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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 8 juin 1995

.1520

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Je vous souhaite la bienvenue à cette séance mixte spéciale du Comité permanent des finances et du comité des affaires et du commerce international de la Chambre des communes. Nos deux comités se penchent avec grand intérêt sur les institutions financières internationales.

Nous sommes ravis de souhaiter la bienvenue aujourd'hui à M. Jacques de Larosière,

[Français]

président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. C'est pour moi un très grand plaisir de recevoir ici mon ancien patron quand je travaillais comme avocat au Fonds monétaire international.

[Traduction]

Nous souhaitons également la bienvenue à M. John Coleman,

[Français]

directeur pour le Canada et le Maroc à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

[Traduction]

Bienvenue, monsieur Coleman. Enchanté de vous revoir.

Monsieur Leblanc et moi étions membres de la délégation parlementaire Canada-Europe qui vous a rencontré récemment à Londres dans le cadre de notre étude sur la Banque européenne. Cela nous fait plaisir de vous souhaiter la bienvenue.

Nous invitons M. de Larosière à nous parler d'abord du contexte actuel de la banque et des défis particuliers à relever, et ensuite nous passerons aux questions.

Mais avant, je vais donner la parole à mon collègue M. Reg Alcock qui préside le Comité des affaires étrangères et du commerce international.

Le coprésident suppléant (M. Alcock): Merci, Barry. Au Canada, nous avons l'habitude de toujours nous en remettre à la volonté du Comité des finances, peu importe le sujet, d'ailleurs.

Permettez-moi de vous souhaiter aussi la bienvenue. Nous étudions de près depuis six mois la réforme des institutions financières internationales, un sujet que vous connaissez très bien. On vous a remis, je crois, des exemplaires de notre rapport sur ce sujet, et je sais que les membres du Comité des affaires étrangères voudraient bien entendre vos commentaires sur l'orientation possible de cette réforme.

Étant donné notre intérêt pour le sujet, je vous donne la parole sans plus tarder.

[Français]

M. Jacques de Larosière (président, Banque européenne pour la reconstruction et le développement): Monsieur le président, messieurs, mesdames les parlementaires, je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui.

C'est un très grand privilège pour moi de m'adresser à vous. Je suis, bien entendu, à votre disposition pour répondre à toutes les questions que les membres du Comité auraient à me poser, avec l'assistance de mon ami, John Coleman, qui est l'administrateur canadien auprès de la Banque.

Quelques mots d'introduction pour préparer les questions qui vont venir. D'abord, je suis très impressionné par l'intérêt que les membres de vos comités ont apporté à la question des institutions financières internationales.

C'est un effort très particulier. À ma connaissance, il n'y a pas d'autres parlements qui aient poussé l'analyse du fonctionnement et, si possible, de la réforme des institutions financières internationales. Je voulais dire en introduction que je suis très impressionné par la qualité de la réflexion qui a été poursuivie. Je suis tout à fait heureux et désireux de participer à une discussion sur la base de ces documents.

En ce qui concerne la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, je vais vous dire très rapidement en quelques minutes où nous en sommes. C'est une banque qui a été créée, il y a quatre ans, par la communauté financière internationale pour aider la transition économique des pays de l'Europe centrale, les pays de l'Europe de l'Est et les anciens pays de l'Union soviétique, à réussir la transformation qui les mènera d'une économie centralisée et planifiée vers une économie de marché, tout cela dans le contexte dynamique d'une démocratie pluraliste croissante dans ces pays.

C'est donc un mandat qui a, au fond, une double dimension, économique et financière. Il y a donc une dimension économique, aider à la transition vers l'économie de marché, et une dimension politique, aider à l'instauration de procédures et d'institutions démocratiques. Nous avons un capital qui a été souscrit par l'ensemble des pays membres, dont le Canada, et nous sommes très heureux et très fiers d'avoir le Canada parmi nos pays fondateurs.

.1525

Le capital est de 10 milliards d'ECU, ce qui représente à peu près, au taux de change actuel,14 milliards de dollars américains, et nous investissons ces sommes dans les pays qui sont dans notre zone d'opération. Il y a maintenant 25 pays, qui vont de la République tchèque jusqu'au Kazakhstan à travers toute cette zone des pays de l'Europe orientale, jusqu'aux pays de l'Asie centrale de l'ancienne Union soviétique.

Nous avons des modalités d'intervention qui sont très variées. Nous pouvons faire des prêts, mais nous pouvons aussi vendre des participations en capital, en equity, dans des entreprises privées; c'est-à-dire que nous faisons un petit peu ce que fait la Banque mondiale quand elle octroie des prêts à des institutions publiques, mais aussi ce que fait la SFI, la Société financière internationale, quand elle prête ou prend des participations dans des entreprises privées. Nous le faisons dans une seule organisation et c'est évidemment plus commode.

Nous avons, jusqu'à aujourd'hui, approuvé au niveau du conseil d'administration, pour un peu plus de 7 milliards de dollars américains, deux projets avec les 14 milliards qui sont à notre disposition; c'est-à-dire que nous avons déjà en quelque sorte engagé la moitié de notre faculté d'engagement.

Nous considérons que notre rôle n'est pas seulement de prêter ou de prendre des participations en capital, mais qu'il est aussi d'attirer d'autres partenaires, d'autres investisseurs dans les projets communs, des projets qui sont cofinancés avec d'autres.

En effet, un capital de 10 milliards d'ECU ou de 14 milliards de dollars ne suffit pas pour vraiment assurer un rôle décisif dans la transition de ces économies qui sont très importantes. Il y a 400 millions d'habitants, je dirais, du centre de l'Europe jusqu'à la partie orientale de notre carte.

