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HESA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la santé


NUMÉRO 022 
l
1re SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 20 mai 2020

[Énregistrement électronique]

  (1615)  

[Traduction]

    Je vous souhaite la bienvenue à la 22e réunion du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes. Conformément aux ordres de renvoi des 11 et 20 avril 2020, le Comité se réunit pour entendre des témoignages concernant les mesures prises par le gouvernement en réponse à la pandémie de COVID-19.
    Afin de faciliter le travail de nos interprètes et d'assurer le bon déroulement de la réunion, je vais vous donner quelques règles à suivre.
    Premièrement, l'interprétation pour cette vidéoconférence va fonctionner dans une large mesure comme pour toutes les réunions du Comité. Au bas de votre écran, vous avez le choix entre « parquet », « anglais » et « français ». Veuillez parler lentement et tenir votre microphone près de votre bouche.
    Si vous avez l'intention de parler dans les deux langues officielles, assurez-vous de sélectionner la langue que vous voulez utiliser avant de parler. Par exemple, si vous voulez parler en anglais, choisissez le canal anglais et parlez. Cela garantira une meilleure qualité de son pour l'interprétation.
    Avant de parler, veuillez attendre que je vous nomme. Chacun indiquera à qui il adresse ses questions. Quand vous êtes prêts à parler, cliquez sur l'icône du microphone afin d'activer votre micro. Un membre du Comité qui veut demander la parole à un moment autre que celui prévu pour ses questions doit activer son microphone et dire qu'il invoque le Règlement.
    Je vous rappelle que toutes les interventions des députés et des témoins doivent être communiquées par l'entremise de la présidence. En cas de difficultés techniques, alertez sans tarder le président ou la greffière, et notre équipe technique se chargera de faire le nécessaire. Il est possible que nous devions alors interrompre la séance pour que l'on puisse apporter les correctifs requis.
    Avant que nous commencions, je vous demande de bien vouloir cliquer dans le coin supérieur droit de votre écran si vous utilisez un ordinateur. Vous avez un choix entre les options Affichage de l'intervenant actif et Vue Galerie. Cette dernière option permet à chacun de voir tous les autres participants en mode vidéo.
    Je veux maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui. Chacun aura droit à 10 minutes pour nous présenter ses observations préliminaires après quoi suivront comme à l'habitude les questions des membres du Comité. Nous accueillons d'abord M. Amir Attaran, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa qui comparaît à titre personnel. C'est également à titre personnel que témoignent le Dr David Fisman, professeur en épidémiologie à l'Université de Toronto, ainsi que le Dr Richard Schabas, ancien médecin hygiéniste en chef de l'Ontario. Nous recevons par ailleurs le Dr Kamran Khan, président-directeur général et fondateur de BlueDot; et M. Vito Ciciretto, président-directeur général de Dynacare.
    Bienvenue à tous et merci d'être des nôtres aujourd'hui.
    Nous allons d'abord entendre M. Attaran. Bienvenue encore une fois. Vous avez 10 minutes.
    Mesdames et messieurs, bonjour. Merci de m'avoir invité encore une fois à comparaître devant le comité de la santé. J'espère que vous vous portez bien.
    Je suis désolé, monsieur le président, mais l'interprétation se superpose à l'anglais.
    Monsieur Attaran, avez-vous sélectionné la bonne langue? Il faut que vous choisissiez la langue dans laquelle vous vous exprimez.
    Je suis désolé; j'avais oublié. Recommençons du début.
    Merci.
    Mesdames et messieurs, bonjour.
    Merci de m'avoir invité à comparaître encore une fois devant le comité de la santé. J'espère que vous vous portez bien et que vos familles sont à l'abri du danger.
    Lorsque nous nous sommes parlé la dernière fois, le Canada était en plein confinement et je tentais de vous expliquer comment nous allions pouvoir en sortir. Je vous ai proposé un plan d'action pour mettre fin progressivement au confinement. Ce plan d'action demeure valide. La démarche commence par un confinement national pour stopper presque complètement la transmission de la maladie, et s'accompagne d'une intensification marquée des activités de dépistage et de recherche des contacts qui doivent tout au moins décuplés, le tout suivi d'une série de réouvertures graduelles et de minivagues d'infection bien calibrées grâce aux modèles de prévision de la contamination et aux tests de dépistage dans le but de minimiser les décès. Voilà une stratégie fondamentale qui fait l'unanimité chez les experts en la matière.
    Je vous ai dit qu'il serait long et difficile de mener à terme ce plan d'action en vous assurant toutefois qu'il y avait de la lumière au bout de ce tunnel. Quelques semaines ont passé, et je dois malheureusement vous avouer aujourd'hui que cette lumière semble plus faible que ce que j'avais imaginé, non pas en raison de considérations scientifiques, mais bien pour des motifs politiques au titre desquels vous pourriez intervenir.
    Comme vous le savez, la reprise des activités se passe bien dans des pays comme l'Australie, le Danemark, la Nouvelle-Zélande et la Norvège. Pendant ce temps-là, le Canada semble en quelque sorte agir à l'aveuglette parce que les gouvernements provinciaux et fédéral n'ont pas encore réussi à régler leur grave problème de coopération déficiente pour la mise en commun et l'analyse des données épidémiologiques. En l'absence d'une analyse suffisante de ces données, de nombreux experts estiment que le déconfinement arrive trop rapidement dans des endroits comme Toronto, ce qui entraînera des pertes de vie que l'on aurait pu éviter, et survient trop tard ailleurs au pays, comme à Kingston ou dans les Maritimes, après avoir paralysé l'économie et fait grimper le déficit en flèche. Ce n'est pas une bonne chose.
    Je veux aujourd'hui remettre les pendules à l'heure en toute franchise, contrairement à ce qu'on fait hier les Dres Tam et Nemer. J'ai, en effet, trouvé désolantes et frustrantes les réponses évasives et parfois volontairement vagues qu'elles ont données alors que bon nombre d'entre vous ont posé d'excellentes questions. N'hésitez pas à me poser les mêmes questions, et je m'engage à essayer d'y répondre de mon mieux.
    Commençons donc par quelques données et la grande question du jour: Est-ce que le Canada est vraiment en train d'aplanir la courbe? La réponse est oui et non.
    De nombreux Canadiens pensent que nous nous tirons bien d'affaire parce que nous faisons mieux que les États-Unis, un pays qui n'a pas de système de santé publique; un pays où l'on entend des voix nier haut et fort l'existence même de la COVID-19; un pays qui est dirigé par un président qui recommande que les gens s'injectent de l'eau de javel. De toute évidence, les Américains ne sont pas pour nous une bonne base de comparaison. Il serait préférable de comparer la situation au Canada avec celle d'autres pays bien nantis, tout particulièrement des confédérations parce qu'elles doivent également composer avec les complications découlant des relations fédérales-provinciales.
    Je vous prierais maintenant de jeter un coup d’œil sur l'un des deux graphiques que j'ai transmis à votre comité, soit celui où l'on peut voir des courbes.
    Ce graphique présente l'évolution des cas confirmés de COVID-19 en fonction de la population à compter du jour où un pays excède le seuil d'un cas par million d'habitants. Le Canada a été le dernier pays à devoir affronter la COVID-19. C'est une chance pour nous, car cela nous a procuré du temps supplémentaire pour nous préparer en plus de nous permettre de tirer des enseignements de l'expérience des autres. Grâce à ces avantages, notre crête d'infection a été moins élevée qu'ailleurs. Pour ce qui est toutefois de faire redescendre la courbe, nos résultats sont médiocres. Contrairement à la chute rapide que l'on peut observer pour la France, l'Allemagne, l'Espagne ou la Suisse, malgré une crête plus élevée atteinte plus rapidement qu'au Canada, notre courbe ressemble davantage à un plateau avec des ondulations l'amenant très progressivement vers le bas comme une pente de ski pour débutants. Ainsi, le nombre de cas confirmés pour la journée du 18 mai était le même que celui enregistré le 4 avril. Entre ces deux dates se sont écoulées des semaines de gaspillage de temps, de vies et d'argent, les pertes se chiffrant dans ce dernier cas à 12 milliards de dollars par semaine au niveau macroéconomique.

