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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mars 1999

• 1112

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte. Nous sommes très heureux d'accueillir ce matin M. Giancarlo Aragona, le secrétaire général de l'OSCE.

Mesdames et messieurs les membres du comité, vous trouverez dans votre documentation des renseignements sur l'OSCE qui, vous vous en souviendrez, a une compétence qui s'étend «de Vancouver à Vladivostok», comme le dit la documentation. Le Canada et les États-Unis sont tous les deux membres à part entière de l'OSCE. Toutefois, l'OSCE se préoccupe surtout de sécurité et de coopération en Europe, notamment en Europe de l'Est, du fait des problèmes découlant de la disparition de l'Union soviétique.

M. Aragona est juriste de formation, mais il a été diplomate actif depuis le début de sa carrière. Certains d'entre nous ont eu l'occasion de l'entendre parler hier soir.

Nous sommes très heureux de vous recevoir monsieur à la veille de ce que nous espérons être des négociations couronnées de succès, à Rambouillet, relativement au Kosovo. Je crois comprendre que vous nous ferez un exposé d'une dizaine de minutes. Nous passerons ensuite aux questions des députés.

Monsieur Aragona.

M. Giancarlo Aragona (secrétaire général, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe): Merci beaucoup, monsieur le président. Permettez-moi d'abord de dire combien je suis ravi d'avoir cette rencontre avec votre comité. Je ne suis ici que depuis une trentaine d'heures, mais ce dont je prends conscience au cours de mes rencontres—j'arrive à l'instant d'une réunion avec le ministre et le sous-ministre des Affaires étrangères—c'est l'énorme intérêt que porte le Canada à l'OSCE. Cela explique la contribution très active de votre pays à nos activités.

S'il est un aspect que je tiens à souligner généralement avant d'aborder quelques problèmes pratiques, c'est bien la concordance, la proximité entre, d'une part, la culture politique et diplomatique, les objectifs généraux de la politique étrangère du Canada et, d'autre part, les objectifs de l'OSCE. Il y a une très grande proximité.

• 1115

Notre travail est axé sur un concept très étendu de la sécurité, ce qui signifie que la dimension humaine, l'installation de la démocratie et l'égalité entre les ethnies sont toutes des valeurs profondes de nos activités. Je sais que ces valeurs sont également à la base de votre politique étrangère, ce qui explique notre communauté de vues et le fait que votre apport à l'OSCE soit extrêmement important et utile. Vos contributions sont très significatives.

Mon exposé sera très bref. J'ai rencontré certains d'entre vous hier, au dîner; je voudrais donc éviter de répéter des choses que certains d'entre vous ont déjà entendues. Si vous le permettez, je voudrais passer en revue les questions les plus topiques. Ensuite, je serai heureux de dialoguer avec vous sur des questions d'intérêt plus immédiat.

Bien sûr, la question du Kosovo est la plus brûlante d'actualité. Je m'en suis rendu compte ce matin, au petit déjeuner du Cercle national des journalistes, où j'ai d'ailleurs traité de cette question en particulier. En ce qui concerne les négociations, d'après les renseignements les plus récents que je tiens de mon personnel, à Vienne, les Albanais, comme vous le savez, se sont dits prêts à signer l'accord. La signature ne s'est pas encore produite, mais ils se sont dits prêts.

Les Serbes ont également essayé ce matin de rouvrir la discussion sur les aspects politiques de l'accord. Toutefois, comme vous le savez, il y a la question fondamentale du déploiement d'une force multinationale pour permettre la mise en oeuvre de l'accord politique et, jusqu'à présent, ce déploiement a été déclaré inacceptable par les autorités de Belgrade. Voilà donc où nous en sommes. Les consultations et les discussions se poursuivent.

Les coprésidents de la conférence à Paris, MM. Robin Cook et Hubert Vedrine, ont annoncé que le temps commence à manquer. Il n'existe pas de date officielle prévue d'achèvement des pourparlers, mais Vedrine et Cook ont manifestement tenu à souligner qu'ils ne peuvent pas s'éterniser et que chacune des parties doit maintenant donner clairement sa position. Cela s'applique aux Serbes car, comme je l'ai dit, les Albanais semblent prêts à signer. Nous verrons bien ce qui se produira.

Dans cette situation, comme vous le savez, d'après les documents cadres de Rambouillet, l'OSCE est censée devenir le principal organisme civil chargé de la mise en oeuvre de l'accord. Toutes les dispositions de l'accord portant sur des questions civiles seront mises en oeuvre avec l'assistance de l'OSCE. Nous nous préparons à assumer ces fonctions, qui se développeront sur quatre grands axes: la police, la démocratie, l'autorité de la loi et les élections. Nous devons être prêts à les assumer dès qu'un accord est conclu.

Si, au contraire, les choses ne vont pas dans le bon sens, la perspective de retrait de la mission en cours—la KDOM (Mission diplomatique d'observation au Kosovo)—deviendrait très sérieuse, parce que la menace à la sécurité de nos représentants deviendrait intolérable. Nous envisagerions alors de les retirer. Nous disposons d'un plan très détaillé pour sortir nos représentants de la région en quelques heures si la décision de se retirer est prise.

Nous sommes au Kosovo depuis la fin d'octobre, date à laquelle a commencé notre déploiement. Étant donné que vous êtes les députés d'un pays qui a consacré des ressources importantes à la tenue de la mission en cours au Kosovo, la KDOM, j'ai également une chose que je tiens à vous dire. Vous avez promis d'envoyer 100 personnes, et un grand nombre d'entre elles ont déjà été déployées sur le terrain, depuis la fin d'octobre.

• 1120

Ce que je tiens à vous dire, c'est que notre présence au Kosovo a fait une différence considérable. Nous en sommes tous sûrs, sans notre présence le niveau de violence au Kosovo aurait été beaucoup plus élevé. Je sais que le public a bien de la difficulté à accepter cet argument. Lorsqu'on apprend, par les journaux, ce qu'est le niveau de violence, ce que sont les violations du cessez-le-feu, on se demande ce que font ces observateurs si tout cela se produit. Je pense que nous devons également nous rendre compte que, sans cette présence internationale, le niveau de violence aurait été bien plus considérable.

Si, comme nous l'espérons, on nous permet de nous acquitter de ces nouvelles tâches, il y aura beaucoup de travail à faire. Nous aurons encore à déployer des milliers de membres de la mission, et en grande partie ce ne seront plus les mêmes que ceux qui sont déjà là, parce que les compétences requises sont totalement différentes. J'espère que les États participants nous offriront un appui suffisant pour que ce changement soit possible.