Si nous voulons être efficaces, nous devons participer à des transactions communes avec d'autres partenaires. Les 7 milliards de dollars d'opérations que nous avons engagés avec nos finances ont, en fait, donné lieu à 23 milliards d'opérations au total. Cela veut dire que, pour un dollar ou un ECU que nous mettons sur la table dans un projet, viennent s'associer deux autres dollars ou deux autres ECU qui font finalement trois. Donc, nous avons un facteur multiplicatif qui est de trois. Il est très important de comprendre ça pour saisir le rôle catalytique de la Banque.

Nous avons réorganisé la Banque qui avait eu un mauvais départ, comme vous le savez. On lui avait reproché de s'occuper de dépenses qualifiées de somptuaires pour elle-même au lieu de mettre l'accent sur les pays dont elle était responsable.

Il y avait, à mon avis, quelque chose d'un peu excessif dans ces critiques, mais il y avait aussi des éléments véridiques. Nous avons corrigé cette situation en réduisant les frais généraux, en réduisant la taille de la Banque, en nous imposant des normes frugales, ce que j'estime tout à fait normal dans une institution qui travaille avec l'argent du contribuable.

Je peux vous dire que je voyage en classe économique même quand je fais des vols transatlantiques parce que j'estime que quand on travaille avec l'argent du contribuable, il faut être le plus frugal et le plus économe possible.

Nous avons réduit d'à peu près 10 p. 100 les frais généraux de l'institution lorsque j'y suis arrivé et nous avons maintenant des budgets qui ne croissent plus par rapport à ceux des années précédentes; c'est-à-dire que nous avons des budgets dont la croissance est zéro depuis maintenant deux ans.

.1530

Malgré cette réduction, puis cette stabilisation de nos dépenses, nous avons accru nos opérations l'année dernière de plus de 70 p. 100, ce qui veut dire que nous avons fait des gains de productivité considérables puisqu'avec moins de personnes, nous avons fait beaucoup plus d'opérations.

J'estime que nous avons encore des gains de productivité à réaliser et des frais structurels, ce qu'on appelle en anglais des overheads, à réduire.

Je voulais dire ici, devant les membres du Parlement canadien, qui sont particulièrement intéressés à savoir comment on utilise l'argent que vous autorisez, que la réduction des coûts est pour moi une dimension essentielle de mon travail.

Pour conclure, avant que vous ne me posiez des questions, je dirai que nous avons développé des axes stratégiques très simples, au moment où je suis arrivé à la Banque, et qui peuvent peut-être vous intéresser. Je vais donner les grandes têtes de chapitre de ce que je crois être le mandat essentiel de notre banque.

Notre banque, à mon sens, doit se fixer sur quatre priorités fondamentales. La première, c'est de développer le secteur privé. Je vous ai dit que nous pouvions faire des opérations avec le secteur public, mais aussi avec le secteur privé. Si nous voulons vraiment jouer notre rôle dans la transition, c'est-à-dire dans le passage d'une économie largement dans la main de l'État à une économie de type de marché, nous devons orienter l'essentiel de notre rôle vers le développement d'entreprises privées.

Par conséquent, nous avons dans nos statuts une règle qui veut que nous fassions au moins 60 p. 100 de notre chiffre d'affaires avec le secteur privé, et donc pas plus de 40 p. 100 avec le secteur de l'État. J'ai le plaisir de vous dire que nous avons fait 73 p. 100 du chiffre d'affaires de l'année dernière avec le secteur privé. Donc, nous dépassons en quelque sorte la norme de 60 p. 100 que nos pays membres nous ont fixée. La première chose, donc, c'est l'importance du secteur privé.

La deuxième chose est que, dans le domaine du secteur privé, nous souhaitons développer ce que nous appelons le secteur privé local. Je souligne le mot «local». En effet, dans une économie qui commence à naître à l'économie de marché, vous avez deux manières d'opérer. Vous pouvez faire de grands investissements, des joint ventures avec de grandes firmes capitalistes pour développer les ressources naturelles ou pour reprendre en main des industries de transformation. C'est une chose que nous faisons et que nous considérons essentielle. Mais, si nous ne faisons que ça, nous risquons d'oublier que l'essentiel d'une économie de type de marché est fondé sur des entreprises locales, en général de taille moyenne, voire de petite taille, et que si nous nous bornons à faire de grandes opérations de joint venture avec des firmes occidentales, nous risquons de perdre notre influence ou de ne pas avoir d'influence sur le tissu économique fondamental qui crée les emplois et crée l'essence même d'une économie de marché. Donc, nous souhaitons pénétrer dans les entreprises locales, moyennes et petites. C'est le deuxième axe.

Le troisième axe, c'est la façon de le faire. Une entreprise moyenne ou petite, disons ukrainienne, polonaise ou russe, ne circule pas dans les rues de la City de Londres où le siège de la BERD est placé. Donc, nous n'avons aucune espèce de chance d'atteindre ces entreprises-là si nous nous bornons à faire des voeux pieux pour atteindre l'économie locale. C'est là que nous avons été amenés à développer ce que nous appelons notre présence locale. C'est notre quatrième axe stratégique.

Qu'est-ce que ça veut dire, la présence locale? Ça veut dire que, d'abord, il faut avoir des gens sur place. Il faut avoir des gens sur place qui soient capables de comprendre les économies locales, de discuter avec des chefs d'entreprise du pays, d'apporter des nouvelles idées et de créer de nouveaux partenariats.

.1535

Donc, nous avons mis systématiquement l'accent, depuis deux ans, sur le développement de nos bureaux locaux. Nous avions 20 personnes seulement dans les bureaux locaux quand j'ai commencé à assumer mes fonctions, il y a 18 mois. Nous en avons maintenant plus de 80 et nous faisons ça d'une manière systématique.

