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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 3 février 1997

.1544

[Français]

Le président: Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue au comité.

.1545

[Traduction]

Je suis content de vous revoir tous, pour la première fois de l'année dans le cas de certains d'entre vous. Notre séjour à Vancouver et Edmonton a été fructueux et nous en avons rapporté beaucoup de documents et d'idées. Je pense que ce voyage en valait la peine. Je voudrais remercier Paul Forseth pour nous avoir encouragés à nous rendre dans l'Ouest, ainsi que les députés libéraux, pour le rôle utile qu'ils ont joué pendant les audiences.

Des gens se sont plaints au greffier et à moi-même que l'échéance de jeudi pour les amendements était trop rapprochée compte tenu des audiences de cette semaine. Je propose que nous reportions l'échéance à lundi matin, dans une semaine, afin qu'on puisse profiter de la fin de semaine pour y réfléchir et les retoucher, puis on les remettra au greffier lundi, de sorte que nous pourrons peut-être commencer dès mardi. Cela ne veut pas dire qu'il est impossible de présenter un amendement aux derniers instants, pourvu qu'il ne soit pas l'équivalent d'un volume de l'Encyclopaedia Britannica. Il faut être souple. Mais essayons de remettre au greffier le gros, la majeure partie des amendements que nous voulons présenter - et je m'adresse en particulier aux députés de l'opposition - d'ici à lundi matin, dans une semaine.

Nous pourrions en commencer l'étude mardi et nous verrons comment les choses se passent mardi, mercredi et peut-être même jeudi. Nous siégerons certainement ces jours-là, deux ou trois fois par jour, cela dépendra, afin de progresser rapidement pendant que les événements sont encore frais dans notre esprit.

Je dois dire que j'ai été très impressionné par le témoignage de la Fédération des naturalistes de Colombie-Britannique. J'ignore pourquoi j'en garde un souvenir plus vif par rapport à d'autres, mais les arguments qu'ils ont soulevés étaient tellement perspicaces et percutants, compte tenu de l'objet de nos efforts. Je n'en dirai pas plus long maintenant. Inutile de me lancer dans un autre sermon.

Je veux seulement vous encourager à passer en revue encore une fois, quand vous en aurez le temps, bien sûr, les mémoires qui nous ont été présentés, parce qu'on y trouve d'excellentes choses. Il est indéniable que ce qui nous a été présenté dans l'Ouest était de grande qualité et mérite notre attention dans le but de renforcer le projet de loi, si possible.

Comme vous le savez, demain, le ministre comparaît devant nous et apparemment, d'après ce que me dit le secrétaire parlementaire, il a très hâte d'entendre vos points de vue et vos questions. Cela promet donc d'être intéressant.

Demain, nous recevons le ministère, mercredi nous n'avons personne et jeudi nous avons - pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste la réunion de jeudi? C'est important.

Le greffier du comité: Demain matin, ce sera le plan des exploitations agricoles écologiques de l'Ontario et Environnement Canada. Le témoin pour Environnement Canada sera M. Slater. Il vient essentiellement pour répondre à toute question que vous pourriez avoir sur ce que nous avons entendu pendant notre voyage ou sur des questions en suspens. Les gens du Plan des exploitations agricoles écologiques de l'Ontario ont demandé à comparaître; il s'agit en quelque sorte d'une récapitulation, si l'on peut dire, de la liste des témoins.

.1550

Demain après-midi, comme le président l'a expliqué, nous recevons le ministre. Jeudi, ce sera la réunion interministérielle regroupant le MAINC, Environnement Canada, Pêches et Océans et peut-être Ressources naturelles Canada. C'est pour expliquer l'intégration des activités de ces quatre ministères relativement à ce projet de loi, par exemple en ce qui a trait à l'article 40 qui traite des plans de rétablissement.

Le président: Merci.

Vous rappelez-vous ce que l'on disait à ce sujet dans le mémoire de la Fédération des naturalistes de Colombie-Britannique? On y réclamait le renforcement de l'article 4, sauf erreur, pour que le projet de loi s'applique à tous les ministères. Ce sont les seuls témoins qui ont soulevé cet argument, si ma mémoire est fidèle. Ils estimaient que les autres ministères ont un rôle à jouer.

La réunion de jeudi est particulièrement utile de ce point de vue, afin de savoir quels rôles peuvent jouer les autres ministères et de vérifier s'il serait opportun de mentionner explicitement dans le projet de loi les quatre ministères, ce que l'on pourrait appeler l'appareil fédéral.

Quoi qu'il en soit, sans plus tarder, nous souhaitons la bienvenue à M. Elgie et l'invitons à faire son exposé.

M. Stewart Elgie (membre du conseil, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

[Français]

Je vais parler en anglais aujourd'hui parce que je ne parle pas très bien le français. Je m'en excuse.

[Traduction]

Je témoigne aujourd'hui à titre de membre du conseil d'administration de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement, qui m'a demandé de comparaître en son nom. J'ai remis un bref aperçu pour ceux d'entre vous qui ne connaîtraient pas notre organisation, dont le nom anglais s'abrège en un sigle imprononçable. C'est un organisme de bienfaisance qui se consacre à la recherche de pointe dans le domaine du droit et de la politique de l'environnement et qui constitue en fait une sorte de groupe de réflexion; il a été créé en 1970. L'institut s'intéresse particulièrement à la biodiversité et à la biotechnologie. En fait, nous venons tout juste de publier un rapport donnant une compilation de la législation sur la biodiversité au Canada, ce qui est probablement un peu plus général que ce dont le comité a besoin, mais qui pourrait quand même intéresser ceux qui s'occupent de ce dossier.

Je crois savoir que le comité a entendu de très nombreux témoignages offrant des points de vue très diversifiés décrivant sous tous les angles tous les aspects possibles de ce projet de loi. Je vais essayer de ne pas être répétitif, mais j'espère que vous aurez bon nombre de questions à poser à la fin de mon exposé, afin de lancer un débat animé. Il serait peut-être plus utile que je réponde aux questions dans les domaines où le comité peut avoir entendu des témoignages contradictoires ou s'il subsiste de l'incertitude.

Pendant la plus grande partie de l'exposé que je vais faire aujourd'hui, je vais me reporter au mémoire que j'ai remis au comité. Il serait utile de l'avoir sous les yeux et, sauf erreur, le greffier en possède peut-être même des exemplaires supplémentaires pour ceux qui s'en seraient servis comme allume-feu.

Je voudrais d'abord rappeler au comité ce qui s'est passé depuis ma dernière comparution, il y a plusieurs mois.

Un sondage a été publié. Il avait été commandé par la Coalition canadienne sur les espèces en péril et mené à bien par une organisation qui s'appelle Canadian Facts Consumer Opinion Centre, l'une des maisons de sondage les plus réputées au Canada. J'ai demandé au greffier de le remettre aux membres du comité. Ce document renferme des renseignements susceptibles d'intéresser les gens qui n'ont pu être présents dans la salle de comité, les quelque 28 millions de Canadiens qui s'intéressent aussi au projet de loi.

La première question que l'on a posée portait sur l'appui général à la législation fédérale relative aux espèces en péril, et l'on constate que le taux d'appui est élevé et uniforme dans tout le Canada. Je m'excuse. Sur la photocopie, la catégorie du soutien ferme est occultée, mais c'est le chiffre de 80 p. 100 d'appui qui devrait apparaître dans la colonne de gauche. Cet appui va de90 p. 100 dans l'Atlantique à 97 p. 100 en Ontario; au Québec, il est de 93 p. 100. Dans les localités rurales, 92 p. 100 des gens appuient la législation fédérale sur les espèces en péril. À titre d'information, les localités rurales sont celles qui ont moins de 10 000 habitants.

La deuxième question - nous avons essayé de poser des questions d'actualité - était la suivante: Quand un comité de spécialistes et de scientifiques mis sur pied aux termes de la loi établit qu'une espèce est en péril, a) le gouvernement devrait-il être tenu d'inscrire cette espèce sur la liste, ou b) le gouvernement devrait-il être libre d'en décider? Il ressort du sondage que 73 p. 100 des gens estiment qu'en pareil cas, l'espèce devrait obligatoirement être inscrite, lorsque des experts scientifiques constatent qu'une espèce est en péril.

.1555

La troisième question portait sur la protection de l'habitat. Elle était formulée comme suit: La protection de l'habitat devrait-elle être obligatoire aux termes de la loi, ou bien le gouvernement devrait-il être libre d'en décider? Encore une fois, 73 p. 100 des gens ont dit estimer que la protection de l'habitat devrait être obligatoire. C'était assez uniforme d'un bout à l'autre du pays, et le niveau est identique en régions rurales. Là aussi, 73 p. 100 des répondants pensaient que la protection de l'habitat devrait être obligatoire.

La quatrième question était de savoir si la protection de l'habitat devrait viser uniquement les terres fédérales ou bien toutes les zones habitées par une espèce donnée. À cette question, 84 p. 100 des répondants ont dit que la protection devrait viser tous les endroits où l'espèce en question habite. En régions rurales, 83 p. 100 pensent que la loi doit s'appliquer non seulement aux terres fédérales, mais à tout le territoire habité par une espèce. Le pourcentage de réponses est à peu près uniforme d'un bout à l'autre du pays.

La dernière question portait sur les compétences des divers gouvernements. On a dit aux gens que de nombreuses espèces traversent la frontière canado-américaine et on leur a demandé quel gouvernement devrait avoir la responsabilité primordiale de la protection de ces espèces frontières. Et 75 p. 100 ont répondu que ce devrait être le gouvernement fédéral. Le pourcentage est assez uniforme et j'ajoute que les Québécois étaient d'accord, dans une proportion de 74 p. 100

Les résultats de ce sondage peuvent donner matière à réflexion au comité. J'ai inclus un autre sondage, que je ne vais pas décrire en détail, qui a été fait à la fin de 1995 par la société Angus-Reid et qui était intitulé L'appui du public à la législation fédérale sur les espèces en péril. J'attire seulement l'attention des membres du comité sur la dernière page du rapport. Il est intéressant de remarquer que si l'on demande à quelqu'un s'il appuie, de façon abstraite, une mesure législative sur la protection des espèces en péril, cette personne répond oui, mais si l'on précise la question en disant que l'espèce en question habite la terre du répondant, on obtient alors une réponse différente.

Angus Reid a justement posé cette question à la fin de 1995. On a posé la question seulement aux gens qui habitent à la campagne ou dans de petites localités et l'on a constaté que 92 p. 100 des Canadiens des régions rurales seraient disposés à laisser une partie de leurs terres dans l'état naturel pour protéger des espèces en péril. La plupart des répondants ont dit qu'ils étaient disposés à renoncer à autant de terre qu'il faudrait. Pour la plupart, la proportion oscillait entre 5 p. 100 et25 p. 100 des terres qu'ils étaient disposés à laisser à l'état naturel pour protéger les espèces en péril. Si l'on offrait une compensation, le pourcentage de personnes qui étaient d'accord augmentait légèrement, mais seulement d'environ 2 p. 100. Donc, alors que certains seraient plus favorables à cette idée si on leur offrait une compensation, il ressort globalement - et je pense que cela n'étonnera personne - que les Canadiens des régions rurales sont tout à fait d'accord pour protéger les espèces en péril de façon générale et sont assurément désireux de contribuer à cet effort.

Voilà donc pour les résultats des sondages.

J'ai su que le comité s'était déplacé et avait entendu un bon nombre d'intervenants se prononcer dans un sens ou dans l'autre sur le projet de loi et j'ai pensé que je pourrais peut-être aborder rapidement deux points. S'il y en a d'autres, on pourrait y revenir pendant la période des questions.

Premièrement, une question qui a presque pris les proportions d'un mythe. Certains disent qu'il suffit de voir tous les problèmes entourant la loi américaine de protection des espèces en péril pour comprendre que nous ne devrions pas adopter une telle loi au Canada. J'ai deux réponses à cela. Premièrement, nous n'adoptons pas la Endangered Species Act des États-Unis, et personne ne propose de le faire. Le projet de loi adopte une approche plus préventive, tandis que la loi américaine met plutôt l'accent sur une approche que l'on pourrait appeler de dernier recours.

Mais il y a un autre point qui est susceptible d'intéresser le comité, et j'ai inscrit certains chiffres au dos de l'un des documents que je vous ai fait remettre. Au recto, on énumère les questions clé relativement à la loi sur les espèces en péril et au verso, on donne quelques chiffres comparatifs entre les États-Unis et le Canada.

J'ai pratiqué le droit environnemental aux États-Unis à la fin des années 80 et je connais donc assez bien le dossier. Il est vrai que les États-Unis ont connu plus de difficultés ou de problèmes, ou même parfois des conflits, dans la foulée de leur Endangered Species Act, en comparaison de la situation au Canada, mais la cause de ces problèmes, ce n'est pas la Endangered Species Act, mais plutôt la situation des espèces en péril aux États-Unis.

J'ai donc indiqué les chiffres dans ce tableau. Aux États-Unis, il y a 835 espèces en voie de disparition, tandis qu'au Canada, il n'y en a que 65.

.1600

Puis-je poursuivre, monsieur le président?

Le président: Oui, allez-y. C'est peut-être un problème de quorum, nous l'ignorons pour l'instant.

M. Elgie: Quoi qu'il en soit, aux États-Unis, 835 espèces sont dans la catégorie des espèces en voie de disparition; au Canada, il y en a 65. Aux États-Unis, 214 espèces sont menacées; au Canada, 65 espèces sont menacées. Donc, en supposant que les deux pays ont une superficie du même ordre de grandeur, on peut conclure que le problème est beaucoup plus grave chez eux.

L'autre point qu'il vaut la peine de mentionner, c'est que proportionnellement, la grande majorité des espèces en péril aux États-Unis sont dans la catégorie des espèces en voie de disparition, c'est-à-dire qu'elles sont dangereusement proches de l'extinction. La majorité des espèces canadiennes qui sont en péril sont dans la catégorie des espèces menacées ou vulnérables, ce qui veut dire qu'elles sont engagées dans la voie menant à la disparition, mais qu'elles ne sont pas encore au seuil de l'extinction.

Il importe de signaler qu'il y a plus d'options dans le cas des espèces qui sont dans les catégories menacées et vulnérables. Quand une espèce est en voie de disparition, il faut souvent choisir entre tout arrêter ou sauver la vie de cette espèce. Dans la plupart des cas, le Canada peut adopter une approche plus préventive, en comparaison des États-Unis, qui doivent prendre des mesures de dernier recours.

À mon avis, la leçon qui ressort le plus clairement de la loi américaine, et j'espère que le Canada retiendra cette leçon, c'est que les États-Unis ont attendu longtemps, trop longtemps, avant de prendre des mesures efficaces pour s'attaquer à son problème d'espèces en péril et qu'en conséquence, ce pays se retrouve devant un éventail de choix plus restreints. J'exhorte le gouvernement et le comité à adopter une mesure législative qui s'attaque à notre problème d'espèces en péril au moment où ce problème est encore d'une ampleur raisonnable au Canada. Si nous attendons encore cinq ou dix ans, nous aussi, nous aurons des centaines d'espèces en péril et un plus grand nombre de ces espèces seront non plus dans les catégories menacées et vulnérables, mais bien dans la catégorie des espèces en voie de disparition, où les options sont plus limitées. Donc, à bien des égards, nous avons la bonne fortune de ne pas avoir les mêmes problèmes que les États-Unis.

