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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 25 avril 1996

.0910

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Vous vous rappelez que nous avons organisé cette réunion pour faire le point sur la situation au Moyen-Orient. Nous recevons quatre témoins, dont l'un est de l'ACDI. Il s'agit de M. Laverdure, sous-ministre adjoint chargé du Moyen-Orient, que nous avons déjà entendu, de M. Robinson, directeur général responsable du processus de paix au Moyen-Orient, de Mme Gibson, directrice des relations avec le Moyen-Orient, et de M. Ward de l'ACDI.

Merci beaucoup d'être venus.

Je tiens à rappeler à mes collègues que plusieurs d'entre vous ont proposé d'entendre des représentants diplomatiques des pays en cause ou même des représentants de la communauté libanaise et du Congrès juif canadien. Nous n'avons pas pu organiser quoi que ce soit en ce sens, mais aux termes de la séance d'aujourd'hui, nous en reparlerons brièvement.

Je crois savoir qu'il y a un vote plus tard. Je ne sais pas si la sonnerie va retentir à 10 h 30, pour le vote de 10 h 45, ou si le vote aura lieu à 10 h 30, mais nous vous tiendrons au courant.

M. Bergeron (Verchères): Je crois que c'est à 10 h 15.

[Français]

Le président: Les cloches sonneront pendant 30 minutes.

[Traduction]

D'accord, le vote aura lieu à 10 h 45. Nous tâcherons de nous en souvenir.

[Français]

Monsieur Laverdure.

M. Claude Laverdure (sous-ministre adjoint, Afrique et Moyen-Orient, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je voudrais d'abord vous remercier et vous dire tout le plaisir que j'ai d'être avec vous ce matin. Le sujet que vous avez à l'ordre du jour est très important et mérite toute notre attention, et je suis ravi de voir que les membres du comité ont souhaité s'informer davantage. Nous serons tous à à votre disposition, après quelques mots de ma part, pour répondre à vos questions.

Je vous demanderai aussi de bien vouloir m'excuser. J'essaierai de ne pas m'endormir devant vous, car ce ne serait pas très poli, mais j'arrive tout juste de Londres. Je dois donc faire face au décalage. J'ai cependant participé à des réunions qui vous intéressent, des réunions avec nos ministres sur les questions du Moyen-Orient.

Je suis accompagné de quelques collègues qui sont particulièrement bien informés et très compétents, et qui vont pouvoir m'aider à répondre à vos questions.

Dans un premier temps, je voudrais parler des derniers développements que nous avons connus au Moyen-Orient et de leurs conséquences sur le processus de paix que nous poursuivons, et aussi parler du rôle du Canada dans ce processus de paix.

D'abord, parlons des derniers développements. Les derniers événements, que je souhaiterais souligner, sont ceux qui vous intéressent plus particulièrement. Je crois qu'il faudrait dire un mot sur le sommet de Sharm el Sheikh, ensuite sur la réunion actuelle du Conseil national palestinien et enfin des élections en Israël et du conflit entre Israël et le Hezbollah.

[Traduction]

Tout d'abord, parlons du Sommet qui a eu lieu il y a environ six semaines à Charm el Cheikh. Nous connaissons tous les événements tragiques qui ont mené au Sommet de Charm el Cheikh, à savoir, les porteurs de bombes suicide qui se sont attaqués à Israël entre le 25 février et le 4 mars, tuant une soixantaine de civils israéliens.

Non seulement le premier ministre Chrétien a condamné publiquement ces attaques, mais le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères Axworthy ont écrit à leurs homologues israéliens pour exprimer la sympathie du Canada envers le peuple d'Israël et leur indignation devant ces attaques terroristes. Le ministre Axworthy a également écrit au raïs Arafat pour l'encourager à faire tout en son pouvoir pour prévenir de nouveaux attentats terroristes.

À titre de mesure pratique visant à prévenir de nouveaux attentats terroristes en Israël, le ministre Axworthy a décidé de fournir à Israël et à l'autorité palestinienne les fonds voulus pour acheter du matériel de détection antibombe fabriqué au Canada. Le Canada est le seul autre pays au monde à fournir une telle assistance.

Dans la foulée des horreurs qu'on a vues au centre-ville de Jérusalem et de Tel Aviv, on comprend que nombre d'Israéliens s'inquiètent non seulement de leur sécurité personnelle mais aussi du processus de paix lui-même. Aujourd'hui, au moment où Israël et le Hezbollah échangent des tirs d'artillerie nourris, qui font encore une fois des victimes innocentes parmi les civils, il convient de rappeler les paroles et les images qui nous restent du Sommet de Charm el Cheikh.

.0915

Les dirigeants régionaux et mondiaux, dont le premier ministre Chrétien et le ministre des Affaires étrangères Axworthy, ont condamné d'une seule voix les attentats terroristes perpétrés contre Israël et ont renouvelé leur attachement au processus de paix. Le Sommet de Charm el Cheikh a fort bien illustré le fait qu'Israël est accepté par le monde arabe, non seulement par les pays qui ont fait la paix avec Israël, par exemple l'Égypte et la Jordanie, mais aussi par ceux qui n'ont pas encore conclu d'accord de paix officiel.

En tout, quatorze pays arabes étaient représentés à Charm el Cheikh. Nous nous sommes entendus sur trois objectifs: encourager le processus de paix, promouvoir la sécurité de la région et combattre le terrorisme. Nous avons également pris acte des torts économiques que les mesures de sécurité sévères d'Israël causent aux populations palestiniennes de la Cisjordanie et de Gaza.

Fait également important, le Sommet de Charm el Cheikh a débouché sur la création d'un groupe de travail, qui est ouvert à tous les participants au Sommet, et qui vise à réaliser les objectifs que je viens de mentionner. Ce groupe de travail s'est réuni à Washington les 28 et 29 mars. Nous nous sommes employés alors à articuler une série de recommandations à l'intention des ministres des Affaires étrangères, recommandations qui visent à mettre en oeuvre les objectifs arrêtés au Sommet de Charm el Cheikh.

Depuis le Sommet, le Canada et la communauté internationale ont également pris des mesures pour contrer la détérioration des conditions économiques en Cisjordanie et dans la banque de Gaza. Une réunion d'urgence du Comité de liaison ad hoc responsable de la coordination de l'assistance aux Palestiniens s'est tenue à Bruxelles le 12 avril. Je serai très heureux de répondre à vos questions sur ces deux réunions. J'étais présent aux deux, à Washington et à Bruxelles, accompagné de quelques collègues.

Depuis que la Déclaration de principes a été signée à la Maison-Blanche en 1993, le Canada s'est engagé à verser 70 millions de dollars au titre de l'assistance aux Palestiniens. Le Canada reconnaît que le développement économique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza est un élément vital du soutien palestinien au processus de paix. Les Palestiniens, on le comprend, doivent avoir la conviction que le processus de paix leur offre l'espoir d'une prospérité économique.

Notre assistance vise à aider l'autorité palestinienne à bâtir les institutions nécessaires à une société civile. Au vu des torts économiques que cause la fermeture des frontières, les ministres Axworthy et Pettigrew tâchent de voir maintenant comment le Canada peut aider le mieux les Palestiniens, mais nous tâchons aussi de nous attaquer aux causes de ces torts économiques.

Même si le Canada reconnaît les préoccupations d'Israël en matière de sécurité, il a communiqué au gouvernement d'Israël ses préoccupations quant aux effets de la fermeture des frontières et a encouragé Israël à prendre des mesures supplémentaires en vue de rouvrir les frontières.

[Français]

Je voudrais parler brièvement de la réunion du Conseil national palestinien. Compte tenu des événements que nous avons vécus depuis quelques semaines, il n'aurait pas été particulièrement étonnant de voir le premier ministre Perez et Yasser Arafat se dire déçus et ne pas vouloir poursuivre le processus. Cependant, les deux ont affirmé clairement qu'ils entendaient poursuivre la mise en oeuvre des accords conclus et travailler à la poursuite d'un accord permanent.

Un des éléments importants, comme vous le savez, était d'apporter un amendement à la Charte. Hier, nous avons eu le plaisir de voir le Conseil palestinien approuver par une majorité très importante cet amendement qui devient un événement historique et qui permet aux deux parties de pouvoir songer à la suite. Il s'agissait d'un importante étape à franchir.

Le ministre a d'ailleurs émis un communiqué en ce sens hier et nous vous en remettrons une copie aujourd'hui.

Ce vote du Conseil palestinien permet donc d'entrevoir, dans l'immédiat, la reprise des discussions; on s'attardera sans doute maintenant aux questions complexes qui restent à négocier.

.0920

[Traduction]

Nous nous attendons à ce que ces négociations soient longues. L'ordre du jour comprend des questions des plus épineuses, comme vous le savez: le statut de Jérusalem; l'avenir des colonies de peuplement israéliennes; les réfugiés palestiniens; et la frontière entre Israël et le territoire palestinien. Il ne nous appartient pas de préjuger l'issue de ces négociations. Nous nous contentons de réaffirmer notre objectif, à savoir une paix complète juste et durable dans la région.

