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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 023 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 avril 2014

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Français]

    Bienvenue à la 23e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 29 avril 2014.

[Traduction]

    Nonobstant ma menace à l'endroit de M. Simms selon laquelle il devait quitter la pièce immédiatement ou s'attirer la colère du président, nous nous réunirons à huis clos à la fin de la présente séance, et non au début. Je m'excuse auprès de Scott Simms, en son absence.
    Nous accueillons aujourd'hui William Browder, PDG de Hermitage Capital Management. Il vient faire le point dans le dossier de Sergei Magnitsky. Bien entendu, vous vous souviendrez de l'histoire de M. Magnitsky, que je ne vous raconterai pas, et de la réaction du gouvernement russe aux tentatives visant à obtenir justice pour lui. Nous aurons aujourd'hui une mise à jour dans ce dossier. Tous ceux qui désirent consulter le procès-verbal des séances précédentes afin d'avoir une meilleure idée du contexte peuvent s'adresser à notre analyste par l'entremise de la greffière.
    Cela dit, M. Browder, je vous laisse la parole. Habituellement, les témoins disposent de plus ou moins 10 minutes pour leur exposé, mais vous pouvez prendre le temps que vous voulez. Le temps qu'il restera à la séance sera consacré aux questions et réponses des membres.
    Vous avez la parole.
    Madame et messieurs les membres du comité, monsieur le président, merci beaucoup de me donner l'occasion aujourd'hui de vous raconter l'histoire de Sergei Magnistky. Je vous remercie de la vigilance continue dont vous faites preuve dans cette histoire. Il s'agit de mon troisième témoignage devant des membres du Parlement canadien.
    Il se passe beaucoup de choses terribles dans le monde, et la famille de Sergei et moi sommes très heureux d'avoir cette occasion de raconter l'histoire de Sergei Magnitsky. La plupart d'entre vous la connaissent déjà, alors, je n'irai pas en détail. Je ferai simplement un résumé de 30 secondes et vous ferai part des développements dans cette affaire depuis mon dernier témoignage.
    La plupart d'entre vous se souviendront que Sergei Magnitsky était mon avocat. J'étais gestionnaire d'un fonds d'investissement important en Russie, lorsque j'ai découvert qu'il y avait de la corruption au sein des entreprises dans lesquelles j'avais investi. J'ai dénoncé cette corruption et, en guise de réponse, le gouvernement russe m'a expulsé du pays en déclarant que je constituais une menace pour la sécurité nationale. J'ai fait évacuer tout mon personnel et expédier hors du pays tous les biens de ma société, après quoi les autorités ont procédé à une perquisition dans nos bureaux et saisi tous nos documents.
    J'ai retenu les services de Sergei Magnitsky, un jeune avocat, et je lui ai demandé de mener une enquête afin de savoir ce que faisaient les autorités avec les documents saisis. Il a découvert qu'elles les utilisaient pour poursuivre une fraude de crédit d'impôt de 230 millions de dollars — pas contre moi, mais bien contre le gouvernement russe. Sergei, en bon avocat et patriote, a dénoncé cette fraude et les gens impliqués. Il a ensuite été arrêté par certains des individus contre lesquels il avait témoigné, placé en détention provisoire pendant 358 jours, torturé et finalement tué, le 16 novembre 2009, à l'âge de 37 ans.
    Le lendemain, lorsque la nouvelle de son meurtre m'est parvenue, ma vie a changé pour toujours. J'ai cessé d'être un homme d'affaires et je suis devenu un militant à temps plein pour la cause de Sergei Magnitsky et de ceux qui subissent le même sort que lui en Russie. J'ai passé les quatre dernières années à parcourir le monde afin d'obtenir justice. Au cours de cette période, j'ai découvert plusieurs initiatives dont j'aimerais vous parler aujourd'hui. Je ne parlerais pas de véritable justice, mais elles nous ont permis de crever la bulle d'impunité qui existe en Russie.
    Après la mort de Sergei, nous avons tenté par tous les moyens de traîner en justice ses meurtriers, en Russie. Mais, les autorités russes ont protégé et innocenté tous ceux qui ont participé à ce meurtre. Non seulement ont-ils été innocentés, mais plusieurs ont été promus et d'autres, parmi les principaux complices, ont été honorés par l'État.
    Tout cela m'a fait réaliser que si nous voulions obtenir justice, il fallait chercher ailleurs qu'en Russie. Nous nous sommes alors demandé quel genre de justice nous pourrions obtenir à l'extérieur de la Russie. Les individus qui ont tué Sergei Magnitsky ne l'ont pas fait pour des raisons idéologiques ou religieuses; ils l'ont tué pour des raisons financières, parce qu'il avait découvert la fraude de 230 millions de dollars perpétrée contre son propre gouvernement et qu'il avait témoigné contre les responsables de ce vol. Ceux-ci voulaient le réduire au silence.
    Nous nous sommes dit que ces individus voudraient probablement dépenser ou investir cet argent en Occident, qu'ils ne seraient pas à l'aise de le garder en Russie, car d'autres pourraient le leur voler aussi facilement qu'eux l'ont volé au gouvernement. Nous avons alors eu l'idée d'imposer des sanctions sur les visas et de geler les avoirs des meurtriers de Sergei Magnitsky.