Il faut non seulement avoir des bureaux locaux, mais aussi avoir la possibilité de travailler avec les institutions financières locales, parce que les clients des banques sont en fait les petites et les moyennes entreprises de ces pays. C'est donc en pénétrant dans le système bancaire de ces pays que nous pouvons avoir une chance d'atteindre le secteur des petites et moyennes entreprises. Donc, ce quatrième axe de la présence locale nous a amenés à développer avec les banques locales tout un système de partenariat.

Nous participons à des prises de participation en capital dans des banques locales de façon à pouvoir travailler avec elles. Nous ouvrons des lignes de crédit à des banques locales, lignes de crédit qui sont ensuite reprêtées à des emprunteurs locaux. Nous faisons des prêts à des banques locales. Nous ouvrons en Russie 11 fonds régionaux de capital-rique; c'est-à-dire que nous créons dans des provinces russes assez loin des capitales des fonds qui prennent des participations dans des entreprises petites et moyennes. Autrement dit, nous régionalisons notre action à travers les institutions financières locales.

Le cinquième axe stratégique est que nous faisons ça dans toute la zone. Nous ne voulons pas seulement, comme cela avait été la tendance au début de la BERD, nous concentrer sur les pays qui ont le mieux réussi, les pays les plus avancés dans leur transformation, c'est-à-dire les pays du type République tchèque, Pologne ou Hongrie. Nous voulons aussi aller vers les pays de l'Est sur notre carte, c'est-à-dire la Russie, l'Ukraine et tous les pays de l'ancienne Union soviétique qui vont jusqu'au Kazakhstan, au Turkménistan, etc., en passant par les pays du Caucase.

Donc, nous sommes maintenant systématiquement orientés vers l'ensemble de nos pays. Nous avons maintenant des opérations actives dans 24 des 35 États qui sont dans notre zone d'intervention. Je pense pouvoir vous dire l'année prochaine que nous serons présents dans 25 États.

Le Canada est pour nous un partenaire absolument essentiel. Je ne dis pas ça parce que j'ai l'honneur d'être dans les murs du Parlement canadien. Je dis ça parce que les faits sont là pour le prouver.

Vous avez une participation dans notre capital qui est de 3,44 p. 100, mais vous avez un rôle dans la BERD qui est beaucoup plus important que celui de votre participation en capital. Vous avez en effet développé avec la Banque des relations multiples. Il y a des projets qui sont mis sur pied par des entreprises canadiennes, qui ont fait l'objet de financement par la Banque et qui sont des projets extrêmement intéressants. M. Coleman pourra vous nommer pendant la période de questions et réponses certains projets particuliers qui intéressent des firmes canadiennes dans le domaine des ressources naturelles, du prétrole, du papier, des minerais.

Nous avons un grand projet en matière d'extraction d'or au Kirghizistan, qui va faire l'objet d'une syndication internationale et qui intéresse une firme canadienne. Nous avons des projets en matière d'infrastructures aéroportuaires. Tout ça, ce sont des opérations que nous sommes en train de développer avec des firmes canadiennes. Je peux vous donner un chiffre qui n'est pas dans le domaine courant. Nous avons présentement dans ce que nous appelons notre pipeline, c'est-à-dire dans l'ensemble des projets qui sont en train de mûrir, d'être négociés, d'évoluer au sein de la Banque, pour à peu près 1 milliard de dollars d'opérations avec des firmes canadiennes.

.1540

La participation canadienne dans ce que j'appelle la mobilisation, la catalyse qui fait que 1$ de la BERD crée 3$ de projets, est importante. Les firmes canadiennes sont maintenant de plus en plus nombreuses et actives dans ce domaine. C'est naturel, étant donné la force de la technique canadienne, étant donné l'importance de l'économie canadienne dans tout le domaine des ressources naturelles, qui est un des domaines privilégiés d'une grande partie de nos pays d'opération, étant donné aussi les liens culturels historiques et ethniques qui relient la population canadienne aux pays de notre zone d'opération. Je ne veux mentionner à ce titre que l'Ukraine, qui constitue un pays extrêmement important pour la BERD et pour le Canada, puisque le Canada compte à peu près un million de personnes d'origine ukrainienne dans sa population. Donc, nous développons avec le Canada une relation tout à fait privilégiée et je dois dire que c'est un plaisir que de pouvoir travailler avec le Canada. Nous avons, par exemple, un projet qui est en train de mûrir, qui fait partie de ce pipeline et qui consiste à ouvrir, en Ukraine, un fonds de capital-risque de la BERD qui investira dans des petites et moyennes entreprises ukrainiennes locales, privées, à partir de fonds canadiens, avec une assistance technique de dix millions de dollars canadiens qui sera fournie par les autorités canadiennes. Il faut souvent ajouter de l'assistance technique dans ces projets qui consistent à capitaliser des entreprises naissantes, parce qu'il ne suffit pas de mettre de l'argent à la disposition de ces entreprises. Il faut encore que celles-ci soient bien gérées, et c'est là qu'on a besoin souvent d'un effort d'assistance technique. Nous avons donc avec le Canada ces liens que nous essayons de développer. Il y a d'ailleurs beaucoup de Canadiens au sein de la BERD, dans nos bureaux de représentation locaux, et je me félicite beaucoup de cette collaboration.

Je suis maintenant à votre pleine disposition pour répondre à toute question que vous souhaiteriez poser. Je n'ai pas parlé du climat des affaires dans ces pays, qui est évidemment très différent selon leur degré de développement et leur situation politique et économique. Je suis à votre disposition pour répondre à toute question, y compris les questions plus structurelles relatives à la réforme des institutions financières internationales. Merci de m'avoir écouté.

[Traduction]

Le coprésident suppléant (M. Alcock): Un bon nombre de personnes désirent poser des questions. Avant de leur céder la parole, monsieur Coleman, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. John Coleman (directeur, Canada et Maroc, Banque européenne pour la reconstruction et le développement): Non, je préfère attendre les questions.