Voilà donc pour ce qui est du Kosovo. Permettez-moi toutefois de préciser une chose: l'OSCE, c'est plus que le Kosovo, tant sur le plan politique que sur le plan opérationnel. C'est plus, sur le plan politique, parce que l'OSCE est au coeur du débat actuel relatif à la sécurité européenne. Lorsque je dis européenne, permettez-moi de préciser encore une fois que j'entends par là une zone beaucoup plus vaste, qui inclut l'Amérique du Nord, l'Europe à proprement parler et, à partir de là, l'Asie centrale, c'est-à- dire toute la région couverte par l'ancienne Union soviétique. L'OSCE est au coeur du débat sur les dispositions futures relatives à la sécurité dans cette vaste région.

La guerre froide n'ayant plus cours, nous devons repenser la façon d'organiser cette sécurité. L'OTAN fait sa part du travail en mettant à jour les concepts stratégiques et en cooptant de nouveaux membres. L'OSCE discute d'une charte de la sécurité européenne pour le XXIe siècle qui devrait donner une idée du rôle que l'OSCE envisage pour elle-même dans ce scénario complexe où interviennent plusieurs agents, plusieurs protagonistes.

C'est un exercice politique qui est extrêmement délicat. Comme vous le comprenez, il y a également le problème des hiérarchies entre les diverses institutions qui évoluent sur ce terrain. Il y a le problème de la relation entre l'OSCE et l'OTAN. Il s'agit d'une relation très complexe, comme vous pouvez facilement l'imaginer, parce que l'on veut garder à l'OTAN son rôle de pilier de la sécurité occidentale tout en voulant, parallèlement, que cet organisme contribue sérieusement à la stabilité globale.

L'OSCE a un mandat qui, d'une certaine façon, entrecoupe ce rôle. Nous nous intéressons à la sécurité et à la stabilité, mais la composition n'est pas la même. Bien sûr la Russie n'est pas dans l'OTAN. Cela complique donc le débat. C'est un débat extrêmement important qui se déroule depuis un certain temps et qui devrait avancer maintenant vu que le prochain sommet aura lieu en novembre 1999. On ne s'attend pas que la charte soit conclue à ce moment-là, mais ce sera certainement un moment où il faudra faire une évaluation sérieuse des résultats obtenus.

L'OSCE, c'est également plus au plan opérationnel. Nous avons actuellement 17 activités sur le terrain, surtout dans les Balkans, mais également dans le Caucase en Asie centrale, dans les pays baltes et en Ukraine. Nous avons donc une très large présence. Nous sommes même présents en Russie, par l'intermédiaire d'un groupe d'assistance qui traite de la crise en Tchétchénie, cette région du nord du Caucase. Nous avons un très vaste réseau de présences sur le terrain.

Nous agissons par l'intermédiaire d'un certain nombre d'institutions: le haut-commissaire aux Minorités nationales, le représentant de la Liberté des médias, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de la personne, qui s'occupe également des élections, de la supervision organisée des élections, pour s'assurer qu'elles sont démocratiques. Chacune de ces institutions fonctionne dans ce cycle complexe qui va de la prévention des conflits au rétablissement de la normalité après les conflits, en passant par la gestion de crise.

• 1125

Vous pouvez constater que nous sommes en plein milieu d'efforts très sérieux visant à renforcer nos capacités opérationnelles et à trouver notre juste place dans ce scénario de l'après-guerre froide.

Une caractéristique de ce scénario, c'est le fait, comme je le dis, qu'il y a plusieurs institutions qui fonctionnent parallèlement, parfois avec des mandats similaires. Nous tâchons d'élargir la collaboration avec d'autres institutions. Nous nous rendons compte que nous ne pouvons ni ne devons nous charger de trop de tâches en même temps. Nous devons travailler en étroite synergie avec d'autres organisations. Nous le faisons avec l'OTAN, avec le Conseil de l'Europe, avec l'Union européenne et avec un certain nombre d'autres organismes, tels que les institutions financières, parce que la stabilité économique est également une partie essentielle des mesures générales qui permettront de stabiliser cette vaste région et notamment les pays issus des régimes communistes.

Tout cela—et je terminerai là-dessus—nécessite un énorme effort de la part des États participants. Les organismes internationaux sont, d'une certaine façon, des boîtes vides: elles sont remplies par les ressources et les tâches que leur confient les États participants.

Il est donc important que nous continuions à jouir de l'appui des pays membres. Selon moi, il y a une chose qui devrait rendre plus facile aux pays membres de nous aider, de nous accorder l'appui dont nous avons besoin, et c'est le fait que nous soyons un organisme qui n'absorbe pas de ressources financières pour maintenir une bureaucratie internationale. Nos effectifs administratifs sont, en fait, très limités. Notre budget est un budget de programme. Il sert à soutenir des activités. C'est un budget qui connaît d'énormes fluctuations, parce qu'il dépend des activités politiquement décidées. Une fois qu'on en a décidé, les ressources nécessaires sont attribuées au programme approprié.

Cet aspect constitue selon moi—je sais que je m'adresse à des législateurs—un élément important. Votre argent, l'argent des États participants, ne sert pas à alimenter une vaste bureaucratie, contrairement à ce qui se produit dans plusieurs autres organisations. Il soutient des programmes, les programmes que vos pays ont approuvés et veulent voir mis en oeuvre.

Encore une fois, je tiens à remercier le Canada pour ce qu'il fait. Je suis sûr qu'avec l'appui du Parlement, votre gouvernement continuera de nous accorder son soutien. Ayant rencontré le ministre des Affaires étrangères ce matin et le ministre des Entreprises hier, ainsi qu'un certain nombre de fonctionnaires, je rentre à Vienne armé d'un message convaincant de soutien du Canada à l'OSCE. Je suis sûr que tous les États participants accueilleront ce message avec plaisir lorsque je le transmettrai au conseil, à Vienne. J'espère également que la presse ce matin a clairement compris le message que je lui transmets: l'OSCE a une très grande dette de reconnaissance au Canada pour le soutien qu'elle reçoit.

Cela dit, monsieur le président, j'ai terminé et je suis prêt à répondre aux questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le secrétaire général.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur le secrétaire général, c'est un plaisir et honneur de vous recevoir ce matin à notre comité.

J'aimerais poser une brève question. Hier, à l'émission Le point, on diffusait un reportage spécial d'une heure sur le conflit au Kosovo. On y interviewait le secrétaire général et on parlait de la nécessité du retrait des observateurs de l'OSCE pour éviter qu'ils risquent d'être pris en otage. Est-ce qu'«observateur» est la bonne appellation?

M. Giancarlo Aragona: On les appelle plutôt des vérificateurs.

M. Benoît Sauvageau: Le secrétaire général de l'OTAN appuie ce retrait des vérificateurs, dont vous avez d'ailleurs fait mention brièvement dans votre exposé tout à l'heure. J'aimerais que vous vous exprimiez davantage sur le plan de retrait des vérificateurs de l'OSCE dans les jours à venir, parce qu'on parlait d'heures ou de jours pour sa mise en oeuvre.

