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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 29 octobre 1996

.1846

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous allons entendre des témoignages sur le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

J'ai d'abord deux choses à vous communiquer. Premièrement, à titre d'information et pour le compte rendu, je vous signale qu'un membre de l'opposition officielle a eu l'amabilité de m'appeler juste avant la séance. Il vous prie d'excuser son absence, car il doit assister à une autre réunion. Il se joindra à nous plus tard.

Deuxièmement, je veux qu'il soit mentionné au compte rendu que, conformément au Règlement, nous avons donné, comme il se doit, un avis de 15 minutes aux deux partis de l'opposition. Nous pouvons donc maintenant débuter.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants de l'Association of Canadian Archivists, Mme Jean Dryden, présidente du comité du droit d'auteur au sein de cet organisme; M. Victorin Chabot,

[Français]

de l'Association des archivistes du Québec,

[Traduction]

et Mme Nancy Marrelli, du Conseil canadien des archives.

Qui veut débuter? Madame Dryden, la parole est à vous.

Mme Jean Dryden (présidente, comité du droit d'auteur, Association of Canadian Archivists): Merci beaucoup, monsieur le président, de nous avons donné l'occasion de comparaître devant votre comité. Comme vous le savez, je m'appelle Jean Dryden, et je préside le comité conjoint du droit d'auteur mis sur pied par la communauté archivistique canadienne.

Je représente l'Association of Canadian Archivists, mon collègue Victorin Chabot représente l'Association des archivistes du Québec, et Nancy Marrelli représente le Conseil canadien des archives. Ensemble, nous représentons quelque 1 500 archivistes professionnels et 800 services d'archives chargés de préserver et de mettre à la disposition du public le patrimoine archivistique du Canada.

Nous avons présenté un mémoire dans lequel nous demandons cinq modifications au projet de loi C-32. Nous serons d'ailleurs heureux de répondre à vos questions à ce sujet. En premier lieu, j'aimerais toutefois vous donner une idée générale du caractère spécial des archives et vous expliquer en quoi le projet de loi limite notre capacité de rendre accessible et de préserver notre patrimoine archivistique.

La Loi sur le droit d'auteur a toujours posé problème aux archivistes à cause du caractère unique des documents d'archives. Le projet de loi accorde les mêmes exceptions aux bibliothèques et aux services d'archives, soi-disant parce que leurs documents seraient similaires. Il est toutefois important de comprendre que les documents d'archives diffèrent considérablement des documents de bibliothèques.

Ces différences sont les suivantes: Les documents d'archives sont généralement inédits, alors que les documents de bibliothèques sont publiés; les documents d'archives sont uniques et irremplaçables, alors que les documents de bibliothèques, dans la plupart des cas, existent en un grand nombre d'exemplaires et que des copies de remplacement peuvent facilement en être obtenues. Les créateurs des documents d'archives sont des gens non marquants, dont on connaît peu de choses, alors que les créateurs de documents publiés sont clairement identifiés et qu'il existe sur eux de la documentation. Enfin, les photocopies des documents d'archives ont une valeur commerciale négligeable, tandis que celles des documents de bibliothèques font concurrence à des produits offerts sur le marché. Ce sont là des différences importantes entre les documents des deux types d'établissements.

.1850

Le projet de loi C-32 offre d'importants avantages aux bibliothèques, mais il aide peu les archivistes à préserver le riche patrimoine archivistique du Canada et à en assurer l'accès, comme l'exige leur mandat.

Pour mieux illustrer la nature des documents d'archives, je vais vous parler d'un homme du nom de Stewart Dunlop. Je suis à peu près certaine que vous n'avez jamais entendu parler de lui. Il s'agit de mon grand-père.

Pendant qu'il était au service de l'Armée canadienne en France au cours de la Première Guerre mondiale, il écrivait à sa soeur. L'une des lettres les plus émouvantes qu'il lui a envoyées a été rédigée la veille d'une bataille, alors qu'il savait qu'il devait mener ses hommes à l'assaut le lendemain. Il n'avait alors que 22 ans. Cette bataille, c'était la bataille du Plateau de Vimy, au cours de laquelle il a été blessé. Les lettres suivantes sont parvenues de l'hôpital.

Après la guerre, il est revenu au Canada, s'est marié, et a élevé, en plein durant la Crise, une famille sur une ferme du sud-est de la Saskatchewan. Il a tenu un journal d'une très grande simplicité, dans lequel il n'écrivait qu'une ligne par jour. En travers de la page du mois de juin 1935, il a écrit «Sec, pas de pluie depuis le 7». J'ai une photocopie de cette page, une photocopie illégale aux termes de la loi actuelle.

Les lettres qu'il a écrites lorsqu'il était jeune soldat en France et le journal qu'il a rédigé au cours de la Dépression sont des documents d'archives très typiques. D'après la Loi sur le droit d'auteur, il est l'auteur de ces oeuvres littéraires. Pourtant, il a écrit ces documents sans penser en tirer des gains économiques, et les titulaires du droit d'auteur - trois enfants et quatre petits-enfants - seraient ravis qu'un chercheur demande copie de certaines de ses lettres. Toutefois, d'après la loi actuelle, un chercheur qui désirerait photocopier ces documents - disons, par exemple, quelqu'un comme Pierre Berton, qui a écrit des ouvrages à propos de Vimy et de la Crise de 1929 - devrait au préalable obtenir l'autorisation des sept adultes qui sont titulaires du droit d'auteur. Une telle exigence constitue une entrave énorme et déraisonnable à la recherche.

Notre mémoire attire l'attention sur deux grandes fonctions archivistiques: la préservation et l'accès. Nous sommes ravis que le projet de loi permette la reproduction de documents dans le but de préserver nos fonds d'archives. Cependant, refuser aux organismes à but lucratif cette exception est une distinction déraisonnable qui met en péril d'importantes portions de notre patrimoine archivistique. Le fait de réaliser des profits élevés ne garantit pas l'immortalité des documents d'archives. Les documents sur papier conservés dans les archives de la Banque Royale sont en train de se détériorer; il faudra peut-être, pour en assurer la conservation, les transposer de toute urgence sur microfilm, comme on l'a fait pour les documents d'archives de l'Église unie du Canada. Nous demandons que le droit de reproduire des documents d'archives uniques et irremplaçables en vue de leur préservation soit prévu pour toutes les archives, indépendamment de la nature de l'organisme qui en est responsable.

La seconde tâche de l'archiviste consiste à rendre les documents d'archives accessibles à des fins de recherche. À cet égard, le projet de loi est gravement déficient en raison de la similarité supposée entre les documents de bibliothèques et les documents d'archives. Les bibliothèques disposent de quatre moyens leur permettant de desservir leur clientèle de chercheurs sans violer la Loi sur le droit d'auteur: la durée de protection des oeuvres publiées; la disposition sur l'utilisation équitable; la possibilité pour des sociétés de gestion collective d'agir au nom de titulaires de droits d'auteur; et enfin, la disposition permettant à la Commission du droit d'auteur d'agir au nom d'un titulaire introuvable d'un droit d'auteur dans le cas d'une oeuvre publiée.

Les usagers des archives n'ont à leur disposition que la première de ces mesures. Le projet de loi C-32 met heureusement fin à la perpétuité du droit d'auteur dans le cas d'une oeuvre inédite; il prévoit toutefois une très longue période de transition au cours de laquelle l'utilisation, à des fins de recherche, de nombreux documents du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle demeure limitée.

Les services d'archives n'ont pas accès aux trois autres mesures. La disposition sur l'utilisation équitable ne s'applique pas aux oeuvres inédites, pas plus que celle sur les titulaires introuvables de droits d'auteur. Il est impossible aux usagers de former des sociétés de gestion collective pour représenter les centaines de milliers de « créateurs » non marquants d'oeuvres contenues dans les archives et leurs descendants. Par exemple, personne ne va se donner la peine de me retracer, moi, ainsi que mes cousins, ma mère et mes oncles, pour nous amener à nous joindre à une société de gestion collective pour l'amour de quelques photocopies de lettres ou du journal de mon grand-père.

Par conséquent, nous demandons que le projet de loi C-32 soit modifié afin de rendre les documents d'archives aussi accessibles que les documents de bibliothèques. Nous demandons également l'ajout d'une exception pour permettre aux chercheurs et aux préposés aux archives de faire une seule copie, à des fins de recherche ou d'étude personnelle, d'une oeuvre inédite se trouvant dans les fonds d'archives. Nous demandons aussi d'étendre la disposition sur les titulaires introuvables de droits d'auteur aux oeuvres inédites conservées dans les archives.

Les archivistes du Canada ont parmi leur clientèle une vaste gamme de chercheurs, dont beaucoup sont également des créateurs qui utilisent les riches ressources archivistiques du Canada pour produire des livres d'histoire, des articles, des films, des documentaires télévisés, des romans historiques, etc. Par exemple, le dernier roman de Margaret Atwood, Alias Grace, est accompagné de remerciements à huit établissements d'archives. L'un de ces établissements est le mien, et nous avons répondu à sa demande de renseignements au moyen d'une photocopie.

.1855

De nos jours, les chercheurs n'ont ni le temps ni les moyens de passer des semaines dans les services d'archives à copier à la main des passages des documents qu'ils étudient ou de parcourir tout le pays pour trouver un dossier, ou encore comme Margaret Atwood, de marcher jusqu'à notre établissement qui est situé tout près de sa demeure. Les chercheurs font plutôt des photocopies de tout ce qui peut être pertinent à leurs recherches et les apportent chez eux pour les étudier et les évaluer à tête reposée.

Suivant le libellé actuel de la loi, l'archiviste doit, chaque fois qu'un chercheur a besoin de copies de documents, évaluer le risque et faire un choix. Le projet de loi C-32 ne donne aux chercheurs et aux archivistes aucun moyen pour accéder à la matière première de l'histoire canadienne. On ne devrait pas faire en sorte que les établissements d'archives soient exposés à enfreindre la Loi sur le droit d'auteur du seul fait de permettre à des chercheurs d'utiliser leurs fonds.

Dans notre mémoire, nous avons cherché à convaincre le comité que le projet de loi C-32 limite sérieusement l'accès à nos ressources archivistiques; nous y avons proposé des moyens de régler ces problèmes sans risquer de porter atteinte aux droits des créateurs. Nous vous demandons respectueusement de prévoir pour les services d'archives d'autres exemptions afin de leur permettre de remplir leur mandat: préserver le riche patrimoine documentaire du Canada et en assurer l'accès.

Merci de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions, s'il y a lieu.

Le président: Merci, madame Dryden.

[Français]

Monsieur Plamondon.

M. Plamondon (Richelieu): Merci. C'est très intéressant et très complexe. Vous avez parlé de préservation et d'accès dans votre discours. Vous avez également parlé de reproduction dans le but de protéger des documents. Pour les archives et même lorsqu'il s'agit de collections privées, dans quelle mesure est-on obligé de reproduire pour protéger? Je pense que vous avez fait allusion à la collection de la Banque Royale, n'est-ce pas?

Pourriez-vous préciser davantage les modifications que vous aimeriez qu'on apporte au projet de loi dans ce domaine?

Mme Nancy Marrelli (Conseil canadien des archives): Pour la préservation des documents d'archives, il y a deux volets normalement. Il y a tout d'abord le cas où le document est tellement abîmé qu'on ne peut pas l'utiliser du tout; si on l'utilise, il sera complètement détruit. Pour ce type de documents, il faut faire ce qu'on appelle le transfert du support. On doit faire une copie pour avoir accès à l'information elle-même.

M. Plamondon: Vous voudriez que cette copie que vous feriez soit quelque chose de spécial.

Mme Marrelli: Exactement. C'est une copie de préservation. Cela peut se faire également pour les documents qui ne sont pas publiés et pour les documents qui sont dans nos dépôts d'archives.

Il y a aussi le cas où le document est très fragile. Dans nos services, presque tous les documents sont fragiles d'une façon ou d'une autre. Avec le temps, tous les documents se détériorent, mais ne sont pas abîmés au point qu'on ne puisse pas les utiliser. Cependant, si on continue à les utiliser, ils deviendront inutilisables. C'est la raison pour laquelle on fait ce qu'on appelle une copie de référence ou une copie d'accès. C'est une copie dont on a besoin pour protéger l'original.

M. Plamondon: À l'heure actuelle, le projet de loi tel qu'il est conçu ne le permettrait pas. C'est bien ça?

M. Victorin Chabot (Association des archivistes du Québec, Conseil canadien des archives): Présentement, dans le projet de loi, on considère les archives et les bibliothèques comme des entités semblables. Du côté des bibliothèques, il existe des bibliothèques sans but lucratif, comme les bibliothèques municipales et scolaires, et il y a des bibliothèques à but lucratif. Étant donné qu'on considère les archives de la même façon que les bibliothèques, on fait une distinction entre les archives à but lucratif et les archives sans but lucratif. Dans le domaine des archives, ça n'existe pas en tant que tel, en ce sens que les archives existent habituellement pour desservir une institution, que ce soit le gouvernement fédéral, provincial ou municipal, ou des compagnies comme la Banque royale ou les Caisses populaires, ou n'importe quel autre organisme comme les communautés religieuses, et on ne peut pas faire cette distinction.

.1900

Actuellement, dans le projet de loi, on fait une distinction pour les organismes sans but lucratif, de sorte qu'ils auraient le droit de faire une copie de leurs archives à des fins de préservation, tandis que les organismes à but lucratif tels que les archives de banques ou de compagnies privées n'auraient pas le droit de faire de copie de leurs propres archives même si c'était uniquement dans le but de préserver leurs archives. C'est pourquoi nous demandons dans notre mémoire qu'il ne soit pas fait de distinction entre les archives à but lucratif et les archives sans but lucratif.

Mme Marrelli: Je voudrais préciser que le service d'archives d'une compagnie à but lucratif n'a pas lui-même un but lucratif. Normalement, il entraîne même une perte d'argent pour la compagnie. C'est malheureusement le cas des archives qui ne sont pas des services à but lucratif.

M. Plamondon: Je vais laisser les honorables députés qui ont le poids du pouvoir vous écouter.

[Traduction]

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney (Hamilton Mountain): Merci. Je n'ai que deux ou trois petites questions.

Vous venez tout juste de parler de la distinction entre les services d'archives à but lucratif et les services d'archives sans but lucratif. Pourriez-vous, s'il vous plaît, me dire combien il y a de services d'archives privés au Canada?