  (1315)  

    J'ai d'abord proposé l'idée au Congrès américain. Je l'ai présentée à plusieurs sénateurs et membres de la Chambre des représentants. Je leur ai posé une question très simple: seriez-vous prêts à appuyer un projet de loi visant à interdire l'entrée aux États-Unis à des tortionnaires et meurtriers russes? La réponse était très claire; personne ne s'y opposerait.
    Donc, lentement mais sûrement, la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act a fait son chemin au Congrès américain et a été adoptée en novembre 2012.
    Cette loi impose des sanctions aux meurtriers de Sergei Magnitsky, mais surtout, à tout représentant de la Russie impliqué dans des violations flagrantes des droits de la personne. Je dirais qu'il s'agit de la nouvelle technologie utilisée contre les violations des droits de la personne. C'est cela. Il y a 35 ou 40 ans, ceux qui violaient les droits de la personne en Russie ne possédaient aucun actif en Occident. Il ne voyageait pas à New York, à Toronto, à Saint-Tropez ou à Londres, mais aujourd'hui, c'est différent.
    Les Russes ont eu une réaction furibonde à la Magnitsky Act. Ils étaient absolument furieux. Poutine était furieux, car cette loi le frappait directement à son talon d'Achille. C'est un des moyens que nous avons pour faire pression sur eux, et c'est un aspect de leur vie où ils sont vulnérables.
    Ma mission consiste maintenant à prendre ce concept et à en élargir la portée de façon à ce que le gouvernement canadien, l'Union européenne et les pays membres de l'Union européenne interdisent tous l'entrée sur leur territoire aux meurtriers de Sergei Magnitsky et à tout individu impliqué dans des violations des droits de la personne. J'ai témoigné devant le sous-comité il y a deux ans pour demander à ce qu'une telle loi soit adoptée au Canada. Irwin Cotler a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire semblable à la Magnitsky Act.
    Le gouvernement canadien a hésité à agir. Il n'est pas seul; les États-Unis et l'Europe aussi ont hésité. À cette époque, personne ne voulait contrarier la Russie pour ne pas compromettre la relation stratégique délicate qu'ils avaient avec elle. Mais, aujourd'hui, les choses ont changé.
    Aujourd'hui, la Russie ne semble pas s'inquiéter d'offenser le reste du monde. Elle utilise la force pour prendre possession de territoires qui ne lui appartiennent pas et ment sans retenue aux dirigeants mondiaux.
    Les sanctions ne sont plus la folle idée de Bill Browder. C'est le concept de base que l'on applique maintenant contre ceux qui participent à l'invasion en Crimée et en Ukraine. J'espère que la portée de ce concept sera élargie au-delà des discussions géostratégiques concernant l'invasion en Ukraine afin que l'on puisse s'attaquer aux violations des droits de la personne en Russie.
    Actuellement, l'attention du monde est tournée vers Donetsk, Sloviansk, Kharkiv et les autres régions où l'on trouve des agents ou des troupes russes ou des séparatistes prorusses, si vous préférez ce terme. Pendant ce temps, la Russie continue d'utiliser tous les moyens pour serrer la vis à son propre peuple. En Russie, si vous êtes un militant de la lutte contre la corruption, un militant pour les droits de la personne, un journaliste ou un membre de la collectivité LGBT ou que vous pratiquez une religion non conventionnelle, vous êtes persécutés.

  (1320)  

    Pour le moment, ces gens n'ont absolument aucun recours, sauf si une loi semblable à la Magnitsky Act est en vigueur. Donc, je viens vous proposer, même vous implorez de prendre de nouveau en considération la proposition d'Irwin Cotler — et peut-être de faire une proposition au nom du comité — et d'adopter une loi Magnitsky au Canada, afin d'empêcher que les tortionnaires et meurtriers russes puissent venir et investir leur argent ici.
    Est-ce que cela met fin à votre exposé?
    Oui.
    Merci.
    Avant de passer à autre chose, j'aimerais que vous sachiez que compte tenu du temps, nous accorderons six minutes pour chaque tour de questions et de réponses. Cela nous permettra de conclure nos procédures et de voter. Je pense que nous n'aurons besoin que de quelques minutes pour nous réunir à huis clos afin d'examiner le point qui a été soulevé, car je crois que ce n'est qu'une question de consensus. Ai-je raison? D'accord.
    J'ai quelques remarques préliminaires à formuler avant de laisser la parole à notre première intervenante.
     J'ai reçu un livre intitulé Why Europe Needs a Magnitsky Law, écrit par une de vos collègues, je crois. Je le porte simplement à votre attention. Je présume qu'il a été envoyé aux autres membres du comité. Si ce n'est pas le cas, j'en ai un exemplaire. Notre greffière ne peut le distribuer, car il est en une langue officielle seulement, mais vous pouvez passer à mon bureau pour le consulter.
    De plus, avant que nous ne poursuivions, je veux être clair sur le point suivant. Vous avez fait référence à ce qui s'est passé récemment en Ukraine, mais il faut qu'il soit clair que Sergueï Magnitski était un citoyen russe — que je présume patriotique — qui a agi parce qu'il voulait que la Russie devienne un meilleur pays pour ses citoyens. Cette affaire n'a aucun lien avec la politique étrangère russe actuelle, que ce soit clair.
    Le seul point commun entre l'affaire Magnitski et ce qui se passe actuellement, c'est que cette affaire constitue un exemplaire symbolique de la manière dont la Russie défie les lois, camoufle des crimes et ment publiquement. Sergueï Magnitski était un citoyen russe qui dénonçait un crime commis dans son propre pays et qui a été assassiné par son propre gouvernement. Ce dernier a ensuite camouflé les faits, à l'instigation de Vladimir Poutine.
    C'est avec le même état d'esprit que la Russie a agi contre Sergueï Magnitski et qu'elle a pu envahir l'Ukraine et faire autre chose. Mais les faits ne sont pas les mêmes.
    Merci beaucoup.
    Madame Grewal, voudriez-vous commencer à poser des questions?
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, monsieur Browder, de comparaître devant le comité aujourd'hui. Vous avez fait la lumière sur une affaire de droits de la personne extrêmement importante. Ce qui est arrivé à Sergueï Magnitski est vraiment choquant et constitue une violation odieuse des droits de la personne. C'est un exemple malheureux du sort que continuent de subir de nombreux autres Russes qui aiment la liberté.
    À ce que vous sachiez, à quel point la situation s'est-elle dégradée au sein du gouvernement russe en ce qui concerne les citoyens qui s'intéressent au processus démocratique et la manière dont ils sont traités?
    Vladimir Poutine impose un régime en vertu duquel il élimine quiconque propose une solution de rechange à son règne.
    Par exemple, un jeune blogueur et activiste politique très populaire, Alexeï Navalni, a commencé à se plaindre de la corruption du gouvernement et a révélé la corruption tentaculaire qui sévit au sein du gouvernement de son pays. Il est devenu si populaire qu'en présence d'un processus démocratique réel, il aurait eu le potentiel de devenir président de Russie.
    Poutine a déposé contre lui un certain nombre d'accusations criminelles qui, objectivement, étaient d'un ridicule absolu, l'a poursuivi pour des accusations que tout le monde qualifierait de complètement injustes et l'a condamné. À sa condamnation, 10 000 personnes ont envahi les rues de Moscou pour protester, et Poutine a compris que s'il le jetait vraiment en prison, il pourrait provoquer un soulèvement. Le jeune homme s'est donc vu imposer une détention à domicile sans le moindre accès à la technologie, ce qui a eu pour effet de le neutraliser.
    Il y avait aussi un dénommé Udaltsov, qui était membre de l'opposition. Il a été lui aussi condamné à la détention à domicile pour divers crimes.
    Voilà comment agit le gouvernement. Il n'enregistre pas votre parti, vous condamne pour un crime ou vous attaque, allant parfois jusqu'au meurtre pour s'assurer que personne ne souhaite devenir membre de l'opposition en Russie.
    Poutine est comme un athlète qui triche. Comme il ne peut tolérer la moindre compétition, il élimine tous ceux qui pourraient s'opposer à lui. Il fait de même pour les organisations de journalistes qui disent quoi que ce soit de négatif à son sujet. Toutes les organisations de journalistes qui ont appuyé l'opposition de quelque manière que ce soit disparaissent maintenant de Russie.

