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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 4 juin 1996

.1535

[Français]

La présidente: Je crois que nous sommes assez nombreux pour commencer. Je déclare la séance ouverte.

Aujourd'hui, nous avons le privilège d'accueillir l'honorable Stéphane Dion.

[Traduction]

J'aimerais d'abord souhaiter la bienvenue au ministre des Affaires intergouvernementales et président du Conseil privé de la Reine pour le Canada, centre nerveux du gouvernement.

[Français]

M. Dion a le défi historique de garder intact le meilleur pays au monde et de le mener dans la bonne direction pour le prochain siècle. Bienvenue, monsieur Dion.

L'honorable Stéphane Dion (président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales): Permettez-moi tout d'abord de vous présenter les représentants du Bureau du Conseil privé qui témoigneront devant ce comité: Ronald Bilodeau, sous-ministre et secrétaire associé du Cabinet, relations intergouvernementales; George Anderson, sous-secrétaire, politiques et communications intergouvernementales; Marc Lafrenière, sous-secrétaire par intérim, opérations intergouvernementales; Elisabeth Nadeau, sous-ministre adjoint, services ministériels; Eileen Boyd, directrice par intérim des services financiers; etMme Janet Smith, directrice du Centre canadien de gestion.

C'est la première fois que j'ai l'occasion de m'adresser au Comité permanent des opérations gouvernementales et c'est un honneur pour moi. Je m'efforcerai donc de vous exposer, de la façon la plus concise possible, ma vision des changements que nous devons envisager pour garder le Canada uni et le renforcer.

Je vous résumerai ma vision en deux priorités: premièrement, réveiller l'identité canadienne qui sommeille, non seulement chez bon nombre de Québécois, mais également chez bien d'autres Canadiens; deuxièmement, rééquilibrer la fédération et la rendre plus efficace et harmonieuse.

Commençons par l'identité canadienne. Nous avons bâti un pays qui reconnaît et célèbre la dualité linguistique, un pays qui reconnaît les vertus du multiculturalisme et la force de la diversité, un pays qui reconnaît la primauté des droits individuels et l'importance de protéger les minorités. D'un océan à l'autre, du nord au sud, le respect de la démocratie et de la liberté, la tolérance envers autrui, la générosité et le partage sont des valeurs qui nous rassemblent tous et qui sont à l'image de ce que nous sommes. Nous devrions être fiers de l'histoire du Canada et encore plus fiers de la destinée vers laquelle nous nous acheminons. Nous devons célébrer ces grandes valeurs de solidarité et de fierté que nous nous activons à faire rayonner dans le monde entier.

[Traduction]

Je passe maintenant au rééquilibrage de la fédération. Aujourd'hui, en cette période où notre unité nationale est mise à l'épreuve, nous devons nous servir de cette expérience que nous avons du juste équilibre entre la solidarité et l'autonomie pour adapter notre fédération aux défis mondiaux qui exigent plus que jamais un tel équilibre. L'équilibre entre la solidarité et l'autonomie signifie que les citoyens et les régions du Canada sont à la fois indépendants et interdépendants.

Au Canada, notre fédéralisme illustre de façon tangible et concrète ces idéaux de solidarité et d'autonomie. D'une part, nous avons mis sur pied un réseau de programmes sociaux et un régime de paiements de péréquation pour que tous les citoyens jouissent d'un bien-être comparable. Nous l'avons même inscrit dans l'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui engage les gouvernements fédéral et provinciaux à promouvoir l'égalité des chances pour tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être et à fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.

Cet article engage aussi le Parlement et le gouvernement du Canada à faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparable. Cet engagement à l'égard de la solidarité sociale n'a son pareil nulle part ailleurs au monde.

D'autre part, la répartition constitutionnelle des pouvoirs illustre notre engagement à l'égard d'une grande autonomie locale.

.1540

[Français]

Le gouvernement annonçait dans le discours du Trône plusieurs grandes initiatives qui permettront de renforcer la solidarité canadienne et d'accroître aussi la grande autonomie dont jouissent déjà les provinces.

Tout d'abord, le gouvernement fédéral a limité son pouvoir de dépenser. C'est la première fois que le gouvernement fédéral offre de limiter ses pouvoirs de la sorte, hors du contexte de négociations constitutionnelles formelles.

Deuxièmement, pour ce qui est des programmes existants, nous trouverons, avec l'aide des provinces, de nouveaux mécanismes coopératifs qui nous permettront de maintenir des normes nationales.

Troisièmement, avec les provinces, nous travaillerons à établir plus clairement les responsabilités des divers niveaux de gouvernement. Par exemple, le gouvernement fédéral a entrepris de se retirer des sphères d'activité qui reviennent davantage aux provinces, comme l'exploitation forestière, l'exploitation minière, les loisirs et surtout la formation de la main-d'oeuvre.

Quatrièmement, le gouvernement fédéral continuera de promouvoir l'union économique du Canada en favorisant une plus grande mobilité de la main-d'oeuvre et le libre-échange entre les provinces. Nous proposons aussi de créer, en collaboration avec les provinces intéressées, une commission canadienne des valeurs mobilières qui facilitera la circulation des capitaux. La mise sur pied d'une commission canadienne du revenu, que propose le gouvernement, facilitera la collaboration avec les provinces en ce qui concerne l'administration des recettes fiscales.

Cinquièmement, nous nous sommes également engagés à faire inscrire dans la Constitution canadienne le droit de veto régional et la reconnaissance que le Québec forme une société distincte au sein du Canada.

Équité et justice sont les deux principes fondamentaux qui guident la solidarité sociale canadienne. Notre pays a des traditions de solidarité sociale que nous devrons toujours préserver, quels que soient les changements que nous effectuerons.

[Traduction]

La Loi canadienne sur la santé, par exemple, assure à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens l'accès à des soins de santé dont le niveau et la qualité sont comparables. Le nouveau mécanisme de Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, qui garantira des transferts de fonds d'au moins 11 milliards de dollars à chaque année, offrira une meilleure protection aux provinces. Il rétablira la stabilité et la prévisibilité pour les provinces et leur fournira un appui financier plus comparable d'une province à l'autre. Et surtout, il préservera l'assurance-santé et les programmes sociaux.

Mais la solidarité sociale ne s'arrête pas là, puisque les Canadiens bénéficient d'un programme unique au monde de répartition de la richesse. Je veux parler bien sûr de la péréquation, qui permet à toutes les provinces d'offrir des services publics de qualité comparable. Ce programme, qui est inscrit dans la Constitution, représente un des grands éléments unificateurs de la fédération canadienne.

En renforçant l'équilibre entre la solidarité et l'autonomie, nous rendrons la fédération plus harmonieuse et nous réduirons le nombre de litiges existants ou potentiels entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Il y a également des efforts à faire pour améliorer la productivité et la complémentarité des administrations fédérale et provinciales. Nous sommes déterminés à éliminer les chevauchements et les doubles emplois inutiles en partageant plus clairement les responsabilités entre les divers paliers de gouvernement.

Le gouvernement a accompli déjà beaucoup au cours des dernières années. L'examen des programmes, l'initiative visant à améliorer l'efficacité de la fédération canadienne et les mesures budgétaires ont mis le gouvernement sur la voie de la rationalisation et de la frugalité.

[Français]

La modernisation de la fédération est donc bien enclenchée, même s'il reste encore à faire. L'objectif premier est, et doit demeurer, la prestation de services de meilleure qualité et plus efficaces aux citoyens. Cette prestation doit se faire au niveau le plus approprié, que ce soit gouvernemental ou privé, ou par une combinaison des deux.

Une répartition plus claire des rôles entre les deux ordres de gouvernement et une collaboration plus efficace et mieux adaptée aux besoins des citoyens nous aideront à retrouver la voie de l'unité.

La prochaine Conférence des premiers ministres fait partie intégrante de ce processus de modernisation de la fédération.

Lors de cette rencontre, les premiers ministres discuteront de la façon dont les gouvernements peuvent mieux travailler ensemble à la création d'emplois au Canada, afin de garantir le filet de sécurité sociale et de mettre au point un programme commun de changement visant à renouveler la fédération.

C'est pourquoi j'entends consacrer tous mes efforts à faire renaître chez les Canadiens leur volonté d'être ensemble.

.1545

Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Merci. Monsieur Bellehumeur.

M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Puisque le Budget des dépenses principal 1996-1997 est à l'ordre du jour, ma première question portera surtout là-dessus.

Votre présentation a fait surgir maintes questions auxquelles je reviendrai par la suite. En comparant le Budget des dépenses 1996-1997 et celui des années précédentes, on constate, à la page 10 du document, qu'au cours de l'exercice financier 1994-1995, il y a eu une augmentation des ressources affectées au ministre des Affaires intergouvernementales de l'ordre de 5,9 millions de dollars.

L'année suivante, en 1995-1996, qui était l'année du référendum, aucun budget n'était alloué aux affaires intergouvernementales pour l'unité canadienne en tant que telle. En 1996-1997, alors qu'à ma connaissance toutes les activités référendaires sont terminées, le Conseil privé dispose de5 millions de dollars pour assurer la gestion des dossiers touchant l'unité nationale et les relations fédérales-provinciales.