Mme Dryden: Sur les 800 services d'archives au Canada, je ne saurais vous dire exactement combien...

Mme Phinney: Est-ce la moitié ou est-ce...?

Mme Dryden: Oh non.

Mme Phinney: Y en a-t-il moins de 100?

Mme Marrelli: Oh certainement. Probablement moins de 50.

Mme Phinney: En existe-t-il une liste quelque part?

Mme Marrelli: Oui. La...

Mme Phinney: Les 800 y figurent-ils?

Mme Marrelli: Oui, absolument.

Mme Phinney: Pourriez-vous nous en obtenir copie, au cas où nous voudrions communiquer avec certains d'entre eux? Merci.

Vous avez demandé l'ajout d'une exception pour permettre aux chercheurs de faire une copie unique d'une oeuvre inédite à des fins de recherche, pourvu, avez-vous dit, que des précautions appropriées soient prises pour protéger le droit d'auteur. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par précautions appropriées?

Mme Dryden: Assez souvent, quand des gens font don de documents aux archives, ils accompagnent leur donation d'une entente garantissant la confidentialité des documents, au cas où ceux-ci comporteraient des éléments délicats. De telles ententes ont parfois pour effet de bloquer l'accès à ces documents pendant une période relativement longue. Par exemple, dans le cas des documents audiovisuels, il existe toute une variété d'ententes juridiques visant à protéger les droits de divers créateurs. Si notre proposition était acceptée, de telles ententes auraient naturellement préséance sur l'exemption permettant la production d'une copie unique à des fins de recherches.

Mme Phinney: Je vois. À supposer que les exceptions pertinentes prévues dans le projet de loi C-32 soient étendues aux services d'archives comme vous le demandez, qui s'occuperait de veiller à ce que les critères d'exception soient respectés, de s'assurer que le document ne soit reproduit qu'une fois et seulement à des fins d'étude ou de recherche personnelle? Comment pourriez-vous exercer cette surveillance?

Mme Dryden: Vous savez, la plupart des services d'archives ne permettent pas la photocopie libre-service, en raison de la fragilité des documents. Généralement, les chercheurs doivent soumettre une réquisition indiquant les pages à copier et attendre sur place que les copies soient faites. Donc, ce sont souvent des préposés aux archives qui font le travail, et ils savent qu'il ne faut faire qu'une seule copie. D'ailleurs, au moment où le chercheur s'enregistre pour effectuer une recherche aux archives, on lui pose généralement quelques questions. Le chercheur doit expliquer la raison de sa visite et le but de sa recherche, ce qui constitue un autre mécanisme de contrôle.

Dans les services d'archives où il y a des photocopieuses libre-service, notamment en raison des réductions de personnel, les photocopieuses sont généralement placées tout près du comptoir de consultation, de sorte que l'archiviste peut exercer une surveillance - d'ailleurs, il le fait non seulement pour assurer le respect des règles relatives à la protection du droit d'auteur, mais également pour d'autres motifs, comme la protection des documents eux-mêmes, qui sont parfois très fragiles. Si un chercheur s'amène avec un document dont les bords se désagrègent littéralement, on ne le laissera pas le placer sur la photocopieuse.

Comme les archivistes ont tout à fait l'habitude de faire appliquer diverses règles, comme celles relatives aux restrictions d'accès, au respect des conditions prévues dans les ententes de donation, etc., il faut bien admettre que cette exigence ne serait pour eux qu'une de plus à faire respecter. Mais ce n'est pas...

Mme Phinney: Vous dites qu'il y a 800 services d'archives, et, en répondant à ma question, vous avez utilisé le mot « généralement » à quelques reprises. Qu'en est-il des établissements qui ne font pas partie de la généralité?

.1905

Mme Marrelli: Il y a très peu de services d'archives...

Mme Phinney: Faudrait-il établir un règlement que les 800 services d'archives seraient tenus de respecter? Et comment pourriez-vous en surveiller l'application?

Mme Marrelli: Il est extrêmement rare qu'un service d'archives permette à un chercheur de copier un original.

Mme Phinney: C'est donc une question d'autodiscipline.

Mme Marrelli: Oui, et qui est d'ailleurs inhérente à la conduite d'un service d'archives.

Mme Dryden: De plus, si ce projet de loi est adopté, quel qu'en soit le libellé définitif... Ce soir même, nous avons discuté des moyens à envisager pour sensibiliser davantage nos membres à ce que leur réservera l'adoption de la nouvelle Loi sur le droit d'auteur.

Comme l'a dit Nancy, les archivistes ont déjà l'habitude de ces préoccupations, mais il y a quand même des aspects auxquels nous aimerions les sensibiliser davantage.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger (Ottawa - Vanier): Merci, monsieur le président.

À propos de la distinction entre les services d'archives sans but lucratif et ceux à but lucratif, vous proposez que tous les services d'archives soient traités sur le même pied. À supposer que le gouvernement donne suite à votre suggestion, êtes-vous d'avis que la même logique devrait s'appliquer dans le cas des bibliothèques?

Mme Marrelli: Existe-t-il des bibliothèques à but lucratif?

M. Bélanger: Oui.

Mme Marrelli: J'ignore ce qu'il en est des bibliothèques, mais je sais qu'il n'y a pas de services d'archives à but lucratif.

M. Bélanger: Vous dites qu'aux fins de ce projet de loi les deux catégories devraient être traitées sur le même pied, c'est-à-dire comme des services d'archives sans but lucratif.

Mme Dryden: Il existe effectivement des bibliothèques à but lucratif.

Je ne me sens pas très à l'aise, car je ne suis pas ici pour parler au nom des bibliothèques, mais je crois que, s'il existe des bibliothèques à but lucratif, il faudrait établir un cas d'exception spécial dans le cas des archives et faire disparaître, dans leur cas uniquement, la distinction entre les établissements à but lucratif et les établissements sans but lucratif.

M. Bélanger: Vous avez fait allusion à cet aspect dans votre exposé; c'est pourquoi j'ai posé la question.

C'est un point de peu d'importance. Nous poserons la question bibliothécaires eux-mêmes.

Mme Dryden: J'ai demandé qu'on cesse de faire cette distinction dans le cas des services d'archives. Je ne voulais pas nécessairement parler des bibliothèques.

M. Bélanger: À propos de votre quatrième proposition d'amendement, celle portant sur le droit de faire des présentations publiques dans les établissements d'archives, songez-vous à des présentations s'adressant à une, deux ou trois personnes? Où cela s'arrête-t-il?

[Français]

M. Chabot: À des fins de recherche seulement. Dans un service d'archives, on a, bien entendu, des documents textuels, mais aussi des photos, des films et des enregistrements sonores. Il est assez souvent possible de constater que les gens ne travaillent pas seuls, mais par équipe de deux, trois ou quatre personnes.

M. Bélanger: Ça pourrait être une classe.

M. Chabot: Oui, même une classe. Mais ça ne peut être que dans le but de faire des recherches et non à des fins de publication ou pour faire des profits.

M. Bélanger: Ici, aux Archives nationales, il arrive régulièrement que l'on ait une série de films.

M. Chabot: Il faut faire une distinction entre le dépôt d'archives qui présenterait un film à des fins commerciales et qui ferait de la publicité pour inciter le public à venir, et le dépôt d'archives où un groupe d'étudiants viendrait visionner un film pour les besoins d'un cours ou pour étudier, comme dans le cas d'étudiants en cinématographie qui voudraient voir le film de tel réalisateur pour étudier son style.

M. Bélanger: Si on faisait cela dans une salle de classe, est-ce qu'on serait exempté?

M. Chabot: Actuellement, il y a dans le projet de loi des exceptions pour les maisons d'enseignement. Dans le projet de loi, on prévoit justement des exceptions pour les établissements d'enseignement qui présentent un film à des fins d'enseignement, mais on ne parle pas de ces exceptions pour les services d'archives, et c'est ce que nous demandons.

M. Bélanger: Si je comprends bien, vous demandez l'exemption dans les cas où l'oeuvre est visualisée ou projetée chez vous, aux archives.

M. Chabot: Uniquement.

Mme Marrelli: Pas dans un auditorium mais dans un bâtiment d'archives.

M. Bélanger: C'est cela; il faut le préciser.

Mme Marrelli: On parle du service d'archives comme tel, de la salle de références.

M. Chabot: À des fins de recherche.

Mme Marrelli: C'est cela.

M. Bélanger: Oui, mais dire que c'est à des fins de recherche peut être très flou, très vague. Si c'est toute une classe qui fait une recherche, il faut que ce soit dans l'auditorium, mais vous précisez que ça ne peut pas être dans l'auditorium.

Mme Marrelli: Non. En fait, nous voulons dire que cela ne peut pas être un événement public parce qu'il faut que ce soit uniquement dans le but de faire des recherches.

.1910

[Traduction]

M. Bélanger: Puis-je poursuivre?

Le président: Oui.

M. Bélanger: C'est amusant.

Vous avez dit que Margaret Atwood avait utilisé vos ressources archivistiques pour son dernier ouvrage, qui est sans contredit une entreprise commerciale pour laquelle elle reçoit des redevances. A-t-il été question qu'elle paie elle-même des redevances...?

Je ne voudrais pas être indiscret, mais il y a un point ici que j'aimerais voir clarifié. Soutenez-vous qu'une personne qui utilise des documents d'archives pour en venir à produire une oeuvre qui lui procurera un gain ne devrait pas être tenue de payer des redevances pour avoir ainsi utilisé des documents d'archives?

Mme Dryden: Je ne dis pas qu'elle ne devrait pas payer des redevances; je dis qu'il n'existe pas de mécanisme qui lui permette de le faire. J'imagine mal une personne sensée qui se donnerait la peine d'établir une société de gestion collective pour réunir les milliers de descendants de Canadiens ordinaires qui ont rédigé ces lettres banales.

M. Bélanger: Des organismes comme SOCAN, CANCOPY et un certain nombre d'autres seraient peut-être disposés à conclure des ententes à cette fin avec les services d'archives.

Mme Dryden: Bien sûr, mais le problème n'est pas là, il se situe dans l'autre versant, celui des créateurs et de leurs descendants.

M. Bélanger: A-t-on essayé de le faire? Avant de dire que c'est impossible, l'a-t-on essayé?

Mme Dryden: Pas à ma connaissance, mais je crois que ce serait fort irréaliste.

M. Bélanger: Ça va. Mais je veux m'assurer de bien comprendre. Vous demandez donc que quiconque utilise les services d'archives pour la création d'une oeuvre littéraire qui lui procurera des gains n'ait pas à payer de redevances pour les documents d'archives qu'il a utilisés?

Mme Marrelli: Nous ne voulons pas dire qu'il pourrait utiliser ces documents à sa guise, mais seulement pour ses recherches.

M. Bélanger: Pour écrire un roman, on peut avoir à effectuer des recherches.

Mme Marrelli: Bien sûr, mais si vous prenez des documents et les utilisez...

Mme Dryden: Si vous les publiez.

Mme Marrelli: ...vous êtes, naturellement, assujetti à la Loi sur le droit d'auteur, et vous devez payer des redevances.

M. Bélanger: Mais vous demandez qu'ils en soient exemptés.

Mme Marrelli: Non.

Mme Dryden: Photocopier ne veut pas dire publier. Supposons que Margaret Atwood a photocopié une centaine de documents dans le cadre de sa recherche, mais qu'elle s'est inspirée d'un seul dans une oeuvre qu'elle a publiée; oui, pour ce seul document, il lui faudrait obtenir une autorisation et tout ce qui s'ensuit. Ce que nous voulons dire, c'est qu'elle ne devrait pas avoir à communiquer avec une centaine de personnes, ou davantage encore, pour...

M. Bélanger: Elle ne devrait alors avoir affaire qu'à un seul interlocuteur, à savoir le service d'archives qui lui a fourni le document.

Mme Marrelli: Non.

Mme Dryden: Non.

Mme Marrelli: Car nous ne sommes pas les titulaires du droit d'auteur.

M. Bélanger: Merci.

Le président: Monsieur Abbott.

M. Abbott (Kootenay-Est): J'ai une très brève question à propos de la différence entre les fonds privés et les fonds publics d'archives. Je crois que M. Bélanger a effleuré la question.

Si tant est qu'il existe des services d'archives qui appartiennent à des sociétés commerciales comme Seagram, The Maple Leaf Gardens ou d'autres et qui sont entièrement contrôlés par elles sans pour autant être à but lucratif, ne croyez-vous pas qu'il faudrait en faire une catégorie à part - surtout s'il s'agit d'établissements activement et résolument à la recherche de nouvelles acquisitions pour enrichir leur fonds d'archives...? Ne serait-il pas essentiel, selon vous, que la loi établisse ce qui est permis ou interdit à chacun de ces deux types de services d'archives? Donnons-leur l'étiquette de services d'archives professionnels pour les distinguer des services d'archives sans but lucratif, comme celui que vous représentez. Devrait-il y avoir une telle distinction dans la loi?

Mme Dryden: En ce qui a trait au droit de faire une copie d'un document pour en préserver l'original?

M. Abbott: Autrement dit, la loi devrait-elle, aux fins de protéger le droit d'auteur, interdire aux services d'archives professionnels des activités qu'elle permettrait aux services d'archives sans but lucratif - la seule différence entre les services d'archives de ces deux types étant la question de leur propriété, les uns étant aux mains de sociétés commerciales et les autres étant des organismes indépendants sans but lucratif ou des organes gouvernementaux?

Mme Marrelli: Pas quand il s'agit de préserver les documents; c'est ce que nous croyons. En matière de préservation, une telle interdiction aurait un effet dissuasif.

Les sociétés à but lucratif qui acquièrent et préservent des archives le font généralement dans le cadre de leurs opérations commerciales normales. Elles ne se lancent pas résolument à la recherche de nouveaux documents d'archives. Les documents qu'elles acquièrent leur viennent généralement du cours normal de leurs affaires.

Ce que nous craignons, c'est que, si cette loi ne leur permet même pas de copier des documents strictement à des fins de préservation - par exemple, comme nous l'avons expliqué tout à l'heure, des documents qui tombent en morceaux - , elle les dissuadera tout simplement de conserver ainsi des archives.

.1915

L'exemple qui nous vient à l'esprit est celui des sociétés d'assurance, qui sont parmi celles qui effectivement gardent des documents d'archives. Si elles constatent qu'il n'est pas dans leur intérêt de conserver ces archives, ou si on les dissuade de le faire, elles abandonneront tout simplement la partie.