[Français]

Les élections israéliennes, qui se tiendront le 29 mai, font que, même s'il est prévu d'entreprendre les négociations finales au début mai, on ne peut s'attendre à des changements ou à des progrès énormes au cours des prochaines semaines. Les Israéliens auront d'abord à se choisir un gouvernement. Ce qui, par contre, nous semble encourageant, c'est que les deux principaux partis en lice ont indiqué que la paix faisait partie de leurs principaux objectifs.

Donc, nous avons bon espoir que la reprise des discussions qui aura lieu immédiatement après les élections nous conduira vers des développements heureux.

[Traduction]

Permettez-moi maintenant de vous parler du conflit actuel qui oppose Israël au Hezbollah. Ce que nous voulons dans l'immédiat, c'est mettre fin aux combats actuels dans le nord d'Israël et dans le sud du Liban. Au cours des deux dernières semaines, plus de 150 personnes ont été tuées, la vaste majorité d'entre elles étant des civils libanais innocents. Il y a une semaine aujourd'hui, une centaine de réfugiés libanais ont été tués lors d'une attaque israélienne sur une base des Nations Unies. Le premier ministre Chrétien a déclaré que le Canada considère que ces attaques sont déplorables et inacceptables, et a imploré toutes les parties en cause de s'entendre immédiatement sur un cessez-le-feu.

Le ministre des Affaires étrangères Axworthy a énoncé clairement les vues du Canada dans des lettres adressées aux ministres des Affaires étrangères du Liban et d'Israël. Le ministre Axworthy a également rencontré des représentants de la communauté libanaise pour entendre leurs vues. Sur les instructions de notre ministre, nos fonctionnaires ont rencontré l'ambassadeur du Liban et le chargé d'affaires israélien pour leur faire connaître les vues du Canada.

Le 18 avril, le Canada a également énoncé ses vues au cours du débat au Conseil de sécurité des Nations Unies. À deux reprises, nous avons souligné deux principes fondamentaux: le soutien du Canada à la sécurité et au bien-être de l'État d'Israël, et notre soutien à la souveraineté et à l'indépendance du Liban ainsi qu'à la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous croyons que le processus de paix constitue le meilleur moyen de réaliser ces principes et d'implanter une paix durable ainsi que la stabilité dans la région.

J'aimerais maintenant parler de la contribution importante que fait le Canada au processus de paix. Le Canada a quatre objectifs fondamentaux au Proche-Orient: favoriser la conclusion d'un règlement dans le conflit israélo-arabe; promouvoir les intérêts commerciaux et économiques du Canada dans cette région; faire mieux comprendre aux décideurs du Proche-Orient et aux façonneurs de l'opinion au Canada nos vues relativement aux questions de finances et de commerce international; enfin, contribuer au développement ordonné des États dans la région, ce qui comprend la promotion d'une saine régie des affaires publiques et le respect des droits de la personne.

Je me contenterai aujourd'hui de vous dire ce que nous faisons quant au premier objectif, à savoir favoriser un règlement du conflit israélo-arabe. Bien sûr, les autres objectifs constituent des éléments importants de notre politique, et je serai heureux d'en parler si vous me posez des questions en ce sens.

Le comité sait fort bien que le Canada a toujours recherché l'équité dans ses interventions au Moyen-Orient. Nous avons pris une part active aux délibérations des États-Unis qui ont conduit à l'adoption de la résolution 181 qui admettait Israël aux Nations Unies. Le Canada se préoccupe vivement aussi des droits et des besoins des Palestiniens. Nous avons pris part à la création de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens dans le Moyen-Orient, l'UNRWA, et notre pays a été l'un des principaux donateurs à l'UNRWA dès le début. Le premier commissaire général de l'UNRWA a été un Canadien, Howard Kennedy.

Des milliers de soldats canadiens ont joué un rôle dans le maintien de la paix au Proche-Orient. Notre pays était présent dès le départ à l'Organisation de supervision de la trève des Nations Unies. En 1956, à titre de membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, nous avons joué un rôle important dans la neutralisation de la crise de Suez, et le Prix Nobel de la paix a été remis au premier ministre Pearson pour le rôle qu'il a joué dans la création de la notion de maintien de la paix avec l'envoi de la première force d'urgence des Nations Unies dans le Sinaï. Depuis cette époque, le Canada a participé à toutes les opérations de maintien de la paix des Nations Unies au Proche-Orient, et à certaines opérations qui n'étaient pas parrainées par les Nations Unies.

.0925

L'importance que notre pays attache au droit international et au consensus international est reconnue universellement. Ce fait est particulièrement bien connu et apprécié au Proche-Orient, où l'on sait que le Canada ne participera à aucun effort visant à imposer des solutions. Notre amitié avec Israël, par exemple ne nous a pas empêchés, lorsque les circonstances l'exigeaient, de prendre la défense du droit international ou des normes admises comme l'applicabilité de la quatrième convention de Genève.

L'engagement international du Canada a été souligné en 1986 lorsque le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a décerné la médaille Nansen au Canada et au peuple canadien en reconnaissance de notre oeuvre en faveur des réfugiés et des personnes déplacées. C'est dans ce contexte que le Canada a entrepris ce que je considère être une initiative diplomatique importante dans les affaires moyennes-orientales lorsqu'il a accepté, en 1992, de présider le Groupe de travail sur les réfugiés dans le cadre des pourparlers multilatéraux du processus de paix au Moyen-Orient.

Ce n'était pas une initiative particulièrement en vue. D'ailleurs, tout l'aspect multilatéral du processus de paix tend à conserver un profil bas. Certains parlent même d'un processus de paix furtif, qui se déroule largement à l'écart des feux de la rampe et des grandes manchettes. Cependant, cette initiative a donné au Canada une place parmi la poignée de pays qui jouent un rôle dominant dans la gestion du processus de paix au Moyen-Orient. Comme vous le savez, les États-Unis et la Russie en sont les coparrains, alors que le Japon et l'Union européenne ont été désignés co-organisateurs. Le Canada se joint à ce groupe sélect, avec d'autres pays de la région, et a sa place au comité directeur du processus multilatéral avec son rôle de président du Groupe de travail sur les réfugiés.

Étant donné que le processus multilatéral tend à se dérouler en coulisses, et qu'il y avait une quarantaine de pays présents aux huit séances plénières, la présidence du Canada n'a pas été remarquée par la presse internationale au même titre que les négociations bilatérales du processus de paix au Moyen-Orient. Il n'en reste pas moins que le rôle du Canada est très visible à l'intérieur du processus et est très apprécié dans la région. En conséquence, le profil de notre pays dans la région est peut-être aujourd'hui aussi connu qu'il l'était à l'époque où Lester Pearson a joué le rôle qu'on sait dans la crise de Suez. Chaque fois qu'il y a percée dans le processus de paix et signature d'un accord quelconque à la Maison-Blanche, le ministre des Affaires étrangères du Canada y est très visible, étant l'un des quelques ministres des Affaires étrangères de l'extérieur de la région à être invités officiellement.

Vous vous souviendrez à cet égard de la signature de la Déclaration de principes israélo-palestienne de septembre 1993, qu'on appelle souvent Oslo I. Tout comme dans le traité de paix israélo-jordanien d'octobre 1994, on y trouve les assises fondamentales des progrès futurs du processus de paix. Le Canada a fortement soutenu ces accords à toutes leurs étapes.

En décembre 1995, le Canada a présidé la plénière du Groupe de travail sur les réfugiés. Elle regroupait plus de 40 délégations officielles de la Chine, du Japon, d'Israël, de l'Arabie saoudite, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France pour ne nommer que ceux-là. Cette rencontre a été marquée par un esprit de coopération sans précédent entre Israéliens et Palestiniens, ce qui reflète la détermination des participants à revigorer le processus de paix au lendemain de l'assassinat tragique du premier ministre Rabin, juste un mois avant la tenue de notre rencontre.

À cette séance plénière, plusieurs pays ont annoncé de nouveaux projets d'assistance visant à assurer aux réfugiés palestiniens les avantages réels et tangibles du processus de paix. La plénière a également mandaté un certain nombre d'activités intersessionnelles, comme nous disons, ou rencontres, missions et conférences, qui doivent avoir lieu avant la prochaine séance plénière.

Même si l'on a toujours applaudi aux réalisations du Groupe de travail sur les réfugiés visant à mobiliser une assistance concrète pour les réfugiés palestiniens, il arrive que le processus en soi permette de réaliser aussi d'importants progrès. Par exemple, le fait qu'Arabes et Israéliens acceptent de discuter même d'un sujet qui ne suscite aucune controverse politique comme la santé publique, imprime un élan au processus. Cela constitue souvent aussi un véritable progrès. L'alternative, comme on l'a vu, est trop souvent l'affrontement et la violence.

