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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mai 1995

.1530

[Traduction]

Le président: À l'ordre!

Le Comité des finances poursuit son étude du projet de loi C-76. Nous avons avec nous nos premiers témoins: Keith Banting, professeur à l'Université Queen, et Robin Boadway, également professeur à la même université.

M. Keith Banting (professeur, Études politiques et École d'administration publique, Université Queen): Nous aimerions d'abord formuler quelques observations préliminaires. Nous avons fait circuler, parmi les membres du comité, une brève déclaration qui a été traduite. Nous avons également présenté deux documents d'information que nous avons aussi fait circuler parmi les membres du comité.

Je ferai un bref exposé préliminaire et ma collègue formulera quelques observations supplémentaires. Nous répondrons avec plaisir, du mieux que nous pourrons, à toutes les questions que les membres du comité pourront avoir.

Pour commencer, nous constatons que le budget de 1995 fait date dans l'évolution de la politique publique canadienne. Il s'attaque énergiquement au déficit et introduit, au sein du gouvernement fédéral, une nouvelle structure, ou de nouveaux éléments de programmes, notamment un régime fort important, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Nous désirons faire ressortir les conséquences à long terme de ce budget et de cette loi, parce que nous croyons qu'il importe que ses conséquences à long terme pour le Canada fassent l'objet d'un débat vigoureux, pour faire en sorte que des effets irréversibles ne se produisent pas sans que se déroule un tel débat.

Nous estimons essentiellement que cette loi présente de grands avantages, mais que nous devons protéger ces avantages et faire fond sur eux. Nous croyons tout particulièrement que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux devrait devenir un élément permanent de la structure des programmes du gouvernement fédéral et non pas simplement un élément passager. Comme les membres du comité le constateront, sous la forme qu'il revêt actuellement dans le projet de loi C-76, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, une fois instauré, commencera automatiquement à disparaître. Étant donné que ce Transfert incarne d'importantes valeurs canadiennes, sa disparition entraînerait, à notre avis, au Canada, un énorme changement qui serait regrettable.

La suite de notre déclaration traite quelque peu de ce que fait le projet de loi C-76 dans ce domaine. Je vais passer rapidement sur cette partie, parce que je suis certain que les membres du comité connaissent bien les points importants qu'elle renferme. Nous soulignons simplement en passant qu'il n'y a aucun changement immédiat dans la structure de la Loi canadienne sur la santé même, que les dérogations des provinces aux principes de base du système canadien de soins de santé entraîneraient le même genre de réductions de l'apport fédéral que dans le passé. Un changement est apporté dans le domaine de l'aide sociale en ce sens que les gouvernements provinciaux jouiraient d'une latitude beaucoup plus grande que dans le passé. Notre mémoire donne quelques exemples qui le prouvent.

Ce que nous voudrions faire remarquer, c'est qu'il y a de grands avantages à la méthode du financement global, comme le laisse entendre le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, particulièrement en donnant aux provinces une plus grande flexibilité dans l'intégration des programmes d'aide sociale aux dépenses, aux services et au soutien accordé aux gagne-petits. Nous trouvons aussi que cette méthode présente certains risques. Les services sociaux, l'assistance sociale seront l'objet de lourdes contraintes budgétaires au niveau provincial. Il y a de toute évidence des gens du secteur des services sociaux dans notre pays qui craignent que ces programmes ne subissent en réalité des réductions assez importantes. À notre avis, ces craintes ne sauraient être écartées aussi légèrement.

C'est pour cette raison que nous accordons une grande importance à l'énoncé suivant du budget fédéral:

Ce qui nous semble le plus important et ce que nous aimerions souligner principalement dans notre exposé aujourd'hui, c'est que pour que ces discussions soient valables, pour faire en sorte que le gouvernement fédéral puisse y jouer un rôle efficace, il est essentiel, à notre avis, que ce dernier déclare qu'il continuera à contribuer financièrement à ces programmes. Il ne peut espérer diriger un processus collectif d'établissement de principes ou d'objectifs s'il n'est qu'un partenaire provisoire.

Pour nous donc, la question essentielle est de savoir si le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux représente un engagement permanent du gouvernement du Canada ou s'il constitue, au mieux, une disposition temporaire. Voilà qui nous amène rapidement à la question de la formule qui étaye le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, ainsi qu'à la distinction entre les points d'impôt et les versements en espèces qui font partie du Transfert.

.1535

En vertu des dispositions législatives actuelles, la contribution fédérale aux soins de santé, à l'enseignement postsecondaire et à l'aide sociale disparaîtra tout simplement avec le temps. Selon nous, c'est parce que les points d'impôt ont été clairement transférés aux gouvernements provinciaux en 1977. Le gouvernement fédéral ne peut en aucune façon récupérer ces points d'impôt, ni y rattacher des conditions particulières. À l'heure actuelle, la seule contribution à ces programmes, la seule qui compte de façon importante, est le transfert fédéral en espèces. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit du seul élément qui donne au gouvernement fédéral quelque présence, quelque rôle dans la définition de principes futurs, quelques pouvoirs pour maintenir le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, la Loi canadienne sur la santé et l'idée d'interdire l'imposition d'exigences en matière de résidence pour les prestataires de l'aide sociale.

Aux termes de la loi actuelle, le transfert en espèces diminuera progressivement. Vers la fin de la première décennie du siècle prochain, le transfert en espèces disparaîtra complètement. Mais bien avant, il sera si minime qu'il n'aura plus d'effet réel.

La véritable question qui nous préoccupe a trait à la force de l'engagement fédéral envers les principes lesquels repose la Loi canadienne sur la santé, l'interdication d'imposer des exigences en matière de résidence aux fins de l'aide sociale et les principes ou objectifs nationaux qui pourraient être établis avec les principes dans les mois à venir. Ces engagements permanents sont-ils ancrés dans des valeurs importantes et durables, ou s'agit-il simplement de préférences à caractère temporaire que l'on abandonnera sans bruit au cours de la prochaine décennie?

Voilà qui nous amène à la question centrale, qui est, de bien des façons au coeur de ce débat: existe-t-il un rôle pour l'établissement de principes ou d'objectifs nationaux en matière de programmes sociaux qui importent au plus haut point pour les Canadiens? D'après nous, cette question repose sur la nature du Canada en tant que collectivité. Y a-t-il des obligations et des droits sociaux que tous les Canadiens partagent en tant que citoyens, ou sommes-nous une série de collectivités régionales, une communauté de communautés tout comme un ancien premier ministre nous a décrit? La réponse que nous donnons personnellement à cette question est relativement simple.

À notre sens, les Canadiens ont, en tant que Canadiens, des obligations les uns envers les autres, qui vont bien au-delà du blanchiement interrégional d'argent. À notre avis, le Canada est un concept plus significatif s'il existe de grandes sphères d'expériences communes, des programmes importants tels que les soins de santé et les éléments de notre protection sociale que nous établissons ensemble en tant que nation.

C'est d'après nous ce que laisse entendre la Constitution de notre pays, et nous citons le paragraphe 36.1 de la Constitution, qui engage le gouvernement fédéral, entre autres choses, à assurer l'égalité des chances à tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être et à leur fournir des services publics essentiels d'un niveau de qualité acceptable. Nous croyons que cet élément de la Constitution même est un message moral puissant, que le gouvernement fédéral s'engage à garantir qu'il prend part à la protection du bien-être de tous les Canadiens et que c'est un engagement auquel il devra rester fidèle.

Par conséquent, ce qui importe le plus au sujet de cette loi, c'est que le gouvernement fédéral devrait dissocier les points d'impôt et le transfert en espèces et renforcer le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux de telle sorte qu'il devienne un élément permanent de la structure des programmes du gouvernement du Canada. Le niveau auquel le transfert devra être fixé devra faire l'objet d'un débat, et aboutira inévitablement à un compromis entre la nécessité de réduire le déficit financier du gouvernement fédéral d'une part, et la nécessité de conserver suffisamment de fonds pour donner de la crédibilité à l'idée des sanctions fédérales d'autre part.

Sans cet engagement à faire du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux une permanent de la structure des programmes du gouvernement du Canada, nous ne pouvons pas concevoir que les gouvernements provinciaux accorderont beaucoup d'attention à une invitation du ministre du Développement des ressources humaines pour qu'ils viennent discuter de principes ou d'objectifs nationaux. Pourquoi y accorderaient-ils de l'attention? Sans un tel engagement, le gouvernement fédéral perdra tout simplement la capacité de préserver les principes fondamentaux incorporés dans la Loi canadienne sur la santé et l'interdiction d'imposer des exigences en matière de résidence pour toucher des prestations d'aide sociale disparaîtra tout simplement.

.1540

Permettez-nous d'expliquer notre point de vue le plus clairement possible. Nous ne croyons pas que les Canadiens accepteraient l'abrogation patente de la Loi canadienne sur la santé. Mais l'érosion lente et discrète du transfert fédéral en espèces a le même effet. À notre avis, déclarer la Loi canadienne sur la santé inviolable, mais en même temps abandonner peu à peu les moyens de la préserver ne constitue pas une position crédible.

Il est temps que le gouvernement du Canada fasse montre de transparence. Le gouvernement fédéral devrait confirmer son engagement envers la Loi canadienne sur la santé et l'établissement possible de principes nationaux dans le domaine de l'aide sociale en faisant du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux un programme permanent. Sinon, il doit admettre qu'il n'y croit plus ou qu'il pense ne plus avoir les moyens de maintenir la Loi canadienne sur la santé et l'interdiction d'imposer des exigences en matière de résidence pour la prestation d'aide sociale; il doit, dans ce cas, projeter de les abroger peu à peu. Cela nous apparaît comme étant le véritable choix qui s'offre au Canada.

En conclusion, j'aimerais remercier les membres du comité de leur attention. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos délibérations. Il s'agit de questions essentielles. Nous répondrons avec plaisir aux questions que vous nous poserez. En outre, nous avons annexé deux documents d'information que vous pourriez juger utiles dans vos discussions.

Ma collègue voudra peut-être ajouter quelques mots.

M. Robin Boadway (professeur, Sir Edward Peacock, professeur de théorie économique, Université Queen): Monsieur le président, j'ajouterai seulement deux points à ce que le professeur Banting vient de dire.

D'abord, en ma qualité d'économiste, je reconnais assurément qu'il faut absolument réduire le déficit et que le fardeau de la réduction du déficit doit être partagé par le plus grand nombre. Cependant, j'aimerais également signaler que la mise en oeuvre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux dans sa structure actuelle entraînerait une réduction disproportionnée de la contribution fédérale en espèces aux programmes sociaux des provinces. Selon mes calculs, elle serait plus de deux fois supérieure à celles des autres dépenses de programmes au cours des deux prochaines années, et en fin de compte, bien entendu, elle serait de 100 p. 100 au tournant du siècle. Il n'y a pas d'obligation à ce qu'il en soit ainsi.

Deuxièmement, je dois souligner qu'en prônant le raffermissement de la composante pécuniaire du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et la conservation d'un certain pouvoir de dépenser au niveau fédéral, nous ne nous opposons pas vraiment à la décentralisation de la conception et de la prestation des programmes sociaux en faveur des provinces. Ces dernières sont de toute évidence capables de prendre des décisions responsables et novatrices dans ces domaines.

Nous croyons cependant qu'il existe certains grands principes nationaux d'équité et d'efficience auxquels les programmes sociaux doivent adhérer, principes qui sont au moins en partie incorporés dans la Loi constitutionnelle, particulièrement à l'article 36. Le respect de ces principes ne devraient pas excercer sur les provinces, des contraintes excessives dans la prestation efficace de ces services.

À notre avis, la Loi canadienne sur la santé a en gros trouvé le juste milieu entre le maintien de normes nationales et la décentralisation de la responsabilité décisionnelle aux provinces. L'élaboration de normes semblables dans le domaine de l'aide sociale prendra du temps et devra peut-être attendre l'issue du débat sur la réforme de la politique sociale qui doit reprendre. À défaut d'autre chose, le maintien des versements en espèces qui font partie du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux nous permettra de gagner le temps nécessaire pour dégager un consensus national au sujet de l'avenir des relations fédérales-provinciales en matière financière et du rôle du gouvernement fédéral dans la prestation des programmes sociaux.

Le président: Vous tenez tous les deux des propos très sensés.

[Français]

Nous allons commencer par les questions de M. Dubé, s'il vous plaît.

M. Dubé (Lévis): Je tiens à remercier les témoins pour leur présentation qui est brève et claire.

Cependant, elle me pose un peu problème, car vous semblez vous inquiéter tous les deux des points d'impôt qui font en sorte que le contrôle des programmes sociaux est en train d'échapper au gouvernement fédéral.

Je comprends les objectifs d'équité que vous défendez. Par contre, vous semblez faire abstraction de ceci: les trois domaines que vous présentez, soit la santé, l'éducation postsecondaire et l'aide sociale sont de juridiction provinciale de par la Constitution. J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus et j'aurais ensuite une deuxième question à vous poser.

.1545

[Traduction]

M. Banting: Monsieur le président, on me demande, si j'ai bien compris, comment nous concilions nos préoccupations au sujet de la présence fédérale au sein de ces programmes et le fait qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale.

Je crois que nous avons toujours accepté qu'il s'agit là d'un domaine de compétence provinciale. Mais nous croyons également qu'au Canada, le gouvernement fédéral s'est donné, sur une très longue période en fournissant de l'aide financière aux provinces, un rôle que nous estimons fort précieux.

Nous pensons que le compromis canadien, si l'on veut, qui consiste en des principes très généraux que nous partageons tous en tant que citoyens de notre pays, alliés à la conception et à la prestation de la structure de programmes même par les provinces est un compromis fort sage. Nous ne pensons pas que les principes généraux que le gouvernement fédéral a établis sont particulièrement restrictifs dans le domaine de la Loi canadienne sur la santé.

La province de Québec a fait un usage fort intéressant de la souplesse que lui offre la loi, en groupant de façon avantageuse et novatrice la prestation des soins de santé et des services sociaux au niveau communautaire au sein des organismes communautaires locaux. C'est, à notre avis, un exemple de la flexibilité du système, que de pouvoir préserver des principes généraux de telle sorte que tous les Canadiens en tant que citoyens peuvent s'attrendre à certaines normes ou à des genres généraux de programmes sociaux, tout en permettant aux provinces d'appliquer ces principes d'une façon qui reflète leur culture, leurs préférences et leur société propre. Il s'agit d'un compromis entre ces deux éléments qui, à notre sens, fonctionne bien.

M. Boadway: J'ajouterai seulement que dans l'interprétation de votre question qui m'a été communiquée, vous avez parlé du contrôle des programmes sociaux par le gouvernement fédéral. J'aimerais souligner, tout à l'appui des arguments de ma collègue, que nous ne prônons vraiment aucun contrôle des programmes sociaux par le gouvernement fédéral. La responsabilité législative demeurerait à coup sûr au niveau provincial. L'enjeu réel consiste tout simplement en un ensemble de normes nationales minimales discrètes, auquel la plupart des Canadiens voudraient qu'adhérent les programmes nationaux. Ces normes traduiraient les principes fondamentaux d'équité et de citoyenneté qui sont compatibles avec ceux que l'on trouve dans la Constitution écrite.

[Français]

M. Dubé: Dans cet esprit-là, est-ce que vous seriez favorable à une approche qui consisterait à ce que le gouvernement fédéral discute, avec les gouvernements provinciaux, de critères ou d'objectifs nationaux, dans un esprit de coopération, d'échange et qu'on s'entende sur des objectifs minimaux? Si l'entente n'était pas possible, le gouvernement fédéral aurait son mot à dire, car il y a toujours la question des transferts, soit sous forme d'impôt ou autrement. Comprenez-vous le sens de ma question, c'est-à-dire, si la formule coopérative serait préférable à une formule qui viendrait d'en haut?

[Traduction]

M. Banting: Brièvement, la réponse est oui. C'est pourquoi nous croyons que l'invitation que lancera le gouvernement fédéral aux provinces pour amorcer des discussions sur les principes qui régiront l'aide sociale et les programmes de services sociaux est très importante. À notre avis, il est essentiel que le gouvernement fédéral déclare qu'il continuera de contribuer à ces programmes par le biais du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux pour que la participation fédérale à cette discussion soit réellement significative.

La loi actuelle prévoit déjà ce genre d'approche. Nous remarquons que la mesure porte que ces principes seront élaborés par consentement mutuel. Dans notre esprit, il s'agit d'un nouveau concept dans la structure des ententes fédérales-provinciales, le concept du consentement mutuel. À mon avis, la définition de ce concept constituera un défi intéressant. Qu'on entende par là un consensus, l'unanimité ou qu'il s'agisse de relations bilatérales, ce seront là des questions intéressantes à explorer au cours des mois à venir.

.1550

Il est clair, compte tenu de la nature de notre régime et de la façon dont a évolué l'autorisation du pouvoir de dépenser fédéral, qu'une certaine forme d'entente mutuelle est préférable au genre de conflits qu'entraînerait l'absence d'entente. Je serais porté de prime abord à répondre oui. De la façon dont la loi est présentée, il me semble qu'elle prévoit précisément ce que vous laissez entendre. Nous espérons seulement que le gouvernement fédéral en mettra suffisamment sur la table pour être écouté au cours de ces discussions.

Le président: Madame Hayes, bienvenue au comité. Je crois que c'est la première fois que nous vous accueillons parmi nous en tant que membre.

Mme Hayes (Port Moody - Coquitlam): Oui, en effet. Merci.

Je dois admettre qu'il me faudra quelque temps pour rattraper mon retard, mais j'aimerais simplement vous demander d'élaborer sur un point qui faisait partie de votre exposé et que j'ai trouvé intéressant. Vous avez affirmé qu'il était essentiel que le gouvernement fédéral dissocie les points d'impôt et le transfert en espèces et qu'il raffermisse le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Je ne vois pas d'explication complète ici à ce sujet. Est-ce une partie essentielle de votre exposé? Vous pourriez peut-être nous en dire plus à ce sujet.

M. Boadway: Il s'agit d'un point très important que bien des gens, à mon avis, ne connaissent pas; il est certain que le public n'en sait rien. Il a trait à la méthode technique dont la contribution en espèces est calculée aux fins du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. On la calcule en prenant une affectation de recettes à chaque province, selon le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, et en soustrayant de cette affectation ce qu'on appelle le transfert de points d'impôt, qui représente en réalité la valeur, pour les provinces, des points d'impôt qui leur ont été remis en 1977, il y a presque 20 ans, dans le cadre des arrangements conclus aux fins du financement des programmes établis.

La question que nous soulevons dans l'exposé, et il ne fait aucun doute que vous en entendrez parler à plusieurs reprises dans les jours à venir, c'est que l'existence du transfert de points d'impôt en tant qu'élément du Transfert canadien en matière de santé et des programmes sociaux suppose presque que l'élément «espèces» diminuera graduellement et disparaîtra complètement à un moment qui viendra assez vite au siècle prochain, et pour cause.

La valeur du transfert de points d'impôt, qui consiste essentiellement en des recettes fiscales recueillies par les provinces elles-mêmes à partir de leurs propres points d'impôt et qui n'a absolument rien à voir avec la contribution du gouvernement fédéral, a augmenté et augmente encore plus rapidement que le taux de croissance du régime qui a précédé le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le financement des programmes établis, qui croissait au même rythme que le PNB.