  (1325)  

    Selon vous, comment des pays démocratiques comme le Canada, les États-Unis et les pays de l'Union européenne devraient-ils travailler ensemble pour réagir aux violations des droits de la personne en Russie, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une puissance nucléaire?
    Eh bien, historiquement, la réaction à cette question a consisté à ne rien faire, et ce n'est pas que le Canada, mais tous les pays du monde qui agissent ainsi. On est toujours resté les bras croisés. C'est ce qui a permis à Poutine de jouir d'une impunité absolue et d'oser envahir les pays voisins.
    Comme Poutine est un kleptocrate — c'est maintenant un fait largement reconnu — et qu'il ne garde pas son argent en Russie, nous pouvons lui imposer des sanctions. Autrement dit, nous pouvons geler ses actifs pour que son argent ne soit plus en sécurité. Je ne pense pas que Poutine déclenchera une guerre nucléaire parce que ses fonds sont gelés, puisqu'il ne peut pas vraiment admettre qu'il a de l'argent. C'est son talon d'Achille. C'est le principal moyen d'action dont dispose l'Occident contre ces personnes. Ces dernières ne peuvent nous rendre la pareille ou faire quoi que ce soit à cet égard.
    Merci.
    Monsieur le président, me reste-il du temps?
    Vous disposez d'une minute.
    Je laisserai mon temps à M. Sweet.
    J'ai une brève question pour ceux qui nous regardent. Comment se fait-il que quelqu'un comme Sergueï ait pu découvrir que des gens volaient le gouvernement et que les agents du gouvernement aient pu faire en sorte qu'il soit incarcéré, puis assassiné? Comment les gens qui ont agi de la sorte ont-ils pu recevoir des distinctions officielles s'ils volaient de l'argent dans les coffres de ce même gouvernement?
    Nous nous posons la même question. Dans cette question, vous présumez que ceux qui dirigent le pays agissent dans l'intérêt national.
    Mais si vous modifiez légèrement votre façon de voir pour dire que les dirigeants du pays sont des kleptocrates qui bénéficient de cette fraude ou de nombreuses autres escroqueries semblables, voilà qui change le postulat de départ sur lequel vous vous fondez pour répondre à la question. Disons simplement que des ministres influents qui profitent de cette escroquerie ont également le pouvoir d'accorder des distinctions officielles et aussi d'arrêter un jeune homme qui a dévoilé l'affaire. C'est alors tout à fait logique. S'il s'agit des escrocs qui commettent le crime, ils ont alors tout le pouvoir nécessaire pour camoufler les faits.
    L'affaire Sergueï Magnitski a pu, plus que toute autre histoire en Russie parce que les détails sont très clairs, dévoiler le vrai visage de la Russie, pas seulement dans le cas présent, mais dans tous les cas. Car ce n'est que la pointe de l'iceberg. Il se trouve seulement que c'est un iceberg au sujet duquel l'information ne manque pas et que j'ai l'occasion de comparaître pour vous en parler.
    Mais la corruption à grande échelle est omniprésente, et pas seulement en Russie. Elle est également présente en Ukraine. C'est la raison pour laquelle le président d'Ukraine a été chassé du pays: la population ne pouvait plus tolérer ce qui se passait. La situation ruine complètement la vie des Russes moyens, parce que l'argent n'est pas utilisé pour construire des hôpitaux et des écoles. Il sert à acheter des villas et des yachts, repose dans des comptes bancaires à l'étranger et permet d'envoyer des enfants dans de luxueux lycées privés. Voilà où se situe tout le problème.