Nous voulons les encourager à le faire, non pas les en dissuader. Nous sommes d'avis que le patrimoine qu'elles possèdent a passablement d'importance. Si nous ne faisons rien de spécial pour soutenir leurs efforts dans ce domaine, au moins ne leur mettons pas des bâtons dans les roues. D'ailleurs, n'oublions pas que cette mission leur occasionne des dépenses.

M. Abbott: Merci.

[Français]

Le président: Est-ce qu'il y a d'autres questions? Monsieur Bélanger.

[Traduction]

M. Bélanger: J'ai une toute dernière question. Dans quelle mesure est-il facile ou difficile de réunir un fonds d'archives? Qui décide si quelqu'un peut ou non conserver des archives?

[Français]

M. Chabot: N'importe quel organisme, privé ou public, ou n'importe quel individu peut créer ses propres archives. Mais il faut dire que certains organismes, en plus de conserver leurs propres documents qu'ils créent ou reçoivent, acquièrent des fonds d'archives privés comme compléments de documentation. En ce qui concerne ces fonds d'archives privés qu'un service d'archives peut acquérir, il faut mentionner qu'ils possèdent la propriété physique des documents, mais pas la propriété intellectuelle. Les créateurs de chaque pièce conservent leur droit d'auteur.

M. Bélanger: Cela veut donc dire que si ce que nous proposons était accepté, je pourrais déclarer que j'ai des archives chez moi et faire une copie d'un livre. Cela ferait partie de mes archives personnelles.

M. Chabot: Il faut faire une distinction entre ce qui est publié et ce qui ne l'est pas. Dans vos archives personnelles, vous avez les documents que vous avez écrits, que vous avez composés vous-même ou que vous avez reçus. En ce qui concerne les documents que vous avez reçus d'une tierce personne, celle-ci conserve son droit d'auteur sur les documents qu'elle vous a expédiés. Mais en ce qui concerne les livres que vous avez dans votre bibliothèque, c'est autre chose. C'est la même Loi sur le droit d'auteur qui s'applique, mais avec des limites différentes. Présentement, dans la loi actuelle, le droit d'auteur existe à perpétuité pour les documents non publiés. Par contre, pour les documents publiés, il y a une limite de 50 ans après la publication.

M. Bélanger: Un dépôt d'archives aurait le droit de faire une copie d'une oeuvre à des fins de préservation, non?

M. Chabot: Présentement...

M. Bélanger: Selon ce qui est proposé.

Mme Marrelli: Oui.

M. Chabot: Si l'organisme est à but non lucratif.

M. Bélanger: N'importe quelle oeuvre.

M. Chabot: Non publiée.

M. Bélanger: D'accord, ça va. Merci.

[Traduction]

Mme Dryden: Je tiens à vous signaler en conclusion, monsieur Bélanger, que si vous entendez réunir des archives, n'escomptez pas en tirer un profit.

Le président: Merci beaucoup, madame Dryden, madame Marrelli et monsieur Chabot.

[Français]

Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer ce soir.

[Traduction]

Merci.

.1920

[Français]

Je voudrais souhaiter la bienvenue à l'archiviste national Jean-Pierre Wallot des Archives nationales du Canada, qui nous présentera son collègue. Monsieur Wallot, la parole est à vous.

M. Jean-Pierre Wallot (archiviste national, Archives nationales du Canada): Merci, monsieur le président. Je remercie le comité d'avoir bien voulu nous entendre. Je suis accompagné de M. Lee MacDonald qui est l'archiviste national adjoint des Archives nationales.

Vous avez déjà eu l'occasion d'écouter les représentants du milieu archivistique dont j'appuie, bien sûr, les opinions. Je suis tout à fait d'accord sur les observations formulées par Mme Jean Dryden et ses collègues. J'apprécie en particulier la manière dont elle a essayé de vous montrer que les archives sont uniques, localisées en un seul endroit, et que les exigences relatives aux documents d'archives dans une loi sur le droit d'auteur sont différentes de celles qui ont trait aux bibliothèques.

Le projet de loi C-32 regroupe un certain nombre de dérogations concernant les bibliothèques et les archives. Il prévoit pour les archives des dispositions essentielles à leur mandat de conservation. Pour le patrimoine national, par exemple, il prévoit le droit de copie pour préservation dans les institutions qui ne font pas partie de compagnies à but lucratif. Il y a aussi d'autres dispositions, mais certains véritables besoins des archives demeurent en suspens.

C'est d'ailleurs en raison de différences très importantes existant entre les collections de bibliothèques et les fonds d'archives que la communauté archivistique demande les cinq modifications exposées en détail dans son mémoire. Ces modifications visent à garantir que les documents rares et uniques soient non seulement conservés, mais aussi mis à la disposition du public à des fins de recherche et d'étude au même titre que les collections de bibliothèque.

[Traduction]

Qu'entend-on par archives, et pourquoi les pays, les organismes, les associations et même les particuliers les conservent-ils? Comme je vous l'ai déjà amplement illustré, les archives sont la mémoire des groupes et des nations. Elles rassemblent, de façon organisée, les documents du passé pour nous permettre de prendre conscience de nos racines et de nous appuyer sur elles pour construire l'avenir.

Les documents d'archives se composent de lettres, de notes, de journaux personnels, de documents officiels ou personnels, de cartes, de photographies, de documents audiovisuels et informatiques de gouvernements, d'associations, d'entreprises et de particuliers.

Parmi tous les documents créés, ceux qui sont déposés aux archives ont été choisis pour leur valeur historique, ou encore pour leur valeur légale probante ou documentaire. Au départ, les documents conservés aux archives n'ont pas été créés à des fins lucratives. Ce sont de simples documents de travail témoignant de la vie quotidienne et des activités de groupes ou de particuliers. Avec le temps, ils acquièrent une valeur historique, une valeur juridique ou une valeur de témoignage. Leurs auteurs sont donc tous des citoyens et citoyennes qui ont consigné une partie de leur vie, de leurs expériences et de leurs opinions.

Dans la majorité des cas, les documents d'archives ne sont pas publiés. En réalité, ils s'apparentent à ce qu'on appelle en français des actes notariés, et en anglais, des notarial deeds. Les archives sont des actes qui rendent compte des actions et des transactions survenues dans le passé.

Comme vous le savez probablement, la Loi sur le droit d'auteur actuellement en vigueur au Canada ne renferme aucune disposition sur la reproduction des documents inédits. Il est interdit de copier des documents d'archives même à des fins de conservation, encore moins à des fins de recherche ou d'étude personnelle.

Qui plus est, le droit d'auteur touchant les travaux inédits est perpétuel. Le fait de photocopier une lettre de sir John A. Macdonald peut être jugé illégal en vertu de la loi actuelle.

Le projet de loi C-32 a, en partie, reconnu ce problème. Il a établi un important cas d'exception en vue de permettre aux services d'archives de copier leurs documents à des fins de conservation. Nous accueillons très favorablement l'insertion d'un tel cas d'exception et lui accordons tout notre appui. Les documents de la fin du 19e siècle et, naturellement, ceux du 20e siècle, établis sur du papier à teneur acide, les films, particulièrement ceux sur support en nitrate, de même que les documents informatiques sont tous instables et se détériorent à une vitesse alarmante. Nous devons avoir légalement le droit d'essayer de les protéger.

[Français]

Toutefois, les services d'archives du secteur public ne peuvent plus à eux seuls conserver la mémoire de notre nation.

.1925

À mesure que les gouvernements réduisent les budgets, la responsabilité de conserver les archives privées incombe de plus en plus au secteur privé. C'est pour cette raison, et pour soutenir le partenariat croissant entre les services d'archives publics et privés au Canada, qui sont à la base même de la sauvegarde ordonnée de notre mémoire collective, que nous recommandons d'étendre les dispositions concernant la conservation aux services d'archives du secteur privé, c'est-à-dire aux archives des entreprises, des associations et des autres organismes dits à but lucratif.

Certaines grandes compagnies canadiennes ont joué un rôle vital dans notre histoire, et la loi ne doit pas les empêcher de conserver les documents précieux qu'elles détiennent. Je vais prendre un exemple imaginaire, mais très réel en même temps. Si la Compagnie de la Baie d'Hudson avait été soumise à la Loi sur le droit d'auteur du Canada, ses documents qui documentent nos XVIIe, XVIIIe et XVIXe siècles auraient disparu en grande partie parce qu'ils auraient été détruits. Je donne cet exemple parce que la Compagnie de la Baie d'Hudson, étant anglaise à ce moment-là, n'était pas sous l'empire de notre loi. Mais on pourrait parler aussi du Canadien Pacifique pour montrer l'importance de ce problème. On pourrait parler de toutes sortes d'autres compagnies, comme Molson qui a des archives qui remontent à 1774.

Ce sont toutes des compagnies qui ont des archives très riches qui documentent le Canada et pas seulement la compagnie ou ses profits. Il n'y a pas de profits à faire avec les archives. En fait, ces archives sont souvent considérées par les compagnies comme un poids et non pas comme une source de profit. Elles conservent ces archives tout simplement parce qu'elles sont le plus souvent de bonnes citoyennes ou parce qu'elles comprennent parfois que la continuité des affaires exige qu'elles préservent leurs archives.

En harmonie avec de nombreux autres pays et conformément à la convention internationale, le projet de loi C-32 entreprend aussi de limiter la durée de protection des documents non publiés à une période égale à la vie de l'auteur plus 50 ans, soit la même période que pour les ouvrages publiés. Ce changement nous réjouit au plus haut point. En pratique, toutefois, de nombreux documents demeureront protégés pendant très longtemps vu les dispositions transitoires énoncées dans le projet de loi C-32.

[Traduction]

Selon le paragraphe 7(1) du projet de loi, les documents d'auteurs décédés 100 ans avant l'adoption du projet de loi bénéficieront de cinq années supplémentaires de protection avant de passer dans le domaine public. À supposer que le projet de loi C-32 soit adopté en 1997, il faudra attendre l'an 2003 pour qu'une lettre de sir John A. Macdonald puisse être photocopiée en toute légalité.

Les documents antérieurs à 1850 conservés dans les services d'archives canadiens deviendront enfin du domaine public. Pour la première fois, les Canadiens et les Canadiennes pourront légalement les utiliser, les copier, les étudier et les inclure dans de nouveaux ouvrages.

Les documents d'auteurs décédés moins de 100 ans avant l'adoption du projet de loi C-32 seront protégés jusqu'en l'an 2048, soit pendant 50 autres années suivant l'adoption du présent projet de loi.

Aurons-nous vraiment voulu, pendant 150 ans, empêcher les chercheurs de photocopier, à des fins de recherche, les travaux de Laurier et de Borden, les journaux personnels et les lettres de ceux-là même qui ont vécu l'aventure de la Ruée vers l'or ou l'horreur de la Première Guerre mondiale, ou encore les documents évoquant les périodes difficiles de la Dépression ou la grande sécheresse qui a frappé les Prairies?

J'ai annexé au présent mémoire deux photocopies pour illustrer de quel genre de copies de recherche nous voulons parler. Je vous rappelle qu'en aucune manière elles ne peuvent être publiées ou reproduites. Elles ne doivent vraiment servir qu'à la recherche. L'un de ces deux documents est un télégramme - que Pierre Berton a désigné comme étant le dernier gros clou - annonçant la fin de la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique. L'autre est une lettre de Wilfrid Laurier. Ces documents pourraient être extrêmement utiles aux historiens canadiens, mais ils ne seraient pas disponibles avant l'an 2048, tout comme de nombreux autres importants documents.

Les archivistes proposent donc, pour régler ce problème, d'introduire une exception visant à permettre la copie en un seul exemplaire, à des fins de recherche ou d'étude personnelle, des documents non publiés faisant partie d'un fonds d'archives, à la condition qu'il n'existe aucune entente ou restriction prévoyant le contraire. Cela ayant déjà été expliqué, je n'entrerai pas dans les détails.

[Français]

En plus d'être l'archiviste national du Canada, je suis aussi professeur d'université et auteur d'une douzaine de livres. Donc, je suis aussi créateur. J'ai été président de la Société historique du Canada et de l'Institut d'histoire de l'Amérique française et membre de l'Académie des lettres du Québec. Je peux donc voir à la fois le point de vue des créateurs, le point de vue des historiens et des chercheurs et le point de vue des archivistes, puisque je suis archiviste national et que nous avons à traiter continuellement avec toutes sortes de publics.

.1930

Dans le monde universitaire, les subventions de recherche diminuent considérablement et les déplacements sont de plus en plus coûteux. Les auteurs ou les étudiants diplômés n'ont pas les moyens d'aller d'archives en archives pour recopier à la main les documents qu'ils veulent utiliser à titre de références dans leurs thèses, leurs articles ou leurs livres.

La photocopie et la reproduction font maintenant partie de notre vie. Elles accélèrent la recherche tout en donnant à l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes la possibilité d'accéder aux documents qui forment le patrimoine de leur pays.

Il en va de même d'ailleurs des simples citoyens. La plus grande clientèle des archives n'est pas composée de chercheurs chevronnés et de gens qui veulent écrire des livres, mais de simples citoyens qui veulent savoir qui étaient leurs ancêtres, comment ils sont venus, ou qui veulent voir le journal de leur grand-père qui a fait la Première Guerre mondiale et ainsi de suite, ou qui veulent documenter des droits. Là je pense particulièrement aux Indiens. Il y a en effet beaucoup de documentation concernant les Indiens qui n'est pas dans les documents publics mais dans les documents privés. Si tout ceci n'est pas accessible, c'est inutile.

J'ai entendu des personnes alléguer que le droit d'auteur est un moyen de protéger le contenu des documents personnels. Je crois que cette prise de position traduit une confusion entre le droit d'auteur lui-même et la protection des renseignements personnels. Il n'est en effet pas permis d'utiliser les mots exacts d'un document original par le copyright, mais les idées et les opinions exprimées dans les documents protégés par le droit d'auteur peuvent être paraphrasées ou décrites. Le droit d'auteur ne protège pas les idées; il protège uniquement l'expression de ces idées.

Personnellement, je préférerais voir les auteurs citer avec exactitude des documents originaux plutôt que de les voir paraphraser et trahir sans le vouloir le texte ou les idées des auteurs.