Les points d'impôt augmentent à un rythme plus rapide. Par conséquent, l'élément «espèces» qui est un reliquat, diminue. Les calculs effectués par diverses personnes semblent tous indiquer que, même si le montant global du Transfert en matière de santé et de programmes sociaux devait augmenter au même rythme que le PNB, ce qui n'est pas du tout certain compte tenu de la réduction du déficit, l'élément «espèces» régressera. Une fois que ce dernier est disparu, c'est terminé. Il n'y a pas de levier, en effet, le gouvernement fédéral ne faisant plus aucun transfert en espèces aux provinces les modalités exposées dans la Loi canadienne sur la santé et reprises dans le projet de loi C-76, les pénalités qui y sont prévues, ne pourront plus s'appliquer.

Mme Hayes: Vous disiez qu'il s'agit de recettes prélevées par les provinces, que les points d'impôt appartiennent aux provinces. Je croyais qu'il s'agissait de recettes fiscales cédées à la province, qui seraient allées autrement au gouvernement fédéral, mais que ce dernier leur a cédé les points d'impôt pour que l'argent demeure dans la province. En réalité, c'est le gouvernement fédéral qui cède de l'argent qui, autrement, lui serait revenu, et qui le laisse dans la province. Est-ce que mon interprétation est erronée?

M. Boadway: On pourrait vous avoir présenté les choses de cette façon. Je peux comprendre pourquoi vous pourriez penser ainsi. Le transfert de points d'impôt consistait en fait en une remise aux provinces en 1977 - on pourrait dire cession - le retrait du gouvernement ou une réduction du taux d'impôt fédéral en 1977, qui a permis aux provinces d'accroître leur taux d'impôt et de prélever le même montant de recettes. Une fois que le gouvernement fédéral a réduit ses taux d'impôt et a permis aux provinces de hausser les leurs, c'était final. Il est très difficile de faire marche arrière pour récupérer les points d'impôt à l'intention du gouvernement fédéral.

D'un point de vue économique du moins et à toutes fins pratiques, ces points d'impôt font maintenant partie des recettes prélevées par les provinces à leurs propres fins. Je ne crois pas qu'ils soient perçus, comme il se doit, comme des transferts du gouvernement fédéral aux provinces.

.1555

Mme Hayes: Dans cette optique, si vous avez des points d'impôt qui sont des fonds qui ne vont pas au gouvernement fédéral, mais qui demeurent dans la province, après un certain temps, ils reflèteraient l'économie et les besoins de la province d'une façon plus réaliste que des sommes en espèces remises à la province, n'est-ce pas?

Peut-être pouriez-vous nous expliquer ce point plutôt que de dire que le gouvernement devrait, d'une façon ou d'une autre, trouver un juste milieu entre la gestion de la dette et du déficit d'une part et des besoins de la province d'autre part, l'instrument que constituent les points d'impôt - c'est-à-dire des fonds que le gouvernement fédéral ne perçoit pas, mais qu'il permet au gouvernement provincial de percevoir pour refléter sa situation économique - ne serait-il pas en réalité une façon fort adéquate pour la province de se procurer, les sommes dont elle a besoin pour ses programmes de santé?

M. Boadway: Oui, il n'y a pas de raison pour que l'on ne puisse pas mettre de l'argent à la disposition des provinces en leur donnant une marge fiscale et en les laissant prélever leurs propres recettes. C'est essentiellement ce que vous dites. Cette question présente aussi un autre aspect: ces points d'impôt font l'objet de péréquation. Mais ne nous engageons pas dans cette voie.

La question est la suivante: si vous décidez que c'est de cette façon que les provinces doivent financer leurs programmes - en prélevant leurs propres recettes - et que vous ne voulez pas que le gouvernement fédéral conserve sa capacité de prélèver les recettes et d'en remettre aux provinces une partie en espèces, vous affirmez alors de manière implicite que vous ne voulez pas que le gouvernement fédéral puisse utiliser les transferts en espèces, quelles que soient les fins nationales auxquelles il pourrait vouloir s'en servir.

Ce que nous voulons faire ressortir ici, c'est qu'il existe quelques motifs légitimes pour lesquels le gouvernement fédéral pourrait désirer maintenir indéfiniment une contribution en espèces aux programmes sociaux, précisément pour pouvoir disposer d'une sanction lui permettant de s'assurer que les provinces respectent les principes par exemple de la Loi canadienne sur la santé.

Le président: C'étaient de bonnes questions, madame Hayes. Je vous remercie.

Madame Stewart, s'il vous plaît.

Mme Stewart (Brant): Merci à vous deux d'être là. Pardonnez-moi si je vous demande de répéter certains points dont vous avez parlé, mais votre exposé est extrêmement important et je veux m'assurer que j'ai bien compris vos propos.

Si je comprends bien votre point de vue, vous dites que, pour le pays, le transfert global n'est pas mauvais, que, sur le plan national, l'idée d'accorder une certaine souplesse et la façon dont on décrit ce processus ici en imposant des normes minimales ne sonne pas le glas des programmes sociaux et ne va pas détruire la structure sociale du Canada, son filet de sécurité et tout ce genre de choses. Est-ce exact?

M. Banting: Ce que nous disons, c'est que le principe fondamental d'une subvention globale n'a pas à entraîner une telle conséquence; c'est exact. Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux offre d'importants avantages, notamment de la souplesse et il élimine dans une certaine mesure le manque de flexibilité et les difficultés inhérentes à l'ancien régime qui liait les programmes sociaux et les programmes de santé.

Mais nous croyons que le transfert global doit également être assorti de certains principes ou objectifs que le gouvernement fédéral établit et maintient, parce qu'il apporte une contribution en espèces à ces programmes, la Loi canadienne sur la santé étant, à notre sens, le plus important. L'interdiction d'imposer des exigences en matière de résidence pour la prestation d'aide sociale est, de toute évidence, primordiale.

On espère qu'au cours des négociations, le Canada puisse en arriver à des ententes sur d'autres principes, parce qu'il y a des risques à retirer certaines des modalités actuellement implicites dans le Régime d'assurance publique du Canada. Il ne fait aucun doute qu'il y a...

Mme Stewart: Mais vous ne voyez rien dans le contexte du projet de loi C-76 qui pourrait nous empêcher de faire ces choses là à ce stade-ci?

M. Banting: Eh bien, la question consiste maintenant à savoir si les négociations concernant aussi bien le budget que la loi, seront fructueuses et si le gouvernement fédéral y jouera le rôle principal. Cela nous amène à la question de savoir s'il y aura de l'argent en jeu.

Mme Stewart: Parlons donc de cette question.

Monsieur Boadway, vous avez dit que nous en entendrions parler bien souvent durant les travaux du comité. D'abord, vous avez parlé de la compréhension réelle des points d'impôt par opposition aux transferts en espèces. Bien sincèrement, nous n'en n'avons pas entendu parler, très souvent, et c'est pourquoi votre présence ici est importante.

Dans le témoignage entendu, on suppose que le budget sera ramené à zéro et qu'il n'y aura pas de versements en espèces pour servir de levier mais ce n'est pas nécessairement le cas. Il n'est pas obligatoire que cela se passe ainsi.

M. Boadway: De la façon dont le projet de loi C-76 est rédigé et comme le budget semble supposer, en vertu de la structure actuelle du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, cela se passera ainsi. Le budget descendra à zéro.

Ce que nous préconisons, c'est que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux soit défini comme un transfert en espèces, point final. Il faudrait en retirer les points d'impôt.

.1600

Mme Stewart: Et il n'y a rien, sur le plan constitutionnel, qui nous empêcherait de procéder ainsi si on le désirait, n'est-ce pas?

M. Boadway: C'est exact.

Mme Stewart: C'est bon à savoir.

Penchons-nous sur la question du consentement mutuel. Comme vous le dites, c'est une notion très nouvelle et très différente, l'idée qu'il puisse en fait être question actuellement de nouvelles stratégies du fédéralisme et de mécanismes qui feraient en sorte que le Canada fonctionnerait peut-être d'une manière différente.

Il y a des éléments qui pourraient nous donner à penser - et vous mentionnez en particulier la Constitution - que les provinces et le gouvernement fédéral doivent en réalité agir dans ce sens et créer un consensus et des programmes qui répondraient aux besoins de tous les Canadiens. Mais vous laissez entendre que nous ne pouvons pas vraiment y parvenir sans l'aiguillon de l'argent, à ce stade en tout cas.

M. Banting: Oui, nous croyons qu'il sera extrêmement difficile de dégager un consensus national et d'en arriver à un consentement mutuel sur ces questions, qui sont des questions très délicates. Nous ne sous-estimons pas les pressions auxquelles les gouvernements sont soumis. Nous croyons qu'il sera très difficile pour le gouvernement fédéral d'ouvrir la marche ou de participer efficacement à ces discussions si les gouvernements provinciaux le considère uniquement comme un participant temporaire. Par extrapolation, nous estimons qu'il sera très difficile de faire naître un consensus en l'absence de tout leadership fédéral.

Mme Stewart: Une dernière question, si vous me le permettez, monsieur le président.

Je me suis entretenue avec le secrétaire parlementaire - et l'on pourrait bien nous reprendre tous les deux - et nous avons discuté de la réduction du transfert en espèces de 17 à 15 p. 100, puis à 13 p. 100. Dans votre documentation, vous affirmez que nous devons dissocier les points d'impôt et le transfert en espèces. Il doit y avoir assez d'argent. Vous dites qu'il nous faut de temps pour déterminer quel sera ce montant.

De façon hypothétique, pourriez-vous me guider? De combien avons-nous besoin pour maintenir une présence véritable?

M. Boadway: Je ne pense pas qu'on puisse citer un chiffre exact. Je ne crois pas qu'il existe des spécialistes dans ce domaine ou une personne qui pourrait vous indiquer le montant du transfert en espèces auquel le gouvernement fédéral devrait procéder pour pouvoir avoir l'influence dont il a besoin pour dégager un consensus national. Je serai évidemment satisfait si l'on pouvait commencer avec le transfert en espèces qui existe actuellement, l'empêcher de s'effriter, le laisser croître au rythme du PNB et simplement ne pas le laisser diminuer davantage. Je considérerais qu'il s'agit d'un minimum. Certains pourraient penser que c'est plus que suffisant, et d'autres que ce ne l'est pas assez.

Mme Stewart: Nous avons une certaine marge de manoeuvre dans ce domaine.

M. Banting: J'aimerais simplement ajouter une chose à ce sujet. Une façon de répondre à la question sreait de se demander s'il y a un pourcentage en-deçà duquel le gouvernement fédéral ne devrait pas aller parce que son rôle deviendrait si marginal que les gouvernements provinciaux n'auraient plus à en tenir compte.

Je croirais que si vous allez en-deçà disons de 18 ou 20 p. 100 du coût total de fonctionnement de ces programmes, le gouvernement fédéral se trouve à jouer un rôle très secondaire. Je crois qu'actuellement le pourcentage baisse pour s'établir autour de 20 p. 100.

M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Au nom de tous les membres du comité, j'aimerais remercier les deux témoins. Nous avons beaucoup de chance d'accueillir parmi nous, du milieu universitaire, deux des spécialistes les plus en vue dans leur domaine. Je les remercie d'avoir pris le temps de se déplacer pour nous faire partager leur savoir.

Je l'ai dit à de nombreux témoins. C'est un domaine totalement nouveau pour le gouvernement fédéral, et nous avançons donc avec beaucoup de prudence. Il y a des choses auxquelles le gouvernement s'est engagé dans le passé et dont nous sommes très fiers, et nous voulons nous assurer que nous prenons les bonnes décisions. Nous n'avons pas seulement un mandat en matière de politique financière, mais également un mandat en matière de politique sociale. Vos commentaires sont très importants.

L'une des impressions qu'on en retire - et je voudrais que ce soit bien clair, je désire simplement m'assurer que nous nous comprenons bien - c'est que la mesure reste muette en fait sur l'extinction des contributions en espèces. Le projet de loi est très prudent et nous avons fait montre, en tant que gouvernement, d'une grande prudence, si je peux parler du point de vue financier, sous réserve de certaines critiques formulées sur le marché, pour les projections d'au-delà de deux ans dans ce que nous faisons. Les projections qui ont été faites et selon lesquelles il n'y aurait plus de contributions en espèces sont fondées sur la poursuite des mesures que nous avons élaborées depuis sept ou huit ans. Je veux qu'il soit clair qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui indique que c'est ce que nous faisons.

L'extinction de la contribution en espèces et le moment où cela se produira - si cela se produit - dépendent en fait des mesures gouvernementales qui peuvent changer. L'une des raisons pour lesquelles cette loi particulière me plaisait sous sa forme initiale, c'était parce que le gouvernement pouvait, avec une certaine facilité, se redonner un rôle sans avoir à apporter de grands changements législatifs. En d'autres termes, on pouvait rétablir le versement des contributions en espèces si on le désirait. Mais il n'y a rien dans le projet de loi qui affirme que la contribution en espèces s'éteindra. On dit qu'au cours des deux prochaines années, elle sera réduite d'un montant x et d'un montant y

.1605

La question de la présence est vraiment délicate. Par exemple, des représentants de l'ACU qui étaient parmi nous ce matin ont fait valoir que le transfert devrait s'appeler Transfert canadien en matière de santé, d'éducation et de programmes sociaux, ce qui ne serait pas bien accueilli partout au pays, comme vous le savez. Mais à mon avis, si l'on remonte à 1977, le gouvernement fédéral n'a pas été très présent dans l'éducation. En fait, le professeur Paul Thomas a, dans ses écrits qui ont suivi en 1978 et 1979, affirmé que cette nouvelle loi ferait son affaire à l'éducation.

La question précise que j'ai - et vous pouvez répondre, si vous le voulez, à ces divers commentaires - est celle des points d'impôt. Si par voie législative - et je parle actuellement sur le plan théorique - on abandonnait un domaine donné pour le confier à d'autres la question qui m'intéresse le plus est de savoir pourquoi nous ne pouvons plus, à juste titre, le considérer comme une contribution et pourquoi nous ne pouvons rien y changer. À vous.

M. Boadway: Vous avez fait un certain nombre de remarques excellentes et je vais simplement répondre à deux ou trois d'entre elles. Je ne veux pas avoir l'air d'un intellectuel ici, mais ce que signifie votre dernier énoncé, c'est qu'il faudrait compter tous les impôts que les provinces prélèvent au titre de l'impôt sur le revenu comme étant des contributions fédérales parce qu'ils ont tous été cédés aux provinces à un moment ou un autre depuis la Seconde Guerre mondiale.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement fédéral prélevait tous les impôts sur le revenu, puis a peu à peu confié le champ fiscal aux provinces. Je crois qu'en pratique, il serait très difficile pour le gouvernement fédéral d'annuler le transfert de points d'impôt qu'il a consenti aux provinces. Le gouvernement devrait, pour ce faire, élever unilatéralement les taux d'impôt fédéraux en espérant que les provinces réduisent les leurs pour rétablir l'équilibre. Il n'est pas certain que cela se produirait.

J'aimererais revenir à certaines remarques que vous avez formulées au début et donner une perspective légèrement différente, non pas que je sois en désaccord avec ce que vous avez dit. Il est évidemment vrai que le projet de loi C-76 ne dit pas que des contributions en espèces vont cesser. Si la lecture que j'en ai faite est exacte, le projet de loi C-76 donnait une définition des transferts de points d'impôt en disant qu'ils seront calculés de telle et telle façon et seront soustraits au Transfert global canadien en matière de santé et de programmes sociaux, ce qui a été prévu seulement pour les deux prochaines années, et de manière convenable.

D'un autre côté, il n'est pas insensé de présumer, si vous admettez ce que je disais plus tôt, qu'il sera très difficile de récupérer des points d'impôt qui ont déjà été transférés, qu'il sera facile de calculer combien ces points d'impôt vaudront avec le temps, dans 10 ou 15 ans. Il est facile de dire alors, bon, combien faudrait-il pour le Transfert global canadien en matière de santé et de programmes sociaux, de combien devraient-ils augmenter pour que la contribution en espèces ne change pas? La réponse, c'est qu'ils devraient augmenter beaucoup plus rapidement que le FPE ne l'a fait par le passé depuis 1977. Ils devraient augmenter à un rythme plus rapide que le PNB, par exemple.

À mon avis, il n'est pas insensé que des gens, que l'on n'a pas contredit, fasse un calcul qui suppose, de façon généreuse, je crois, que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux augmentera au rythme du PNB. Ils peuvent calculer à combien les points d'impôt augmenteront, ce qui est un calcul facile à faire, et en venir à la conclusion que la contribution en espèces tombera peu à peu à zéro. D'après moi cette attitude n'est pas particulièrement insensée.

M. Walker: À la condition qu'il soit clair que c'est une projection cependant.

M. Boadway: Oui, évidemment.

M. Banting: Puis-je ajouter quelques mots à ce sujet? Je ne crois pas que la mesure soit muette à ce sujet. Elle n'affirme pas que la contribution en espèces tombera à zéro, mais elle n'est pas muette à ce sujet. Elle ne l'affirme pas, mais je crois que la définition du transfert et l'inclusion des points d'impôt le laissent entendre fortement. Nous pouvons ne pas être d'accord sur la façon d'interpréter l'avenir, mais je crois qu'il y a là une très forte indication de l'orientation prise.

En ce qui concerne le titre du transfert et la question de savoir s'il faut y ajouter l'éducation, je ne me soucie pas particulièrement de la façon dont vous l'appelez, à la condition que vous la lanciez.

M. Walker: Ai-je le temps de poser une autre question?

Le président: Oui, mais seulement compte tenu de la qualité des questions que vous avez posées jusqu'à maintenant.

M. Walker: L'un des points qui irritent le gouvernement fédéral depuis de nombreuses années, bien sûr, c'est qu'il se crée toujours un romantisme autour de ce qu'on vient de perdre. Je me souviens que dans le milieu universitaire, aussi bien à l'administration publique que dans les différentes organisations, les gens étaient affolés par le FPC. Ils étaient tellement affolés par le FPE qu'ils ont été incapables de le comprendre avant qu'on ne tente de le modifier l'année dernière. Ils ont alors affirmé que le FPE était la meilleure chose qui soit jamais arrivée.

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Le Régime d'assistance publique du Canada, tout particulièrement le préambule, est véritablement un élément fondamental de la politique publique canadienne, un élément pour lequel j'ai un grand respect. D'un autre côté, on a tort de dire qu'il a donné au gouvernement fédéral une présence qui dépasse celle des administrations provinciales, que la personne moyenne qui touche de l'aide sociale n'est pas consciente du Régime d'assistance publique du Canada. J'ose dire que l'influence du gouvernement fédéral sur la structure de l'enseignement postsecondaire, la façon dont il prétend organiser le temps et ainsi de suite, est absolument minime.

Cela n'est pas pour vous surprendre, mais l'une des choses qui nous exaspère, c'est d'en être presque tenus publiquement - et de bien des façons, dans le système de valeurs canadien - responsables. C'est une responsabilité énorme, mais dans la pratique, le gouvernement est incapable de s'en acquitter jusque dans la salle de classe ou jusqu'à la porte des assistés sociaux. Qu'en pensez-vous?

M. Banting: Je comprends cette exaspération. Les gouvernements fédéraux depuis une génération la ressentent. Elle engendre ce qui peut parfois sembler être des désaccords inexplicables sur la question de savoir quel logo on va placer à quel endroit et ainsi de suite. Essentiellement, je comprends l'exaspération du gouvernement fédéral, c'est sûr.

Cela étant dit, je ne crois pas que vous devriez sous-estimer l'importance du rôle fédéral parce que ce dernier a été essentiel à l'évolution du système de soins de santé de notre pays, à sa structure de base. Je crois que des éléments de ce rôle fédéral ont été essentiels à certaines des choses que les Canadiens apprécient le plus au sujet de leur pays.