  (1620)  

    J'estime que c'est avec l'Australie que les comparaisons sont les plus intéressantes. Elles permettent de conclure que le Canada aurait pu faire mieux. L'Australie est une grande confédération d'États, un peu à l'image de nos provinces, et a franchi le seuil d'un cas par million d'habitants une journée à peine avant que nous le fassions. Autrement dit, nous sommes partis sur le même pied, mais, plutôt que de tergiverser, l'Australie a pris sans tarder les grands moyens pour aplatir sa courbe. Ses résultats sont presque aussi impressionnants que ceux de la Corée du Sud que bien des gens considèrent comme le pays qui a le mieux fait au monde. L'Australie est maintenant en plein processus de réouverture alors que ce n'est pas notre cas, un constat d'échec qui s'accompagne pour nous de coûts astronomiques. La prochaine fois que vous entendrez le premier ministre ou la Dre Tam prétendre que le Canada est en train d'aplanir la courbe, vous pourrez vous montrer un peu sceptiques. En tout cas plus sceptiques que vous l'avez été jusqu'ici.
    Parlons maintenant du dépistage. Presque tout le monde vous a dit que le Canada fait piètre figure en la matière et qu'il faut absolument faire un plus grand nombre de tests plus rapidement si l'on veut permettre une reprise des activités sans mettre inutilement en danger la vie des Canadiens. L'objectif scientifique ne se limite pas au dépistage auprès de ceux qui ont des symptômes. On souhaite aussi multiplier les tests chez les personnes vulnérables et celles qui auraient pu être en contact avec un malade de manière à pouvoir les isoler pendant 14 jours et à tuer ainsi les éclosions dans l’œuf. Malgré tout, le nombre de tests de dépistage effectués au Canada demeure dramatiquement insuffisant, surtout en Ontario et au Québec.
    Le graphique à barres que j'ai fourni au Comité illustre le rapport entre le nombre total de tests de dépistage de la COVID-19 et le nombre de ceux qui ont donné un résultat positif. Plus ce ratio est élevé, meilleures sont les chances de détecter les cas d'infection et d'éviter les éclosions. À partir du moment où un pays décide de ne pas se préoccuper du coût du dépistage — ce qu'il ne devrait pas faire, car ce coût est nettement inférieur à celui des hospitalisations ou du confinement —, il est nettement préférable qu'il effectue trop de tests, plutôt que pas assez.
    Suivant cette mesure du dépistage, le Canada accuse un retard non seulement par rapport aux pays qui se tirent le mieux d'affaire comme l'Australie et la Corée du Sud, mais aussi en comparaison de l'Éthiopie, du Rwanda, du Kenya, de Cuba et du Ghana. Nous sommes tellement radins en matière de dépistage que même des pays pauvres d'Afrique nous dépassent. Les Africains font également mieux que nous pour ce qui est de la recherche des contacts. Il est vraiment honteux pour des villes comme Montréal et Toronto de constater tout ce qui se fait au niveau du dépistage et du traçage des contacts à Addis-Abeba.
    Le mythe de la compétence et de l'efficacité du Canada en prend pour son rhume lorsqu'il se fait ainsi devancer par les pays les plus pauvres de la planète. Cela ne peut pas être justifié par le fait que le Canada ne peut pas compter sur les scientifiques, les laboratoires, l'équipement ou les produits chimiques que l'on retrouve en Afrique. Notre échec s'explique plutôt par la cupidité et la stupidité de certains gouvernements, ce qui m'amène à reprendre mon rôle de constitutionnaliste pour parler du fédéralisme. Comme le disent si bien les avocats américains, la Constitution n'est pas un pacte de suicide. J'ai toutefois bien peur, mesdames et messieurs, que nos relations fédérales-provinciales telles que nous les concevons habituellement puissent devenir l'équivalent d'un pacte de suicide pendant une pandémie aussi dévastatrice.
    À mon sens, nos interventions dans le contexte de la pandémie actuelle sont surtout fondamentalement entravées par une perception mythique et clivante du fédéralisme. Ainsi, lorsqu'une province ne veut pas communiquer ses données épidémiologiques ou n'en fait pas suffisamment en matière de dépistage, nous haussons collectivement les épaules en marmonnant que la santé est de compétence provinciale, mais nous faisons fausse route. Je peux vous dire en ma qualité de constitutionnaliste que la santé est en fait une responsabilité partagée entre le fédéral et les provinces. La Cour suprême a d'ailleurs été très claire à ce sujet en déclarant : « La santé est un domaine qui relève à la fois des provinces et du fédéral. » C'est notre Cour suprême qui a affirmé cela, et elle a tout à fait raison.
    Je crois qu'il est bon que le gouvernement fédéral laisse les provinces diriger leurs propres affaires, et que c'est normalement ainsi que les choses devraient se passer, mais je vous dirais qu'il n'y a plus rien de normal lorsqu'une pandémie frappe. Il y a un point à compter duquel le gouvernement fédéral n'a d'autre choix que d'intervenir. C'est à partir du moment où des Canadiens perdent la vie en raison des actions menées par les gouvernements provinciaux. Si notre pays ne peut pas faire montre d'une telle flexibilité une fois en 100 ans, je conviens que nous sommes effectivement en train de transformer la Constitution canadienne en pacte de suicide.
    Je sais que les propos que je viens de tenir vont être extrêmement controversés. J'en suis désolé, mais j'aime profondément ce pays et je ne peux pas passer sous silence des erreurs aussi grossières qui coûtent la vie à autant de mes concitoyens.

  (1625)  

    Permettez-moi de conclure avec trois recommandations.
    Premièrement, le Parlement doit exercer des pressions sur le Cabinet pour qu'il prenne des mesures juridiques afin d'obliger les provinces à communiquer leurs données épidémiologiques. Ce sont les données dont les scientifiques comme les Drs Fisman et Khan ont absolument besoin pour que vous et moi puissions aller, avec nos proches, jusqu'au bout de ce déconfinement sans que notre vie soit mise en péril. Le Parlement confère au Cabinet le pouvoir d'exiger la communication de données en application de l'article 5 de la Loi sur l'Agence de la santé publique du Canada, mais le premier ministre n'a pas utilisé ce pouvoir. C'est franchement pathétique.
    Deuxièmement, il faut exiger de l'Agence de la santé publique du Canada qu'elle établisse des normes minimales pour des activités comme le dépistage. Nous ne pouvons pas continuer à accuser du retard par rapport à l'Afrique. Voyons donc! Ce n'est que la semaine dernière que le premier ministre a finalement proposé une stratégie nationale en matière de dépistage. C'est beaucoup trop tard. C'est maintenant que nous en avons besoin.
    Monsieur Attaran, vous en êtes à 11 minutes déjà. Auriez-vous l'obligeance de conclure?
    Certainement.
    Troisièmement, il faut signer un accord avec les provinces pour s'assurer que tous coopèrent pendant cette pandémie. En Australie, le premier ministre et les premiers ministres des États ont signé un accord sur la COVID-19 le 13 mars, et les Vikings australiens sont venus à bout de cet envahisseur.
    Il est inconcevable que deux mois plus tard les gouvernements canadiens n'aient toujours pas conclu d'entente concernant la COVID-19.
    Je vais en rester là pour l'instant en espérant que ces quelques suggestions seront accueillies dans le même esprit qui les motive. Il ne s'agit pas de sacrifier quelque vache sacrée que ce soit, mais bien de sauver la vie de nos chers concitoyens canadiens.
    Merci de votre attention.

  (1630)  