Même si vous n'étiez pas alors en poste, je suis assuré que vous serez en mesure de répondre à mes questions. Comment se fait-il qu'au cours de l'année financière 1995-1996, alors que l'unité du Canada était le plus menacée, comme votre présentation en fait état, aucun budget n'y ait été affecté? Il semblerait, à première vue, que le Conseil privé ait dépensé moins d'argent au cours de cette année. Pourquoi?

M. Dion: Vous me demandez pourquoi le budget augmente, alors que l'unité du Canada n'est plus menacée.

M. Bellehumeur: Comment pouvez-vous expliquer qu'en 1994-1995, au moment où rien ne se passait, on accordait 5,9 millions de dollars pour des ressources supplémentaires? C'était avant le référendum. Au cours de l'année du référendum, aucun budget n'y était affecté. L'année suivante, on revient encore avec un budget de 5 millions de dollars. Même si vous n'étiez pas alors ministre, vous étiez dans les parages et, entre vous et moi, nous savons que le fédéral a dépensé de l'argent pour l'unité nationale. D'où venaient ces sommes si elles ne figuraient pas au budget?

M. Dion: Il y a eu une augmentation au cours de l'année en raison du référendum qui était prévu au printemps et qui a eu lieu à l'automne. Il y donc eu finalement une augmentation dans les dépenses de l'année dernière.

M. Bellehumeur: Ce n'est pas ce que les chiffres nous disent.

M. Dion: À quelle page vous reportez-vous?

M. Bellehumeur: «Aperçu du programme», aux pages 9, 10 et 11.

M. Dion: Au départ, on prévoyait affecter 2,5 millions de dollars à cet aspect du budget en 1995-1996. Finalement, il y a eu une augmentation de 3,8 millions de dollars qui ont été puisés à même l'ensemble du budget, à cause du délai du référendum. Il y a donc eu des transferts de dépenses. On a fait des économies ailleurs, ce qui nous a permis de respecter le budget.

M. Bellehumeur: Qui était moindre que les budgets de 1994-1995 et 1996-1997.

M. Dion: Il y a eu une revue de programmes et on a demandé à tous les ministères...

M. Bellehumeur: Même avec la revue, les sommes dépensées durant l'année référendaire sont moindres que celles dépensées l'année précédant et l'année suivant le référendum.

M. Dion: C'est à peu près la même chose que cette année de toute façon.

.1550

M. Bellehumeur: Monsieur Dion, puisqu'on sait que le fédéral investit beaucoup d'argent, depuis 1992, pour l'unité du Canada, serait-il possible de nous soumettre les noms et les montants des contrats donnés, de 1992 à aujourd'hui, à l'entreprise privée et à des individus? On sait, par exemple, que vous-même, monsieur Dion, avez eu, en 1994-1995, un mandat privé du Conseil privé. Est-ce qu'il serait possible d'obtenir les montants de ces contrats et les noms des personnes auxquelles on avait fait appel pour ces services-là?

M. Dion: Il vous est très simple de demander cela au Commissariat à l'information.

M. Bellehumeur: Mais c'est à vous que je pose la question, monsieur Dion. Vous êtes là devant moi, vous êtes un ministre ouvert, québécois, et vous voulez collaborer et apporter une certaine transparence. Est-ce que vous-même, à titre de ministre, vous prendriez l'engagement de nous soumettre ces renseignements, à savoir les noms des personnes ayant eu des contrats et les montants qui y sont rattachés?

M. Dion: Les contrats sont rendus publics régulièrement, de toute façon.

M. Bellehumeur: Est-ce que vous pouvez me soumettre cette liste-là?

M. Dion: On peut la faire parvenir au comité.

M. Bellehumeur: Depuis 1992 jusqu'à aujourd'hui.

En ce qui concerne votre présentation, monsieur Dion, vous avez fait deux affirmations au début. Vous disiez d'abord qu'il fallait réveiller l'identité canadienne qui sommeille, non seulement chez bon nombre de Québécois mais également chez bien d'autres Canadiens. J'ai écouté attentivement ce qui a suivi et je n'ai pas vu certains éléments que l'on peut lire, entre autres dans les journaux. Je voudrais vous demander si le fameux plan B, que vous invoquez régulièrement, fait partie d'une stratégie pour réveiller l'identité canadienne qui sommeille non seulement chez bon nombre de Québécois, mais également chez bon nombre de Canadiens.

M. Dion: Pourriez-vous être plus précis? Qu'est-ce que j'invoque si régulièrement?

M. Bellehumeur: Le plan B, la partition, monsieur Dion.

M. Dion: Je n'ai jamais utilisé ce mot.

M. Bellehumeur: Ah, non?

M. Dion: Trouvez un seul endroit où j'ai utilisé ce mot.

M. Bellehumeur: Donc, vous êtes contre toute la stratégie du plan B?

M. Dion: Pourriez-vous être plus précis dans votre question?

M. Bellehumeur: Vous n'êtes pas pour la partition non plus?

M. Dion: Je suis contre la séparation et donc contre la partition.

M. Bellehumeur: Donc, vous êtes contre la partition. Est-ce que toute cette stratégie de ligne dure avec le Québec et, pour être plus précis, de recours aux tribunaux, fait partie du plan pour éveiller le sentiment canadien chez bon nombre de Canadiens et de Québécois?

M. Dion: Avoir recours aux tribunaux, est-ce dur envers une population?

M. Bellehumeur: Oui. On veut faire appel aux tribunaux, monsieur Dion, pour empêcher les Québécois et les Québécoises de se prononcer sur leur avenir politique. Considérez-vous que cela vous permettra d'éveiller chez les Québécois, entre autres, le sentiment d'appartenance au Canada?

M. Dion: Puis-je vous demander quand j'ai dit ça? Vous inventez.

M. Bellehumeur: Vous êtes contre tout ça, monsieur Dion?

M. Dion: Il est certain que les Québécois auront le droit de se prononcer.

M. Bellehumeur: Je vous rappelle que le jour de votre assermentation, monsieur Dion, vous avez été très volubile au sujet de certaines questions.

M. Dion: Si vous citiez exactement ce que j'ai dit, je pourrais vous répondre, mais là vous déformez mes propos.

M. Bellehumeur: Je crois comprendre, monsieur Dion, que vous êtes contre la partition.

M. Dion: Oui, puisque je suis contre la séparation.

M. Bellehumeur: Vous êtes contre parce que le gouvernement fédéral a recours aux tribunaux.

M. Dion: Je suis pour cette action. En démocratie, les tribunaux servent à régler des conflits et des désaccords. Qu'est-ce que vous racontez!

M. Bellehumeur: Donc, il y a une partie du plan B sur laquelle vous êtes d'accord.

M. Dion: Soyez précis dans vos questions.

M. Bellehumeur: Je vous parle de la ligne dure, monsieur Dion.

La présidente: Il vous reste une minute.

M. Dion: Vous êtes trop vague dans vos questions. Je vous demande d'être plus précis.

M. Bellehumeur: Monsieur Dion, je me souviens d'une citation et je voudrais que vous la commentiez.

M. Dion: Bravo!

M. Bellehumeur: Lorsque vous étiez au service du fédéral, mais surtout au moment du référendum de 1992, vous avez dit qu'il fallait être dur: Plus on va faire mal aux Québécois - ce n'est pas le mot à mot, mais vous allez sûrement vous reconnaître - , plus on va être dur avec les Québécois, plus on va arriver à faire disparaître le mouvement souverainiste. Est-ce que vous partagez encore cet avis, monsieur Dion?

M. Dion: Vous déformez mes propos. Je n'ai jamais dit une telle chose.

La présidente: Monsieur le ministre, le temps est écoulé.

M. Dion: Depuis le début, monsieur Bellehumeur, toutes vos questions ont porté sur ce que vous auriez aimé que je dise et non pas sur ce que j'ai dit.

La présidente: Merci, monsieur Dion. Votre temps est écoulé pour ce tour.

[Traduction]

Monsieur Harper, vous avez dix minutes.

.1555

[Français]

M. Harper (Calgary-Ouest): Tout d'abord, monsieur le ministre, je n'ai pas eu l'occasion, à cause de mes absences en avril, de vous féliciter pour votre élection dans Saint-Laurent - Cartierville et pour votre nomination au Cabinet.

[Traduction]

Dans vos observations, vous dites aujourd'hui que vous résumerez votre vision en deux priorités, la première étant de réveiller l'identité canadienne qui sommeille, non seulement chez bon nombre de Québécois, mais également chez bien d'autres Canadiens. Je vais être bien franc: je n'ai franchement jamais constaté de grands problèmes d'identité ni d'unité à l'extérieur du Québec, mais j'y reviendrai dans un instant. Votre deuxième priorité est de rééquilibrer la fédération et de la rendre plus efficace et plus harmonieuse.

Étant donné que le mouvement souverainiste recueille au moins 50 p. 100 de l'appui des francophones au Québec depuis 20 ans, comment expliquez-vous ce phénomène? Comment pensez-vous que votre rééquilibrage de la fédération et l'amélioration de son efficacité tiendront compte des choses qui ont donné naissance à ce phénomène?

M. Dion: Me demandiez-vous, monsieur Harper, pourquoi le camp du oui a reçu tellement d'appui au dernier référendum?

M. Harper: Non, je posais une question plus générale. D'après vous, pourquoi le mouvement souverainiste est-il aussi fort depuis le milieu des années 1970?