Je ne sous-estimerais pas non plus l'importance du Régime d'assistance publique du Canada dans l'établissement et l'évolution de l'assistance sociale au niveau provincial. Son importance peut ne pas être aussi déterminante, mais je crois que certains des éléments de l'aide sociale, qui rendent nos programmes beaucoup plus efficaces que ceux par exemple de nos voisins du sud, figurent implicitement dans le Régime d'assistance publique du Canada. Bien que les bénéficiaires, tout comme le citoyen moyen ne le voit pas, je crois qu'il est important et qu'il devrait être considéré comme tel dans vos discussions sur son avenir.

Mme Hayes: J'ai été captivée par la conversation et je suis honorée de pouvoir vous poser ces questions moi aussi.

Le président: Je ne crois pas que M. Walker a dit qu'il était honoré. Je crois qu'il a dit qu'il était enchanté, en tant qu'universitaire, de pouvoir entrer en discussion avec lui.

Mme Hayes: Je dirai que je suis honorée. Qu'en pensez-vous?

C'est une question qui nous ramène à ce que la Loi constitutionelle dit à l'article 36, que vous avez cité dans votre exposé, au sujet du pouvoir législatif du Parlement. La Loi expose les trois éléments: promouvoir l'égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être, favoriser le développement économique pour réduire l'inégalité des chances, et fournir à tous les Canadiens, un niveau de qualité acceptable, des services publics essentiels.

Notre discussion aujourd'hui porte en partie sur la question de savoir si nous pouvons nous permettre le régime actuel à la lumière des réalités financières de notre pays. Vous faites valoir que le gouvernement fédéral devrait assumer un certain contrôle et que ce contrôle ne lui serait acquis que grâce à l'aiguillon de l'argent, dirons-nous.

La première partie de ma question est la suivante: Vous sentez-vous bien maintenant que la Loi canadienne sur la santé est exactement celle que les Canadiens veulent? Croyez-vous qu'elle fournit vraiment à tous les Canadiens des services publics essentiels, à un niveau de qualité acceptable, de la meilleure façon possible?

M. Boadway: Je crois qu'on pourrait évidemment ergoter sur les modalités particulières de la Loi canadienne sur la santé, surtout sur les critères spécifiques, l'interdiction d'exiger des frais modérateurs et des honoraires supplémentaires. On pourrait ergoter sur ces éléments, lesquels dans un sens, peuvent être jugés redondants parce qu'ils sont englobés dans les principes généraux, que personnellement j'estime très importants et qui sont probablement ceux qu'il faut utiliser.

Pour répondre à votre question, je perçois la santé comme étant un service public essentiel, oui, mais je la vois également comme quelque chose qui assure l'égalité des chances en faisant disparaître de la vie des gens l'incertitude que leur cause la perspective de tomber malade et en leur permettant de continuer à vivre en bonne santé. Je crois que cela concorde exactement avec les exigences du paragraphe 36(1). On pourrait également considérer le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, dans un sens plus général, comme faisant partie de l'engagement à respecter le principe de péréquation énoncé au paragraphe 36(1), qui a été reproduit dans notre document.

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Le fait que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ou au moins la partie du transfert qui permet de financer la santé et l'enseignement postsecondaire, soit réparti en montants égaux par habitant entre toutes les provinces est une forme de péréquation. Il permet à celles qui disposent de moyens très différents, de fournir des services publics comparables et par conséquent de satisfaire aux exigences du paragraphe 36(1).

Je crois que ma réponse est oui, les modalités de la Loi canadienne sur la santé sont en général raisonnables et la santé doit être considérée comme un élément visé par le paragraphe 36(1).

Le président: Merci, madame Hayes.

Puis-je me permettre de vous dire que, à mon avis, vous nous avez donné un aperçu très clair et très puissant de toute la thèse qui veut qu'il soit préférable que le gouvernement fédéral participe à nos programmes sociaux. Pas d'argent, pas d'influence. Nous ne pouvons débrouiller les fils de l'écheveau financier fédéral-provincial qui a donné lieu au transfert des points d'impôt; il faudra donc d'une certaine façon fournir une contribution en espèces.

J'accepte également - je crois que tous sont d'accord - votre déclaration selon laquelle le seul fait que le gouvernement fédéral ait réduit sa contribution sur une période de trois ans, ne signifie pas qu'il a affirmé pour toujours qu'il n'en fournirait plus. C'est comme lorsque nous avons abaissé la taxe sur les cigarettes. Nous n'avons jamais soutenu qu'elle tomberait à zéro et nous n'avons jamais dit qu'elle ne remonterait pas.

Je crois que l'avertissement que vous nous avez lancé, selon lequel rien ne fonctionnera sans l'influence que donne l'argent, est très réaliste, et je sais que tous les membres du comité ont été très impressionnés par votre exposé clair. J'aurais aimé que vous soyez peut-être nos premiers témoins sur cette question. Avec votre permission, nous désirons vous assurer que vous reviendrez témoigner devant nous puisque nous poursuivons l'étude de ces questions.

Je vous remercie beaucoup en notre nom à tous.

M. Banting: Merci, monsieur le président. Nous serons heureux de revenir à votre demande.

Le président: Merci.

Nos témoins suivants viennent de la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants. La délégation est dirigée par Jocelyne Tougas, David Hagerman et Jamie Kass.

Mme Jamie Kass (membre, Conseil d'administration, Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants): Je m'appelle Jamie Kass.

Le président: Et vous dirigez la délégation?

Mme Kass: Oui.

Le président: Nous attendons avec impatience la présentation de votre mémoire pour qu'on puisse vous poser quelques questions.

Mme Kass: Je vous remercie de nous en donner l'occasion.

Je suis membre exécutif de la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants.

Dave Hagerman est le coordonnateur de la Garderie parentale du Glebe, qui est un organisme de garderies local à Ottawa. Il est également père et il est membre de la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde pour enfants.

Jocelyne fait partie de l'Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance et d'une organisation membre de la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants.

Nous voulons simplement examiner avec vous quelques parties de notre mémoire pour laisser du temps pour les questions.

En 1981, la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants était structurée comme une coalition d'organisations provinciales. Elle était composée d'intervenants en matière de garde d'enfants, d'organisations professionnelles et communautaires, de groupes de femmes et de fédérations de travailleurs et d'enseignants.

Aujourd'hui sont venues s'y ajouter des coalitions locales vouées à la garde d'enfants de tout l'Ontario, ce qui comprend des programmes de garde d'enfants, des organismes de soutien et des organisations qui viennent en aide aux Francophones et aux Autochtones.

Lorsque nous avons créé la coalition, nous avions travaillé d'arrache-pied pour définir ce qui nous unissait, et nous avons regroupé le tout dans un mémoire intitulé «Day Care Deadline 1990». Dans ce mémoire, nous demandions un système de garde d'enfants sans but lucratif, accessible à tous, complet et de grande qualité.

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En Ontario, ces derniers temps, je crois, nous avons travaillé très fort à titre d'intervenants pour concentrer nos efforts sur la garde d'enfants à peu près au moment des élections fédérales de 1993. Le gouvernement fédéral s'est donné pour mandat électoral d'agir dans le domaines de la garde d'enfants, et c'est en partie pour cette raison que nous sommes ici aujourd'hui.

Le programme fédéral en matière de garde d'enfants a été maintes fois exposé. D'abord dans votre Livre rouge libéral, Pour la création d'emplois, pour la relance économique, et je pense qu'il comporte tout un passage sur lequel nous aimerions insister. Il l'a été également dans La sécurité sociale dans le Canada de demain et dans la revue du Système de sécurité sociale, et dans Garde d'enfants et développement de l'enfant, ou certains chapitres portaient en particulier sur la garde d'enfants. Le Livre rouge promettait d'ajouter 150 000 nouvelles places de garderie en trois ans, ce qui représentait des dépenses totales de 720 millions de nouveaux dollars dont 40 p. 100 seraient acquittés par le gouvernement fédéral et 40 p. 100 par les provinces et territoires. Les frais qu'acquitteraient les parents combleraient les 20 p. 100 restants. Le Livre rouge présentait en fait cette initiative comme une première étape.

Par dessus tout, il était rassurant de constater que le gouvernement du Canada convenait avec nous que la garde d'enfants est une priorité en matière de réforme des programmes de sécurité sociale, et c'est écrit en toutes lettres dans votre document. Nous avons longtemps fait valoir que des services de garde d'enfants abordables et de grande qualité font partie de la solution aux difficultés sociales et économiques auxquelles se heurtent les familles et les collectivités. Nous croyons que la garde d'enfants est un placement dans l'infrastructure de nos collectivités et dans notre avenir. Elle ne devrait jamais être considérée comme une fonction de nos richesses ou de nos ressources.

Il est clair que la coalition a actuellement des préoccupations sérieuses au sujet du plan d'action suivi par le gouvernement fédéral. Dans nos rencontres avec les députés, nous avons reçu d'un certain nombre de vos collègues de l'Ontario, y compris de ministres faisant partie du cabinet, l'assurance que ce gouvernement continuerait de respecter les engagements qu'il a pris dans le Livre rouge. Cependant, le projet de loi à l'étude empêchera le gouvernement en place et tout gouvernement fédéral futur de respecter cet engagement. L'absence de système de garde d'enfants représente une grave lacune dans l'infrastructure canadienne, qui nuit à notre performance économique et affaiblit en fait nos ressources humaines.

Contrairement à presque tous les pays d'Europe, il n'existe pas au Canada de système cohérent de garde d'enfants. La garde d'enfants demeure un point inachevé dans le programme social et économique du Canada, qui remonte à l'époque de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme. De nombreux groupes de travail ont suivi celui de Katie Cooke devant lequel j'ai comparu pour la première fois en 1981. Il y a eu des commissions des rapports et des comités parlementaires. Tous ont recommandé des changements à la politique et aux ententes de financement. On dit souvent que la garde d'enfants est ensemble hétéroclite de mesures et de mécanismes de financement. On peut dire qu'il a fait son temps et qu'il est usé jusqu'à la corde.

Les gouvernements provinciaux et territoriaux possèdent la compétence en matière de garde d'enfants. Le seul rôle que le gouvernement fédéral a joué à ce jour a consisté en des sommes minimes versées aux services de garde à l'enfance autochtone, en une capacité de recherche réduite et en des mesures s'inscrivant dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada.

Le gouvernement fédéral consacre plus d'argent à diverses mesures fiscales liées aux frais de garde d'enfants qu'au financement direct de ces services. Il était important de souligner que les intervenants dans le domaine de la garde d'enfants ne considèrent pas les mesures fiscales comme étant des soins à l'enfance, pas plus qu'ils ne considèrent les dégrèvements fiscaux accordés aux sociétés pharmaceutqiues comme des soins de santé. Il s'agit d'une mauvaise utilisation des deniers publics qui n'est assortie d'aucune obligation de rendre compte, d'aucune garantie de qualité. Elle n'engendre pas non plus les services de garde d'enfants dont on a besoin.

Si nous regardons en gros ce qui s'est produit depuis 1992, le financement direct des services de garde d'enfants a diminué dans six provinces et au Yukon. En Ontario, le système est plus complexe. Les municipalités jouent un rôle majeur car elles offrent directement ou achètent des services de garde d'enfants et administrent les subventions versées aux utilisateurs. La liberté d'action des municipalités entraîne également de grands écarts dans la façon dont les services de garde d'enfants sont administrés. Les critères régissant les subventions aux utilisateurs varient largement. On peut mieux saisir la pagaille qui règne dans l'exemple qui suit.

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Environ 7 000 places en garderie en Ontario demeurent inutilisées, alors que plus de 25 000 familles admissibles figurent sur des listes d'attente établies aux fins des services de garde subventionnés. À bien des égards, le rôle que jouent les municipalités dans les services de garde en Ontario offre un macrososme des services de garde au niveau fédéral.

Les règlements qui régissent la garde d'enfants varient énormément d'une province à l'autre. Certaines provinces imposent au personnel des garderies des exigences en matière de formation alors que d'autres n'en imposent aucune.

L'offre varie également. Alors que dans l'ensemble du pays, seul un enfant sur dix a accès à des services de garde réglementés, dans certaines provinces cette proportion tombe à un sur 17. La garde d'enfants au Canada existe de façon ponctuelle. C'est pourquoi la création d'un programme national de garde d'enfants figure au programme national depuis 25 ans. Confier les services de garde d'enfants aux provinces a été un échec. La souplesse ou la réceptivité aux besoins de la collectivité ne s'est pas concrétisée. Dans l'ensemble, les présumés systèmes de financement et de réglementation se font mutuellement du tort, en ne parvenant pas à offrir une base adéquate à l'élaboration et au maintien d'un système de garde d'enfants qui soit accessible, abordable et de qualité et qui pourrait servir à appuyer de grands objectifs liés à la politique sociale et économique.

M. Dave Hagerman (coordonnateur, Garderie parentale du Glebe, Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants): Je parlerai du budget fédéral et du programme canadien de transfert en matière de santé et de programmes sociaux.

Si l'on procède au financement global, les programmes sociaux destinés aux plus vulnérables feront l'objet de pressions intenses car ils rivaliseront avec d'autres puissants établissements comme les universités, les organisations professionnelles et les hôpitaux pour les mêmes fonds. C'est un exercice dont les jeunes, les personnes âgées, les personnes handicapées et les démunis feront incontestablement les frais.

En outre, aux termes du Régime d'assistance publique du Canada, les provinces devaient dépenser leurs deniers pour obtenir des octrois fédéraux. Le financement global, doublé de réductions massives dans les paiements de transfert aux provinces, réduira la capacité d'Ottawa d'appliquer des normes mêmes minimales.

Il faut se demander si le gouvernement fédéral ne deviendra pas seulement le banquier des provinces.

Le projet de loi C-76 stipule que:

Il faut de nouveau se demander ce qu'il arrivera si l'on ne parvient pas à un consensus. Il semble fort probable qu'il sera très difficile d'obtenir aujourd'hui une forme quelconque d'unanimité à propos d'un consensus sur la question des programmes sociaux au Canada. Qu'arrivera-t-il à ce moment-là? Le gouvernement fédéral cédera-t-il tout simplement les fonds aux provinces et renoncera-t-il totalement à son rôle dans le développement de la politique sociale? C'est une question importante qui doit être posée et réglée.

Si ce programme est mis en oeuvre on peut s'attendre à ce que l'on impose et augmente les frais d'utilisation, à ce que l'on privatise des services sociaux et élimine des programmes déjà rares. En outre, nous pouvons déjà constater la tendance qui consiste à destiner les services sociaux à des groupes de plus en plus restreints de bénéficiaires qu'on définit comme étant les plus nécessiteux. Les programmes tels que ceux qui touchent la garde d'enfants s'en ressentent lorsqu'ils sont destinés à des services ciblés, et les pressions pour réduire la qualité des services se feront de plus en plus fortes.

Nous convenons avec le gouvernement fédéral qu'une réforme est essentielle. Cependant, les plans actuels qui visent à démanteler d'une manière furtive l'infrastructure élimée de la politique sociale du Canada seraient désastreux pour tous les programmes sociaux, mais en particulier pour ceux qui touchent la garde d'enfants. Les Conservateurs ont peut-être manqué à leur promesse d'instaurer un programme national de garde d'enfants, mais si ce projet de loi est adopté, il éliminera toute possibilité future.

Juste une brève remarque sur le rôle du gouvernement fédéral, sur la politique sociale et sur l'élaboration d'une politique sociale ou de toute politique.

Le rôle du gouvernement fédéral consiste à réunir les diverses régions pour qu'elles dégagent ensemble un consensus sur des valeurs et des principes communs. Il revient alors au gouvernement fédéral de protéger ces valeurs. Dans cette loi, il semble renoncer à ce rôle. Cela ne signifie pas que les valeurs ne peuvent changer, mais que le processus de création d'un consensus et, en fait, de construction d'une nation doit demeurer intact. Le gouvernement fédéral doit rester pour être un partenaire dans le processus de création d'une identité nationale et d'établissement d'un consensus national sur certaines valeurs fondamentales concernant les genres de programmes sociaux dont la société veut se doter.

Nous craignons que l'adoption de la loi n'affaiblisse ce rôle beaucoup plus que les gens le réaliseront.

Merci.

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[Français]

Le vice-président (M. Campbell): Monsieur Dubé, s'il vous plaît.

M. Dubé: Ayant eu l'opportunité de participer à la tournée du Comité du développement des ressources humaines, j'ai eu l'occasion d'entendre le représentant de votre association. Avant de poser ma question, je dois vous dire que j'endosse l'élaboration des besoins que vous faites à l'égard des services de garde.

Il me semble, lorsqu'on parle d'évolution de la société, que c'est une des choses qu'on doit regarder. Je comprends vos inquiétudes quant à cet aspect des programmes sociaux parce que, étant le dernier-né des nouveaux services, on sent que c'est plus difficile d'obtenir de l'argent, que ce soit du gouvernement fédéral ou des provinces, malgré les engagements contenus dans le Livre rouge.

Ma préoccupation n'est pas de l'ordre du besoin, car cela, je l'endosse volontiers. Le service de garde a quelque chose, au plan de la Constitution, qui n'est pas aussi clair que dans d'autres domaines, parce qu'en 1867, les services de garde n'étaient pas très bien établis.

Aujourd'hui, j'aimerais que vous m'expliquiez votre position. Votre approche est-elle unique par rapport à l'ensemble du Canada ou par rapport au Québec, où il y a non seulement déjà un service assez élaboré qui peut s'améliorer, mais qui a une volonté de prise en charge et de respect à l'égard des normes nationales. J'aimerais vous entendre là-dessus?

Mme Jocelyne Tougas (directrice générale, Association canadienne pour la promotion des services de garde à l'enfance): L'Association canadienne et aussi la Coalition ont toujours été respectueuses du Québec, compte tenu de la situation particulière du Québec, et des nations autochtones, par rapport aux normes nationales.

Je pense que dans nos associations, lorsqu'on définissait une vision et le développement d'un programme national, c'était toujours dans le respect de la position du Québec, à savoir le droit à l'autodétermination.

Lorsque cette question est abordée, dans l'ensemble, sans vouloir faire exclusion du Québec ou des Premières Nations, on considère qu'on parle, d'abord et avant tout, pour le Canada anglais. C'est un point de départ. Je me sens à l'aise de le dire.

Maintenant, oui, c'est vrai que les services de garde sont de juridiction provinciale. Par ailleurs, comme vous l'avez dit, c'est aussi un programme social. Cette notion - mon confrère le dit - du concept de nation, pour le Canada, est aussi importante et, dans un concept de nation, il y a la définition d'un projet de société.

Parmi les projets de société du Canada anglais - et je suis certaine qu'au Québec, on partage aussi un même projet de société, on veut peut-être y arriver autrement, mais c'est un peu un projet de société semblable - il y a cette égalité d'accès aux programmes sociaux d'un océan à l'autre.

Je pense que dans le projet de loi C-76, ce qui préoccupe fondamentalement les gens, c'est que déjà, par rapport aux services de garde, parce qu'il n'y a pas de programme national, nous avons une approche qui est étiolée partout.

On a peur que la même chose se passe avec les autres programmes sociaux, d'une part, et par rapport aux services de garde, qu'on s'éloigne de plus en plus d'une idée qu'un jour, peut-être, un enfant de Cornerbrook pourra accéder à des services de garde de qualité, autant qu'un enfant de Toronto.

C'est ce qui fait que les gens tiennent énormément à ce qu'on retienne des principes nationaux par rapport aux services de garde.

.1635

M. Dubé: Lorsque vous dites «accès», cela ne veut pas nécessairement dire accès à un seul service de garde type. Pour mieux connaître les buts dont vous avez discuté, il faut garder à l'esprit qu'il y a une variété de services de garde qui pourrait même inclure la garde en milieu familial.