    Merci, monsieur Attaran.
    Nous passons maintenant au Dr Fisman.
    À vous la parole pour les 10 prochaines minutes.
    Honorables membres du Comité, je vous remercie de m'accorder le privilège de comparaître devant vous.
    Ces derniers mois, notre pays s'est retrouvé devant des défis extraordinaires. Je peux vous dire que ces défis ont bouleversé tous les aspects de ma vie professionnelle d'épidémiologiste et d'interniste et de ma vie personnelle de père de famille. Je n'ai pas pu prendre mes enfants dans mes bras depuis la mi-mars. J'ai vu des patients être admis à l'hôpital avec de légères difficultés respiratoires pour être amenés en fauteuil roulant à l'unité des soins intensifs à peine 72 heures plus tard. J'ai des collègues qui ont soigné des couples mariés et qui ont dû annoncer au conjoint survivant le décès de son partenaire en faisant leur tournée clinique. J'ai eu la satisfaction de voir notre travail de modélisation influer sur les décisions stratégiques qui ont été prises, mais j'ai aussi dû constater avec consternation que des données épidémiologiques étaient mal interprétées, utilisées à mauvais escient et dénaturées à des fins politiques, économiques et sociales.
    Ces difficultés avec lesquelles j'ai dû composer ne sont rien à côté de celles éprouvées par de nombreux Canadiens comme ceux qui ont perdu leur emploi ou qui pleurent le départ d'un être cher, souvent sans avoir eu la chance de lui tenir la main ou de lui faire leurs adieux. Elles n'ont rien à voir non plus avec les défis que doivent relever au quotidien ceux qui accomplissent un travail essentiel en subissant la pression de leur employeur sans toutefois avoir accès à un équipement de protection individuelle adéquat. Nous avons été témoins du leadership extraordinaire des autorités de la santé publique partout au pays. Je tiens notamment à souligner les messages clairs et compatissants transmis par les Drs Henry, Hinshaw et Tam.
    Nous avons par ailleurs fait les frais d'un leadership moins senti dans d'autres provinces. Je note tout particulièrement le travail des responsables ontariens de la santé publique, qui ont été incapables d'agir avec la rapidité et le courage nécessaires pour enrayer la propagation de la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée, d'expliquer clairement aux gens que la maladie se répandait dans nos communautés dès le début mars, et de se tenir au fait des meilleures données épidémiologiques disponibles quant à des enjeux importants comme les risques de transmission de la maladie par des individus présentant peu ou pas de symptômes.
    Nous avons donc effectivement eu de nombreux défis à relever. Nous y sommes parvenus dans certains cas, mais pas dans d'autres. Chaque matin, les membres de mon groupe préparent des prévisions pour plusieurs de nos collègues fédéraux et provinciaux. Nous avons ainsi pu documenter au Canada un indice de propagation de l'épidémie inférieur à un depuis environ le 9 mai. C'est un signe encourageant. L'indice de propagation d'une épidémie, soit le nombre de nouveaux cas causés par un cas existant, nous permet de savoir si elle est en croissance ou en déclin. Le maintien d'un indice de propagation inférieur à un nous laisse croire que la première vague de la pandémie de COVID-19 tire à sa fin au Canada.
    Je juge préoccupante l'interprétation que font certains de la tournure encourageante des événements. Plutôt que d'y voir les fruits de la discipline et de l'altruisme dont on fait montre de nombreux Canadiens qui ont vécu l'isolement, les privations et bien d'autres difficultés en s'éloignant de leur lieu de travail, de leurs amis et de leur famille, ces gens-là considèrent que les choses se sont améliorées en dépit de tout cela. Au Canada, nous avons vu nos systèmes de soins de santé être mis à rude épreuve, mais nous n'avons pas assisté aux débordements tragiques qu'ont connus des unités de soins intensifs comme celles de Wuhan, de la Lombardie, de New York et de Madrid.
    Ne vous méprenez pas, le fait que nous ayons évité de telles tragédies ne signifie pas que les modèles étaient erronés. Partout dans le monde, des villes qui n'ont pas réagi aussi rapidement que les villes canadiennes à l'approche de la pandémie ont connu une augmentation stupéfiante des taux de mortalité — 300 % plus de décès à New York, 75 % à Stockholm, 460 % à Bergame et 100 % à Londres. Nous avons réagi à temps à l'approche de cette catastrophe pour éviter le pire de la première vague, même s'il y a encore plusieurs centaines de patients dans les unités de soins intensifs de nos deux plus grandes villes, Montréal et Toronto.
    Voilà maintenant que nous sommes confrontés à ce que j'appellerai le « paradoxe de la prévention ». En empêchant une infection généralisée au pays, nous avons maintenu la sensibilité de la population au virus, ce qui nous rend vulnérables aux futures vagues de la pandémie. C'est le paradoxe fondamental de la santé publique. À la base, nous sommes là pour éviter que de tels événements se produisent. Ceux parmi nous qui travaillent sur le terrain sont habitués de voir leurs résultats être tenus pour acquis. Pour citer un exemple courant, les programmes de vaccination font l'objet de critiques parce que leur succès même repose sur l'absence d'éclosion. S'il y a un point positif à tirer de l'épisode actuel, c'est peut-être qu'à l'avenir les gens vont vraiment être reconnaissants envers les autorités de santé publique pour le travail qui est accompli en temps normal.
    Si nous revenons à la façon dont nous avons réussi à éviter une tragédie encore plus grande au Canada en mars et en avril, nous devons donner suite à cette réalisation importante en allant de l'avant avec la reprise de nos activités économiques. Je pense que présenter la situation comme un choix à faire entre la reprise économique et la prévention de la transmission de la maladie, c'est comme proposer un choix de Hobson ou une fausse dichotomie. Nous ne pouvons pas mettre de côté notre économie, mais nous n'aurons pas de relance énergique sans des systèmes de surveillance efficaces et des mesures rigoureuses pour la protection de la santé. Une population effrayée et affligée ne peut être le moteur d'une forte reprise économique. Aux États-Unis, des données compilées par J.P. Morgan Chase révèlent un lien très clair entre la baisse des dépenses et les niveaux de prévalence de la maladie.

  (1635)  

    Le fondement de la revitalisation sera donc la surveillance exercée par la Santé publique et les tests en laboratoires. Nous ne pouvons pas voir cette épidémie sans réaliser de dépistage, et nous ne pouvons pas lutter contre une épidémie que nous ne pouvons pas voir.
    Le virus est un ennemi insaisissable et un exemple de contradictions. Je l'appelle le coronavirus de Schrödinger. Il est dangereux et mortel, mais il peut causer une maladie légère et même une infection sans symptômes. Il tue plus de 7 % des Canadiens qui en sont infectés, mais il donne un passe-droit à la plupart des enfants.
    Les infections asymptomatiques et présymptomatiques sont un cheval de Troie qui permet au virus de faire son entrée dans des milieux collectifs comme les établissements de soins de longue durée et les maisons de retraite, les établissements de soins de santé, les prisons et les usines de transformation des aliments. Une fois qu'il se propage dans de tels établissements, il peut avoir de terribles conséquences, comme nous l'avons vu dans les établissements de soins de longue durée.
    Nous pouvons chercher ailleurs dans le monde des réactions efficaces à cette épidémie et reproduire ici les meilleures pratiques, mais nous pouvons également reproduire les meilleures pratiques qui ont cours ici même dans notre pays. Nos collègues de la Nouvelle-Écosse ont contrôlé rapidement la COVID-19; ils nous disent de faire la chasse aux virus et d'être proactifs. Nos collègues de la Colombie-Britannique nous enseignent l'importance d'une stratégie claire et d'une communication claire dans cette lutte. L'Alberta peut nous montrer comment intensifier le dépistage, et nos Territoires du Nord-Ouest peuvent nous montrer comment protéger les collectivités isolées et éloignées. La Saskatchewan nous a montré comment réagir prestement aux éclosions croissantes afin de prévenir la propagation géographique de l'infection.
    Je crois fermement, cependant, que l'arme la plus puissante que nous puissions utiliser dans cette lutte est le dépistage. Les travaux de ma collègue, Ashleigh Tuite, montrent que sans dépistage intensif, les mesures de contrôle comme la recherche des contacts seront vraisemblablement inutiles, étant donné que nous ne ferons cette recherche que pour les cas qui ont fait l'objet de dépistage. Si nous ne faisons pas de dépistage à grande échelle, nous allons manquer trop de cas additionnels pour que la recherche des contacts permette de modifier la dynamique de l'épidémie. Ce sera tout simplement un gaspillage de ressources. Si nous faisons du dépistage à grande échelle, nous pouvons garder l'épidémie à l'œil et passer à la revitalisation économique tout en assurant la sécurité des Canadiens.
    Le dépistage sera nos yeux et nos oreilles dans notre progression vers l'ouverture de notre économie, mais le laboratoire est un outil qui doit être utilisé différemment selon les différents contextes. Nous devons établir des régimes de tests réguliers pour ceux qui travaillent dans des milieux collectifs où se trouvent des personnes vulnérables, en particulier les établissements de soins de longue durée et les hôpitaux. Un dépistage stable et constant nous permet d'estimer le taux de propagation de l'épidémie et de déceler un retour à une croissance exponentielle. Nous voulons trouver tous les cas possibles. C'est ainsi que nous pouvons empêcher une étincelle d'allumer un feu de forêt.
    Les hospitalisations et les décès sont faciles à voir, mais ce sont des indicateurs tardifs. Instaurer des politiques de contrôle quand ces indicateurs grimpent signifie que nous avons déjà raté le coche. Nous pouvons aussi utiliser des outils de surveillance non conventionnels, par exemple la surveillance syndromique sur le Web, et même la surveillance des niveaux de coronavirus dans les égouts comme d'autres pays le font déjà. La connaissance de la situation va assurer notre sécurité alors que notre économie revient à la vie.
    Nous pouvons aussi en demander plus à notre pays. Cette épidémie nous montre que même si nous avons des laboratoires munis d'une technologie de diagnostic du XXIe siècle, des systèmes d'information sur la santé publique qui dépendent de télécopieurs datant de 1995 vont nous empêcher d'aller de l'avant. Nous pouvons demander une plus grande transparence à nos dirigeants. Étant donné que les agissements du public sont au cœur de la lutte contre la maladie, il est important que le public soit tenu au courant et sente qu'il fait partie de l'équipe. En fait, le public est l'équipe.
    Il nous faut des critères clairs et transparents à l'échelle du pays concernant le dépistage, les délais de signalement des cas et de recherche des contacts, ainsi que le taux de propagation qui servira à déterminer le moment où il faudra resserrer la distanciation ou la relâcher. Nous aurons d'autres contretemps; les pays du monde qui ont eu les réponses les plus fortes au virus en ont tous eu. Ce sera notre cas également. Je vous demande de ne pas baisser les bras et laisser le virus gagner.
    Ne laissez pas l'incertitude vous distraire de la mission. L'incertitude est à prévoir quand une maladie se retrouve chez l'humain depuis 24 semaines. Ne laissez pas des professeurs prétentieux vous intimider à cause de l'absence de preuves découlant d'essais randomisés contrôlés pour une maladie qui n'existe que depuis six mois. Nous pouvons reconnaître l'incertitude et rester humbles devant cette maladie, mais il faut toujours faire passer en premier les vies des Canadiens et leurs moyens de subsistance au moment de prendre des décisions.
    Je serai ravi de pouvoir répondre à vos questions.