[Français]

M. Leblanc (Longueuil): Vous avez parlé, à la fin de votre exposé, de la réforme des institutions financières internationales. Nous, au Comité des affaires étrangères, nous en parlons depuis un certain temps, surtout en préparation de la réunion du G-7 qui aura lieu bientôt. Quand je suis allé à Londres, à votre Banque, en janvier dernier, nous en avons parlé un peu. On se demandait comment il se faisait qu'on avait créé une nouvelle banque au lieu d'un genre de succursale de la Banque mondiale, justement dans le but de diminuer les coûts d'administration, les dédoublements au niveau de la recherche, etc., enfin tout le processus, tout ce dont une banque a besoin pour fonctionner. On se demandait pourquoi on avait créé une nouvelle banque au lieu de donner un nouveau volet à la Banque mondiale, par exemple. C'est ma première question.

.1545

Deuxièmement, est-ce que le Canada aura une certaine garantie de retombées économiques de ses placements? Qu'est-ce qui peut nous assurer de retombées équitables pour le Canada dans le domaine de l'investissement?

M. de Larosière: Est-ce que je réponds cas par cas?

M. Leblanc: Oui, je vous en prie.

M. de Larosière: En réponse à la première question, on a créé cette banque parce qu'on a pensé que le problème de la transition d'une économie centralisée et planifiée vers une économie de marché était un problème différent de celui des pays en développement qu'a connu la Banque mondiale. Je crois qu'on a eu raison de le faire, bien que je me sois moi-même posé les mêmes questions quand j'ai vu qu'on créait cette banque.

Plus je pénètre dans le problème de la transition économique, plus je crois que c'est un travail très spécialisé. La transition, c'est tout à fait différent du financement des programmes de développement d'infrastructures dans des pays comme le Chili ou la Bolivie. C'est tout à fait différent, parce que vous avez à créer à la fois le cadre juridique et les mentalités qui vont conduire vers une économie entrepreneuriale et à faire du financement.

Bien sûr, on aurait toujours pu mettre cela dans une division séparée de la Banque mondiale, mais je crois que c'est une très bonne chose que d'avoir créé une institution spécialisée parce que le travail est extrêmement spécialisé. Je peux vous rassurer: nous n'avons pas de double emploi avec la Banque mondiale. Quand il y a un projet qui nous paraît devoir être mieux fait par la Banque mondiale que par nous, nous le laissons à la Banque mondiale. Je crois que M. Campbell peut vous dire que je suis suffisamment pénétré de la nature des institutions de Bretton Woods, dont j'ai fait partie pendant neuf ans, pour ne pas aller faire des incursions et de la concurrence dans ce genre de choses.

J'ai un principe très simple: on n'a pas assez d'argent et de temps pour se faire la concurrence. Si une autre institution financière est mieux placée, qu'elle le fasse. Si nous, nous sommes mieux placés, c'est à nous de le faire. Je n'ai pas eu, depuis les 18 ou 19 mois que je suis à la Banque, un conflit de compétence avec ces organisations.

Évidemment, quand vous créez une banque comme la nôtre, vous avez des frais généraux.

Le problème auquel je suis confronté, c'est d'arriver à avoir une banque qui est suffisamment productive pour que ses frais généraux ne pèsent pas exagérément sur la rémunération que nous demandons à nos emprunteurs. C'est mon problème. L'action que je mène depuis deux ans, c'est de réduire les frais généraux et d'augmenter notre productivité interne de telle manière que nous puissions être actifs dans ces pays sans coûter trop cher, tout en étant, bien entendu, équilibrés.

J'ai le plaisir de vous dire que tout n'est pas fait, qu'on a encore des efforts à faire, mais que depuis deux ans, non seulement on est équilibrés, mais on développe suffisamment d'argent pour faire des réserves en cas de mauvais risque, et il y aura un jour des risques qui nécessiteront d'être approvisionnés. On chasse le gaspillage par tous les moyens possibles. Mais il n'y a pas duplication. D'ailleurs, je suis maintenant absolument sûr que ç'aurait été une erreur de nous établir comme une division séparée de la Banque mondiale pour une raison qui est la suivante: quand vous avez une économie en transition, il faut que vous soyez capable d'avoir une conception dynamique de votre financement.

.1550

Qu'est-ce qui se passe? Très souvent, vous commencez avec une entreprise publique parce que, dans l'histoire de la transition, tout était public et on va vers le privé grâce au phénomène de la privatisation. Si vous avez un instrument du type «Banque mondiale», c'est-à-dire que vous ne pouvez prêter qu'à des institutions publiques - c'est comme cela que ça se passe à la Banque mondiale - et que vous avez une annexe ou une filiale qui peut faire des opérations avec le secteur privé, mais pas la même institution, vous ne pouvez pas réaliser ce dynamisme interne aux opérations qui est nécessaire.

Je prends un exemple. La BERD a contribué à la privatisation des télécommunications hongroises. On a commencé avec des télécommunications qui étaient entièrement publiques. C'était une entité d'État classique, du type de ce que fait la Banque mondiale. Qu'est-ce qu'on a fait? On a prêté à cette entité publique sur la base d'un projet qui devait mener au fur et à mesure des années qui passaient vers la privatisation, d'abord partielle puis plus importante, des télécommunications. Qu'est-ce qu'on a fait? On a mis à la disposition des télécommunications un prêt, mais un prêt subordonné et convertible en capital, en equity, lors de la privatisation. La beauté de ce projet, c'est qu'il nous a permis d'accompagner le processus de la transition, ce qu'une opération de la Banque mondiale ne peut faire. Donc, je pense qu'il y a une supériorité à avoir un instrument spécifique pour faire de la transition.

Quant à la participation canadienne, est-ce qu'il y a une garantie de retombées? Non, il n'y a pas de garantie juridique de retombées.