Le deuxième point concerne les craintes que l'on a exprimées quant aux conséquences du projet de loi pour les propriétaires fonciers privés. Je ne m'étendrai pas là-dessus, à moins que l'on ait des questions à me poser, sinon pour dire que les résultats du sondage montrent à coup sûr que l'appui au projet de loi est généralisé et que les Canadiens des régions rurales sont même tout à fait disposés à protéger les espèces en péril sur les terres privées. Ce projet de loi, dans sa forme actuelle, n'ajoutera pratiquement pas aux obligations juridiques qui existent déjà aux termes d'autres lois fédérales en matière de protection des oiseaux migrateurs ou de l'habitat du poisson, bien qu'il y ait quelques petits changements mineurs.

Quatre provinces ont des lois sur les espèces en péril depuis longtemps - 25 ans dans le cas de l'Ontario - et ces lois comportent la protection obligatoire de l'habitat. Il y a eu étonnamment peu de cas - en fait ils ont été très, très rares - où ces lois ont posé un véritable problème aux propriétaires fonciers. À ma connaissance, il n'y a eu qu'un ou deux cas et je soupçonne que le règlement de zonage municipal moyen suscite beaucoup plus de problèmes que cela en l'espace d'un mois ou deux lorsque des modifications lui sont apportées.

Enfin, au groupe de travail, nous avons essayé d'apporter une certaine souplesse à la loi afin d'accommoder non seulement les propriétaires fonciers, mais aussi les autres utilisateurs des terres, en leur donnant la souplesse voulue, dans le cadre du processus de permis et d'accords qui permet au ministre responsable de lever toute interdiction, pourvu que les gens prennent des mesures raisonnables d'atténuation.

Je prétends donc que la loi doit s'appliquer aux espèces en péril dans toutes les régions du Canada et non pas seulement dans le territoire domanial.

En réfléchissant à toutes les objections que l'on a soulevées, notamment au fait que ce projet de loi pourrait nuire à des intérêts fort divers, il y a une chose qui m'est venue à l'esprit. Je me suis dit qu'il est important de ne pas perdre de vue le but du projet de loi. Je songeais aux propos de Nietzsche, quand il a dit que la plus grande stupidité, c'est de perdre son objectif de vue. En l'occurrence, ce que nous essayons de faire, c'est de protéger les espèces en péril et nous devrions le faire de la façon la plus efficace et juste possible, sans pour autant sacrifier l'objectif pour éviter de buter sur certains petits obstacles.

Une loi sur les espèces en péril doit faire fondamentalement trois choses et il suffirait en fait d'avoir un projet de loi comportant trois articles: premièrement, il faut recenser les espèces en péril; deuxièmement, il faut empêcher qu'on l'on tue ou blesse les individus de cette espèce; et troisièmement, il faut protéger leur habitat. Si l'on fait ces trois choses, c'est la formule pour sauver les espèces en péril. Tout le reste, ce sont des détails, le superflu qui s'ajoute à l'accessoire.

.1605

Dans mon mémoire, je signale que ce projet de loi est très bon pour ce qui est du deuxième élément, à savoir empêcher de tuer ou de blesser les individus d'une espèce en péril. Pour ce qui est du recensement des espèces et de leur désignation, le projet doit être renforcé. Quant à la protection de l'habitat, je ne donnerais pas la note de passage au projet, dans sa forme actuelle.

Je voudrais maintenant passer en revue à l'intention du comité certaines des plus importantes recommandations que je formule dans mon mémoire, après quoi nous pourrons avoir une discussion générale. Je répète que j'encourage les députés à poser des questions précises, le cas échéant.

Le président: Oui, il y aura des questions, monsieur Elgie, et je vous demanderais donc d'accélérer, afin que nous ayons davantage de temps.

M. Elgie: Bien sûr. Combien de temps m'accordez-vous, monsieur le président?

Le président: C'est à vous d'en juger.

M. Elgie: Je vais donc essayer de suivre... J'ai énuméré dans mon document sept questions clés ayant trait au projet de loi sur les espèces en péril. Je vais essayer de structurer mes observations en fonction des articles du projet de loi se rapportant à chacune de ces questions. Je crois qu'il y a là une certaine logique, du moins je l'espère, et je commencerai par les espèces qui sont visées, après quoi j'expliquerai comment ces espèces sont protégées.

Le premier point est de savoir quelles espèces ou quels secteurs sont visés par le projet de loi. Je renvoie les membres du comité à plusieurs articles. D'abord, le paragraphe 3(2); les observations à ce sujet figurent à la page 26 de mon mémoire.

Le paragraphe 3(2) stipule que le projet de loi s'applique aux oiseaux migrateurs et à leur habitat qui sont protégés par la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. À ce sujet, je dirai simplement que le libellé actuel n'est pas du tout clair. C'est ambigu et cela pourrait être interprété de manière à dire que l'habitat des oiseaux migrateurs n'est pas protégé. La Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs prévoit une certaine protection de l'habitat, mais ce n'est pas une protection complète, tout au moins pas dans le règlement. Je recommande que l'on apporte des précisions; autrement, on pourrait se retrouver avec la situation très bizarre où les oiseaux migrateurs sont protégés en ce sens qu'il est interdit de les tuer ou de les chasser, mais ils ne seraient pas protégés contre la principale menace qui les met en péril, de sorte que la loi ferait très peu pour protéger une espèce quelconque d'oiseaux migrateurs au Canada.

À mon avis, il est indéniable que la protection pleine et entière des oiseaux migrateurs relève des compétences constitutionnelles du gouvernement fédéral et c'est d'ailleurs la simple logique, sur le plan de l'élaboration des politiques. Si le gouvernement fédéral compte s'attaquer au problème, il devrait s'attaquer au véritable problème et le faire efficacement.

De plus, il y a certaines espèces d'oiseaux migrateurs qui ne sont pas visées par la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs: les oiseaux de proie, les faucons, les éperviers, les aigles, etc. Il suffirait simplement de dire «les oiseaux migrateurs et leur habitat», c'est-à-dire la même formule que pour le poisson.

Le paragraphe 3(3) est le suivant, à la page 28 de mon mémoire. Il porte sur l'application dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. D'après ce que l'on dit dans le Globe and Mail, les autorités du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest ont comparu à ce sujet devant le comité.

Je voudrais apporter d'abord une précision au sujet des pouvoirs des territoires. Aux termes de la Loi sur le Yukon et de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, les gouvernements territoriaux sont chargés de la gestion du gibier sauvage. Mais il y a deux choses importantes que les gouvernements territoriaux ne peuvent pas faire et qui sont la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Premièrement, ils ne peuvent pas protéger l'habitat, c'est-à-dire le territoire domanial du Nord, qui représente - je n'ai pas vu les plus récentes données postérieures aux revendications territoriales - plus de 95 p. 100 et parfois jusqu'à 98 ou 99 p. 100 du territoire dans le Nord. La protection de l'habitat doit être assurée par le gouvernement fédéral, sinon il y aura une lacune dans le Nord.

Deuxièmement, l'application aux espèces sauvages autres que le gibier, y compris la totalité des plantes. J'ignore où se situe la ligne de démarcation dans le règne animal entre le gibier et les autres espèces, et je m'en excuse, mais les gouvernements territoriaux sont seulement chargés de réglementer la chasse au gibier. Je trouve donc que le paragraphe 3(3) a une portée un peu trop vaste actuellement. En effet, le paragraphe 3(3) permet au gouverneur en conseil de faire en sorte que la loi ne s'applique pas dans le Nord, là où il existe une loi équivalente des gouvernements territoriaux, et les gouvernements territoriaux ne sont pas habilités à adopter des lois qui sont l'équivalent complet de ce projet de loi.

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Je recommande de réduire la portée de ce pouvoir de retrait fédéral en le limitant à la gestion du gibier et simplement à l'application de l'article 31 du projet de loi. L'article 31 interdit de tuer certaines espèces ou de leur nuire directement et c'est vraiment cette disposition qui peut faire double emploi avec une loi en vigueur dans le Nord en ce qui a trait au gibier et à la chasse.

Heureusement, il y a actuellement dans le Nord relativement peu d'espèces en voie de disparition, surtout parce qu'il y a moins de 100 000 habitants dans ce territoire qui représente55 p. 100 du Canada. Mais je recommande fortement que l'on profite de l'occasion pour empêcher que cette liste ne s'allonge. Certaines espèces sont en péril à cause de la destruction de leur habitat, d'autres parce que l'on fait la chasse, d'autres encore à cause de la pollution et de l'empoisonnement. Les trois types de menaces existent dans cette région et les gouvernements territoriaux ne disposent actuellement d'aucune loi sur les espèces en péril.

J'exhorte donc le gouvernement fédéral à faire en sorte que la loi s'applique dans le Nord. Sous réserve de la chasse à certaines espèces de gibier... si jamais les gouvernements territoriaux adoptent une loi pour protéger ces espèces en voie de disparition, le gouvernement fédéral pourra se retirer de ces secteurs.

Le dernier point que je veux aborder quant aux espèces visées par le projet de loi est l'article 33. À l'heure actuelle, le projet traite des espèces aquatiques, de certains oiseaux migrateurs, mais peut-être pas de leur habitat, et des espèces qui habitent sur le territoire domanial. Pour la plupart, ces espèces sont déjà protégées aux termes d'autres lois fédérales qui sont l'équivalent de ce que ce projet de loi leur offre. La Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs interdit d'enlever des nids d'oiseaux ou de les troubler. La Loi sur les pêches protège contre les prises directes ou la destruction de l'habitat. La législation sur l'aménagement du territoire fédéral, qu'il s'agisse de la Loi sur les parcs, sur la faune ou même de la Loi sur les terres territoriales dans le Nord, protège contre la destruction de l'habitat.

Le seul endroit où ce projet de loi constitue une amélioration sensible par rapport au statu quo, ou en tout cas une amélioration potentielle, c'est à l'article 33 qui étend l'application de la mesure aux espèces qui traversent la frontière canado-américaine, qui migrent dont le domaine vital chevauche la frontière. Cela découle d'une recommandation du groupe du travail et je crois qu'il y a une certaine confusion à ce sujet. Cette recommandation est l'article 10.1.1 du rapport du groupe du travail, si quelqu'un veut prendre la peine de s'y reporter, où l'on dit que le gouvernement fédéral doit avoir le pouvoir de protéger les espèces que les deux pays se partagent ou qui migrent de part et d'autre de la frontière.

La justification de cette recommandation était simplement que les gouvernements provinciaux ne peuvent à eux seuls protéger les espèces qui vont et viennent de part et d'autre de leurs frontières. Il faut une action internationale ou interprovinciale pour protéger ces espèces et seul le gouvernement fédéral a compétence en la matière. Cela ne veut pas dire qu'il doit être le seul à agir, mais il a assurément un rôle à jouer et ce doit être un rôle de chef de file dans le cas de la protection des espèces frontalières.

Dans son libellé actuel, l'article 33 - je suis certain que le comité l'a déjà entendu dire - doit absolument, à mon avis, être renforcé, parce qu'à l'heure actuelle, c'est tout à fait optionnel. Le gouvernement fédéral peut adopter des règlements pour protéger les espèces frontalières, mais il peut aussi ne pas le faire, et je soutiens que cela correspond au pire scénario possible. Cela crée la possibilité que le gouvernement fédéral adopte des règlements dans une province où il existe déjà une loi équivalente en vigueur, ce qui serait superflu. Cela crée aussi la possibilité que le gouvernement fédéral décide de ne pas adopter de règlement dans une province où il n'existe pas de loi équivalente en vigueur. On pourrait donc voir des situations où il y a deux séries de règlements et d'autres où il n'y en a aucun.

Je recommande donc que le comité modifie cette disposition, pour que des règlements soient adoptés, mais en même temps pour adopter un système d'équivalence comparable par exemple à celui de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, prévoyant qu'il n'y ait pas de conflit de compétence avec les provinces qui ont déjà une législation équivalente à la fédérale dans les domaines en question. De ce fait les espèces frontalières seraient protégées, dans tout le Canada, par une législation d'un palier de gouvernement ou de l'autre, ce qui est bien la finalité de tout cela.

Voilà donc les trois questions que je voulais soulever à propos de mon premier point «les espèces protégées». Je vais essayer d'être aussi rapide que possible, et de tenir compte des souhaits du président.

Mon deuxième point concerne la constitution de la liste. Une fois qu'il a été décidé qu'une espèce mérite la protection de la loi, et qu'elle a été inscrite sur la liste d'admissibilité, la question se pose ensuite de savoir si elle va être inscrite sur la liste finale. Je parle de l'article 30. L'article 30 ne s'en remet pas aux recommandations du groupe de travail. Celui-ci avait recommandé que l'on s'en tienne, pour la liste, aux décisions du COSEPAC. L'article 30, par contre, dispose que le gouverneur en conseil «peut», par règlement, établir une liste des espèces en péril.

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L'inconvénient, bien sûr, c'est qu'il peut aussi décider de ne rien faire. L'on sait quel piètre résultat l'on a obtenu dans les provinces où le cabinet a un pouvoir discrétionnaire comparable. On attend toujours, au Québec, la première espèce qui sera inscrite sur la liste, alors que les dispositions législatives sont en vigueur depuis six ans. L'Ontario n'a inscrit que 17 espèces sur les 50 indiquées par le COSEPAC, comme étant en voie de disparition ou menacées.

Alors qu'il y a une liste du COSEPAC à la constitution de laquelle les autorités participent pour la désignation des espèces en péril de la province, selon un processus tout à fait semblable à celui du projet de loi - sauf peut-être pour le site Internet - cette liste n'a pas permis, en dépit de tout ce que l'on sait et des responsabilités légales des gouvernements, de dresser une liste des espèces en péril complète et scientifiquement fondée. Pourtant la liste est à la base de tout ce processus. La crédibilité de la loi dépendra de l'existence d'une liste aussi complète que possible.

Cette inscription des espèces sur la liste, par le gouverneur en conseil, doit donc être obligatoire, et je recommande au comité de le demander, en assortissant sa recommandation d'une limite de temps. Autrement dit, cette décision d'inscription sur la liste doit être prise dans les 60 jours, par exemple, suivant la désignation de l'espèce par le COSEPAC.