  (1330)  

    La minute dont vous disposiez est écoulée. Nous passons maintenant à M. Marston.
    Dans un souci d'équité, dans des situations comme celle-ci, du fait que je veux m'assurer de tout faire, quand vous dépasserez votre temps, je réduirai votre prochaine intervention d'une minute. Par conséquent, la prochaine fois, vous disposerez de cinq minutes.
    Monsieur Marston.
    Je considère que c'est tout à fait équitable, monsieur le président.
    Monsieur Browder, j'appartiens à la génération de MAD, c'est-à-dire de la destruction mutuelle assurée. Il s'agissait d'une épée à deux tranchants: tout le monde pensait pouvoir prévenir la guerre nucléaire, par conséquent, la Russie pouvait faire tout ce qu'elle voulait pensant que personne ne relèverait ce défi à cause du facteur de risque. J'ai tendance à souscrire à votre analyse selon laquelle M. Poutine n'est pas prêt à mourir pour son argent — mais je ne voudrais pas qu'on prouve que j'ai tort à ce sujet.
    Nos chercheurs nous ont proposé la question suivante, et, à mon avis, elle est très pertinente compte tenu de la motion de M. Cotler. Toutefois, avant de vous poser la question, savez-vous si des membres du gouvernement ont entrepris des démarches de quelque nature que ce soit en vue d'obtenir un appui concernant cette mesure législative et quelles réactions leurs démarches suscitent?
    Nous sommes arrivés à Ottawa tout juste ce main. Demain, je vais rencontrer des membres du gouvernement à ce sujet. Tout ce que je peux dire d'un point de vue conjectural, c'est que nous vivons dans un monde complètement différent, où personne ne cherche à être l'ami des Russes. Des sanctions ont déjà été imposées. Par conséquent, de nos jours, nul besoin d'un acte de foi pour leur en imposer d'autres ou pour croire que personne ne craindra de vexer la Russie.
    Pendant quatre ans, c'est un peu comme si je prêchais dans le désert. Beaucoup de gens disaient que le cas de Magnitsky était seulement un cas rare, un situation extrême. Maintenant, tout à coup, tous les gouvernements veulent connaître mon opinion quant aux personnes qu'il faudrait sanctionner et aux politiques de sanction qui seraient convenables ou qui devraient être renforcées.
    À l'heure actuelle, mon opinion sur les sanctions à imposer correspond à ce que pensent la majorité des gens, alors j'espère que, puisque le monde a changé, nous réussirons à utiliser cet outil de façon efficace. Comme je l'ai dit, nous sommes en quelque sorte à l'ère de la technologie iPad. À l'époque, on utilisait une machine à écrire, mais maintenant, nous nous servons d'un iPad pour dénoncer ceux qui portent atteinte aux droits de la personne.
    Quant à l'idée de s'en prendre à l'argent de ces gens, nous ne parlons pas de sanctionner seulement des chefs d'État ou des hauts fonctionnaires du gouvernement. Dans le cas de Magnitsky, nous parlons de personnes de rang intermédiaire qui ne pourront plus voyager ou utiliser leur carte Visa. Par conséquent, obéiront-ils à l'ordre de faire quelque chose de mal s'ils savent qu'ils seront tenus personnellement responsables et qu'ils ne pourront ni voyager ni utiliser leur argent et que, de plus, leur gouvernement ne pourra pas les mettre à l'abri de telles mesures?
    Eh bien, l'impunité dont ils ont joui depuis si longtemps... Les gens de l'Amérique du Nord sont très conscients du problème des gangsters en Russie. Or, vous semblez être au fait de renseignements très précis qui lieraient certaines personnes à cette affaire — vous l'avez déjà confirmé; cela vous met dans une position plutôt unique dans le contexte de tout qui arrive en ce moment.
    Toutefois, la raison pour laquelle j'ai abordé le sujet, c'est que, d'après ce que je comprends, la législation canadienne interdit déjà le droit d'entée aux individus et aux organisations criminelles qui sont soupçonnés d'avoir commis des actes criminels graves. J'ai l'impression que vous possédez déjà les éléments de preuve qui pourraient être utilisés contre au moins un certain nombre de ces personnes. À votre avis, si nous appliquions les lois existantes, serions-nous en mesure de régler cette situation?

  (1335)  