Mme Tougas: C'est ça. Il faut également envisager d'autres possibilités. Toutes les formes de services de garde doivent faire partie intégrante d'un système où il y a un contrôle de qualité, que ce soit par le biais d'une réglementation ou autres.

Dans notre esprit, c'est loin d'être limité à la garde typique en garderie de 9 heures à 17 heures. Comme on dit en anglais, c'est beaucoup plus comprehensive. En fait, c'est une gamme complète de services pour répondre aux besoins.

M. Dubé: Je vais laisser les autres collègues poser des questions et s'il reste du temps, peut-être.

Le vice-président (M. Campbell): D'accord, monsieur Dubé.

[Traduction]

Mme Hayes: Certains de vos énoncés et définitions piquent mon intérêt et j'aimerais que vous apportiez quelques précisions. J'apprécie l'occasion qui m'est donnée d'avoir une rétroaction de votre part et je vous en remercie.

Je souhaiterais que vous clarifiez votre définition des services de garde d'enfants. Je crois comprendre que vous voulez parler de milieux réglementés de garde d'enfants. Que veut dire exactement place pour la garde d'enfants? Vous avez dit qu'il y a en tout en Ontario 7 000 places libres sur le total disponible. Je suppose que cela n'inclut pas les places en milieu non réglementé. Vous pouvez peut-être éclairer ma lanterne et me dire combien il pourrait y avoir de places en milieu non réglementé. Je pourrai peut-être ensuite commenter certaines de vos réponses.

Mme Kass: Bien sûr. Quand nous examinons un système de garde d'enfants, nous en étudions toutes les facettes. Je crois que Jocelyne en a parlé. Nous le percevons comme un système très vaste et réglementé. La majorité des services actuels de garde d'enfants fonctionnent sans permis dans un milieu non réglementé de qualité variable. Quand nous parlons d'avoir un système de garde d'enfants, nous songeons à un réseau de centres de garde d'enfants, de centres de jour, de garde en milieu familial, peut-être aussi des cas où les enfants restent chez eux. Nous examinons les centres de resssources d'aide à l'enfance, les centres de ressources familiales où les parents et les enfants sont ensemble. Nous examinons les joujouthèques.

Nous examinons toute une gamme de services, y compris les services de formation et les possibilités de recherche. Nous percevons cela comme un réseau, non pas simplement comme quelque chose de linéaire mais plutôt comme quelque chose de créatif pour les enfants.

Mme Hayes: Je parle au nom de ma collectivité, mais le service préféré de garde d'enfants est en milieu non réglementé, et c'est celui que préfèrent les gens de ma collectivité, non pas par la force des choses ou pour quelque autre raison. Il semble que ce mode de fonctionnement ait leur préférence. De fait, je crois que la majorité de ces personnes utilisent leur maison ou celle d'un parent, lorsqu'ils le peuvent, encore une fois par choix.

Je vois ici votre programme de garde d'enfants. À vrai dire, dans votre mémoire, vous faites une remarque que je trouve - pour être franche - tout à fait choquante. C'est à la page 7:

Je serais portée à croire que la majorité des Canadiens aimerait probablement tenir le gouvernement fédéral loin de leur vie quotidienne, si la chose était possible, plutôt que de chercher des moyens d'y faire prendre une part plus grande. Je répète que ce que j'entends dans ma région relativement à la garde d'enfants va dans ce sens. Les gens voudraient pouvoir choisir. Ils préféreraient que leurs impôts ne servent pas à un réseau de garde d'enfants qu'ils n'ont pas choisi. Peut-être allez-vous répondre à cela.

M. Hagerman: Les chiffres sont clairs. Par exemple, un enfant sur dix a accès à un milieu réglementé et, dans certaines provinces, un sur 17. Je ne connais pas les chiffres pour votre région car je ne sais vraiment pas d'où vous venez.

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Je crois que, chez vous, selon toute vraisemblance, vous n'avez pas le choix. Des parents qui voudraient inscrire leurs enfants dans un réseau réglementé qui serait abordable n'auraient probablement pas ce choix sauf s'ils demeuraient dans un milieu très particulier. Je n'en ai pas encore vu. En général, tout ce qu'ils ont comme choix, c'est le réseau non réglementé.

Ceci étant dit, nous admettons, et je crois que tous ceux qui analysent le problème de façon rationnelle et qui vivent en situation familiale admettent que les tantes, les oncles et les grands-parents s'occuperont toujours des enfants. Cela convient très bien aux gens et, parfois, c'est ce qu'ils préfèrent. C'est parfait; on a rien à redire à cela.

Dans notre société moderne où la famille élargie n'est pas vraiment une réalité pour une grande proportion de familles au Canada, nous disons qu'il faut que les gens pensent avoir recours à un service de qualité qui soit réglementé. J'ai peine à comprendre ce qui vous fait croire qu'il y a vraiment un choix.

D'autre part, en parlant du rôle du gouvernement fédéral, vous ne voulez pas, bien sûr, qu'il réglemente chaque facette de notre vie. Je crois plutôt que le mémoire veut faire ressortir que nous voyons un rôle pour le gouvernement fédéral qui soit très semblable, en matière de garde d'enfants, à ce qu'avance la Loi canadienne sur la santé pour ce qui est de normes et d'énoncés de principe généraux et d'utilisation des deniers publics.

Notre sujet d'inquiétude, c'est qu'en transférant simplement les fonds à la province - et l'on ne sait trop si un consensus pourra ou non être dégagé - il semble qu'on rende très peu compte au gouvernement fédéral de la façon dont les fonds sont utilisés.

Le gouvernement fédéral sera-t-il un banquier pour les provinces, ou jouera-t-il un rôle en dégageant un consensus sur les valeurs sociales importantes? Lorsque nous parlons de garde d'enfants, nous parlons de valeurs sociales importantes: Le rôle des familles, le rôle de la femme, le rôle des enfants. Ce sont toutes des questions importantes. Nous admettons tous que la famille est en pleine mutation et qu'on a besoin de nouveaux réseaux de soutien, de nouvelles infrastructures pour venir en aide à sa famille. Les services de garde d'enfants en sont une. Comme le souligne le mémoire, pratiquement toutes les sociétés industrialisées en Europe l'admettent depuis des années.

Mme Hayes: J'aimerais faire quelques commentaires sur ce que vous avez dit. À mon avis, la meilleure façon de venir en aide aux familles est de leur donner le plus grand choix; elles deviennent alors responsables de leur choix. De même, pour créer d'un programme de garde d'enfants, le niveau de responsabilisation doit se situer le plus près possible de ce choix. Lorsqu'on dit que l'on ne devrait pas, dans ce domaine, s'en remettre aux provinces, ici encore ces dernières sont plus près, en matière de responsabilisation, des gens qui seraient responsables du programme que le gouvernement fédéral. Ne pensez-vous pas que plus on est près du niveau de responsabilisation, mieux c'est, qu'il s'agisse de la famille, de la collectivité ou du gouvernement provincial. Je viens de la côte ouest, à peu près aussi loin que l'on peut aller, et de confier cette responsabilité à Ottawa est peut-être un pas dans la mauvaise direction.

M. Hagerman: Je ne nie pas le principe ou même la possibilité que plus le gouvernement est près des gens, plus il est responsable. Je crois que c'est un argument défendable mais dans ce cas, quelle est la raison d'être du gouvernement fédéral?

Nous avons élaboré une bonne structure fédérale en ce sens qu'elle respecte les régions. Mais le rôle du gouvernement fédéral est de rassembler les gens, de dégager un consensus et d'en arriver à une entente au sujet des valeurs importantes, et de faire en sorte de protéger et d'administrer ces valeurs jusqu'à ce que la collectivité en tant que groupe, le pays en tant que groupe de régions, décident que ces valeurs doivent changer et entreprennent alors des démarches en ce sens. Le gouvernement fédéral à pour rôle de protéger le financement, à vrai dire les fonds qui permettent de défendre les valeurs et les principes sociaux que nous avons élaborés en tant que nation et en tant que groupe de régions identifiables. Nous nous entendons tous là-dessus.

Mme Tougas: Je crois qu'il y a un malentendu lorsqu'on dit que le secteur non réglementé serait exclu du réseau du programme national de garde d'enfants. Oui, les parents veulent des choix, mais ils veulent d'abord et avant tout de bons pourvoyeurs de soins. La pire chose pour une personne qui travaille avec des enfants est d'être isolée, de ne pas être en contact avec d'autres pourvoyeurs de soins, avec d'autres membres du milieu.

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Lorsque nous parlons d'un réseau national de garde d'enfants pour le secteur non réglementé, ce dernier est lié au réseau par l'entremise des centres de ressources, des joujouthèques, des mécanismes d'extension des services au sein du réseau de sorte que si un parent dans un quartier désire que le voisin d'à côté garde son enfant, et ce pourrait être le meilleur choix pour cet enfant, ce pourvoyeur de soins ne soit pas complètement isolé lorsqu'il est, de son point de vue, dans le besoin, mais également que les parents sachent qu'il a des contacts avec le reste du milieu qui s'occupe de la garde d'enfants.

Il est faux de prétendre que parce que nous demandons un programme national de garde d'enfants, nous excluons 80 p. 100 des services de garde d'enfants qui existent. C'est une façon d'interpréter ce que nous demandons, ce n'est pas ce que nous avons dit. Je crois qu'il nous faut l'expliquer davantage.

M. St. Denis (Algoma): Je m'intéresse particulièrement à cette question, étant donné que j'ai pris part à l'établissement de la garderie coopérative parentale à l'Université de Toronto il y a près de 25 ans. Je me demande si c'est de là que remontent mes souvenirs de Jamie.

Mme Kass: Je crois que je connais ce parent et un certain nombre d'autres qui ont joué un rôle.

M. St. Denis: Je suis enchanté de vous revoir.

M. Peterson (Willowdale): De quoi avait-il l'air à l'époque?

M. St. Denis: Il paraissait beaucoup mieux. J'étais plus jeune.

M. Peterson: Étiez-vous dans le domaine?

M. St. Denis: Oui.

M. Peterson: Vous l'êtes toujours.

Mme Kass: Il y a beaucoup de parents encore actifs qui l'étaient au moment où l'on a démarré les garderies communautaires.

M. St. Denis: Vraiment?

Pour situer mes questions, je représente une circonscription rurale du nord de l'Ontario, où je suis né. Pour être tout à fait franc, au cours de la campagne électorale et depuis, pas un seul électeur n'a soulevé avec moi la question de la garde d'enfants. J'ai assisté à l'ouverture d'une garderie dans l'une des plus petites villes de ma circonscription.

Je me demande si la question du milieu rural par rapport au milieu urbain exclut la notion d'un programme national de garde d'enfants, comme vous l'avez peut-être décrit. Ce n'est pas que je suis entièrement d'accord avec les commentaires de Mme Hayes, mais une certaine combinaison de services structurés et de services non structurés, un juste milieu pourrait devoir être trouvé pour combler les besoins du milieu urbain et du milieu rural, de même que le désir de certaines personnes de travailler comme parents d'une garderie coopérative.

Je sais de quoi je parle et, Jamie, rappelez-vous de cela. Le système n'est pas venu en aide, à l'époque en tout cas, aux parents qui unissaient leurs efforts pour mettre sur pied une garderie coopérative. Je me demande si je suis dépassé ou s'il existe quelque chose entre les deux qui nous permettrait, dans les limites des contraintes financières auxquelles nous sommes soumis, d'avancer vers le but dont vous parlez.

Mme Kass: C'est un point intéressant, parce que la présidente de la Coalition ontarienne pour l'amélioration des services de garde d'enfants vient d'une région rurale en Ontario. Elle a en fait travaillé sur une possibilité très créative de garde d'enfants en milieu rural qui répond aux besoins d'une collectivité rurale. Une conférence sur les services de garde dans le monde vient d'avoir lieu en Ontario; chose incroyable, beaucoup de gens différents y ont assisté et ont parlé de la façon de répondre aux besoins des collectivités rurales en Ontario.

Ce que nous constatons je pense, c'est qu'il y a là-bas de grands besoins mais qu'ils sont différents. C'est ce dont parlait Jocelyne. Vous créez certains choix. Vous créez un système qui répond aux besoins de régimes de travail différents, aux besoins des agricultrices. C'est cette réceptivité que, à mon avis, notre coalition et la coalition nationale ont dû parvenir à saisir au fil des ans. Lorsque nous parlons, nous n'en parlons pas dans une perspective urbaine. Nous ne disons pas que nous voulons que vous mettiez sur pied une garderie collective. Il y a un besoin pour ce genre de services, mais il existe aussi un besoin pour toute une gamme de services. Je crois que si vous vous entretenez avec des femmes dans la collectivité, vous constaterez qu'elles ont des besoins. Elles ont une foule de besoins différents qu'un système peut satisfaire.

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Certaines personnes croient que c'est une responsabilité qui leur revient et ne voient donc pas qu'elles pourraient faire partie d'un réseau réglementé. Je crois qu'il y a là un tel manque de choix que les gens ont trouvé des sortes de solutions tout à fait improvisées pour régler les problèmes de garde d'enfants. Nous avons constaté une forte augmentation du nombre d'accidents de ferme. Nous n'avons pas réagi du tout en tant que gouvernement ou tant que société au problème de la garde d'enfants en milieu rural.

Jocelyne voulait dire quelques mots de la situation du point de vue national. Elle a travaillé avec de nombreux groupes ruraux du pays, des groupes d'agricultrices.

M. St. Denis: Est-il possible qu'un fort pourcentage de ceux qui ont besoin de services de garde - disons des femmes pour la plupart - ne se sentent pas habilitées à se tourner vers le milieu plus vaste pour obtenir de l'aide? EIles recherchent des solutions simples parce qu'elles sont peut-être les plus aisées et les plus faciles d'accès sans être nécessairement les meilleures.

Mme Tougas: Il y a un an, une coalition a été mise sur pied, une coalition rurale pour la garde d'enfants à l'échelle nationale. Dans les faits, les gens doivent prendre les enfants avec eux sur le tracteur. Ils n'ont même pas accès à la garde non structurée parce que leur voisin d'à côté habite à dix milles de distance. Ils doivent se lever à quatre heures du matin. C'est un problème majeur. Les enfants les accompagnent sur le tracteur et des accidents se produisent.

Le problème est énorme, mais personne ne s'est véritablement mis à l'écoute des services de garde en milieu rural. Peut-être que les femmes dans le passé ne conduisaient pas les tracteurs; elles travaillaient davantage à la maison, et maintenant ces entreprises sont des entreprises d'associés. À l'heure actuelle, le besoin est baucoup plus grand. Il a toujours existé, mais maintenant il est plus critique. Le problème est encore très présent mais on commence seulement à l'examiner.

Mme Kass: Je crois qu'on pourrait vous procurer des renseignements au sujet des groupes de garde d'enfants en milieu rural, du genre de travail qu'ils font et ce qu'ils visent. Cela pourrait vous aider dans votre circonscription.

M. St. Denis: Certainement.

M. Discepola (Vaudreuil): Que pensez-vous de la tendance croissante qui veut que ce qu'on qualifie de société responsable ouvre des garderies tout près de leur lieu de travail? Dans la municipalité d'où je viens, deux sociétés l'ont fait avec assez de succès et ont mis sur pied des groupes d'employés pour les administrer sans but lucratif, etc. Je serais curieux de savoir pourquoi vous estimez que les dégrèvements fiscaux pour les parents ou en l'occurence pour les sociétés, ne seraient pas un bon instrument pour la prestation de ce service. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que le gouvernement fédéral devrait jouer le rôle principal dans la prestation de ce service. Je crois que le service doit être fourni par la meilleure source et, à mon avis, c'est celle qui se trouve le plus près du service dont on a besoin. Dans ce cas, je crois qu'il s'agirait des municipalités ou même des sociétés, comme je l'ai dit plus tôt. Pourquoi les dégrèvements fiscaux ou les encouragements fiscaux accordés aux sociétés, ou même d'ailleurs aux parents, vous répugnent-ils?

Mme Kass: D'abord, nous devons apporter des précisions. La prestation réelle des services pourrait revenir aux municipalités, comme c'est le cas à Ottawa. Les municipalités en Ontario jouent un très grand rôle dans la prestation des services. Nous avons pris part à la mise sur pied de nombreux services de garde d'enfants en milieu de travail.

Le problème, c'est que ce n'est pas la solution. Cela fait partie d'un système de garde d'enfants et pour nous les services de garde d'enfants en milieu de travail sont simplement un élément d'un vaste système de prestations de services. Nous avons constaté que lorsque nous ouvrons des garderies en milieu de travail, on rencontre les mêmes difficultés que pour tout autre programme de garde de d'enfants. Le sous-financement et la difficulté de respecter les règlements. Elles ne sont pas différentes. Elles pourraient en fait profiter de quelques réductions de leur loyer. Leurs frais d'immobilisation pourraient être acquittés par la société mais pour ce qui est vraiment d'aider...

Nous avons eu quelques cas en Ontario où, sans qu'on puisse obtenir de nouvelles subventions, on a mis sur pied des programmes de garde d'enfants en milieu de travail mais les parents n'ont pas les moyens d'y inscrire leur enfant de telle sorte qu'il y a des places libres. Toute cette affaire est exposée dans le mémoire, comme le cas en Ontario où 25 000 enfants figurent sur une liste d'attente alors qu'il y a 7 000 places libres dans toute la province. C'est parce que les parents n'ont pas les moyens de payer la totalité des frais.

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Je crois que c'est là que se situe le rôle du gouvernement, soit financer le service et assurer son accessibilité. Il ne passe pas par les dégrèvements fiscaux ou les crédits d'impôt. Il doit y avoir une plus grande responsabilisation et une certaine forme d'appui au financement actuel des services.

La garderie en milieu de travail est l'une des nombreuses options. Il y a eu des garderies en milieu de travail qui ont très bien fonctionné, mais dans la plupart des cas que nous avons rencontrés, elles se sont heurtées aux mêmes difficultés que celles avec lesquelles de nombreuses garderies sont actuellement aux prises, et elles craignent la fermeture.

M. Discepola: Chez nous, le milieu de travail a été le principal élément moteur dans l'établissement de ces garderies, mais ce qui est arrivé essentiellement, c'est que des places excédentaires ont été créées. Ces places ont alors été offertes aux collectivités avoisinantes.

Elles ne répondaient pas seulement aux besoins de tel employeur en particulier, mais aux besoins de toute la collectivité, et elles fonctionnent très bien.

Mme Kass: Quelque chose de novateur ressort de tout ça. Le TCA-Canada a négocié l'obtention de fonds pour la garde d'enfants. Il a mis sur pied une garderie. Il offre maintenant des services de garde à domicile. Il s'est toutefois rendu compte qu'il ne pourrait jamais répondre aux besoins de tous ses membres de cette façon. Il envisage maintenant l'ouverture d'une deuxième garderie.

On ne répondra jamais à tous les besoins sans une politique d'intérêt public émanant du gouvernement fédéral.

M. Discepola: Mais je crois - ce sont mes derniers commentaires, monsieur le président - lorsque je regarde vos critères, vous dites «de grande qualité, complet». Cela me fait penser aux soins de santé, en quoi est-ce notre responsabilité de payer pour les vasectomies, par exemple?

Mme Kass: Pardon?

M. Discepola: Vasectomies. C'est un mauvais exemple, n'est-ce pas?

Des voix: Oh, oh!

Le vice-président (M. Campbell): Désirez-vous expliquer en quoi consiste cette intervention, pour que tout soit bien clair?