Ce que je vous dis, c'est qu'il se trouve, et les faits sont là pour le dire, que les retombées sont positives. Si je prends toutes les opérations de caractère privé qui constituent 70 p. 100 maintenant de notre chiffre d'affaires, si je prends ce qui a été fait et ce qui est en cours de pipeline, de négociations, le Canada se place entre 6, 7 ou 8 p. 100 de notre chiffre d'affaires avec une participation de 3,44 p. 100. Quand vous mettez 3,44 p. 100 et que vous avez 6, 7 ou 8 p. 100, vous avez un doublement au niveau des retombées de votre participation. Pour les contrats publics qui sont faits sur la base d'adjudication publique, le Canada a un peu plus que sa part en capital. Je ne peux donc pas vous donner de garantie.

[Traduction]

Le coprésident suppléant (M. Alcock): Excusez-moi, monsieur de Larosière. Je crois comprendre que vous devez assister à une autre réunion bientôt. Il nous reste une liste assez longue de députés et de sénateurs qui...

M. de Larosière: Il me reste une demi-heure.

Le coprésident suppléant (M. Alcock): D'accord. Il y aura au moins assez de questions, sinon plus, pour nous occuper pendant ce temps.

Keith, vous pouvez poser votre question.

M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci, monsieur de Larosière, d'être venu nous parler aujourd'hui.

J'aimerais savoir si les prêts que vous accordez sont assortis de conditions? Quels contrôles avez-vous pour vous assurer que les prêts sont utilisés à bon escient?

J'ai une autre question rapide. Est-ce que vous avez des opérations dans des régions qui ont déjà connu des conflits ou qui risquent d'en voir d'autres, comme Nagorno-Karabakh, ou est-ce que les banques évitent ce genre de région?

M. de Larosière: Oui, bien sûr, nous imposons des conditions dans le cadre de nos opérations. Ces conditions varient beaucoup.

Tout d'abord, il y a une condition primordiale selon laquelle nous ne participons au financement d'un projet que s'il est solide du point de vue économique et financier. C'est prévu dans nos articles. Il faut que nos opérations soient régies par des principes bancaires solides. Autrement dit, si un projet ne génère pas de recettes qui permettent le remboursement du prêt, nous n'y participons pas.

.1555

Lorsque nous finançons un projet nous nous assurons d'imposer des conditions propices à la nature et à la rentabilité du projet. Je pense par exemple aux conditions tarifaires, s'il s'agit d'une entité publique ou d'une entreprise de service public, ou aux conditions concernant l'exportation - la liberté d'exportation s'il s'agit d'un projet qui vise les exportations - ou aux conditions qui porteraient sur la gestion de l'entreprise. Il y a également une condition plus générale que nous imposons. Dans certains cas, nous allons demander au pays en question de mettre fin au monopole d'une entité publique avec laquelle nous travaillons, car nous jugeons qu'une telle situation est plus compatible avec nos objectifs de libre entreprise, etc.

Quels contrôles imposons-nous pour garantir le respect de ces conditions? Les contrôles que nous avons mis en place sont très efficaces. Nous ne payons rien avant que le projet ne commence à se réaliser. Je pense aux projets qui consistent à construire des usines et à offrir des services. Nous avons une règle que nous appliquons de façon systématique selon laquelle nous ne payons pas avant de vérifier que les briques et le ciment, les matériaux qu'on utilise pour réaliser le projet, ont été expédiés et reçus.

Donc, nous n'accordons pas de prêts à des entités vagues; nous finançons un projet réel que nous vérifions.

Nous nous abstenons de travailler dans des régions où les conflits font rage.

[Français]

M. Patry (Pierrefonds - Dollard): Monsieur de Larosière, bienvenue.

Pour faire suite aux commentaires de M. Martin, vous avez beaucoup parlé de bon sens et d'économie dans vos critères d'acceptation. J'ai deux questions à poser. Est-ce que la BERD insiste sur la démilitarisation et le respect des droits de la personne comme condition essentielle de ses prêts dans les pays où le potentiel de conflits internes est très grand? C'est ma première question.

M. de Larosière: Il est statutaire chez nous de vérifier que les pays auxquels nous prêtons font des progrès dans le domaine de la démocratie pluraliste, donc des droits de la personne. Pour vérifier cet aspect de notre conditionnalité, nous faisons la chose suivante. Nous avons des équipes de spécialistes en matière de droits de la personne et de conditions politiques. Ces spécialistes travaillent en liaison avec des organisations qui ont le même objectif, c'est-à-dire le Conseil de l'Europe, les Nations unies et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous comparons nos notes. Nous faisons des missions sur place.

Une fois par an, lorsque nous faisons l'examen de la stratégie de chaque pays au conseil d'administration, nous nous posons une question et nous posons cette même question à nos administrateurs qui sont la manifestation des pays membres. Nous posons la question: Est-ce qu'il y a eu un progrès vers la démocratie pluraliste ou est-ce qu'il y a eu, au contraire, des reculs? Est-ce que nous sommes dans une situation où nous devons tirer la sonnette d'alarme ou peut-être même arrêter nos prêts? Nous faisons cet examen systématiquement.

.1600

Jusqu'à présent, nous n'avons pas été amenés à arrêter notre politique de prêt relativement à des pays dont les performances en matière de droits de la personne ne sont pas à la hauteur de ce que nous souhaitons, mais nous avons fait toute une série de démarches très sérieuses qui, dans certains cas, ont provoqué la libération de personnes qui étaient emprisonnées pour des raisons politiques. Je ne fais pas beaucoup de publicité sur ces démarches parce que, plus on fait de publicité, plus les choses ont tendance à se cristalliser et moins on obtient de résultats.