.0930

L'aspect multilatéral du processus, où le Canada est actif, a joué un rôle crucial dans le maintien de cet élan au lendemain de la crise qui l'avait stoppé. C'est généralement plus facile à faire dans un cadre multilatéral, qui ne tend pas à l'affrontement, que dans un cadre bilatéral, où les parties régionales s'affrontent dans des négociations très visibles qui semblent souvent ne rien donner.

Lorsque le processus bilatéral est dans l'impasse, c'est généralement le processus multilatéral qui lui permet d'en sortir, car les parties se retrouvent dans un cadre où les pressions sont moins intenses, ce qui leur permet de mettre des idées à l'essai et souvent de briser cette impasse. Nous venons d'en voir un bon exemple, où le Canada a eu un rôle à jouer. L'impasse a été créée au début de cette année, lorsque des incidents terroristes à Jérusalem et à Tel Aviv ont suspendu tout progrès dans le cadre bilatéral. Les Israéliens ne voulaient plus participer aux rencontres du processus de paix, même dans le cadre multilatéral. Il a fallu reporter à plus tard les activités prévues au calendrier du Groupe de travail sur les réfugiés. Cependant, après des contacts suivis avec Israéliens et Palestiniens, notre ambassade à Tel Aviv en ayant pris l'initiative, les parties régionales se sont entendues pour tenir une rencontre consultative intérimaire du Groupe de travail sur les réfugiés dans les trois semaines qui suivraient. D'autres groupes de travail reprennent également leurs activités.

Ce type d'opération visant à instaurer la confiance dans le cadre multilatéral, favorisé par le processus de charm el cheikh, joue un rôle important dans le maintien du processus de paix. Vous aurez remarqué qu'Arafat et Perez se sont maintenant entendus pour entreprendre les négociations sur le statut permanent en mai, comme prévu, en dépit du recul récent résultant des actions d'Israël au Liban.

J'aimerais maintenant vous donner plus de détails sur le rôle de chef de file que joue le Canada dans le cadre multilatéral, soit à la présidence du Groupe de travail sur les réfugiés.

Des groupes de travail multilatéraux ont été constitués pour maîtriser cinq grands problèmes. Il s'agit du contrôle des armes et de la sécurité régionale, de l'environnement, du développement économique régional, de l'approvisionnement en eau et des réfugiés. Le Canada participe activement à tous ces groupes de travail, et tous sont importants et prêtent à controverse sur le plan politique.

Au groupe du contrôle des armes, le Canada joue un rôle essentiel comme mentor pour les mesures visant à établir la confiance maritime. Dans le domaine de l'eau et de l'environnement, les projets de l'ACDI ont contribué à améliorer la gestion de l'approvisionnement en eau et à mesurer les effets du développement sur l'environnement.

Le groupe du développement économique chapeaute l'assistance au développement économique et commercial dans toute la région. C'est également une tribune où le Canada peut identifier des possibilités de participation future.

Cependant, c'est le Groupe de travail sur les réfugiés qui est le plus controversé. C'est le seul groupe directement confronté au sentiment profondément ancré de perte et de vulnérabilité des Palestiniens, et c'est le seul aussi qui doit composer avec les prises de positions très chargées d'émotivité des Israéliens comme des Arabes quant à la justice historique et quant à l'application d'une solution équitable au conflit israélo-arabe.

Tout le monde reconnaît qu'aucune solution complète n'est possible si le problème des réfugiés n'est pas réglé. Dans les rencontres du Groupe de travail sur les réfugiés, nous n'avons pas attaqué ces problèmes directement, mais nous nous assurons que le dialogue se poursuive. Nous avons également donné à la communauté internationale un instrument qui lui permet d'exprimer son soutien financier aussi bien que politique.

Le groupe de travail a mobilisé ses membres pour mettre en oeuvre quelque 136 projets évalués à des centaines de millions de dollars, et ce, afin d'améliorer les conditions de vie des réfugiés et des personnes déplacées en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Syrie, au Liban et en Jordanie, sans compromettre leurs droits et leur statut futur. Ce n'est pas le Groupe de travail sur les réfugiés qui va régler la question de leurs droits et de leur statut futur. Dans le cas de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la solution viendra des négociations sur le statut permanent qui doivent commencer le mois prochain.

Le groupe de travail a déployé beaucoup d'efforts pour préciser certaines des questions fondamentales en jeu et pour créer des conditions menant à un dialogue constructif. Lorsque les négociations sur le statut permanent commenceront, le groupe se mettra à la disposition des négociateurs afin de les aider de leur mieux.

Le statut futur des réfugiés du Liban, de la Syrie et de la Jordanie est plus incertain. Étant donné que le Liban et la Syrie ne participent pas encore au Groupe de travail sur les réfugiés, ils n'ont pas été directement associés à notre travail. C'est une perte pour le groupe de travail, pour les deux gouvernements, et particulièrement pour les réfugiés palestiniens qui résident dans ces pays.

.0935

Le sort des réfugiés au Liban nous préoccupe particulièrement. À cet égard, sous la houlette des responsables de chacune des équipes, les membres du groupe de travail n'ont ménagé ni les efforts ni les ressources nécessaires aux projets d'aide pratique visant à améliorer les conditions de vie des réfugiés du Liban.

Enfin, un mot au sujet d'une nouvelle initiative d'importance entreprise par le groupe de travail en Cisjordanie et à Gaza. Cette initiative se veut tournée vers l'avenir et vise à cibler les besoins des Palestiniens au fur et à mesure qu'ils s'établiront en Cisjordanie et à Gaza et consolideront leur autonomie gouvernementale. Nous parlons d'adaptation, puisqu'il s'agit d'un processus d'ajustement à toute cette évolution rapide de cette situation et d'ajustement aux bouleversements qui ont résulté de l'arrivée de nouveaux réfugiés dans la région, résulté des élections et de la formation d'un gouvernement, et résulté aussi des changements dans la façon dont l'UNRWA dispense ses services.

Le rythme du changement ne ralentit pas. Notre initiative d'adaptation est censée aider les résidents de la Cisjordanie et de Gaza à tenir le coup devant tous ces changements et à s'assurer que les plus vulnérables d'entre eux ne deviennent pas des victimes du processus.

[Français]

Dans un autre domaine, le Canada a joué un rôle important dans l'organisation du sommet économique d'Amman et déjà le Canada participe au comité directeur visant l'organisation du sommet du Caire.

Nous avons été un participant actif dans la mise en place d'une banque de développement régionale qui devrait voir le jour en 1997. Le Canada sera l'un des membres gouverneurs de cette banque.

En terminant, je voudrais vous rappeler que la contribution du Canada au processus de paix est importante et que l'on ne doit pas s'attendre à des solutions faciles. Les dernières étapes à franchir, dans n'importe quelle négociation, sont souvent les plus difficiles et les plus exigeantes.

Quoi qu'il en soit, nous continuerons d'apporter notre appui à tout ce processus visant simplement, mais difficilement, je l'avoue, la solution finale et une paix durable.

Nous sommes tous à votre disposition pour répondre à vos questions et entendre vos commentaires. Merci.

Le président: Merci, monsieur Laverdure. Si j'ai bien compris, même si c'est vous qui avez fait la présentation, vous êtes tous là, au nom du gouvernement, pour répondre à nos questions.

M. Laverdure: Monsieur le président, vous m'avez demandé de bien vous situer les collègues qui m'accompagnent.

Andrew Robinson est le directeur général responsable du processus de paix; Barbara Gibson est directrice de la direction responsable du Moyen-Orient; Rick Ward est directeur général pour le Moyen-Orient à l'ACDI.

Le président: Monsieur Bergeron.

M. Bergeron: Monsieur Laverdure, je suis un petit peu dubitatif par rapport à votre présentation.

D'abord, je dois dire que c'est une excellente présentation. Vous avez fait un bon tour d'horizon de l'ensemble de la problématique au Moyen-Orient et de la position canadienne dans ce dossier.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'on a demandé la tenue de cette rencontre sur une base d'urgence, jusqu'à un certain point, compte tenu de l'évolution du conflit au Sud Liban. C'est l'élément du conflit qui nous intéresse plus particulièrement et on est bien conscients que toutes les composantes du conflit sont liées les unes aux autres. C'est particulièrement la situation au Sud Liban qui nous préoccupe actuellement.

Vous avez présenté la position traditionnelle et récente du gouvernement canadien dans le conflit qui prévaut là-bas. Vous avez parlé de la présidence du comité sur les réfugiés qu'assume le Canada. Fort bien. D'autre part, nous avons entendu en Chambre, la semaine dernière et la semaine d'avant, le ministre des Affaires étrangères nous donner toutes sortes de commentaires très rassurants sur la position canadienne, sur les actions entreprises par le Canada, sur les enjeux d'une paix conclue le plus rapidement possible entre les parties en présence. Cependant, les combats continuent toujours. Le Sud Liban est toujours bombardé par l'aviation et l'artillerie israéliennes. Il n'y a pas d'apparence d'amélioration de la situation.