    La loi permet au gouvernement de les empêcher d'entrer au Canada si celui-ci choisit de le faire, mais elle ne l'oblige pas à le faire. Elle ne permet ni de geler leurs actifs ni de divulguer leurs noms.
    Trois dispositions de la Loi Magnitsky la rendent exceptionnelle et utile et vont plus loin que ce que prévoit la loi canadienne existante. La version américaine a été plus loin que ce que prévoit la loi existante aux États-Unis. La première disposition oblige le gouvernement à divulguer le nom des personnes et à les consigner dans un registre fédéral, ce qui est très important. La deuxième l'oblige à refuser de leur accorder des visas, et la troisième, à geler leurs actifs. La loi canadienne existante ne comprend pas de telles dispositions.
    Je peux vous dire une chose, qui est difficile à comprendre si l'on n'est pas un spécialiste en matière de sanctions; j'en suis devenu un par la force des choses en menant ce combat. Si le nom d'une personne se trouve sur une liste de sanctions internationales, cela met fin à leur vie financière. Si vous figurez sur une liste de sanctions, que ce soit une liste canadienne, américaine ou européenne, ou même sur seulement une des trois listes, toutes les banques du monde vont le savoir parce qu'elles possèdent une base de données des personnes sur les listes de sanctions — toutes les banques.
    Si une personne se trouve sur une liste de sanctions canadienne, il lui sera impossible d'ouvrir un compte à la banque RBS à Londres. La plupart des entreprises ne voudront pas faire affaire avec elle après avoir fait des recherches à son sujet. Même si la personne n'a pas d'actifs au Canada, le fait de la nommer et de l'humilier de cette manière a des répercussions négatives très matérielles et très directes sur sa vie.
    La loi actuellement en vigueur ne fait pas cela.
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Il vous reste cinq, quatre, trois, deux... une seconde.
    Je pense que j'ai terminé.
    Vous avez terminé.
    J'ai essayé.
    Merci, monsieur.
    Vous avez la parole, monsieur Schellenberger.
     Encore une fois, monsieur Browder, merci de comparaître de nouveau. J'étais nouveau au comité la dernière fois que vous avez comparu. J'ai trouvé ce récit épouvantable, et je ne l'ai jamais oublié, surtout depuis la situation en Ukraine. L'ancien président et l'ancien gouvernement ukrainiens étaient en fait des copains de Poutine. Ils ont été mis au pouvoir et ils pensaient à eux-mêmes d'abord et avant tout.
    D'après ce que j'ai compris, la fortune de Poutine s'élève à environ 160 milliards de dollars. À mon avis, et de l'avis de ceux qui sont au courant de cela, Ie salaire d'un président de la Russie ne permettrait pas d'amasser une telle somme. Or, les Russes ordinaires qui ne le savent pas, du fait que les médias ne peuvent pas en parler, doivent bien se demander pourquoi ils touchent seulement, en moyenne, un salaire d'environ 12 000 $ par an. Il leur faudrait bien longtemps pour amasser 160 000 milliards de dollars.
    Je crois de tout coeur à tout ce que vous nous avez dit la dernière fois que vous étiez ici, surtout depuis ce qui s'est passé en Crimée, en Ukraine. D'ailleurs, j'aurais agi un peu différemment de ce que notre gouvernement ou ceux d'Europe et des États-Unis ont fait au tout début. Quand tout a commencé, quand le président de l'Ukraine a quitté le pays pour retourner en Russie, j'aurais imposé des sanctions à tout le monde, à tous les oligarques de même qu'à tout le monde en Ukraine et en Russie.
    Un des membres de mon personnel est allé en Europe à Noël. Je ne sais pas de quel endroit de villégiature il s'agissait, mais plus de la moitié des maisons — même les grands manoirs — appartenaient à des Russes. La plupart des Russes et des Ukrainiens de haut rang vivent à l'étranger; ils prennent l'argent, puis ils vont à l'étranger.
    Je suis donc en faveur d'imposer des sanctions. Je sais que vous nous en avez parlé, mais, selon vous, est-ce que suffisamment de sanctions ont déjà été mises en place?

  (1340)  

    Absolument pas. Beaucoup de négociations sont en cours ici en Occident au sujet de la Russie.
    En ce qui concerne l'Ukraine, je crois que la meilleure façon de régler la situation serait d'imposer des sanctions à tous les ministres du cabinet — tous sans exception —, à Poutine et aussi à toute la bande de ceux que j'appelle les fiduciaires de l'oligarchie.
    Pour vous expliquer comment fonctionne la kleptocratie, c'est que la plupart des responsables gouvernementaux ne gardent pas l'argent en leur nom. Ils le gardent dans le nom de personnes à qui ils font confiance. Voilà les fiduciaires. Quand vous regardez les listes de personnes riches en Russie, souvent elles ne sont pas aussi riches qu'elles en ont l'air sur la liste du fait qu'ils détiennent des actifs au nom de Vladimir Poutine et d'autres ministres de premier plan du gouvernement. Je crois que les seules listes à être presque à demi satisfaisantes sont celles des sanctions américaines parce qu'elles contiennent des noms d'hommes d'affaires, dont certains sont très bien connus — mais vraiment pas assez d'hommes d'affaires.
    Seulement deux hommes d'affaires figurent sur la liste canadienne qui vient d'être rendue publique aujourd'hui —, mais c'est mieux que rien. La liste européenne n'en contient aucun. Les hommes d'affaires sont les gars qui gardent l'argent de Poutine et de ses collègues. Dans le cas de l'aventure de Poutine en Ukraine, voilà les gens à qui il faudrait imposer des sanctions.
    Quant à ces violations des droits de la personne, personne n'a été sanctionné. Personne n'a été sanctionné au Canada pour le meurtre de Magnitsky. Nous possédons toutes les preuves. Ces personnes ont été sanctionnées aux États-Unis. Je ne comprends vraiment pas pourquoi le Canada ne pouvait pas simplement adopter la liste américaine ou adopter une version de celle-ci. Je pourrais venir passer une semaine avec le personnel du ministre de l’Immigration pour lui faire part des preuves.
    Je ne sais pas pourquoi on ne leur a pas imposé de sanctions. Il faudrait le faire.
     Je pense que...
    Il vous reste une minute.
    Une minute?
    Je pense que ce qui est arrivé, c'est que Poutine et les Russes ont assoupi les gens un peu — « faites-moi confiance, faites-moi confiance ». Regardez ce qui est arrivé en Syrie: les Russes ont prétendument négocié cet accord, qui n'a toujours pas été abrogé. Si vous regardez les pays avec lesquels les Russes sont amis, c'est épouvantable.
    Encore une fois, je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour essayer de corriger certaines des injustices qui ont été commises en Russie et qui le sont encore. Nous verrons si nous pouvons appuyer certaines de vos suggestions.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Nous passons à M. Scarpaleggia.
    Merci, monsieur le président.
    Quel exposé extrêmement fascinant.
    Je peux comprendre comment il peut y avoir des fonctionnaires corrompus en Russie et des gangsters essentiellement en liberté qui collaborent avec la police pour arrêter quelqu'un comme M. Magnitsky par des moyens frauduleux. Toutefois, dans notre système, la magistrature sert de filet de sécurité et prévient des abus de ce genre. Est-ce que la magistrature en Russie est entièrement complice de la corruption? Est-ce que les juges sont achetés ou ont-ils seulement peur des représailles? Quel rôle joue la magistrature dans tout cela?
    Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que dans les pays normaux, le système judiciaire joue un rôle de contrepoids et veille à ce que tout fonctionne bien. Vous avez aussi raison de croire que les tribunaux russes n'agissent pas comme des organismes indépendants qui appliquent les lois.
    Le système judiciaire russe est corrompu à tous les paliers, du tribunal de première instance jusqu'à la Cour suprême. La corruption règne autant du côté financier que du côté politique. Dans certains cas, les gens paient pour influencer les décisions; dans d'autres, un seul coup de fil suffit.
    Je pense que l'exemple le plus flagrant de la corruption judiciaire est encore une fois l'affaire Magnitsky. Et ici, je ne prêche pas pour ma paroisse. Un juge principal à Moscou a présidé un procès qui a duré environ deux mois, dans lequel Sergei Magnitsky était l'accusé, et ce, trois ans après sa mort.