M. Patry: J'aimerais connaître vos commentaires sur un point très précis concernant la façon dont votre banque gère son mandat. Il s'agit de questions environnementales dans les projets que vous financez. Je pense au parachèvement de la centrale nucléaire de Slovaquie, centrale qui fut construite à 90 p. 100 par les Soviétiques. Compte tenu du problème que vous avez eu en Slovaquie, quelle est votre politique environnementale en ce qui concerne l'énergie, plus particulièrement l'énergie nucléaire?

M. de Larosière: Vous avez fait allusion au projet dit de Bohunice, en Slovaquie. Vous avez très bien dit que c'était une centrale de type soviétique qui était achevée pratiquement à 90 p. 100. L'idée que nous avons travaillée avec le gouvernement slovaque, c'était de la terminer avec des améliorations en matière de sécurité nucléaire qui auraient fait de cette centrale une centrale ayant des normes comparables à celles qui fonctionnent dans les pays de la communauté industrielle de l'OCDE. Comme vous le savez, c'est une affaire qui dure depuis deux ans. Nous avons beaucoup travaillé avec l'Électricité de France, avec des firmes allemandes et, en fin de compte, le gouvernement slovaque a demandé que l'on retire le projet de l'ordre du jour du conseil d'administration qui devait examiner cette affaire. Pour le moment, ce projet est, en effet, suspendu. Nous ne le traitons pas en ce moment.

Notre politique, en ce domaine, est très claire et elle a été arrêtée dans un document de politique générale sur la politique énergétique de la BERD. Ce document dit en substance, en matière nucléaire, que nous sommes capables d'intervenir sur des projets nucléaires s'ils sont justifiés sur deux plans. Premièrement, est-ce qu'ils sont fiables du point de vue de leur sécurité? C'est la question majeure. Si nous avons le moindre doute sur la qualité de la sécurité de ces projets, nous n'interviendrons pas. Donc, la sécurité est notre premier paramètre. Le deuxième paramètre est un paramètre économique. Est-ce que ça a du sens, comme on dit, de financer un projet nucléaire par rapport à un projet de gaz ou par rapport à un projet thermique classique? C'est seulement si nous avons satisfaction sur ces deux éléments, qui sont la sécurité et le caractère économique du projet, que nous sommes susceptibles d'intervenir. J'ajoute que dans le cas slovaque que vous avez mentionné, ces deux critères étaient évidemment au coeur du projet; non seulement ils étaient au coeur du projet, mais le projet se serait traduit - c'était un des éléments de la conditionnalité - par la fermeture d'une autre centrale nucléaire qui fonctionne en Slovaquie et qui est, elle, d'un caractère beaucoup moins sûr. Donc, on avait là un dispositif important.

Cette politique énergétique est toujours là, mais nous n'avons présentement aucun autre projet de caractère nucléaire.

M. Patry: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Monsieur Regan.

M. Regan (Halifax-Ouest): Je n'ai pas de questions.

.1605

Le vice-président (M. Campbell): Sénateur De Bané.

[Français]

Le sénateur De Bané (De la Vallière): J'hésitais à poser une question à M. de Larosière.

Beaucoup d'économistes et de spécialistes du développement nous disent que, de tous les facteurs qui influent sur le développement économique, le plus important est peut-être la mentalité d'un peuple, l'état d'esprit des gens. J'aimerais que vous nous expliquiez comment on peut amener ces pays de l'Europe de l'Est, non seulement ceux qui sont tombés derrière le rideau de fer après 1945, mais aussi ceux de l'Union soviétique depuis 1917, qui n'ont pas connu l'économie de marché, à comprendre comment fonctionne un système de libre entreprise, que ce n'est pas l'État qui décide que vous allez acheter tel ou tel produit, mais qu'il faut plutôt faire des études de marché et développer des produits qui répondent aux besoins des clients, des études de marketing, etc., bref, tout ce qui fait partie de l'économie de la libre entreprise et de l'esprit d'entreprise.

Je me demande s'il est suffisant de mettre des capitaux à la disposition de ces pays. Est-ce qu'il ne faut pas également leur envoyer des gens pour leur apprendre ce que c'est que cette économie de libre entreprise, de marché, qui est aux antipodes de celle de la planification centralisée? Je me demande dans quelle mesure votre banque ne pourrait pas aider des chefs d'entreprise qui sont à la retraite dans les pays occidentaux, qui ont amassé un bagage d'expérience et de connaissances, à aller passer quelques mois dans ces pays de l'Europe de l'Est pour leur apprendre comment on monte une étude de marché, comment on monte un projet, etc. Cela doit être extraordinaire de changer l'état d'esprit des gens, si tant est que le premier facteur de développement, c'est la mentalité des gens.

M. de Larosière: Je remercie beaucoup M. De Bané d'avoir posé cette question, parce qu'elle me paraît absolument centrale. En effet, ce sont les hommes, en fin de compte, qui font une société, qui font les entreprises. Donc, il est très important que les mentalités et l'état d'esprit évoluent selon les projets. Je dirai plusieurs choses là-dessus, mais très brièvement, parce que le sujet est immense.

Je suis tout à fait d'accord sur votre approche et je pense que l'assistance technique n'est pas seulement un adjuvant, un accompagnateur d'assistance financière. Je pense que c'est un élément absolument central de l'efficacité de notre rôle. À cet égard, je voudrais remercier le gouvernement canadien et le Parlement de l'assistance technique qu'ils fournissent à la BERD. Dans le programme général d'assistance technique du Canada, il y a une section qui va vers des actions communes avec la BERD, parce qu'il y a des projets qui ont besoin d'assistance technique pour marcher. Je dois dire que cette ligne d'assistance technique avec le Canada marche très bien.