.0940

Êtes-vous en mesure de faire le point sur l'état des démarches bilatérales ou multilatérales à ce jour et l'état d'avancement des négociations? Peut-on espérer un règlement prochain du conflit? Dans tout ce brassage diplomatique qui a lieu actuellement, quel est le rôle précis du Canada?

M. Laverdure: Quand vous me demandez si je peux faire le point, je vous dirai: pas nécessairement beaucoup mieux que vous. Les renseignements additionnels que j'ai nous viennent de nos chefs de mission dans la région et de contacts que nous entretenons avec nos collègues européens, américains et autres pour essayer de voir comment ils progressent dans leurs démarches.

À mon avis, les discussions qui se poursuivent actuellement, principalement entre Jérusalem et Damas via le secrétaire d'État américain et via le ministre des Affaires étrangères français, progressent.

Par contre, lorsque nous cherchons à savoir d'une façon un peu plus précise où on en est rendu, quelles seront les prochaines étapes et surtout quelles sont les dates que l'on vise pour la fin des combats, nous faisons face, même si ce sont des pays amis, à des gens qui tiennent leurs cartes très près d'eux, qui ne veulent pas nous en dire plus long de crainte qu'une fuite ou une information amène l'une ou l'autre partie à se retirer ou à refuser la poursuite des négociations parce que des nouvelles auraient été rendues publiques.

Le Canada reste disponible au niveau de la poursuite du processus de paix par le biais du multilatéral. Ce sont nos correspondances avec les ministres des Affaires étrangères et les chefs de gouvernement des parties au conflit, c'est notre volonté de continuer de dire que la seule solution durable est la négociation et non l'attaque ou la contre-attaque, et c'est d'expliquer clairement aux parties en cause et à ceux qui essaient de trouver une solution que nous demeurons disponibles dans le cas où l'une ou l'autre des solutions mettrait en lumière un besoin spécifique que le Canada pourrait combler.

Nous sommes disponibles et nous cherchons une solution juste et équitable, mais nous ne sommes pas actuellement l'un des deux ou trois grands négociateurs entre les parties en cause.

Pouvons-nous être optimistes? Je vous avoue qu'il y a des jours où nous le sommes. Disons que c'est une question d'heures ou de jours, mais comme vous, nous constatons que ces heures et ces jours se prolongent. Cependant, les Canada est disponible pour apporter une contribution. Pour l'instant, nous ne sommes pas partie à la négociation directe.

M. Bergeron: J'aurais deux questions complémentaires très courtes, monsieur le président.

Concernant le rôle du Canada dans les négociations qui ont cours actuellement, le groupe des pays qui ont participé au Sommet de Sharm el Sheikh est-il associé de quelque façon que ce soit au processus actuel, d'une part et, d'autre part, compte tenu de l'implication très active du Hezbollah dans le conflit, des démarches au niveau diplomatique ou politique ont-elles cours actuellement avec le gouvernement iranien?

M. Laverdure: Quant à votre première question, vous savez qu'en principe, les ministres des Affaires étrangères des pays participant au Sommet de Sharm el Sheikh devaient se réunir lundi de cette semaine, à Luxembourg. M. Axworthy et moi-même étions en route pour le Luxembourg, par quelques détours, en assistant à d'autres réunions. Il a cependant été jugé souhaitable de reporter cette réunion de quelques jours puisque, de l'avis de tous, le climat n'était certes pas favorable à un échange entre 29 pays sur une situation aussi complexe.

Si cette réunion avait eu lieu, je pense bien qu'on aurait fait le point. Mais les objectifs de Sharm el Sheikh, à l'époque, n'incluaient pas une discussion sur des événements qui se sont produits par la suite.

Donc, nous continuons le dialogue avec les principaux pays participant au Sommet de Sharm el Sheikh, mais à l'extérieur du Sommet lui-même.

.0945

Pour ce qui est du rôle de l'Iran, le Canada a entretenu jusqu'à maintenant un dialogue avec les autorités iraniennes, ce que nos collègues américains ne font pas, mais que nos collègues européens font.

Nous saisissons chaque occasion, lorsque nous rencontrons les autorités iraniennes, ici à Ottawa ou à Téhéran, pour leur faire part de notre mécontentement et de nos critiques sévères à l'égard de ce qui se passe au niveau de l'appui de l'Iran en faveur du Hezbollah et d'autres organisations semblables.

Bien entendu, c'est un dialogue difficile, puisque les Iraniens rejettent toute participation directe et parlent d'une guerre plus ou moins religieuse. Mais la discussion n'est pas interrompue et nous ne ratons jamais une occasion de faire savoir aux Iraniens nos inquiétudes et notre mécontentement face à ce style de politique étrangère.

[Traduction]

Le président: Monsieur Morrison.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Merci, monsieur le président.

J'ai l'impression que certains principes m'échappent, mais je suis un peu embêté par la mièvrerie de la réaction diplomatique du Canada devant ce que j'appellerais les tentatives d'Israël de surexterminer l'ennemi dans le conflit actuel. Israël a choisi encore une fois de prendre le marteau pour tuer la mouche.

Nous avons été très rapides à condamner en termes catégoriques les bombardements suicide. Sans trop vouloir insister, je ne pourrais décrire la réaction du Canada que comme des plus mièvres. Qu'est-ce que cela donne au Canada de réagir comme ça? N'est-il pas dans notre intérêt comme pays d'être plus impartial dans ce conflit? Je comparerais volontiers le Canada à l'Irlandais apocryphe qui dit avoir bien compris que son pays devait être neutre, mais avoue ne pas savoir contre qui il doit l'être. Si nous voulons véritablement rester neutres, pourquoi semblons-nous être neutres contre le Hezbollah?

Mme Barbara Gibson (directrice, Relations au Moyen-Orient, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Puis-je me permettre de répondre?

Le président: Ne faites pas intervenir la politique irlandaise dans cette affaire.

Mme Gibson: Le gouvernement israélien sait très bien à quoi s'en tenir avec nous. Je crois aussi que la déclaration du premier ministre est très claire. Il a condamné les attaques, et hier ou avant-hier, le Canada a pris part au vote de la Commission des droits de l'homme à Genève pour condamner les violations aux droits de la personne dans le Sud-Liban.

Les Canadiens et le gouvernement israélien savent très clairement à quoi s'en tenir sur la position du Canada, grâce aux déclarations du premier ministre et à celles que nos élus ont faites à la Chambre. De plus, aux Nations Unies, nous avons appuyé publiquement la résolution adoptée la semaine dernière par le Conseil de sécurité, même si le Canada n'en fait pas actuellement partie.

Nous n'avons pas été neutres comme pourrait l'être la Suisse. La politique du Canada à l'égard du Moyen-Orient a toujours prôné le droit des parties à se défendre et à assurer leur propre sécurité nationale, et le droit à une paix durable pour tous les peuples du Moyen-Orient.

M. Morrison: Je crois comprendre que nous avons appuyé les initiatives multilatérales, mais je me demande vraiment pourquoi nous ne sommes pas plus fermes que cela dans nos relations bilatérales. Je ne dis pas que nous devrions nous mêler, loin de là, de ce qui se passe là-bas. Mais ne croyez-vous pas que le Canada parle d'autorité dans le monde?

Revenons à la question que j'ai posée. Pourquoi ne pas prendre position? Qu'avons-nous à perdre? Ou qu'avons-nous à gagner en ne le faisant pas?

Mme Gibson: Au lendemain de la déclaration faite par le premier ministre la semaine dernière, un journal syrien a affirmé que les gouvernements français et canadien avaient été très catégoriques. D'après moi, notre voix a été entendue dans la région. Je sais que pour certains, ça leur semble être parfois du jargon diplomatique, mais je crois que toutes les parties intéressées dans la région savent à quoi s'en tenir avec le Canada. Nous avons dit très clairement que nous appuyons la résolution 425 du Conseil de sécurité de l'ONU qui demande le retrait des troupes israéliennes et l'indépendance de même que la souveraineté territoriale du Liban, comme l'a d'ailleurs répété notre ministre des Affaires étrangères à la Chambre.

.0950

Je crois qu'au Moyen-Orient, de même qu'au Canada, on sait très bien à quoi s'en tenir sur la position de notre gouvernement.

Le président suppléant (M. Morrison): Merci.

Madame Beaumier.

Mme Beaumier (Brampton): Merci.

J'aimerais continuer dans le même ordre d'idées que M. Morrison. J'admire son calme et sa retenue, et je crains que mon ton soit beaucoup plus accusateur que le sien, je m'en excuse.

L'attaque d'Hébron a été considérée comme un incident malheureux dans le monde entier et comme l'oeuvre d'une poignée de fondamentalistes. Vous ne nous trouvez pas très hypocrites dans cette affaire?