  (1345)  

    C'est incroyable.
    Le premier procès à titre posthume de l'histoire russe s'est tenu à Moscou l'été dernier.
    C'est ahurissant. Cela m'amène à une autre question sur les rouages de votre initiative et la façon dont le projet de loi sera appliqué.
    Comment obtenez-vous ces preuves? Nous parlons ici de gens qui se trouvent dans un autre pays, un pays corrompu, où on ne peut pas se fier aux dossiers de la police et où le système judiciaire, comme vous venez de le mentionner, est corrompu. J'aimerais savoir sur quoi vous vous fondez pour décider de saisir les biens d'une personne. Les biens sont saisis en vertu de la loi, n'est-ce pas? De quelle façon vous vous y prenez pour recueillir ces preuves et vous assurer qu'elles sont valides?
    Les autorités russes croient étrangement que personne de l'extérieur ne mettra le nez dans leurs affaires, alors elles consignent tout. Lorsque Sergei Magnitsky a sauvagement été battu la nuit précédant son décès, les personnes impliquées dans l'agression ont rédigé et signé un protocole pour confirmer à leur patron qu'ils avaient bien fait leur travail. Dans son dossier, tout indique que Sergei avait demandé à maintes reprises des soins médicaux et que les juges avaient rejeté chacune de ses demandes.
    Comment avez-vous réussi à mettre la main sur ces preuves?
    Ce qui est étonnant à propos des Russes, c'est que malgré leur système totalement injuste, ils tiennent mordicus à leur procédure. Vous vous présentez devant un tribunal, ils exposent leur cause et vous avez la possibilité de consulter le dossier. Au fond, ils se sont eux-mêmes tirés dans le pied. Ils n'ont peut-être pas connu d'ennui devant leurs propres tribunaux, étant donné que les juges ont rendu de mauvaises décisions à tous les égards, mais les preuves sont là; ils sont eux-mêmes à l'origine des preuves.
    On a la Loi Magnitsky aux États-Unis. Y a-t-il d'autres pays qui ont adopté une loi semblable ou est-ce que les États-Unis font cavalier seul?
    Les États-Unis ont adopté la loi.
    Le Parlement européen a récemment fait quelque chose de très inhabituel. Il a adopté une résolution dans laquelle il a dressé une liste de 32 personnes ayant joué un rôle dans l’affaire Magnitsky. Le Parlement européen n'a jamais, dans toute son histoire, dressé une pareille liste.
    La raison pour laquelle il l'a fait cette fois-ci, c'est qu'il a adopté quatre résolutions au cours des quatre dernières années demandant à l'Union européenne d'imposer des sanctions, et l'Union européenne, à titre d'organe exécutif, a fait fi de cette demande. Par conséquent, le Parlement européen a décidé de dresser sa propre liste des personnes visées par les sanctions, qu'il distribuera ensuite à toutes les ambassades européennes en Russie afin que les agents consulaires puissent au moins avoir leurs noms.
    Toutefois, les pays européens ne sont pas encore autorisés à entreprendre seuls ce même type de démarche, n'est-ce pas?
    Aucune décision exécutive n'a été prise par les pays européens.
    Le gouvernement britannique, étrangement, a menti par omission. Il a affirmé officiellement que les gens qui avaient tué Magnitsky étaient interdits de territoire. Lorsqu'on lui a de nouveau demandé qui étaient ces personnes, il a répondu qu'il ne pouvait pas en parler.
    Par conséquent, les États-Unis sont les seuls à avoir une Loi Magnitsky explicite. C'est donc mon travail et ma mission de changer la situation.