  (1640)  

    Merci, docteur Fisman.
    Nous passons maintenant au Dr Schabas.
    Nous vous écoutons. Vous avez 10 minutes.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, c'est pour moi un privilège de m'adresser à vous aujourd'hui.
    Je suis un médecin à la retraite. J'ai pratiqué la médecine pendant 40 ans, dans deux spécialités: la santé publique et la médecine interne. J'ai travaillé dans des services de santé publique locaux pendant 15 ans. J'ai occupé le poste de médecin hygiéniste en chef de l'Ontario pendant 10 ans. Je suis intervenu directement pendant la crise du SRAS, en 2003, à titre de chef du personnel de l'hôpital York Central. J'ai publié des articles de recherche universitaire et des articles destinés au public sur des sujets pertinents comme le SRAS, la quarantaine et la grippe aviaire.
    Les Canadiens jouissent de façon générale d'un excellent état de santé qui s'appuie sur les piliers que sont les déterminants sociaux de la santé, soit l'éducation, l'emploi et notre tissu social. Tout ce qui menace ces piliers représente une menace pour notre santé publique.
    Le Canada se retrouve en ce moment devant ce qui est à la fois une tragédie et une crise. La tragédie est causée par la COVID, un virus respiratoire. Ce virus risque de causer la mort de dizaines de milliers de Canadiens dont une majorité écrasante serait des personnes âgées et atteintes d'incapacités.
    La crise est causée par les efforts que nous déployons pour contrôler ce virus. La crise risque de causer dans notre pays des dommages sérieux et durables à l'économie, à l'éducation, aux institutions sociales et culturelles et à la santé mentale, et les répercussions sur notre santé publique se feront sentir pendant des décennies.
    La tragédie est une catastrophe naturelle qui m'attriste et qui nous attriste tous. La crise est une blessure que nous nous infligeons et qui franchement me terrifie. Elle représente une offense à la justice sociale, parce que le fardeau de la crise retombe de manière disproportionnée sur les épaules des enfants, des jeunes familles et des cols bleus. Plus nous nous concentrons exclusivement sur la COVID, plus le risque est grand pour notre santé publique.
    La meilleure analogie avec la COVID est la pandémie de grippe asiatique H2N2 qui a balayé le monde à l'automne 1957. La grippe asiatique a causé plus de maladies et s'est accompagnée d'un taux de mortalité nettement supérieur à celui de la COVID chez les jeunes gens. La grippe asiatique a tué de 1 à 2 millions de personnes en quelques mois seulement alors que la population mondiale était le tiers de ce qu'elle est aujourd'hui. Ce serait l'équivalent de 3 à 6 millions de décès aujourd'hui, soit beaucoup plus que les décès causés par la COVID. La grippe asiatique a été une tragédie, mais elle n'a pas été une crise parce que, il y a 60 ans, les gens ont réagi différemment. Des mesures de contrôle modestes ont été prises, mais elles ont été très temporaires. Le monde est passé à autre chose.
    Cette perspective n'est pas très populaire, avec la COVID, mais je pense qu'elle est importante. Nous sommes effrayés par les décès causés par la COVID parce que nous voyons les chiffres liés à ce virus tous les jours, sans rien voir d'autre. La mort est un phénomène courant dans notre univers. Près de 300 000 Canadiens vont mourir cette année, comme chaque année, emportés par tout un éventail de causes, que ce soit un cancer, une maladie cardiaque, un AVC, un accident d'automobile, un suicide ou autre. Depuis la mi-mars, pour chaque Canadien qui est mort de la COVID alors qu'il ne vivait pas dans un établissement de soins de longue durée, 50 Canadiens ont succombé à quelque chose d'autre.
    Nous avons fait peur aux gens. Comme on pouvait le prévoir, les médias ont mené la charge. Cependant, la Santé publique a aussi effrayé les gens, d'après moi, afin de favoriser un plus grand respect de l'éloignement physique. C'était une erreur pour deux raisons: premièrement, c'est cynique; deuxièmement, à cause de cela, il sera d'autant plus difficile de reculer.
    Ma femme et moi vivons à Toronto. Quand nous promenons notre chien, nous voyons deux types de gens: ceux qui, comme nous, ont fait le calcul et n'ont pas vraiment peur de la COVID, et ceux qui croient qu'il est dangereux de marcher sur la rue. Mais il y a un troisième groupe, formé des gens qui, comme ceux de notre immeuble, sont invisibles depuis deux mois parce qu'ils sont absolument terrifiés de même sortir à l'extérieur. Ce sera tout un défi de les ramener dans le monde.
    La seule défense fiable contre un virus respiratoire est l'immunité. Vous pouvez être immunisé si vous êtes infecté ou si vous obtenez un vaccin. Un vaccin sûr et efficace serait formidable, mais il serait bête de fonder la politique publique sur l'espoir d'avoir bientôt un vaccin. Toute stratégie qui ne mène pas à l'immunité ne mène nulle part, au bout du compte. Si la maladie circule ailleurs, elle va revenir. L'idée d'une élimination provinciale ou nationale tient d'une fausse promesse.

  (1645)  

    L'immunité des populations menant à l'immunité collective est un phénomène naturel et non une intervention ni une expérience. L'immunité collective, c'est ce qui a servi à contrôler tous les autres virus respiratoires. Nous y arriverons tôt ou tard avec la COVID. Le défi stratégique est d'atténuer les pires effets de la maladie tout en protégeant les véritables déterminants de notre santé, soit l'éducation, l'emploi et notre tissu social.
    Nous en savons maintenant beaucoup plus sur la COVID qu'il y a deux mois. Nous savons que la COVID est grave, certainement beaucoup plus que ce que j'avais anticipé personnellement. Cependant, ce n'est pas non plus l'apocalypse que certains modèles prédisaient, loin de là. Nous devrions comparer le virus actuel avec celui de 1957, et non celui de 1918.
    Nous savons que notre système de soins de santé peut faire face à la situation. L'effet conjugué de la capacité accrue, de meilleures stratégies de traitement et du tri nous a évité, ici et, en fait, un peu partout ailleurs, la crise apparente de la capacité que l'Italie a connue. Nous savons que la grande majorité des gens au Canada risque très peu de mourir de la COVID. Pour pratiquement toutes les personnes de moins de 60 ans et les personnes nettement plus vieilles sans graves comorbidités, le risque de mourir de la COVID n'est pas nettement différent du risque de mourir de la grippe. Nous avons deux populations: les personnes âgées fragiles pour qui la COVID est une maladie mortelle et les autres personnes qui constituent la grande majorité et pour lesquelles la maladie n'est pas mortelle.
    L'expérience vécue au Canada au cours des deux derniers mois est problématique. Nous semblons avoir été raisonnablement efficaces pour ce qui est de réduire les cas d'infection dans la collectivité, mais nous n'avons pas protégé efficacement les personnes âgées fragiles vivant en établissements à cause de l'échec massif du contrôle de l'infection dans certaines installations. En conséquence, nous avons eu de nombreux décès, mais l'immunité des populations reste relativement faible.
    L'éclosion de COVID dans l'hémisphère nord est en baisse depuis la fin mars — presque deux mois. À l'échelle mondiale, la tendance est à la réouverture. Le Canada va se laisser porter par la vague.
    Ce qui me préoccupe véritablement, c'est que le virus va revenir, en septembre probablement, et que nos efforts pour le maîtriser en faisant du dépistage à grande échelle et de la recherche des contacts vont probablement échouer. J'ai travaillé assez longtemps dans le domaine de la santé publique pour comprendre les limites de la recherche des contacts comme stratégie de lutte contre une maladie, en particulier une maladie comme la COVID.
    Cependant, quand cette stratégie va échouer, est-ce que nous allons paniquer et imposer de nouveau le confinement, cette fois indéfiniment, ou est-ce que nous allons réagir d'une manière plus mesurée et rationnelle? Nous avons du temps pour nous préparer. Si le plan A se fonde sur le dépistage et la recherche des contacts, nous avons besoin d'un plan B. Qu'est-ce que nous devrions faire maintenant?
    Nous devons cerner les choses qui sont fondamentalement non négociables. L'éducation, qui exige la réouverture des écoles, et l'emploi, qui exige que de nombreuses personnes retournent physiquement au travail, devraient se situer au sommet de la liste avec l'accès aux soins médicaux et dentaires.
    Deuxièmement, nous devons établir clairement que nous mettons en œuvre une politique d'atténuation et non une politique d'élimination. Avec l'atténuation, nous pouvons tolérer une augmentation des cas au moment de la réouverture, maintenant, et encore une fois au moment où la maladie refera surface à l'automne. Nous verrons la propagation dans la collectivité comme étant inévitable et nous estimerons qu'il s'agit d'une étape vers l'immunité des populations.
    Troisièmement, nous devons faire un travail sérieux en matière de politiques afin de cerner les aspects de l'isolement physique qui sont efficaces, acceptables et durables. La dernière tendance au Canada est le port de masques non médicaux alors que les preuves de l'efficacité de cette pratique sont des plus minces. Réfléchissons bien avant de devenir une société dont les membres se cachent le visage en public.
    Quatrièmement, nous devons concevoir de meilleures stratégies pour protéger les personnes vulnérables, notamment un meilleur contrôle des infections dans les établissements de soins de longue durée. Cette mesure à elle seule va contribuer par beaucoup à réduire la mortalité.
    Cinquièmement, nous devons changer les messages que nous adressons au public afin qu'ils soient un meilleur reflet du véritable risque que les gens courent d'être gravement malades ou de mourir, de sorte qu'ils soient prêts à sortir de leur isolement pour reprendre une vie normale.
    Sixièmement, nous devons chercher des façons de développer des politiques de santé publique à l'échelle nationale. Il nous faut une agence de santé publique nationale, et non fédérale, qui amènerait les provinces et le gouvernement fédéral à discuter ensemble en tant que partenaires égaux.
    Je vous remercie.