Vous avez dit que ces pays n'avaient pas l'habitude de l'économie de marché parce qu'ils ont fonctionné selon d'autres schémas mentaux. Comment peut-on changer leur mentalité? Je crois que la première chose à faire, c'est de recréer, au niveau des entreprises, une contrainte de discipline financière. C'est ça, l'essence. Autrefois, il n'y avait pas de faillite possible puisque le système était entièrement autosuffisant. C'était le système qui se finançait lui-même. Maintenant, le fait qu'une entreprise ne puisse pas recourir à des crédits de la banque centrale ou du gouvernement lui crée une incertitude pour son devenir qui est génératrice d'une inquiétude quant à la nécessité d'équilibrer ses comptes et d'une peur de disparaître du marché.

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C'est la première chose à faire. Tout ce que l'on peut faire pour orienter ces pays vers moins de subsides, moins de subventions d'équilibre pour les entreprises, c'est créér les conditions de cette discipline financière.

La deuxième chose que l'on peut dire, c'est que la privatisation et la compétition qui l'accompagne sont un peu les mères du développement de l'esprit d'entreprise. Quand vous avez un système très monopolistique, vous n'avez pas d'esprit d'entreprise parce que vous savez que vous êtes les seuls à produire les biens. Quand vous avez de la concurrence, il vous faut alors vous défendre. Donc, il faut faire des études de marché, il faut aller voir le consommateur pour être sûr que ce qu'on produit est susceptible d'être acheté, etc.

Je suis bien d'accord avec vous pour penser que l'assistance technique et la formation des agents économiques sont au coeur de tout ça. Vous avez parlé des volontaires. C'est tellement vrai, ce que vous dites. Si on pouvait utiliser les services de gens qui sont retraités de l'industrie et qui ont accumulé une expérience phénoménale, aussi bien du point de vue commercial que du point de vue industriel, on obtiendrait, j'en suis sûr, des résultats énormes. D'ailleurs, j'étais très content ce matin, parce qu'il y a une organisation au Canada... J'étais à Toronto ce matin, au Board of Trade, et j'ai été accueilli ensuite par des gens qui étaient justement de cette organisation de volontaires canadiens et qui m'ont dit: «Vous savez, on travaille avec vous; on a fait quelque chose ensemble en Pologne.» Donc, je suis tout à fait pour le fait d'aller dans cette voie. Je suis aussi pour le fait d'aider les jeunes qui seront les chefs d'entreprise de demain dans ces pays à venir en Europe ou au Canada, en Amérique ou au Japon, pour s'acclimater à l'art du management. Nous avons même fait un projet assez innovateur, à la Banque, qui a d'ailleurs été assez contesté par certains de mes amis au conseil d'administration - mais on a quand même eu la majorité pour l'accepter - , qui consiste à prêter de l'argent à des jeunes «entreprenants» pour aller faire des études dans des écoles de management occidentales. Ils rembourseront plus tard les frais de leur scolarité. C'est un gros risque et on nous a dit que ce n'était pas notre boulot de faire ça, mais en fin de compte, la majorité l'a accepté, et maintenant je suis content de voir que mes amis canadiens souhaiteraient bien que l'Université York, par exemple, soit une candidate possible pour ces prêts. Il y a donc beaucoup de choses à faire.

M. Paré (Louis-Hébert): Je voudrais aller un peu plus loin que l'objet de la question de M. Patry. Est-ce que vous faites une distinction entre la croissance économique et le développement durable? Est-ce que cela vous préoccupe, la question du développement durable? On a tous vu des reportages épouvantables sur l'état de l'environnement dans les pays de l'Est.

M. de Larosière: Oui, absolument. Je suis tout à fait d'accord. Il ne s'agit pas de faire des opérations ponctuelles qui donnent satisfaction sur la base d'un projet, mais qui se traduisent par une altération en profondeur de l'environnement, parce que ce serait des opérations sans lendemain. Donc, il faut faire des opérations de développement durable. Je peux vous dire que nous sommes probablement la seule organisation internationale qui se pose systématiquement cette question. Chaque fois que je vais au conseil d'administration avec un projet, mes statuts sont là pour me guider et ils m'obligent à expliquer et à répondre au conseil d'administration sur la question suivante: Est-ce que ce projet contribue à la qualité de l'environnement ou est-ce qu'il contribue à sa dégradation? Je ne passe mon examen de passage que si j'ai été capable de répondre à cette question. Comment est-ce que je réponds à cette question? J'ai, au sein de la Banque, une entité indépendante, parce que si elle était dépendante, je pourrais l'influencer, qui s'appelle l'unité d'évaluation de la qualité de l'environnement. Nous ne retenons les projets que dans la mesure où nous pouvons nous satisfaire qu'ils sont acceptables ou favorables du point de vue de l'environnement.

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Il y a deux manières de faire cela. Ou bien vous faites un projet industriel, disons une usine d'automobiles ou une usine de pâtes et papiers, et vous veillez à ce qu'elle soit la mieux possible du point de vue de l'environnement. Vous pouvez aussi avoir une approche beaucoup plus dynamique et proactive qui consiste à faire des projets d'environnement, c'est-à-dire des projets d'amélioration de l'eau, de traitement des eaux usées, etc. On fait maintenant de plus en plus de projets proactifs en matière d'environnement. On en a un qui est magnifique à Tallin, en Estonie, où on a jumelé l'organisation de traitement des eaux de Finlande et l'organisation de traitement des eaux d'Estonie en une opération conjointe. C'est un projet que la BERD a financé et qui va se traduire par une amélioration considérable des conditions de traitement et d'utilisation de l'eau dans ce pays. On va le faire de plus en plus systématiquement.

On fait aussi beaucoup de projets d'efficience énergétique, de réduction des coûts d'énergie, ce qui est une manière de répondre à votre question sur la durabilité de la croissance. Plus vous économisez sur l'énergie - et Dieu sait s'il y a des gaspillages phénoménaux d'énergie dans beaucoup de ces pays - , plus vous évitez de repolluer l'atmosphère.