• 1130

M. Giancarlo Aragona: Je n'ai pas entendu la réponse exacte de M. Solana à cette question, mais je voudrais clarifier un point. Nous prendrions évidemment la décision de retirer du Kosovo nos vérificateurs si la situation l'exigeait. Nous suivons l'évolution de la situation pour être en mesure de prendre une décision de façon appropriée si la nécessité se présente. Évidemment, nous avons espoir que les choses évoluent de telle manière que notre mission, au lieu de se retirer, puisse être à même d'assumer les nouvelles fonctions qui sont prévues dans les accords de Rambouillet.

Pour en venir à l'aspect pratique de votre question, je suis en mesure de vous confirmer que si on décidait de retirer les observateurs, nous serions en mesure de les déplacer du Kosovo en Macédoine en l'espace de quelques heures. Notre plan prévoit en effet un délai de huit ou neuf heures pour ce faire. Le plan est complet et il a été préparé par des experts. Nous sommes confiants qu'il puisse être exécuté dans les délais prévus.

Tout cela s'ajoute évidemment à ce que nous pensons être aussi clair, à savoir que les parties du conflit au Kosovo sont conscientes que ce serait une erreur capitale de leur part que d'entraver le retrait. Nous avons des motifs raisonnables de penser que les parties en sont conscientes.

Évidemment, dans une situation comme celle qui prévaut au Kosovo, il y a toujours un élément d'incertitude et d'imprévisibilité. Il est toujours très difficile de calculer précisément quelles seront les réactions dans des situations pareilles. Nous pensons cependant que les parties sont conscientes de l'importance du respect des vérificateurs internationaux. De plus, n'oublions pas qu'il y a aussi la force d'extraction de l'OTAN en Macédoine qui, le cas échéant, sera prête à intervenir pour soutenir le retrait.

M. Benoît Sauvageau: Ma prochaine question porte sur votre visite ici, au Canada. Lorsque le Canada vous octroie les sommes d'argent nécessaires à la réalisation des projets dont a décidé l'OSCE, est-ce que ces sommes sont dépensées non pas pour une lourde bureaucratie—vous disiez «comme dans d'autres organisations» sans les préciser—mais plutôt pour la réalisation des projets?

Par exemple, lorsque vous décidez de réaliser un projet au bénéfice du Kosovo ou de la Tchétchénie et que vous demandez l'aide de vos partenaires, est-ce que le processus d'acceptation du gouvernement canadien se déroule assez rondement ou s'il y a certains problèmes de processus et de procédure lorsque vient le temps de satisfaire à nos obligations?

M. Giancarlo Aragona: En ce qui concerne les procédures et la manière dont nous négocions les contributions canadiennes, non, franchement, il n'y a pas de problèmes majeurs.

Nous avons justement parlé hier avec Mme la ministre de coopération et de façons de rendre ce mécanisme encore plus fluide. On a même évoqué la possibilité que l'OSCE et le gouvernement canadien signent un mémoire d'entente, ce qui serait évidemment un avantage. J'ai dit à Mme la ministre qu'on était prêts à envisager cette possibilité. Au point de vue des contributions, surtout financières, nous sommes satisfaits.

• 1135

Là où on pourrait peut-être améliorer les mécanismes, bien que je sois conscient qu'il y a un problème au niveau de la disponibilité de ressources humaines, c'est au plan de la mise à contribution de personnel canadien dans nos missions. Vous vous êtes engagés à fournir une contribution en personnel très importante au Kosovo, soit 100 vérificateurs. C'est un grand nombre. Votre contribution est parmi les plus importantes; vous faites partie de la catégorie des contributeurs majeurs à la mission au Kosovo. Vous avez aussi affecté des Canadiens à des missions en Bosnie et en Estonie. Mais il est évident que si le gouvernement canadien était en mesure de mettre à la disposition de l'OSCE davantage de personnel, il serait le bienvenu parce que la qualité—et je vous le dis en toute franchise; ce n'est pas du tout une formule de courtoisie—du personnel canadien qui travaille à l'OSCE est vraiment très élevée. Nous avons toujours eu des experts canadiens de haut niveau dans tous les secteurs. Nous avons vu en Bosnie, par exemple, dans le secteur électoral, des contributions très importantes de vos experts. Vous apportez des contributions de qualité dans tous les secteurs.

Donc, mon espoir est que votre gouvernement puisse augmenter le nombre d'experts qu'il met à la disposition de l'OSCE.

[Traduction]

Le président: Monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Merci.

Une fois de plus, bienvenue chez nous. Hier, vous avez répondu à un certain nombre de mes questions, mais je voudrais approfondir une ou deux choses, si vous le permettez. Excusez-moi d'être arrivé en retard.

Tout d'abord, lors du petit déjeuner ce matin, vous avez dit aux médias que vous aimeriez que la contribution du Canada augmente, comme vous venez de le dire. Je me demande si vous pouvez être plus précis quant aux secteurs où cela devrait se faire, quant aux chiffres, aux sommes, etc.

Deuxièmement, je me pose des questions sur les pressions exercées par tous les pays au sein de l'OSCE. Pouvez-vous nous fournir de plus amples explications sur les difficultés que vous pouvez éprouver lors de la prise de décisions? Comme vous êtes à Vienne et que vous observez les interactions entre les divers pays membres, je sais que... Pouvez-vous identifier les groupes de pression, si vous comprenez ce que je veux dire, afin que nous puissions comprendre l'organisation un petit peu mieux? Je vous en saurai gré. Merci.

M. Giancarlo Aragona: Merci beaucoup. Pour ce qui est des contributions du Canada, permettez-moi de préciser une chose. Du point de vue financier, le Canada est un des grands donateurs. Nous ne pouvons donc que dire merci, qu'exprimer notre reconnaissance pour votre contribution financière à nos activités. En ce qui concerne les contributions financières, je ne peux qu'exprimer des remerciements.

Là où j'encouragerais le Canada à en faire plus, si possible—mais je comprends également qu'il y a des contraintes pratiques, comme celles de trouver les gens, de les amener à vouloir se rendre si loin sur le terrain, parfois dans des régions du monde où la situation est difficile—c'est en ce qui concerne l'envoi d'un plus grand nombre d'experts. Il y a eu augmentation du nombre, mais je vous encourage à en faire plus. Vous avez une excellente feuille de route pour ce qui est de la surveillance des élections et de l'installation de la démocratie. Dans votre société civile, vous avez un certain nombre d'ONG et de fonctionnaires qui se vouent à l'éclosion de ce que nous appelons un bon système administratif. Vous avez également une compétence importante en formation des forces policières, en démocratisation des corps policiers.