M. Dion: La réponse est très longue. J'ai écrit bien des choses là-dessus.

La première chose, à mon avis, c'est que le mouvement a acquis une certaine maturité depuis les années 1960. Le mouvement a pris naissance à une époque où les Canadiens français ont très clairement cessé de s'identifier à leur religion pour s'identifier plutôt à leur langue. Auparavant, c'était les deux à la fois. Dans d'autres pays multilingues, on a aussi constaté une augmentation de l'appui pour la sécession quand la religion a cessé de rivaliser avec la langue comme facteur d'identité culturelle. La même chose se passe maintenant en Inde, qui est une vaste fédération composée de divers groupes ethniques, religieux et linguistiques.

Nous devons donc nous occuper de la langue. Ce n'est pas une distinction semblable aux autres différences qui peuvent exister dans un pays. Quand un pays a plusieurs langues, il doit être prêt à s'en occuper pour garantir que les diverses communautés linguistiques se sentent à l'aise et sont prêtes à rester unies. Le même problème existe en Belgique.

Ce qui est particulier au Canada et au Québec, c'est que les francophones n'habitent pas un continent multilingue comme l'Europe. Ils habitent un continent anglophone, sauf pour les groupes hispaniques dans le Sud. Dans un continent anglophone, vu que l'anglais est la langue internationale, les immigrants qui arrivent au pays pensent arriver dans une Amérique du Nord anglophone.

La plus grande partie de la communauté francophone au Québec a, bien entendu, le sentiment d'être canadienne, mais elle veut aussi que les autres Canadiens lui montrent qu'ils l'appuieront dans son admirable effort pour conserver une société francophone forte en Amérique du Nord. Si cet appui se manifeste, le mouvement sécessionniste perdra beaucoup de sa force.

Il y a dix ans, monsieur Harper, cet appui était inférieur à 30 p. 100. Après le rejet de l'Accord du lac Meech, il a atteint un niveau maximal de 70 p. 100. Pourquoi? C'est parce que les Québécois ne voyaient pas alors le Canada qu'ils croyaient connaître. Ils pensaient avoir l'appui des autres Canadiens, mais à tort ou à raison, après le rejet de Meech, bon nombre d'entre eux ont eu l'impression que leur identité de Québécois était menacée au Canada.

Comme nous croyons dans le Canada, vous et moi avons le devoir de les convaincre que l'identité québécoise et l'identité canadienne sont une merveilleuse combinaison, et non pas une contradiction, et de convaincre les autres Canadiens que, parce qu'ils croient dans le Canada, ils doivent montrer que le Québec représente effectivement une caractéristique importante de leur pays.

M. Harper: Laissons les perceptions de côté. À titre de ministre des Affaires intergouvernementales, croyez-vous que le Canada ou ses arrangements institutionnels menacent d'une façon quelconque la survie du français au Québec?

M. Dion: Vous voulez savoir si la fédération menace la survie du français au Québec?

M. Harper: Oui.

.1600

M. Dion: Comme vous le savez peut-être, pendant la campagne référendaire j'étais l'un des commentateurs à ne jamais avoir caché leur conviction que le Canada mérite de survivre même si l'on n'apporte aucun changement constitutionnel à la fédération que nous connaissons maintenant. Cela étant dit, je pense que l'on peut améliorer la fédération. Nous pouvons nous efforcer de l'améliorer en éclaircissant les rôles des divers échelons gouvernementaux; en reconnaissant la caractéristique fondamentale du Canada qu'est le Québec au sein du Canada; en trouvant une meilleure formule de modification, parce que bien des gens au Canada ne sont pas satisfaits de la formule actuelle. Il y a donc bien des choses que nous devons faire pour améliorer le Canada, et c'est ma deuxième priorité, comme je viens de l'expliquer dans mon discours. Je suis convaincu que, si nous y réussissons, la plupart des Québécois, ou du moins une grande majorité des Québécois, diront à la fin du compte qu'ils veulent rester dans le pays qu'ils ont tellement contribué à bâtir.

M. Harper: Pouvez-vous me donner un exemple précis de la façon dont le fait de rééquilibrer les pouvoirs au sein de la fédération influerait selon vous sur les forces que vous avez décrites, soit les forces sociologiques qui font que l'identité communautaire est passée de la religion à la langue?

M. Dion: Oui. Quand il était associé à la religion, le nationalisme au Québec n'était pas relié tellement à l'État ou au secteur public, parce que ce que voulaient les gens, c'était une Église forte plutôt qu'un État fort. Lorsque le nationalisme est associé à la langue, il faut des politiques pour s'occuper de la situation de la langue, et le public a aussi l'impression qu'il faut des institutions dans lesquelles sa propre communauté linguistique a la majorité.

C'est pour cela qu'il y a eu ce changement d'attitude. Le secteur public a commencé à revêtir de l'importance au moment de la Révolution tranquille. Ce que nous devons dire à tous les Canadiens, et aussi aux Québécois, c'est d'abord que la fédération canadienne est déjà très décentralisée. S'ils pensent que nous faisons partie d'un régime centralisé très rigoureux, ils se trompent, parce qu'à part la Suisse, et je suis convaincu que la Suisse est moins décentralisée que le Canada sous bien des aspects, le Canada est la fédération la plus décentralisée du monde.

Au lieu de considérer cette décentralisation comme une menace pour notre unité, je pense que nous devons la considérer comme une force, parce que les fédérations sont mieux conçues pour être concurrentielles que les pays unitaires, où le gouvernement central a tant à faire. Ce que nous devons faire, c'est nous servir de nos atouts pour construire une fédération bilingue décentralisée et forte.

M. Harper: Je voudrais passer un instant à ce qu'on appelle parfois le plan B et laisser de côté le plan A. Comme vous le savez, notre parti a fortement appuyé l'intervention du gouvernement fédéral dans la décision Bertrand pour qu'on éclaircisse la loi. Vous avez vous-même déclaré pendant la fin de semaine, je pense, que si l'on ne respectait pas la règle de droit, il y aurait anarchie dans le cas d'une déclaration unilatérale d'indépendance. Puis-je vous demander de définir ce que vous entendez exactement par «anarchie»?

M. Dion: Il s'agit de la définition juridique d'un comportement anarchiste. En termes juridiques, cela veut dire en dehors de la loi. Ce que j'ai toujours dit là-dessus, cependant, c'est que si le gouvernement essaie de faire quelque chose en dehors de la loi, il court un grand risque, parce qu'il lui sera ensuite difficile de demander à la population de respecter la loi s'il ne la respecte pas lui-même. Il est donc toujours préférable d'agir par consentement mutuel en respectant la loi, et c'est ce que nous voulons obtenir pour tous les Canadiens.

M. Harper: Je voudrais vous poser une question rapide qui fait suite à celle que j'ai posée à la Chambre aujourd'hui. Il y aura bientôt une conférence des premiers ministres, où l'on discutera, sans doute, de certaines de ces questions. Nous ne connaissons pas encore le programme de cette conférence. Quand pourrons-nous en avoir une idée?

M. Dion: Vous n'avez qu'à lire le discours du Trône, monsieur Harper. C'est ce que nous avons proposé aux provinces, et nous avons discuté avec elles des sujets qui pourraient être à l'ordre du jour de la conférence et d'autres questions aussi. Le discours du Trône vous donnera un bon aperçu des questions dont nous discuterons lors de la conférence.

M. Harper: Quand pourrais-je avoir une meilleure idée du programme que ce que je peux trouver dans le discours du Trône?

M. Dion: Posez-moi une question plus précise à propos du discours du Trône, et nous pourrons en discuter.

La présidente: Monsieur McTeague.

.1605

[Français]

M. McTeague (Ontario): J'aimerais vous souhaiter la bienvenue, pas simplement parce que vous êtes de notre côté, mais aussi parce qu'il est toujours intéressant, même pour les Franco-Ontariens, qui n'habitent pas le Québec mais qui sont tout de même francophones, de discuter de problèmes qui existent au pays.

Nous sommes en train de parler du Canada par opposition au Québec et des intérêts du Québec par opposition à ceux du Canada. Pour moi, le Canada est un tout. Je suis bien inquiet du sort des Franco-Ontariens, des francophones hors Québec. Quel est votre véritable but? Voulez-vous préserver l'identité francophone qui existe hors Québec, chez des millions de gens qui sont Français, francophones ou francophiles comme moi?

M. Dion: C'est une de mes priorités. Je suis dans la vie politique parce que, pour moi, avoir des anglophones au Québec et des francophones hors Québec fait partie de la définition du Canada. Les anglophones au Québec ont quand même un avantage, même si ce n'est pas toujours facile pour eux. Ils parlent la langue du continent, qui est aussi la langue internationale, ce qui est moins le cas des francophones hors Québec qui sont en situation doublement difficile. Ils doivent donc avoir de l'appui.

Le gouvernement du Canada n'a jamais nié que c'était sa responsabilité de faire en sorte que, même lorsqu'il décentralise, comme dans le cas de la formation professionnelle, un des critères est que la province qui hérite de la responsabilité maintienne l'accès aux services en langue française hors Québec partout où ce sera possible. Je vois de très près à ces choses-là. J'ai déjà rencontré les représentants des communautés hors Québec. Mes hauts fonctionnaires sont tout à fait au courant de l'importance que j'accorde à ce dossier.

M. McTeague: L'appui aux communautés francophones hors Québec est important. Il y a aussi la question de la gestion du prochain référendum, si jamais il y en a un au Québec. Prévoyez-vous un genre d'implication pour les francophones dans le débat référendaire?