Mme Kass: Certains d'entre vous pourraient ne pas avoir... [Inaudible - Éditeur]

Des voix: Oh, oh!

M. Discepola: Les interventions chirurgicales. Je crois qu'il nous incombe de fournir un service de base, mais quand vous parlez de services complets et de qualité, là je me demande si nous avons les moyens de réaliser un tel projet.

Mme Tougas: En quoi consistent les services de base dont vous parlez?

Je viens d'une région rurale du Québec. Il ne me servirait à rien que l'une des entreprises là-bas ouvre des garderies parce qu'il n'y a pas assez de grandes entreprises pour en ouvrir une et qu'il n'y a pas assez de gens pour fréquenter ces garderies.

Que sont des services de base? Vous devez envisager la chose du point de vue des enfants et de leur famille. Les familles qui désirent réintégrer le marché du travail doivent avoir accès à une certaine forme de services de garde d'enfants de qualité. En quoi consiste des services de base? Il est très difficile de le savoir.

On ne peut envisager la chose du point de vue du centre-ville à Montréal ou de la Banque de Montréal. Il y a là-bas 3 000 employés au siège social. Il n'y a même pas de succursale de la Banque de Montréal dans ma petite ville. Nous avons la Caisse populaire et la Banque nationale et on y compte 5 employés.

Que le siège social à Montréal ait une garderie en milieu de travail, cela ne nous donne rien.

M. Hagerman: Puis-je dire quelques mots?

Le vice-président (M. Campbell): Rapidement, parce que nous manquons de temps.

M. Hagerman: Je voudrais simplement préciser que nous ne préconisons pas que le gouvernement fédéral ou les provinces administrent en fait des garderies. À l'heure actuelle, les garderies sont presque entièrement administrées soit par les municipalités, soit par des organismes communautaires, et parfois par des sociétés.

Nous estimons que ce système continuera. Nous désirons simplement obtenir une base de financement plus sûre de sorte que ce système puisse s'étendre pour répondre aux besoins.

Deuxièmement, les sociétés qui ouvrent des garderies obtiennent des dégrèvements fiscaux au titre de l'établissement de telles garderies. Toutes les dépenses liées à la mise sur pied de ces garderies sont défalquées au titre des dépenses d'entreprises et sont exonérées d'impôt. Elles sont soustraites de leur revenu.

Troisièmement, le problème que nous posent les déductions fiscales qu'on considère comme un programme de garde d'enfants, c'est qu'en réalité ce n'en n'est pas un. Elles ne permettent pas d'élaborer des programmes de garde d'enfants. Elles procurent tout simplement aux familles plus de revenu à utiliser à leur gré. Peut-être pour la garde d'enfants, peut-être pas. Elles ne peuvent être considérées, et nous ne les considérons pas comme un élément essentiel du programme de garde d'enfants ou d'un programme social.

C'est de là que nous partons.

Le vice-président (M. Campbell): Merci beaucoup. Notre temps est écoulé. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous parler. On dit souvent que personne ne prend la part des enfants, mais vous êtes certainement pour eux de brillants défenseurs. Merci d'être là.

Des voix: Bravo!

Le vice-président (M. Campbell): Nous poursuivons immédiatement avec notre témoin suivant.

.1700

Il y aura peut-être un vote à 17h30, nous allons donc passer très rapidement à nos témoins suivants, Ian Johnson et Karen Parent du Conseil provincial de la santé de la Nouvelle-Écosse.

Bienvenue au Comité. Dès que vous serez prêts, veuillez commencer votre présentation et nous passerons aux questions par la suite.

Mme Karen Parent (directrice générale intérimaire, Conseil provincial de la santé de la Nouvelle-Écosse): Merci beaucoup. Au nom du Conseil provincial de la santé de la Nouvelle-Écosse, nous aimerions vous remercier de la chance qui nous est donnée de témoigner devant le Comité permanent des finances pour faire connaître nos commentaires sur le projet de loi C-76.

Le Conseil provincial de la santé, s'il y a des gens qui le connaissent - et si vous êtes de Truro, je suis sûre que vous le connaissez - a été fondé en 1990. Il s'agit d'un groupe de 12 bénévoles qui consacrent de leur temps à conseiller le gouvernement sur les questions de santé. Le Conseil est financé par le gouvernement provincial et fait rapport au Parlement par l'entremise du ministre de la Santé. Nous sommes l'un des quatre conseils provinciaux ou du premier ministre sur la santé qui existent au pays et nous sommes le premier à avoir été créé par l'effet d'une loi provinciale.

En général, le Conseil s'inquiète beaucoup du fait que le projet de loi C-76 crée ce nouveau mécanisme de financement qui sera bientôt adopté par le Parlement sans que le grand public n'ait, à notre avis, eu suffisamment l'occasion de le commenter et d'en discuter. Nous croyons que cet apport du public, qui a déjà exprimé son point de vue, dans les consultations préalables au dépôt du budget, serait d'une grande utilité au Comité dans son étude du projet de loi C-76. Au nom du Conseil provincial de la santé, nous croyons que si l'on faisait en sorte de tenir de vastes consultations publiques sur cette question particulière, nous serions un organisme régional ou provincial en Nouvelle-Écosse qui accepterait volontiers de donner un coup de main.

Dans notre présentation, nous comptons exposer nos préoccupations générales et particulières au sujet du nouveau Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le TCSPS. Dans notre présentation plus complète, plus exhaustive, nous exprimons notre point de vue sur l'importance du régime d'assurance-maladie et d'autres programmes sociaux nationaux, et vous pouvez également en prendre connaissance.

Ian parlera maintenant des répercussions particulières du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

M. Ian Johnson (analyste principal des politiques, Conseil provincial de la santé de la Nouvelle-Écosse): Merci Karen, et je souhaite un bon après-midi aux membres du Comité. Nous sommes heureux d'être parmi vous et nous apprécions beaucoup l'occasion qui nous est donnée de pouvoir vous parler. J'aimerais faire ressortir pour vous, si vous le permettez, certaines des répercussions particulières et plus générales qu'aura pour nous le nouvel arrangement financier proposé, et tenter de préciser notre position sur cette question.

.1705

D'abord, nous nous inquiétons beaucoup des conséquences qu'aura le TCSPS, le nouvel arrangement régissant les efforts de réforme des gouvernements provinciaux, qui est proposé dans le secteur des programmes sociaux. Nous sommes mieux placés pour parler de la réforme des soins de santé, mais je sais que vous traitez de questions plus vastes que les seules questions des soins de santé.

Nous craignons que le nouvel arrangement fasse en réalité obstacle aux véritables efforts de réforme. Ce que nous disons s'applique à nous parce que le gouvernement de notre province a tenté de tirer une ligne très mince entre ses mesures de réduction du déficit et son plan quadriennal en la matière d'une part, et ses efforts au chapitre de la réforme du système de soins de santé, de l'autre. Nous craignons que lorsque le gouvernement devra faire face aux conséquences et aux répercussions de ce nouveau transfert, il puisse en fait s'attaquer davantage à la réduction du déficit, ce qui nuirait à une réforme véritable et progressiste du système de soins de santé.

Nous nous inquiétons également de ce qu'on oppose des services essentiels les uns aux autres. En regroupant les soins de santé, l'aide sociale et l'enseignement postsecondaire sous un seul arrangement, nous redoutons que le nouvel arrangement oblige les gouvernements provinciaux à faire des choix fort difficiles en cette période où tous ces services sont vraiment nécessaires. Évidemment, avec un financement réduit, nous craignons beaucoup que ce soit encore davantage le cas. Compte tenu que la plupart des gouvernements, certainement le nôtre, s'efforcent d'atteindre leurs objectifs de réduction du déficit dans l'espace d'un an ou à peu près, la question de savoir quels services sont vraiment nécessaires créera une tension. Je crois que, chez nous, les gens s'en ressentiront.

D'un point de vue provincial, nous estimons en outre que ce nouvel arrangement offre moins de sécurité aux provinces et aux territoires, malgré la promesse, faite au cours des discussions fédérales, d'un arrangement plus durable pour l'affectation des fonds dans le cadre de ce nouveau programme, de ce nouvel arrangement. Que nous sachions, la loi ne comporte actuellement aucune garantie ni aucune assurance que le gouvernement fédéral ne prendra pas ce que nous considérons comme d'autres mesures unilatérales dans l'établissement de ce programme. La réduction des contributions pécuniaires du gouvernement fédéral alimentera encore davantage nos craintes.

Nous sommes également troublés par ce que nous percevons comme étant une obligation moindre de rendre compte au public aux termes du nouvel arrangement. Ce qui nous inquiète beaucoup, c'est qu'il était déjà difficile sous le régime du FPE, le financement des programmes établis, en particulier pour le public, de savoir exactement ce qui se passait et où allait l'argent pour ce qui est des soins de santé et de l'enseignement postsecondaire. Maintenant que l'on regroupe tout sous un seul arrangement, nous craignons qu'en vertu du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, il soit encore plus difficile pour le public, et même pour les provinces d'ailleurs, de savoir combien d'argent est attribué à quels services.

Nous sommes également troublés par ce que nous considérons comme des difficultés d'application. Nous reconnaissons que la loi comporte des dispositions prévoyant le maintien des principes fondamentaux de la Loi canadienne sur la santé et du principe de résidence édicté aux fins du Régime d'assistance publique du Canada. Néanmoins, bien que le gouvernement ait fait valoir qu'il serait plus facile d'appliquer la Loi canadienne sur la santé, nous demeurons pour le moment convaincus du contraire.

Enfin, ce qui constitue pour nous une autre répercussion particulière, la perte de financement destiné à des services nécessaires nous inquiète. Comme vous le savez, ce transfert prévoit une réduction d'environ 7 milliards de dollars des sommes accordées aux provinces et aux territoires au titre de la santé et de l'enseignement postsecondaire. Dans notre province, cela signifie une perte de quelque 328 millions de dollars dans ces secteurs, dans une province où les dépenses annuelles au chapitre des services communautaires de santé et de l'enseignement postsecondaire ne totalisent que 1,6 milliard de dollars. Cette réduction aura de graves répercussions, du point de vue des seules conséquences financières.

Mais au-delà de tout cela, nous voulons préciser et bien vous faire comprendre que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux entraîne des conséquences plus vastes. Pour nous, ce qui constitue peut-être l'aspect le plus perturbateur de tout ce nouvel arrangement et de la loi qui le propose, c'est que le gouvernement tente d'affaiblir ou même de dévaloriser les programmes sociaux par l'approche qu'il adopte. Nous l'avions constaté tout particulièrement ces dernières années, mais il semble que cela se poursuive. Nous l'avions d'abord remarqué lorsque nous avons pris connaissance des documents dans le cadre de l'examen du programme de sécurité sociale.

Nous avons vu ce que nous estimions être deux nouvelles hypothèses variables qui semblaient prendre de plus en plus d'importance, l'une d'entre elles étant que la meilleure forme de sécurité sociale, c'est d'occuper un emploi. En d'autres termes, les programmes sociaux ont peu de valeur ou peuvent même ne pas être nécessaires pourvu que la plupart des Canadiens occupent un emploi.

.1710

Nous n'avons qu'à nous tourner vers nos voisins du Sud pour comprendre qu'un nombre croissant d'Américains, même ceux qui occupent un emploi, ne jouissent pas d'un régime de soins de santé suffisant. Nous redoutons beaucoup toute proposition qui nous ferait aller dans ce sens.

L'autre valeur clé veut, semble-t-il, que le gouvernement se concentre sur l'aide aux plus vulnérables, aux plus défavorisés. En d'autres termes, assurons-nous que les rares ressources destinées aux programmes sociaux soient principalement orientées vers ceux qui en ont le plus besoin et laissons les autres se débrouiller seuls. Je ne dis pas que c'est l'attitude générale du gouvernement, mais tout ce qui la sous-tend va dans ce sens.

J'aimerais ici redonner la parole à ma collègue, Karen, qui résumera notre présentation d'ouverture.

Mme Parent: Le Conseil provincial de la santé de la Nouvelle-Écosse aimerait formuler les recommandations suivantes sur le projet de loi C-76 au Comité permanent des finances et à la Chambre des communes.

Premièrement, que le Comité ne poursuive pas son étude du projet de loi avant d'avoir tenu, dans l'ensemble du pays, des audiences publiques sur le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Deuxièmement, que le Comité sollicite également l'avis d'organismes consultatifs nationaux pertinents semblables au nôtre, comme le Forum national sur la santé et le Conseil national du bien-être.

Troisièmement, qu'il explore toutes les autres options possibles de nouveaux arrangements financiers en dehors du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Quatrièmement, qu'il ordonne l'exécution d'une étude des répercussions sur la santé afin de déterminer les conséquences qu'aura, à court et à long terme, pour la santé, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux avant qu'il ne soit mis en oeuvre.

Cinquièmement, que les contributions pécuniaires du gouvernement fédéral que prévoira tout nouvel arrangement financier concernant les programmes sociaux demeurent à un niveau suffisant pour permettre l'application convenable des principes fondamentaux qui sous-tendent ces programmes.

Enfin, que les fonctions de surveillance et d'exécution des ministères et organismes compétents en matière de programmes sociaux soient renforcées et non réduites.

En conclusion, si le gouvernement fédéral insiste pour que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, dans sa forme actuelle, soit adopté, cela créera de graves problèmes pour la santé et le bien-être des Canadiens.

À l'heure actuelle, les organismes du gouvernement provincial ressentent de toute évidence une grande inquiétude. Le gouvernement fédéral doit s'assurer que les Canadiens seront largement consultés et qu'ils auront amplement l'occasion d'analyser la loi et d'en discuter avant qu'elle ne soit adoptée. Nous demandons au Comité d'apporter toute son attention aux préoccupations et aux recommandations que nous avons formulées.

Le vice-président (M. Campbell): Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Je cède la parole à monsieur Dubé.

M. Dubé: J'ai retenu les grandes lignes de ce que vous avez défendu, mais j'aimerais vérifier si j'ai bien compris votre exposé, parce que je dispose uniquement d'un texte anglais.

Vous ne seriez pas opposé à une révision des programmes sociaux, mais pas dans un contexte où l'objectif est de diminuer les dépenses pour pallier au déficit. Je pense que vous admettez qu'il y aurait peut-être des choses à améliorer dans les programmes sociaux. Est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit?

[Traduction]

M. Johnson: Oui, absolument. Je vous remercie de votre question. Je regrette que nous ne puissions mettre une version traduite à votre disposition dans le temps que nous avons. Je m'excuse de notre manque d'égards.

Je crois que vous avez raison, monsieur. Nous ne nous opposons pas à une réforme. En fait, comme nous tentons de le faire ressortir, notre tâche en tant que conseil a consisté principalement à appuyer et à aider à faire avancer la réforme des soins de santé dans notre province. Bien des raisons justifient cette réforme au niveau fédéral et provincial. Mais en même temps, nous nous inquiétons beaucoup.

Au niveau provincial, à notre avis, la réforme devra s'appuyer sur les principes fondamentaux de la Loi canadienne sur la santé et une présence fédérale forte et vigoureuse. Nous croyons que les deux vont de pair et qu'ils sont nécessaires. Il est certain que nous l'appuyons et nous ne recommandons pas de maintenir simplement les choses dans l'état où elles sont. Nous devons aller de l'avant, c'est certain.

.1715

[Français]

M. Dubé: Dans le projet de loi C-76, qui est relié au budget, il y a des propositions qui viennent modifier les objectifs et les critères nationaux. Ce que vous dites - et je suis parfaitement d'accord avec vous - c'est que vous trouvez, en somme, que ce n'est pas très logique de procéder ainsi tant que le Forum sur la santé n'aura pas terminé ses travaux et tant qu'il n'y aura pas une consultation réelle, concrète, avec les gouvernements provinciaux. Vous parlez même d'audiences publiques.

[Traduction]

Mme Parent: Oui, c'est absolument ce que nous pensons. Nous croyons qu'une vaste consultation publique est nécessaire, que le Forum national sur la santé doit avoir l'occasion de terminer ses travaux et qu'il se peut que des programmes différents se disputent des fonds qui vont en diminuant. Oui, vous avez très bien saisi notre point de vue.

M. Johnson: Monsieur le président, nous connaissons par expérience en quoi consistent des audiences publiques. Une grande partie de notre travail se fait par consultations publiques. Je crois savoir qu'en tant que Comité, vous vous êtes également lancés dans vos consultations pré-budgétaires. Il est sûr que notre démarche n'a pas été parfaite, mais nous avons tiré beaucoup de leçons de notre expérience. En fait, vous constaterez qu'au verso de notre présentation plus élaborée, nous exposons à votre intention les buts de la Nouvelle-Écosse en matière de santé. Ces buts ne sont pas seulement de notre cru ou de celui des membres de notre conseil; ils ont été rédigés grâce à un important apport du public.

Nous assistons probablement aujourd'hui au bouleversement le plus important qu'aient connu les arrangements financiers au titre des programmes sociaux depuis l'établissement du FPE en 1977. Nous sommes contents d'être ici, mais nous croyons qu'il faut absolument tenir de vastes consultations publiques, qui incluraient les gouvernements provinciaux, mais sans exclure bien d'autres intervenants du secteur de la santé. Il est certain, comme ma collègue l'a mentionné, que nous ferions bien volontiers tout notre possible pour vous aider si vous décidiez d'en tenir dans notre province. Nous pensons avoir des relations et des contacts, et il n'en faudrait pas beaucoup pour inciter les gens à venir vous parler.

[Français]

M. Dubé: Peut-être qu'un élément du problèmes, face aux programmes sociaux, est que la population manifeste une certaine lassitude. Cette lassitude est accompagnée d'une hantise de la dette. Cela fait que les gens qui n'ont pas la chance de peser à fond les conséquences des changements proposés par le projet de loi C-76 n'y voient justement pas les conséquences.

Nous sommes actuellement en mai, l'été approche, cela va être adopté probablement d'ici la fin juin. Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour que le public soit plus renseigné? Simplement des audiences ou autre chose?

[Traduction]

Mme Parent: Comme Ian l'a souligné, nous croyons certainement que si vous pouviez nouer des liens avec des organismes provinciaux de chaque province qui possèdent déjà un réseau bien établi, ces organismes seraient capables - et en ce qui me concerne, je peux en parler au gouvernement de la Nouvelle-Écosse et au Conseil provincial de la santé, de prendre le temps d'élaborer une stratégie de consultation qui prévoirait également des moyens permettant d'informer le grand public. À mon avis, vous avez raison lorsque vous dites qu'une certaine lassitude se fait sentir. On a énormément entendu parler du déficit. L'été approche. Ce sont des questions réelles, pratiques sur lesquelles il faut se pencher.

Mais je crois que, compte tenu de la crédibilité dont nous jouissons dans la province, nous serions très bien placés pour faire avancer les choses. Nous avons suffisamment entendu de protestations, même malgré cette lassitude, pour estimer qu'il s'agit d'une question très importante. Si nous pouvions donner l'impulsion nécessaire, nous jouerions un grand rôle en transmettant l'information au Comité permanent et à la Chambre des communes.

[Français]

M. Dubé: Donc, c'est une offre de collaboration que vous faites.

[Traduction]

Mme Parent: Absolument.

[Français]

M. Dubé: Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président: Madame Hayes, avez-vous une question?

.1720

Mme Hayes: Il est intéressant d'entendre le point de vue d'une des provinces de l'Atlantique, et je vous remercie d'être là. Je comprends les difficultés que vous avez à surmonter; bien que de nature différente, elles sont en quelque sorte semblable à celles de tous les Canadiens, et certaines sont évidemment particulières. Cela fait plaisir d'entendre votre point de vue.