J'aurais encore deux choses à ajouter. D'une part, une question particulièrement importante semble avoir échappé à toutes les instances concernées: que faisons-nous en effet des 275 espèces en péril que le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada vient de passer 20 ans à répertorier? Il est bien sûr absurde de vouloir recommencer tout à zéro, et de passer encore 20 ans pour aboutir à la désignation de ces mêmes espèces. J'exhorte donc le comité à faire ajouter en annexe au projet de loi la liste actuelle du CSEMDC

C'est d'ailleurs ce qui s'est fait en Australie lorsque l'on y a adopté en 1992 une législation nationale sur la protection des espèces en péril. C'est également ce que propose le projet de loi d'initiative parlementaire qui a été déposé à la Chambre. Dans les deux cas, une liste est déjà jointe en annexe. Cela éviterait que nous ne repassions encore 20 ans à réexaminer les désignations.

À ce propos, j'ajouterais que si pour l'une ou deux des espèces de la liste l'on éprouvait le besoin de réexaminer leur situation, le projet de loi permet que le COSEPAC réexamine toutes les inscriptions sur la liste dans les 10 ans. Le comité pourrait alors recommander que l'on donne la priorité aux espèces qui n'ont pas encore fait l'objet de ce réexamen, dans les dix années écoulées ou plus, pour être sûr que la liste correspond bien à la situation actuelle.

Je sais également parfaitement que certains sont partisans de donner au gouverneur en conseil toute cette latitude et marge de manoeuvre. Je ne suis pas de ceux-là, non plus d'ailleurs que les membres du groupe de travail. Si le comité décide de s'en tenir à ce que propose le projet de loi, je lui demanderais alors deux choses: d'abord, que l'on impose un délai à la prise de décision et deuxièmement, que le gouverneur en conseil donne au COSEPAC les motifs de sa décision, puisque le comité aura à réexaminer la liste des espèces à un moment ou à un autre.

Si le gouverneur en conseil décide de ne pas inscrire une espèce sur la liste, ça n'empêchera pas l'espèce en question de figurer ultérieurement sur cette liste aussi longtemps qu'elle existera. Le COSEPAC va probablement réexaminer la décision à cet égard et aura besoin de connaître les raisons scientifiques qui motivent le rejet de l'espèce. Je vous prie donc instamment d'exiger qu'on fournisse les raisons scientifiques de la non-désignation d'une espèce lorsque le gouverneur en conseil en décide ainsi.

En troisième lieu, dans quelle mesure la loi protège-t-elle vraiment les espèces de préjudices directs? Eh bien, à notre avis, le projet de loi est assez satisfaisant à cet égard. Je n'entrerai pas dans les détails.

L'article 31 interdit de nuire à une espèce inscrite ou de la tuer. Il n'interdit pas cependant de la déranger, et le groupe de travail recommandait pourtant une mesure en ce sens. Il n'y est pas question non plus des espèces disparues au Canada, ni des tentatives d'abattre un individu. Ainsi par exemple si une tentative échoue parce qu'on rate la cible, celui ou celle qui a posé le geste ne commet pas d'infraction selon le projet de loi, tandis que les quatre lois provinciales englobent ces circonstances.

De même, à l'alinéa 33a), il est question des préjudices directs causés aux espèces frontalières. Là encore, il n'est pas question des gestes qui dérangent une espèce ni des espèces disparues au Canada, mais pour une raison qui m'échappe, on a inséré dans cette disposition le terme «intentionnellement». Cela veut donc dire que seul le fait de «tuer intentionnellement» est interdit. Or il s'agit là de l'un des critères les plus exigeants en droit pénal pour ce qui est de la preuve. L'Ontario a adopté ce même critère et a constaté qu'il lui était pratiquement impossible de poursuivre ceux qui avaient nuit directement à des espèces en voie de disparition ou qui en avaient tué des individus. Je vous prie donc de supprimer ce terme. Il n'a pas de raison d'être.

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Quatrièmement, l'aspect le plus important est probablement celui de la protection de l'habitat. Si nous voulons résoudre le problème des espèces en péril, il faut que nous corrigions ce qui ne va pas, et dans 80 p. 100 des cas il s'agit de la destruction de l'habitat.

Je ne vais pas parcourir tout ce qui est prévu à cet égard dans le projet de loi; vous trouverez ce que j'en pense à la page 66 de mon mémoire. À mon avis, il s'agit d'une approche assez compliquée avec ses trois étapes.

En premier lieu, on prévoit un plan de rétablissement, qui intervient entre un an et deux ans après l'inscription sur la liste par le cabinet, mais seulement si on estime que c'est faisable. Cela veut donc dire qu'on attendra entre un an et deux ans pour que le plan de rétablissement soit amorcé.

À la deuxième étape, il faudra qu'on attende 150 jours après la publication dans la Gazette du Canada pour obtenir un rapport de mise en oeuvre.

Enfin, en vertu de l'article 42, on risque d'attendre indéfiniment que le ministre adopte les règlements de mise en oeuvre. De plus, ces mêmes règlements sont facultatifs. Le ministre n'est pas obligé de les adopter pour mettre en oeuvre les exigences en matière de protection de l'habitat dans le cadre d'un plan de rétablissement.

Donc si on parcourt le labyrinthe que constitue ce projet de loi, tout au moins en ce qui concerne l'habitat, on constate qu'entre deux ans et demi et trois ans et demi après l'inscription sur la liste, dans le cas où l'on recommande de protéger l'habitat dans le cadre d'un plan de rétablissement, le ministre peut décider ou non d'adopter des règlements de mise en oeuvre. Autrement dit, on décidera peut-être de protéger l'habitat.

Il me paraît important de rappeler que les quatre lois provinciales concernant les espèces en péril interdisent strictement la destruction de l'habitat de toutes les espèces en péril ou menacées qui figurent sur les listes prévues par ces mêmes lois. Les mêmes dispositions interdisent automatiquement que l'on tue les individus de l'espèce ou que l'on dérange son habitat. On trouvera ma pensée sur cette question à la dernière page de mon mémoire, si vous avez la patience de vous y rendre.

J'y ai cité les articles de chacune des lois que je viens d'évoquer. L'approche des provinces qui ont choisi cette orientation n'a certainement pas été ni trop lourde ni trop stricte. À mon avis c'est l'approche la plus efficace.

Je précise que la Loi sur les pêches adopte la même approche, ce qui veut dire que si le projet de loi dont vous êtes saisi est adopté, les espèces de poissons qui ne sont pas en péril verront leur habitat davantage protégé en vertu de la Loi sur les pêches que celui des espèces en péril le sera aux termes de ce projet de loi.

Quant à la solution, il y a selon moi deux moyens de protéger l'habitat. On pourrait d'abord modifier l'article 32 de manière à interdire de détruire ou de perturber non seulement la résidence d'une espèce inscrite mais aussi son habitat essentiel. C'est de loin l'approche la plus simple et aussi la plus efficace. Nul besoin ainsi d'attendre deux ans et demi pour résoudre un problème qui est presque toujours grave, ni de s'exposer à l'incertitude et aux dépenses que représente la prise de règlements pour chacune des espèces figurant sur la liste du COSEPAC. C'est un gaspillage de l'argent des contribuables et une perte de temps pour le gouvernement que de devoir adopter à nouveau des règlements au cas par cas.

À mon avis, il faudrait aussi apporter des amendements analogues à l'article 33 où il est question des espèces frontalières. On interdit déjà de les maltraiter ou de détruire leur résidence, mais là n'est pas le principal obstacle à leur survie. La chouette des terriers a besoin d'un habitat tout comme le renard véloce. Il faudrait donc ajouter à l'article 33 une interdiction de détruire l'habitat outre celle de détruire la résidence.

La deuxième solution qu'on peut proposer pour protéger l'habitat - et à mon avis la plus lourde - est d'exiger des mesures de protection de l'habitat dans le cadre d'un plan de rétablissement. On trouvera les moyens à prendre pour y arriver dans mon mémoire, je ne vais donc pas m'y arrêter ici, mais la modification qui s'impose le plus concerne l'article 42(1). On trouvera cela à la page 69 de mon mémoire.

D'abord si on cherche à protéger l'habitat, il faut que l'article 42(1) précise que le ministre adoptera des règlements pour mettre en oeuvre les plans de rétablissement. Je recommande aussi une échéance obligatoire à cet égard sinon le ministre pourrait attendre indéfiniment.

Ensuite la disposition en question pourrait préciser que les règlements interdiront la destruction de l'habitat de l'espèce; grâce à cette exigence, on réussirait donc à protéger l'habitat dans le cadre d'un plan de rétablissement.

Enfin, bien que le projet de loi protège effectivement les résidences, la définition qu'il donne de ce terme est circonscrite à une tanière, à un nid ou à un endroit habituellement occupé par l'espèce. Or les membres du comité n'ignorent certes pas que bon nombre d'espèces ne s'installent tout simplement pas dans un nid ou une tanière. Il n'est donc pas justifié sur le plan écologique de circonscrire ces lieux. À titre d'exemple, les caribous et les bisons ne vivent pas dans l'équivalent de tanières ou de nids.

.1625

En outre, même dans le cas d'espèces ayant une tanière ou un nid, ce lieu n'est pas leur résidence au sens biologique. Cela correspond à la chambre à coucher des êtres humains où l'on ne passe que trois mois de l'année et ne tient pas compte du reste de la maison ni du quartier dont on a besoin pour répondre à des besoins essentiels. Je vous prie donc instamment de revoir la définition de la résidence afin qu'elle reflète la réalité écologique des espèces.

Cinquièmement, y a-t-il des exceptions? L'article 36 en prévoit qui interviennent automatiquement dans le cas d'activités liées à la sécurité nationale ou lorsqu'il s'agit de protéger la santé des végétaux et des animaux. À cet égard, le groupe de travail recommande que l'exception n'intervienne automatiquement que dans les cas d'urgence.

Le raisonnement qui sous-tend l'exception semble le suivant. Dans les cas où une maladie se déclare dans une espèce ou une culture, on n'a pas suffisamment de temps pour passer par toutes les étapes habituelles: les requêtes de permis, les réexamens et les consultations. Il faut agir rapidement. Ces raisons semblent sensées et ont été appuyées par tout le monde y compris la Fédération canadienne de l'agriculture qui faisait partie du groupe de travail. Nous recommandons donc d'accorder une exemption automatique seulement dans les cas d'urgence.

Je recommande donc qu'on revoit le libellé des paragraphes 1 et 2 de l'article 36 afin d'accorder cette exemption seulement lorsqu'il faut agir de toute urgence. En dehors de ces circonstances, rien ne justifie qu'on échappe aux exigences de la loi, autrement dit, qu'on accorde d'emblée la priorité aux plantes ou aux animaux sur une espèce en péril au Canada. À mon avis, cela ne se justifie pas, et ce libellé pêche par excès de zèle.

Le paragraphe 2 de l'article 46 porte sur les accords et les permis. À mon avis, il s'agit de la disposition la plus importante du projet de loi car c'est à elle qu'on se reportera lorsqu'il s'agira d'équilibrer nos besoins de mise en valeur et notre souci de protéger les espèces car les articles qui interdisent certaines choses forceront simplement le citoyen à obtenir un accord ou un permis. C'est donc lorsqu'on rédigera ces accords et ces permis que l'on devra prendre des décisions qui affecteront la protection écologique. Si les interdictions automatiques figurent dans le projet de loi c'est parce qu'il comporte une marge de manoeuvre dans le cas des permis.

J'ai fait quelques recommandations à la page 74. Selon l'une d'elles lorsqu'il délivre un permis, que le ministre exige non seulement d'envisager des solutions de rechange raisonnables mais aussi de les adopter. En second lieu, selon le libellé actuel, l'activité visée ne devra pas compromettre la survie de l'espèce car l'objet du projet de loi est la survie et le rétablissement d'une espèce. On devrait toutefois modifier la disposition afin que l'activité ne compromette ni la survie ni le rétablissement de l'espèce.

L'article 47 qui envisage l'octroi de permis semblables en vertu d'autres lois devrait être amendé en conséquence.

Le sixième point sur lequel nous aimerions insister est celui de la révision anticipée. Cela veut dire tout simplement que lors de la planification d'un projet, on tiendra compte des besoins des espèces données. Si on s'en soucie dès l'élaboration du projet, dans la plupart des cas il y aura moyen de le concevoir ou de le modifier pour qu'il soit compatible avec la survie de l'espèce. C'est ainsi que la loi américaine a obtenu ses plus beaux fleurons car même si on n'en parle pas beaucoup, dans99,9 p. 100 des cas de projets aux États-Unis, on a été en mesure de les mettre en oeuvre même lorsqu'il y avait risque de nuire aux espèces en péril grâce à ce processus de révision anticipée. Dans certains cas, il a fallu apporter de petites modifications, mais l'essentiel c'est que les projets ont pu aller de l'avant et le plus souvent avec très peu ou pas de modifications.

.1630

Je recommande donc vivement au comité de chercher à incorporer dans le projet de loi la révision préalable. On pourrait aisément le faire en modifiant les règlements relatifs à la liste qui découlent de la Loi sur l'évaluation environnementale afin que toutes les décisions entraînant un permis déclenchent automatiquement ce genre de révision. On trouvera des recommandations à cet égard dans mon mémoire sur la façon de procéder. Je ne vais pas m'y arrêter maintenant ici en raison du peu de temps à ma disposition.

En dernier lieu, j'aimerais parler de la mise en vigueur. Je féliciterais le gouvernement s'il tenait la promesse électorale qu'on trouve dans un document pré-électoral où il s'engageait à fournir aux citoyens canadiens la possibilité de faire appliquer les lois environnementales grâce à une initiative privée. Or le projet de loi dont vous êtes saisi prévoit ce genre de requête de la part d'un citoyen seulement en dernier recours.

À mon avis, il faudrait renforcer cette disposition. Quatre gouvernements au Canada ont déjà adopté des lois permettant aux citoyens d'intenter des poursuites pour ces raisons: il s'agit du Québec, de l'Ontario, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Grâce à ces lois, le citoyen peut lancer une action en justice afin de forcer la mise en vigueur de n'importe quelle loi environnementale et pas seulement celles qui protègent les espèces en péril. Ce genre de loi est en oeuvre depuis près de 20 ans au Québec.

Or dans cette dernière province, ce genre de loi a donné lieu à moins de 10 p. 100 de poursuites privées en 20 ans bien que je ne connaisse pas les chiffres exacts. À ma connaissance, aucune de ces actions en justice n'a eu de conséquences importantes pour les propriétaires. Le Québec a aussi une loi sur la protection des espèces en péril qui interdit la destruction de l'habitat, ce qui permet donc aux citoyens de s'adresser aux tribunaux pour chaque destruction d'habitat, tout comme c'est le cas en Ontario.

L'indice le plus sûr nous permettant de savoir si la disposition prêtera le flanc à des abus est le passé récent des quatre provinces et territoires qui ont adopté des textes semblables, or on n'y a observé aucun cas d'excès de zèle. En fait, la plupart des gens estiment qu'on n'y a pas eu suffisamment recours.

Par ailleurs, si on compare ce projet de loi aux quatre autres dont j'ai parlé, celui-ci est le plus faible des cinq lorsqu'il s'agit de permettre aux citoyens d'intervenir. En effet, si un particulier veut intenter une poursuite, il doit demander qu'on tienne une enquête, puis attendre la réponse que lui fera le gouvernement et le jugement que le tribunal portera sur cette réponse gouvernementale. Ce n'est que dans le cas où cette réponse est jugée déraisonnable que le citoyen pourra alors lancer son action en justice.