M. Dion: Si on travaille bien, il n'y aura pas d'autre référendum. On va convaincre suffisamment de Québécois et de Canadiens de se réconcilier. Pour cela, il faut que tout le monde se sente concerné. Ça concerne tous les Canadiens, car c'est leur pays. Ils doivent se parler et voir ce qu'ils peuvent faire en vue de renforcer l'unité de ce pays qui mérite tellement de survivre.

[Traduction]

M. McTeague: Madame la présidente, combien de temps me reste-t-il?

La présidente: Il reste sept minutes.

M. McTeague: Très bien. Je ne prendrai pas les sept minutes au complet, monsieur le ministre, mais je dois dire que j'ai encore du mal à comprendre les changements qui se sont produits depuis quinze ans peut-être relativement à la présence plus marquée du gouvernement national dans toutes les régions du pays.

Je ne veux pas parler simplement de la présence symbolique du drapeau. À mon avis, il est beaucoup plus intéressant de voir où le gouvernement fédéral peut le mieux manifester sa présence pour continuer à rehausser les valeurs qu'ont les Canadiens en commun. Je ne veux pas parler uniquement de notre nature multiculturelle, mais aussi de notre nature régionale et des choses qui nous tiennent à coeur en tant que pays et qui revêtent manifestement de l'importance non seulement pour notre sentiment d'appartenance, mais aussi pour l'identité que nous pouvons refléter à l'étranger.

Étant donné les considérations budgétaires dont vous devez tenir compte, ne pensez-vous pas que votre ministère risque à un moment donné de ne pas disposer des fonds nécessaires pour respecter son engagement ou faire ce qu'il veut faire?

M. Dion: La question est de savoir si nous sommes trop décentralisés.

M. McTeague: Bonne question.

M. Dion: Et est-ce que cela peut compromettre l'unité du pays? Est-ce ce que vous voulez dire?

M. McTeague: Oui.

M. Dion: D'accord.

Il y a quelques années, les leaders séparatistes au Québec soutenaient que nous devions quitter cette fédération parce que le Canada était au bord de la faillite; alors essayer d'assurer une forte présence fédérale quand nous n'en avions plus les moyens aurait été une erreur.

.1610

Maintenant, les leaders séparatistes ne disent plus cela, parce qu'ils voient que la seule province qui n'a pas encore fait face au problème, c'est le Québec. Presque toutes les autres provinces ont maintenant rééquilibré leur budget, et le gouvernement du Canada fait maintenant état d'un des plus faibles déficits annuels de tous les pays de l'OCDE, grâce au budget de M. Martin. Je ne veux donc pas qu'on me serve à nouveau ce faux prétexte.

Il est important d'agir de façon très responsable dans la gestion des fonds que nous confient les contribuables. C'est pourquoi, au lieu d'essayer d'être partout à la fois et d'être très visibles, nous devons collaborer à de solides partenariats avec les provinces selon des champs de responsabilité et des règles de reddition de comptes bien définis afin de renforcer la fédération.

Permettez-moi d'ajouter ceci. Aujourd'hui, nous, les Libéraux, sommes au pouvoir à Ottawa, et il y a des gouvernements conservateurs dans les provinces. J'espère que nous demeurerons pour de bon au pouvoir, mais je ne peux pas vous le garantir. Il se peut qu'un jour M. Harper soit au pouvoir à Ottawa et que nous ayons une forte présence dans les provinces. Ainsi les valeurs libérales seront protégées alors par les provinces, si les provinces sont fortes.

Voyez-vous pourquoi il importe d'avoir une bonne fédération, bien équilibrée? C'est pour garantir qu'en toutes circonstances les valeurs libérales se porteront bien quelque part dans la fédération.

M. McTeague: Ma dernière question porte sur l'efficacité par rapport aux égalités. Depuis toujours, cela fait l'objet d'un débat plutôt oiseux parmi les étudiants des universités, quand il est question de préserver la fédération.

Voici une question plutôt hypothétique. À partir de quel moment invoquons-nous l'argument de l'efficacité et essayons-nous de tout expliquer en fonction de notre capacité de faire en sorte que les coûts justifient toute mesure que nous pouvons prendre en tant que gouvernement? Y a-t-il des choses qu'à votre avis nous pourrions faire pour mettre de côté les considérations d'ordre monétaire et en arriver à dire que nous croyons que les droits des minorités, par exemple, ne devraient pas être assujettis à la simple question de l'égalité des coûts? Dans quelle mesure pensez-vous que ce genre d'argument contribuera à maintenir le pays ensemble?

M. Dion: Je suis nouveau au sein de ce gouvernement, mais je dirais que les budgets Martin sont durs, mais justes. Nous devrons l'expliquer aux Canadiens.

Aujourd'hui, par exemple, à la période des questions, le Bloc québécois est venu dire que ce n'était pas juste à l'endroit du Québec, et le Parti réformiste est venu dire que c'était trop pour le Québec. Nous savons cependant que les budgets Martin sont durs, mais justes, et nous allons devoir l'expliquer le plus clairement possible à la population.

M. McTeague: Aussi clairement que MM. Bouchard et Harris ont eu à l'expliquer à la population dernièrement.

M. Jackson (Bruce - Grey): Madame la présidente, si je peux m'adresser au ministre, l'une des choses que nous avons entre le Canada et le Québec, ce sont les communications. Pour une raison quelconque, il existe un mur, et il y a beaucoup de ce que nous appelons des mythes et des mensonges. Vous avez fait mention de cette idée que le Canada serait en faillite.

De quel genre de stratégie de communication disposez-vous pour mener ce débat et rétablir les faits et faire ressortir la vérité?

M. Dion: Je suis très impressionné par le nombre de groupes de la base au Canada qui veulent sauver le pays, proposer des idées, et discuter entre eux. Avec le réseau Internet, nous les aidons à se mettre en contact.

Nous considérons certainement comme une priorité maintenant d'essayer d'éviter le lancement d'un processus officiel de consultation, du moins pour l'instant. Il vaut mieux partir du bas vers le haut que l'inverse. Peut-être qu'il serait possible que sept premiers ministres des provinces et que le premier ministre du Canada s'entendent sur quelque chose, qu'on l'inscrive dans la Constitution et qu'on dise: voilà, c'est fait. Mais ce serait difficile. Mais si la population canadienne n'en veut pas, peut-être que cela ne nous mènera à rien.

Il est donc très important d'abord d'assurer une véritable communication avec les Canadiens, de les encourager à parler de l'avenir de leur pays, avant de se précipiter vers une solution imposée par des gouvernements.

M. Jackson: Je suis d'un comté rural. Il me semble que parce que le pays est si vaste et si divers nous avons certaines visions des choses, que les agriculteurs de l'Ouest pensent qu'ils sont des cow-boys et font partie du Texas et que les gens de l'Est ont peut-être une vision différente. Comment joignons-nous ces gens des milieux ruraux et ces gens de régions isolées? Je pense que la communauté rurale, au Québec en particulier, échappe en quelque sorte à ce qui se fait en matière de communication.

.1615

M. Dion: Oui, je le reconnais. J'ai trouvé terrible qu'au cours de la campagne référendaire ce soit M. Bouchard qui ait, et mieux que quiconque, fait valoir la solidarité. Quand M. Bouchard parle de solidarité entre Québécois, en tant que Québécois et maintenant à titre de ministre de la Couronne, je veux l'appuyer parce qu'il soutient une belle valeur.

Mais le même Lucien Bouchard a dit que nous ne devions avoir de relations qu'au chapitre des intérêts économiques que nous pouvons avoir avec d'autres Canadiens des provinces de l'Atlantique, de l'Ontario et de l'Ouest du Canada. Si c'est bon, nous aurons des relations, et si cela ne l'est pas, nous y mettrons fin. Je pense que c'est une honte. Je veux combattre ce Lucien Bouchard, parce que la solidarité entre Canadiens est une grande chose pour les villes ainsi que pour le Québec rural et pour toutes les communautés rurales des autres provinces.

Je veux que M. Goodale, qui est un si bon ministre de l'Agriculture, aille au Québec. Même s'il ne peut pas parler la langue des habitants des régions rurales du Québec, ces derniers savent qu'il est un bon ministre de l'Agriculture. Voilà le genre de choses que nous devons faire, comme je l'ai dit, afin de bien faire comprendre que la solidarité des Québécois et la solidarité des Canadiens, c'est quelque chose de très important que nous devons assurer.

[Français]

La présidente: Merci, monsieur Dion. Avant de passer au Bloc, j'aimerais poser une toute petite question.

J'ai été contente que vous disiez dans votre texte:

Souvent, dans nos efforts pour renforcer l'unité, nous nous concentrons sur le négatif, sur les choses qui ne fonctionnent pas. Je ne vous pose qu'une petite question: est-ce que, dans vos projets, vous allez vous concentrer sur les réalisations des Canadiens, sur ce qu'ils ont réussi à bâtir, c'est-à-dire ce merveilleux pays qu'est le Canada?

M. Dion: Absolument, madame la présidente. Depuis que je suis ministre, c'est toujours le principal thème de mes discours.

On a un pays qui n'est pas ordinaire ou normal; il est célébré de par le monde comme l'exemple à suivre pour permettre à des populations d'origines, de langues et de cultures différentes de prospérer ensemble au sein d'un même État.