  (1650)  

    Je vous remercie, docteur Schabas.
    Nous entendrons maintenant le Dr Khan, de BlueDot. Vous disposez de 10 minutes.
    Bonjour, mesdames et messieurs, et merci de m'avoir invité à participer aujourd'hui à cette importante discussion.
    Permettez-moi d'abord de me présenter et de vous expliquer brièvement mon parcours professionnel et sa pertinence avec la séance d'aujourd'hui. Je m'appelle Kamran Khan, médecin formé en médecine interne, en maladies infectieuses, en médecine préventive et en santé publique. Je pratique la médecine et je suis un épidémiologiste qui étudie les éclosions et les maladies infectieuses émergentes à l'hôpital St. Michael's de Toronto depuis 17 ans. Je suis également professeur en médecine et en santé publique à l'Université de Toronte, ainsi que fondateur et président-directeur d'une entreprise de santé numérique appelée BlueDot.
    Qu'est-ce qui m'a incité à passer ma vie professionnelle à titre de clinicien, d'universitaire et d'entrepreneur dans le domaine des maladies infectieuses émergentes? Il y a 20 ans, j'ai commencé ma formation en maladies infectieuses et en santé publique à New York quand le virus du Nil y est arrivé et a entamé sa progression vers l'Ouest du continent. Deux ans plus tard, peu après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, l'anthrax a été employé comme arme et diffusé dans le réseau postal des États-Unis, nous rappelant que des éclosions mortelles peuvent être le fruit de gestes délibérés. Après être retourné chez moi, à Totonto, deux ans plus tard, un coronavirus connu sous le nom de SRAS est apparu en Chine pour ensuite se propager dans une dizaine de villes et de pays du monde, notamment à Toronto, où il a provoqué une éclosion mortelle qui a duré quatre très longs mois. Même si le monde n'avait jamais auparavant assisté à une éclosion comme celle du SRAS, il était évident que ce ne serait pas la dernière fois.
    Le monde change de manières qui favorisent l'émergence et la propagation de dangereuses maladies, mais qui peuvent aussi jouer à notre avantage. L'émergence des mégadonnées et l'avènement de l'intelligence artificielle et des technologies numériques émergentes nous offrent la matière première nécessaire pour littéralement diffuser les connaissances aux quatre coins de monde plus rapidement que n'importe quelle éclosion. C'est l'inspiration derrière BlueDot, qui a été fondée il y a six ans et demi pour établir un système numérique mondial d'alerte précoce concernant les maladies infectieuses qui peut transformer la manière dont le monde se prépare aux éclosions et réagit à la menace des maladies infectieuses inévitables de demain, qu'elles soient attribuables à Mère Nature, à des accidents ou à des gestes délibérés.
    Le système d'alerte précoce que nous avons mis au point à BlueDot a trois objectifs clés: il vise premièrement à détecter les maladies infectieuses le plus tôt possible pour nous permettre de gagner un temps précieux; deuxièmement, à en évaluer le potentiel de dissémination mondiale et les répercussions pour que nous puissions mobiliser nos ressources limitées au bon endroit au bon moment; et, troisièmement, à transmettre des renseignements en temps opportun à un large éventail de décideurs, qu'il s'agisse du gouvernement, des autorités sanitaires ou du secteur privé, pour qu'ensemble, nous puissions mettre en oeuvre une intervention très efficace et coordonnée.
    Pour détecter les menaces dès qu'elles se font jour, notre système d'alerte précoce traite, 24 heures par jour et 365 jours par année, des sommes considérables de données en ligne en 65 langues, cherchant des signes avant-coureurs d'éclosions pour plus de 150 maladies et syndromes. Le moteur de surveillance, en plus d'étudier les nouvelles officielles sur les éclosions diffusées par les organismes gouvernementaux, analyse aussi les renseignements non officiels dans les médias numériques, les blogues sur la santé et d'autres sources en ligne.
    Le 31 décembre 2019, ce moteur a repéré un article en chinois faisant état d'une éclosion de pneumonie de cause inconnue dans la ville de Wuhan, en Chine. Cette éclosion a certainement attiré mon attention, compte tenu du nombre de parallèles qui existaient avec l'émergence du SRAS en 2003. Quelques secondes après avoir détecté l'éclosion à Wuhan, notre système a analysé les horaires de vol et les itinéraires anonymes de centaines de milliers de voyageurs partant de Wuhan sur des vols commerciaux à destination de divers pays du monde. Ayant tôt fait de se préoccuper de cette éclosion, mon équipe a présenté les résultats de cette analyse afin qu'elle soit publiée en libre accès dans un journal scientifique examiné par des pairs le 8 janvier 2020 pour que quiconque y ait librement accès. Cette analyse dressait avec justesse une liste de nombreuses villes situées à l'extérieur de la Chine continentale qui ont été parmi les premières à confirmer des cas de la COVID-19.
    Quand des cas de la COVID-29 sont arrivés en Amérique du Nord, notre équipe a commencé à transmettre des informations afin d'appuyer les efforts que déployaient les organismes de santé publique pour ralentir la transmission du virus dans les communautés du pays. Nos analyses ont utilisé des données de localisation anonymes tirées d'applications mobiles afin de comprendre le déplacement des populations, des renseignements essentiels pour que les agents de la santé publique puissent faire une utilisation optimale et stratégique de leurs ressources humaines limitées au pays au fil du temps.
    Sachez que BlueDot n'utilise que des données dépersonnalisées de tierces parties, adhère à toutes les exigences juridiques et réglementaires, et collige ses données jusqu'au niveau des populations. Des secteurs utilisent les données de localisation depuis des années, notamment aux fins d'urbanisme, de transports et de vente au détail. Ici, nous les utilisons uniquement pour protéger des communautés et des vies pendant une pandémie.

  (1655)  