J'ai eu la chance de me rendre en Palestine et de passer une semaine dans le camp de Gaza; j'ai été extrêmement touchée par l'appui enthousiaste de la population palestinienne à l'égard du vote. Dans la région de Gaza, 98 p. 100 de la population s'est présentée pour voter. Et ce n'était pas parce qu'elle voulait voir... Arafat a tellement de charisme qu'il a réussi à les faire sortir de chez eux pour aller voter. Ils avaient confiance en l'issue du processus de paix, même s'ils avaient tout de même l'impression d'être quelque peu floués. Ils voulaient néanmoins la paix et avaient confiance dans le Canada, parce qu'ils croyaient sincèrement que le Canada s'intéressait à eux.

J'ai eu également la chance de visiter un centre des droits de l'homme dans la région. Le plus triste, c'est que dans le centre, on parlait des violations des droits de l'homme commises par Arafat dans ses efforts pour arrêter le Hamas.

Après les attaques, on a fermé les frontières, mais même après cette fermeture, il y a eu deux autres attaques. La fermeture des frontières ne donne... Je ne sais ce que les Israéliens ou même le monde attendent des Palestiniens, alors que nous les... Nous avons créé une nouvelle situation où des principes sont violés pour qu'Arafat démantèle le Humas. Je ne sais tout simplement pas ce que nous attendons de ces gens.

D'abord, ils ont l'impression que le Canada a leur sort à coeur, mais lorsqu'ils voient la mièvrerie avec laquelle nous réagissons devant... C'est vous qui exprimez les préoccupations du Canada à l'interne, mais même la population canadienne...et je ne vous parle pas des Arabes du Canada. Je vous parle des Canadiens qui lisent les journaux et qui se demandent pourquoi le Canada n'est pas plus ferme dans sa défense des droits des opprimés. Les Canadiens ne comprennent pas.

Passons brièvement au Liban: Devant le massacre de 150 civils, le Canada s'affirme tout d'un coup car il croit en la primauté de la vie. Mais regardez quelles étaient les cibles au Liban. C'étaient les routes, les centrales d'énergie, tout comme en Irak. Le truc, en Irak, c'était de faire sauter leurs centrales d'énergie pour faire reculer le pays de 50 ans.

Étant donné que nous essayons d'être très diplomates, allons-nous nous engager à reconstruire ces autoroutes et rebâtir l'infrastructure énergétique du pays, ou allons-nous tout simplement nous désintéresser du fait que ce pays vient de reculer de 30, 40 ou 50 ans dans son développement?

M. Laverdure: C'est une longue question.

Le président: Malheureusement, vous devrez répondre brièvement, car beaucoup d'autres députés veulent vous interroger. Vous voudrez peut-être commenter brièvement les nombreux volets de la question. Merci.

M. Laverdure: Quelques commentaires, madame Beaumier. Vous avez parlé des Palestiniens qui vivent à Gaza et en Cisjordanie, de même que des habitants du Sud Liban.

Pour confirmer ce que vient de dire Mme Gibson, le Canada est considéré comme un pays qui s'intéresse au sort de ces gens et qui déploie d'énormes efforts pour instaurer une paix durable. C'est ainsi qu'on nous perçoit, et nous devons tout faire pour maintenir cette réputation.

.0955

C'est intéressant. Lorsque nous voyageons - Andrew Robinson, Rick Ward ou moi-même - nous avons facilement accès au raïs Arafat, à tous ses ministres et à tout son entourage. Cela surprendrait sans doute nombre de nos compatriotes. Or, l'entourage d'Arafat veut discuter avec nous, veut nous parler des besoins actuels et futurs des Palestiniens. Ils veulent que nous nous engagions et nous le faisons, par le biais du comité de liaison et de notre ambassade. Nous essayons de répondre à leurs nouvelles demandes, et de réagir rapidement devant l'évolution de la situation.

En janvier dernier, lors d'une réunion avec tous nos collègues de travail sur la situation économique dans les territoires palestiniens, nous avons fait savoir aux gens de la région qu'il était beaucoup plus facile pour nous de les aider dans la reconstruction de leur pays lorsque les frontières ne sont pas fermées. Nous avons été très clairs là-dessus.

Nous avons dit à nos amis israéliens qu'ils rendent non seulement la vie des Palestiniens plus difficile, lorsqu'ils ferment les frontières, mais qu'ils nous rendent à nous aussi la vie difficile, car les sommes que nous avions mises de côté et les projets envisagés ne suffisent plus. En effet, la situation a changé du tout au tout depuis les fermetures. Lors de diverses réunions auxquelles nous avons participé, nous avons dit très clairement aux Israéliens qu'il y avait sans doute de meilleures façons de se protéger et qu'ils pourraient peut-être lâcher un peu de lest, puisque nous ne pouvons pas toujours payer pour les conséquences que peuvent avoir ces décisions.

Nous devons régulièrement faire face à de nouvelles situations, et nous essayons de nous y adapter de notre mieux. À mes yeux, cela vaut mieux que d'être inutilement critique ou d'essayer de pointer du doigt quelque coupable que ce soit, groupe ou individu. Toujours blâmer les autres ne changerait pas grand-chose, et il nous faut continuer à aider nos amis palestiniens à développer leur propre territoire et à démontrer à leur peuple qu'ils ont eu raison de croire dans les accords de paix.

Comme vous l'avez vu vous-même, les Palestiniens et leurs familles, à l'heure actuelle, n'ont pas de raison de croire qu'ils ont bien fait de signer les accords de paix. Leur situation économique ne s'est pas beaucoup améliorée. Au contraire, elle empire peut-être à cause des fermetures de frontières. Nous essayons de les accompagner, tout en démontrant à ceux qui rendent notre progrès plus difficile qu'il y a sans doute de meilleures façons d'arriver aux mêmes résultats.

Mme Beaumier: Mais il y a une différence, et je crois que c'est ce dont M. Morrison et moi nous parlions. Aux Israéliens, nous disons qu'il y a sans doute de meilleures façons de faire pour parvenir aux mêmes résultats, alors qu'à leurs ennemis, nous disons que ce qu'ils ont fait est absolument horrible, inadmissible et intolérable. Je veux bien croire que je fais de la politique, mais je crois pouvoir parler au nom de bien des Canadiens qui sont du même avis.

M. Laverdure: Monsieur le président, un rappel. Je pense que notre premier ministre a été très clair lorsqu'il a dit que les incidents étaient tout à fait déplorables et inadmissibles. Peu de ses homologues occidentaux ont été aussi clairs.

[Français]

Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, monsieur Laverdure. Dans votre présentation, vous avez dit que, depuis 1993, le Canada avait accordé à peu près 70 millions de dollars d'aide à la Palestine, aide qui était destinée aux institutions palestiniennes. Quelles sont ces institutions? À quoi sert cette aide? Existe-t-il des ONG canadiennes ou locales en territoire palestinien? Ces ONG sont-elles soutenues par l'ACDI?

.1000

M. Rick Ward (directeur général, Afrique du Nord et Moyen-Orient, Agence canadienne de développement international): Nous avons plusieurs formes d'assistance, c'est-à-dire les organisations multilatérales comme la Banque mondiale. Nous appuyons directement les ONG dans la bande de Gaza et dans le West Bank et aussi via les organisations canadiennes.

C'est ce que nous appelons le fonds canadien. C'est un outil que nous utilisons depuis assez longtemps pour appuyer les petites organisations palestiniennes sur le terrain. De cette façon, nous avons une très bonne relation avec les ONG.

D'autre part, nous avons donné un appui à d'autres organisations comme l'Organisation canadienne pour la solidarité et le développement. Nous avons appuyé la construction d'un centre communautaire à Gaza. Ce ne sont que quelques exemples. Les plus grands projets ont trait à l'eau et aux égouts à Gaza et à Rafah.

Nous avons fourni beaucoup d'aide aux réfugiés en continuant la construction de maisons et aussi en ce qui a trait aux salaires des travailleurs de la santé et de l'éducation. J'ai des documents, en français et en anglais, qui décrivent l'assistance que nous avons donnée à Gaza et dans le West Bank.

Mme Debien: Quand vous parlez de l'aide aux institutions palestiniennes, pour moi, cela se traduit possiblement par de l'aide bilatérale directement au gouvernement. Vous avez mentionné l'exemple de l'aide aux infrastructures sanitaires. Est-ce bien ce dont vous parlez quand vous mentionnez l'aide aux institutions palestiniennes?

M. Ward: Oui, mais j'ai oublié de mentionner une organisation comme la Canadian Public Health Association. Nous travaillons avec le Palestinian Public Health Association afin d'aider toutes les organisations qui oeuvrent dans le domaine de la santé. Ce n'est pas un appui en capital, mais un appui technique afin de mettre sur pied de telles institutions.

M. Laverdure: Madame, si vous me le permettez, j'ai mentionné un appui aux institutions palestiniennes. Vous devez savoir, bien entendu, que ces institutions sont actuellement dans un état assez lamentable.