Tous ces secteurs d'activité recoupent pratiquement toutes les activités traditionnelles de l'OSCE. Je suis sûr que les experts canadiens, comme ils l'ont fait jusqu'à ce jour, peuvent offrir une contribution très utile à cet égard. Sachant que vous êtes déjà des contributeurs d'importance, je vous demande simplement, bien sûr, d'en faire plus si cela est possible.

• 1140

Pour ce qui est du processus de décision, c'est une question intéressante. Permettez-moi de faire une petite réflexion pour vous donner une idée du fonctionnement des choses, puisque cela explique également comment l'organisation est structurée. Comme je l'ai dit hier soir, l'OSCE est un organisme un peu particulier. En fait, vu de l'intérieur, il s'agit d'une conférence qui s'est structurée et a fini par devenir une organisation. Toutefois, nous conservons encore beaucoup des caractéristiques d'une tribune intergouvernementale; c'est donc un peu particulier. Cela est également lié au fait que l'OSCE se fonde sur des accords politiques. Elle n'a pas de statut juridique. Cela n'a aucune incidence sur les capacités opérationnelles, qui ne sont pas du tout touchées par ce fait.

Cela vous donne une idée de la façon dont cette conférence a lentement évolué vers un format plus structuré, jusqu'à ce qu'elle prenne le nom d'organisation; c'est devenu une organisation, tout en gardant fortement le caractère d'une tribune intergouvernementale. Tout cela s'exprime par certaines caractéristiques.

La prise de décisions se fait par consensus. Toutes les décisions sont prises par consensus entre les pays participants; ce consensus est établi au conseil. Toutefois, vu le format de conférence dont nous sommes issus, il y a beaucoup de négociations et de consultations officieuses, parallèlement ou antérieurement à la prise des décisions officielles au conseil. Il y a donc, simultanément, une procédure officielle et un processus officieux qui permettent d'arriver au même produit final, en temps opportun.

Relativement à ce problème du consensus, vous savez qu'au sein de l'OSCE règne un débat sur la question de savoir si nous devons nous écarter du principe du consensus pour parvenir à une autre forme de prise de décisions. Il existe ce principe de ce qu'il est convenu d'appeler le consensus réduit. Le consensus réduit est une règle selon laquelle, comme vous le savez, le pays directement touché est privé du droit de s'exprimer. À l'OSCE, cette règle n'a été appliquée qu'une seule fois, lorsque la Yougoslavie a été suspendue en 1992. Bien sûr, la Yougoslavie a récusé cette décision. Celle-ci a quand même été mise en oeuvre et la Yougoslavie a été suspendue à partir de 1992. Ce débat politique—visant à s'écarter de façon plus structurée du principe du consensus—n'avance pas beaucoup et, selon moi, je doute que cela serait acceptable. Il y a également l'idée du consensus moins deux, c'est-à-dire que lorsqu'il y a deux parties à la crise, elles devraient toutes deux être empêchées de participer à la prise de décisions.

Mais, honnêtement, il s'agit là de problèmes d'ordre technique et leur issue est loin d'être évidente. La réalité, vue de l'intérieur, c'est que le mécanisme de prise de décision de l'OSCE est efficace. Les grands problèmes ont toujours été débattus et réglés rapidement, de façon efficace et efficiente. Même s'il s'agit d'une organisation semi-institutionnalisée, qui a encore les caractéristiques d'une conférence structurée, l'OSCE fonctionne; lorsque nous avons eu à prendre des décisions importantes, nous l'avons fait.

• 1145

Il y a un autre élément: les mécanismes financiers. C'est une question importante. Jusqu'à la réunion ministérielle de Copenhague en 1997, les grandes opérations, comme la mission en Bosnie, par exemple, étaient financées de façon facultative, c'est-à-dire qu'elles n'émargeaient pas au budget ordinaire; il y avait un budget spécial alimenté par des contributions facultatives. Il fallait corriger cette façon de procéder, qui impliquait que des envoyés spéciaux de l'OSCE devaient se rendre dans les États participants et même ailleurs... Nous avons des partenaires comme le Japon, qui a toujours apporté une contribution financière—et humaine—considérable à nos activités. Pour la Bosnie, nous avons même reçu une contribution de l'Arabie saoudite.

Il nous fallait faire du démarchage, mais cela est aujourd'hui révolu parce qu'à Copenhague, nous avons décidé qu'il devrait y avoir un mécanisme spécial faisant que dès qu'une décision politique est prise, les pays doivent d'office contribuer financièrement à la mise en oeuvre de la décision. Cela nous a aidés à être plus efficaces et plus rapides dans l'application de nos décisions.

Le président: Merci.

Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup.

Monsieur l'ambassadeur, dans cette mise à jour sur l'OSCE, vous dites que le territoire de l'Organisation s'étend de Vancouver à Vladivostok et que vous regroupez 55 pays. Je trouve toutefois étonnant que vous et votre texte et toute l'OSCE soient maintenant concentrés sur le Kosovo. Je ne dis pas que vous avez tort, mais ce n'est qu'une question. La façon dont je vois les choses, sur toute l'étendue de ce territoire, il y a beaucoup de questions ou de conflits: l'occupation de Chypre, la question kurde dans l'est de la Turquie, la question du Sud-Liban avec Israël—où il y a un conflit depuis 1982—et le Haut-Karabakh, pour n'en nommer que quelques-uns.

Pourquoi vous attardez-vous sur un seul problème à l'exclusion des autres, comme celui du Sud-Liban, où la semaine dernière les deux parties se sont bombardées, une vingtaine de personnes ont été tuées et sept ou huit soldats israéliens ont péri? Il en est ainsi depuis 1974, le problème kurde depuis 5 000 ans et le Haut-Karabakh depuis les années 1980.

Si vous ne vous attardez que sur le Kosovo... Je ne dis pas que vous avez tort. Au contraire. Mais en fonction de quels critères politiques décidez-vous de vous pencher sur un problème? Je suis certain que vous pouvez...

Le président: La guerre fait rage.

M. Sarkis Assadourian: La guerre fait rage au Liban depuis 1982, à Chypre depuis 1974 et au Haut-Karabakh depuis 1990. Comment choisissez-vous vos domaines d'intervention? En fonction de quels critères vous y intéressez-vous?

Ma dernière question porte sur Abdullah Ocalan: Qu'est-ce que l'OSCE fait à propos de son cas?

M. Giancarlo Aragona: Pardon?

M. Sarkis Assadourian: Abdullah Ocalan, le dirigeant kurde. Que faites-vous dans son cas?

Merci.

M. Giancarlo Aragona: Monsieur le président, oui, d'une certaine façon, monsieur le député a raison de dire que l'OSCE s'est beaucoup occupée de la crise dans l'ex-Yougoslavie. Le Kosovo en est le dernier exemple, mais la Bosnie a été un cas important.