Trois des quatre territoires et provinces n'exigent même pas qu'on demande la tenue d'une enquête. On accorde tout simplement le droit d'appliquer la loi. L'Ontario quant à elle exige la tenue d'une enquête mais fait exception dans le cas où il y a menace imminente pour l'environnement ou menace de préjudice imminent. Cela exempte le citoyen de demander une enquête pendant que les torts sont en train d'être commis car autrement, on risquerait d'obtenir la réponse une fois que le mal est fait. Selon la Loi ontarienne, lorsqu'il y a risque imminent de préjudice, on peut lancer une action en justice sans attendre les résultats d'une enquête et un groupe de travail écologique mis sur pied par l'industrie en Ontario qui a rédigé la déclaration des droits de l'environnement de l'Ontario était d'accord avec cette façon de procéder. Je vous recommande donc vivement d'amender ce projet de loi dans le même sens.

Il y a encore d'autres amendements importants concernant la disposition d'application mais je n'en parlerai pas maintenant. Je les aborde dans mon mémoire et on pourra les aborder à la période des questions. Je dirai cependant qu'il s'agit d'un article très important. En effet, c'est le seul mécanisme dont on dispose pour vérifier si la loi est appliquée. Sans la possibilité pour le citoyen d'intenter une poursuite, il n'y a pas d'autre moyen de garantir qu'une loi est appliquée et qu'elle n'est pas simplement laissée de côté.

Il s'agit d'un dernier recours et on ne s'en servira que lorsque le gouvernement après enquête aura décidé de ne pas agir et qu'on estime cette abstention inacceptable. Toutefois, ce dernier recours est extrêmement important.

En conclusion, je tiens à féliciter le gouvernement du Canada d'avoir pris une telle initiative car le besoin s'en fait vraiment sentir. Je tiens même ce projet de loi pour la plus importante initiative environnementale prise par ce gouvernement. Il constitue en effet une amélioration par rapport aux propositions législatives de 1995 et reflète certainement davantage les recommandations présentées par le groupe de travail.

Cela étant dit, dans son état actuel, le projet de loi ne s'applique qu'à environ 40 p. 100 des espèces en péril du Canada. Il ne comporte pas de mesures de protection de leur habitat, et il a besoin d'être renforcé si l'on veut qu'il protège efficacement la plupart des espèces menacées du Canada.

Les changements qui s'imposent sont tout à fait réalisables. Le projet de loi n'a pas besoin de chirurgie radicale lourde, mais il en a quand même besoin, et je prie donc votre comité d'adopter les plus importants des amendements que vous ont réclamés tellement de témoins au cours des deux derniers mois.

.1635

Enfin, si j'en reviens aux raisons pour lesquelles cette question me tient à coeur, c'est parce que notre faune est une part importante de notre identité en tant que Canadiens, tout comme nos drapeaux, notre monnaie et nos oeuvres d'art. C'est une réalité qui nous unit d'un océan à laquelle nous nous sentons unis par des liens très forts.

La protection des espèces menacées ne nous apportera peut-être pas d'avantages immédiats les prochains mois ou même l'année prochaine, mais c'est un investissement intangible dans l'avenir du Canada. C'est grâce à lui que nos petits-enfants vivront dans un pays qui comptera encore des grizzlis, des faucons pèlerins, des bélugas et des renards véloces comme à l'heure actuelle. Si nous n'agissons pas dès maintenant, c'est un déficit écologique que nous laisserons en partage à ces mêmes petits-enfants, déficit qu'ils devront rembourser.

Le comité et le gouvernement ont donc une occasion historique, celle d'adopter une loi vraiment marquante, qui aura des répercussions tant pour les êtres humains que les autres êtres qui habitent notre pays, et je vous presse de la saisir.

Je vous remercie, et je m'excuse d'avoir peut-être pris plus de temps que je n'aurais dû le faire.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Elgie.

Nous allons maintenant demander aux chirurgiens éventuels du projet de loi de bien vouloir poser leurs questions, à commencer par Mme Guay après quoi nous entendrons M. Forseth puisM. Adams.

[Français]

Madame Guay, s'il vous plaît.

Mme Guay (Laurentides): J'aimerais saluer tous mes collègues et leur souhaiter une très bonne année s'il est encore le temps de le faire.

Je vois que vous avez fait un travail assidu, très technique et très approfondi en ce qui a trait à l'application du projet de loi sur le plan du droit. Quand je vois tout cela, je trouve cela un petit peu inquiétant, parce que lorsqu'on essaie d'appliquer cela à chaque palier de gouvernement, ce n'est pas évident.

On sait que dernièrement, une entente d'harmonisation a été signée avec les provinces, entre les ministres de l'Environnement fédéral et provinciaux. On semblait s'être entendu sur une base qui n'est pas du tout reflétée dans le projet de loi C-65. Donc, il y a beaucoup de mécontentement. Les groupes environnementaux ne sont pas satisfaits. Ils trouvent qu'il n'y a pas assez de mordant, et les provinces et les territoires se montrent insatisfaits parce qu'ils trouvent que le fédéral vient jouer dans leur domaine de compétence.

Je vais vous donner un exemple que j'ai vécu dans ma propre circonscription en ce qui a trait à une espèce en voie d'extinction. On avait une ébauche d'un projet de bretelle d'autoroute. On travaillait à ce projet depuis cinq ou sept ans et un seul problème avait été soulevé. Les groupes environnementaux s'y étaient opposés à cause d'un oiseau qui habitait là depuis des années. Cette opposition empêchait ce fameux projet, qui est quand même important, de prendre naissance.

Finalement, on a trouvé une solution. On a relocalisé cet oiseau avec les groupes environnementaux. Il est très bien maintenant. Il vit dans un environnement sain et extraordinaire.

Les groupes environnementaux ont suivi cela de très près. Ils ont quand même retardé le projet de deux ans pour relocaliser un oiseau. Donc, il faut faire attention. Il y a toujours deux côtés à une médaille.

J'ai refusé d'entériner ce projet tant qu'on ne m'a pas assuré que cet oiseau-là avait été relocalisé. Cependant, il faut un équilibre.

J'ai peur que ce projet de loi vienne ajouter des choses, mais d'une façon négative. Il y a déjà beaucoup de travail qui se fait au niveau des provinces, des municipalités et des groupes environnementaux. Je sais que certaines provinces n'ont peut-être pas des lois aussi corsées que celles du Québec et de l'Ontario, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas tenir compte du travail qui a déjà été fait par certaines provinces. C'est le commentaire que je vous fais.

Encore une fois, je vous félicite pour votre travail, mais je pense qu'il faut tenir compte de ce qui se fait déjà. En ce qui a trait aux amendements que vous avez apportés, ils vont rendre beaucoup de gens insatisfaits et leur application sera très très difficile.

.1640

Le président: Merci, madame Guay. Voulez-vous répondre, monsieur Elgie?

[Traduction]

M. Elgie: Certaines de vos remarques sont certes très pertinentes. Les recommandations figurant dans ce mémoire pourraient vraiment se répartir en trois catégories. Certaines d'entre elles sont d'une importance primordiale et d'autres sont de nature plutôt formelle et faciliteront tout simplement la mise en oeuvre du projet de loi tout en n'affectant pas son contenu. Surtout, ne soyez pas découragés, de grâce, par le nombre de ces propositions. Elles ne cherchent pas toutes à altérer le fond du projet de loi.

Vous avez mentionné un accord national, et je conviens avec vous qu'il s'agit là d'un document important. En fin de compte, les espèces menacées n'ont pas vraiment de préférence lorsqu'il s'agit de les protéger. Elles ont tout simplement besoin d'être protégées.

L'accord national illustre l'engagement pris par le gouvernement fédéral et au moins six ou sept autres gouvernements provinciaux comme quoi, dans le Canada tout entier les espèces menacées doivent bénéficier de la protection de nos lois. Le moyen le plus logique à prendre à cet égard serait pour chaque gouvernement de légiférer dans toute la mesure où il le peut et dans les cas de chevauchement, de s'entendre avec l'autre ordre de gouvernement pour décider laquelle des lois s'appliquera.

Le Québec a une loi sur les espèces en péril qui est encore plus exigeante que ce projet de loi. Cela m'irait tout à fait si on précisait dans la loi que l'article 33, qui pourrait faire double emploi avec les dispositions québécoises, ne s'appliquerait pas lorsqu'il y a des dispositions équivalentes dans une province.

C'est ce qui respecte le mieux l'accord national à mon avis. Son objectif est de veiller à ce qu'il y ait une législation dans l'ensemble du pays. Si le gouvernement fédéral vote une loi dans son domaine de compétence, une espèce en faveur de laquelle la province n'a pas voté de loi ou signé l'accord national, sera au moins protégée, dans la limite de la compétence fédérale. Les provinces qui respecteront leurs engagements aux termes de l'accord national n'auront pas à craindre d'ingérence fédérale.

S'il y avait une clause d'équivalence dans la loi, la province qui remplit ses engagements n'aura pas à craindre de chevauchements avec les lois fédérales puisque le gouvernement fédéral se retirera du domaine. Voilà une solution écologiquement et politiquement réussie.

Comme vous, je pense qu'il faut un équilibre. Il est certain que l'article 46 du projet de loi - de même que la loi québécoise - permet d'établir cet équilibre. Il donne une certaine souplesse dans la façon de protéger l'espèce. Il importe de se souvenir - et le comité en est conscient, j'en suis sûr - que peu importe s'il s'agit d'un oiseau, d'un poisson ou d'un ours, le texte n'a pas pour seul effet de protéger un individu en particulier parce que ces animaux servent de baromètre à l'écosystème. Ils sont semblables au serin dans la mine de charbon, de telle sorte que les mesures prises pour protéger un oiseau menacé par une autoroute profiteront à un ensemble d'espèces qui vivent dans le même écosystème. C'est donc dire que les avantages seront démultipliés. Il faut que les citoyens sachent que ce projet de loi ne servira pas qu'à sauver une poignée d'espèces; il profitera à de nombreux écosystèmes.

[Français]

Mme Guay: C'est justement l'article 33 qui inquiète les provinces et les territoires, parce qu'en s'appliquant cet article, on s'ingérerait carrément dans leurs champs de compétence. Cela devient inquiétant. Donc, je suis contente que vous ayez soulevé ce point-là, monsieur Elgie.

[Traduction]

M. Elgie: Vous me demandez où à mon avis il y a empiétement. Je crois que l'article 33, sous sa forme actuelle, pourrait créer un chevauchement entre les lois fédérales et provinciales. C'est pourquoi je recommande qu'on le révise.

Tel qu'il est rédigé actuellement, il permettrait au gouvernement fédéral d'adopter un règlement dans une province qui dispose déjà d'une loi sur les espèces en péril, ce qui est absurde. Ce que je recommande, c'est que la loi prévoie l'adoption du règlement prévu à l'article 33 mais que dans les cas où le ministre et une province jugent que celle-ci dispose d'une loi équivalente, le règlement ne s'applique pas aux espèces protégées par cette loi.

.1645

Pour moi, c'est l'idéal aussi bien pour les provinces et, chose plus importante, pour les espèces. Cela permet d'établir une protection juridique dans tout le pays mais aussi faire en sorte que les provinces qui observent déjà l'accord national ne soient pas aux prises avec un problème de double emploi.

Certaines provinces pourront dire qu'il leur faudra entre trois et cinq ans pour produire cette loi puisqu'elles viennent de signer l'accord. En pareil cas, l'article 33 n'est qu'une mesure de transition. C'est un pis-aller qui protégera ces espèces pendant les trois à cinq ans dont la province aura besoin pour adopter la loi. Entre-temps, il y aura encore des espèces que la province pourra protéger d'ici à ce qu'elle adopte sa loi.

Il est sûr que l'idée de l'équivalence - et j'ai recommandé un libellé dont le comité pourra s'inspirer - me paraît logique. Dans le cas du Québec, je dirais que ces lois respectent déjà le critère de l'équivalence. Les espèces protégées par la loi québécoise bénéficient d'une protection plus rigoureuse que celle de l'article 33. Sur certains points, je pense que nous sommes du même avis. Je ne sais pas si vous voyez les choses du même oeil que moi.

[Français]

Mme Guay: Oui, à peu près. Merci.

Le président: Merci, madame Guay.

[Traduction]

M. Forseth, M. Adams, Mme Kraft Sloan puis le président.

M. Forseth (New Westminster - Burnaby): Merci, monsieur le président.

Monsieur Elgie, en vertu de la loi, comment un propriétaire privé comme un éleveur qui loue une terre provinciale sera-t-il touché par la loi? Je vous demanderais d'abord de nous dire de quelle façon il serait touché par la loi et ensuite quelles en seraient les conséquences. Si une ordonnance ou une opposition pouvait être prise à l'endroit de la terre et si cela avait des conséquences financières négatives pour lui, que pourrait-on faire?

J'essaye de voir comment on peut calmer les craintes de certains habitants de l'Ouest qui redoutent les gros sabots d'Ottawa, une intrusion inadmissible dans leur vie, eux qui connaissent bien la région. Quelqu'un a donné en exemple les mesures fédérales concernant les exploitations agricoles. Le gouvernement a cru savoir comment s'y prendre et a envoyé toutes sortes de fonctionnaires. Comme vous pouvez vous en douter, il y a eu des dégâts, les gens en ont pâti et l'environnement aussi. Je dis seulement que le gouvernement n'est pas toujours avisé.

Quel effet aurait donc la loi sur le propriétaire dans l'Ouest qui a peut-être un permis de pâturage sur une terre provinciale? Comment pourrait-on calmer ses craintes ou le dédommager?

M. Elgie: Je vais vous dire comment je voie la loi. Il est certain qu'elle pourrait s'appliquer à des terres privées ou provinciales dans certains contextes. Les poissons ou les espèces aquatiques occupent un habitat riverain. Par exemple, on trouve un très important habitat de poissons dans le fond de la vallée en Colombie-Britannique. C'est souvent le plus gros problème dans les régions montagneuses ou accidentées.

Pour ce qui est des oiseaux migrateurs, les résidents et leur habitat aussi j'espère seront aussi protégés où qu'ils soient, et il se pourrait que ces espèces se retrouvent également sur des terres privées ou provinciales.

L'article 33, s'il est adopté, pourrait protéger encore une fois les espèces que leur résidence, qu'ils soient situés sur des terres privées, provinciales ou fédérales.

De fait, nous avons fait passer en revue tous les rapports de situation du COSEPAC. Je n'ai pas les données ici, mais je pourrais vous les obtenir si vous les désirez. On a constaté que sur les275 espèces en péril sur la liste du COSEPAC, 14 ou 15 dépendent pour beaucoup de terres privées. Cela ne signifie pas que leur habitat ne se situe que là, mais il est important pour leur survie. Il n'y a donc qu'un petit nombre d'espèces qui dépendent de façon importante des terres privées, mais pour elles c'est très important. Certaines d'entre elles seront peut-être visées par cette loi.