Un témoin que nous avons entendu plus tôt aujourd'hui a parlé de l'opposition des services les uns aux autres. En fait, je crois qu'il a dit, si j'ai bien saisi ses propos, que pour maintenir la composante des soins de santé de ce régime de financement global, le volet de l'aide sociale serait touché deux fois plus durement que les autres secteurs. L'effet s'amplifie lorsque vous accordez la priorité à un élément en particulier.

Une telle chose pourrait-elle être défendue ou pourrait-elle fonctionner dans votre province? Selon vous, comment pourrions-nous nous assurer que cela ne se produit pas? Avez-vous un plan de financement ou une façon à nous proposer qui ferait en sorte qu'un secteur ne serait pas touché plus durement qu'un autre?

M. Johnson: Pour tenter de répondre à votre question, je crois qu'il y a un certain nombre d'éléments à prendre en considération. À part nous, d'autres groupes vous ont peut-être proposé à peu près la même chose. Je crois que, même sous le régime du financement des programmes établis, on s'inquiète depuis longtemps de ce que les fonds ne soient pas affectés à des fins particulières, de ce que les montants et les exigences s'appliquant à des secteurs de programmes particuliers ne soient pas clairement déterminés. Une des choses que nous redoutons, c'est qu'on ne sache plus, avec ce mécanisme qui va aujourd'hui encore plus loin et qui met tout dans le même sac sans nécessairement affecter clairement les fonds à des fins particulières, ce qui entre exactement dans l'enseignement postsecondaire, ce qui entre dans les soins de santé, et ce qui entre dans ce qui a été le RAPC, le Régime d'assistance publique du Canada. Une solution serait peut-être de préciser clairement quels sont les programmes, quels sont les fonds affectés à quels services et quelles sont les exigences.

Je crois que c'est important ne serait-ce que pour l'imputabilité. Chose certaine, nous avons fait valoir la nécessité d'une affectation claire à des fins particulières, et nous nous sommes efforcés ici de vous la montrer. C'est une façon d'en venir à bout. De toute évidence, cela ne règle pas entièrement le problème parce que si vous avez des secteurs de programmes désignés et que les fonds sont réduits, il est encore, selon ce mécanisme, très ardu pour les provinces qui disposent de moins de fonds de faire des choix difficiles. Cela ne règle évidemment rien. Je crois que cela fait partie du processus de réforme que nous voyons pour les soins de santé.

On pourrait dire, et cela coïncide à mon avis avec ce qui ressort du Forum national sur la santé, qu'en général notre province dispose globalement d'assez de fonds pour le secteur de la santé, mais la façon dont ces ressources sont utilisées doit être repensée. Dans notre province, la plus grande partie des fonds - 80 p. 100 - va aux établissements de soins actifs ou aux services de santé. Non que ces services ne soient pas utiles - ce n'est pas ce que je pense - mais il semble y avoir un certain nombre d'indications selon lesquelles cet argent n'est pas bien utilisé et devrait être affecté à d'autres fins. Cela pourrait comprendre des programmes sociaux comme les garderies, comme on vient de le dire, par exemple, ou encore des banques alimentaires. On vient juste d'annoncer la suppression du programme de déjeuners dans les écoles en Nouvelle-Écosse. Nous croyons qu'il s'agit d'un programme important qui répond à un besoin.

Il doit y avoir moyen de réaménager les fonds, mais nous n'en sommes pas encore là dans notre processus de réforme. Nous commençons seulement à constater une certaine réaffectation des ressources à partir du secteur des soins actifs et, dans une moindre mesure, des paiements d'appoint aux services de santé vers d'autres secteurs tels que les soins à domicile, qui ont enregistré une assez bonne augmentation dans le budget actuel de notre province. Nous avons encore beaucoup à faire pour dépasser ce stade.

Mme Hayes: Vous avez dit que vous aviez l'expérience des audiences publiques et que vous êtes au fait de ce qui se passe dans votre province, et c'est formidable. Dans ces audiences, avez-vous entendu le public affirmer que le système actuel, disons le système de soins de santé, fait l'objet d'abus ou de surutilisation ou autre, et y a-t-il là un problème qui pourrait influer sur les niveaux de financement dont on a parlé?

.1725

Mme Parent: Les collectivités savent que nous devons nous pencher sérieusement sur la façon dont nous utilisons les fonds que nous recevons. Nous devons revoir tout ça.

M. Johnson: Un élément qui revient constamment est l'utilisation du service d'urgence des hôpitaux. Dans certaines parties de la province, il est plus courant de se rendre à un service d'urgence pour presque n'importe lequel problème de santé que de recourir à un médecin ou à quelque autre dispensateur de soins. Le coût de cette pratique est évidemment important comparativement à ce qu'il en coûte pour faire appel à un dispensateur de soins.

Je dirais que ce n'est pas tant de l'abus puisque c'est peut-être, en partie, dû au fait qu'il semble ne pas y avoir beaucoup de choix en dehors des heures d'ouverture lorsque vous n'avez pas accès à vos dispensateurs de soins habituels. Il ne reste que le service d'urgence, qui est une option très coûteuse, du moins pour notre province.

Comment implante-t-on des services de sorte qu'il y ait une permanence? J'ai fait partie d'un centre de santé communautaire où on avait accès à un service téléphonique assuré par des infirmières 24 heures sur 24 - et nous comptons implanter un tel service dans la province. Dans le cas de ce service particulier, il a en fait entraîné une réduction de presque 50 p. 100 des urgences à la clinique parce qu'il était assuré en permanence.

Le gouvernement de notre province s'efforce d'implanter, outre les soins à domicile, un service de soins d'urgence complet comprenant un service de renvoi téléphonique et de secouristes opérationnels. Des fonds sont affectués par la province, de nouveaux fonds sont prévus dans ce budget pour la mise sur pied du service, mais il faudra du temps pour rassembler tous les éléments fondamentaux, tous les morceaux de sorte que nous disposions de l'infrastructure nécessaire pour démarrer. Mais il y a moyen de le faire.

Le vice-président (M. Campbell): En qualité de vice-président de ce Comité et, pour l'heure, de président suppléant, je suis particulièrement heureux d'inviter le président du Comité à poser une question. Je pourrai alors l'interrompre s'il dépasse le temps qui lui est alloué, comme on sait qu'il le fait lui-même, à M. Discepola en particulier.

M. Peterson a une question à poser.

M. Peterson: C'est, pour le président, l'occasion de se venger.

D'abord, le concept du conseil provincial sur la santé me semble avoir été une très sage décision, l'établissement de ce groupe, et votre participation en tant que bénévoles à l'amélioration du système de santé. Si d'autres provinces n'ont pas adopté cette formule, je suis sûr que vous la leur recommanderiez. Je félicite le gouvernement de sa démarche et je vous félicite pour les services que vous rendez.

Deuxièmement, en tant que président du Comité, j'ai été pressenti par Dianne Brushett, Roseanne Skoke, Geoff Regan et d'autres qui m'ont demandé d'accéder à votre demande de prolongation de ces audiences, pour que nous tenions des discussions dans tout le Canada afin d'entendre tout le monde.

Lorsque nous avons pris connaissance des gens qui désiraient témoigner devant nous, nous avons constaté que nous avions jusqu'à 12 membres d'un groupe national qui allaient simplement répéter ce que le groupe national avait dit. Les trois partis, qui en ont discuté au sein de leur caucus, en sont venus à la conclusion qu'il y a 295 députés qui pouvaient, grâce à leur bureau, assurer la communication et la discussion et transmettre aux trois caucus le point de vue des particuliers.

L'énormité des coûts entre aussi en ligne de compte. Nous ne servons même plus de café au Comité; nous pourrions encore moins entreprendre une tournée éclair dans tout le Canada qui coûterait disons 200 000$. Ces considérations très importantes ont joué, et nous avons estimé que grâce aux députés de nos trois partis, nous pouvions obtenir le point de vue des gens qui ne sont pas représentés par des groupes de coordination comme le vôtre et d'autres très en vue.

Vous présumez que les fonds provenant du gouvernement fédéral s'épuiseront. Nous savons tous qu'ils ont été réduits, mais c'est seulement pour une période de deux à trois ans clairement fixée dans les limites d'un budget précis. Ce n'est pas parce qu'elle a été réduite sur une période donnée en raison de contraintes budgétaires que la composante pécuniaire de nos transferts s'éteindra. C'est justement ce que nous avons fait avec les taxes sur les cigarettes; nous les avons abaissées. Cela ne signifie pas que nous les avons supprimées et cela ne signifie pas qu'elles ne vont pas augmenter quand la situation aura évolué.

À votre avis, quel est le montant des transferts pécuniaires que nous devons nous engager à verser et d'ici quelle date pour pouvoir maintenir l'intégrité de la Loi canadienne sur la santé et des autres programmes?

.1730

M. Johnson: Monsieur le président, je ne suis pas sûr que nous puissions donner un chiffre exact. Il se peut que la préoccupation que vous soulevez au sujet de la notion de la disparition des fonds ne soit pas à propos ou soit mal comprise.

Ce sur quoi on se fonde est le fait, comme vous le savez, que sous le gouvernement antérieur, il y a eu plafonnement du financement des programmes établis, ce qui a déjà entraîné une diminution des contributions pécuniaires aux provinces. Si cette tendance se poursuit, l'estimation antérieure...

M. Peterson: Vous voulez dire le plafond imposé au RAPC?

M. Johnson: Non, monsieur. La réduction du taux d'augmentation du FPE a d'abord été arrêtée en 1989, puis en 1990, même avant ce budget. Cela nous a amenés au point où les contributions en espèces disparaîtraient. La projection, selon la province, nous menait au tout début de la première décennie du premier siècle. Ce que je veux dire, c'est que le processus était déjà en cours.

Ce qui nous inquiète, c'est que ce transfert a accéléré ce processus. Vous avez raison en ce sens qu'il n'est pas sûr que les contributions s'éteindront automatiquement à la fin de la période de deux ans. Mais ce que nous craignons, c'est qu'à ce rythme, nous arriverons à un point, si les contributions ne disparaissent pas, où le pouvoir de mise en application que possède actuellement le gouvernement fédéral grâce à la Loi canadienne sur la santé sera nul ou encore très restreint. Même maintenant, je dirais qu'il y a des indications selon lesquelles, en raison de l'évolution et de la baisse des contributions en espèces, certaines provinces semblent, davantage aujourd'hui qu'auparavant, remettre en question de cette façon le rôle du gouvernement fédéral.

M. Peterson: C'est définitivement mon interprétation et, oui, les budgets à venir pourraient accroître le montant des transferts en espèces ou les réduire. Évidemment, l'impression que j'ai, c'est que oui, le gouvernement fédéral doit atteindre son objectif concernant le déficit, mais les Canadiens ne veulent pas voir disparaître complètement un levier pécuniaire, un levier suffisant pour poursuivre nos principaux programmes sociaux et conserver sur eux l'influence fédérale. J'ai certainement cette impression. Si c'est ce que vous nous dites, alors je crois que vous vous attirerez beaucoup de sympathie de ce côté-ci de la table aujourd'hui.

M. Johnson: Nous vous en savons gré. Ce que nous voulons dire, c'est que rien ne garantit, aussi bien dans le budget que dans la loi, que cela se produira. Mais si c'est ce que vous dites en tant que comité, et j'ose espérer que tous les partis sont d'accord avec vous, c'est, à notre point de vue, un résultat très positif.

Mme Parent: Je voudrais simplement clarifier vos propos au sujet des consultations publiques. Êtes-vous en train de dire que les consultations publiques se poursuivront grâce aux députés locaux?

M. Peterson: Oui, et nous continuerons à entendre des témoignages pendant encore une semaine et demie. Nous avons reçu des représentants de tous les grands groupes nationaux, mais pour être francs, nous ne voyons aucun avantage à aller d'une région à l'autre, à grands frais, pour écouter encore des membres d'une même famille nous parler du même sujet.

Mme Parent: À ce propos justement, c'est là où nous croyons être le plus utiles. Vous n'auriez pas forcément à vous déplacer. Nous pourrions jouer un rôle de catalyseur pour la collecte et le classement de cette information à votre intention. Pour ce qui est de recevoir des groupes particuliers qui sont déjà surreprésentés, c'est là que le Conseil a le mieux réussi.

M. Peterson: Je vous invite fortement à mettre sur pied votre coalition, si vous le désirez. Je suis certain qu'un grand nombre de nos députés se feraient un plaisir de vous rencontrer très rapidement, parce que nous ferons très bientôt rapport sur le projet de loi. De cette façon, les députés font le travail pour lequel ils sont si bien qualifiés et vous les aidez en leur apportant des points de vue nouveaux.

Le vice-président (M. Campbell): Merci, monsieur Peterson.

M. Peterson: J'ai été interrompu.

Le vice-président (M. Campbell): Notre estimé président a pris le truc de ses collègues qui l'entourent. Il n'a pas regardé une seule fois dans ma direction pendant qu'il parlait, de sorte qu'il n'a pu voir que je lui indiquais désespérément que le temps filait. Bien d'autres membres désirent poser des questions.

M. Peterson: Je suis désolé.

Le vice-président (M. Campbell): Madame Brushett.

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui, parce que je sais que vous jouez un rôle vital dans la province de Nouvelle-Écosse.

L'un des points qui revient fréquemment, c'est que le système de soins de santé que nous avons au Canada est en fait le lien qui unit ce pays. Il est vital que nous le conservions et que nous le protégions, et que nous l'administrions de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible. Ce que nous avons appris, particulièrement des témoins qui ont comparu devant ce Comité, c'est que chaque province semble avoir déterminé ce auquel elle accorde de l'importance au chapitre des soins de santé. Au cours des 20 dernières années par exemple, le régime de la Nouvelle-Écosse couvrait les soins dentaires pour les enfants de la naissance à 16 ans. Je crois que, l'année dernière justement, nous avons abaissé l'âge à 12 ans. C'est une mesure fantastique, mais le régime des soins de santé s'est de plus en plus étendu; le cadre s'est élargi de plus en plus.

.1735

En Ontario, le régime couvre la chirurgie esthétique, une chose merveilleuse encore là, mais peut-être que certains de ces éléments relèvent d'un choix et vont au-delà de ce qui constitue véritablement, pour ce pays, de bons soins de santé de base si l'on veut que le régime demeure concurrentiel et économiquement viable.

Je me demande si, dans les avis que vous avez donnés au premier ministre, vous avez été en mesure de formuler de telles recommandations? Pourriez-vous en faire devant ce Comité?

M. Johnson: Non, nous n'avons pas formulé de recommandations précises. Nous avons fait part de certaines de nos craintes. Comme vous le savez peut-être, il y a dans notre province, une tendance à la régionalisation et à la décentralisation. C'est dans ce contexte que la notion des services essentiels est apparue. Nous recommandons à ce sujet qu'on tienne absolument des consultations vastes et exhaustives, que la décision sur la question de savoir ce à quoi pourvoira le niveau provincial par opposition à ce qui reviendra au niveau régional ou communautaire, fasse suite à de vastes consultations, pour lesquelles nous offrons volontiers notre aide. C'est une offre que nous avons faite à plusieurs reprises.

Pour répondre à votre question, je crois que ce genre de décisions ne devraient pas être prises par quelques élus derrière des portes closes. Le fait qu'on tente de considérer certains genres d'interventions et de services comme des éléments qui peuvent être laissés à discrétion des dispensateurs de services et du gouvernement, nous inquiète quelque peu. Nous croyons qu'ils ont un rôle à jouer, mais le processus doit être plus vaste.

Comme vous le savez peut-être, il existait antérieurement en Nouvelle-Écosse, en 1984-1985, le Comité spécial sur la santé. Il a réellement formulé des recommandations sur les services qui devraient être englobés, mais qui ne l'ont en fait pas été. Nous savons que les soins dentaires, non seulement pour les enfants, mais également pour les adultes, posent de véritables problèmes. Les frais de médicaments sur ordonnance ont également été l'un des thèmes des travaux de la Commission royale dans notre province. Même dans le Chronicle Herald d'aujourd'hui, on a publié l'histoire d'un homme qui est atteint du sida et qui est condamné à l'assistance sociale parce qu'il ne peut pas travailler et que les frais de médicaments ne sont pas prévus dans le régime des soins de santé.

Nous avons des cas, et j'en connais personnellement, de petits salariés et de familles à faible revenu qui ne disposent d'aucun soutien social, mais qui font face à des coûts énormes. C'est de ce genre de choses que nous parlons. Nous ne recommandons pas d'englober immédiatement tous les services dont on a besoin, mais nous croyons qu'il faut absolument engager dans chaque province, à tout le moins dans la nôtre, un processus afin de tenter de déterminer les services qui sont prioritaires et qui doivent être couverts dans toute la province et peut-être d'autres services qui pourraient varier. Il faut mettre un processus sur pied.

Mme Brushett: Je crois que c'est vital parce que nous travaillons aujourd'hui dans un contexte de ce qui est presque une collectivité en bonne santé. L'emploi d'une personne l'exige, la santé mentale, la santé physique et ainsi de suite. En ce qui concerne les coûts énormes de l'équipement dans nos hôpitaux, comme les examens IRM et TDM, etc., croyez-vous qu'ils devraient être mieux utilisés? Je serais curieuse de savoir quelles recommandations vous avez faites au ministre de la Santé pour les rendre plus accessibles au public - à savoir que cet équipement soit mieux utilisé plutôt que de rester inutilisé plus souvent qu'autrement.

Mme Parent: L'équipement est-il depuis le départ utilisé à bon escient, c'est peut-être là la question; avait-on besoin d'utiliser autant cet équipement en particulier? Le Conseil provincial de la santé a au début joué un rôle; il a mis sur pied, dans le cadre de son mandat législatif, un comité chargé de se pencher sur une évaluation technologique, et il a fait à ce sujet particulier des recommandations au ministre qui les a soumises au premier ministre.

Nous ne disposions pas des ressources humaines ou financières nécessaires pour poursuivre cet exercice, mais il semble ici se dégager une ligne de pensée commune, c'est que nous assistons à une diminution des fonds. Sommes-nous toutefois disposés à nous pencher sur les modes d'utilisation? Sommes-nous disposés à déterminer de quelle façon nous pouvons le mieux utiliser, affecter ou exploiter le matériel dont nous disposons et peut-être ne pas simplement penser que nous ne pouvons examiner véritablement à fond la façon dont nous utilisons actuellement notre régime de soins de santé? Ce sont les échos que j'en ai, et c'est peut-être aussi le commentaire de Mme Hayes.

.1740

Ne devrions-nous pas revoir la façon dont nous utilisons notre régime de soins de santé, et non seulement examiner les fonds alloués aux programmes sociaux, mais aussi étudier parallèlement l'aspect utilisation. Peut-être que c'est ce que vous dites. Nous pouvons affecter des fonds ou demander l'affectation de fonds particuliers aux programmes sociaux, mais il nous faut aussi être pratiques. Nous devons aussi considérer le fait que les fonds destinés aux soins de santé ou à d'autres programmes sociaux nationaux diminuent. Sommes-nous prêts à procéder à une évaluation très approfondie de leur utilisation? Je dirais que le Conseil a fait des pressions dans ce sens depuis sa mise sur pied.

Mme Brushett: C'est bon de vous l'entendre dire, parce que dans le domaine particulier de la pauvreté chez les enfants, nous y avons consacré de l'argent, mais nous ne réglons pas le problème. L'argent n'est pas vraiment la solution, n'est-ce pas?

Mme Parent: Non, on a besoin de soutien, et on a besoin de mesures d'exécution dans certains secteurs, mais vous avez raison, je crois bel et bien que nous devons assortir ces mesures d'une évaluation.