M. Bertrand (Pontiac - Gatineau - Labelle): J'ai deux courtes questions à poser à M. de Larosière. Premièrement, je serais intéressé de connaître votre taux de pertes sur les prêts que vous avez octroyés aux pays en voie de développement.

Deuxièmement, vous avez mentionné que la Banque avait subi des difficultés financières avant votre arrivée. J'ai aussi entendu parler des mesures que vous avez prises afin de ramener la Banque sur le bon chemin, telle la réduction des frais généraux et de la taille de la Banque. Quelles mesures avez-vous mises en place afin de ne pas vous retrouver avec les mêmes ennuis financiers plus tard?

M. de Larosière: Sur la première question, nous n'avons pratiquement pas subi de pertes sur nos prêts. Il y a moins de doigts d'une main d'opérations qui sont en difficulté sur 240 projets qui sont réalisés. C'est un très bon résultat. Je n'en tire pas une satisfaction exagérée pour une raison très simple; c'est que nous sommes au début de notre vie financière et que beaucoup de nos projets ont une période de grâce de cinq ans. Comme nous sommes dans notre quatrième année d'existence, il serait futile de ma part de ne pas regarder ce qui va se passer dans les années cinq plus.

Il y a quand même des opérations qui n'ont pas cinq ans de grâce. Il y a des opérations qui sont complètement repayées, parce que telle est la variété de nos produits financiers. Je suis satisfait de voir que les opérations qui ont posé problème sont extrêmement peu nombreuses. Nous sommes d'ailleurs extrêmement vigilants; nous «provisionnons» très largement pour les mauvais risques que nous subirons et pour toutes les opérations de caractère privé. Nous mettons systématiquement de côté 5 p. 100 de nos prêts, 8 p. 100 de nos prises de participation en capital et 20 p. 100 des prises de participation en capital pour les opérations les plus risquées. Donc, nous faisons de la «provision» pour l'avenir. Jusqu'à présent, cela se passe très bien.

Les difficultés financières de l'origine, nous ne les connaîtrons plus à nouveau parce que nous avons pris des mesures qui font qu'elles ne se produiront plus. Nous avons des budgets suivis, d'autres que je suis personnellement et que le conseil d'administration regarde avec beaucoup d'attention; la Banque est donc équilibrée. Évidemment, si on changeait d'attitude, on pourrait retomber dans les déficits, mais on ne va pas changer d'attitude.

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Notre vrai problème, c'est d'augmenter notre productivité. C'est la vraie question. Je suis en train de travailler avec le conseil d'administration sur des modes opérationnels qui nous permettront de travailler davantage avec les partenaires du secteur privé pour distribuer nos rôles d'une manière qui nous économisera des frais généraux. Pour simplifier les choses, je peux dire que beaucoup de travail technique peut être fait par le partenaire industriel sans que nous ayons à le refaire et que nous pouvons partager le risque, à la fois commercial et politique, d'une manière qui protège les intérêts de la Banque tout en réduisant nos coûts.

Je crois beaucoup dans le développement d'une idée que j'appelle le partenariat banque-industries et qui consiste à avoir une relation en gros, a wholesale approach, avec des groupes industriels qui ont une série de projets qu'ils ont l'intention de faire en ce qui a trait à ces régions. À ce moment-là, vous pouvez avoir une ligne de crédit ou une ligne de capital que vous ouvrez à l'avance au vu de ces programmes et que vous activez ensuite au moment où les projets prennent naissance en réduisant le travail individuel des banquiers sur chacun de ces projets. C'est très intéressant à faire avec des projets qui sont assez petits en valeur unitaire - environ 10 millions de dollars - , et que nous ne pouvons pas financer en gagnant de l'argent et en développant de la productivité. Ces approches en gros et de partenariat sont en train de se développer.

Je pense que nous allons pouvoir pérenniser de la sorte les gains de productivité et la qualité du compte de profits et pertes de la Banque. Je suis très confiant sur la manière d'opérer cette banque. D'ailleurs, si je n'étais pas confiant, je vous le dirais. Quand je suis arrivé à la Banque, il y a deux ans, je n'étais pas confiant et je l'ai dit. Maintenant, je considère que l'opération est prise en main. Il y a encore beaucoup à faire pour réduire les frais généraux, et vous pouvez me faire confiance: je vais continuer à le faire.

[Traduction]

Le coprésident suppléant (M. Alcock): Merci. Je crois qu'il ne nous reste plus de temps. Je pense que nous avons une autre réunion dans quelques minutes avec notre chef, mais nous tenons à vous remercier, vous et M. Coleman, de nous avoir rendu visite. Comme vous pouvez le constater par le grand nombre de députés présents ici, nous nous intéressons vivement à cette question et nous allons étudier soigneusement les résultats du Sommet d'Halifax pour comprendre les perspectives des instituts financiers internationaux dans les années à venir. Nous vous savons gré d'avoir bien voulu prendre le temps de comparaître.

M. de Larosière: Merci beaucoup. Je vous remercie de cet honneur que vous m'avez fait en me donnant l'occasion de répondre à vos questions et de faire valoir mon point de vue. J'ai été fort impressionné par le nombre et la pertinence des questions. C'est la première fois que j'ai une telle expérience et je vous en remercie énormément.

[Français]

Le vice-président (M. Campbell): Nous avons eu grand plaisir à vous recevoir ici. Il est évident que la Banque joue un rôle très important dans la reconstruction et le développement dans votre zone d'opération.

[Traduction]

À titre personnel, je suis très heureux de vous revoir et de m'assurer que mon ancien patron sera bel et bien présent à cette réunion avec mon patron actuel.

Sur ce, nous allons donc clore la réunion. C'était un plaisir. Merci beaucoup, monsieur de Larosière et monsieur Coleman.

M. de Larosière: Merci beaucoup.

Le vice-président (M. Campbell): La séance est levée.

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