.1650

Pour ce qui est du sentiment des propriétaires privés, vous avez entendu toutes sortes d'avis. Je ne vais pas me prononcer là-dessus.

Quant à ce qui peut être fait pour les dédommager, j'imagine qu'il y a plusieurs façons de faire. Pour commencer, le projet de loi prévoit beaucoup de souplesse. Si la loi s'applique à une espèce qui est sur votre terre, ça ne signifie pas que les gros sabots d'Ottawa vont interdire l'accès à votre terre. Ça signifie qu'il va falloir que vous téléphoniez au service local de la faune ou des pêches pour obtenir un accord ou une dérogation qui fera que vos activités se dérouleront d'une manière qui cadre avec les besoins de l'espèce en question.

Cela peut se faire au moyen d'un accord en vertu de l'article 7 ou de l'article 46, qui traite des accords et des permis. L'article 46 exige que l'on prenne des mesures raisonnables d'atténuation et que l'on s'abstienne de quoi que ce soit qui pourrait compromettre la survie de l'espèce.

J'imagine que la plupart des propriétaires, sinon tous agiraient ainsi de toute façon. Ils en savent habituellement assez pour agir de cette façon, je crois.

Mais vous avez raison. Il peut y avoir des cas où protéger une espèce en péril occasionne bien davantage qu'un petit désagrément et qu'il faut modifier sensiblement l'utilisation du sol. J'ignore si ce sera souvent le cas, mais j'imagine que ce sera très rare. En pareil cas, l'article 8 prévoit déjà que le gouvernement fédéral assumera une partie des coûts reliée à la protection des espèces en voie de disparition et menacées. Il y a donc déjà une disposition de partage des coûts. À mon avis, le propriétaire ou l'organisation qui engage des frais pour protéger une espèce en péril peut se prévaloir de la latitude prévue à l'article 8 pour faire assumer une partie de ces coûts.

Quant à savoir si cela pourrait aller jusqu'à une indemnisation pour le terrain, je l'ignore. Chose certaine, au groupe de travail, nous avons convenu que dans les cas où la protection d'une espèce en péril influe sur l'usage ou la valeur du terrain - et il n'y aura pas de demande de dédommagement à la moindre petite incursion, uniquement dans les rares cas où elle est majeure - que l'indemnisation devrait être une possibilité. Quant à savoir si l'article 8 est suffisamment souple pour le permettre, je l'ignore.

Il existe d'autres programmes. Je ne suis pas expert en la matière, mais il y en a un excellent que le gouvernement est en train d'éliminer et qui mériterait peut-être d'être remis sur pied avant qu'il ne disparaisse pour de bon. Il y a eu pendant plusieurs années dans les Prairies et en Ontario ce que l'on appelle le programme d'établissement d'une couverture végétale permanente. Grâce à ce programme, les propriétaires recevaient une indemnité ou un encouragement financier pour laisser des terrains retourner à l'état naturel. Un certain nombre de dollars l'acre étaient versés à cette fin.

Avec l'élimination graduelle des subventions agricoles, ce programme est en train de disparaître. Peut-être le gouvernement pourrait-il envisager de circonscrire son application. Depuis qu'il a été créé, il s'est appliqué à l'habitat de toutes les espèces, où qu'elles soient. Si on le faisait s'appliquer uniquement à l'habitat essentiel des espèces en voie de disparition ou menacées, ce serait beaucoup plus rentable sur le plan écologique. Le programme ne coûterait plus qu'une fraction minuscule de son prix initial, et les avantages écologiques seraient beaucoup plus importants pour les terres protégées.

Si vous estimez que les mécanismes de financement de l'article sont insuffisants, peut-être y aurait-il lieu de discuter avec les fonctionnaires qui s'occupent du programme d'établissement d'une couverture végétale permanente pour voir s'il n'y aurait pas moyen de cibler ces effets sur l'habitat essentiel des espèces en péril.

S'il est une chose que nous ont enseignée les États-Unis, c'est qu'il faut collaborer avec les propriétaires pour arriver à ces fins. La plupart des propriétaires sont fiers de la responsabilité qu'ils exercent et de l'aménagement de leurs terres et ils n'aiment pas se faire dire comment s'y prendre. Il faut faire en sorte que le gouvernement les aide et leur facilite la tâche au lieu de leur tenir la bride courte. Je serais en faveur d'amendements qui iraient en ce sens.

Par contre, cela ne signifie pas - et les propriétaires seraient d'accord avec moi en cela, je crois - qu'ils devraient être soustraits à l'application de la loi. Cela ne signifie pas que quelqu'un devrait être libre d'abattre le dernier représentant d'une espèce en péril sous prétexte qu'il habite sur son terrain. Cette espèce appartient à l'humanité tout entière. Ce n'est pas parce que l'oiseau se pose sur la propriété de quelqu'un... Tous les propriétaires avec qui j'ai parlé sont d'accord là-dessus. La question est donc de savoir comment la loi s'applique et non pas si elle s'applique.

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M. Forseth: Je n'ai qu'une question supplémentaire. Vous avez parlé de ce qui est arrivé aux États-Unis. Vous avez dit qu'en fin de compte 99 p. 100 des projets vont de l'avant. Mais je me demande à quel prix, et qui le paie, le propriétaire? Oui, peut-être que les projets vont de l'avant, mais peut-être a-t-il fallu pour cela intenter procès sur procès pour gagner la partie. Pouvez-vous nous en parler?

Grâce à l'action en protection prévue dans la loi, il me semble que le citoyen peut obliger le gouvernement à se justifier lorsque le ministre promet d'intervenir - le caractère raisonnable. Mais y a-t-il une disposition qui autorise un citoyen à intenter une action contre un autre citoyen pour obtenir une injonction, par exemple si quelqu'un veut fermer une carrière?

M. Elgie: Je n'ai pas tous les renseignements sur les poursuites aux États-Unis. Le chiffre de 99,9 p. 100 n'a rien à voir avec les poursuites. En vertu de la loi américaine, si vous voulez faire quelque chose qui portera atteinte à une espèce protégée ou à son habitat, vous devez consulter le service américain de la faune, qui vous recommandera les mesures à prendre pour ne pas mettre l'espèce en danger. Je disais que dans 99,9 p. 100 des cas, ces consultations ont permis au projet d'aller de l'avant. Dans 99,9 p. 100 des cas, un nombre minime de modifications ont été nécessaires ou même pas du tout. Dans 99 p. 100 des cas, il a fallu apporter des modifications limitées.

Pour ce qui est des poursuites, il est vrai que la loi permet en dernier recours de s'adresser aux tribunaux pour veiller à ce qu'ils soient impliqués. Avec raison, à mon avis, la loi oblige les citoyens à s'adresser d'abord à l'État. Moi qui travaille pour une organisation spécialisée dans le droit environnemental, je peux vous dire que la dernière chose que l'on veut est de se substituer au procureur général. Personne n'a ni le temps ni les moyens de le faire.

Les dispositions permettant l'action en protection est une mesure de sécurité. Cela ressemble au rôle du vérificateur général, si vous voulez, puisque c'est une façon de veiller, au cas où un ministre particulier, après un changement de gouvernement, ne soit pas très chaud à l'idée...

M. Knuston (Elgin - Norfolk): Ou une province comme l'Ontario.

M. Elgie: En Ontario, trois actions ont été intentées aux termes de la loi en 25 ans et le gouvernement actuel n'est pas prêt de faire augmenter ce chiffre. C'est pourquoi il faut une façon...

À l'heure actuelle, dans les faits, le gouvernement de l'Ontario abroge des lois sans le faire, en se contentant de ne pas les appliquer. C'est une façon de contourner la démocratie puisque ces lois existent toujours mais on ne s'en soucie pas. C'est à cause d'une situation comme celle-là que la disposition sur l'action en protection existe.

Si l'on observe l'expérience américaine des lois de ce genre - j'ai fait une étude là-dessus il y a quelque temps - vous constaterez qu'elles ont rarement été invoquées avant 1980, au moment de l'arrivée au pouvoir de Reagan, lorsque l'EPA a diminué de moitié le nombre des exécutions. Le nombre de poursuites intentées par les citoyens a plus que doublé. De fait, en 1982, les citoyens en ont intenté plus que le gouvernement Reagan. Cela ne signifie pas que les citoyens en ont intenté beaucoup mais plutôt que le gouvernement Reagan en a intenté si peu.

Les mesures d'application intentées par l'État ont commencé à être plus nombreuses par la suite et les poursuites des citoyens se sont mises à diminuer. Le mécanisme a donc fonctionné exactement comme il le devait. C'était un mécanisme de sécurité destiné à forcer l'État à faire son travail.

Son utilité réside dans le fait qu'il existe plutôt que dans son usage. L'État qui sait que le citoyen peut intenter une poursuite prendra des mesures raisonnables d'application, le plus souvent sous la forme d'une demande, parce qu'il est très gênant de se faire forcer la main par un citoyen. En l'absence de mécanisme de ce genre, il n'y a aucun contrepoids. Vu ce qui s'est passé au Québec et en Ontario, où il y a des lois visant les espèces en péril... Honnêtement, rien ne prédit mieux si l'on ne fera pas mauvais usage de ces lois.

Oui, il y a donc des risques d'action en justice et de mesures d'application. Que peut faire le tribunal? Il ne peut pas ordonner le versement de dommages et intérêts. Autrement dit, personne ne peut s'adresser au tribunal pour s'enrichir. Les gens vont perdre beaucoup d'argent s'ils vont devant les tribunaux parce qu'ils ne pourront pas obtenir de dommages et intérêts. En revanche, le tribunal peut ordonner à quelqu'un de respecter la Loi sur les espèces en péril. Le juge peut dire que telle action constituerait une infraction à la loi et qu'il faut la respecter.

C'est donc une possibilité.

.1700

M. Forseth: Sauf que si quelqu'un peut s'adresser au tribunal pour ordonner à quelqu'un d'autre de mettre fin à une activité donnée, cette interruption peut avoir des conséquences financières immenses pour celui qui a intenté la poursuite car les deux peuvent être des concurrents commerciaux. Si vous réussissez à l'évincer, vous avez le champ libre.

Je vais m'arrêter ici et laisser mes collègues approfondir la question.

Le président: Voulez-vous répondre à ce qui vient d'être dit?

M. Elgie: Je ne connais aucun cas de poursuites de ce genre au Canada ou aux États-Unis qui ait été intenté par un concurrent. Je n'ai jamais examiné la chose aux États-Unis, mais je n'en ai jamais entendu parler. En théorie, j'imagine que cela pourrait se produire, mais que voulez-vous que je vous dise? En théorie, tout peut arriver.

Le président: Merci, monsieur Forseth.

M. Adams puis Mme Kraft Sloan.

M. Adams (Peterborough): Merci, monsieur le président.

Stewart, encore une fois, je vous remercie de votre coup de main. Nous avons entendu un exposé fort intéressant de Ian Rounthwaite, que vous connaissez j'imagine.

J'ai ou deux trois choses à dire. Certains disent que la loi est trop indulgente. Moi, je vois les choses autrement. Disons qu'elle est moins rigoureuse que la Loi sur les pêches. Pour le poisson, cela ne change rien parce qu'il y a une loi qui s'applique. Par contre, Ian n'a pas cessé de mentionner l'article 97 de la LCPE et des pouvoirs fédéraux qui s'y trouvent. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Voilà pour la première chose.

Deuxièmement, les gens ne cessent de nous dire que les rapaces ne sont pas visés par la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Y a-t-il quelque chose que nous, aujourd'hui - et je ne veux pas dire quelqu'un d'autre - puissions faire.

Troisièmement, vous avez parlé du cas du Québec, où il y a une loi exigeante. Le président, lui, nous dit toujours qu'un des objectifs de cette loi est de pousser les autres intervenants à adopter des mesures semblables. Il pourrait s'agir des provinces, des municipalités ou des Premières nations. Dans cette loi, y a-t-il moyen d'inciter les autres à prendre des mesures correspondantes?

M. Elgie: Ce sont d'excellentes questions.

Pour ce qui est de la LCPE, je ne peux pas me prononcer sur la position de Ian Rounthwaite. J'ai lu son mémoire, mais je n'ai pas entendu son témoignage.

Il y a une ou deux choses que je puisse dire à propos de la LCPE. L'une des parallèles que je trouve entre la LCPE et le projet de loi est la disposition concernant la pollution atmosphérique internationale. Dans la LCPE, il est reconnu que les problèmes environnementaux internationaux relèvent du gouvernement fédéral et que les problèmes faisant l'objet de mesures au Canada et qui peuvent influer sur les intérêts d'un autre pays exigent l'intervention du gouvernement fédéral. Cela cadre tout à fait avec l'article 33 que l'on trouve ici. De fait, je dirais que l'article 33 devrait aller plus loin si l'on veut vraiment protéger entièrement les intérêts étrangers.

Y a-t-il des passages précis de la LCPE à propos desquels vous me demandez mon avis?

M. Adams: Non, le temps nous manque. Ce n'était qu'une question générale. L'argument que vous avez avancé est bon.

M. Elgie: Oui, eh bien, je n'irais pas trop dans les détails, mais je pense qu'il y a une chose dans la LCPE qui pourrait peut-être un jour être reprise dans cette loi.

Pendant des années, la compétence en matière de pollution était répartie de façon rigide entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. On disait que la pollution de l'eau et la pollution de l'air dans la province relevaient du gouvernement provincial tandis que les questions inter-provinciales, les terres fédérales et ce qui touchait le poisson relevaient du gouvernement fédéral. Dans la LCPE, on dit bien toutefois que certains types de pollution sont graves au point de revêtir une importance nationale, comme c'est le cas des polluants toxiques. On a donc créé dans la LCPE un pouvoir général permettant de faire face aux problèmes de pollution les plus graves à l'échelle nationale parce qu'ils touchent les intérêts de tous les Canadiens.

La même chose vaut pour les espèces en péril. Les gens disent souvent que telle espèce relève de la province et telle autre du gouvernement fédéral, mais cette loi ne prétend pas s'appliquer à toutes les espèces, tout comme la LCPE ne prétend pas s'attaquer à toutes les formes de pollution. Le projet de loi dit vouloir s'occuper des questions les plus graves touchant la faune au Canada. Éviter l'extinction des espèces, quelque chose de bien différent de la gestion de la population des animaux. Il ne s'agit pas de savoir combien de têtes de caribou il faut conserver ou à quelle date fixer le début de la saison de chasse. Il s'agit de garantir la survie d'espèces sauvages.

Il y a donc un bon parallèle avec la LCPE. Les questions qui figurent en tête de liste de nos préoccupations nationales sont à bon droit et à juste titre celles pour lesquelles le gouvernement national doit établir des normes minimales qui s'appliqueront à l'ensemble du territoire.