M. Johnson: Nous avons besoin de plus d'information. En Nouvelle-Écosse, nous nous efforçons actuellement d'élaborer enfin, et c'est peut-être difficile à croire, une stratégie provinciale d'information en matière de santé pour mieux savoir où va l'argent et la façon dont nous utilisons les services, même des données que je sais que vous connaissez en ce qui concerne les interventions chirurgicales et les taux d'interventions chirurgicales dans tout le pays. Un grand nombre de renseignements de base que nous ne possédons pas, ce qui est difficile à croire lorsque nous tentons de prendre des décisions qui mettent en cause des millions ou, dans certains cas, des milliards de dollars. Nous devons en savoir beaucoup plus sur ce qui se fait et en connaître les effets. C'est une des raisons pour lesquelles nous devons agir, mais nous avons vraiment besoin de beaucoup plus de données que celles dont nous disposons actuellement pour nous aider à prendre ces décisions, pour faire la meilleure utilisation possible des sommes dont nous disposons.

Le vice-président (M. Campbell): Monsieur Discepola, c'est toujours M. Discepola qui écope. En fait, il y aura une autre question par la suite. Vous devrez être très bref.

M. Discepola: Alors pourquoi avez-vous accepté la question du président?

Le vice-président (M. Campbell): Question d'ancienneté.

M. Peterson: Je veux juste que vous sachiez qu'il est pénible d'avoir à écouter de telles choses.

Le vice-président (M. Campbell): Je me suis incliné devant lui en vertu de l'ancienneté.

M. Discepola: Je veux savoir si les témoins sont conscients du fait, du moins du point de vue du Québec en vertu du régime existant - parce que je crois que le Québec a opté pour le point d'impôt plutôt que pour les transferts pécuniaires - que si nous ne modifions pas le régime, nous perdrons ce que je considère comme étant le plus grand avantage de ce transfert global, le levier financier que nous aurions pour imposer n'importe quelle norme aux provinces. Votre groupe et d'autres groupes ont déjà, je crois bien, exprimé leur crainte de voir les gouvernements prendre cet argent et s'en servir à d'autres fins. Il y a déjà aujourd'hui des provinces qui dépensent moins dans le domaine de l'enseignement par exemple, et le gouvernement fédéral verse des sommes démesurées à différentes provinces pour la prestation de ce genre de service.

J'essaie de comprendre, parce que divers groupes ont exprimé leur crainte, et même dans votre recommandation, vous ne semblez pas être en faveur du transfert global, une somme forfaitaire, pour les diverses raisons que vous avez indiquées. Je me demande comment vous pouvez le moins du monde demander tout d'un coup au gouvernement fédéral que l'on vous donne x milliard de dollars, mais que l'on exige que vous consacriez x p. 100 de ce montant aux programmes d'aide sociale, et y p. 100 à autre chose. Vous voulez que l'on aille jusque-là et j'ai de la difficulté à comprendre. Cela enlève aux provinces la marge de manoeuvre qu'elles ont toujours recherchée. Elles ne sont plus libres de décider quelle est la meilleure façon d'offrir le service ou d'utiliser l'argent.

Je ne sais pas comment le gouvernement réussira à établir des normes nationales. Bien que mon collègue du Québec ait dit que les gouvernements provinciaux sont disposés à collaborer, nous n'avons même pas pu, dans le cadre du Comité, amener les provinces à s'entendre sur l'harmonisation de la TPS, encore moins sur l'établissement de normes nationales applicables aux programmes sociaux, de normes nationales pour l'enseignement et de normes nationales pour d'autres choses. Vous qui êtes pris entre les deux, quelle est votre position? Je ne comprends pas bien ce que vous recommandez. Vous semblez dire que le statu quo ne vous satisfait pas. Vous rejetez le transfert global et vous voulez que nous passions plus de temps à l'examiner de nouveau pour peut-être en arriver à quelque chose d'autre.

M. Johnson: Vous avez en partie raison, mais je crois que ce que nous voulons dire, c'est qu'il peut fort bien y avoir d'autres options à envisager en ce qui concerne les arrangements financiers. C'est pourquoi nous recommandons, en un sens, d'éviter d'aller plus loin avec le projet de loi avant que l'ensemble des Canadiens et vous-mêmes ayez eu la chance d'étudier toutes les options qui s'offrent dans le domaine des arrangements financiers.

.1745

J'ai eu l'occasion de faire partie d'une organisation qui a présenté au comité Breau, en 1981, ce qui constituait une vaste étude des arrangements financiers, et qui, à mon avis, a produit l'un des meilleurs rapports qu'il nous a été donné de rencontrer dans ce pays en ce qui concerne les arrangements financiers entre le gouvernement fédéral et les provinces. Il faisait suite à un exercice consultatif itinérant, mais un vaste exercice qui a mis à contribution de nombreuses organisations dans une période relativement brève, moins d'un an.

Nous reconnaissons évidemment qu'on a besoin d'une certaine souplesse, mais pas au point d'opposer les programmes les uns aux autres ou de perdre le pouvoir de faire exécuter la loi. Il existe d'autres options. Nous avons par exemple entendu un exposé fort intéressant, que vous avez peut-être entendu, de M. Allan Maslove de Carleton, qui proposait une entente conditionnelle de partage des recettes qui assurerait au gouvernement fédéral une plus grande présence. J'ai peut-être mal compris, mais c'est néanmoins une idée intéressante d'utiliser autrement les points d'impôt de façon à ce que le gouvernement fédéral perçoive des recettes qui seraient distribuées aux provinces. Cette entente peut viser, dans une certaine mesure, les mêmes objectifs sans entraîner certains des problèmes que nous pose l'arrangement actuel.

Nous n'avons pas la réponse. Tout ce que nous voulons dire, c'est que ce processus est trop rapide et peut entraîner de graves conséquences pour les arrangements que vous avez établis, les gouvernements provinciaux et le financement de leurs programmes et, nous le craignons, la santé des Canadiens.

M. Discepola: Mais l'établissement de normes nationales ne résoudra-t-il pas ce problème? Les provinces ont ainsi la marge de manoeuvre dont elles ont besoin dans la mesure où elles les respectent, et la Loi canadienne sur la santé, qui en est un parfait exemple, a été bien respectée.

M. Johnson: Sauf que les principes ont été, sous bien des angles, très vagues. À l'exception de l'accessibilité, nous nous demandons vraiment si les autres critères uniformisés ont été correctement appliqués. Nous nous inquiétons aussi de ce que les rapports à ce sujet ont été très insuffisants, à notre avis. Il y a un rapport annuel, mais vous n'obtenez jamais une idée des préoccupations des Canadiens, des autres groupes, au sujet de l'application et du fonctionnement réel de la loi. Oui, la Loi canadienne sur la santé a certainement aidé. Je ne veux pas vous induire en erreur. Mais nous relevons de nombreuses faiblesses dans son mode de fonctionnement.

Le vice-président (M. Campbell): Merci. Nous allons conclure avec M. Pillitteri.

M. Pillitteri (Niagara Falls): Nous avons entendu pas mal d'exposés sur le financement global et le projet de loi C-76. C'est presque que comme si c'était la hantise de chaque présentateur de mémoire; c'est quasiment une maladie. Pardonnez-moi de dire les choses d'une façon aussi crue. Je constate qu'on continue, à mon avis, de dénigrer systématiquement les provinces et qu'on ne leur accorde aucune confiance pour ce qui est de la prestation des programmes.

Je me rappelle de l'époque où je vivais en Nouvelle-Écosse en 1963. Deux de mes enfants sont nés en Nouvelle-Écosse, en 1961 et 1963. Cela ne m'a pas coûté un sou. C'était avant l'établissement du régime de soins de santé. J'ai déménagé en Ontario en 1964 et j'ai dû payer des frais à la naissance de mon premier enfant là-bas, et ça a été mon dernier enfant.

M. Peterson: Les transferts entre le gouvernement fédéral et les provinces sont une nouvelle forme de planification des naissances.

M. Pillitteri: Si j'étais demeuré en Nouvelle-Écosse, notre famille se serait probablement agrandie.

Pourquoi cette hantise, alors que la Nouvelle-Écosse particulièrement a été l'une des premières, avant l'adoption de la Loi sur le régime des soins de santé, à pourvoir aux besoins des citoyens? Croyez-vous sincèrement que chaque gouvernement provincial ne serait pas, demain, pris à partie par l'électorat de la province pour ne pas s'être conformé à la Loi canadienne sur la santé. Croyez-vous sincèrement qu'il pourrait échapper à l'électorat et ne pas mettre en oeuvre ce qu'il préconisait en tant que parti?

M. Johnson: Oui, ils ont certainement l'obligation de rendre compte. Peut-être que nos craintes sont injustifiées, mais je crois qu'elles ne sont pas sans fondement. Avant l'adoption de la Loi canadienne sur la santé, nous vivions dans un contexte où il y avait beaucoup de pressions financières et fiscales, à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Nous avons par exemple constaté à cette époque un recours accru à la surfacturation et à la possibilité d'imposer des tickets modérateurs, de même qu'à l'adoption progressive de ces mesures par les gouvernements provinciaux, y compris le nôtre.

.1750

Peut-être l'ignorez-vous, mais avant l'adoption de la Loi canadienne sur la santé, les médecins de la Nouvelle-Écosse étaient ceux qui, après les médecins de l'Alberta, surfacturaient le plus au pays.

Je ne dis pas que les gouvernements ne sont pas sensibles aux pressions exercées par le public, mais si l'on ne dispose pas d'un fondement, ni d'un ensemble de normes, et qu'aucun processus n'est suivi afin de clarifier en quoi consistent ces normes et la façon dont elles seront mises en oeuvre, il sera beaucoup plus difficile pour le public de se faire véritablement entendre. C'est pourquoi la Loi canadienne sur la santé s'est avérée si cruciale; elle a mis fin au phénomène qui se produisait.

Je sais de quoi je parle parce que j'ai été appelé à examiner ce qui se passait dans notre province à cette époque. Nous avons peur, je pense de peut-être nous diriger rapidement dans cette même voie encore une fois.

Le vice-président (M. Campbell): Le fait que nous ayons dépassé le temps alloué illustre bien tout l'intérêt que votre présentation a suscité chez les membres du Comité. Nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous faire part de votre point de vue.

M. Johnson: Merci beaucoup de nous en avoir donné l'occasion; nous vous en savons gré.

Le vice-président (M. Campbell): Merci et je m'excuse de vous avoir retenus si longtemps.

Nous avons avec nous notre prochain témoin, Elaine Price, de la Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador. Je vous remercie de votre présence, madame Price. Vous pourriez peut-être vous présenter et commencer votre exposé.

Mme Elaine Price (présidente, Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador): La Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador est membre du Congrès du travail du Canada et elle représente 50 000 travailleurs à Terre-Neuve et au Labrador. Nos membres sont des travailleurs des secteurs public et privé qui font partie de syndicats provinciaux, nationaux et internationaux.

Au nom de la Fédération du travail, j'aimerais remercier le Comité permanent de nous donner l'occasion de comparaître devant lui pour exprimer notre point de vue au sujet du projet de loi C-76.

Pour commencer, j'aimerais remonter au mois de février dernier, quand la Chambre des communes a mis sur pied un comité permanent des ressources humaines chargé de tenir des consultations auprès des Canadiens et de formuler des recommandations sur la modernisation et la restructuration du régime de sécurité sociale du Canada. Le comité permanent a tenu des audiences dans tout le pays. Au cours des exposés présentés par les personnes qui ont eu la chance d'être autorisées à comparaître devant le comité, trois grands thèmes ou trois grandes préoccupations sont ressortis.

D'abord, le poids de plus en plus lourd que doit porter la famille canadienne et le nombre élevé d'enfants canadiens qui vivent dans la pauvreté, ce qui est inadmissible; deuxièmement, les difficultés auxquelles doivent faire face les jeunes Canadiens et la nécessité de leur procurer un soutien plus efficace, tout particulièrement pour les aider à faire la transition entre l'école et le marché du travail, et enfin les besoins des adultes en chômage ou sous-employés, tout particulièrement ceux qui sont victimes des grands bouleversements dans l'économie. Le rapport du comité permanent s'est concentré sur ces trois thèmes. À l'étude du document, on peut voir comment la majorité des Canadiens perçoivent nos programmes de sécurité sociale et le rôle que ces programmes jouent dans le maintien de notre identité nationale.

À partir de certains extraits que j'ai tirés du rapport, vous verrez que les Canadiens ont exprimé avec passion leur profond respect et leur sentiment d'appartenance à l'égard des programmes sociaux du Canada et ont précisé clairement au comité que des changements traduisant les valeurs canadiennes devaient être apportés.

.1755

Notre régime de sécurité sociale constitue une source de fierté indéniable pour les Canadiens. Il est perçu comme étant l'un des éléments à la base de la société affable et humaine que nous avons au Canada et constitue une caractéristique de notre nation.

Le comité permanent a poursuivi en disant que le réseau canadien d'avantages, de responsabilités et de droits sociaux, notre régime de sécurité sociale, faisait partie intégrante de la structure de notre pays et était essentiel à l'avenir de notre nation. La modernisation et la restructuration du régime de sécurité sociale ne se limitent pas seulement à des questions d'argent. Elles supposent aussi qu'il faut encourager la création d'emplois et améliorer l'accès à l'emploi, tenir compte des nouveaux besoins de la famille, de la collectivité, de l'économie et du lieu de travail, et renforcer la structure du Canada. Renouveler les programmes sociaux signifie qu'il faut travailler plus fort pour investir dans les ressources humaines en s'attaquant aux problèmes d'aide à l'enfance, en élargissant l'accès à l'enseignement supérieur et à l'éducation permanente, et en mettant en oeuvre des principes et des programmes de vie autonome pour les personnes atteintes de déficience.

Pourtant, le 27 février, Paul Martin a déposé un budget qui prévoyait des réductions considérables dans tout l'éventail des dépenses directes du gouvernement fédéral, touchant pratiquement tous les ministères fédéraux, atténuant grandement le rôle du fédéral dans le développement économique et régional et éliminant quelque 45 000 emplois dans la fonction publique fédérale.

Le 20 mars, le projet de loi C-76 a été présenté à la Chambre. S'il est adopté, le projet de loi C-76 modifiera le rôle du gouvernement fédéral dans le financement des programmes sociaux et dans l'application de normes nationales en remplaçant le Financement des programmes établis et les mécanismes du Régime d'assistance publique du Canada par le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, un projet de financement global qui débutera en 1996-1997.

La tentative du gouvernement antérieur pour mettre en oeuvre des changements semblables afin de décentraliser le fédéralisme a été rejetée en mars par le peuple canadien lors du référendum sur l'Accord de Charlottetown. Aujourd'hui, le gouvernement prend des mesures pour implanter cette nouvelle structure de financement dans le cadre du processus budgétaire, ne tenant fondamentalement aucun compte des désirs et des attentes des Canadiens et empêchant de fait beaucoup d'entre eux de participer au débat.

Ce gouvernement s'apprête à apporter des changements à la politique sociale par le biais du processus budgétaire en dépit du référendum de Charlottetown et de l'examen des programmes de sécurité sociale. Le rapport du comité permanent illustre bien ce que nous percevons comme étant le peu de valeur que le gouvernement accorde à l'apport et à la participation du public dans la formulation de la politique publique, et soulève, à notre avis, de graves questions au sujet de son engagement envers les principes démocratiques qui sont censés régir ce pays.

Le projet de loi C-76 restructure la façon dont le gouvernement fournit des services publics en mettant en vigueur des dispositions visant à réduire massivement les activités du gouvernement fédéral.

1. L'élimination et la privatisation de services publics fédéraux entraîneront la mise à pied de 45 000 employés fédéraux.

2. La directive sur le réaménagement des effectifs, qui a été négociée en 1991 et fait partie intégrante de la convention collective, est éliminée.

3. Le gel salarial imposé en 1991 est maintenu et la négociation collective est limitée aux avantages qui n'entraînent aucun coût.

Les principes qui sous-tendent la législation sur le travail au Canada, tels qu'ils sont exposés dans le Code canadien du travail, comprennent entre autres l'avancement du bien-être collectif par l'encouragement à la libre négociation collective, la reconnaissance de la liberté d'association et de la libre négociation collective comme étant à la base de bonnes relations industrielles qui permettent d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations de travail, et la reconnaissance que de bonnes relations de travail servent au mieux les intérêts de notre société en assurant à tous un juste partage du fruit des progrès réalisés.

.1800

C'est le Parlement du Canada qui a choisi ces termes afin d'énoncer l'objet de sa propre loi et de refléter les obligations internationales que le Canada a acceptées. Ce principe devrait s'appliquer à tous les travailleurs, quel que soit leur lieu de travail ou leur employeur. Pourtant, le gouvernement, en tant qu'employeur, continue de se servir de ses pouvoirs de législateur pour empiéter sur les droits à la négociation collective de ses employés et porter atteinte à la sécurité qu'offre une convention collective qui a été négociée de bonne foi par les deux parties.

C'est un abus du droit des employés même du gouvernement de négocier des salaires et des avantages, et c'est également une violation flagrante de la convention du BIT qui garantit aux travailleurs le droit à la libre négociation collective, et je crois que le Canada est précisément signataire de cette convention.

Le projet de loi C-76 transmet également un message dangereux aux autres employeurs du pays. Il leur montre que, de l'avis du gouvernement, une convention collective a peu de valeur. De notre point de vue, une convention collective est sacrée. Elle n'est pas remplaçable, et lorsque le gouvernement agit comme employeur, il est tenu de respecter la convention tout comme les syndicats et les entreprises dans d'autres circonstances.

La Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador blâme vivement le gouvernement pour cette action et recommande que ce Comité presse le gouvernement de négocier d'autres façons d'économiser avec les syndicats respectifs plutôt que de se fier uniquement au pouvoir qu'il exerce dans la législature pour imposer des changements.

Le projet de loi C-76 ne constitue pas seulement une attaque contre les travailleurs, mais également une attaque contre les services que ces travailleurs fournissent au peuple canadien. Ces mesures auront de graves répercussions sur les habitants de Terre-Neuve et du Labrador. Outre la perte de 1 200 emplois dans la fonction publique fédérale, qui privera une économie déjà perturbée de 38,4 millions de dollars de revenu disponible - et ce montant est calculé à partir d'un taux de base de 32 000$ par année, ce qui est quelque peu modeste - nous serons confrontés à une élimination ou à une réduction de nombreux services publics qui sont essentiels à la sécurité et au bien-être des gens.

Nos collectivités se battent actuellement pour venir à bout du bouleversement économique et social occasionné par la crise du poisson de fond. Il est tout à fait inadmissible que des programmes et des services gouvernementaux soient réduits et éliminés à un moment où on a besoin plus que jamais d'avoir accès à des programmes gouvernementaux et de recevoir un niveau de service élevé.

La mise en oeuvre du projet de loi C-76 apportera également des changements radicaux à la livraison, à la manutention et au transport du grain dans l'ouest du Canada. Les agriculteurs et les travailleurs des transports de l'ouest du Canada porteront le poids de ces changements. Cependant, les répercussions se feront sentir dans tout le pays. La Loi sur les subventions au transport des marchandises dans la Région Atlantique et les taux de transport des marchandises dans les provinces Maritimes seront aussi abrogés par l'effet du projet de loi C-76. Notre situation géographique fait en sorte qu'un grand nombre de biens de première nécessité dont nous avons pour survivre doivent être transportés dans l'île. L'élimination des subventions au transport accroîtra le coût de toutes les marchandises entrant dans la province, et rien n'y échappera. Cette mesure signifie essentiellement que nous paierons plus pour les aliments que nous mangeons, pour les vêtements que nous portons et même pour le grain que nos agriculteurs utilisent pour nourrir leur volaille.