Cela vous rassurerait peut-être de savoir que les archives sont très au fait des questions touchant la protection des renseignements personnels et des droits de la personne. Les activités d'un grand nombre de ces établissements sont régies par un texte de loi sur la protection des renseignements personnels. De plus, il leur arrive souvent d'acquérir des fonds d'archives par le biais d'ententes avec des donateurs. Or, ces ententes peuvent prévoir un nombre plus ou moins important de dispositions spéciales, y compris des modalités touchant la gestion du droit d'auteur et l'interdiction totale d'accéder à une partie ou à l'ensemble des dossiers pendant une durée qui peut être courte ou très longue selon le type de documents et ce qu'ils contiennent.

[Traduction]

En demandant une exemption afin de permettre la réalisation d'une copie unique d'un document d'archives à des fins de recherche ou d'étude personnelle, les services d'archives ne réclament pas un droit général qui abrogerait leurs nombreuses obligations dans le domaine de la protection des renseignements personnels ou dans d'autres domaines. L'exception demandée s'appliquerait toutefois aux millions de documents d'archives dont les auteurs, citoyens ordinaires, ne visaient aucun profit commercial et ne peuvent être retrouvés, pas plus que le titulaire actuel du droit d'auteur.

Il n'est pas possible de créer une société de gestion collective pour protéger ces créateurs, car, en réalité, ceux-ci sont tous les Canadiens et les Canadiennes. En outre, cet élargissement rétroactif de la loi ne doit pas aller à l'encontre des intentions des donateurs et des vendeurs qui ont déjà déposé des documents aux archives à des conditions précises.

Les archivistes ont aussi demandé, au nom des auteurs faisant partie de leur clientèle, que la Commission du droit d'auteur soit habilitée à autoriser la publication d'un document d'archives encore inédit pour lequel on ne peut retrouver le titulaire du droit d'auteur. Il y a un moment, vous avez demandé si cela était possible; ce serait possible si la loi l'autorisait.

Cette disposition vise à répondre aux nombreuses demandes constamment adressées aux services d'archives par des auteurs désireux de savoir comment s'y prendre pour faire lever les droits de ces auteurs inconnus. Une telle disposition existe déjà, mais uniquement pour l'utilisation d'ouvrages publiés, c'est-à-dire pour les bibliothèques.

Le projet de loi C-32 contient une disposition spéciale permettant aux Archives nationales d'enregistrer, à des fins archivistiques, les documents diffusés à l'antenne. Nous sommes heureux qu'elle soit incluse dans le projet de loi, car elle nous aidera à recueillir le patrimoine audiovisuel canadien comme nous y autorise l'article 8 de la Loi sur les archives nationales du Canada. Comme vous le savez, l'audiovisuel est devenu un support d'information de plus en plus important, peut-être même le plus important de tous aujourd'hui, pour rendre compte de l'époque actuelle.

[Français]

Dans toute société comme dans toute loi, il est nécessaire d'équilibrer les intérêts des diverses parties. Loin de demander une dérogation susceptible de nuire aux intérêts économiques des créateurs, les archives demandent simplement l'introduction de dispositions qui leur permettraient tout bonnement d'exécuter leur mandat, d'assurer la mémoire et de la rendre accessible et donc utile.

Les archives sont un pont entre les diverses générations de créateurs. Pour jouer ce rôle de façon efficace, elles doivent être accessibles et utilisables.

.1935

À un moment où la société canadienne éprouve des difficultés à connaître et à assumer son identité, ne serait-il pas normal que nous ayons pleinement accès à nos racines, à l'histoire qui nous a amenés à l'époque récente ainsi qu'à nos droits en tant que citoyens?

Tous ces éléments sont contenus dans les fonds d'archives de notre pays. Le projet de loi C-32, s'il tient compte de la spécificité des archives, permettra d'y accéder dans une mesure raisonnable.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Wallot.

Est-ce qu'il y a des questions pour M. Wallot?

Monsieur Plamondon.

M. Plamondon: Les témoins précédents ont répondu à la question de M. Bélanger concernant l'auditorium ou le fait de présenter aux archives mêmes une séance d'information pour des étudiants ou des recherches. Est-ce que cela aurait fait votre affaire qu'on ait oublié de parler de vous dans nos réflexions sur le projet de loi C-32? Est-ce que vous auriez préféré rester dans la même situation?

M. Wallot: Non. Le projet de loi fait des grands progrès par rapport à ce qu'il y avait avant.

M. Plamondon: Pouvez-vous nous dire, de façon concrète, les deux ou trois choses les plus importantes que vous apporte le projet de loi? Qu'est-ce que vous aimeriez qu'on y change?

M. Wallot: Concrètement, il limite la durée du copyright alors qu'auparavant, les avis juridiques étaient illimités puisqu'il n'y avait rien dans la loi qui le précisait. Il permet de copier, par exemple, des documents pour fins de préservation, au moins dans les archives publiques ou les archives qui ne sont pas à but lucratif, comme les archives d'université, etc.

M. Plamondon: Il y a une série d'exceptions.

M. Wallot: Oui. Par contre, comme je l'ai mentionné, si on ne permet pas de faire une copie unique pour fins de recherche, ça va rendre la recherche extrêmement difficile. Permettez-moi de vous donner des exemples concrets. Si quelqu'un veut travailler sur les documents de sir Wilfrid Laurier ou sur cette période-là en utilisant non seulement les documents de sir Wilfrid Laurier, mais d'autres documents autour de cette période, il doit venir en personne aux Archives nationales. Il doit travailler dans les instruments de recherche, identifier les documents et ensuite les regarder un à un et les écrire.

S'il peut avoir accès à nos instruments de recherche par Internet, il va pouvoir identifier les documents qu'il veut et en demander des photocopies. Nous lui envoyons les photocopies et de là, il va tirer un nombre restreint d'idées pour soutenir sa thèse. C'est ainsi que l'on fonctionne au niveau des recherches.

M. Plamondon: Vous fonctionnez comme ça, actuellement?

M. Wallot: On a toujours fonctionné comme ça.

M. Plamondon: Mais vous parlez aussi des irritants du projet de loi. C'est à ce sujet que vous dites que vous ne pourrez plus faire cela?

M. Wallot: Non. Je dis que la loi actuelle ne nous autorisera pas à le faire.

M. Plamondon: Donc, ça devient un irritant par rapport à la façon dont vous fonctionnez à l'heure actuelle.

M. Wallot: Si on parle de la façon dont nous fonctionnons à l'heure actuelle, je dois dire, pour être honnête, que personne ne sait si nous fonctionnons légalement ou illégalement. Nous demandons simplement de ne pas laisser les archives dans une illégalité possible. Nous demandons qu'on nous mette dans un cadre légal. Vous comprenez qu'il est extrêmement difficile d'avoir un dépôt d'archives. Tout le monde vient nous demander d'avoir accès aux documents et on ne peut pas vérifier d'où viennent tous ce gens. S'ils viennent de Vancouver, de Trois-Rivières ou d'ailleurs, ils vont demander des photocopies pour pouvoir travailler à la maison, parce que ça coûte moins cher.

M. Plamondon: Je termine là-dessus, monsieur le président. Cela veut dire que si le projet de loi est adopté tel quel, sans modifications, et qu'il n'y a pas de précisions par rapport à la liste des exceptions dans le sens où vous les revendiquez, la recherche au Canada deviendra beaucoup plus difficile. Est-ce bien cela?

M. Wallot: Très difficile.

M. Plamondon: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Abbott, avez-vous des questions?

M. Abbott: Représentons-nous une situation, et demandons-nous comment les choses se passeraient, d'une part, si le projet de loi était adopté, et, d'autre part, s'il ne l'était pas, puis je vais vous demander de me décrire la différence.

.1940

J'imagine qu'un jour des chercheurs, comme mes amis d'en face, voudront retracer les origines du mouvement réformiste, qui remontent aux années 1800. Présumons qu'il existe à cet égard des documents - ce qui est d'ailleurs le cas - datant des environs de 1840 ou 1850. S'ils voulaient en avoir des copies pour poursuivre sérieusement leur recherche à la maison, comment les choses se présenteraient-elles, d'une part, dans l'hypothèse où la loi actuelle aurait été maintenue et, d'autre part, dans l'hypothèse où le présent le projet de loi aurait été adopté?

M. Wallot: Dans l'état actuel des choses, comme il n'y a pas de prescription du droit d'auteur, ces documents ne seraient pas du domaine public. En principe, le chercheur ou le service d'archives, ou les deux, seraient tenus de s'enquérir de l'identité des titulaires du droit d'auteur, et le problème, c'est que la plupart du temps il ne nous est pas possible de la connaître. Nous sommes littéralement en face de millions d'hypothèses. Nous ne saurions même pas où chercher.

Mais supposons que les documents en question aient été utilisés et abondamment cités. Habituellement, personne ne se plaint de la façon dont ces documents sont cités. Nous n'avons pratiquement jamais de plainte de ce genre. La seule poursuite judiciaire connue remonte à 1925; ce n'est donc pas d'hier. Mais jusqu'à maintenant, nous, les archivistes canadiens, avons travaillé en nous disant - bien que nous soyons incertains de la légalité de notre ouverture - que nous ne faisons qu'appliquer de bonne foi le principe de l'utilisation équitable. Si toutefois, pour une raison ou pour une autre, nous étions poursuivis, nous n'en demeurerions pas moins vulnérables, car, comme je l'ai déjà expliqué, le droit d'auteur est perpétuel. Cependant, si ce projet de loi est adopté, il y aura au moins une période de fixée à l'expiration de laquelle ces documents deviendront du domaine public et pourront être utilisés. Nous n'aurons donc plus à nous préoccuper de cet aspect.

Ce qui nous apparaît inquiétant, c'est que, si la nouvelle loi accorde expressément aux bibliothèques mais non aux archives des exceptions permettant la reproduction unique de documents à des fins précises, il nous sera alors beaucoup plus difficile de soutenir que nous fonctionnons dans une certaine légalité. Si on adopte une nouvelle loi qui ne nous accorde pas cette exception, on pourra présumer que le législateur n'a pas voulu nous l'accorder. Il nous sera dès lors fort difficile de nous sentir dans la légalité en fournissant des copies de documents. Un certain chaos s'installera alors dans ce secteur de la recherche, et par recherche, je n'entends pas seulement la recherche universitaire, mais aussi la recherche journalistique, juridique, voire gouvernementale.

Le gouvernement se sert largement des archives nationales, et non seulement des documents publics; parfois, il doit aller fouiller dans des documents d'archives privés pour comprendre pourquoi telle politique a été adoptée. Par exemple, il pourra s'intéresser aux documents concernant d'anciens réformistes ou d'anciens libéraux, etc.

Supposons que nous avons les documents et qu'aucune entente avec les donateurs ou leurs héritiers n'en interdit l'utilisation; encore là, ce n'est pas tout le monde qui peut se permettre de passer son temps à lire des documents ou à s'attarder aux Archives nationales. Normalement, un chercheur essayera d'abord de trouver le corpus qui lui semble contenir ce qu'il cherche, puis il voudra en faire des photocopies qu'il apportera à la maison. Il ne pourra pas reproduire ces photocopies dans un ouvrage. Il n'aura pas idée d'en faire un livre, car, de toute façon, comment pourrait-il en financer la publication? Il apportera donc ces photocopies chez lui et y puisera ce dont il a besoin pour rédiger sa thèse ou étoffer son interprétation, ou encore pour préparer son article ou le film qu'il projette de réaliser, etc.

L'audiovisuel ne pose pas problème. Ce domaine est déjà bien protégé. C'est un marché lucratif, et il n'est pas en cause ici, car il est bien protégé. Il en va de même des photographies. Elles sont régies par des règles très précises en matière de droit d'auteur. Elles sont traitées de la même façon que les oeuvres d'art. Dans ces cas, le droit d'auteur s'applique pendant 50 ans. Nous voulons surtout parler ici des autres types de documents d'archives. Essentiellement, il s'agit d'écrits, mais il peut y avoir aussi des cartes ou d'autres types de documents qui ne sont pas visés par les règles générales régissant le droit d'auteur.

M. Abbott: Merci. Merci, monsieur le président.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney: Je suis fort heureuse de constater ici, aux pages 8 et 9 du texte que vous avez lu ce soir, que beaucoup de services d'archives respectent déjà la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ceci est à la base de ma question. Ce qui me préoccupe, ce sont surtout les documents qui font partie d'archives privées. Vous avez convenu avec les gens de l'autre groupe qu'ils doivent avoir, au même titre que les services d'archives sans but lucratif, la possibilité de préserver leurs documents. Vous avez donné l'exemple de la société Molson, qui garde des archives, tout comme le font probablement les fabricants d'automobiles et une foule d'autres sociétés. La plupart des documents qu'ils conservent dans leurs archives ne sont-ils pas le fruit de leur propre création ou rédaction? Ces documents ne leur appartiennent-ils pas en propre, et, si oui, pourquoi leur faudrait-il une autorisation pour pouvoir les copier?

.1945

M. Wallot: C'est plus compliqué que cela. Voyez-vous, la personne qui rédige une lettre est celle qui est le titulaire du droit d'auteur. Si j'ai écrit, disons, à John Molson père ou à John Molson fils, ni l'un ni l'autre n'est le titulaire du droit d'auteur de la lettre que j'ai écrite. Si on se place à la fin du 18e siècle ou au début du 19e, ces deux personnages n'auraient même pas su que les auteurs avaient des droits. Aujourd'hui, je ne pourrais obtenir une photocopie d'une lettre écrite par un quidam parce que je ne saurais pas où trouver le titulaire du droit d'auteur, parce qu'il pourrait s'agir d'une personne anonyme, d'un inconnu de Trois-Rivières qui voulait sa bière. J'ai moi-même vu de tels documents; je sais de quoi je parle.

Dans le cas des Molson, par exemple, ou de beaucoup de sociétés commerciales, le fonds d'archives renferme beaucoup d'autres documents que les documents de régie interne - leurs procès-verbaux, etc. Dès qu'on touche aux relations extérieures... et, naturellement, ces sociétés en font beaucoup, on se trouve en présence de documents produits par d'autres personnes, d'autres sociétés. Elles s'échangent des renseignements. Qui détient le droit d'auteur de ces documents? Si on leur complique la vie, ces sociétés n'accepteront plus qu'on photocopie quoi que ce soit et elles ne donneront plus accès à leurs documents. Ce serait malheureux, car beaucoup de ces grandes sociétés ont conservé des archives. Dans le cas des Molson, ils ont transposé leurs archives aux Archives nationales, mais d'autres sociétés les ont gardées.