.1705

Pour ce qui est des rapaces, oui, il y a beaucoup de choses que le comité pourrait faire. Il pourrait ordonner que tous les oiseaux migrateurs ainsi que leur habitat soient protégés par cette loi. Cela cadre tout à fait avec l'article 33 et avec la protection des oiseaux migrateurs. La loi reconnaît déjà que les espèces internationales relèvent du gouvernement fédéral; il est donc incontestable qu'il s'agit d'un domaine de compétence fédérale. La loi le dit déjà.

Les rapaces sont traités comme des oiseaux migrateurs de deuxième ordre par suite d'un anachronisme commis par le Roi d'Angleterre et le président des États-Unis, qui ne les ont pas inclus dans une annexe en 1916. Vous pourriez donc tout simplement déclarer que la loi s'applique aux oiseaux migrateurs et à leur habitat. Vous avez sûrement entendu des constitutionnalistes beaucoup plus avisés que moi vous dire qu'il n'y a aucun empêchement constitutionnel à cela. C'est très clair.

Pour ce qui est d'inciter à adopter des mesures correspondantes, dans un monde idéal, le gouvernement fédéral ne devrait pas avoir à le faire. Toutefois, il se peut que par son initiative, le gouvernement fédéral incite les autres gouvernements à lui emboîter le pas. Du seul fait qu'il adoptera cette loi, le gouvernement fédéral aura un effet d'entraînement. La question est maintenant sur la place publique et le gouvernement fédéral et les provinces en discutent. Le mieux serait pour le gouvernement fédéral d'occuper l'intégralité de son champ de compétence; de cette façon, les provinces qui n'ont toujours pas voté de loi seraient incitées à le faire pour assurer la protection des espèces en péril dans les secteurs où il y a chevauchement.

Il y aura évidemment des provinces qui seront très heureuses de voir le gouvernement fédéral se servir de son pouvoir pour protéger les espèces. Je ne sais pas si c'est le cas pour les provinces maritimes, mais il y a d'autres provinces qui préféreraient avoir la compétence exclusive sur les espèces en péril sur leur territoire. C'est donc dire que la loi fédérale, en occupant la totalité de son champ de compétence, aura peut-être cet effet incitatif.

M. Adams: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci. Mme Kraft Sloan, suivie de M. Knutson.

Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Merci.

Je parle en mon nom propre, mais je pense qu'il y a beaucoup d'autres membres du comité autour de la table qui vous sont très reconnaissants de l'effort que vous avez mis à préparer vos documents, qui sont excellents, très détaillés et très bien faits.

J'aimerais vous parler de la question de la révision anticipée. Surtout lorsque nous sommes allés dans l'Ouest, notre étude a été accaparée par la législation américaine. On nous a dit on ne peut plus clairement que nous ne sommes pas en train d'adopter une loi américaine de protection des espèces en péril, mais comme les deux camps l'ont si bien dit, il y a des enseignements à tirer. Pour moi, l'idée de la révision anticipée mériterait d'être examinée si elle réduisait les risques d'affrontement et de poursuites judiciaires et si elle facilitait la coopération.

Vous aviez mentionné la possibilité d'exiger une révision anticipée en modifiant la liste des lois assujetties aux dispositions de la LCEE. Quelles autres solutions pourriez-vous proposer? À votre avis, est-ce la solution la moins compliquée?

M. Elgie: Je vais essayer de répondre de mon mieux à votre question, même si cela m'entraînera probablement au-delà des limites de mon expérience en rédaction législative.

Il existe quelques solutions. D'abord, l'article 49 du projet de loi prévoit déjà une révision préalable dans une certaine mesure. À l'heure actuelle, sous le régime de cet article, pour tous les projets déjà assujettis à une évaluation environnementale en application de la LCEE, il faut tenir compte des espèces menacées et consulter le ministre. Cependant, l'article ne crée pas dans les faits, d'obligation de faire une évaluation; il ne s'applique qu'aux cas pour lesquels une évaluation doit être réalisée de toute façon.

À l'heure actuelle, que ce soit sous le régime de la LCEE ou des lois provinciales en matière d'évaluation environnementale, il n'est pas nécessaire de faire d'évaluations pour une vaste majorité de projets ou d'activités qui touchent des espèces menacées. La plupart de ces activités échappent à l'application des lois fédérales et provinciales, surtout parce que ce ne sont pas quelques barrages hydro-électriques ou quelques nouvelles usines de pâtes qui menacent les espèces, mais plutôt les nouvelles routes, la construction d'un nouveau centre commercial ou d'une nouvelle autoroute. Il peut s'agir également de projets d'exploitation forestière ou minière, dont la plupart ne sont pas assujettis aux évaluations environnementales.

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Il suffirait d'indiquer au paragraphe 49(1) que tous les projets qui touchent une espèce menacée doivent faire l'objet d'une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE.

On pourrait également, je suppose, apporter dans le projet de loi des modifications à d'autres lois connexes, dans ce cas-ci à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et à ses règlements. Cela pourrait se faire par le truchement de cette mesure législative. C'est une simple question de rédaction, puisqu'il suffirait d'ajouter à la fin du projet de loi une telle modification corrélative. Il existe en tout cas une ou deux façons de le faire.

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Tout le monde y gagne. Si vous réglez ce type de problème dès le début de la planification, avant d'investir temps et énergie, vous évitez les coûts, les conflits et les poursuites judiciaires qui pourraient vous être imposés plus tard. Dans presque tous les conflits de ce genre, le problème, c'est que le voyageur a acheté son billet après que le train ait quitté la gare. J'approuve tout à fait cette idée.

Mme Kraft Sloan: Vous avez très bien fait de nous faire remarquer le nombre des espèces menacées aux États-Unis par rapport au nombre de ces espèces au Canada. Comme M. Adams l'a toujours fait remarquer à nos témoins pendant notre tournée dans l'Ouest, le projet de loi a pour but de protéger les espèces plutôt que d'alourdir le processus, de limiter les options et d'accroître les coûts. C'est un excellent message à répandre.

M. Elgie: Nous avons beaucoup de chance. À l'heure actuelle, il y a aux États-Unis 835 espèces hospitalisées aux soins intensifs. Chez nous, la plupart de nos espèces en sont encore à l'étape du transport par ambulance. Nous avons encore le temps de régler leurs problèmes. Nous avons divers choix. Pour ma part, j'appuie énergiquement l'idée qu'il faut agir maintenant, pour éviter que ces espèces ne se retrouvent aux soins intensifs. Il sera beaucoup plus efficace et beaucoup moins coûteux de régler le problème maintenant.

Mme Kraft Sloan: Merci.

Le président: M. Knutson, puis M. Steckle.

M. Knutson: Merci beaucoup.

Tout comme ma collègue, je vous remercie de votre mémoire et du temps que vous avez pris pour le rédiger. Je l'ai trouvé très complet.

Permettez-moi de discuter avec vous de certains détails, compte tenu des témoignages que nous avons entendus. À Edmonton, nous avons entendu des représentants de l'industrie. Une société pétrolière a fait valoir un argument qui semble assez logique. Cette société avait respecté toutes les exigences en matière d'évaluation environnementale et souhaitait savoir si ce projet de loi pourrait avoir des effets sur ces activités en plein milieu de ses projets. D'après cette société, on devrait pouvoir trouver quelque part dans le libellé que si l'entreprise a agi de bonne foi et pris toutes les mesures nécessaires, on ne pourrait mettre fin au projet que contre dédommagement. Qu'en pensez-vous?

La société estimait surtout que le projet de loi devrait établir, dans son libellé, des liens entre les diverses lois. Mais comme je ne m'y connaissais pas en évaluation environnementale, je n'ai pas pu répondre.

M. Elgie: Je suis d'accord avec ce principe. Cela faisait d'ailleurs partie du rapport du groupe de travail, c'est-à-dire que sous le régime de cette loi, la révision anticipée devrait être conçue de façon à éviter le double emploi et à éviter d'avoir à appliquer plus d'un processus.

Dans un des règlements afférents à la LCEE - que vous connaissez peut-être mieux que moi - qui a été adopté ou est sur le point de l'être - on indique que chaque projet ne devrait être assujetti qu'à une seule évaluation. C'est ce que garantit ce règlement. Il n'est pas inhabituel qu'un projet comporte plus d'un élément requérant une évaluation. Par exemple, un projet d'utilisation des eaux peut nécessiter deux permis différents parce qu'il touche les poissons et les eaux navigables.

Le but du règlement est de voir à ce qu'un tel projet n'ait à subir qu'une seule évaluation. Le moyen le plus logique, pour cela, consiste à faire en sorte que les décisions prises sous le régime de ce projet de loi en matière d'approbation et de permis soient assujetties aux évaluations exigées sous le régime de la LCEE, puisque le mécanisme de la LCEE qui intègre ces évaluations s'appliquera. Autrement dit, vous aurez ici un processus distinct d'approbation et d'octroi des permis. Vous aurez donc d'une part le régime institué par ce projet de loi et, d'autre part, le régime de la LCEE, qui coordonne les évaluations et l'octroi de permis en application d'autres lois fédérales. D'après moi, les possibilités de conflit sont plus grandes si tout cela n'est pas relié par le truchement du mécanisme de la LCEE. En fait, cela se trouve déjà dans la LCEE. Il faudrait également déterminer s'il y aura des exigences distinctes en matière d'évaluation aux paliers fédéral ou provincial.

.1715

Des accords ont déjà été signés, je crois, avec trois provinces différentes, dont l'Alberta et la Colombie-Britannique, du moins au niveau administratif, pour harmoniser le processus d'évaluation. L'évaluation menée actuellement à la Mine Cheviot près du Parc Jasper en est un bon exemple. En application de l'entente, les deux ordres de gouvernement ont convenu de réaliser leur évaluation en commun, en fonction des mêmes renseignements et du même échéancier. Cela résout donc certains des problèmes qu'on avait connus lorsque le PEE et la LCEE ont commencé à être appliqués et, au cours des prochains mois, d'autres ententes d'harmonisation pourraient bien être signées.

On voit qu'il existe des mécanismes fédéraux et fédéraux-provinciaux sous le régime de la Loi sur les évaluations environnementales, et en rattachant ce projet de loi à la LCEE, on pourra tirer profit de ces mécanismes d'harmonisation.

M. Knutson: Si je comprends bien, le principal avantage, c'est que les entreprises pourraient se servir de leurs évaluations environnementales pour se protéger contre des actions qui pourraient plus tard être intentées en vue de protéger des espèces menacées. Je suppose qu'il faudrait modifier le libellé actuel du projet de loi pour établir ce lien avec LCEE.

Deuxièmement, l'industrie estime que si elle doit subir des évaluations environnementales, celles-ci doivent être approuvées et pouvoir servir de boucliers. Trouvez-vous qu'il s'agit d'une préoccupation valable, du point de vue de l'industrie?

M. Elgie: Parfois, les gens comprennent mal ce qu'est l'évaluation environnementale. L'évaluation environnementale, se n'est pas une approbation ou un permis, c'est un processus. C'est tout simplement un processus qui permet d'obtenir des renseignements qui peuvent ensuite être utilisés pour prendre une décision. De toute évidence, il n'est pas nécessaire d'aller chercher de nouveau plus tard, les renseignements qu'on a recueillis dans une évaluation, mais ces mêmes renseignements peuvent servir aux fins d'octroyer des permis différents. Par exemple, le ministre qui délivre un permis sous le régime de la Loi sur la protection des eaux navigables a peut-être des préoccupations très différentes de celui qui délivre un permis en application de la Loi sur les pêches, lequel se préoccupe peut-être d'autres choses que le ministre qui délivre un permis sous le régime d'une loi protégeant les espèces menacées. Si l'industrie estime que le fait d'avoir obtenu un permis fédéral d'utilisation des eaux navigables...

M. Knutson: Non. Mais il faut avoir subi une évaluation environnementale pour obtenir le permis fédéral d'utilisation des eaux navigables.

M. Elgie: D'accord. Il est exact que les entreprises ne devraient pas avoir à subir deux fois le même processus d'évaluation. Grâce aux mécanismes qui seront mis en place dans la LCEE, qui y sont pratiquement déjà d'ailleurs - Mme Kraft Sloan est mieux informée que moi à ce sujet - ce type de situation sera évitée.

Mais il arrive, cependant, que l'on découvre de nouveaux renseignements. L'évaluation a peut-être été faite il y a huit ans, avant que l'on sache qu'une espèce s'était installée là ou que cette espèce était menacée. Sous le régime de la LCEE, si, plusieurs années après une évaluation, les renseignements qu'on en a obtenu sont encore fiables et pertinents, il suffit de faire une évaluation complémentaire pour obtenir les nouveaux renseignements. Il n'est pas nécessaire de tout reprendre à zéro. C'est donc une possibilité, dans la mesure où l'évaluation réalisée, il y a cinq ou six ans, a traité les sujets pertinents au projet. D'ailleurs, cela se trouve déjà également dans la LCEE.

M. Knutson: Oui. Le problème, ce n'était pas tant l'information que... Supposons qu'une société entreprenne un projet, obtienne son permis d'exploitation des eaux navigables ou d'autres permis et investissent plusieurs millions de dollars. Tout à coup, voilà que quelqu'un obtient une injonction pour mettre fin au projet ou intente une action contre la société, par exemple. La société pourrait se défendre en invoquant son évaluation environnementale.

M. Elgie: L'évaluation environnementale, ce n'est pas une baguette magique écologique, cela ne garantit pas que toutes vos activités n'auront pas d'effets nuisibles sur l'environnement. C'est un processus qui dépend des questions que l'on pose. Si, au cours de l'évaluation, personne ne demande si le projet touchera les espèces menacées, il ne faudrait pas s'étonner plus tard de constater que le projet a nui à ces espèces.

Alors, pour répondre à votre question, si on fait au départ une évaluation environnementale approfondie, il n'y aura pas de problème. Mais si l'évaluation ne tient pas compte de toute la gamme des problèmes environnementaux... À l'heure actuelle, il est possible d'obtenir une évaluation environnementale qui ne tient pas compte des espèces menacées. Il n'est pas expressément exigé de tenir compte, dans l'évaluation, des besoins des espèces menacées. L'article 49 du projet de loi va changer tout cela.

.1720

Il ne sera pas possible d'invoquer les problèmes des espèces menacées pour ralentir un projet ou y mettre fin dans le seul cas où une espèce sera vraiment menacée. Dans ce projet de loi, les espèces vulnérables équivalent à un feu jaune; dans le cas de ces espèces, c'est surtout une question de gestion. Le problème se posera lorsqu'une société entreprend un projet dans une zone où se trouve une espèce vulnérable et procède à ses activités sans tenir compte des besoins de cette espèce.

Prenons le cas de l'exploitation forestière. En 1985, on a fait une évaluation environnementale pour l'abattage d'un grand bloc forestier dans le nord de l'Alberta. Vous savez qu'il y a là des caribous des bois, une espèce vulnérable. Si votre plan d'abattage tient compte de la survie à long terme du caribou des bois et de ses besoins, le statut de cette espèce ne passera pas de vulnérable à menacé. Si vous concevez votre plan d'abattage et faites votre évaluation... Par contre, si vous attendez que la survie du caribou soit compromise et que vous continuez d'abattre des arbres là où se trouve l'habitat essentiel de cette espèce, eh bien, dans dix ans, le caribou sera passé d'espèce vulnérable à espèce menacée, puis à espèce en voie de disparition, et c'est là que quelqu'un pourra prendre des mesures pour mettre fin à vos activités.