Il y a deux façons de les appuyer, soit directement, soit par notre contribution à un fonds qui a été mis sur pied pour appuyer l'autorité palestinienne, ne serait-ce qu'au niveau des salaires des employés du ministère de la Justice, de la police et des enseignants dans les écoles. Il y a un manque à gagner important.

L'année dernière, il y avait un déficit. On en aura encore un cette année et il sera plus important à cause du bouclage des frontières. Nous versons certains montants d'argent qui permettent d'assurer un fonctionnement raisonnable de ces institutions. Nous sommes aussi à la disposition des autorités palestiniennes lorsqu'elles expriment certaines demandes pour la mise en place de structures mieux gérées, construites sur des bases plus solides.

Nous avons, par exemple, essayé d'aider dans le domaine de la Garde côtière. On a une certaine expérience dans ce domaine. Nous avons essayé de former des gens en les faisant venir au Canada ou en envoyant des instructeurs sur place.

Il y a tellement de choses à faire qu'il y a de la place pour tout le monde. Le Canada essaie de se spécialiser tant au niveau des institutions qu'au niveau des infrastructures. Comme le disaitM. Ward, c'est pour cela qu'on a choisi l'eau, les égouts et, du côté des institutions, l'enseignement et la santé.

[Traduction]

Le président: Merci. Monsieur English.

.1005

M. English (Kitchener): Merci, monsieur le président.

Mme Beaumier a eu raison de parler de la différence de la situation économique dans les deux cas. On peut bien parler d'aide, mais au Moyen-Orient, Israël est devenu un pays prospère dont le taux de croissance est très élevé depuis quelque temps. J'ai visité ce pays avant d'être élu, mais pas depuis mon élection. Ce pays reçoit énormément d'aide des États-Unis, comme le prévoient les accords de Camp David.

Mais, Gaza et la Cisjordanie, de même que le Sud-Liban, sont considérablement plus pauvres. Or, la juxtaposition de la pauvreté extrême d'une part, et de la richesse provenant des pays industrialisés, d'autre part, entraîne inévitablement des conflits bien distincts des problèmes historiques de la région.

Nous donnons 70 millions de dollars d'aide à la région, et je n'ai rien à y redire, même s'il y a eu des problèmes dans la prestation des programmes, comme vous l'avez signalé.

De façon plus générale, nous avons récemment mis au point un accord commercial avec Israël, qu'on pourrait considérer comme un accord de libre-échange et que l'on pourrait comparer à celui qu'ont conclu les États-Unis avec Israël. C'est tout à fait inusité comme démarche pour le Canada, puisque nous essayons d'étendre l'ALENA au Chili.

Lors de nos négociations avec Israël, a-t-on abordé la question plus vaste de l'aide économique aux Palestiniens? Les Palestiniens tirent-ils quelque avantage de cet accord de libre-échange avec Israël? La Cisjordanie et Gaza pourraient-elles profiter de cet accord économique qui est pour le Canada un énorme pas en avant et constitue une approbation implicite de l'État d'Israël?

Mme Gibson: Laissez-moi tenter de répondre.

Lorsque nos négociateurs ont mis la touche finale aux négociations - qui n'ont pas encore été paraphées, même si le texte est assez clair - nous avons fait savoir à l'autorité palestinienne que cela nous intéresserait d'élargir l'accord commercial à la Cisjordanie et à Gaza, dans la mesure où cela était dans leur intérêt économique. Étant donné que l'économie de la Palestine dépend beaucoup de celle d'Israël comme vous l'avez signalé, il y a beaucoup de chevauchement, tout comme avec la Jordanie.

M. English: En effet. La situation a peut-être changé étant donné que je n'ai pas mis les pieds dans la région depuis maintenant trois ans, mais ce qui m'a surpris lorsque j'y étais, c'est de constater qu'on peut faire pousser en Palestine des oranges et des fruits, mais qu'on ne peut les exporter en Israël. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples de ce genre. L'activité économique palestinienne est donc extrêmement limitée, même si elle se déroule en bordure d'un pays extrêmement riche.

Je me demande si nous en avons parlé aux Palestiniens. Qu'avons-nous dit aux Israéliens au sujet des liens économiques qu'ils devraient tisser avec les Palestiniens dans le cadre de ce pacte particulier?

Mme Gibson: En vertu de la Déclaration de principes israélo-palestinienne et des accords d'Oslo I et II, au moins 25 comités ont été mis sur pied pour se pencher sur ces questions. Vous voyez que les deux pays maintiennent le dialogue sur les questions concernant la sécurité, l'économie ou l'approvisionnement en eau.

Les négociations sont également extrêmement serrées entre eux, puisque pour permettre à la Cisjordanie et à Gaza de devenir des entités économiques de plein droit, il faut d'abord qu'elles se séparent d'Israël jusqu'à un certain point. Il revient donc à la Palestine de définir ses nouvelles relations économiques, non plus comme territoire occupé mais comme peuple assumant sa propre autorité.

Nous ne participons pas à ces négociations ni à la définition des accords. De toute façon, les négociations se poursuivent régulièrement, sur une base quotidienne.

Nous avons offert pour notre part à la CisJordanie et à Gaza, c'est-à-dire à l'autorité palestinienne, d'étendre à la Palestine l'accord de libre-échange avec Israël. Les discussions ne sont pas encore terminées. Ce n'est pas nécessairement dans l'intérêt de la Palestine de le faire, et les Palestiniens veulent prendre leur propre décision, sans être influencés par l'accord de libre-échange avec Israël.

Je dois signaler que nous avons négocié cet accord avec Israël dans l'intérêt des Canadiens. Cet accès à un marché qui connaît des taux de croissance énormes est très avantageux pour notre communauté commerciale. Ce n'est donc pas un cadeau que nous avons fait à Israël; nos motifs étaient très terre-à-terre, nous voulions avant tout contribuer à la prospérité économique du Canada. Nous avons donc négocié cette entente, et si nous nous sommes heurtés à des obstacles en cours de route, c'est précisément parce que nous voulions nous assurer que c'était une bonne affaire pour le Canada. C'est la seule raison pour laquelle nous avons négocié.

.1010

Le président: Monsieur English, vous permettez une interruption?

Lorsque nous étions en Cisjordanie en novembre dernier, j'ai cru comprendre qu'il y avait des usines dans cette région, des usines qui produiraient des biens à destination d'Israël et qui auraient automatiquement accès à l'accord de libre-échange. Il semblait y avoir un lien économique. Je ne pense pas qu'il se soit agi de textiles, mais plutôt de haute technologie, quelque chose de ce genre. Je me trompe peut-être. Avez-vous des informations à ce sujet?

M. Ward: Oui. En fait, dans le cadre des négociations de paix, à l'occasion des réunions auxquelles M. Laverdure a fait allusion, les divers donateurs, le gouvernement d'Israël et les autorités palestiniennes ont négocié la création d'environ cinq zones industrielles libres.

Le président: C'est à cela que je pensais.

M. Ward: Le gouvernement israélien est censé fournir, du moins dans un cas, l'électricité, les routes, les télécommunications et toute l'infrastructure nécessaires pour attirer des investisseurs internationaux et produire ainsi des biens destinés surtout à l'exportation. Il s'agit, j'imagine, de créer des emplois à Gaza et en Cisjordanie, car c'est une des choses les plus urgentes.

Le président: Cela ressemblerait aux maquiladoras au Mexique, c'est la même idée.

M. Ward: Le même genre de chose existe en Asie du Sud-est, entre autres.

M. English: [Inaudible - La rédaction]

M. Ward: L'établissement de cette zone de libre-échange est bien en train. L'Union européenne, en particulier, a manifesté de l'intérêt pour ces zones industrielles. Malheureusement, les événements en Israël et la fermeture de la frontière ont interrompu un certain nombre de développements. Vous comprendrez que la circulation des biens et des services à destination et en provenance de Gaza et de la Cisjordanie soit difficile. C'est un obstacle auquel se heurtent tous les programmes d'aide. On espère que cette activité va commencer à reprendre.

Le président: Merci.

Monsieur Mills.

M. Mills (Red Deer): J'ai deux questions.

Pour commencer, l'Iran a environ 35 000 soldats en Syrie. Quelles sont les relations entre le Hezbollah et ces troupes? Est-ce qu'il les entraîne? Parlez-nous de cette situation.

M. Andrew Robinson (directeur général, Processus de paix au Moyen-Orient, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Il est certain que les armes et les munitions du Hezbollah doivent venir de quelque part, et il est tout à fait évident que cela passe par la Syrie. Le soutien syrien aux activités du Hezbollah vient donc renforcer leurs activités d'une certaine façon.

D'un autre côté, les Syriens au Liban ne se trouvent pas dans les zones d'opération du Hezbollah et, que je sache, on ne parle pas d'une participation syrienne à l'entraînement du Hezbollah.