Mme Phinney: Supposons que la société Molson n'ait pas transposé ses archives et que les membres de la famille Molson soient encore propriétaires des archives de Molson. Ces documents leur appartiennent. Ils les accumulent de génération en génération. Ils les gardent pour eux, ce sont leurs archives à eux. Si je mets un document de côté, il continue de m'appartenir. Ne peuvent-ils pas les copier? Je ne veux pas dire pour vous les remettre à vous, mais pour eux-mêmes. Ne peuvent-ils pas les copier pour eux-mêmes? Je veux dire en faire copie pour mieux conserver les originaux, pour les garder en bon état. Ils pourraient le faire sans demander l'autorisation à personne, n'est-ce pas? Ou faudrait-il qu'on adopte ce projet de loi pour qu'ils puissent le faire?

M. Wallot: Une exception est prévue, sauf pour les organismes à but lucratif qui conservent des archives. J'en déduis qu'en principe ils n'auraient pas le droit de copier ces documents même à des fins de préservation.

Mme Phinney: Même pas leurs propres documents.

M. Wallot: Non, si la loi était appliquée rigidement. Mais je présume que s'ils en faisaient quand même, personne ne le saurait, et j'imagine mal que des gens se donnent la peine de surveiller ce genre de choses. Quand une loi est déraisonnable, il arrive parfois qu'elle ne soit pas respectée. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il faudrait aspirer à un certain équilibre à cet égard, et je suis d'avis qu'il serait souhaitable que nous ne mettions pas les archivistes ou les chercheurs dans une position où ils n'ont pratiquement pas le choix de transgresser la loi ou de ne pas l'appliquer, sous peine d'imposer des règles quasi impraticables, comme d'exiger de tous les intéressés qu'ils se rendent en personne aux Archives nationales à Ottawa, ou aux Archives provinciales de Toronto, ou aux Archives nationales du Québec. Nous devrions tenir compte de cette réalité.

La difficulté à propos de la question que vous soulevez est celle-ci. Supposons que vous m'écrivez une lettre pour me dire que vous n'avez pas aimé ceci ou cela dans mon mémoire, vous êtes donc le titulaire du droit d'auteur. Supposons que je suis un particulier, non pas l'archiviste national, mais Jean Dryden - bien sûr, je ne lui ressemble pas, je ne suis pas aussi beau qu'elle, mais supposons que je le sois - je deviendrais en fait le propriétaire de la lettre; je pourrais en faire don à un fonds d'archives, mais vous n'en demeureriez pas moins toujours titulaire du droit d'auteur. Après 50, 100 ou 200 ans, allez donc retrouver le titulaire du droit d'auteur!

Dans ma famille, nous sommes neuf enfants vivants et une quarantaine de petits-enfants; à qui allez-vous demander l'autorisation? Si nous essayions de remonter à il y a un siècle, on ne pourrait probablement retracer aucun membre de ma famille, car elle vient en partie de Belgique, en partie d'Allemagne, et en partie du Canada français.

Mme Phinney: C'est à cela que je voulais en venir. Ne se pourrait-il pas qu'il existe une foule de documents dans les archives, notamment dans les fonds d'archives privés, dont les titulaires du droit d'auteur ne connaissent même pas l'existence, ou qui sont aux archives sans que les titulaires du droit d'auteur sachent comment ils ont pu s'y retrouver, et que des copies en soient faites sans avoir été autorisées par personne? Peut-être que le titulaire du droit d'auteur est encore vivant et qu'il n'accepterait pas que des copies de ses documents soient remises à des tiers.

Ne se pourrait-il pas qu'en légalisant tout cela nous soyons en train de dire aux détenteurs d'archives que ces documents sont à eux et que, par conséquent, ils peuvent en faire des copies et laisser n'importe qui les utiliser, alors que leurs auteurs sont peut-être même encore vivants et qu'ils ne voudraient peut-être pas que ces copies soient ainsi utilisées; mais les auteurs de ces documents ne savent même pas que leurs documents sont dans des archives - ou ce que j'appelle des archives, car, comme vous l'avez expliqué, je pourrais moi-même constituer un fonds d'archives. Donc toutes mes lettres pourraient être conservées dans des archives sans même que je le sache. En légalisant tout cela, ne risquons-nous pas - je demande cela par curiosité - de créer un problème?

M. Wallot: Vous parlez ici de deux réalités différentes. D'abord, je ne vous conseille pas de constituer des archives. Cela coûte très cher, et, éventuellement, elles doivent être transposées quelque part, et c'est là qu'elles se perdent. C'est là que les lettres se dispersent à gauche et à droite pour aboutir on ne sait où.

.1950

Mais les donateurs prennent normalement des précautions concernant la protection des renseignements personnels. Un exemple qui l'illustre bien, ce sont les documents personnels de tous les anciens premiers ministres, notamment des derniers, que nous avons acquis récemment. Dans tous les cas, les donateurs posent des conditions très précises concernant le moment et la façon dont ces documents seront rendus accessibles. Ces conditions font partie de l'entente de donation.

Il en va de même pour toute acquisition, que ce soit en vertu d'une donation ou par voie d'achat, à moins que nous n'achetions le droit d'auteur. Mais même lorsque nous achetons le droit d'auteur, il arrive qu'une personne veuille que tel ou tel élément des documents transposés demeure secret ou caché encore longtemps par crainte que sa divulgation n'influence négativement les enfants ou qu'elle ne nuise à leur carrière, ou je ne sais quoi. Une telle exigence ne nous étonne pas, car nous sommes habitués à ces choses; nous voyons fréquemment de tels exemples.

Mme Phinney: Je comprends cela; vous l'avez très bien expliqué. Mais qu'en est-il du cas de la personne qui ne sait même pas que ses lettres sont...?

M. Wallot: Eh bien, le droit d'auteur ne peut pas résoudre ce problème. Ce n'est pas une question de droit d'auteur. Je dirais que c'est une question d'éthique. Quand je parle d'éthique, je pense à la conscience professionnelle des archivistes qui, de par leur formation... Je ne connais pas d'archivistes irresponsables. Je ne veux pas dire qu'il n'y en a aucun, mais je n'en connais pas. Quand ils voient dans des lettres des choses par trop personnelles...

Par exemple, nous avons tous les dossiers de tous les soldats qui ont participé à la Première Guerre mondiale, environ 650 000. Certains de ces anciens combattants vivent encore et d'autres ne sont décédés que depuis peu. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique, bien sûr, qu'aux documents publics, mais même à cela, elle nous interdit de révéler certains renseignements avant 20 ans suivant le décès. Parfois, la dépouille vient à peine d'être mise en terre que les survivants s'amènent pour fouiller à fond le dossier, y compris le dossier médical. Dans les dossiers médicaux, il y a parfois des choses qu'il est préférable de ne pas dévoiler trop vite.

Nous devons appliquer la loi de manière responsable. Nous ne sommes pas des dieux. Nous faisons des erreurs, mais les erreurs que nous commettons, c'est généralement sous...

Archivist se traduit en français pas conservateur. Je ne veux pas parler du parti politique. Conservateur signifie « celui qui préserve ». Par définition, les archivistes opteront donc toujours pour la prudence. Autrement, les choses pourraient leur exploser en plein visage.

En 50 ans, je n'ai eu connaissance d'aucun cas où un service d'archives ou du moins un important dépôt d'archives a été pris à faire quelque chose de vraiment répréhensible à cet égard. Mais même si vous ne savez pas que votre lettre se trouve dans un fonds d'archives, et même si, comme vous en êtes sûrement conscient, les utilisateurs potentiels de votre lettre peuvent, en principe, découvrir que c'est vous qui êtes l'auteur de cette lettre, rien ne vous garantit que quelqu'un, après avoir pris bonne note du contenu de votre lettre sans nécessairement la copier mot à mot, n'ira pas répéter ce que vous avez révélé dans votre lettre. D'ailleurs, la teneur de la lettre pourrait alors de toute façon être rendue publique par un chercheur.

Dans quelle mesure voulons-nous que l'histoire soit aseptisée, en fin de compte, après un certain temps? Si elle le devient trop, ce n'est plus de l'histoire, mais une sorte de conte de fée pour enfants. Or, nous ne sommes pas des enfants. Nous formons une société. Nous avons besoin de savoir ce qui s'est réellement passé.

Je suis désolée. Ma réponse n'est peut-être pas très bonne, mais c'est la meilleure que je puisse vous fournir à partir de mon expérience.

Mme Phinney: Merci.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

Monsieur O'Brien.

M. O'Brien (London - Middlesex): Je n'en ai qu'une, monsieur le président.

Je me demande si les deux groupes que vous avons entendus précédemment ce soir ont eu l'occasion, avant aujourd'hui, de faire valoir leur point de vue à l'étape de la préparation du projet de loi. Y a-t-il eu des consultations?

M. Wallot: Pour ce qui est des deux autres groupes, je l'ignore, mais je sais que les Archives nationales ont pu exposer leur point de vue. Je crois qu'en réalité, ce qui s'est passé, c'est qu'à un certain moment, alors qu'on s'apprêtait à rédiger le projet de loi, on a été amené à faire une distinction entre les archives et les bibliothèques.

Le gros problème, c'est que les avocats... Bien sûr, nous avons besoin d'avocats pour rédiger les lois, mais, en l'occurrence, quand ils en sont arrivés au libellé définitif, ils ont ni plus ni moins oublié ce qu'ils avaient appris à propos des archives et des bibliothèques et ils ont de nouveau mis les deux dans la même marmite.

En réalité, le projet de loi représente un immense progrès comparé à la situation actuelle, et nous l'appuyons entièrement. Ce que nous disons, c'est qu'on pourrait rendre la loi plus efficace en y ajoutant quelques cas d'exception. Cette modification n'aurait pas d'incidence commerciale. Il n'y a pas de profit à réaliser dans ce domaine. Ces exceptions permettraient tout simplement aux Canadiens d'avoir accès à leur patrimoine. Cela aussi, c'est important.

M. O'Brien: Je suis très sensible à ce que vous proposez, et c'est pourquoi je tiens à m'assurer que j'ai bien compris. Vous avez eu la possibilité de faire valoir ces arguments, mais vous croyez que peut-être il y a eu...

M. Wallot: J'ai le sentiment que nos arguments ont été fort bien accueillis à l'étape des discussions, mais, naturellement, nous ne prenons connaissance du libellé définitif que lorsqu'il est déposé à la Chambre.

M. O'Brien: C'est vrai.

M. Wallot: Il semble y avoir eu dérapage en cours de route. Je me pose des questions.

M. O'Brien: Ça va, je pense vous avoir bien compris.

.1955

Le président: Monsieur Wallot et monsieur MacDonald, l'un des aspects agréables de notre travail de parlementaires, même le soir à 20 heures, c'est qu'il nous permet de rencontrer une foule de gens intéressants et d'apprendre un tas de choses que, et je parle pour moi-même, nous ne connaissions pas déjà. Nous sommes ravis de vous avoir entendus et de nous être renseignés sur ce que vous faites. Merci d'être venus. Nous vous en sommes fort reconnaissants.

M. Wallot: Merci, monsieur le président.

Le président: Je vais suspendre nos travaux pour deux ou trois minutes.

.1956

.2005

Le président: Je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux représentants de l'ABRC, l'Association des bibliothèques de recherche du Canada. M. Graham Hill est le bibliothécaire en chef de l'Université McMaster de Hamilton. M. Timothy Mark est directeur général intérimaire de l'Association.

Monsieur Hill.

M. Graham Hill (Association de bibliothèques de recherche du Canada): Monsieur le président, membres du comité, bonsoir.

Je me nomme Graham Hill, et je suis le bibliothécaire en chef de l'Université McMaster à Hamilton, Ontario. J'ai également présidé l'Association des bibliothèques de recherche du Canada et siégé à son conseil d'administration.

C'est un honneur et un plaisir pour moi de comparaître devant votre comité au nom de l'Association des bibliothèques de recherche du Canada. J'aimerais maintenant vous présenterM. Tim Mark, le directeur général intérimaire de l'Association, qui m'accompagne ce soir.

Je mentionne dans le mémoire de notre Association que l'Association des bibliothèques de recherche du Canada regroupe 27 grandes bibliothèques universitaires, ainsi que la Bibliothèque nationale du Canada et l'Institut canadien de l'information scientifique et technique.

L'ensemble des collections des bibliothèques membres constitue la ressource d'étude et de recherche la plus vaste et, sous maints aspects, la plus complète au Canada. Les collections de nos membres universitaires équivalaient, en 1995, à 95 millions de volumes imprimés et comprenaient 364 000 titres courants de périodiques et de publications en série. Nous avons dépensé l'an dernier quelque 120 millions de dollars pour faire l'acquisition de livres, périodiques et autres documents.

Les bibliothèques de recherche du Canada ont toujours soutenu que le Canada devait se doter - et qu'il ne pourrait que bénéficier - d'une loi sur le droit d'auteur sagace et équilibrée, élaborée à la suite de vastes consultations ainsi que d'un examen minutieux par le Parlement.

Cela veut dire que, d'une part, nous acceptons et appuyons une pleine reconnaissance des droits des créateurs. Mais cela signifie aussi, d'autre part, que nous tenons à ce qu'une reconnaissance légale substantielle, sous forme de dispositions législatives assurant l'équilibre entre la position de monopole et de contrôle du détenteur du droit d'auteur et la nécessité pour notre société de faciliter et d'encourager la croissance et la diffusion de la connaissance, permette de favoriser de plus en plus au Canada l'encouragement donné à l'enseignement, à la recherche et à la création de nouvelles connaissances.

Depuis l'adoption en 1988 du premier volet des réformes visant à mieux protéger les droits des créateurs et des titulaires de droits canadiens, on a constamment assuré aux milieux de l'enseignement et des bibliothèques que la deuxième étape de la réforme rétablirait l'équilibre dans la Loi canadienne sur le droit d'auteur en y insérant certains cas d'exception concernant l'utilisation par les établissements d'enseignement et les bibliothèques d'ouvrages protégés par le droit d'auteur. Ces articles du projet de loi remplissent donc une promesse faite de longue date par le gouvernement. Ils sont le résultat d'une succession de vastes consultations menées par le gouvernement; ils auront pour effet, s'ils sont adoptés, d'aligner notre Loi sur le droit d'auteur sur les lois en vigueur dans les territoires comparables régis par la common law.