On voit donc que le statut d'espèce vulnérable représente un feu jaune. Il signifie que les activités sont possibles, si elles sont menées avec prudence.

Je ne dis pas que ces cas-là ne se produiront jamais, mais que cela ne se produira jamais de façon totalement inattendue. L'entreprise aurait dû avoir une idée de ce dans quoi elle s'engageait et aurait dû tenir compte des avertissements qui se sont présentés.

M. Knutson: L'amendement le plus important à apporter à ce projet de loi toucherait la notion d'habitat essentiel. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Elgie: Le plus important des amendements?

M. Knutson: Oui. Je vous demanderai ensuite quels amendements sont au deuxième rang en importance, au troisième, etc.

M. Elgie: Pour moi, l'amendement le plus important est celui qui précise que le projet de loi s'applique à tous les oiseaux migrateurs et à leur habitat.

M. Knutson: Çà en fait deux.

M. Elgie: Il s'agit d'un paragraphe, le paragraphe 3(2)... qui garantit l'application du projet de loi à ces oiseaux, puisque les lois actuelles ne les protègent pas suffisamment.

M. Knutson: Et le deuxième en importance serait...?

M. Elgie: Garantir la protection de l'habitat essentiel.

M. Knutson: Et le troisième?

M. Elgie: Fonder l'établissement de la liste sur une base scientifique. Autrement dit, exiger que les décisions prises par le COSEPAC à l'égard de la liste soient reprises dans la mesure législative.

M. Knutson: Par le ministre?

M. Elgie: Ou alors laisser la décision au COSEPAC.

C'est intéressant. En Nouvelle-Écosse, on vient de déposer un projet de loi sur les espèces en péril. Il vient d'être adopté en première lecture. Dans ce projet de loi, la liste du COSEPAC est automatiquement en vigueur. La liste de cette loi provinciale est automatiquement celle du COSEPAC.

M. Knutson: Quatrièmement?

M. Elgie: Il faudrait modifier l'article 33 de façon à ce que soient pris des règlements pour protéger les espèces frontalières, mais aussi y inclure une disposition d'équivalence, de façon à ce qu'il n'y ait pas double emploi avec les lois provinciales existantes.

M. Knutson: Pourrait-on modifier cet article de façon à protéger les espèces frontalières comme le grizzli du nord du Montana et du sud de l'Alberta?

M. Elgie: Vous parlez des espèces qui traversent les frontières internationales?

M. Knutson: Oui.

M. Elgie: Cela existe déjà dans une certaine mesure à l'article 33. Il suffirait de rendre plus rigoureuses ces dispositions. L'article 33 s'applique non seulement aux espèces qui migrent d'un côté ou de l'autre de la frontière selon les saisons, mais aussi à celles dont le territoire chevauche la frontière. C'est important, puisque leur survie au Canada dépend des mesures prises aux États-Unis, et l'inverse. On ne pourra protéger l'ours grizzli, le renard véloce, le couguar de l'Est, le faucon pèlerin et toutes ces espèces que si les deux pays prennent les mesures nécessaires. Cela peut se faire sous le régime de l'article 33.

M. Knutson: Et si vous classiez les amendements par ordre de priorité...?

.1725

M. Elgie: Eh bien, il faudrait d'abord modifier la définition du terme «résidence» de façon à l'aligner sur la réalité écologique et faire en sorte qu'il ne s'agisse pas seulement d'un nid, d'un terrier, ou l'équivalent, mais plutôt de zones où se trouve la résidence de toute la gamme des espèces...

M. Knutson: Excusez-moi, mais je croyais que les groupes environnementaux avaient surtout recommander de protéger l'habitat essentiel, plutôt que la résidence. Vous, vous proposez que l'on élargisse la définition du terme «résidence».

M. Elgie: En fait, il faut faire les deux. Je sais que le comité ne sera peut-être pas d'accord avec chacune de mes recommandations. À mon avis, la protection de l'habitat essentiel est fondamentale. Dans la plupart des cas, en protégeant l'habitat essentiel, on protégera également la résidence de l'espèce. Il y a peut-être des cas où on considère que la résidence ne fait pas partie de l'habitat essentiel, mais ces cas sont sans doute assez rares. La protection de la résidence sera encore plus importante si le comité décide de ne pas exiger la protection obligatoire de l'habitat essentiel. Ce sera sans doute le dernier bastion d'une espèce, si l'on veut. Il faudrait au moins s'assurer que la résidence est protégée, si le reste ne l'est pas. Ce n'est pas suffisant, mais c'est mieux que rien.

M. Knutson: Vous voulez donc que soit élargie la définition du terme «résidence»?

M. Elgie: Oui, de façon à ce que cette définition soit conforme à la réalité écologique, c'est-à-dire qu'elle doit représenter davantage que la chambre à coucher où vous passez trois mois de l'année - les endroits dont l'espèce dépend réellement pour répondre à ses besoins essentiels pour élever ses jeunes, etc. Par exemple, le caribou n'a pas d'antre, mais il a des terrains essentiels de mise bas qui sont très bien connus au Yukon. On sait où va le caribou pour mettre bas et si l'on dérange ces terrains durant la saison de mise bas, les petits peuvent mourir. C'est la même chose pour le pluvier siffleur. Il faut donc que ce terme de «résidence» s'applique à des endroits qui sont essentiels à l'espèce pour répondre à ses besoins biologiques fondamentaux.

M. Knutson: Au sujet du dérangement, dont nous n'avons pas encore parlé à titre d'amendement prioritaire, ce que nous allons faire tôt ou tard, j'imagine, il me semble que «dérangement», c'est beaucoup plus que simplement marcher dans un champ et faire fuir quelques oiseaux.

M. Elgie: Il faut qu'il y ait des effets nuisibles pour l'espèce. Il faut que ce dérangement lui nuise directement ou entrave sa capacité de reproduction. Il faut qu'il y ait un effet nuisible quelconque.

Le mot «déranger» figure dans la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs depuis 80 ans. Personne n'a le droit de déranger le nid d'un oiseau migrateur. Chose certaine, je ne suis au courant de cas où quelqu'un aurait poussé la chose à l'extrême. Par exemple ce n'est pas une infraction si vous sifflez en marchant à côté d'un nid. Pour qu'il y ait dérangement, il faut qu'il y ait un effet néfaste quelconque.

M. Knutson: Donc vous ne croyez pas que si nous ajoutons le mot «déranger» à... Dites-vous que nous n'avons pas besoin de le définir?

M. Elgie: Chose certaine, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba ne l'ont pas défini, la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs ne l'a jamais défini, et il n'y a jamais eu abus. Il existe une jurisprudence abondante sur cette question, qui fixe des limites raisonnables.

Ce qui arrive, c'est qu'il y a des gens qui s'emparent des jugements d'un ou deux juges californiens et font des extrapolations pour toute la magistrature. De manière générale, les juges canadiens sont très enclins à la prudence.

M. Knutson: Jusqu'au jour où Karen sera nommée juge. Alors tout ça va changer.

M. Elgie: Il y a sept ou huit autres éléments qui sont vraiment importants. Je vous donne quelques exemples.

À mon avis, le fait de permettre aux simples citoyens d'intenter des poursuites lorsqu'un danger imminent menace une espèce en péril mais sans qu'il y ait nécessité d'enquête, est une priorité très élevée. Sans ça, le mécanisme de responsabilité d'application à la disposition des citoyens n'a aucun muscle. L'intimé n'aurait qu'à s'abriter derrière l'enquête pour agir en temps opportun.

M. Knutson: Disons que mon voisin, M. Steckle, s'apprête à drainer son marais et à en chasser quelques oiseaux rares. Je pourrais m'adresser au tribunal et l'en empêcher.

M. Elgie: S'il existe un mécanisme de révision préalable dans votre projet de loi, il ne pourra rien faire de la sorte parce qu'il sera obligé d'obtenir un permis, de se prêter à une forme quelconque de consultation préalable où il devra prouver que sa démarche est raisonnable, et cela vaudrait mieux que n'importe quelle poursuite. Si le gouvernement a approuvé une démarche quelconque, alors aucun juge au Canada ne pourra dire que cette démarche est illégale.

À maints égards, le mécanisme de révision préalable... La disposition sur l'intervention des citoyens permettra de contrer la situation où quelqu'un aurait dû obtenir un permis ou a obtenu un accord et n'a pas... Il s'agit essentiellement des cas où l'on passe outre à la loi.

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En premier lieu, il faudra faire une demande d'enquête. On donnera ainsi avis à l'intimé et au gouvernement qu'il faut obéir à la loi. Si l'intimé persiste alors à ne pas obéir à la loi, alors oui, le mécanisme d'intervention pourra s'enclencher.

Dans ce scénario, il s'agira vraiment de savoir si l'on veut attendre qu'il y ait violation flagrante de la loi pendant que l'enquête se fait, ou si l'on veut autoriser l'enclenchement automatique du mécanisme d'intervention. À mon avis, ce sont là les deux possibilités qui s'offrent au comité. S'il y a tort imminent, ou bien on permet à l'enquête de se faire et de prendre tout le temps qu'il faut pour ça pendant que le tort est commis, ou non. Le choix est clair.

Les deux autres éléments qui sont importants à mon avis - et le comité semble d'accord - c'est l'idée de s'assurer que la liste existante du COSEPAC figure dans la liste initiale... À mon avis, le bon sens exige qu'on ne reprenne pas tout au début, mais s'il y a un besoin, s'il y a des espèces qui méritent une nouvelle évaluation, la loi l'autorisera. Enfin, il s'agit de savoir si l'on va ajouter à la loi le mécanisme de révision anticipée, ce dont j'ai parlé lorsque j'ai répondu aux questions deMme Kraft Sloan.

Le président: J'ai quelques questions de caractère général et particulier, monsieur Elgie. La première a trait à la Loi sur les pêches fédérale. Depuis qu'on l'a modifiée en octobre dernier, pensez-vous toujours que cette loi offre une protection plus grande que le projet de loi actuel?

M. Elgie: Si je comprends bien, le Parlement n'a pas encore décidé s'il modifierait cette loi. Oui, cette loi offre encore une plus grande protection. Sauf erreur, toutes ces modifications n'ont pour effet que de confier aux provinces le soin d'assurer la protection de l'habitat. Ce n'est pas aussi fort que c'était, mais c'est plus fort.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on peut toujours prétendre que la Loi sur les pêches prévoit déjà la protection de l'habitat, et donc qu'on n'a pas besoin de s'en inquiéter autant dans ce projet de loi-ci, mais le fait qu'une espèce se retrouve sur la liste des espèces en péril montre que la Loi sur les pêches fédérale ne l'a pas assez protégée. Si une espèce aquatique se retrouve sur cette liste, c'est parce que la Loi sur les pêches ne l'a pas assez protégée. Donc, le but général de ce projet de loi, à mon avis, est d'offrir une protection plus grande que celle qu'offre la législation générale en matière de gestion faunique au Canada. Il me semble que la solution réside dans une protection législative plus rigoureuse pour les espèces aquatiques en péril.

Le président: La prochaine question a trait à la législation dans quatre provinces. Est-ce qu'on y retrouve des listes d'espèces en péril?

M. Elgie: Oui, il y a des listes dans chaque cas. Ces listes sont établies à la discrétion du conseil des ministres, sauf en Nouvelle-Écosse, où la loi reproduit automatiquement la liste du COSEPAC. C'est le nouveau projet de loi qui vient de franchir l'étape de la première lecture en Nouvelle-Écosse.

Le président: Une fois que ces listes sont publiées, est-ce qu'on en assure le respect dans chaque province?

M. Elgie: Au niveau de la liste et des mesures d'application, le rendement est assez mauvais. Les deux exemples de liste que je connaisse sont ceux du Québec et de l'Ontario, et pour ce qui est de la liste, le Québec est loin d'avoir établi une bonne liste d'espèces fauniques. Le COSEPAC a dit qu'il y avait 10 espèces menacées ou en péril et aucune d'entre elles ne se retrouve sur cette liste. L'Ontario, comme je l'ai dit, n'a mis sur sa liste que 17 des 50 espèces menacées ou en péril que le COSEPAC a identifié sur son territoire. J'ai l'impression que le Nouveau-Brunswick et le Manitoba ont travaillé un peu mieux, mais je n'ai pas de statistiques sur ces provinces.

Au sujet des mesures d'application, j'ai fait une recherche sur cette question il y a peu de temps, si bien que mes informations ne datent que de quelques mois, mais je n'ai pu trouver aucune mesure d'intervention en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Nouveau-Brunswick, du Manitoba ou du Québec. En Ontario, je crois qu'il y a eu trois mesures d'intervention en 25 ans. Au Québec, c'est attribuable dans une certaine mesure au fait que la province n'a pas encore établi sa liste d'espèces fauniques. Ces deux éléments sont probablement reliés dans ce cas. Dans le cas de l'Ontario et des autres provinces, il faut conclure ou bien qu'on n'a jamais dérangé l'habitat des espèces en péril dans ces provinces, ou alors, qu'on s'est montré peu empressé à appliquer la loi.

Le président: Au sujet de l'article d'application, l'article 2, proposez-vous des moyens de l'améliorer afin de refléter la réalité au nord du 60e parallèle?

M. Elgie: Le paragraphe 3(2), monsieur le président?

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Le président: Je parle du paragraphe 2(2). À Edmonton, nous avons entendu des critiques au sujet de l'article d'application.

M. Elgie: Il s'agit de l'article permettant au gouverneur en conseil de déléguer les pouvoirs en vertu de cette loi aux territoires ou...?

Le président: Et parce qu'on a omis de reconnaître l'existence d'un délai déjà établi par un traité ou un conseil de gestion.

M. Elgie: Chose certaine, je ne comprends pas ainsi le projet de loi. À mon avis, le projet de loi est très respectueux des traités, des accords de revendications territoriales et des conseils de gestion. Le paragraphe 2(2) du projet de loi dit précisément qu'on ne portera pas atteinte aux droits des peuples autochtones. Le paragraphe 36(1) prévoit une exemption automatique pour toute activité entreprise conformément à un accord sur des revendications territoriales ou à un autre document, je crois.

À mon avis, cette dernière disposition va même trop loin. Il faut prévoir un équilibre quelconque. Même la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Sparrow, a dit que la conservation avait la priorité, que le droit de l'Autochtone de chasser une espèce prime tous les droits non autochtones, mais que la conservation de cette espèce prime tous les autres intérêts.

À mon avis, le projet de loi doit prévoir un mécanisme quelconque pour favoriser cet équilibre, tout en reconnaissant la priorité des droits autochtones, et tout en reconnaissant que les conseils de gestion fauniques et le savoir ancestral doivent intervenir dans le façonnement des mesures de protection pour les espèces en péril et l'établissement des listes.