Cela s'explique à cause des guerres. En Bosnie, il y avait une guerre. Les accords de Dayton prévoyaient que l'OSCE mette en oeuvre certains volets de l'accord, et l'OSCE a agi. Au Kosovo, il est arrivé la même chose. Un accord a été conclu et on nous a demandé d'envoyer une mission de vérification. Si l'accord est ratifié, nous allons accomplir d'autres tâches.

Cela tient donc surtout à l'urgence et au degré de violence de la crise à laquelle nous sommes confrontés, mais contrairement à vous je ne pense pas que nous négligeons les autres zones de tension.

• 1150

Le Liban ne ressortit pas à la compétence de l'OSCE. Ce pays ne fait pas partie de notre territoire parce que le Liban est au Proche-Orient et le Proche-Orient ne relève pas de l'OSCE. Vous avez parlé de Chypre. L'ONU s'occupe du problème chypriote depuis très longtemps et l'on ne veut évidemment pas faire double emploi. Il y a des représentants spéciaux du secrétaire général et il y en a plusieurs de l'Union européenne et d'autres. On ne fait pas intervenir une organisation uniquement pour la faire intervenir: on le fait si la situation exige de l'attention.

En ce qui concerne le Haut-Karabakh, l'OSCE est très présente, de deux manières. La conférence de Minsk, qui est le cadre de règlement de la crise du Haut-Karabakh, s'inscrit dans le cadre de l'OSCE, si bien que même si l'OSCE n'est pas directement en cause, il y a ce groupe qui est lié à l'OSCE. De plus, un de nos émissaires supervise le cessez-le-feu qui, heureusement, tient toujours. Nous sommes donc très présents.

Je ne veux pas vous ensevelir sous les détails de ce que nous faisons dans d'autres domaines, mais nous sommes également actifs dans les pays baltes. Nous sommes présents dans les trois pays baltes. Nous sommes présents en Biélorussie, en Ukraine et en Georgie. Au fait, pour revenir au Caucase, nous espérons aussi ouvrir des missions à Bakou et à Érévan. Nous travaillons avec les deux pays pour obtenir leur consentement et voir comment ces missions peuvent contribuer au développement global de ces deux pays pour qu'ils soient davantage à la hauteur des normes démocratiques et économiques auxquelles ils aspirent.

À l'heure actuelle, le Kosovo est—et la Bosnie a été—le centre de nos préoccupations, mais je pense honnêtement que l'OSCE a un horizon beaucoup plus vaste et fait ce qu'elle peut pour s'occuper d'autres crises.

Le président: Monsieur Assadourian.

M. Sarkis Assadourian: Et Abdullah Ocalan?

M. Giancarlo Aragona: En ce qui concerne Ocalan, l'OSCE n'a pas été saisie du problème, mais je vous dirai que la semaine dernière, par exemple, à la suite d'un récit sur la situation des médias en Turquie venant de représentants de la liberté des médias, il en a été fait expressément mention au conseil. Il en a donc été discuté au conseil, mais l'OSCE ne s'occupe pas directement de ce problème.

M. Sarkis Assadourian: La mission principale de l'OSCE, c'est la protection universelle des États membres, n'est-ce pas?

M. Giancarlo Aragona: Pardon?

M. Sarkis Assadourian: Le principe de base de l'OSCE, avec la conférence d'Helsinki, c'était la protection des droits de l'homme...

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Mais oui.

[Traduction]

M. Giancarlo Aragona: Oui.

M. Sarkis Assadourian: ...qu'arrive-t-il donc des droits de cette personne? Personne ne s'en soucie?

M. Giancarlo Aragona: Je peux vous dire que personne n'a signalé ce cas à l'OSCE, mais la situation est également... Je peux imaginer pourquoi, parce que l'affaire Ocalan c'est chaque pays, différentes instances qui s'en occupent. Il y a eu beaucoup de déclarations. De plus, personne jusqu'à présent n'a senti le besoin de faire double emploi avec les instances internationales qui s'en occupent.

M. Sarkis Assadourian: Rapidement, monsieur le président, si vous me permettez.

Le président: Monsieur Assadourian, en ce qui concerne l'OSCE, M. Aragona ne peut rien entreprendre de son propre chef. Il faut que cela vienne d'un des États membres. La Russie, les États-Unis, le Canada ou un autre pays peuvent soulever la question à l'OSCE. Si vous voulez soulever son cas, joignez-vous si possible à l'assemblée parlementaire de l'OSCE, qui se réunira à St. Petersbourg cet été et qui compte une section sur les droits de l'homme. Je peux vous assurer qu'il sera question de l'affaire Ocalan. Je sais qu'il en sera question à St. Petersbourg parce que les délégués de l'assemblée en parlent déjà.

M. Sarkis Assadourian: Monsieur le président, c'est...

• 1155

Le président: Il est donc possible à notre niveau d'intervenir, même si les pays membres décident de s'adresser à d'autres instances parce qu'ils préfèrent aborder la question sous un autre angle.

M. Sarkis Assadourian: Monsieur le président, là où je veux en venir ne concerne pas uniquement l'affaire Ocalan. Il y a un député—un de nos collègues—qui est en prison encore une fois parce qu'il est d'origine kurde. Vingt millions de kurdes vivent dans ce pays. Personne ne se soucie de leurs droits. C'est ce que je veux dire. Il se trouve qu'Ocalan est le porte-parole de ce groupe. C'est que je voulais dire, monsieur le président.

Le président: Merci.

Je veux donner la parole à M. Turp parce qu'il doit nous quitter à midi. Je donnerai ensuite la parole à M. Cannis et à Mme Finestone.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: J'aimerais mentionner à l'intention de notre collègue Assadourian qu'il y a une procédure—et le secrétaire général pourra peut-être le confirmer—et un engagement des États à accepter des observateurs d'autres États participants à l'OSCE à des procès. À la lumière de cet engagement qu'ont pris les États membres et les États participants comme la Turquie, des démarches pourraient être entreprises afin que la Turquie réponde et respecte son engagement d'accepter des observateurs étrangers membres et participants à l'OSCE à ce procès. M. Assadourian voudrait peut-être convaincre le gouvernement du Canada de demander à la Turquie de respecter l'engagement qu'elle a pris. Pourtant, les déclarations du gouvernement turc semblent indiquer qu'il n'acceptera pas des observateurs d'autres États de la communauté internationale.

Cela étant dit, monsieur Aragona, je veux tout simplement vous dire que, connaissant un tout petit peu l'OSCE pour l'avoir enseigné à mes étudiants à l'université, je trouve que c'est une des organisations les plus intéressantes qui existent, sans qu'elle ne soit véritablement une organisation, comme vous l'avez rappelé hier, parce qu'elle n'est pas fondée sur un traité et n'est pas censée être permanente. C'est une des organisations les plus originales, dont la structure légère, comme vous l'avez dit, ne la rend pas inefficace.