    L'équipe diversifiée de BlueDot, qui est composée de médecins, de vétérinaires, d'épidémiologistes, de géographes, d'écologistes, d'experts en données et d'ingénieurs, s'emploie avec diligence depuis six ans et demi à exploiter des données, des analyses poussées et des technologies numériques émergentes pour élaborer des solutions novatrices capables de nous inspirer des idées pour atténuer la menace des maladies infectieuses dans notre mode en évolution rapide. Ces idées ne sont toutefois utiles que si elles se traduisent en gestes concrets, ce qui ne peut arriver que grâce aux partenariats.
    À cet égard, BlueDot est un partenaire de longue date d'Affaires mondiale Canada, avec lequel il élabore et met en œuvre des systèmes numériques depuis 2014 afin de gérer les risques de maladies infectieuses au sein de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est. En 2019, nous avons noué un partenariat avec l'Agence de la santé publique du Canada, ciblant nos efforts afin d'atténuer les risques que posent les maladies infectieuses au pays. Maintement que la pandémie de la COVID-19 évolue en de nouvelles phases, nous continuons de collaborer afin d'en atténuer les répercussions au pays.
    Je voudrais conclure mon exposé en disant que Mère Nature nous envoie un message. Une confluence de forces dans notre mode en évolution rapide — comme la croissance de la population, l'urbanisation, l'industrialisation de l'agriculture, la perturbation des écosystèmes sauvages, les changements climatiques et l'augmentation de la mobilité de la population mondiale — accélère l'émergence et la propagation mondiale des maladies infectieuses, ce qui a des conséquences sans précédent. À titre de citoyens du monde, nous devons affronter cette réalité ou risquer de nous retrouver, dans quelques années, dans la même situation précaire où nous nous trouvons aujourd'hui.
    Nous avons également appris que les éclosions se propagent incroyablement vite dans notre monde hyperconnecté. Si nous voulons garder une longueur d'avance, nous allons devoir intervenir encore plus rapidement. Heureusement, nous avons ce qu'il faut pour trouver des idées judicieuses grâce à l'accès à des données nouvelles et diversifiées, et à l'intelligence humaine associée à l'intelligence artificielle afin de dégager un sens de ces données complexes.
    Nous devons traduire les idées en gestes concrets qui se répercutent dans l'ensemble de la société. Les gouvernements, en recevant ces idées en temps opportun, seront mieux à même de protéger leurs citoyens et leurs économies contre les pandémies de dangereuses maladies infectieuses. Les hôpitaux et les fournisseurs de soins de santé pourront mieux se protéger et nous protéger contre ces mêmes maladies. Les entreprises pourront mieux protéger les vies et les gagne-pains de leurs employés et de leurs clients. La création d'un écosystème pour gérer ensemble ces risques est non seulement possible, mais également nécessaire, à mon avis.
    Je vous laisserai sur cette réflexion: notre ressource la plus précieuse, c'est le temps, et il s'agit d'une ressource non renouvelable. Quand nous émergerons de la crise de la COVID-19 — car nous en émergerons — , nous devrons nous demander si nous utiliserons chaque jour de paix pour nous préparer à la prochaine menace inévitable avec le même sentiment d'urgence qui nous habite alors que nous luttons aujourd'hui contre la COVID-19.
    Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de faire part de mes réflexions au Comité.
    Je vous remercie, docteur Khan.
    Nous entendrons maintenant M. Ciciretto, président-directeur général de Dynacare.
    Vous avez la parole pour 10 minutes.
    Bonjour. Monsieur le président, distingués membres du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, je vous remercie de m'avoir invité à cette séance des plus importantes. J'espère que chacun d'entre vous et vos familles êtes en bonne santé et vous portez bien. C'est un privilège que d'être ici avec vous aujourd'hui au nom de Dynacare afin de traiter de la réponse du Canada à la pandémie de la COVID-19.
    Chez Dynacare, nous croyons que la vie est précieuse. Notre mission consiste à soutenir la santé des Canadiens avec dévouement et attention. Voilà pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Les 2 900 employés de Dynacare effectuent des tests cliniques et scientifiques du plus haut niveau afin de fournir les renseignements nécessaires à l'appui du diagnostic, du traitement et du bien-être des Canadiens. Chaque jour, nous offrons des services de tests et de laboratoire médical à plus de 32 000 Canadiens de quatre coins du pays, réalisant plus de 11 millions de tests par année. Nous exploitons 200 centres de prélèvement de spécimens pratiques et accessibles en Ontario, au Manitoba et au Québec, ainsi que sept laboratoires à la fine pointe de la technologie dans quatre provinces canadiennes. Nous fournissons plus de 500 résultats cruciaux qui exigent l'intervention immédiate de médecins.
    Notre objectif vise à inspirer la confiance des Canadiens quand ils doivent gérer leur santé et leur bien-être. À cette fin, nous avons amélioré l'expérience des patients dans nos centres de prélèvement de spécimens. Nous innovons continuellement en adoptant des méthodes de test nouvelles et améliorées, comme les tests génétiques, la cytologie en milieu liquide, les tests prénataux non invasifs et le projet pilote Pixel, une méthode de test par autoprélèvement employée dans les communautés rurales éloignées. Nous avons élaboré des rapports de diagnostic conviviaux pour les patients et des applications numériques qui aident les Canadiens à mieux gérer leur périple vers la santé.
    La présente pandémie sans précédent met en lumière le fait que le travail que nous effectuons à Dynacare est plus important que jamais. Nous sommes très fiers de jouer un rôle d'une importance cruciale en soutenant les autorités sanitaires de l'Ontario, du Manitoba et du Québec dans le cadre des efforts qu'ils déploient pour maîtriser la pandémie. Depuis le 25 mars, les talentueux professionnels scientifiques et de laboratoire de Dynacare ont réalisé plus de 40 000 tests moléculaires de détection de la COVID-19 dans ces provinces, effectuant notamment des tests de détection de la COVID-19 pour les membres des populations vulnérables et prioritaires, comme les personnes recourant aux réseaux de refuges d'urgence, les résidants des installations de soins de longue durée, les premiers intervenants des services de gestion des urgences et les travailleurs du domaine des soins de santé.
    Même pendant la pandémie, Dynacare continue d'exploiter ses laboratoires et d'accueillir des patients dans ses centres de prélèvement afin d'effectuer des tests urgents non liés à la COVID-19. En plus de réaliser des tests de détection de la COVID-19, notre infrastructure de laboratoire communautaire a contribué à atténuer la pression s'exerçant sur les réseaux de la santé publique et les hôpitaux. Nos coursiers médicaux ont notamment transporté rapidement et de manière sécuritaire les spécimens de test de dépistage de la COVID-19 des centres de détection et d'évaluation jusqu'aux laboratoires de Dynacare, de la santé publique et des hôpitaux. Au nom des laboratoires de la santé publique provinciaux, nous avons présenté des tests de détection de la COVID-19 négatifs à plus de 25 000 patients. Nous soutenons les populations vulnérables en établissant des centres de prélèvement réservés aux patients immunodéficients et déclarés positifs à la COVID-19. Nous avons également procédé au prélèvement d'échantillons non liés à la COVID-19 dans des installations de soins de longue durée.
    Nos employés ont adhéré à la réponse de Dynacare à la pandémie et nous soulignons leurs nombreux gestes de compassion dans le cadre des campagnes lancées par Dynacare sur les médias sociaux pour soutenir les héros du domaine des soins de santé. Nos employés se sont vraiment montés à la hauteur du défi.
    Le système de tests de dépistage de la COVID-19 fonctionne généralement bien grâce à l'excellente collaboration entre les agences de la santé publique, les laboratoires communautaires et les hôpitaux, mais comme c'est le cas dans toute situation inédite qui évolue rapidement, des défis et des possibilités d'amélioration se présentent à nous.
    La nature technique du processus de prélèvement naso-pharyngé et l'utilisation nécessaire des écouvillons lors du prélèvement d'échantillons pour la détection de la COVID-19 ont limité le taux de tests et fait augmenter la demande en équipement de protection individuelle. Dans plus de 200 centres de prélèvement, Dynacare emploie plus de 850 phlébotomistes qui ne sont pas autorisés à recueillir des échantillons à l'aide des dispositifs de prélèvement actuels.

  (1700)  

     En employant d'autres procédures de prélèvement de spécimens utilisées dans d'autres pays, notre équipe peut soutenir le dépistage provincial. À cette fin, Dynacare entreprend une étude avec Sunnybrook Occupational Health afin de valider des méthodes de prélèvement d'échantillons différentes utilisant des spécimens prélevés dans la salive et l'avant du nez. Les résultats de cette étude sont attendus d'ici quelques semaines.
    En outre, les pénuries de réactifs et de trousses de prélèvement étaient courantes au début de la pandémie. Comme les vendeurs ont accru leur production et en raison de la réaction proactive de l'équipe de notre chaîne d'approvisionnement, nous semblons disposer d'un approvisionnement suffisant pour le volume de tests actuel. Cependant, pour satisfaire les besoins accrus en tests de dépistage, nous entendons augmenter notre capacité de dépistage grâce à de nouvelles techniques de prélèvement et à la préparation de la chaîne d'approvisionnement. Compte tenu de la demande mondiale, il est très difficile d'acquérir une capacité de tests et un approvisionnement en réactifs accrus en temps opportun. Les pratiques de distribution des vendeurs font en sorte qu'ils attribuent plus de capacité et de réactifs aux pays plus gravement touchés par le virus de la COVID-19 que le Canada.
    Pour chaque personne à Dynacare, ce qui importe pour chaque test de laboratoire effectué, c'est qu'il y a une personne: une mère, un père, une fille, un ami. Il n'est pas rare pour notre équipe dévouée d'aller outre ce qui est attendu d'elle en contribuant à obtenir une demande de test de remplacement pour un patient, en dirigeant un convoi de voitures pour souligner les efforts des travailleurs de première ligne du domaine des soins de santé dans les hôpitaux ou en déployant des efforts accrus pour joindre un patient dont le résultat est crucial.
    Nous attachons une grande valeur aux bienfaits que nos employés dévoués apportent au réseau de soins de santé, et nous ne ménagerons pas nos efforts pour prendre soin d'eux. Malgré la chute marquée des volumes de tests non liés à la COVID-19, nous n'avons pas mis d'employés en congé ou à pied ou procédé à des réductions du salaire de base jusqu'à présent, en raison de notre philosophie de longue date et aux programmes salariaux du gouvernement. Nous en sommes très fiers et nous croyons que c'est de bon augure pour l'avenir. À mesure que les cabinets de médecins et les cliniques rouvriront, que les chirurgies non essentielles reprendront et que les assureurs et les employeurs reprendront leurs activités normales, Dynacare sera en mesure de satisfaire les besoins en tests de laboratoire de ses patients et de ses clients, et de soutenir le réseau de soins de santé du Canada.
    Il ne fait aucun doute que notre milieu de travail sera défini par une nouvelle normalité, avec une nouvelle distanciation physique et des protocoles d'utilisation d'équipement de protection individuelle qui protégeront nos patients et nos gens. Alors que le nombre de patients ayant besoin de service continue de croître, il faudra s'adapter à ces nouveaux protocoles, et c'est ce que nous ferons.
    Au Canada, certaines provinces commencent lentement à reprendre leurs activités de manières qu'on ne saurait qualifier de normales. En l'absence de vaccin ou de consensus scientifique sur le potentiel d'immunité au virus de la COVID-19, certains employeurs disent craindre que leurs employés puissent être vulnérables aux éclosions de la COVID-19. Les employeurs d'un certain nombre de secteurs, notamment ceux de la production d'aliments et de boissons, des ressources naturelles, de la fabrication et bien d'autres encore, ont exprimé le souhait d'offrir des tests de dépistage de la COVID-19 à leurs frais. Pour Dynacare, la priorité consistera toujours à soutenir les réseaux de la santé en réagissant à l'urgence que présente la COVID-19. Alors que l'économie redémarre, nous constatons qu'il faut travailler avec l'industrie pour prévenir les éclosions en milieu de travail afin de limiter la propagation communautaire de la COVID-19.
    Pour redémarrer l'économie canadienne, il est essentiel de procéder à des tests de détection des anticorps de grande qualité, lesquels peuvent déterminer si une personne a été exposée au virus de la COVID-19. Les autorités sanitaires, de concert avec des experts médicaux et scientifiques, cherchent à déterminer comment pareil test pourrait être administré.
    La semaine dernière, deux tests de détection des anticorps de la COVID-19 ont été approuvés par Santé Canada. Dynacare collabore actuellement avec deux autres vendeurs qui soumettront un test de détection des anticorps à l'approbation de Santé Canada. Un laboratoire communautaire comme Dynacare, fort de son vaste réseau de 200 centres de prélèvement de spécimens, de ses laboratoires bien équipés et de son réseau logistique étendu, est fort bien placé pour soutenir les programmes provinciaux à grande échelle de surveillance des tests de détection des anticorps de la COVID-19. Nous travaillons dans ce domaine chaque jour, efficacement et avec compassion.
    Lors des urgences sanitaires, les personnes en mauvaise santé ou ayant des maladies chroniques sous-jacentes sont souvent les plus vulnérables.