M. Mills: Quelles sortes de négociations sont en cours avec la Syrie? De toute évidence, ce pays pourrait influer sur le Hezbollah, et probablement, s'il le désirait, obtenir un cessez-le-feu beaucoup plus rapidement. On a l'impression que la Syrie fait des manières. Les Syriens sont importants et ils savent qu'ils jouent un rôle important. Que fait-on pour les convaincre de s'asseoir à la table des négociations?

M. Robinson: Le fait que cette fois-ci le secrétaire Christopher passe tellement de temps à Damas prouve à quel point on reconnaît l'importance de la Syrie dans la solution aux problèmes du Sud-Liban.

M. Mills: Est-ce que le Canada pourrait jouer un rôle plus important? On soupçonne volontiers les Américains de défendre avant tout leurs intérêts. De notre côté, notre participation serait beaucoup moins suspecte. Dans un tel cas, il me semble que nous pourrions être beaucoup plus en évidence, parce que les États-Unis ont tendance à brandir un gros bâton. Est-ce que je me trompe?

.1015

M. Laverdure: Je n'irais pas jusqu'à dire que vous vous trompez, mais quoi qu'on puisse dire de ce gros bâton, en fin de compte, on finira par écouter les Américains, même les Syriens. Je pense que les Syriens souhaitent toujours négocier avec Israël et trouver un terrain d'entente, et ils savent que les Américains vont forcément jouer un rôle entre les deux parties.

Si nous reconnaissons tous l'importance de la Syrie, c'est à cause de son importance dans la région, de l'importance de son président et des relations que ce pays entretient avec les autorités de Beyrouth et de Téhéran.

Le président Assad peut devenir un protagoniste de premier plan; il l'est déjà. C'est ce que nous reconnaissons tous, les Américains, les Européens et nous-mêmes. Nous devons passer par Damas, et cela pourrait faire une grosse différence.

Pour revenir à votre première question, même si vous avez des réserves au sujet de la diplomatie américaine, dans cette région-là, avec le président Assad, ce n'est pas forcément la politique du gros bâton. Ça devrait marcher, et je pense que ça va marcher.

M. Mills: Si l'on emprunte aussi la voie économique. De toute évidence, si on pouvait résoudre une partie des problèmes économiques des Palestiniens et du Sud-Liban, entre autres, les chances seraient améliorées d'autant. Pensez-vous que les Israéliens soient déterminés à faire quelque chose sur ce plan-là? J'ai l'impression que vous n'en êtes pas convaincus, ou du moins, qu'ils avancent très lentement.

Logiquement, il me semble qu'en améliorant leurs conditions économiques, on les neutraliserait. Ce serait l'objectif. Est-ce que les Israéliens raisonnent de cette façon-là?

M. Laverdure: Ces discussions, que je trouve personnellement très utiles, se déroulent peut-être à un moment où les circonstances sont difficiles. Nous avons tendance à être pessimistes, à penser que ça ne marchera pas parce que nous devrions nous contenter de considérer ce qui se passe.

Cela dit, prenez l'exemple dont j'ai parlé tout à l'heure, les deux sommets économiques que nous avons eus pour le Moyen-Orient et le Maghreb. Le premier a eu lieu à Casablanca il y a deux ans, le dernier à Amman.

Le prochain aura lieu en novembre au Caire. C'est là qu'on peut voir de véritables hommes d'affaires se pencher sur le développement économique régional. Ce genre de choses intéressent vivement Israël. Là-bas, on pense qu'une paix définitive servira les intérêts d'Israël. Elle servira également les intérêts de petits pays comme la Jordanie, entre autres, et une fois la sécurité assurée, tout le monde en profitera économiquement et financièrement.

J'irais même plus loin. Je dirais que les secteurs public et privé sont en train de se préparer pour ce jour-là. C'est la raison pour laquelle nous voulons jouer un rôle. Nous voulons être là quand les portes s'ouvriront. D'une certaine façon, c'est fascinant d'essayer de déterminer quelles seront la situation économique et les perspectives commerciales dans la région, le jour où on aura réussi à stabiliser définitivement la situation.

M. Mills: Merci.

Le président: Monsieur Assadourian.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): En Amérique du Nord, on considère qu'une semaine, c'est très long, mais au Moyen-Orient, on considère qu'une heure, c'est très long.

Monsieur le président, en 1994, je suis allé en Syrie et au Liban. J'ai eu l'occasion de rencontrer des représentants du ministère des Affaires étrangères syrien. Je peux vous assurer qu'ils avaient la plus grande estime pour notre politique étrangère et également pour le personnel des Affaires étrangères. Ils ont répété cela à de nombreuses reprises.

Ils m'ont prié instamment de vous convaincre - et à l'époque, j'en ai parlé au ministre, André Ouellet - de pousser le Canada à participer activement au processus de paix. Ils voulaient qu'on entame le plus vite possible un processus de paix aussi exhaustif que possible.

Mais je ne comprends pas très bien. J'ai l'impression que nous avons confondu le processus de paix en Israël et en Palestine et la question libanaise. Comme notre président l'a dit tout à l'heure, si nous nous sommes réunis aujourd'hui, c'est pour discuter du bombardement des camps de réfugiés au Sud-Liban. C'est, je crois, la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.

Je suis en train de lire ce communiqué de presse de la Fédération canado-arabe, et je trouve cela très triste. À mon avis, après 17 ans de destruction et de guerre civile, le Liban n'a pas besoin d'un bombardement des centrales valant 120 millions de dollars. Après tout, la pauvreté n'est jamais un instrument de paix. La pauvreté est un instrument de violence. Si vous ramenez ces gens-là à leur situation d'il y a 200 ans, il est certain que cela ne servira pas la cause de la paix.

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Cela m'amène à mon autre argument; vous avez dit qu'on avait engagé 70 millions de dollars pour le processus de paix. On vous a posé la question - mais vous ne m'avez pas donné la bonne réponse, ou du moins la réponse que j'attendais - on vous a demandé quelle proportion de ces70 millions de dollars doit véritablement aller à la Palestine? Je sais qu'à l'époque, pour toutes les nations du monde, il s'agissait de deux milliards de dollars, mais quelle proportion de cette somme a vraiment servi à lutter contre la pauvreté en Palestine? Voilà pour une chose.

D'autre part, j'attache beaucoup d'importance à la résolution 425 qui a d'ailleurs été mentionnée ici, je crois. Il me semble que nous avons parlé de l'intégrité territoriale des parties dans la région. Cela s'applique à tout le monde. Toutefois la résolution 425 ne s'applique qu'au Liban. La zone de sécurité du Sud-Liban est la principale source de conflit à l'heure actuelle.

Je sais que vous condamnez aussi Israël qui refuse de retirer ses troupes du Sud-Liban, ignorant ainsi ces dispositions. Je vais vous soumettre une idée; cette zone, cette zone tampon de 50 kilomètres, pourrait être transférée aux Nations Unies pendant un certain temps pour faciliter et hâter le processus de paix.

Voilà donc les aspects qui me préoccupent.

Un autre sujet qui a été mentionné tout à l'heure, vous n'avez jamais parlé des activités syriennes auxquelles mon collègue réformiste a fait allusion. Vous connaissez l'expression, tous les chemins mènent à Rome. Dans ce cas particulier, il me semble que le processus de paix mène à Damas. J'aimerais que vous développiez cet aspect-là.

Merci.

M. Ward: Oui. Sur les 70 millions de dollars engagés depuis la Déclaration de principes, environ 46 millions ont été dépensés. Une proportion importante de cette somme a été dépensée par l'entremise de l'UNRWA. Elle a donc servi à porter secours aux réfugiés qui sont, vous le reconnaîtrez avec moi, parmi les plus pauvres à Gaza et en Cisjordanie. Évidemment, l'UNRWA assiste aussi très activement les réfugiés qui se trouvent au Liban et en Jordanie.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, notre aide est passée aussi par les ONG et le PNUD. Là encore, ce sont des programmes de logement, d'approvisionnement en eau potable et d'installations sanitaires, des domaines où il était urgent d'intervenir. Depuis de nombreuses années, on avait laissé l'infrastructure se détériorer. On s'est dit qu'il était possible de réparer ces systèmes avec des investissements relativement modestes. La différence que fait un bon approvisionnement en eau potable dans une communauté est étonnante.

Le Fonds canadien, qui est de un million de dollars par année, est l'un de nos instruments les plus efficaces, probablement parce que cet argent va directement dans les communautés où il est consacré à de petits projets, de 5 000 à 25 000 $. Il s'agit d'aider des groupes communautaires, des associations de femmes, etc., à développer et à mettre sur pied de petites entreprises qui sont des sources de revenu, des programmes d'éducation, etc.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai ici une documentation en français et en anglais sur l'ensemble du programme, et tous ceux qui le veulent peuvent en prendre un exemplaire.

Ces sommes sont engagées, destinées à des projets que les autorités palestiniennes ont demandé à la communauté internationale de financer. À l'heure actuelle, on met l'accent sur les programmes qui créeront de l'emploi.