Je pense que c'est à votre organisation qu'on doit, à bien des égards, un des événements les plus importants qui se soient produits au cours de ce siècle, soit la chute du Mur de Berlin et ce mouvement de libération à l'intérieur de l'Europe orientale. Je crois que l'acte final d'Helsinki et plusieurs documents relatifs aux droits de la personne qui ont été adoptés depuis sont, à bien des égards, responsables de ce grand événement-là. Je voudrais vous en féliciter, au nom du Bloc québécois, et vous féliciter de votre nomination à la tête d'une organisation qui mérite notre soutien.

Cependant, je dirai une chose. Le Canada a omis de faire une chose importante en ce qui concerne l'OSCE. C'est Robert Badinter qui m'en faisait part lorsque j'étais à Vienne avec M. Mills et le ministre Axworthy en novembre dernier. Le Canada n'a pas ratifié la convention créant un tribunal d'arbitrage. M. Badinter est tout à fait déçu de voir que le Canada ne donne pas l'exemple en ratifiant la convention qui crée ce tribunal. Le Canada pourrait donner l'exemple à d'autres États qui hésitent aussi à ratifier la convention. Alors, je voudrais vous demander si vous pensez que le gouvernement canadien devrait ratifier cette convention pour faire plaisir à M. Badinter, mais aussi pour assurer que cette cour ait un impact.

Ma deuxième question est plus institutionnelle et vous y avez fait allusion tout à l'heure. Il me semble qu'il y a actuellement en Europe un problème d'enchevêtrement des organisations internationales et des organisations régionales. J'aimerais savoir où vous voulez mener votre organisation et quelles priorités vous voulez lui donner. Si la priorité demeure la question des droits de l'homme et celle de l'observation d'élections, vous êtes dans une situation où vous dupliquez les efforts du Conseil de l'Europe. Est-ce qu'il ne devrait pas y avoir une mise en commun des activités du Conseil de l'Europe et de l'OSCE en matière de droits de la personne et d'observation électorale?

• 1200

Est-ce que votre organisation ne devrait pas donner la priorité aux interventions du type Bosnie et Kosovo et devenir une espèce de bras civil de l'OTAN ou de l'ONU en Europe lorsqu'il s'agit d'opérations de maintien ou de consolidation de la paix?

M. Giancarlo Aragona: Il y a plusieurs questions.

Le président: Il devra y répondre en 30 secondes parce qu'il doit nous quitter à midi.

M. Giancarlo Aragona: Je tâcherai de vous répondre de la façon la plus brève possible.

Je suis tout à fait d'accord avec vous que la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe a certainement joué un rôle capital dans la dissolution des blocs, dans le dialogue entre les deux blocs et dans la dissolution du bloc communiste. C'est ironique, mais lorsque l'Union soviétique avait tant insisté sur la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, elle l'avait fait dans un but complètement opposé, c'est-à-dire de geler la division des blocs. À la fin, tout ça s'est révélé illusoire, et la conférence, avec le troisième panier, mais aussi dans toutes ses activités, a rapproché les deux parties et considérablement affaibli l'emprise soviétique et les régimes communistes dans les différents pays. Sur ce point, je partage entièrement votre jugement.

M. Badinter est aussi un de mes chers amis et je lui porte un énorme respect. Le problème ne se situe pas tellement au niveau de qui ratifie ou ne ratifie pas la convention. Jusqu'à présent, en dépit des efforts considérables qu'a faits M. Badinter, qui vient périodiquement au conseil permanent, le problème est qu'on n'a pas encore eu recours à cette cour d'arbitrage ni même à l'expertise juridique qui est derrière M. Badinter et son équipe. C'est là qu'est le problème, et non pas au niveau de la ratification ou de la non-ratification de la convention. Évidemment, s'il y avait une grande vague de ratification, cela pourrait aider, mais la cour d'arbitrage n'est pas encore entrée dans la culture. Il n'y a pas eu jusqu'à présent de recours à la cour et à l'expertise de ceux qui y siègent, y compris M. Badinter avec son autorité, ses connaissances et son prestige. Donc, on verra. La cour est là et M. Badinter, qui jouit d'un grand prestige, vient régulièrement au conseil. Il est possible que les choses évoluent, mais jusqu'à présent, il n'y a pas eu de réponse pratique à l'existence de cette cour.

Passons maintenant à la question centrale au sujet du Conseil de l'Europe et de la position de l'OSCE dans cette architecture complexe. Je vous avoue que j'adopte, face à ces problèmes, une position légèrement différente de celle qu'adoptent les parlementaires surtout, mais aussi la bureaucratie du Conseil de l'Europe. Je crois que l'OSCE et le Conseil de l'Europe travaillent très bien ensemble. C'est vrai que l'attention que porte l'OSCE à la dimension humaine risque de créer une proximité avec le mandat et les caractéristique du Conseil de l'Europe. Mais à vrai dire, dans la pratique, nous voyons que les deux organisations travaillent de façons très différentes, ainsi que sur des bases différentes, ce qui nous permet de travailler très bien ensemble.

Le Conseil de l'Europe est évidemment une organisation qui a des buts politiques. Même si mon ami Tarschys se plaint parfois lorsqu'on lui rappelle ça, on ne peut pas nier que la base du Conseil de l'Europe est plutôt juridique. Le Conseil de l'Europe est une institution qui a joué un rôle très important en Europe en essayant d'améliorer les standards juridiques dans les pays. L'OSCE, quant à elle, reste une organisation purement politique, dont les standards ou les critères sont purement politiques.

• 1205

Dans la pratique, nous travaillons très bien ensemble, notamment parce que nous avons des façons d'intervenir différentes. Le Conseil de l'Europe travaille à partir de Strasbourg, où on a établi grande bureaucratie. C'est vraiment beau de voir des milliers de personnes travailler dans ce superbe palais de l'Europe à Strasbourg. Mais sur le terrain, le Conseil de l'Europe n'est présent que lorsque nous, de l'OSCE, l'appelons. En Albanie et dans d'autres cas, le Conseil de l'Europe nous a envoyé des experts, mais la présence sur le terrain est essentiellement assurée par l'OSCE. Je vois une très forte complémentarité entre le caractère plus politique et plus opérationnel sur le terrain de l'OSCE et les critères juridiques basés sur l'expertise de Strasbourg du Conseil de l'Europe.