Le plus grand sujet de préoccupation de la Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador est le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, qui doit débuter en 1996-1997, remplacera le Financement des programmes établis et le Régime d'assistance publique du Canada. Le TCSPS réduira de quelque 7 milliards de dollars sur les trois prochaines années les sommes actuellement transférées aux provinces au titre des soins de santé, de l'enseignement postsecondaire et des services sociaux. Ce faisant, il sonnera en fait le glas des normes et des programmes nationaux dans ces secteurs primordiaux.

.1805

Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux modifie fondamentalement le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la politique sociale. Ce financement global représente pour nous le genre de fédéralisme décentralisé que les Canadiens ont fermement rejeté dans l'Accord de Charlottetown. Il est aujourd'hui mis en oeuvre dans le cadre d'un exercice budgétaire qui empêchera de nombreux Canadiens de participer à cet important débat.

En vertu du régime actuel, le mécanisme de financement des programmes établis créé en 1977 prévoit le transfert de fonds aux provinces pour appuyer les soins de santé et l'enseignement postsecondaire. Comme les sommes transférées aux provinces ne sont pas liées à des dépenses précises de soins de santé et d'enseignement postsecondaire, le gouvernement a toute latitude pour dépenser l'argent à sa guise.

Cependant, le gouvernement fédéral peut retenir les sommes prévues par le FPE si une province enfreint l'un des cinq principes nationaux énoncés dans la Loi canadienne sur la santé. Ces dispositions font en sorte que tous les Canadiens ont accès à des soins de santé en fonction de leurs besoins, plutôt qu'en fonction de leur capacité de payer.

Le projet de loi C-76 renforce bel et bien les cinq principes en vigueur au titre des soins de santé et confère au gouvernement fédéral le pouvoir de retenir les sommes qui auraient autrement été transférées en vertu du TCSPS si les provinces enfreignent ces principes. Nous aimerions souligner qu'à notre avis, ce pouvoir d'exécution de la loi est absolument primordial, et qu'il ne faudrait jamais y renoncer.

Nous estimons toutefois que le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux menace notre régime national de soins de santé publique parce qu'il semble que la formule de financement fasse en sorte que les transferts pécuniaires du gouvernement fédéral soient éliminés au cours des 10 à 15 prochaines années, réduisant de ce fait la contribution fédérale à des points d'impôt. À mesure que les transferts pécuniaires diminueront, le gouvernement fédéral perdra le levier financier dont il a besoin pour appliquer les normes nationales qui sont énoncées dans la Loi canadienne sur la santé et qui font du régime de soins de santé un régime public et non un régime à but lucratif.

En outre, il n'existe aucun critère que les provinces doivent respecter au chapitre de l'enseignement postsecondaire. On risque fort de voir des provinces sans le sou comme celle d'où je viens réduire les dépenses dans d'autres domaines afin de préserver les principes liés aux soins de santé. Cela se produit déjà à Terre-Neuve et au Labrador. Le dernier budget provincial a réduit les sommes consacrées aux établissements postsecondaires à des niveaux inférieurs à ceux de 1994-1995.

Même si l'on compte plus de 100 000 adultes à Terre-Neuve et au Labrador qui ne détiennent pas de diplôme d'études secondaires, les collèges communautaires ont annoncé des changements radicaux dans leur programme de formation de base. On compte éliminer l'an prochain la formation de base destinée aux adultes du réseau des collèges communautaires.

Les programmes de formation et d'apprentissage offerts dans les collèges communautaires sont également réduits de 30 p. 100 et des campus en milieu rural fonctionnent sous la menace d'une fermeture. Ces changements se produisent dans un contexte où le taux de chômage en mars atteignait 20 p. 100, au moment même où des milliers de pêcheurs déplacés tentent d'être admis à des programmes offerts par des collèges communautaires afin d'améliorer leur scolarité et leurs compétences.

En outre, l'enseignement postsecondaire risque, avec le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, de redevenir l'apanage de l'élite. Dans des provinces comme Terre-Neuve, les établissements seront contraints de hausser leurs frais de scolarité, plaçant l'enseignement postsecondaire hors de la portée des enfants provenant de familles à faible revenu, particulièrement ceux qui habitent les régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador.

La réduction des fonds octroyés par le gouvernement fédéral aura aussi pour effet de faciliter la mainmise sur les programmes de formation et de recyclage, qui étaient auparavant offerts par des établissements publics modernes bien aménagés et dotés d'un personnel professionnel hautement qualifié, par des exploitants privés sans scrupules qui veulent s'enrichir facilement sans accorder véritablement d'importance à leurs étudiants ou à la prestation d'un programme de formation de grande qualité. Il existe à Terre-Neuve de nombreuses histoires d'horreur associées à cette pratique. L'enquête en cours sur l'école de formation administrée par la députée de St. John's Ouest en est un excellent exemple.

.1810

M. Peterson: Y a-t-il des faits que vous aimeriez nous rapporter?

Mme Price: Je ne vais pas parler d'une enquête qui est en cours, mais tous savent qu'on procède actuellement à Terre-Neuve à une enquête sur une école de formation qui a fait faillite et qui était administrée par cette personne.

M. Discepola: Était-elle députée?

Mme Price: Elle ne l'était pas à l'époque, mais maintenant elle l'est.

Le vice-président (M. Campbell): Je crois que vous devriez poursuivre, et veuillez vous en tenir à votre présentation.

Mme Price: C'est ce que je fais. Merci.

M. Peterson: Ce genre d'insinuation et de calomnie ne m'émeut pas beaucoup. À mon avis, monsieur le président, cela enlève beaucoup de valeur aux arguments, peu importe l'allégeance politique de cette personne.

Mme Price: Je vais poursuivre la présentation, mais nous donnions un exemple d'un fait bien connu à Terre-Neuve et de ce qui se produit actuellement à Terre-Neuve, et si le Comité décidait de se rendre à Terre-Neuve, je suis sûre que cet exemple serait mentionné encore et encore.

Le vice-président (M. Campbell): Je vous recommande de poursuivre votre présentation, s'il vous plaît.

Mme Price: Pour ces raisons, la Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador s'inquiète grandement de l'avenir dans l'enseignement public postsecondaire à Terre-Neuve dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Les services sociaux sont une autre grande source d'inquiétude. Actuellement, le RAPC permet au gouvernement fédéral d'aider les provinces à fournir de l'aide sociale et des services sociaux tels que des soins à l'enfance, des services aux personnes atteintes de déficience et des programmes de formation aux personnes défavorisées. Pour recevoir les fonds prévus au RAPC, les provinces doivent remplir les conditions établies par le gouvernement fédéral et l'utilisation qu'elles feront de ces fonds doit au préalable être autorisée.

Afin d'être admissibles aux fonds prévus par le RAPC au titre de l'aide sociale, les services d'aide sociale doivent être dispensés par un organisme provincial ou municipal, ou par un organisme non gouvernemental à but non lucratif, et financé à même les deniers publics. En outre, les services doivent entrer dans la définition que donne le RAPC des services d'aide sociale et doivent être dispensés à des personnes nécessiteuses ainsi qu'à des personnes qui le deviendraient probablement si on ne leur venait pas en aide. Selon nous, ces critères et conditions établis pour la prestation des services sociaux sont fondamentaux.

En vertu du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, les fonds destinés à l'aide sociale seront transférés en bloc. Les provinces n'auront plus à y aller de leurs deniers pour recevoir des fonds fédéraux. La seule condition à satisfaire relativement aux services sociaux est que la période de résidence ne peut plus déterminer l'admissibilité à l'aide sociale. Toutes les autres conditions dont le RAPC était assorti ont été éliminées.

En 1995-1996, Terre-Neuve a droit à un transfert en espèces de 395,699 millions de dollars en vertu des arrangements en vigueur au chapitre des programmes sociaux. Des projections révèlent qu'en 1996-1997, cette somme sera réduite de 72,583 millions de dollars. En 1997-1998, elle sera de nouveau réduite de 53,589 millions de dollars. D'ici 1997-1998, le transfert en espèces du gouvernement fédéral à Terre-Neuve au chapitre des programmes sociaux diminuera de 126 millions de dollars.

En raison de la crise économique, sociale et culturelle avec laquelle Terre-Neuve est aux prises, cette réduction des paiements de transfert fédéraux au titre des programmes sociaux aura des conséquences graves. Selon le Profil de la pauvreté de 1993 publié ce printemps par le Conseil national du bien-être, 100 000 Terre-Neuviens vivent dans la pauvreté. Presque 21 p. 100 de notre population âgée de moins de 18 ans, soit 32 000 enfants, vivent sous le seuil de la pauvreté. L'aide sociale est le filet de sécurité de dernier recours. Au-delà de ce filet, c'est l'indigence et le pavé.

Étant donné la crise des pêches, le chômage persistant et les récentes modifications apportées aux programmes d'assurance-chômage et d'indemnisation des travailleurs, le nombre de familles qui ont besoin d'aide sociale à Terre-Neuve et au Labrador continue d'augmenter.

.1815

Les restrictions fédérales prévues aux ententes de transfert en vigueur ont donné lieu à un manque de 15 millions de dollars dans le financement de l'aide sociale pour l'année en cours. La province se propose de compenser ce manque par l'élimination de ce qu'elle qualifie d'allocations non essentielles, qui engloberont des éléments tels que le transport assuré pour recevoir des soins médicaux, l'aide au titre des médicaments d'ordonnance et le paiement de factures de chauffage en retard.

Nous nous sommes demandé de quel niveau d'aide sociale profiteront les habitants de Terre-Neuve et du Labrador l'année prochaine lorsque les fonds provenant du gouvernement fédéral seront réduits de 72 millions de dollars. Qu'arrivera-t-il à nos pauvres, nos jeunes, nos chômeurs, nos chefs de famille monoparentales et nos personnes handicapées?

Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux élimine la norme nationale voulant que l'aide soit fournie sur la base du seul besoin. La Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador craint énormément que cette élimination ouvre la voie à une redistribution massive du revenu, qui fera passer l'argent des pauvres aux démunis en vertu d'un plan tiré par les cheveux comme le programme de supplément du revenu proposé par le gouvernement Wells l'année dernière.

L'absence de normes nationales au chapitre de l'aide sociale entraînera également la création de programmes de prestations fondés sur un examen du besoin, destinés aux plus pauvres d'entre les pauvres, et de programmes de travail obligatoires pour les autres personnes nécessiteuses. Les gens seront contraints d'accepter des emplois faiblement rémunérés et n'offrant aucun avantage, ce qui fera baisser encore davantage les salaires des gens peu élevés. Au lieu de créer des emplois, le programme de travail obligatoire déplacera encore plus de travailleurs de leur emploi actuel, accélérant ainsi la croissance d'une économie de gagne-petit dans notre province.

Le coût humain du projet de loi C-76 sera terrible pour les Terre-Neuviens. Il aura pour conséquence une souffrance humaine et une pauvreté accrues, et pour effet net des privations, de la douleur et des soucis inutiles pour la majorité de notre population.

Au cours de la dernière élection, le gouvernement actuel a fait campagne en s'engageant à travailler à l'atteinte d'une plus grande égalité des conditions sociales parmi les Canadiens. La meilleure protection sociale contre le chômage et la pauvreté réside dans le travail. Toutefois, ce que nous obtenons, ce ne sont pas des emplois, mais un chômage général. On fait souffrir encore plus les gens qui sont déjà marginalisés par les politiques économiques et sociales du gouvernement. Il semble que l'équité, l'égalité et une meilleure répartition du revenu et des richesses ont été mises de côté.

Ce qui est encore plus troublant, c'est que nous croyons qu'il y a des solutions de rechange et, à notre avis, le Congrès du travail du Canada a présenté, en collaboration avec Choix et le Centre canadien de recherche en politiques de rechange, un budget de rechange qui aurait pu aider le gouvernement à adopter une approche différente. Dans son rapport, le comité permanent a affirmé que, dans nos efforts pour régler nos problèmes financiers, nous ne devons pas remplacer la dette financière nationale par une dette sociale nationale. Les mesures visant à réduire la dette et à restructurer les mécanismes et les programmes gouvernementaux ne peuvent être prises sur le dos des particuliers moins en mesure de porter le poids social du changement. En fait, l'un des principaux dividendes qu'on retirera de la réduction de la dette et du déficit sera une capacité accrue d'aider des particuliers à jouer un rôle actif au sein de la nouvelle économie mondiale. La mise en pratique de ce principe écarte l'utilisation de politiques de destruction et de thérapies de choc économiques, dont le coût social deviendra rapidement et douloureusement évident.

Je crois qu'il est temps que le gouvernement accorde un peu d'attention à ce que les Canadiens ont à dire et à ce qui figure au rapport du Comité permanent sur le développement des ressources humaines. Comme je l'ai dit plus tôt, ce rapport, qui est intitulé Équité, sécurité et perspectives d'avenir, fait écho à la fierté, à la passion et au sentiment d'appartenance que les Canadiens de tout le pays ressentent à l'égard de nos programmes. Il reflète également le désir et l'espoir des Canadiens de prendre part au processus de réforme sociale.

Nous estimons que le projet de loi C-76 restructurera en profondeur le Canada et amènera le gouvernement à renoncer à assurer la sécurité sociale et économique des Canadiens. Il aura une incidence marquée sur la vie des Terre-Neuviens.

.1820

En plus de se battre pour s'ajuster au moratoire imposé sur le poisson de fond, qui a provoqué, en un seul coup, la plus grande mise en chômage dans toute l'histoire canadienne, les gens seront contraints de faire face à l'élimination et à la réduction de services essentiels.

Ce que cela signifie essentiellement, c'est que plus de Terre-Neuviens seront condamnés à vivre dans la pauvreté et l'indigence. Leurs enfants iront à l'école l'estomac vide, et les demandes visant l'établissement de programmes de repas dans les écoles, qui sont réalisés sur un base bénévole et non grâce aux deniers publics, arrivent de tous les coins de la province. Leurs jeunes n'auront pas accès à l'enseignement postsecondaire. Leurs amis et leurs parents des collectivités rurales n'auront pas accès à des soins médicaux. S'ils habitent loin d'un établissement de santé, les coûts les rendent parfois incapables de se prévaloir du service. Les familles seront privées de services de garde d'enfants. Plus de gens seront mis à pied et les personnes âgées devront se débrouiller seules. L'imposition d'une telle sentence est cruelle et inhumaine.

À notre avis, le gouvernement devrait reconsidérer la mise en application du projet de loi C-76. Nous estimons que ces mesures fédérales unilatérales sont tout à fait inadmissibles et qu'il est antidémocratique et inconvenant d'adopter si rapidement une législation si complexe et si importante.

Nous prions le gouvernement de prêter attention aux positions exprimées par les Canadiens au cours de la révision de la sécurité sociale. Nous pressons le gouvernement, par l'entremise de ce Comité, d'amorcer un vaste processus de consultations avec le peuple canadien avant la mise en application de cette loi.

Le président: Monsieur Dubé.

[Français]

M. Dubé: Je suis membre du Comité permanent du développement des ressources humaines, et c'est à titre ponctuel que j'assiste aujourd'hui au Comité permanent des finances.

Je me rends compte que, dans votre exposé, vous avez bien suivi le déroulement des travaux du Comité permanent du développement des ressources humaines, surtout dans le cadre de sa tournée. Ayant été à Terre-Neuve et ayant entendu des groupes et des individus, je peux vous dire que ça correspond à ce qu'on y a entendu.

Il y a un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec vous, et c'est la conclusion que vous tirez de l'Accord de Charlottetown. Vous oubliez de mentionner que le Québec a également voté contre l'Accord de Charlottetown, mais pour des raisons inverses. C'est-à-dire que la population du Québec trouvait majoritairement que ce n'était pas assez décentralisé, tandis que vous, vous disiez que c'était trop décentralisé. Nonobstant ce fait, je suis d'accord sur vos conclusions concernant le délai.

Il y a une question que j'aimerais vous poser. Vous êtes l'une des provinces pauvres au Canada. Vous avez aussi parlé des mesures relativement à la fin des subsides pour le transport. Même si j'ai suivi cela de près, je m'interroge sur votre opposition au fait que dans le futur, les fonds seront alloués en fonction des besoins, qui risquent d'être plus élevés, plus prononcés à Terre-Neuve qu'ailleurs, plutôt que selon le mode actuel. Vous dites qu'à Terre-Neuve, il y a plus de pauvres, que les enfants sont pauvres.

Je ne dis pas que je suis d'accord avec cette mesure-là, mais si à l'avenir les programmes et les fonds fédéraux étaient alloués en fonction des besoins, on pourrait s'attendre logiquement à une augmentation des fonds pour Terre-Neuve. J'essaie de comprendre votre opposition.

[Traduction]

Mme Price: Ce que nous voulons dire, c'est que le gouvernement provincial a, en vertu des ententes de financement existantes, de la difficulté à l'heure actuelle à répondre aux besoins des habitants de Terre-Neuve. En ce qui concerne la pauvreté - je me suis penchée sur les statistiques nationales pour préparer la présentation - elle est en fait plus grande au Québec qu'à Terre-Neuve. Terre-Neuve n'est pas la seule province pauvre.

.1825

Ce qui nous préoccupe, c'est la modification de la structure de financement. Si le gouvernement ne peut aujourd'hui répondre aux besoins, qu'arrivera-t-il alors aux gens de notre province l'année prochaine, puis l'année qui suivra? Nous parlons maintenant des paiements de péréquation. Il doit y avoir une façon équitable de répartir le revenu au Canada et tous les Canadiens devraient voir leurs besoins comblés.

[Français]

M. Dubé: Vous parlez des normes. Vous tenez à ce qu'il y ait des normes et à ce qu'on maintienne un certain niveau de service provenant de l'aide fédérale. Là-dessus, on pourrait discuter longtemps et je pense qu'on pourrait avoir des perceptions différentes. J'ai peut-être une opinion du fait que je viens du Québec.

L'autre point très important sur lequel vous insistez, c'est que vous vous prononcez contre les coupures de l'aide fédérale versée aux provinces parce que cela correspond à une diminution de services. Je pense que c'est surtout sur ce point que vous devriez appuyer.

[Traduction]

Mme Price: Peut-être, mais en vertu des ententes de financement en vigueur, pour être admissible au RAPC, la province doit remplir certains critères concernant la prestation d'aide sociale. En vertu du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, la seule condition à remplir, c'est de ne pas fonder l'admissibilité sur le lieu de résidence. Outre les besoins auxquels il faut répondre, nous nous inquiétons également de l'élimination de ces normes, parce que cela signifie la suppression de normes nationales régissant les programmes sociaux. Nous pensons qu'il est primordial qu'elles soient maintenues.

[Français]

M. Dubé: J'aimerais souligner le fait que vous manifestez du courage en venant faire une présentation seule au nom de votre groupe de la province de Terre-Neuve. Nous vous en rendons hommage. Merci.

[Traduction]

Le président: En ma qualité de président de ce Comité, j'ai beaucoup de difficulté à accepter cette présentation. Nous ne voulons pas que ce Comité devienne un endroit où les gens pourront venir profiter de l'immunité parlementaire pour proférer des paroles diffamatoires à l'encontre de quiconque, que ce soit des députés ou des citoyens canadiens. Cela porte trop gravement atteinte aux graves questions qui nous occupent ici, les questions fort importantes que soulève notre avenir économique.

Je crois que ce qui nous été exposé au bas de la page 10 et au début de la page 11 frise la calomnie. Cela me pose de très grands problèmes.

La séance est levée.

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