On reconnaît généralement que le Canada est un importateur net d'information. Les bibliothèques de recherche, par exemple, ne dépensent qu'entre 10 et 15 p. 100 de leur budget de collections pour faire l'acquisition de publications canadiennes. Comparé à ses partenaires - les États-Unis et les pays européens - , le Canada doit faire appel de façon beaucoup plus poussée aux produits culturels et aux activités de recherche d'autres pays qui ont une population plus importante et jouissent de ressources plus vastes. Mais nous avons aussi des forces et des ressources qui nous sont propres, sur lesquelles nous devons fonder notre dynamisme de manière à pouvoir occuper la place qui nous revient dans l'espace international réservé à la connaissance.

Les bibliothèques de recherche considèrent que l'article 30.1 du projet de loi, qui établit des règles régissant la photocopie de documents pour permettre aux bibliothèques de préserver et de conserver leurs collections, et ce, sans porter atteinte aux intérêts des détenteurs de droits d'auteur, revêt une importance majeure pour la conservation à long terme de nos collections de recherche et de notre patrimoine littéraire.

Le prêt entre bibliothèques est considéré depuis longtemps comme l'un des meilleurs moyens de faciliter la recherche. Il est évident que même la plus grande bibliothèque ne saurait regrouper tout le savoir humain. Le système de prêts d'exemplaires originaux et de photocopies de publications savantes permet aux bibliothèques de mieux remplir leur mission de soutien à la recherche.

La nécessité de faire des photocopies, mais sans but lucratif, tient à la nature des publications périodiques. Si les bibliothèques prêtaient aux chercheurs de l'extérieur les volumes reliés - chacun contient souvent plus de 50 textes différents - ces volumes seraient non seulement introuvables en bibliothèque pendant de longues semaines, mais ils seraient exposés aux dommages et à la détérioration.

La diligence étant l'un des impératifs de la recherche, particulièrement dans le domaine des sciences et de la technologie, la plupart de nos bibliothèques font l'impossible pour réduire les délais.

.2010

Le prêt entre bibliothèques ne vise pas, et n'a jamais visé, à se substituer au développement des collections dans les bibliothèques. Il témoigne plutôt du caractère de globalité de la recherche et reflète le fait qu'aucune bibliothèque ne peut acquérir un exemplaire de tous les ouvrages qui peuvent être requis. Le prêt entre bibliothèques, dans le cas des bibliothèques de recherche, ne représente qu'environ 2 p. 100 de l'ensemble du prêt des ouvrages appartenant à leurs fonds.

Si la loi n'autorise pas les bibliothèques sans but lucratif à faire gratuitement des prêts entre bibliothèques, il leur faudra obtenir la permission des titulaires de droits d'auteur, ou encore se procurer des licences d'affranchissement des droits d'auteur, en négociant des ententes de plus en plus coûteuses avec des sociétés collectives de gestion des droits d'auteur.

Les bibliothèques de recherche canadiennes et, par voie de conséquence, les chercheurs canadiens se voient donc désavantagés par rapport à leurs collègues d'autres pays régis par des systèmes juridiques comparables, comme ceux des États-Unis, où la loi permet aux bibliothèques, sans violer le droit d'auteur et pour faciliter la recherche, de faire et d'envoyer une copie d'un article de périodique à des fins d'étude personnelle et de recherche.

Pour être conséquente avec ses positions relatives au prêt entre bibliothèques, l'Association appuie donc les dispositions de l'article 30.2, lequel permettra aux bibliothèques de recherche de perpétuer la tradition de l'échange de leurs ressources d'une nature plus rare avec les usagers d'autres bibliothèques sans but lucratif.

Les dispositions de l'article 30.3 du projet de loi, exonérant les bibliothèques et les institutions dont elles relèvent de toute responsabilité en cas d'utilisation potentiellement illégale de photocopieurs mis à la disposition des usagers dans leurs locaux, à la condition de remplir certaines conditions, ne pourraient être plus sensées.

Les bibliothèques de recherche canadiennes ont prouvé de tout temps qu'elles respectaient le droit d'auteur, et elles jouent souvent auprès de leurs usagers, qu'il s'agisse de créateurs ou d'utilisateurs de documents soumis au droit d'auteur, un rôle de sensibilisation en matière de propriété intellectuelle.

Tous les membres de l'Association des bibliothèques de recherche du Canada détiennent une licence de CANCOPY (Canadian Copyright Licensing Agency). Ils l'affichent près de chaque photocopieur en libre-service et l'accompagnent de renseignements concernant la Loi sur le droit d'auteur et les conditions de la licence de CANCOPY. Loin de renoncer à toute responsabilité quant à l'utilisation de ces machines, nous faisons des efforts constants pour sensibiliser nos professeurs et nos étudiants à l'importance de respecter le droit d'auteur.

Nous croyons savoir que d'autres organismes ont fait opposition, dans les témoignages qu'ils ont présentés au Comité, à l'incorporation dans la loi de presque toutes les exceptions accordées aux établissements d'enseignement, aux bibliothèques et aux services d'archives concernant l'utilisation de documents protégés par le droit d'auteur. Les arguments avancés à l'encontre de l'article 30.2, et particulièrement du paragraphe 30.2(5), généralement désigné comme exception aux fins du prêt entre bibliothèques, méritent d'être commentés par les bibliothèques de recherche.

En un mot, les éditeurs de périodiques savants craignent qu'une exception aux fins du prêt entre bibliothèques ne lèse leurs marchés et leurs revenus. Les bibliothécaires, en revanche, craignent que l'absence de cette exception dans la loi n'entraîne un déclin des échanges de ressources documentaires entre les chercheurs et les institutions, et ceci, au détriment de la recherche et de l'étude personnelle.

Les éditeurs de publications savantes et les associations de titulaires du droit d'auteur invoquent généralement trois motifs pour justifier leur opposition à la présence d'une telle exception dans la loi.

Premièrement, les titulaires de droits d'auteur pensent qu'une telle exception leur causerait des torts économiques, parce qu'ils sont convaincus qu'ils ont droit à une rétribution répétée et permanente pour l'utilisation de droits pourtant concédés la plupart du temps gratuitement par les chercheurs.

Deuxièmement, ils pensent qu'une telle exception permettrait aux bibliothèques de faire concurrence aux titulaires de droits d'auteur.

Troisièmement, ils pensent qu'une telle exception inciterait les bibliothèques à annuler leurs abonnements à des périodiques et à compter de plus en plus sur le prêt entre bibliothèques pour répondre aux besoins de leurs usagers.

Le premier argument, qui est relatif au maintien permanent d'une rétribution, est bien peu convaincant. Les éditeurs de périodiques savants sont déjà rétribués grâce aux tarifs relativement élevés des abonnements annuels, grâce à une structure tarifaire variable qui institue un prix d'abonnement institutionnel fortement supérieur au prix d'abonnement individuel, et grâce à leur politique qui consiste à fixer le prix de base de l'abonnement en tenant compte des annulations dans l'année précédente.

Les membres du comité seront sans doute surpris d'apprendre que, selon les statistiques de l'Association of Research Libraries de Washington, D.C., le prix moyen d'un abonnement à un périodique savant pour une bibliothèque de recherche nord-américaine était, en 1995, de 287 $, et que l'augmentation annuelle moyenne du prix d'un abonnement pour chacune des dix dernières années a été de 11,4 p. 100.

Le deuxième argument couramment utilisé évoque le danger que les bibliothèques fassent concurrence aux titulaires des droits d'auteur. Ceci veut sans doute laisser entendre que certains établissements de recherche pourraient utiliser les investissements de plusieurs millions de dollars ayant servi au cours des années à réunir leurs collections pour se donner une source de revenus en faisant concurrence aux éditeurs de publications savantes. Nous pensons que cette crainte est chimérique et injustifiée.

.2015

Les bibliothèques de recherche, jusque vers les années 70, ont fait leurs prêts entre bibliothèques absolument gratuitement. Ce n'est qu'avec la baisse des subventions que quelques grandes bibliothèques ont tenté de ralentir la demande par l'instauration d'un ticket modérateur, habituellement de 5 $ par prêt.

Ce système a entraîné des variations si imprévisibles dans les courbes de prêts et d'emprunts de documents que la plupart des bibliothèques se sont bientôt vues dans l'obligation d'adopter ce ticket modérateur, maintenant uniforme dans les bibliothèques universitaires de la plupart des provinces.

Il demeure de 5 $ en Ontario, malgré le fait qu'une étude sur le coût du prêt entre bibliothèques menée en 1993 ait révélé que le prix moyen d'un prêt de document entre deux bibliothèques, à l'exclusion du coût d'acquisition, était de 25,32 $ pour la bibliothèque emprunteuse, et de 14,86 $ pour la bibliothèque prêteuse, pour un total de plus de 40 $. Si les bibliothèques de recherche continuent de faire du prêt entre bibliothèques, c'est manifestement pour des raisons de service, non pour des motifs économiques.

Le troisième argument illustre la crainte qu'ont les éditeurs que les ententes inter-universitaires n'incitent les bibliothèques à réduire le nombre de leurs abonnements. Nous ne nions pas que les bibliothèques universitaires diminuent le nombre de leurs abonnements; elles devront même continuer de le faire, parce que les ressources des universités sont en décroissance, et parce qu'elles se rendent compte que plusieurs périodiques savants sont extrêmement peu utilisés.

Dans les années de vaches grasses, les bibliothèques pouvaient se permettre de faire l'acquisition d'un large éventail de périodiques sans égard à leur niveau d'utilisation. Nous n'en sommes malheureusement plus là. Les budgets des universités sont réduits de 15 à 20 p. 100, et les éditeurs ne doivent pas s'étonner que ces compressions aient des effets sur leurs revenus.

Mais aucune bibliothèque n'annule un périodique largement utilisé, et il nous paraît inconcevable qu'elle puisse le faire. Si une bibliothèque universitaire conserve un abonnement à un périodique, c'est parce que ce titre répond à un besoin au moins minimal, à l'intérieur ou à l'extérieur de ses murs. Nous estimons que ni le partage des ressources ni les annulations d'abonnements à des périodiques ne risquent d'entraîner une baisse significative des revenus des éditeurs de périodiques savants.

Je tiens à vous dire en terminant, mesdames et messieurs, que l'Association des bibliothèques de recherche du Canada vous est reconnaissante de lui avoir donné l'occasion de vous faire part de ses réactions au projet de loi C-32. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement est désireux de pousser ces réformes afin de rétablir l'équilibre rompu par l'adoption du projet de loi C-60 il y a plus de huit ans.

Nous croyons que ce projet de loi constitue un compromis juste et raisonnable dans un domaine d'une grande complexité touchant de si près aux intérêts de la nation. Nous croyons que ce compromis permettra de renforcer à la fois l'enseignement et la recherche dans nos universités, ceci pour le bénéfice de tous les Canadiens.

[Français]

Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie aussi les membres du comité.

[Traduction]

Tous mes remerciements à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du Comité.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Hill.

Monsieur Abbott.

M. Abbott: Vous avez eu la bienveillance de nous citer des chiffres, mais je dois avouer que je me pose encore des questions. Je ne comprends toujours pas très bien. Si les bibliothèques et les établissements coopéraient, qu'est-ce qui les empêcherait de s'échanger des publications?

C'est comme lorsqu'on prend l'avion. Un type prend le Toronto Star, un autre le Globe and Mail, et un autre encore le Toronto Sun, puis ils se les échangent.

M. Hill: Il y a une raison pour laquelle les choses ne se passent pas et, à mon avis, ne se passeront probablement jamais ainsi. Le choix des collections étant fonction des programmes d'études universitaires, il va sans dire qu'il est éminemment souhaitable, pour l'enseignement et la recherche, que la documentation soit disponible sur place.

Nous pouvons, au besoin, nous échanger des périodiques et des documents rares. C'est à cela que sert normalement le prêt entre bibliothèques. Mais, comme je l'ai mentionné dans mon exposé, ces prêts entre bibliothèques ne représentent que 2 p. 100 de l'ensemble des prêts de documents. Nos bibliothèques prêtent donc dans une proportion de 98 p. 100 des ouvrages qu'elles ont achetés pour les besoins de leurs propres usagers. Ces statistiques reflètent la réalité.

En raison de la diversité et de l'autonomie des universités canadiennes, il est pratiquement impossible, même en s'y évertuant, de réaliser entre bibliothèques des ententes d'échanges sur une haute échelle. C'est tout simplement impraticable.

.2020

M. Abbott: Compte tenu des progrès en matière de technologie informatique et de tout ce qu'on peut faire sur Internet, par exemple, n'y a-t-il pas lieu de croire que de tels échanges, malgré les obstacles techniques qui les freinent peut-être aujourd'hui, deviendront facilement réalisables d'ici cinq ans?

En fait, une université pourrait fort bien avoir accès à un ouvrage qu'elle ne possède pas sur support papier. L'université A pourrait en être dépositaire et les universités B et C y auraient accès simplement en pressant un bouton.

M. Hill: Vous soulevez là un point très intéressant. Tout cela devient en effet possible sur Internet dans un univers de communications numériques. Ce qui freine les échanges, naturellement, ce sont les contraintes inhérentes à la Loi sur le droit d'auteur. Le projet de loi C-32 traite encore exclusivement des documents sur support papier.

Je sais que le gouvernement a fait savoir qu'il prévoyait une troisième étape, au cours de laquelle on aborderait les questions relatives à la propriété intellectuelle dans un contexte technologique. Ce que vous imaginez est certes possible. Il reste que jusqu'à maintenant - et on peut à mon avis l'affirmer sans ambiguïté - , les bibliothèques de recherche canadiennes se sont méticuleusement employées à prendre garde de ne pas violer les droits d'auteur. Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous respectons le droit d'auteur. Notre clientèle principale, les professeurs et les étudiants, emprunte des documents protégés par le droit d'auteur, mais elle est également titulaire de droits sur des ouvrages qu'elle produit. Nous sommes donc placés entre les deux.

Dans les propos qui ont été tenus un peu plus tôt au cours de la soirée, on a signalé qu'il était très important de sensibiliser tout particulièrement nos étudiants - nos professeurs ont évidemment plus d'expérience - à la nécessité de respecter la Loi sur le droit d'auteur. Au fur et à mesure que sera soulevée la question du respect du droit d'auteur sur l'autoroute de l'information, il sera absolument essentiel de bien comprendre qu'il ne saurait être question que chacun puisse à sa guise y introduire ou y puiser ce que bon lui semble, comme s'il s'agissait d'un libre-service. Notre respect du droit d'auteur va donc jusque là. C'est la loi qui fait qu'actuellement ce genre de problème ne se pose pas.