Le président: L'article d'application a suscité une vive indignation à Vancouver et à Edmonton parce qu'on n'y reconnaît pas les traités ou les accords sur les revendications territoriales ou la réussite des conseils de gestion établis.

M. Elgie: Le paragraphe 2(2) reconnaît expressément les droits autochtones et les droits issus de traités. Ce sont les droits qui figurent dans la Constitution et dans les traités.

Le président: C'est ce que nous pensons aussi, mais de toute évidence...

M. Elgie: C'est un projet de loi substantiel. Cela étant le cas, je pense qu'on peut comprendre que ce n'est pas tout le monde qui en a lu toutes les dispositions dans le détail. Moi je l'ai fait, et je ne souhaite ça à personne.

L'alinéa 36 (1)c) dit que toute activité conforme aux régimes de conservation des espèces sauvages définis dans un traité, un accord sur des revendications territoriales ou une entente d'autonomie gouvernementale ou de cogestion conclue avec des Autochtones est automatiquement exemptée des interdictions prévues par la loi. C'est là où je dis que le bon sens exige l'établissement d'un mécanisme quelconque pour favoriser l'équilibre de ces régimes. Bon nombre de ces documents n'ont pas été rédigés en fonction des espèces en péril. L'article 39 exige expressément une consultation. Chaque fois qu'on met au point un plan de rétablissement, il faut qu'il y ait consultation avec le conseil de gestion des ressources fauniques.

Ce que j'ai déjà recommandé à ce sujet dans mon mémoire, et le comité voudra peut-être y songer, c'est qu'il y ait consultation obligatoire avec le conseil de gestion des ressources fauniques lorsqu'on émet un permis ou lorsqu'on conclut un accord en vertu de l'article 46. C'est peut-être un secteur...

Le président: Très bien. Permettez-moi maintenant d'aborder d'autres détails.

La Federation of British Columbia Naturalists recommande l'adjonction suivante, que je n'ai pas pu trouver dans votre texte - à savoir, que l'article 42 oblige expressément les ministères fédéraux à se conformer à la mise en oeuvre des plans de rétablissement pour les espèces en péril.

Qu'en pensez-vous?

M. Elgie: Je pense que c'est une excellente idée. Cette recommandation n'apparaît pas au même endroit chez moi. Chez moi, c'est en fait au paragraphe 40 (3).

La loi australienne présente un libellé presque identique. Il y est dit que tous les ministères fédéraux doivent se conformer à la mise en oeuvre du plan de rétablissement.

Le président: Parlons maintenant de la définition de «résidence», que propose l'Association des producteurs pétroliers, l'Association des pâtes et papiers, l'Association minière et le Comité national de l'environnement agricole, définition que je trouve assez curieuse. J'aimerais savoir ce que vous en pensez parce qu'elle me semble beaucoup plus étendue que ce que nous avons vu jusqu'à présent.

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On recommande que le mot «résidence» au paragraphe 2(1) soit redéfini ainsi:

La première partie ressemble beaucoup à votre définition, mais la deuxième partie s'en écarte un peu, et il me semble à moi du moins, qui ne suis pas avocat, qu'on tend ici un filet plus large. Auriez-vous l'obligeance d'en prendre connaissance et de nous faire savoir ce que vous en pensez.

M. Elgie: Oui. J'ai tenté de noter les mots essentiels en vous écoutant. Il me semble que cette définition rétrécit en fait la portée du projet de loi.

Le président: Est-ce le cas?

M. Elgie: Oui. Par exemple, dire que c'est une structure ou un site me semble référer à quelque chose qui est construit, et dans la dernière partie de la définition surtout, si je vous ai bien compris, il semble que le site doit être celui où la mobilité de l'espèce se trouve considérablement réduite. On semble songer davantage à quelque chose comme le nid ou le terrier.

Pour moi, le critère décisif est le suivant: cette définition englobe-t-elle le territoire de mise bas d'un caribou? Ici, ce n'est pas le cas. Un tel territoire ne pourrait être considéré un site comme un nid ou un terrier où la mobilité de l'espèce est réduite, et cette définition ne refléterait donc pas la réalité écologique de la vie du caribou ou de la vie du bison ou de plusieurs autres espèces.

Le président: Très bien. Merci.

J'ai quelques autres questions. Il y en a une qui a trait au mémoire du professeur Rounthwaite, qui a dit que le comité devait envisager une adjonction aux mesures de protection des espèces en péril du projet de loi qui dirait clairement qu'un tribunal qui émet une ordonnance finale pour la protection d'une espèce en péril conserve son autorité sur les parties jusqu'à ce qu'on ait mis en oeuvre tous les correctifs négociés à la satisfaction du tribunal. Qu'en pensez-vous?

M. Elgie: C'est une bonne idée. Le projet de loi ne dit pas cela explicitement. J'imagine qu'un tribunal interpréterait ainsi le projet de loi. Le projet de loi ne prévoit pas de mesures de restauration négociées, mais il stipule que le tribunal doit approuver ces mesures de restauration aux termes des négociations. Mais je ne me rappelle pas avoir vu quoi que ce soit d'explicite ici disant que le tribunal conserve son autorité pendant tout ce temps, donc comme il vaut mieux pécher par excès de prudence, l'adoption d'une telle mesure serait sûrement compatible avec l'intention du projet de loi.

Le président: Très bien. Passons maintenant à la question de l'indemnisation, qui a déjà été soulevée par MM. Forseth et Knutson. Si je me souviens bien, l'association des pâtes et papier, les associations pétrolières et minières ainsi que nos associations agricoles nationales et bien d'autres ont recommandé, au sujet de l'indemnisation, qu'on ajoute une mention après l'alinéa 38(5)(d):

M. Elgie: Tout d'abord, on va ici plus loin que le rapport du groupe de travail, ce qui est une bonne chose. Les gens sont libres de recommander ce qu'ils veulent. Mais le groupe de travail s'est simplement entendu pour dire qu'il faudrait envisager une indemnisation si l'utilisation ou la valeur de la terre était considérablement compromise.

Personnellement, j'étais d'accord avec cela et je le suis toujours. Si un particulier, afin de protéger une espèce en péril, ou autrement dit afin de protéger un bien public dont nous profiterons tous, subit une perte importante ou doit engager des dépenses importantes, ces dépenses doivent être partagées par tous les membres de la société. Si on construit une route à proximité de chez vous, vous allez tolérer un peu plus de bruit que d'habitude. Si quelqu'un déplace un panneau d'arrêt dans votre rue, vous vous arrangez pour vivre avec ça. Mais si quelqu'un fait passer une route dans votre maison, vous avez droit à une indemnisation. Vous avez droit à une indemnisation si votre vie n'est plus la même.

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L'article 8 prévoit déjà le partage des coûts associés à la protection des espèces en péril, et à mon avis, cette disposition vous compensera amplement pour l'incidence économique de telles mesures. Si l'on veut en prévoir davantage, il serait tout à fait raisonnable d'avoir un programme comme celui que j'ai mentionné plus tôt, tel le programme d'établissement d'une couverture végétale permanente.

Le président: Mais ce programme sera bientôt terminé, comme vous l'avez dit aussi. Donc on ne peut pas s'attendre à grand-chose de ce côté.

Au sujet de la question de l'indemnisation, M. Forseth a soulevé une idée qui pourrait avoir effet de faciliter l'accueil à cette loi. Pensez-vous qu'un organisme comme Habitat faunique Canada, par exemple, pourrait être en mesure de jouer le rôle d'arbitre en matière d'indemnisation?

M. Elgie: Je ne peux parler au nom d'aucune organisation, mais il y a plusieurs organisations fauniques au Canada à l'heure actuelle qui s'emploient déjà à fournir de l'aide financière pour le rétablissement et la protection des espèces en péril et de leur habitat. Je pense qu'au lieu de réinventer la roue, il serait plus raisonnable de travailler en coopération avec des organisations comme celles-là. Ça fait des années qu'elles oeuvrent dans ce domaine; elles ont déjà les contacts qu'il faut.

On peut dire aussi que les données émanant des sondages et d'autres interactions, montrent que l'indemnisation n'est pas nécessairement le facteur le plus important. Ce que disent les gens, c'est qu'ils veulent qu'on leur donne la possibilité de régler les problèmes eux-mêmes dans le respect de leur dignité, et avoir le soutien scientifique qu'il faut pour mettre au point des plans de conservation, et peut-être aussi des allégements fiscaux de sorte qu'ils ne seront pas imposés pour la pleine valeur de la terre s'ils l'utilisent à des fins qui ne génèrent pas de revenus.

J'ai d'ailleurs été surpris de constater, dans un sondage d'Angus Reid, que la perspective de l'indemnisation n'était importante que pour seulement 2 p. 100 des Canadiens ruraux dans leur désir de protéger une espèce en péril sur leurs terres. Maintenant, cela ne veut pas dire que cela ne fait pas problème, mais je pense qu'on a raison de ne pas accorder à cela une importance disproportionnée. Pour beaucoup, ce qui compte, c'est d'avoir l'assurance que le gouvernement ne viendra pas leur dire quoi faire, surtout à ces gens qui conservent déjà avec fierté telle ou telle zone riveraine... mon grand-père a été fermier toute sa vie, et ses enfants n'auraient jamais coupé le bois qu'il y avait au bout de la terre, justement parce que grand-papa l'a toujours laissé intact. Donc ce qu'on voit surtout ici, c'est que les gens veulent seulement qu'on reconnaisse leur contribution et ils ne veulent pas qu'on décide à leur place.

Le président: C'est néanmoins un problème dont il faut tenir compte, j'imagine.

Enfin, et vous avez répondu à cette question plus tôt, je crois, que faut-il faire pour protéger la chouette tachetée, qui est le symbole de cette loi? Les amendements que vous avez mentionnés plus tôt sont-ils suffisants?

M. Elgie: À mon avis, la chouette tachetée est un bon exemple de deux choses. C'est un bon exemple de la nécessité d'une loi qui oblige le gouvernement à agir lorsque les scientifiques identifient un problème, parce que le COSEPAC a prouvé il y a dix ans que la chouette tachetée était une espèce en péril. Ça fait 10 ans qu'on étudie, qu'on parle, qu'on fait des rapports et qu'on réfléchit, et pendant ce temps, nous avons perdu presque tous nos moyens d'action. Si, au moment où cette espèce est apparue sur la liste du COSEPAC, on avait été obligé d'agir... il y avait alors plusieurs possibilités qui s'offraient à nous. Mais plus on tarde à agir, moins on a de possibilités. C'est pourquoi je pense que la chouette tachetée est un exemple parfait de la nécessité de cette loi qui nous obligerait à remédier aux problèmes dès qu'ils sont identifiés. À mon avis, l'inscription obligatoire sur la liste est un bon exemple d'action.

Pour ce qui est de savoir si la chouette sera protégée par le projet de loi, c'est à l'article 33 qu'on trouve la réponse, étant donné qu'il s'agit d'une espèce qui franchit la frontière canado-américaine. Chose intéressante, en fait - je mentionne ça en passant - la loi américaine dit expressément que le territoire canadien fait partie de l'aire de la chouette tachetée. La loi américaine dit que cette aire commence dans le nord de la Californie et s'étend sans interruption jusque dans le sud de la Colombie-Britannique. Donc si l'on veut que l'initiative américaine réussisse, et si l'on veut que l'initiative canadienne réussisse à sauver la chouette tachetée, ces initiatives doivent être binationales.

La chouette est un autre bon exemple de la façon dont les espèces en péril peuvent servir d'élément indicateur dans un écosystème plus vaste. Les mesures qu'on prend pour sauver la chouette tachetée empêcheront le grizzly de passer d'espèce vulnérable à espèce en péril. Même chose pour l'alque marbrée. Même chose aussi pour les vautours des îles de la Reine-Charlotte. La chouette tachetée...

Le président: Êtes-vous en train de dire qu'il y a ici un effet de domino?

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M. Elgie: Oui. C'est seulement le premier signal que plusieurs autres espèces vivant dans la forêt ancienne ne sont pas encore en danger mais sont sur le point de l'être.

Le président: Vous dites donc en substance que la chouette tachetée sera protégée par l'article 33, tel qu'il est libellé?

M. Elgie: Non, absolument pas.

Le président: Il y faudrait l'amendement que vous proposiez plus tôt.

M. Elgie: Oui. Pour ce qui est de la chouette tachetée, l'article pose deux problèmes. Premièrement, l'article 33 ne mentionne aucune obligation quant à l'adoption du règlement. D'après la lecture que j'en fais, on ne peut pas adopter de règlements ici. Même si le règlement est adopté, il ne permettrait pas au gouvernement à l'heure actuelle de protéger l'habitat de la chouette tachetée. Il ne s'agit ici que de tort direct ou de perte de résidence. Donc on peut sauver l'arbre dans lequel la chouette tachetée vit, mais on pourrait raser le kilomètre qui entoure cet arbre et dont la chouette a besoin pour se nourrir et élever ses petits. C'est pourquoi il faut modifier l'article 33.

Il y a deux façons de le faire, les deux mêmes façons que pour le reste du projet de loi. Les mots «habitat essentiel» pourraient simplement être insérés à l'article 33, ou ce qui serait plus compliqué, permettre la prise d'un règlement prévoyant la mise en oeuvre d'un plan de rétablissement et, ultimement, protéger l'habitat de ces espèces de cette façon. Mais pour faire cela, le comité devrait revenir en arrière et apporter des amendements mineurs au paragraphe 33(2) aussi.

Le président: Insérer la définition de «habitat» dans le projet de loi, est-ce que cela serait utile?

M. Elgie: Je pense que oui. L'habitat essentiel est défini, mais c'est une définition plus étroite que celle que recommandait le groupe de travail. Le groupe de travail a dit que l'habitat essentiel, c'est l'habitat qui est essentiel pour la survie et le rétablissement d'une espèce. Le projet de loi dit que c'est l'habitat essentiel pour la survie. Donc on peut laisser à l'espèce un habitat suffisant qui préviendra son extinction aujourd'hui, mais qui ne sera pas suffisant pour permettre son rétablissement complet.

Le projet de loi vise à favoriser la survie et le rétablissement. C'est donc à mon avis un changement que l'on pourrait apporter. La définition de l'habitat m'apparaît très raisonnable. Chose certaine, la loi australienne, la loi manitobaine et la loi américaine définissent toutes l'habitat. Le bon sens l'exige. Je crois savoir que le comité a plusieurs recommandations à faire, et celle que je fais ici s'inspire simplement de la convention sur la biodiversité et de la loi australienne.

Il est très important, à mon avis, d'élargir la définition de «habitat essentiel» et de donner suite à la recommandation du groupe de travail qui voulait inclure «l'habitat nécessaire au rétablissement».

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

Votre témoignage nous a été très utile. Je vous remercie.

Le comité reprendra ses travaux demain matin à 8h30, à la salle 253-D. La séance est levée.

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