Je pourrais vous parler de nos réalisations sur le plan économique, vous dire pourquoi nous sommes classés à la fois par la Banque mondiale et par l'Organisation des Nations unies comme l'un des pays les plus prospères et fortunés du monde. Mais il n'y a pas seulement cela. Nous sommes aussi célébrés comme le pays de la concorde entre les populations.

Ce pays, qui est perçu comme le modèle à suivre pour le prochain siècle, se briserait parce que les populations seraient incapables de s'entendre entre elles? Quel message négatif on enverrait au reste du monde. Nous n'avons pas le droit de faire cela, comme êtres humains, et c'est pourquoi nous allons tous ensemble nous réconcilier.

La présidente: Merci. Je vois les journalistes qui sourient. J'espère qu'ils vont faire un reportage de bonnes nouvelles.

Monsieur Fillion.

M. Fillion (Chicoutimi): Monsieur le ministre, dans vos réponses, vous avez fait allusion de temps à autre à la période des questions. Vous avez pu constater depuis votre arrivée que, lorsque le Bloc québécois se prononce sur un sujet, le Parti réformiste a une position différente. Vous l'avez constaté encore cet après-midi et vous en avez parlé. Est-ce que ce ne sont pas des signes évidents que le fédéralisme actuel n'est pas renouvelable?

M. Dion: Pourquoi le fédéralisme actuel ne serait-il pas renouvelable?

M. Fillion: Je vous pose la question, parce qu'il y a toutes sortes d'accrochages qui se produisent actuellement entre le reste du Canada, le Bloc québécois et ainsi de suite. Est-ce que cela ne vous indique pas qu'il faut travailler autrement pour le fédéralisme?

M. Dion: Monsieur Fillion, nous le renouvelons. Le pouvoir fédéral de dépenser sera tamisé pour la première fois de l'histoire de ce pays. On me disait que jamais on ne pourrait résoudre la question de la formation professionnelle; nous avons fait un grand pas en avant. Les ministres de l'Environnement viennent de se réunir pour discuter de la gestion de l'environnement.

.1620

Le ministre québécois, M. David Cliche, qui est probablement d'abord un environnementaliste avant d'être un séparatiste, reconnaît honnêtement qu'il y a eu un beau déblocage. Notre fédération a du succès sur le plan international et a à son actif des réalisations qui en font l'un des pays les plus prospères au monde. On peut l'améliorer en s'appuyant sur les forces de notre fédération.

M. Fillion: Monsieur le ministre, vous dites que le gouvernement fédéral a limité son pouvoir de dépenser. C'est le déficit et la dette qui l'ont poussé à faire ça. Quand on n'a plus d'argent, il faut limiter son pouvoir.

M. Dion: Monsieur Fillion, le Canada est déjà la fédération la plus décentralisée. Allez voir ce qui se passe aux États-Unis. Le gouvernement fédéral aux États-Unis dépense dans tous les secteurs. La distribution des pouvoirs porte sur le pouvoir de légiférer et non sur le pouvoir de dépenser. C'est comme ça que les choses fonctionnent dans les fédérations, notamment en Australie et aux États-Unis.

Chez nous, on ira plus loin. On balisera les choses davantage pour avoir une fédération plus harmonieuse où il y aura des partenariats plus forts entre les provinces et le gouvernement du Canada. On développera aussi des approches plus souples, comme nous le faisons dans le domaine de la main-d'oeuvre. Lorsqu'une province demande plus d'autonomie, comme c'est souvent le cas du Québec ou de l'Alberta, ou qu'une autre province demande plus d'aide au gouvernement fédéral parce qu'elle souhaite qu'il en soit ainsi, pourquoi ne s'arrangerait-on pas pour rendre ça possible? C'est ce que nous faisons. C'est ce qui a été fait dans le passé, et nous le renforcerons à l'avenir. Il y a beaucoup de choses à faire, monsieur Fillion, et les Québécois et les autres Canadiens doivent s'entraider plutôt que se diviser.

M. Fillion: Monsieur le ministre, dans vos réponses, vous avez dit: «Si on travaille bien»; est-ce que le fait d'appuyer l'affaire Bertrand et de parler de partition, c'est bien travailler? Le «on», qui est-ce? Est-ce que vous parlez à ce moment-là des membres de votre gouvernement?

M. Dion: Quand je dis «si on travaille bien», j'inclus là-dedans tous les Canadiens de partout au Canada qui croient dans le Canada. Qu'on soit de tendance libérale ou conservatrice, ou de n'importe quelle origine ou langue, on doit travailler tous ensemble pour se réconcilier dans le Canada.

M. Fillion: Pour en arriver là, il faut un leadership. Est-ce que le gouvernement actuel assume ce leadership afin de bien faire travailler les gens entre eux?

M. Dion: Le premier ministre du Canada est populaire partout au Canada, à quelques exceptions près hors Québec. Il est aussi populaire au Québec auprès des non-francophones. Le premier ministre du Canada était populaire auprès des Québécois francophones il y a dix ans. C'est un des hommes politiques les plus populaires.

Les disputes constitutionnelles ont terni son image auprès des Québécois francophones. On va travailler à l'améliorer parce que les Québécois francophones, dans le fond, connaissent les raisons qui font que les autres Canadiens aiment le premier ministre et les ressentent eux-mêmes. Il s'agit de renforcer chez eux cette conviction que le premier ministre a de belles qualités d'homme d'État. C'est un homme honnête qui, dans toutes ses années en politique, n'a jamais été pris dans un seul conflit d'intérêts personnel. C'est un homme qui écoute les gens, qui est proche d'eux, qui prend des décisions difficiles, monsieur Fillion, que d'autres pays sont aussi obligés de prendre et il le fait avec beaucoup d'humanité. Et ça, les Canadiens le voient bien. Quand on fera valoir toutes ces qualités du premier ministre, vous verrez qu'au Québec aussi, il deviendra populaire.

M. Fillion: Vous avez visité la majorité des provinces pour tenter de faire un ordre du jour pour la prochaine Conférence des premiers ministres. À la fin de votre énoncé, vous dites que les premiers ministres doivent s'attarder surtout à la création d'emplois. Est-ce que ce sera l'unique sujet abordé lors de cette conférence? En d'autres mots, est-ce que vous pouvez faire part au comité de l'ordre du jour de cette rencontre? On est tout près du 21 juin; il ne reste une quinzaine de jours. Je pense qu'il serait temps que la population sache exactement de quoi les premiers ministres vont discuter.

M. Dion: Je ne peux pas vous présenter aujourd'hui l'ordre du jour, parce que nous avons encore des consultations à faire avec les provinces à ce sujet. J'ai dit en public, et je peux le répéter, que nous travaillions avec les provinces en vue d'établir un ordre du jour qui nous permette de progresser dans les dossiers où on sent que du progrès peut être accompli dès juin. Il est évident que la création d'emplois sera à l'ordre du jour. Comment voulez-vous que la création d'emplois ne le soit pas?

.1625

M. Bellehumeur: À ce sujet, monsieur Dion, vous dites que vous consultez les provinces pour établir l'agenda constitutionnel. Pouvez-vous me dire si le Québec a été consulté?

M. Dion: Je n'ai pas parlé d'un agenda - c'est un anglicisme - mais de l'ordre du jour constitutionnel.

M. Bellehumeur: Pouvez-vous me dire si vous consultez le Québec sur l'ordre du jour?

M. Dion: On consulte toutes les provinces sur l'ordre du jour. On les a déjà consultées. J'ai rencontré mon vis-à-vis, M. Brassard.

M. Bellehumeur: Quand l'avez-vous rencontré pour discuter de l'ordre du jour?

M. Dion: Je l'ai rencontré il y a trois semaines, et nos hauts fonctionnaires sont en contact.

M. Bellehumeur: Si je vous disais qu'on nous a informés vers la fin de la semaine passée que vous n'aviez discuté de l'ordre du jour avec personne du Québec, diriez-vous que ce n'est pas vrai?

M. Dion: On me dit qu'il y a des discussions au niveau des fonctionnaires et qu'il y en aura d'autres prochainement au niveau politique.

M. Bellehumeur: On vérifiera aujourd'hui même, monsieur Dion.

Le 15 mars 1995, lors du colloque organisé par l'Institut C.D. Howe à Toronto, vous avez dit, selon des journalistes qui ont repris vos propos et qui, je suppose, ont bien fait leur travail comme d'habitude: «Si la situation économique se dégrade, les Québécois vont changer d'idée. Plus ça fera mal, plus l'appui à la souveraineté baissera.»

Vous reconnaissez avoir dit cela?

M. Dion: Vous avez vu la rectification qui a paru deux jours plus tard.

M. Bellehumeur: Donc, aujourd'hui, vous n'êtes plus d'accord sur cela? C'est la politique que vous pratiquez maintenant que vous êtes ministre.

M. Dion: C'est terrible à quel point l'idéologie qui vous aveugle vous rend paranoïaque.

M. Bellehumeur: Pas vous?

M. Dion: Non. La substance du propos que vous venez de lire, s'il avait été correctement rapporté, aurait été une vérité de La Palice, à savoir que, si après un Oui au référendum, des difficultés surviennent sur le plan économique et social, l'appui à la souveraineté baissera.