  (1350)  

    Une dernière question, monsieur le président?
    Votre temps est écoulé, je suis désolé.
    D'accord. Merci.
    Monsieur Sweet, allez-y, je vous prie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Browder, je pense que tous les avocats dans le monde aimeraient avoir un ami comme vous s'ils se trouvaient dans de pareilles circonstances. Je n'essaie surtout pas de prendre la situation à la légère; c'est une véritable tragédie qui est survenue. Toutefois, votre dévouement est exemplaire, et vous êtes tout ce qu'on pourrait attendre d'un meilleur ami, alors je tenais à vous en féliciter.
    En juillet dernier, ce n'est pas seulement un homme mort qui a subi son procès. Il semble que vos efforts se soient avérés un peu efficaces, puisque vous avez été condamné par contumace également. Voudriez-vous nous en parler un peu?
    Oui. Pour compléter l'histoire, sachez qu'en juillet dernier, il y avait deux personnes au banc des accusés, Sergei Magnitsky, décédé, et moi-même, vivant, mais pas en Russie. Il s'agit du premier procès à titre posthume de l'histoire de la Russie et le deuxième procès par contumace d'un Occidental.
    Dans la salle d'audience, il y avait une cage pour les accusés. Dans notre cas, cette cage était vide. Nous n'avons pas assisté au procès — pas plus que la famille de Sergei ou la mienne —, parce qu'il s'agissait d'un procès bidon. Deux avocats nommés par l'État se sont présentés contre leur gré. Ils sont arrivés devant le tribunal, puis ils ont demandé à être excusés. Leurs supposés clients ne voulaient pas entrer en contact avec eux.
    Le gouvernement avait exigé qu'ils fassent ce procès, sans quoi ils seraient radiés du barreau. À la suite d'un simulacre de procès, on nous a reconnus coupables, Sergei et moi. J'ai été condamné à neuf ans d'emprisonnement par contumace.
    Les Russes ont ensuite communiqué avec Interpol afin qu'on m'inscrive sur la liste des criminels les plus recherchés. Heureusement, Interpol a refusé, car elle estimait que la requête russe présentait un caractère politique prédominant. Ils ont aussi demandé à d'autres pays, dont le Royaume-Uni, de procéder à mon arrestation. Le Royaume-Uni a rejeté leur demande. Plusieurs autres pays ont ouvertement dit que si je me rendais là-bas, rien ne m'arriverait.
    N'empêche que c'est ce qui arrive lorsque les Russes sont en colère contre vous. Ils vous traduisent en justice. Il y a un proverbe célèbre qui dit: « Montrez-moi l'homme et je vous trouverai le crime. » C'est une citation de Staline, ou peut-être de Dzerzhinsky; je ne me souviens plus lequel. Bref, c'est leur méthode.
    Je les contrarie au plus haut point, et ce n'est pas simplement à cause de la Loi Magnitsky. Nous avons pu retracer les fonds volés et autoriser différents organismes d'application de la loi partout dans le monde à les saisir. Les États-Unis, la Suisse, la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie, Chypre, la Moldova et divers autres pays ont ouvert des dossiers criminels. Cela a également permis de lever le voile sur toutes les activités de blanchiment d'argent auxquelles s'adonne l'organisation criminelle du gouvernement.
    Je suis donc un personnage extrêmement dangereux pour eux, puisque que j'ai étalé leur linge sale en public.
    Si l'on remonte à l'époque où vous avez commencé vos affaires en Russie, la façon dont le gouvernement fonctionnait a sans aucun doute été une grande surprise pour vous.
    J'imagine que vos relations avec les gens là-bas sont maintenant assez tendues, bien que vous puissiez encore avoir certains contacts. Lorsque vous étiez en Russie, selon vous, le simple citoyen semblait-il être au courant de la situation? Vous avez sûrement eu beaucoup d'interaction avec des citoyens russes. Est-ce qu'ils sont conscients de tout cela ou s'ils sont tout simplement paralysés par la peur du gouvernement? Sont-ils confrontés à cette situation depuis tellement longtemps qu'ils ne la voient plus?
    Les Russes sont un peuple très fataliste. Ils sont pleinement conscients de la situation. Ils ne connaissent pas tous les détails nécessairement, mais ils voient ce qui se passe. On était censé aménager une route avec un milliard de dollars, et il n'y a toujours pas de route. Un hôpital devait également acheter de nouvelles machines, et il n'y pas de nouvelles machines.
    Tous les gens sont au courant de la situation et ils sont furieux. Quiconque se présenterait aux élections dans le but de mettre fin à la corruption remporterait une victoire écrasante; ce serait un véritable raz-de-marée. Ce qu'il a fait à Sergei Magnistky, le gouvernement russe l'a fait à beaucoup d'autres gens, mais peut-être pas de façon aussi extrême. Tout le monde a peur d'en parler, alors les gens se soumettent.
    C'est ce que fait un régime autoritaire corrompu. Il effraie sa population, la vole, puis la contraint au silence.

  (1355)  