Mme Gibson: Monsieur Assadourian, je vais répondre à la deuxième moitié de votre question, il s'agissait du rôle de la Syrie.

Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la Syrie doit jouer un rôle crucial dans l'établissement d'une paix durable. Il y a eu des négociations avec les Israéliens. Dans la région, on a l'impression que les négociations entre le Liban et Israël progresseront mieux lorsque les négociations entre la Syrie et Israël seront sur la voie du succès. Ces deux éléments sont donc liés dans une certaine mesure.

.1025

Il n'y a pas d'ambassade syrienne au Canada - nous aimerions qu'il y en ait une, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas - si bien que nous avons dû passer par notre ambassadeur à Damas, John McNee, pour essayer de convaincre les Syriens de contribuer à l'établissement d'un cessez-le-feu et de négocier un retour à l'entente de 1993, une entente verbale, mettant ainsi fin aux hostilités.

Il est certain qu'ils parlent au Hezbollah. Les troupes syriennes ont été invitées au Liban et s'y trouvent toujours en grand nombre. Elles peuvent donc jouer un rôle crucial et faciliter un règlement. Nous sommes d'accord avec vous quand vous dites que la Syrie est un protagoniste important. Plusieurs gouvernements étrangers sont allés à Damas pour les convaincre de jouer un rôle actif. Je pense aux ministres des Affaires étrangères italien, français, iranien et russe, et également au secrétaire Christopher. La scène est donc assez encombrée, mais notre ambassadeur s'est assuré que notre position était bien comprise.

Le président: Monsieur Assadourian, il nous reste du temps pour une seule question. Nous allons devoir mettre fin à cette séance parce que la le timbre retentit. C'était le tour de M. Paré.

[Français]

M. Paré (Louis-Hébert): Plus tôt, Mme Beaumier a fait référence au haut taux d'appui queM. Arafat a reçu à l'élection. Finalement, c'était un vote pour la paix. Mais je pense qu'il faut qu'on soit conscients que c'est un vote sans doute fragile qui pourrait changer rapidement.

D'autre part, M. Laverdure a dit que les Palestiniens devaient découvrir que la paix les servait mieux que la guerre, ou quelque chose de semblable. Le développement économique et social des territoires palestiniens va-t-il se réaliser assez rapidement pour éviter que l'appui au processus de paix ne s'écroule?

Je parlerai maintenant un peu de la Syrie, en faisant un parallèle grossier, j'en suis tout à fait conscient. Je crois que la Syrie joue un rôle pas toujours subtil par rapport au Liban.

J'aimerais faire le parallèle suivant. Lorsque l'Iraq a envahi le Koweït, on a utilisé des moyens que je ne veux pas qu'on utilise à nouveau. Il me semble que dans un cas, on a utilisé des chars d'assaut et dans l'autre, des mouchoirs.

Troisièmement, j'aimerais que vous nous disiez un petit mot sur l'état des négociations Canada-Israël sur le libre-échange. Quel est l'état de la situation? La façon dont Israël a sévi contre le Liban ne remet-elle pas en cause, d'une certaine façon, le processus de négociation du libre-échange?

M. Laverdure: Monsieur Paré, pour ce qui est de l'appui économique, je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il est indispensable et urgent. Actuellement, avec le bouclage des frontières, même cet appui a de la difficulté à se matérialiser. Quoi qu'il en soit, je crois que les gens autour de la table du comité ad hoc sont tous très conscients de la nécessité d'agir rapidement.

En janvier, juste à la veille des élections de l'autorité palestinienne, lorsque nous nous sommes réunis à Paris, nous avons vu une réaction très ferme et rapide. M. Ward, qui est à l'ACDI depuis plusieurs années, vous dira qu'on avait rarement vu une réaction aussi ferme et aussi rapide.

En un tour de table qui a duré peut-être trois heures, la Banque mondiale avait récolté, je crois, 1,3 milliard de dollars pour M. Arafat, chacun prenant l'engagement de faire ses déboursés rapidement. On sent que tout cela, comme vous le dites, est fragile, et que si les Palestiniens ne voient pas les résultats positifs de ces accords de paix dans lesquels ils ont mis beaucoup d'eau dans leur vin, l'appui à Arafat et au processus de paix pourrait disparaître très rapidement.

Dans la mesure où on peut revenir à une situation meilleure que celle qui existait déjà, il y a moins de deux mois, je crois que les bailleurs de fonds interviendront très rapidement. La Banque mondiale est très présente pour essayer de canaliser tout cela. Donc, on n'aura pas de difficulté à faire nos déboursés. Cela devrait, je dis bien devrait, faire la différence, surtout au niveau de la création d'emplois par des projets d'infrastructure.

Sur ce plan-là, je tiens à vous assurer que nous sommes très conscients du besoin d'agir massivement et rapidement, sans quoi tout cela serait plus fragile, même s'il n'y avait pas actuellement de conflit entre Israël et le Sud Liban.

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Deuxièmement, toujours sur le plan économique, parlons des négociations Canada-Israël. Comme on le disait plus tôt, nous avons initialé la veille de Noël, si ma mémoire est bonne, un texte sur lequel les deux parties s'entendaient. Cette négociation avait été assez longue et assez complexe, comme toute négociation d'accord de libre-échange.

Lorsqu'on initiale un texte, on sait qu'il reste encore un certain nombre de choses à fignoler. Actuellement, bien entendu, avec la campagne électorale en Israël, tout cela a été un peu suspendu. Notre intention est de reprendre la négociation finale et mettre les points sur les «i», nous l'espérons bien, dès qu'un nouveau gouvernement aura été mis sur pied en Israël. Nous espérons toujours - je ne sais pas si c'est trop optimiste - arriver à une mise en oeuvre de l'accord le 1er juillet.

Donc, il faudra utiliser la partie du mois de juin où on aura un gouvernement formé en Israël pour conclure cet accord de libre-échange.

Vous faisiez un lien avec les événements actuels. Pour revenir à ce que je disais à M. Mills, il faut miser sur un règlement et il faut continuer de travailler dans le domaine économique en fonction du jour où on aura atteint une paix durable et ne pas tout suspendre en disant: «C'est inutile de parler d'un accord de libre-échange dans une situation de guerre». Je pense qu'on doit agir parallèlement.

M. Bergeron: Le problème, ce n'est pas la guerre, mais de conclure un accord de libre-échange avec un État qui actuellement bombarde les populations civiles dans un autre pays indépendant. C'est là qu'est le problème. Ce n'est pas l'état de guerre comme tel qui constitue un problème, mais l'État avec lequel on souhaite entreprendre des relations commerciales étroites bilatérales de libre-échange. C'est cela, le problème.

M. Laverdure: Mais ce que je vous dis en ce moment...

Le président: Nous aurons un vote dans quelques minutes; c'est cela, le vrai problème.

M. Laverdure: Monsieur Bergeron, je n'essaie pas de jouer au plus fin avec vous. Actuellement, nous ne négocions pas. Nous avons conclu un projet d'accord au mois de décembre, avant que les événements qu'on connaît se produisent et, actuellement, on ne poursuit pas les discussions en l'absence du gouvernement... qui sera réélu.

Mme Debien: Est-il possible, monsieur Laverdure, d'avoir le texte de cet accord?

M. Laverdure: Le projet d'accord de libre-échange?

Mme Debien: Oui. Est-ce possible d'obtenir le texte?

Mme Gibson: Je vais vérifier. C'est peut-être public. Je ne le sais pas.

M. Laverdure: Je ne fais pas partie de cette négociation, mais je vais vérifier moi aussi.

Mme Debien: J'aimerais bien cela, s'il vous plaît.

[Traduction]

Le président: Je suis certain que si nous créons un comité du commerce, le comité pourrait...

Des voix: Bravo, bravo!

[Français]

Le président: Mme Debien nous a ouvert une porte très importante.

[Traduction]

Nous devons lever la séance tout de suite, il nous reste environ huit minutes pour nous rendre à la Chambre.

M. Bergeron insiste pour que nous donnions suite à cette question. Je tiens à remercier les représentants du ministère d'être venus et de nous avoir apporté des informations utiles. Nous avons beaucoup appris, et d'une façon générale, les membres du comité pensent que nous pourrions approfondir la question avec des représentants politiques de l'une des parties ou encore, avec des gens, ici au Canada.

Je vais donc recommander au comité directeur d'étudier cette possibilité la semaine prochaine, car cela risque d'être un peu compliqué. C'est donc ce que nous allons essayer de faire, mais nous devons d'abord en discuter au comité directeur qui fera ensuite une recommandation au comité. Je suis certain que cela doit être possible.

[Français]

M. Bergeron: Ce sera un long délai, monsieur le président?

Le président: Non. Je vous le promets.

[Traduction]

J'appuie la motion. Je présente mes excuses aux quatre députés qu'on n'a pas pu rejoindre, mais

[Français]

les exigences du vote nous ont enlevé du temps.

[Traduction]

La séance est levée jusqu'à 15 h 30.

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