M. Bellehumeur: Le 2 février 1996, on titrait en gros:

C'est le journaliste Jean Dion, pour ne pas le nommer, qui disait cela. Je cite encore vos propos que rapportait le journaliste:

Est-ce que ça ne faisait pas allusion à la partition?

M. Dion: Monsieur Bellehumeur, la partition est la création de différents pays là où il n'y en a qu'un seul. Selon cette définition, vous êtes un partitionniste. Je fais allusion à la garantie pour tous les citoyens du Québec, si jamais on devait en arriver à une sécession, d'avoir la protection du droit, de façon à ce qu'on agisse en toute justice pour tout le monde.

M. Bellehumeur: Vous dites que vous n'avez jamais parlé de partition. Ce n'est pas vrai. Vous avez parlé du morcellement du Québec.

M. Dion: Je suis contre la partition du Canada au départ.

M. Bellehumeur: Au Québec, monsieur Dion, le morcellement du Québec devra être négocié.

M. Dion: C'est le journaliste qui a dit cela. Disons que vous êtes le premier ministre du Québec et que vous faites une déclaration d'indépendance. Le problème est le vôtre. C'est à vous d'imposer votre ordre juridique. Comme M. Parizeau avait l'intention de le dire dans son discours de victoire, qu'il n'a jamais prononcé heureusement: Au lendemain du vote, l'ordre canadien demeure. Ne vous inquiétez pas. Tout est en place.

Ce serait à lui d'expulser l'ordre canadien à ce moment-là. Je me demande bien comment il le ferait si des populations entières du Québec demandaient à rester canadiennes. Il ne leur enverrait quand même pas la Sûreté du Québec.

M. Bellehumeur: Il faut s'entendre sur la population entière...

M. Dion: Laissez-moi terminer. Des populations entières pourraient demander à rester au Canada. M. Parizeau aurait alors le problème de voir comment il pourrait expulser l'ordre canadien de populations entières qui demanderont à maintenir l'ordre canadien. Il ne peut pas leur envoyer la Sûreté du Québec malgré la déclaration de certains de ses ministres. Il serait obligé de négocier avec ces populations.

Laissez-moi vous dire que ces négociations seraient pénibles, difficiles, extrêmement incertaines et que la plus belle façon de s'assurer que ça n'arrive jamais, c'est de se réconcilier tous au sein du Canada. Voilà ce que j'ai toujours dit.

M. Bellehumeur: Monsieur Dion, si on entre au Canada avec une majorité de 53 p. 100 et quelques poussières, comme Terre-Neuve en 1948, selon vous, est-ce qu'on peut sortir du Canada avec 53 p. 100 et quelques poussières?

M. Dion: J'ai le temps d'expliquer la parallèle qu'il faut faire entre Terre-Neuve et le Québec, car c'est très intéressant.

La présidente: C'est votre dernière réponse.

M. Dion: D'accord.

.1630

M. Bellehumeur: Monsieur Dion, je vous ferai remarquer que la péninsule d'Avalon avait refusé d'entrer au Canada avec 67 p. 100 et quelques poussières et qu'on n'a pas parlé de partition à cette époque-là.

M. Dion: Est-ce que je peux y aller?

La présidente: Vous pouvez répondre, mais ce sera la dernière réponse.

M. Dion: Je vous remercie de me donner l'occasion de répondre...

M. Bellehumeur : C'est parce qu'on vous aime.

M. Dion: ... à un argument que j'ai toujours trouvé tarabiscoté. Alors, allons-y.

Terre-Neuve était à l'époque.... «Tarabiscoté» est dans le dictionnaire, chers collègues.

M. Bellehumeur: Allez, professeur.

M. Dion: Je vous en prie, un peu de silence dans la salle. Terre-Neuve était un dominion en quasi-faillite, et la puissance tutélaire, Londres, avait fait savoir que la situation perçue à l'époque comme transitoire ne pouvait plus durer. Il fallait prendre une décision, et la décision que les Terre-Neuviens ont prise a été pénible pour eux. Le gouvernement du Canada a librement décidé d'accueillir Terre-Neuve comme province du Canada. Cela a été une décision bilatérale et non unilatérale. Donc, vous voyez que le parallèle ne tient pas.

On peut cependant faire un parallèle qui est plein de renseignements pour les Québécois et les Canadiens. Les historiens nous disent - et les Terre-Neuviens qui siègent à la Chambre des communes pourraient en témoigner aussi - que cette décision a été déchirante pour Terre-Neuve et qu'il a fallu plus d'une génération aux Terre-Neuviens avant de retrouver une forte cohésion. Pourtant, ils ont quitté un dominion en quasi-faillite - la décision était obligatoire d'une certaine façon - , et le gouvernement fédéral canadien est arrivé en force avec son État providence et son fonds de pension, ce qui a accru de façon très notable le niveau de vie des Terre-Neuviens. Mais cela a été difficile pour eux. Ils en ont même été traumatisés.

Imaginons que le Québec décide de quitter, non pas un dominion en quasi-faillite, mais un des pays les plus célébrés de par le monde. Dans un tel cas, le niveau de vie des Québécois, de l'avis de la très grande majorité des économistes, n'augmenterait pas mais diminuerait, et sans doute substantiellement.

Quel tort on ferait à la société québécoise! Et pour combien de temps ce tort durerait-il? Il est très urgent que les Québécois et les Canadiens se réconcilient et décident de rester ensemble au sein du Canada.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Bryden, vous avez la parole.

M. Bryden (Hamilton - Wentworth): Merci, madame la présidente.

J'aimerais faire suite à certaines des questions de M. Bellehumeur, si vous le permettez. Il a fait une observation selon laquelle M. Dion aurait déclaré que si les Québécois votaient pour quelque chose comme la séparation, ils le regretteraient. Je pense que c'est probablement le contexte duquel on a extrait ses remarques.

N'est-il pas vrai que même avant cela, historiquement et partout dans le monde, quand des mouvements séparatistes voient le jour dans des États fédérés, ce séparatisme naît habituellement sur le terreau fertile de l'instabilité économique et financière, dans des pays où la prospérité est en perte de vitesse? Je pense ici à l'ex-Tchécoslovaquie, à l'ex-Yougoslavie et à l'ex-Union soviétique. D'après votre expérience, n'est-il pas vrai que ce soit un problème?

Le séparatisme vient de là, et par conséquent le mandat qu'a maintenant le gouvernement fédéral est bien différent de ce que laisse entendre M. Bellehumeur. Il ne s'agit pas d'affamer le Québec. Il s'agit d'essayer, malgré le mouvement séparatiste, de favoriser autant que possible la prospérité au Québec. N'est-ce pas là la stratégie du gouvernement fédéral?

M. Dion: Non. On ne peut pas acheter une population. Ce n'est pas ce que nous devons faire. Il s'agit bien plutôt de montrer que le Canada fonctionne bien.

M. Bryden: Non, je ne me suis pas bien exprimé. Notre obligation en tant que gouvernement fédéral est de tenter tout ce qui peut être tenté pour favoriser les affaires au Québec, pour aider financièrement le Québec à assurer sa viabilité. N'est-ce pas ce que nous faisons, même si c'est peut-être difficile?

M. Dion: Oui, en étant juste envers les contribuables des autres provinces. Il faut être équitable envers tous. Nous avons une fédération qui est très juste, je pense. Nous aidons les provinces qui ont moins de capacité que d'autres, et dans la mesure où le Québec se trouve dans cette situation, nous devrons l'aider.

Montréal est maintenant très durement touchée par l'incertitude politique. MM. Cauchon et Martin ont travaillé avec le gouvernement du Québec ainsi que la ville de Montréal afin de tenter de régler cette épineuse question.

.1635

Pour revenir à votre première observation au sujet de l'émergence des mouvements séparatistes, dans l'histoire, la sécession survient après l'effondrement d'un empire ou la rupture de liens coloniaux. Il n'y a cependant jamais eu de sécession dans une démocratie bien établie ayant connu au moins dix années consécutives de suffrage universel. Pourquoi? Je pense que c'est parce que la sécession constitue une brisure de la solidarité, et c'est quelque chose qu'il est très difficile de concilier avec les valeurs démocratiques. J'espère que ce ne sera pas au Canada qu'une telle chose arriverait pour la première fois.

M. Bryden: N'est-ce pas précisément le dilemme auquel nous faisons face en tant que fédéralistes, soit que c'est en raison du mouvement séparatiste au Québec que nous assistons à un exode des entreprises? Vous avez dit vous-même que Montréal périclitait. Ne supposons-nous pas que plus l'économie ira mal au Québec plus le séparatisme gagnera du terrain, et que plus les Canadiens du reste du pays auront contribué à la prospérité du Québec, soutenu ses entreprises et tout le reste, plus nous pourrons espérer qu'il choisira de rester au Canada? N'est-ce pas là la stratégie?

M. Dion: La solution consiste certainement en partie à expliquer - ce n'est qu'une partie de la solution, mais elle est importante - ce qu'est l'union économique canadienne; pourquoi on ne pourrait pas la réinventer une fois qu'il y aurait eu sécession; pourquoi il est nécessaire de maintenir une union monétaire solide, un système juridique solide, un gouvernement fédéral solide dans ses propres sphères de compétence, etc., afin d'avoir une union économique solide. Par exemple, des collègues à moi, des économistes, ont... Je vais le dire en français, si vous le permettez.