  (1705)  

    Pour bien des gens, la pandémie de la COVID-19 a mis en lumière l'importance de préserver la bonne santé des Canadiens et de réduire la prévalence des maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, les maladies pulmonaires, le syndrome métabolique et le diabète.
    Chez Dynacare, nous considérons que la vie est précieuse, et nous comptons bien continuer d'améliorer la santé des Canadiens en offrant un soutien constant aux réseaux de soins de santé provinciaux et en proposant des programmes de bien-être dans les milieux de travail du Canada, que ce soit au cours de la pandémie de la COVID-19 ou par la suite.
    Je vous remercie de nouveau de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au Comité.
    Prenez bien soin de vous.
    Je vous remercie, monsieur Ciciretto.
    Nous passons maintenant à la période de questions. Il y aura trois tours. Mme Jansen lancera le premier tour.
    La parole est à vous, madame Jansen. Vous avez six minutes.
    Merci à tous pour vos exposés. Ils étaient très complets, et c'était très bien.
    Je vais m'adresser d'abord à M. Attaran. J'ai trouvé votre mémoire très intéressant et je n'ai pu m'empêcher de rire lorsque vous avez souligné que certains hôpitaux envoient encore leurs données par télécopieur. Ma première incursion dans le monde de la technologie de pointe pour notre exploitation agricole a été l'achat d'un télécopieur. C'était en 1992, il y a 28 ans.
    Or, pour assurer la pérennité de nos activités, nous avons évidemment dû investir dans des outils de collecte de données de plus en plus efficaces. Je dois avouer que j'ai été extrêmement étonnée d'apprendre de témoins précédents que notre système de soins de santé ne dispose pas d'un système de collecte de données en temps réel, surtout compte tenu des différentes recommandations qui ont été faites à la suite de pandémies antérieures.
    Nous avons reçu plusieurs témoins qui nous ont suppliés de trouver une façon de mettre en place un système de collecte de données pancanadien fonctionnant en temps réel. Un tel système nous serait très utile à de nombreux égards, et non seulement en temps de pandémie. Or, on semble craindre que la mise en commun de l'information entraîne une perte d'autonomie pour les autorités sanitaires locales et provinciales.
    À votre avis, n'y aurait-il pas une façon de faire en sorte que chaque province et chaque région puissent continuer à prendre des décisions adaptées à leurs besoins, tout en mettant leurs données en commun et en aidant le Canada à réagir de façon plus informée à une pandémie?

  (1710)  

    Je vous remercie pour cette très bonne question.
    On peut considérer la question de la mise en commun des données épidémiologiques de la façon suivante: si différentes personnes avaient en leur possession des morceaux de la carte d'un champ de mines, accepteriez-vous qu'elles les gardent pour elles-mêmes? Si vous aviez un trajet à faire, vous voudriez probablement avoir la carte complète du champ de mines, et non seulement le plan de votre propre petite partie.
    La situation actuelle est aussi ridicule que cela. Chaque province possède une certaine quantité de données sur l'épidémie à l'intérieur de son territoire, et elle peut choisir de contribuer aux exercices de modélisation en transmettant ses données ou de les garder pour elle-même. La qualité de notre vue d'ensemble de la pandémie dépend de son choix.
    La réponse à votre question comprend un aspect législatif et un aspect administratif. Sur le plan législatif, c'est très simple. Le Cabinet n'a qu'à invoquer l'article 15 de la Loi sur l'Agence de la santé publique du Canada pour adopter un décret ordonnant la mise en commun des données.
    Le Parlement lui a accordé ce pouvoir. Je ne comprends absolument pas pourquoi le Cabinet actuel ne l'a pas exercé. J'espère que vous ferez un suivi à ce sujet.
    D'accord, je dispose de très peu de temps, désolée.
    Pardonnez-moi.
    Je vous remercie.
    Vous avez parlé, durant votre exposé, des problèmes relatifs à la mise en commun des données. Mes antécédents étant dans le milieu des affaires... J'ai travaillé dans le secteur du commerce au détail pendant de nombreuses années. La saison printanière était toujours très courte. Elle durait huit semaines, et nous travaillions avec plusieurs provinces. Il nous fallait donc absolument des données actuelles pour pouvoir décider où envoyer quel produit, à quel moment. Nous étions en mesure de tenir compte des différences entre les régions afin d'envoyer les produits adéquats au bon endroit, exactement au bon moment. Nous savons que la technologie nécessaire pour mettre en place un système de données pancanadien existe.
    Hier, la Dre Tam a dit que l'ASPC ne pouvait rien faire. Aujourd'hui, vous dites qu'elle peut intervenir en vertu de l'article 15. Je présume que si Statistique Canada peut rassembler des données sur la population canadienne sans violer les droits à la vie privée, le système de soins de santé peut sûrement faire de même.
    Statistique Canada peut aussi faire la même chose. D'après ce qu'on m'a dit, il lui faudrait environ deux semaines pour mettre le système au point, mais le Cabinet doit lui en confier le mandat. C'est ce qui manque. Voilà.
    D'accord.
    J'aimerais ajouter un dernier détail. Le gouvernement fédéral a déjà octroyé un contrat à un fournisseur pour la conception d'un système de communication de données épidémiologiques. Ce fournisseur était IBM Canada. Le système ne fonctionnait pas. C'est aussi cette entreprise qui a développé Phénix. Les antécédents ne sont donc pas positifs.
    D'accord, je vous remercie.
    J'ai demandé à de nombreux témoins de noter la réponse de l'ASPC à la pandémie. Jusqu'à maintenant, personne n'a voulu me donner une réponse directe. J'ai entendu dire que l'ASPC avait usé de représailles contre des personnes ayant critiqué ouvertement sa réponse à la pandémie.
    Seriez-vous prêt à lui accorder une note, ou cela pourrait-il nuire à votre travail?
    Je lui accorderais la note de C- ou D. Et c'est vrai qu'il y a eu des représailles. Lors de ma dernière comparution devant votre comité, j'ai critiqué certaines mesures prises par l'ASPC. Depuis, on m'a demandé de participer à une demande de subvention avec des gens de l'ASPC. D'après ce que j'ai compris, ces personnes ont dit qu'elles participeraient au projet seulement si je m'en retirais, ce que j'ai fait volontiers pour ne pas nuire à mes collègues. Or, quant à moi, il ne devrait pas y avoir de représailles contre les témoins qui ne font que présenter ce qu'ils considèrent comme la vérité à notre gouvernement démocratique.
    D'accord. Je vous remercie pour votre réponse directe.
    Hier, la Dre Nemer a parlé des groupes de travail qu'elle a mis sur pied pour examiner la réponse du Canada à la pandémie. Elle a mentionné qu'elle pouvait porter les ordres du jour à la connaissance du public, mais pas les délibérations et les conclusions parce qu'elles sont confidentielles. À ma connaissance, les autres pays qui ont mis sur pied des groupes de travail semblables publient leurs rapports de recherche, pour le bien de tous.
    D'après vous, les conclusions tirées par ces groupes de travail devraient-elles aussi être rendues publiques afin que les données soient communiquées rapidement, améliorant ainsi la réponse à la pandémie?

  (1715)  