M. Abbott: Merci beaucoup, monsieur Hill.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney: Bienvenue à notre comité.

Je dois avouer que j'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec vous. Vous aviez parlé de l'une des propositions incluses dans la résolution initiale que nous avons reçue concernant l'utilisation équitable. Vous aviez alors dit que vous déploriez que le principe de l'utilisation équitable à des fins pédagogiques ne soit pas plus précis, comme c'est le cas aux États-Unis et en Australie. Vous aviez fourni certaines explications. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous estimez que cette notion n'est pas claire?

M. Hill: Je vais essayer. Dans notre mémoire au comité, nous avons pesé soigneusement nos mots. Nous déplorons que le principe de l'utilisation équitable ne soit pas plus explicite. À notre avis, le projet de loi C-32 constitue un compromis raisonnable et efficace et il marque l'aboutissement de nombreuses années de réflexion.

Il y a toutefois des éléments que nous aurions aimé voir figurer dans le projet de loi, mais qui n'y sont malheureusement pas. Mais, compte tenu des exceptions consenties aux établissements d'enseignement et aux bibliothèques concernant l'utilisation d'oeuvres protégées par le droit d'auteur, nous souscrivons fermement au projet de loi dans son ensemble, tel qu'actuellement libellé.

La question suscite énormément de débats. Je pense avoir fait valoir les pour et les contre du principe de l'utilisation équitable comme motif de défense à invoquer en cas d'accusation de violation du droit d'auteur. Autrement dit, ces dispositions fournissent des motifs de défense valables. On n'y trouve pas un énoncé d'exceptions, comme dans le code américain, où le principe du droit d'usage équitable est bien défini. Les critères régissant ce droit y sont clairement formulés.

Le milieu des bibliothèques insiste depuis des années pour que l'utilisation équitable soit définie. On semble d'avis - cette opinion n'engage que moi et non notre association - que le principe de l'utilisation équitable se situe à mi-chemin entre le droit d'usage équitable et le motif de défense qu'on peut invoquer en cas d'accusation de violation. Nous le déplorons. Nous souhaitons plus de certitude et c'est peut-être ce que recherche le milieu des bibliothèques. Nos membres sont plus à l'aise dans la certitude.

Je suis personnellement assez convaincu que la loi fournit un argument de défense valable. Il est expressément énoncé à l'article 29 du projet de loi. Compte tenu du grand nombre d'exceptions prévues dans les articles 30 à 33, je pense qu'il s'agit là d'un très bon ensemble de dispositions qui apporte un heureux complément au projet de loi C-60.

.2025

Mme Phinney: Dans votre mémoire, vous mentionnez qu'il faut souvent produire une copie numérique pour obtenir une copie papier. Vous laissez entendre que ce type de reproduction devrait être permis.

Êtes-vous également d'avis que la loi devrait clairement mentionner que la copie numérique ne doit servir que transitoirement et qu'elle doit ensuite être détruite?

M. Hill: Absolument.

Mme Phinney: Seriez-vous d'accord pour qu'une telle précision soit ajoutée?

M. Hill: Oui, certainement.

Mme Phinney: Comment pourrait-on faire respecter une telle disposition?

M. Hill: À ce sujet, reportez-vous aux commentaires que nous avons formulés concernant l'article 30.2 du projet de loi, aux pages 7 et 8 de notre mémoire.

Actuellement, nous utilisons à cette fin la technologie Ariel. C'est celle qui permet la transposition sur support papier d'un document produit sous forme numérique. Le mémoire de l'AUCC - je crois que c'est à la page 11 - est plus explicite que le nôtre à propos de la technologie Ariel.

La protection est garantie, du seul fait que le poste de travail est conçu de manière à ce qu'il soit impossible de garder les documents en mémoire pendant longtemps. Le document existe exclusivement en mémoire à accès direct pour permettre l'impression de la copie papier à la bibliothèque réceptrice. Il serait stupide de garder de tels documents en mémoire, car, à elle seule, la dépense pour l'achat de disques durs suffirait presque à vous acculer à la faillite. Qui plus est, avec la technologie Ariel, il est impossible d'indexer ces documents. La copie électronique n'existe donc que transitoirement, le temps de permettre l'impression du document sur support papier.

Notre association souhaiterait que la loi définisse clairement ces limites, qu'elle précise que cette technologie ne doit servir qu'à la transmission de documents. Ce mode de transmission s'apparente de près à la télécopie. Le document existe pendant un certain temps sous forme numérique, mais cette numérisation ne doit pas servir à acheminer le document vers les postes de travail des usagers ni à produire de multiples copies du document; elle ne vise que la production d'une copie papier à l'autre bout, c'est-à-dire à la bibliothèque réceptrice, pour éviter les retards inhérents à l'utilisation de la poste.

Mme Phinney: Merci.

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric (Cambridge): Monsieur Hill, vous avez dit que vous aviez dépensé l'an dernier près de 120 millions de dollars en achats de volumes, périodiques et autres types de documents. Pourriez-vous être un peu plus précis concernant ces autres documents?

M. Hill: Parmi ces autres documents, il y a, par exemple, des bandes vidéo, des CD-ROM et des documents d'archives. Toutes nos bibliothèques membres possèdent des documents de recherche universitaires archivés. Par exemple, nous avons les archives de Lord Bertrand Russell, qui comprennent des documents sur support autre que papier. C'est ce que nous entendons par autres types de documents: ce sont des documents produits autrement que sur support papier.

M. Peric: Merci.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Je voudrais simplement explorer la question des rapports entre les bibliothèques universitaires et le secteur privé, les bibliothèques à but lucratif, par exemple. Mais j'aimerais d'abord savoir si dans votre exposé et dans les amendements que vous proposez vous incluez la bibliothèque du CNR, l'Institut canadien de l'information scientifique et technique, l'ICIST.

M. Hill: L'ICIST est membre de notre association, mais je ne parle qu'au nom des bibliothèques universitaires. Toutes les statistiques que je vous ai citées se rapportent aux bibliothèques universitaires.

M. Bélanger: L'ICIST n'est pas inclus dans ces statistiques.

M. Hill: Non.

M. Bélanger: Vous dites que 1 p. 100 des articles que vous achetez finissent par faire l'objet de prêts entre bibliothèques. Est-ce exact?

M. Hill: C'est 2 p. 100

M. Bélanger: Combien...

M. Hill: Je m'excuse, vous avez raison. Il s'agit bien de 1 p. 100 des articles que nous achetons.

M. Bélanger: Sur le 1 p. 100 des 275 000 documents faisant l'objet de prêts entre bibliothèques, auriez-vous une idée du nombre de documents qui sont prêtés aux bibliothèques à but lucratif?

M. Hill: Malheureusement, nos bibliothèques ne conservent pas de statistiques à ce sujet. Je serais porté à croire que les prêts aux bibliothèques à but lucratif représentent entre 5 et 10 p. 100 de l'ensemble des prêts entre bibliothèques.

M. Bélanger: Voulez-vous dire 5 p. 100 de 1 p. 100?

M. Hill: Oui.

M. Bélanger: Savez-vous comment sont traités ces documents prêtés aux bibliothèques à but lucratif? Utilisent-elles ces documents pour réaliser des profits?

M. Hill: Je ne le sais vraiment pas.

M. Bélanger: Vous ne le savez pas?

M. Hill: Vraiment pas, non.

M. Bélanger: Nous allons donc devoir trouver ce renseignement ailleurs.

S'agit-il d'une tendance qui va s'accentuant? Y a-t-il de plus en plus de coopération entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques privées, au même titre qu'on observe, par exemple, une augmentation du soutien du secteur privé dans le domaine de la recherche?

.2030

M. Hill: Je ne le croirais pas. Je ne serais pas porté à dire qu'il y a là une tendance croissante. Les prêts entre bibliothèques se font en vertu d'un programme international. Nous prêtons des documents de nos collections aux bibliothèques publiques, aux bibliothèques spécialisées, à toutes sortes de bibliothèques, pourvu qu'il s'agisse de bibliothèques. Nous ne faisons aucune discrimination à l'endroit d'aucune d'elles.

M. Bélanger: Avez-vous une idée du nombre de documents qui sont prêtés par la bibliothèque du CNR? Je crois que c'est une des meilleures au monde, des plus importantes.

M. Hill: Je suis désolé, mais je ne le sais pas.

M. Bélanger: Monsieur le président, j'aimerais bien savoir si cette bibliothèque sera assujettie aux dispositions de ce projet de loi. Je serais curieux de le savoir, s'il est possible d'obtenir ce renseignement.

Le président: Je vois ce que vous voulez dire.

M. Bélanger: Merci. Je n'ai pas d'autres questions.

Le président: Monsieur O'Brien.

M. O'Brien: Les ententes intervenues entre CANCOPY et les universités et collèges s'appliquent-elles aussi aux bibliothèques de ces institutions?

M. Hill: Oui.

M. O'Brien: Dans quelle mesure les ententes que CANCOPY a conclues sont-elles applicables dans le cas des prêts entre bibliothèques?

M. Hill: À l'heure actuelle, nous sommes en train de renégocier la licence. Toutes nos universités détiennent une licence de deux ans. Il y avait, dans le contrat de licence, une mention soulignant que nous ne souscrivions ni à la portée ni à l'interprétation du principe d'utilisation équitable. Le prêt entre bibliothèques est néanmoins expressément visé par la partie A de la licence, qui précise les droits à payer par tête.

En fait, pour en revenir aux commentaires formulés tout à l'heure concernant la technologie Ariel, il est intéressant de mentionner que cette licence inclut une référence expresse à la technologie Ariel comme outil de transmission transitoire permettant de faire des prêts entre bibliothèques. Elle ne semble pas créer de problème pour CANCOPY.

L'an dernier, cette licence a coûté à notre université 40 000 $. Nous avons payé en tout près de 150 000 $ en redevances en vertu de cette licence pour les reprographies faites à notre université. Quand on songe que 55 universités détiennent une telle licence, cela fait beaucoup d'argent.

M. O'Brien: C'est ce que je constate. Merci.

Le président: Monsieur Bélanger.

M. Bélanger: Prévoyez-vous que ces contrats de licence seront maintenus même si ce projet de loi est adopté?

M. Hill: Oui.

M. Bélanger: Merci.

Le président: Messieurs Hill et Mark, merci beaucoup d'avoir eu la bienveillance de venir témoigner devant nous ce soir, de nous avoir communiqué vos connaissances et de nous avoir fait part de vos commentaires. Nous en tiendrons compte dans notre étude du projet de loi.

M. Hill: Merci beaucoup.

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Le président: Nous accueillerons maintenant les représentants de l'Association des musées canadiens, M. John McAvity, directeur général; Mme Maia Sutnik, chef des collections, Musée des Beaux-Arts de l'Ontario; et Mme Barbara Tyler, directrice générale, Collection McMichael d'art canadien.

La parole est à vous.

M. John McAvity (directeur général, Association des musées canadiens): Merci beaucoup. Étant donné qu'il se fait un peu tard, nous allons essayer d'être brefs et précis sur les questions que nous voulons vous soumettre. J'espère que nous y parviendrons.

Notre association représente au Canada plus de 2 000 musées et galeries d'art sans but lucratif. Nous avons participé activement aux discussions sur la question des droits d'auteur au cours de la première étape de la réforme et nous avons saisi toutes les occasions qui nous ont été données pour faire valoir nos points de vue préalablement à la rédaction de ce projet de loi.

Nous tenons à dire au départ que nous souscrivons aux propos tenus par la ministre du Patrimoine canadien lors de sa récente comparution devant vous. Nous croyons nous aussi que ce projet de loi vise à assurer un équilibre entre les droits légitimes des titulaires de droits d'auteur et ceux de certains organismes publics qui utilisent leurs oeuvres à des fins non lucratives. La Loi sur le droit d'auteur ne vise pas uniquement à accorder des droits à un groupe; elle veille aussi à la protection des intérêts du public en général. Ce principe d'équilibre est à la racine même de toutes les considérations concernant la Loi sur le droit d'auteur.

Nos musées sont parfaitement en mesure de refléter cet équilibre. Nous sommes nous-mêmes détenteurs de droits d'auteur pour nos collections, et nous avons également pour mandat de permettre au public d'y accéder librement à des fins éducatives.

Nous vous répétons que nous appuyons dans toute leur portée les propositions de modifications contenues dans ce projet de loi, mais nous désirons néanmoins vous suggérer quelques moyens de les améliorer.

Je n'entrerai pas dans les détails de nos recommandations; je vais me contenter d'en souligner les principaux aspects.

Premièrement, même si les musées remplissent bon nombre de fonctions similaires à celles dont s'acquittent les établissements d'enseignement, ce projet de loi ne les reconnaît toutefois pas comme des établissements d'enseignement. Nous vous demandons donc de proposer un amendement dans le but de corriger cette malheureuse omission. En annexe au texte que je suis en train de vous lire, vous trouverez le libellé de la modification que nous proposons d'apporter à la définition de l'expression « établissements d'enseignement » pour y inclure les musées.

Deuxièmement, les exceptions prévues dans le cas des bibliothèques, des services d'archives et des musées sont très limitées dans le cas des musées. Vous avez entendu ce soir les porte-parole des bibliothèques et des services d'archives, qui ont chacun leurs revendications particulières. Nous tenons à ajouter que nous aussi nous sommes un groupe très distinct.

Il doit y avoir quelque 13 pages d'exceptions dans ce projet de loi, mais, à notre avis, il n'y en a en réalité qu'une exception qui présente en réalité un certain intérêt pour les musées, et c'est celle portant sur l'autorisation de faire des copies à des fins internes liées à la tenue de dossiers - polices d'assurance, enquêtes policières ou restauration. Pour nous, c'est une exemption très sensée et minimale.

Nous avons décrit dans notre mémoire plusieurs domaines où des exemptions pourraient être accordées - planification, expositions, utilisation de reproductions lorsque les originaux sont trop fragiles, etc. Aucune de ces améliorations ne porterait atteinte aux droits économiques des artistes.

Troisièmement, nous avons signalé la nécessité de prévoir une disposition concernant les titulaires introuvables de droits de présentation. Le droit de présentation a été inséré dans les modifications apportées à la loi en 1987. Occasionnellement, l'impossibilité de retracer le titulaire du droit d'auteur pose problème. Elle en posera davantage dans un avenir prochain si la question n'est pas résolue dans le cadre de cet examen législatif. Il en va aussi de l'intérêt des artistes d'avoir une telle clause dans ce projet de loi.