[Français]

Des économistes ont montré qu'une fois qu'on neutralise les effets de la distance et de la taille, il y a de 20 à 25 fois plus d'échanges entre les provinces canadiennes qu'entre les provinces canadiennes et les États américains. Ça montre à quel point il est important, pour avoir une union économique forte, d'avoir un pays et non pas des pays qui essaieraient ensuite de rétablir des ponts tant bien que mal.

[Traduction]

M. Bryden: N'est-il pas vrai que le commerce international, le libre-échange entre les nations, est un phénomène cyclique? C'est-à-dire que, si l'on se tourne vers le passé, si l'on remonte même à la Grèce antique, on constate qu'à certaines époques on a pratiqué le libre-échange, puis il y a eu isolationnisme, puis retour au libre-échange et réapparition de l'isolationnisme. N'est-il pas vrai que les souverainistes, et plus particulièrement les séparatistes, misent sur l'existence perpétuelle du libre-échange avec les États-Unis et sur le fait qu'ils n'auraient pas à compter sur une union économique avec le Canada? Ils pensent qu'ils pourront compter indéfiniment sur le libre-échange avec les États-Unis, quand en fait il est probable qu'à court terme, et vous avez sans doute des analyses à votre ministère qui portent sur cet aspect, même dans les dix prochaines années, nous pouvons envisager la possibilité de voir les États-Unis rejeter le libre-échange et retourner à l'isolationnisme. Cela n'aurait-il pas des conséquences désastreuses pour une province isolée, ou même pour un pays isolé, isolé par la langue?

M. Dion: Je pense qu'après la rupture du Canada il serait très difficile de négocier une entente comme l'ALENA avec ce Congrès protectionniste maintenant au pouvoir aux États-Unis. Cela menacerait le libre-échange avec les États-Unis.

En outre, nous devons nous rappeler que le libre-échange, l'ALENA, représente un niveau d'union économique bien moindre que la situation qui existe maintenant entre les provinces du Canada, même si nous avons à nous plaindre de barrières interprovinciales qui sont encore beaucoup trop nombreuses, et nous allons travailler avec les provinces pour renforcer encore notre union économique à l'avenir.

M. Bryden: Mais il est plus rassurant d'envisager une union économique entre les provinces qu'avec les États-Unis.

M. Dion: Ou une union économique entre le Québec et le Canada qui n'existerait plus.

M. Bryden: Pas dans le même pays.

Une autre chose, c'est qu'il me semble bel et bien que nous essayons vraiment très fort, ou que vous essayez vraiment très fort en tant que gouvernement fédéral, le premier ministre, vous-même, et les ministres, d'encourager les entreprises au Québec et d'aider l'économie du Québec, parce que nous savons que c'est dans notre intérêt à tous, mais cela ne ressemble-t-il pas parfois à une bataille incessante?

Je vous soumets cet exemple. À la période des questions, aujourd'hui, j'ai été renversé d'entendre le Bloc québécois questionner le ministre des Finances et laisser entendre que la Bourse de Montréal ne devrait pas faire partie de la commission canadienne des valeurs mobilières qu'on propose de créer. Votre ministère a certainement effectué une étude qui montre que ce serait très désavantageux pour la Bourse de Montréal. Je vous rappelle qu'il y a 40 ans la Bourse de Montréal était plus grosse que celle de Toronto. Maintenant, Toronto accapare 80 p. 100 de l'activité boursière, et je suppose qu'avec les marchés de Vancouver et de l'Alberta cette proportion grimpe à 85 p. 100.

.1640

Ne serait-il pas désastreux de refuser de faire partie de cette commission canadienne des valeurs mobilières, comme le propose le Bloc québécois?

M. Dion: «Désastreux», c'est peut-être un terme trop fort, mais si vous voyez ce qui se passe dans d'autres fédérations, elles ont habituellement une commission des valeurs mobilières.

M. Bryden: Exactement.

M. Dion: En fait, je pourrais citer M. Parizeau. Avant de devenir séparatiste, il était en faveur d'une commission des valeurs mobilières parce que c'est plus rationnel du point de vue économique.

Et ce n'est pas contre la Constitution. Nous pouvons prétendre que cela relève complètement de notre responsabilité en matière d'union économique ou de commerce interprovincial.

Il est très sensé de le faire, mais nous ne le ferons qu'avec les provinces qui le souhaitent. Nous pensons qu'après un certain temps toutes les provinces y seront poussées par leur secteur des affaires et par les travailleurs syndiqués, qui leur diront que c'est bon et leur demanderont pourquoi elles ne s'y joignent pas afin d'améliorer l'économie.

J'aimerais ajouter autre chose. Vous avez dit que l'insécurité politique est très coûteuse pour le Québec et pour tout le Canada. Hier, M. Bouchard a dit la même chose, d'une certaine manière. Il a dit: «Ne soyez pas nerveux. Il n'y aura pas d'autre référendum dans les prochaines années. Je vais prendre mon temps. Vous avez le temps de venir réinvestir, parce que le référendum va être reporté à plus tard.»

Alors pourquoi ne pas dire qu'il n'y aura plus du tout de référendum? Ce serait bien préférable pour l'économie.

La présidente: Ce sera votre dernière question.

M. Bryden: D'accord.

Monsieur le ministre, M. Bellehumeur, dans les questions qu'il vous a adressées, laissait aussi entendre qu'il y avait quelque chose... Il voulait savoir combien votre bureau avait dépensé pour la question de l'unité.

D'après l'expérience que nous avons des affaires internationales dans d'autres pays, d'autres États fédérés, n'est-il pas normal que le gouvernement d'une fédération veuille dépenser de l'argent, l'argent des contribuables, pour promouvoir l'unité du pays? En fait, n'est-il pas bizarre qu'un pays remette en question le droit d'un gouvernement de dépenser de l'argent pour promouvoir l'unité nationale?

Pouvez-vous nous faire part d'expériences ou d'exemples qui tendraient à montrer qu'il existe d'autres pays qui considèrent cela comme bizarre, ou qui considèrent comme approprié, comme l'a laissé entendre M. Bellehumeur, qu'un gouvernement ne puisse dépenser d'argent pour promouvoir l'unité nationale?

M. Dion: En fait, si on se compare à d'autres pays, évidemment si l'on ajoute le service militaire à toutes les dépenses qu'on engage pour s'assurer que la population estime faire partie d'un pays, les dépenses que nous effectuons au Canada sont certainement bien inférieures à la moyenne. Pour ce qui est de mon propre ministère, cette année on passe de 10,4 millions à 14,2 millions de dollars. Je défie qui que ce soit de dire que ce n'est pas raisonnable, compte tenu du fait que nous sommes la seule démocratie bien établie à faire face au danger d'une dislocation.

La présidente: Merci, monsieur Dion.

Monsieur Epp, vous terminez la ronde de questions.

M. Epp (Elk Island): Merci.

J'aimerais commencer tout d'abord en discutent avec vous de l'aspect politique, mais brièvement, puisque j'ai d'autres questions.

Vous avez une tâche difficile, me semble-t-il. J'ai lu votre déclaration d'aujourd'hui, et il me semble que vous devez constamment concilier des aspects opposés. Il y a d'une part la suprématie des droits individuels, et il y a par ailleurs la nécessité d'assurer la cohésion sociale.

Nous jouissons de l'autonomie comme citoyens, et pourtant nous souhaitons que nos régions du Canada se sentent valorisées. Il faut concilier tant d'aspects: dépendance, indépendance et interdépendance. Le défi qui vous attend est sans doute plus important que celui de la plupart de ceux qui sont élus au Parlement, et je vous souhaite, à cet égard, tout le succès possible.

Mais ce dont je souhaite vous parler, c'est la façon dont vous dépensez l'argent que nous vous confions. Je croyais que c'était l'objet de cette rencontre, et je me suis donc préparé en conséquence. Je commençais à m'apitoyer sur le sort de vos fonctionnaires, qui sont venus ici pour répondre à des questions et qui ne participent pas.

La présidente: Votre sollicitude vous honore.

M. Epp: En effet.

J'ai un certain nombre de questions. Tout d'abord, je vous en poserai une au sujet de ce que nous appelons le crédit 5. Ce crédit est passé de quelque 10,8 millions de dollars à environ 17,6 millions de dollars. Si j'ai bien fait mes calculs, il s'agit d'une augmentation de 62 p. 100, et vous êtes pourtant en train de nous dire qu'il s'agit là tout simplement d'une curiosité comptable.

J'aimerais savoir au juste pourquoi le Centre canadien de gestion doit bénéficier de ce genre d'augmentation à un moment où nous nous efforçons tous d'économiser l'argent des contribuables et de contribuer à l'unité du pays en évitant que les gens soient étouffés par les impôts.

.1645

M. Dion: Cher collègue, avant de donner à Mme Smith l'occasion de répondre à votre question, je note que vous avez parlé de la nécessité de concilier diverses valeurs et divers idéaux. Nous sommes en démocratie. Je ne connais aucune démocratie qui repose sur une seule valeur. Nous devons constamment rechercher le juste équilibre entre l'égalité et la liberté, entre les droits individuels et un sentiment d'identité ou d'appartenance. Voilà en quoi consiste le Canada, et si nous bâtissons à partir de cette ossature, nous allons pouvoir sauver le Canada.

Parlons maintenant du CCG. Madame Smith.