    Outre le cas de Sergei Magnitsky, à combien d'autres cas essayez-vous de sensibiliser la communauté internationale en ce qui a trait à la violation des droits de la personne en Russie?
    Il y a beaucoup d'autres cas directement liés à l'affaire Magnitsky. Il y a un jeune homme qui s'appelle Fedor Mikheev, qui a été appréhendé par les mêmes policiers qui ont arrêté Sergei Magnitsky. Ils l'ont arrêté et l'ont livré à des ravisseurs, qui ont demandé une rançon de 20 millions de dollars à son patron. Sa femme s'en est mêlée et a en quelque sorte découvert où il se trouvait et elle l'a fait libéré par la police. Il a été arrêté à nouveau, puis condamné à 11 ans d'emprisonnement. Nous parlons donc aussi beaucoup de l'affaire Mikheev.
    Nous avons appris que Sergei avait découvert beaucoup d'autres cas de fraude fiscale, à hauteur d'un milliard de dollars, et nous l'avons exposé au grand jour. Je vais me rendre à Washington la semaine prochaine afin de présenter les jeunes femmes de Pussy Riot aux divers sénateurs, de sorte qu'on puisse ajouter à la liste Magnitsky d'autres personnes s'étant fait persécuter. Il y a donc un mouvement qui est en train de prendre de l'ampleur.
    Le problème en Russie est le problème de tout le monde, c'est pourquoi nous voulons engager le plus de gens possible. Chose certaine, nous ne ramènerons jamais Sergei, mais si nous pouvons créer des conséquences et épargner des vies, au moins, son sacrifice n'aura pas été vain.
    Merci, monsieur Sweet.
    Si le comité le veut bien, j'aimerais poser une question.
    Vous avez parlé des Pussy Riot. C'est quelque chose qui me semble assez mystérieux et vous pourrez peut-être éclairer ma lanterne. Il est facile de comprendre les motifs financiers qui ont mené à la perte tragique de Sergei Magnitsky, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi le régime russe s'acharne sur la communauté LGBT. Je ne comprends tout simplement pas ce qui les pousse à agir de la sorte.
    Auriez-vous une idée de leurs motifs?
    C'est très simple. Si vous êtes Vladimir Poutine, vous êtes un kleptocrate à la tête d'un État où règne la kleptocratie et où tout le monde est furieux puisque seulement 1 000 personnes bénéficient de tout — c'est-à-dire de l'argent volé —, alors que 140 millions de gens sont laissés pour compte, vous vous retrouvez avec un régime non viable. Vous devez donc trouver quelque chose pour faire distraction. Poutine a donc testé différentes idées.
    L'an dernier, il a eu l'idée de s'en prendre à la communauté LGBT. Il s'est dit que s'il arrivait à créer ce conservatisme, il pourrait détourner l'attention des gens, ce qu'il n'a pas réussi à faire. Comme personne n'y a porté attention, il a donc dû passer à son plan B, à son plan C puis à son plan D. Je ne sais pas exactement où la Crimée s'emboîte dans tout cela, mais il cherchait à faire distraction.
    Soit dit en passant, les représailles contre la communauté LGBT n'ont pas cessé. Elles persistent toujours, mais les gens y prêtent moins attention puisqu'ils s'intéressent davantage à ce qui se passe à Donetsk. Toutefois, beaucoup de gens de cette communauté se sentent très vulnérables. Certains quittent le pays et ceux qui restent ne se sentent pas en sécurité. Ils doivent taire leur mode de vie en espérant qu'ils ne seront pas persécutés et qu'ils ne perdront pas leur emploi ou pire encore.
    Merci beaucoup. C'était très utile.
    Chers collègues, nous allons faire une brève pause, après quoi nous reprendrons nos travaux à huis clos.
    Je suis désolé, y avait-il quelqu'un d'autre?
    Oh, monsieur Benskin, toutes mes excuses. Je vous avais complètement oublié.
    Encore une fois, toutes mes excuses, vous disposez de six minutes.

  (1400)  

    Merci. Ce n'est rien.
    Je suis nouveau au sein du comité, et donc un peu nouveau dans ce dossier. Il y a tellement de choses qui se passent dans le monde au quotidien, et nous lisons toutes sortes de nouvelles. Pourriez-vous nous dire quels sont les éléments clés de la Loi Magnitsky?
    La Loi Magnitsky est une loi américaine qui a trois caractéristiques principales: tout d'abord, elle nomme publiquement les personnes qui ont perpétré des violations des droits de la personne; elle les interdit de territoire américain; elle gèle leurs avoirs et empêche toute institution financière ou entreprise américaine de faire affaire avec ces gens-là.
    La Loi Magnitsky s'applique aux États-Unis aux personnes qui ont joué un rôle dans l'affaire Magnitsky et à d’autres gens qui ont violé de façon flagrante les droits de la personne en Russie, comme l'a reconnu le gouvernement américain.
    Quel est le fardeau de la preuve en ce qui concerne le gel des avoirs?
    Il est très élevé. Le gouvernement américain est l'arbitre ultime pour ce qui est d'ajouter ou non quelqu'un sur la liste. Une personne inscrite sur la liste a la possibilité de contester cette décision devant la cour fédérale. Le gouvernement inscrira le nom d'une personne sur cette liste seulement s'il peut le justifier en fonction de la norme criminelle.
    Par rapport à ce qui se passe en Crimée avec la Russie et ainsi de suite, y aurait-il moyen de s'inspirer de la Loi Magnitsky, d'utiliser le même processus de réflexion à un niveau politique et de l'appliquer aux membres du Parlement russe ou à d'autres dirigeants du gouvernement russe?
    C'est exactement ce qu'on a fait. Les États-Unis ont appliqué le concept de la Loi Magnitsky. À l'heure actuelle, je crois que 54 personnes figurent sur la liste des sanctions fédérales de l'OFAC, à qui on a révoqué le visa et gelé les avoirs selon la norme criminelle.
    La seule différence entre les sanctions actuelles et les sanctions imposées par la Loi Magnitsky, c'est que je ne suis pas certain que les gens aient la capacité de contester ces sanctions devant un tribunal américain. Je n'ai pas fait suffisamment de recherche sur les sanctions actuelles pour le savoir. Toutefois, tout le reste est exactement la même chose, sanction pour sanction, mot pour mot, et conséquence pour conséquence.
    Merci.
    Je vais donc céder mon temps au comité pour que nous puissions poursuivre nos travaux à huis clos.
    Merci, monsieur Benskin. Je suis désolé encore une fois d'avoir oublié votre tour.
    Chers collègues, nous allons faire une brève pause.
    Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier M. Browder.
    Vous avez été aussi informatif qu'à l'habitude, monsieur, et vous nous avez renseignés sur cette importante question.
    Nous allons maintenant suspendre pour quelques minutes, puis reprendre à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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