Le dernier point important que nous abordons dans notre mémoire concerne ce qu'on appelle le droit réversif, qui, selon nous, aurait dû être abrogé à l'occasion de ce projet de loi. Les dispositions de la loi actuelle rendent nulle toute entente conclue avec les cessionnaires au 25e anniversaire du décès du créateur plutôt qu'au moment de l'extinction du droit. Nous ne voyons pas la nécessité de maintenir cette disposition.

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L'Association des musées canadiens appuie fermement les efforts qui ont été déployés pour protéger les intérêts de nos artistes et autres titulaires de droits d'auteur. Nous ne pouvons que souscrire allègrement aux principes qui sous-tendent la protection du droit d'auteur, car nous rémunérons les artistes pour leurs oeuvres depuis un bon moment, depuis bien avant que des modifications soient apportées à la loi lors de la première réforme.

Permettez-moi d'ajouter que nous avons parrainé l'an dernier une série de huit ou dix séminaires et séances de consultations qui ont été organisés aux quatre coins du pays pour mieux sensibiliser nos membres et les aider à appliquer la Loi sur le droit d'auteur. Nous avons également profité de l'occasion pour sonder leur opinion à propos des principes sur lesquels devait reposer ce projet de loi. Nos membres ont donc été consultés.

Nous demandons néanmoins que des dispositions soient prévues pour éviter que nous soyons empêchés de faire notre travail de sensibilisation auprès public canadien à propos de la richesse et de la variété des collections que nous détenons en fiducie au nom des Canadiens.

Merci beaucoup. Nous serons maintenant heureux de répondre à vos questions. Je vous promets que mes deux collègues participeront à cet échange de questions et de réponses.

Le président: Merci de votre exposé très concis, monsieur McAvity.

Monsieur Peric.

M. Peric: Monsieur McAvity, vous mentionnez dans votre exposé que les musées jouent un rôle qui s'apparente à celui des établissements d'enseignement. Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon les musées jouent ce rôle et pourquoi cet aspect de leurs fonctions devrait être reconnu dans le projet de loi?

M. McAvity: Il y a des siècles que les musées sont considérés comme des établissements d'enseignement - peut-être pas des établissements d'enseignement avec un grand E, mais avec un petit e. Au cours du 20e siècle, leurs programmes éducatifs sont devenus de plus en plus innovateurs.

De nombreux groupes scolaires visitent nos musées. Ces visites ne se ramènent pas, pour les élèves, à une simple sortie en groupe ou à une occasion de participer à une activité qui sort de l'ordinaire. Les musées offrent maintenant des programmes éducatifs bien structurés, qui sont étroitement liés aux matières scolaires. Il n'est pas rare que nous prêtions à des écoles des reproductions ou copies exactes de nos pièces originales pour qu'elles soient présentées aux élèves dans leur classe même. Nous avons déjà apporté des pièces d'exposition dans des boîtes de carton et organisé toutes sortes d'activités vraiment peu coûteuses.

Les activités éducatives figurent depuis longtemps au premier plan de la mission des musées. Nous avons à notre emploi des éducateurs ainsi que des muséologues qui veillent à ce qu'une sortie au musée soit une expérience enrichissante pour tout visiteur, naturellement, mais qui conçoivent également des visites guidées adaptées aux groupes scolaires.

Mme Barbara Tyler (Association des musées canadiens): Ce que nous voyons de plus en plus de nos jours, et singulièrement en Ontario où l'on a institué le programme scolaire commun, c'est une dépendance croissante des écoles à l'endroit des musées, notamment des musées d'arts plastiques, en raison des ressources qu'on y trouve. Le programme scolaire commun est une source de problèmes pour les enseignants qui ont parfois de la difficulté à trouver les ressources nécessaires à l'application du programme. Les autres provinces observent de très près ce qui se fait en Ontario à cet égard. De plus en plus d'étudiants viennent visiter nos musées, et, même sur le plan des moyens électroniques, nous sommes fort bien placés pour leur transmettre de la documentation.

Nos activités éducatives sont vraiment conçues pour s'intégrer au programme scolaire, et nombre d'enseignants en font profiter leurs élèves. En outre, au fur et à mesure que le réseau Internet prend de l'ampleur et pénètre dans les écoles, on fait de plus en plus appel à nous.

J'ajouterai également que notre objectif est de faciliter la recherche, la production à l'interne du matériel dont notre clientèle a besoin, sans toutefois priver les créateurs de gains financiers ou économiques. Pour nous, cela va de soi. Nous voulons tout au plus être en mesure de nous donner nous-mêmes les outils pour bien accueillir les groupes scolaires qui visitent nos musées et pour pouvoir présenter éventuellement les pièces dont nous sommes dépositaires à l'aide de moyens électroniques modernes.

M. Peric: Voulez-vous dire que si la modification que vous proposez se retrouve dans la nouvelle loi et que vous êtes reconnus comme établissements d'enseignement, vous ne demanderez pas d'aide supplémentaire au gouvernement?

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Mme Tyler: Pas d'autre que celle que nous demandons déjà.

Des voix: Oh!

M. Peric: Croyez-vous que les établissements d'enseignement actuellement reconnus souscriraient à votre thèse et à vos explications concernant les raisons qui pourraient justifier qu'aux termes de la nouvelle loi les musées soient considérés comme des établissements d'enseignement?

M. McAvity: Je l'espère. Les musées maintiennent depuis fort longtemps des liens solides avec les écoles, les collèges et les universités.

En demandant que les musées soient considérés comme des établissements d'enseignement, nous voulons simplement pouvoir continuer de remplir diverses fonctions fondamentales qui, si ce projet de loi était adopté tel quel, nous seraient interdites. Par exemple, étant donné que ce que les musées ont à offrir s'adresse à l'oeil, nous donnons souvent des conférences où des oeuvres sont projetées sur diapositives. Nous ne pourrons plus le faire si le projet de loi n'est pas modifié. Nous violerions la Loi sur le droit d'auteur. C'est aussi simple que cela.

Les musées se servent fréquemment de blocs de conférence pour présenter des reproductions, des illustrations ou des textes qu'ils conçoivent spécialement pour ce genre d'utilisation. Nous ne pourrions plus le faire, contrairement aux établissements d'enseignement à qui cette activité serait permise. Essentiellement, malgré les nombreuses heures que nous avons passées à en discuter dans des réunions, ce projet de loi, dont nous reconnaissons par ailleurs les mérites, ne nous accorde en réalité qu'une exception - la possibilité de faire des reproductions à des fins internes liées à la tenue de dossiers. On ne saurait rien imaginer de plus élémentaire. Tout ce que nous demandons, c'est de pouvoir accomplir certaines fonctions qui constituent des compléments normaux à nos activités professionnelles ordinaires, courantes.

Mme Maia Sutnik (Association des musées canadiens): Je tiens à ajouter que nous accueillons plus de 35 000 étudiants par année scolaire. Ce chiffre ne tient pas compte des étudiants universitaires et autres; il n'inclut que les élèves du secondaire. Nous préparons à leur intention une visite d'orientation, qui souvent comporte la projection de diapositives ou une description schématique pour les familiariser avec le musée. Ce projet de loi prévoit des limitations et des restrictions qui rendraient cette activité illégale. Pourtant, en vertu des dispositions régissant les activités des établissements d'enseignement, un professeur d'université pourra, par exemple, projeter dans sa salle de classe des diapositives, quelle qu'en soit la provenance. Si les propositions du projet de loi sont adoptées, une telle pratique sera permise.

Nous demandons donc un juste équilibre entre ces deux types d'établissements.

M. Peric: Très bien.

Le président: Madame Phinney.

Mme Phinney: Vous parliez de vos activités d'organisation interne, de vos fonctions de gestion non commerciales. Dans votre mémoire, vous parlez d'« aménagement de salles ». Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par là, et comment vous contrôlez le nombre de copies qui sont faites?

M. McAvity: Souvent, quand un musée prévoit une installation dans une galerie d'art... Par exemple, une exposition d'oeuvres de Renoir sera présentée ici, au Musée des Beaux-arts, en juin prochain. On préparera une maquette, un modèle réduit en carton, montrant l'aménagement de la salle. Pour placer les tableaux, on utilisera des photographies ou des photocopies réalisées sur du papier ordinaire pour faciliter la conception de l'aménagement de la salle et la disposition des oeuvres d'art. Cette activité constituerait une violation du droit d'auteur.

Mme Tyler: Et il en irait de même pour toutes sortes d'autres activités, comme la conception, avant publication, du matériel éducatif qu'on pourrait vouloir utiliser pour des visites de groupe. On n'en est encore qu'à l'étape de la conception de matériel destiné à être publié. Il faudrait aussi se servir de copies pour concevoir ce qu'on entend produire sur support électronique. De toute évidence, il s'agit là d'activités de recherche. On manipule les images jusqu'à ce qu'on obtienne un résultat satisfaisant, mais on ne viole nullement pour autant les droits des artistes. Ce n'est qu'une fois qu'on a réalisé le produit définitif qu'on doit obtenir l'autorisation du titulaire du droit d'auteur, puis payer des redevances, etc.

Mme Phinney: Merci.

Le président: Vous avez entendu les témoins précédents parler de la distinction entre les services d'archives à but lucratif et ceux sans but lucratif et du fait que... Mais dans les musées, je suppose, il y a une nette distinction entre les établissements à but lucratif et les établissements sans but lucratif.

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M. McAvity: C'est juste, mais quant à nous, nous ne nous intéressons qu'aux établissements sans but lucratif. En fait, l'immense majorité d'entre eux, probablement 99,9 p. 100, sont des organismes de bienfaisance reconnus.

Les quelques musées à but lucratif qui existent ne sont pas vraiment, à notre avis, de calibre professionnel au sens où nous l'entendons. Ce sont les musées de cire, comme celui de Niagara Falls, ou d'autres attractions du même genre. Nous allons les laisser défendre eux-mêmes leur cause. Nous parlons au nom des établissements sans but lucratif dont la seule mission est de servir les intérêts de la population.

Le président: En ce qui concerne les musées qui sont visés par la nouvelle loi, je présume qu'au Canada la très grande majorité d'entre eux sont des musées sans but lucratif. Existe-t-il des musées à but lucratif qui se comparent aux musées qui sont sous votre responsabilité et que vous connaissez?

M. McAvity: Il n'y aurait que ceux du genre des musées de cire. Quant au parallèle que vous faites avec les services d'archives, bon nombre de sociétés privées possèdent des collections. Certaines d'entre elles établissent leur propre musée, ce qui est plutôt rare. Mais il s'agit alors d'un musée qui a une structure juridique différente de celle des services d'archives. Je ne devrais pas parler en leur nom, mais je crois qu'on les considère comme des entités organisationnelles.

Un musée est généralement une entité juridique autonome. Par exemple, la société pharmaceutique Ortho possède un musée, mais ce musée a sa propre entité juridique. La Banque Toronto-Dominion a une collection d'oeuvres d'art, mais sa galerie est, sauf erreur, une entité juridique à part.

C'est la tendance que nous observons. Pour autant qu'il s'agisse d'un organisme sans but lucratif ayant son propre conseil des gouverneurs et ses propres lettres patentes - il s'agit habituellement d'un organisme de bienfaisance, ce qui, à notre avis, fait toute la différence - , nous le reconnaissons comme musée sans but lucratif.

Le président: Très bien.

En ce qui concerne les titulaires introuvables de droits de présentation, vous dites que ce problème s'aggravera considérablement si la question n'est pas résolue dans le projet de loi. Pourriez-vous nous donner de plus amples explications pour nous permettre de bien saisir ce que vous voulez dire?

M. McAvity: D'abord, le droit de présentation est un droit qui est reconnu depuis le 7 juin 1988. Ce droit permet à l'artiste non seulement d'être rétribué, mais aussi, selon notre interprétation, d'avoir voix au chapitre concernant la présentation de ses oeuvres.

Un musée qui possède dans sa collection permanente des oeuvres d'art créées après cette date, c'est-à-dire après 1988, devra donc rétribuer les artistes qui en sont les auteurs. Très bien. Non seulement nous ne nous sommes jamais opposés à cette règle, mais nous l'appliquions déjà volontairement avant même qu'elle nous soit imposée par la loi. C'est la latitude que cette disposition pourrait enlever au conservateur du musée ou l'incidence qu'elle pourrait avoir sur son rôle qui nous inquiètent.

Deuxièmement, puisque ce droit ne s'applique qu'aux oeuvres produites après 1988, le nombre d'oeuvres visées ne pourra aller que s'accroissant. S'il est impossible de trouver ou de retracer l'artiste chaque fois qu'il faut négocier une autorisation - à moins qu'il ne soit membre d'une société de gestion collective - , nous aurons beaucoup de mal à pouvoir exposer ses oeuvres, qu'elles fassent partie de collections permanentes ou non.

Nous recommandons donc qu'une disposition similaire à d'autres du même genre déjà prévues soit incluse dans le projet de loi pour que les musées puissent s'adresser à la Commission du droit d'auteur pour lui remettre les sommes dues aux artistes et obtenir l'autorisation d'exposer leurs oeuvres. Nous estimons qu'il s'agit là d'une bombe à retardement. C'est un droit obscur qui n'est pas très bien connu. Nous craignons qu'il n'engendre un problème administratif. Nous voulons simplement éviter cela.

Le président: Êtes-vous déjà aux prises avec ce problème, ou ne faites-vous que l'appréhender?

Mme Sutnik: Je dirais que c'est un problème auquel nous avons déjà eu à faire face, pas tellement avec des peintres et des sculpteurs, qui sont des artistes qu'on peut plus facilement retracer, mais surtout avec des vidéastes. Nous avons dans nos fonds des créations vidéos dont l'auteur est disparu. Nous avons perdu la trace de ces créateurs. Nous leur avons fait parvenir des chèques, mais ils nous ont été retournés. Nous nous sommes même adressés aux gens du milieu dans nos efforts pour les retracer, mais nul ne sait où ils se trouvent.

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Donc, nous avons dans nos fonds ou dans nos collections des oeuvres que nous possédons de droit, mais que nous ne pouvons pas exposer à cause du droit de présentation.

Le président: Je vois.

Merci beaucoup d'avoir accepté de comparaître devant nous ce soir. Nous avons vivement apprécié vos témoignages, malgré l'heure tardive.

La séance est levée.

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