Le problème des élections, c'est autre chose. Cela a à voir non pas tellement avec le Conseil de l'Europe en tant qu'institution, mais plutôt avec le Conseil de l'Europe dans sa dimension parlementaire. Certains parlementaires du Conseil de l'Europe sont très actifs dans ce domaine. En toute franchise, nous avons fait beaucoup de progrès. Désormais, le Conseil de l'Europe participe aussi, dans la dimension parlementaire, à nos activités de préparation des élections. Il participe avec nous ou nous participons avec lui, puisque nous intervenons sur un pied d'égalité. Nous participons à ses activités de monitorage électoral. Je ne vois franchement pas la nécessité d'un partage rigide des tâches. En effet, les besoins sont tels qu'à chaque fois qu'on monte une opération de monitorage électoral, on a besoin de recourir aux ressources de toutes les organisations possibles. Nous avons besoin de dizaines et de dizaines de moniteurs. Le Conseil de l'Europe nous donne l'expertise, des personnalités et souvent des experts. Tout le travail se fait ensemble et tout se déroule bien.

Je sais qu'au Conseil de l'Europe, il y a un débat très intense sur la nécessité de créer de mécanismes très clairs et même rigides de partage des tâches de coopération. À l'OSCE, cette question n'est pas très populaire. Je crois que nous pouvons être satisfaits de ce que nous faisons.

[Traduction]

Le président: Merci. Monsieur Cannis.

M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Aragona, je vous souhaite la bienvenue au Canada et à notre comité.

Dans votre énoncé de mission, sous la rubrique «Une démarche axée sur la coopération», je lis ceci:

    La conception globale que l'OSCE se fait de la sécurité est étroitement liée à sa démarche coopérative en matière de règlement des problèmes. Comme la sécurité est considérée comme indivisible, les États participants ont un intérêt commun dans la sécurité de l'Europe et devraient donc collaborer pour empêcher...

... et j'insiste sur le mot «empêcher»...

    les crises d'éclater ou réduire

... et j'insiste sur le mot «réduire»...

    le risque qu'elles ne dégénèrent.

J'ai trois très courtes questions à poser, monsieur le président.

Voici où je veux en venir. Dans votre exposé, monsieur Aragona, vous avez dit qu'actuellement, comme vous l'avez dit à mon collège M. Assadourian, l'OSCE s'occupe surtout de la fragmentation de l'ex-Yougoslavie et essaie de résoudre de grands problèmes. J'imagine donc que vous savez bien ce qui se passe dans la région, et, comme il s'agit d'une question européenne... Dans votre exposé, à trois occasions, vous avez parlé des forces de l'OTAN en Macédoine. Parlez-vous de la Macédoine grecque ou...

M. Giancarlo Aragona: J'ai dit la FYROM, puis j'ai mentionné deux fois la Macédoine... je parlais de la nouvelle Macédoine...

M. John Cannis: Moi, j'ai entendu le mot «Macédoine» trois fois, et voici où je veux en venir. On ne peut pas régir ce que disent les médias, mais à coup sûr lorsqu'il s'agit de gens ou d'organisations comme vous, qui connaissez la question, surtout qu'il s'agit d'une question européenne et non d'une question canadienne, je ne pense pas que nous fassions avancer les choses si nous... En tout cas, je sais que notre ministre et notre gouvernement, en réponse aux questions à la Chambre des communes, ont employé son nom officiel, le nom reconnu, même de façon provisoire, à savoir l'ex-République yougoslave de Macédoine. Si nous voulons faire avancer les choses, lorsque des gens de votre rang sont sur la scène internationale, vous devez, à mon avis, faire l'effort de bien employer la désignation correcte.

J'ai une autre question. Je me souviens que M. Solana a fait une déclaration en octobre dernier et a dit quelque chose du genre que ce n'est pas seulement le fait de signer des traités mais de les observer...

• 1210

Lorsque l'OSCE prend une décision, quels moyens prend-elle pour faire en sorte que les autres pays appliquent les résolutions de l'OSCE en collaboration avec les autres organisations, comme cela se fait aujourd'hui au Kosovo, par exemple?

Je vais terminer ici. Nous savons qu'il y a des points chauds dans le monde, que ce soit le pays basque ou les mouvements séparatistes d'Italie ou de Corse ou même dans certains cas déplorables au Canada. L'OTAN ayant fait des ouvertures très agressives maintenant, si elle devait passer à des bombardements, etc, ne pensez-vous pas qu'elle créerait un très dangereux précédent? Si elle crée ce précédent, ne pensez-vous pas que si les habitants du nord de l'Italie ou de la Corse ou du pays basque décidaient d'employer certaines de ces tactiques, comme on l'a vu récemment au Kosovo, elle devrait, une fois le précédent créé, le répéter? Autrement dit, va-t-on envoyer des troupes de l'OTAN au Canada si nous devions connaître, Dieu nous en préserve, une situation déplorable comme celle du Kosovo.

Le président: Monsieur Aragona.

M. Giancarlo Aragona: Tout d'abord, permettez-moi de donner une précision. Lorsque j'ai parlé de l'ex-République yougoslave de Macédoine, la première fois, j'ai bien dit la FYROM. Ensuite, il est vrai, j'ai employé le mot «Macédoine» tout court, mais uniquement pour des raisons de commodité. Il était évident que la première fois j'avais parlé de la FYROM et comme j'ai pensé qu'il s'agissait d'un sigle assez obscur, je l'ai explicité.

J'admets toutefois comme vous l'avez dit qu'il faut faire très attention dans l'utilisation des appellations. Sachez que nous sommes non seulement tout à fait au courant de l'appellation correcte et que nous l'utilisons, parce que nous sommes évidemment conscients des implications politiques des changements, mais il n'y a aucune implication de ce genre dans le fait qu'il nous arrive parfois, officieusement, de dire Macédoine plutôt que d'employer un sigle qui n'est pas forcément connu de tous.

En ce qui concerne l'observation des décisions, il faut distinguer divers cas. Vous avez parlé de traités. L'OSCE n'a pas compétence pour veiller à l'observation des traités. Il est vrai que l'on nous a confié la mission d'exécuter certaines des dispositions de l'accord de Dayton et, dans le cas du Kosovo, dans la mission actuelle, de vérifier l'observation par les parties de la trêve, etc., mais il s'agit là de cas d'exception.

Lorsque nous parlons à l'OSCE d'observation, cela désigne le respect par les États participants des principes convenus au sein de l'OSCE, et non le contrôle par l'OSCE de l'observation d'accords ou de traités conclus à l'extérieur. Au sein de l'OSCE, il y a des mécanismes qui permettent à la communauté de l'OSCE de surveiller l'observation par les pays participants des principes arrêtés au niveau politique, en particulier, dans les domaines des droits de l'homme. Puisque l'OSCE n'est pas une institution juridique, les engagements ne sont que de nature politique.

Nous le faisons lors des réunions d'examen où chaque pays peut soulever des problèmes d'observation dans d'autres pays. Le pays visé doit ensuite donner des explications. Des mécanismes plus fins et efficaces sont en préparation, pour faire en sorte que ces engagements politiques pris lors de diverses réunions sont respectés par les États participants. Je pense que nous avons fait des progrès considérables dans ce domaine.

