoir si les fonds arrivent vraiment aux gens qu'ils devraient aider. C'est une préoccupation, et je crois que Mme Guay aussi veut savoir si on arrive vraiment à faire parvenir l'argent aux vrais destinataires.

J'ai une question. Est-ce que d'autres membres du comité ont assisté à une réunion au petit déjeuner qui avait été organisée ici au Parlement il y a à peu près deux ans, par un groupe de femmes du Soudan? Elles étaient tant du nord que du sud. Mme Augustine a dit qu'elle y était. Elles ont laissé entendre qu'il y avait un potentiel pour les groupes de femmes de travailler pour la paix au Soudan. Est-ce que quelqu'un parmi les témoins sait s'il y a eu du progrès et si nous pouvons apporter une aide précise à de tels groupes?

Elles ont été très impressionnantes. Je me souviens que c'était un groupe de femmes très imposant. Elles représentaient des ONG. Elles travaillaient d'une façon indépendante. Si elles pouvaient obtenir de l'aide ou de l'appui, je crois que ça aiderait le processus de paix mais je ne suis pas très renseignée à ce sujet.

M. Gary Kenny: La visite de ces deux femmes a été en effet organisé par mon organisation. Récemment, lorsque j'étais au Soudan, j'ai encore une fois visité les projets de femmes dans le sud du Soudan, et elles faisaient un travail absolument magnifique surtout dans le domaine de la résolution des conflits et de l'établissement de la paix. Je ne peux pas tarir de louanges à leur égard. Le problème est un manque chronique de ressources pour faire le travail de suivi qui est nécessaire pour que des programmes de cette nature soient solidement enracinés dans la collectivité.

J'encouragerais ce comité à appuyer tout potentiel de financement de ces initiatives à l'avenir soit par l'entremise de l'ACDI ou du ministère des Affaires étrangères.

Je voudrais répéter qu'elles font un travail absolument extraordinaire. Il y a beaucoup de potentiel pour élargir leur activité, mais elles manquent de ressources pour y parvenir efficacement.

M. Mel Middleton: Je suis d'accord avec Gary. Elles font un travail splendide, mais il faut que les mouvements et le gouvernement les prennent au sérieux, et c'est à cet égard que des pays comme le Canada peuvent jouer un rôle.

J'aimerais apporter une précision. Le plus gros du montant de 100 millions de dollars que l'ACDI a accordé au Soudan, a été donné entre 1990 et 1993. Les chiffres pour la période de 1994 à 1997 reflètent une situation tout à fait différente.

[Français]

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Monsieur le président, je me permets de poursuivre sur la question qui a été soulevée.

Au début, je me suis dit que la guerre civile qui sévissait au Soudan était peut-être si terrible que ma question allait sembler très superficielle et je me suis demandé comment j'allais la poser. Je me demandais quelle sorte d'initiatives il y a eu par rapport à la société civile au Soudan, que ce soit des femmes ou d'autres groupes, des groupes d'Églises ou autres. Quelle sorte d'initiatives y a-t-il dans le pays pour les appuyer, en particulier par rapport au développement de la «démocratie», et quel a été ou quel pourrait être le rôle du Canada par rapport à ce type d'initiatives?

[Traduction]

M. Mel Middleton: On pourrait prendre le reste de la semaine pour répondre à cette question. Il y a beaucoup de...

Le président: Il y a un vote dans trois minutes.

M. Mel Middleton: J'aimerais répéter la proposition de Gary pour qu'on organise une table ronde sur cette question, parce qu'il y a beaucoup de choses qui pourraient être faites si des pays comme le Canada s'y engageaient.

Le président: Madame Scrimshaw, voulez-vous ajouter le dernier mot?

Mme Sandelle Scrimshaw: Comme je l'ai dit dans mes propos liminaires, nous comptons organiser une table ronde sur le Soudan. Je crois que cela permettrait de sonder les opinions des divers intervenants au Canada qui s'intéressent au Soudan.

Une des questions qui a été soulevée lors de nos réunions avec les ONG concernait l'impact de la guerre civile sur les femmes et le rôle que celle-ci peuvent jouer dans l'établissement de la paix et la gestion des conflits. C'est une des questions que l'ACDI et le ministère des Affaires étrangères veulent étudier de très près.

Le président: Je présume que vous allez tenir le comité au courant lorsque vous déciderez d'organiser votre table ronde.

Au nom des membres du comité, j'aimerais remercier les gens qui sont venus se joindre à nous ce matin. Vous pouvez constater que nous avons beaucoup à apprendre.

Prince Luwanla-Eli, vous êtes le Custodian de votre peuple. Nous avons beaucoup à apprendre et nous sommes très désireux d'apprendre. S'il y a quelque chose que nous puissions faire pour être utile, on aimerait bien aider.

[Français]

Je parle de la part de tous les membres du comité à cet égard.

• 1105

[Traduction]

La séance est levée jusqu'après le vote, quand le ministre Boudria sera ici pour discuter de notre initiative en Algérie. Veuillez revenir tout de suite, parce que nous aurons perdu du temps et nous voudrons recommencer tout de suite.

Merci beaucoup, la séance est levée jusqu'après le vote.