Mme Janet Smith (directrice, Centre canadien de gestion): Le CCG est une société ministérielle. Dans chaque ministère, des crédits sont prévus pour la formation. Lorsque les ministères entreprennent des activités de formation, ils transfèrent des fonds de leur budget ministériel au nôtre, de manière à ce que nous assurions cette formation.

À ses débuts, le CCG avait un crédit qui lui était propre, de l'ordre de 10 millions de dollars, en plus de cette capacité de récupérer les coûts des ministères. La récupération des coûts représentait peu d'argent, alors que le crédit était important. À mesure que le centre a grandi, une partie de plus en plus grande de ses revenus ont été constitués de transferts provenant d'autres ministères.

Depuis l'an dernier, pour favoriser une plus grande transparence et vous permettre de mieux comprendre les activités du CCG, nous faisons figurer dans les tableaux les revenus provenant d'autres ministères. Le texte de la partie III du Budget des dépenses en a toujours fait état, mais auparavant ils ne figuraient pas dans les tableaux.

On vous demande donc d'approuver le crédit, à savoir les 10 millions de dollars qui correspondent à la contribution des contribuables. Pour 1995-1996, la part correspondant au crédit était de 9,5 millions de dollars. Pour ce qui est des 8,3 millions de dollars, soit les revenus provenant d'autres ministères, vous avez déjà donné votre approbation en approuvant les budgets de dépenses des autres ministères.

M. Epp: Pourquoi figurent-ils donc dans ce budget des dépenses?

Mme Smith: Il s'agit de transferts entre ministères. Pour vous permettre de mieux cerner les dépenses en matière de formation, nous avons jugé opportun de vous en faire prendre connaissance à nouveau.

M. Epp: Je me pose de sérieuses questions ici. Vous êtes chargés de former des gens qui travaillent dans les ministères du gouvernement.

Mme Smith: C'est exact.

M. Epp: Pourquoi ne pas simplement embaucher des gens qui savent ce qu'ils sont censés faire au départ? Pour décrocher un emploi dans ma profession, j'ai dû pour ma part fréquenter l'université, obtenir la formation voulue et présenter un diplôme avant qu'on accepte même d'étudier ma candidature. Lorsqu'on m'a embauché on n'a pas eu à dépenser beaucoup pour me former, puisque j'ai appris beaucoup sur le tas. Mon employeur a bénéficié de tout cela gratuitement. Il me semble que 17 millions de dollars par année, c'est beaucoup d'argent pour former des gens qui sont censés savoir au départ ce qu'ils ont à faire.

Mme Smith: Il s'agit de perfectionnement des cadres, et non pas de formation universitaire. Tout comme vous et votre employeur, nous nous attendons à ce que les gens que nous embauchons aient certaines compétences. Dans la plupart des milieux de travail, y compris le nôtre, la cadence du changement est rapide. Il faut des plans opérationnels, des instruments de mesure plus raffinés, des mesures d'accroissement de l'efficacité de la fonction publique. Or, tout cela nécessite de la formation. Si la formation offerte par le CCG n'était pas utile aux ministères, ils dépenseraient ailleurs l'argent qu'ils nous confient pour assurer la formation. La liberté de choix existe.

M. Epp: La formation pourrait-elle être confiée à l'externe aux universités?

Mme Smith: Elle l'est en partie.

M. Epp: Ne pourrait-elle l'être en totalité?

Mme Smith: Les universités ont tendance à offrir des cours de trois ou quatre mois. Dans bien des cas nous offrons des programmes d'une durée d'un ou deux jours. Également, notre activité consiste pour 50 p. 100 à travailler avec les ministères, à apprendre à des groupes de travail à travailler ensemble. Ce n'est généralement pas la même chose. Nous visons davantage le développement des cadres.

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M. Epp: C'est davantage à l'interne.

Mme Smith: Les programmes de perfectionnement des cadres que nous offrons ne sont pas les mêmes qu'à l'université. Ils ne sont pas théoriques.

M. Epp: Un bon jour, si j'en ai le temps, j'aimerais visiter cet endroit, madame la présidente. Je serais curieux de constater ce qui s'y passe.

Mme Smith: Nous vous accueillerions avec plaisir.

M. Epp: Peut-être conviendrait-il de transmettre une invitation aux membres du comité que cela pourrait intéresser.

J'ai une autre question. Il s'agit d'un sujet qui m'intéresse beaucoup. Le bureau du Conseil privé se donne notamment pour rôle de renforcer les partenariats avec les provinces. J'ai parfois dit moi-même à la blague que, ce qu'il nous faut, c'est un ALEIP, soit un accord de libre-échange interprovincial qui ressemblerait à l'ALENA. Ainsi, nous pourrions finir par faire fonctionner le pays et faire en sorte que les provinces collaborent les unes avec les autres. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, il est parfois plus facile pour nous de commercer avec les États-Unis qu'avec les provinces qui sont nos voisines.

Ici, nous avons l'inspection des aliments, la gestion environnementale, le logement social, le tourisme, l'habitat des poissons d'eau douce, et plus loin les soins de santé, l'amélioration du régime de pensions alimentaires pour les enfants, les prestations aux personnes âgées, le RPC et la formation de la main-d'oeuvre.

Je ne sais trop comment vous le dire de façon diplomatique, mais lorsque je prends connaissance de la liste de toutes vos responsabilités, je me demande pourquoi nous ne confions pas tout cela aux provinces. Pourquoi ne pas rapprocher tout cela de la population?

À titre d'Albertain, j'habite loin d'Ottawa. Certains disent que la distance entre l'Alberta et Ottawa est de 3 000 milles, mais que la distance entre Ottawa et l'Alberta est plutôt de 50 000 milles. Nous faisons parvenir tout cet argent à Ottawa en espérant que, un jour peut-être, une partie de notre propre argent va nous revenir si nous pouvons convaincre les fonctionnaires et la classe politique à Ottawa que nous le méritons.

Je sais bien que l'idée de partager avec les autres provinces est valable. Cependant, je dois dire que j'ai une question à poser à ce sujet. Cette question ne vise pas seulement les personnes qui sont d'éternels assistés sociaux. Elle englobe tout autant les provinces qui n'arrivent pas à devenir autosuffisantes, qui auront toujours besoin, semble-t-il, d'être subventionnées par d'autres provinces qui se tirent mieux d'affaire. Je pense qu'une période de transition est toujours nécessaire pour régler ce genre de problème. Cependant, la mesure ne doit pas avoir pour effet de créer un besoin à tout jamais.

Voici donc ce que j'ai à vous demander. Comment votre bureau va-t-il oeuvrer de façon efficace pour décentraliser le pays de manière à assurer son fonctionnement d'ensemble, de manière à ce que l'unité du pays ne pose plus de problème comme c'est le cas à l'heure actuelle, à tel point qu'une province menace même de partir, tellement le pays fonctionne mal?

La présidente: Monsieur Dion, votre réponse mettra un terme à notre réunion.

M. Dion: Merci.

Tout d'abord, monsieur Epp, le Canada fonctionne de façon formidable. D'après moi, le Canada est une réussite. Il ne s'agit pas d'un échec. Notre fédération fonctionne mieux que d'autres. Tout comme l'Allemagne, l'Australie et la Suède, nous sommes en mesure de dire que nous avons l'une des meilleures fédérations et, déjà, celle qui est la plus décentralisée. Mais, des améliorations sont possibles. Cependant, il me semble erroné de parler, dans notre cas, d'État centralisateur.

Nous pouvons identifier les champs d'activité où il est nécessaire de préciser les rôles respectifs des gouvernements. Vous avez parlé, par exemple, de l'environnement. Je ne connais aucun pays dont le gouvernement central, ou fédéral, n'a aucune responsabilité en matière d'environnement. En Europe, il y a des gouvernements locaux, il y a un gouvernement central, il y a Bruxelles, à qui l'on confie de plus en plus de responsabilités en matière d'environnement. Les Européens ont de la difficulté à définir clairement les rôles des divers paliers de gouvernement. Nous aussi, au Canada, nous devons définir et préciser les rôles. Et le ministre Marchi collabore de façon très efficace avec les provinces pour y arriver.

Autre exemple: ce que vous avez fait en matière de formation de la main-d'oeuvre. J'estime que les provinces auront maintenant, à la suite des négociations avec le ministre Young, toute la marge de manoeuvre nécessaire et que le gouvernement du Canada pourra mettre l'accent parmi ses responsabilités sur celles où la dimension pan-canadienne est évidente. Par exemple, dans une situation où le poisson est en voie de disparition et où il y a crise dans cinq provinces, il coule de source que le gouvernement du Canada aura la responsabilité de venir en aide aux provinces.

Nous travaillons donc à bâtir un gouvernement fédéral fort pour ce qui est des responsabilités qui le concernent, des gouvernements provinciaux forts pour ce qui est des responsabilités qui leur reviennent, et un partenariat fort entre eux.

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La présidente: Merci, monsieur Dion. Comme M. Epp l'a souligné avec tant d'éloquence, la réunion d'aujourd'hui illustre bien les défis qui sont les vôtres tous les jours. J'aimerais, au nom de la majorité des députés, vous remercier de votre franchise et du temps que vous nous avez accordé. Nous vous souhaitons des délibérations fructueuses. Elles sont importantes pour l'avenir de notre pays.

M. Dion: Merci beaucoup.

La présidente: Merci. La séance est levée.

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