• 1215

Pour ce qui est de l'autre aspect, ce n'est pas à moi de commenter la politique de l'OTAN. Les pays membres de l'OTAN fixent leurs propres politiques, déterminent les initiatives qu'ils veulent prendre et les mettent en oeuvre.

Chaque organisation est indépendante, autonome, l'une par rapport à l'autre. Je ne peux pas commenter la façon dont l'OTAN élabore ses politiques et quelles politiques elle met en oeuvre. Pour ma part, honnêtement, je ne vois pas beaucoup de similitude. Le problème de l'OTAN au Kosovo, c'est que la communauté internationale reconnaît que, tout d'abord, pour amener les parties à s'entendre, la diplomatie doit être soutenue par une menace militaire crédible, malheureusement. Dans un monde idéal, il serait préférable que ce ne soit pas le cas, mais l'expérience nous montre le contraire. C'est la première chose.

Deuxièmement, la communauté internationale reconnaît que si les parties sont laissées à elles-mêmes, même après la signature d'un accord, les tensions sont d'une telle ampleur—les problèmes du passé ont été d'une telle ampleur—que cet accord ne serait sans doute pas appliqué de bonne foi. Une présence militaire, impartiale et composée non exclusivement de l'OTAN—parce que vous savez que l'OTAN est prête à accueillir des contributions supplémentaires d'autres pays—assurerait une mise en oeuvre sérieuse, transparente et crédible de l'accord. Voilà la situation au Kosovo. Honnêtement, je ne vois pas comment vous pouvez appliquer ce précédent, cet exemple, à d'autres cas.

Le président: Merci beaucoup. Je pense que nous allons...

L'hon. Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Pourrais-je poser une courte question?

Le président: Mme Finestone voudrait poser une courte question, monsieur Aragona. Je pense que vous avez un autre engagement à 12 h 30 et peut-être...

Mme Sheila Finestone: Moi aussi.

Le président: Oui. Vous pourriez peut-être avoir le dernier mot.

Mme Sheila Finestone: J'étais curieuse, monsieur le président.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt, et vous m'avez appris beaucoup de choses et je vous en remercie.

Vous avez dit qu'il y a un mécanisme de prise de décision fondé sur le consensus entre pays participants; c'est un mécanisme plutôt officiel, j'imagine. Parallèlement, il y a des consultations officieuses. Je reconnais que je n'ai pas suivi les travaux de l'OSCE. Je me souviens de la CSCE et des Accords d'Helsinki. J'aimerais savoir quel mécanisme est prévu pour entendre la société civile pour que l'on sache qu'il y a place pour les ONG, comme c'était le cas pour les Accords d'Helsinki. Je ne parlerai pas de l'ONU et de tout le reste. C'est cela qui m'intéresse.

M. Giancarlo Aragona: Merci beaucoup. Cela me donne l'occasion pour terminer de parler de la contribution de la société civile aux travaux de l'OSCE. Il s'agit d'une contribution très importante.

Vous avez parlé des ONG, qui sont le vecteur privilégié de la société civile. Elles nous présentent leurs idées et participent étroitement aux diverses étapes de nos travaux. Tout d'abord, elles sont en contact étroit avec nos missions sur le terrain. Chaque mission reçoit l'instruction de nouer immédiatement des contacts avec les ONG locales et internationales lorsqu'elle entre en activité pour que son travail soit orienté par les ONG et en profite. Ces missions doivent aussi encourager la création d'un réseau d'ONG dans ces pays. Voilà pour le niveau local.

Il y a une autre dimension très importante. Toutes les réunions d'examen, qui portent notamment sur les questions humanitaires comportent des séances où participent et interviennent les ONG. S'il y a une grande manifestation politique, ces conférences d'examen ont lieu au préalable. Il y a certaines conférences d'examen prévues à l'avance, en particulier celles organisées par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme, à Varsovie. Elles ont lieu régulièrement. Il y a ensuite les conférences d'examen qui précèdent les rencontres ministérielles avant les sommets, auxquels participent étroitement les ONG. Elles sont invitées et y participent en grand nombre. Il n'y a pas de limite, et nous avons tout un réseau d'ONG qui collaborent avec nous.

• 1220

Je peux donc vous assurer que la société civile fait partie intégrante des mécanismes de fonctionnement de l'OSCE. Je sais d'expérience que l'apport des ONG, et non seulement les plus grandes—il n'y a pas que Human Rights Watch et les autres—mais aussi des petites ONG locales, a une grande importance. Soyez assurée que cette partie de la culture de la CSCE s'est maintenue dans l'OSCE.

Mme Sheila Finestone: Merci.

Le président: Je vais devoir mettre fin à cet échange, parce que nous dépassons le délai prévu, mais, monsieur le secrétaire général—je dois reconnaître qu'il s'agit peut-être d'un conflit d'intérêts—je suis un peu déçu de votre réponse comme vice- président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE que vous n'estimez pas que l'Assemblée parlementaire de l'organisation fait partie de l'apport de la société civile.

Je pense que les représentants politiques qui y appartiennent sont les élus de leurs États et qu'ils sont une voix démocratique au sein de l'OSCE, en plus de celle des ministres. Je considère par exemple que toutes les questions dont nous avons discuté ici aujourd'hui avec vous, y compris celle du Tribunal international, ont déjà fait l'objet de discussions à l'Assemblée parlementaire, aux séances auxquelles j'ai participé. Je pense que c'est un élément supplémentaire important de l'apport de la société civile—à notre niveau à nous, moins élevé. Nous ne sommes aussi bien financés que certaines des grandes ONG, mais nous parlons davantage.

Des voix: Oh, oh!

M. Giancarlo Aragona: Monsieur le président, vous vous souviendrez peut-être aussi que dans mon intervention d'hier j'ai souligné le rôle du volet parlementaire. C'est donc dire que si quelqu'un est fermement convaincu qu'une organisation internationale ne peut pas vraiment prospérer sans l'appui vigoureux des parlementaires, c'est bien moi. Je suis un fervent supporter de l'action de l'Assemblée parlementaire et j'en suis un grand défenseur.

Je parlais des ONG parce que la question portait sur elles, mais il est évident que ce qui porte la définition même du processus démocratique ce sont les assemblées parlementaires. Je ne voudrais pas que ni vous ni quiconque d'autre en doute. Je suis de ceux qui croient sincèrement dans la dimension parlementaire. Demandez à Mme Degn.

Le président: Entendu.

Merci beaucoup, monsieur le secrétaire général. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Nous espérons que votre charge de travail va s'alourdir considérablement parce que nous espérons que les accords de Rambouillet seront couronnés de succès et nous savons que si c'est le cas, vous aurez la lourde tâche de voir à leur application. Nous vous souhaitons du succès dans vos entreprises une fois rentré et Dieu protège votre voyage.

La séance est levée.