    Je n'arrive pas à croire que la question doive être posée. Évidemment que les conclusions devraient être rendues publiques. La science se fait toujours en public. Prenez l'exemple de la Suisse. Ce pays a également mis sur pied un groupe de travail sur la COVID-19, et ce groupe de travail scientifique a publié plus d'une vingtaine de rapports sur son site Web. Pourquoi le Canada n'a-t-il toujours pas publié de rapport, alors que le groupe de travail d'un pays aussi petit que la Suisse en a publié une vingtaine jusqu'à maintenant? C'est honteux.
    Je vous remercie.
    La parole est à vous, monsieur Fisher. Vous avez six minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Docteur Fisman, vous avez une vaste expérience de la lutte contre les maladies infectieuses, et pourtant, vous avez expliqué publiquement que les prévisions que vous aviez faites au sujet du virus plus tôt cette année étaient erronées. Je pense que vous diriez comme moi que tout paraît plus clair avec du recul. Le Comité a beaucoup discuté des raisons pour lesquelles certaines décisions ont été prises lorsque le virus est apparu.
    Pouvez-vous expliquer aux membres du Comité et à la population canadienne pourquoi on peut difficilement prévoir l'évolution d'un nouveau virus, et pourquoi les recommandations changent du jour au lendemain?
    Je pense qu'une partie du problème tient au fait que les virus sont les fauteurs de troubles, et le Dr Khan y a fait allusion. Les fauteurs de trouble ont tendance à être des virus à ARN; c'est leur matériel génétique qui provient des animaux. Les virus à ARN sont très doués pour muter. Ce que nous voyons dans ce virus, qui est un cousin du SRAS 1 et lui est très semblable, c'est un comportement différent sur des aspects importants. En effet, une ressemblance de l'ordre de 80 % peut néanmoins donner lieu à des différences très importantes, mais aussi à des similarités très importantes.
    Ce que nous avons tendance à voir, ce que nous voyons presque toujours lorsque des maladies infectieuses se déclarent, ce sont d'abord des points chauds. Nous avons habituellement l'impression que le virus est plus virulent que ce qu'il s'avère être. Il en a certainement été ainsi pour certaines éclosions. Ce que nous avons vu dans le cas ce virus, aussi au départ, c'est qu'il ressemblait beaucoup au SRAS selon l'information que nous avions de la Chine. J'ai reconnu publiquement que ma plus grande erreur a été de croire que le virus ressemblait vraiment au SRAS en Chine. Nous avons fait des prévisions sur ce que les Chinois semblaient faire pour le contrôler, et nous avons prévu avec justesse que ce serait fini à Wuhan au début de mars. Nous avions raison, mais le problème, c'est que nous n'avons pas vu l'Iran venir. À partir du moment où on l'a vu en Iran, on savait que c'était fini, qu'il allait se propager partout dans le monde.
    Ils sont tous pareils, mais tous différents. Quand on regarde certains des principaux paramètres, comme nous le faisons pour ces maladies afin de, en quelque sorte, prédire comment les choses se dérouleront, on constate parmi les chiffres importants le taux de reproduction de la maladie, soit le nombre de nouveaux cas par rapport aux anciens cas. Ce virus s'avère être un vrai joueur de tours, car il a un taux de reproduction surdistribué, alors que de nombreux cas ne mènent nulle part, mais que d'autres donnent lieu à 40 cas secondaires. C'est ce que nous voyons sans cesse, dans des foyers, sur des paquebots ou dans des restaurants. Comme vous le savez, une personne en Corée a infecté à elle seule 40 personnes et déclenché une énorme éclosion dans la ville de Daegu.
    Cette réalité complique les choses. Elle procure aussi une vulnérabilité potentielle pour pouvoir contrôler le virus, car une fois qu'on élimine les grands rassemblements, il devient difficile pour le virus d'avoir des occasions de se répandre à grande échelle, et il devient beaucoup moins transmissible. Le taux de létalité initial que nous avons vu en Chine — c'est-à-dire le nombre de décès par cas — se situait à 2,4 %. Bien entendu, le nombre de décès attribuable à cette maladie augmente lentement, car les gens meurent aux soins intensifs. Je pense que le taux de létalité est actuellement de 5 ou de 6 % en Chine. Au Canada, nous sommes à 7 %.
    Des données de l'Espagne obtenue la semaine dernière, à la suite d'une étude nationale sur la séroprévalence, qui a permis de cerner les infections reconnues et non reconnues, nous ont beaucoup aidés à améliorer nos connaissances. Environ 5 % de la population de l'Espagne a contracté le virus, qui a causé 27 000 décès. Nous pouvons maintenant nous servir du taux de létalité en Espagne, soit le nombre de décès par cas reconnus, et ensuite d'un taux de létalité par infections, qui en Espagne est d'environ — et nous en sommes pas mal certains — 1,2 % selon les données sur la séroprévalence.
    En Espagne, le taux de prévalence de 5 % après 30 000 décès et le taux de létalité de 1 % font en sorte que je suis très préoccupé à propos de certaines observations de Dr Schabas en ce qui a trait à l'atteinte d'une immunité collective. Nous pensons qu'il faudrait pour cela que de 60 à 70 % des Canadiens soient infectés. La proportion de 70 % correspond à 28 millions de Canadiens, et le taux de 1 % signifie que 280 000 Canadiens en mourraient. Je fais remarquer que l'absence de mortalité massive au Canada jusqu'à maintenant est liée aux interventions en matière de santé publique.
    Je fais aussi remarquer que nous pouvons y parvenir puisque nous avons montré partout au pays que nous pouvons contrôler cette maladie plutôt que de la laisser sévir et que nous pouvons chercher à atteindre l'immunité collective, comme on le fait en Suède. Nous avons vu une gestion adroite en Colombie-Britannique, et très adroite au Canada Atlantique et dans les Prairies. Nous pouvons réussir. Il faut juste faire le travail.
    À mon avis, il ne faut pas jeter l'éponge et dire que nous allons suivre l'exemple de Stockholm, de la Suède, dont le taux de mortalité par habitant est actuellement le plus élevé en Europe.

  (1720)  

    Merci. J'avais d'autres questions pour vous, et je pense que nous n'avons plus de temps...
    Désolé.
    ... mais je tiens à vous remercier pour votre excellent témoignage mûrement réfléchi, monsieur le docteur.
    Merci.
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Je suis encore un peu choqué par le témoignage de M. Attaran, par la possibilité qu'il fasse l'objet de discrimination ou subisse des menaces de représailles à cause de son témoignage devant le comité de la santé. En tant que membre du Comité, nous avons tous intérêt à préserver l'intégrité du Comité et à veiller à ce que tous les témoins qui comparaissent devant nous puissent exprimer sincèrement et franchement leur point de vue, surtout quand il est question de science.
    J'aimerais que le Comité demande officiellement à M. Attaran de nous dire de manière détaillée ce qui s'est produit à l'Agence de la santé publique du Canada ou à Statistique Canada, ou peu importe, pour préserver l'intégrité du Comité en tout temps.
    Merci, monsieur Davies.
    Notre mandat ne nous donne actuellement pas ce pouvoir. Nous pouvons certainement l'inviter à présenter au Président de la Chambre ou à nous-mêmes toutes les preuves, toutes les allégations qu'il possède. Nous ne pourrions toutefois pas traiter ce dossier conformément à nos règles actuelles de fonctionnement.
    Monsieur le président, si je peux me permettre...
    Monsieur le président...
    ... je m'oppose catégoriquement à cela. Le Comité a pour mandat de recevoir des témoignages. C'est manifestement dans l'ordre que la Chambre a adopté à l'unanimité. Si des témoins nous disent qu'ils subissent des pressions ou de l'intimidation en vue d'un témoignage, c'est un obstacle direct au mandat du Comité.
    Pour le compte rendu, je suis heureux de demander à M. Attaran de fournir ces détails, et je tiens à dire sans équivoque que c'est certainement la prérogative et le mandat du Comité de préserver l'intégrité de notre processus. Chaque fois que nous entendons qu'un témoin pourrait avoir été intimidé, ou lésé de quelque façon que ce soit, pour avoir tout simplement accepté notre invitation à comparaître et à nous faire profiter de son témoignage, cela renvoie certainement à l'essence du Comité, et nous allons pleinement donner suite à ce dossier une fois que M. Attaran nous aura transmis l'information.
    Merci, monsieur Davies. J'en prends très bonne note. Je prendrai la question en délibéré et...
    Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Allez-y, monsieur Kitchen.
    Monsieur le président, j'appuie sans réserve les propos de M. Davies, mais mon rappel au Règlement va plus loin. En tant que membres du Comité, nous sommes ici pour poser des questions, pour protéger nos témoins ainsi que nous-mêmes et pour faire en sorte que nous avons cette protection. À défaut de procéder ainsi en tant que comité, les questions et les points que nous soulevons pourraient être retenus contre nous, ce qui est tout simplement inacceptable. Comment pouvons-nous alors fonctionner en tant que comité?

  (1725)  

    Monsieur le président, j'aimerais juste ajouter que si vous pouviez nous indiquer pourquoi vous pensez que nous n'avons pas le pouvoir de procéder ainsi au Comité...
    Je ne suis pas d'accord avec vous. Je suis d'accord avec M. Davies quand il dit qu'il est conforme au mandat du Comité de demander ce témoignage.
    Si vous pouvez nous indiquer pourquoi nous n'avons pas ce pouvoir, je vous prie de le faire. Dans la négative, je propose que M. Davies donne suite à son rappel au Règlement.
    Je prends bonne note des points que vous avez soulevés. Il convient de mentionner que les témoins qui comparaissent devant le Comité, lorsqu'il siège de manière officielle, bénéficient de l'immunité parlementaire. Nous avons le privilège parlementaire. Toutes les répercussions subséquentes seraient prises au sérieux, mais notre mandat consiste uniquement à recevoir des témoignages.
    Nous sommes explicitement autorisés à présenter des motions sur l'invitation de témoins et l'établissement d'un calendrier à cette fin. Nous n'avons toutefois pas pour l'instant le pouvoir de proposer une motion pour demander de l'information sur ce genre de questions, mais je serais certainement heureux de voir l'information de M. Attaran s'il nous la fait parvenir.
    Notre greffière veut peut-être nous faire part de son point de vue.

[Français]

     Monsieur le président, j'aimerais faire un rappel au Règlement.
    Le professeur Attaran semble vouloir ajouter quelque chose. Peut-être qu'il pourrait préciser ce dont il s'agit, ce qui pourrait vous aider à délibérer davantage. Je serais prêt à ce qu'il puisse s'exprimer rapidement, puisque j'ai cru le voir lever la main. J'aimerais donc qu'on l'entende. Vous pourriez ensuite délibérer là-dessus.

[Traduction]

    Les témoins ne peuvent pas participer aux rappels au Règlement du Comité, mais comme je l'ai dit, je serais heureux de voir l'information. Je l'invite à la transmettre au Comité.
    La greffière se penchera sur la question et nous fera part plus tard de son point de vue. Dans l'intervalle, je vais m'abstenir de me prononcer et je propose de poursuivre les témoignages.
    Monsieur Thériault, je vous en prie. Vous avez six minutes.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je vais m'adresser d'abord au professeur Attaran. Par les temps qui courent, on peut dire que la science a le dos large. Toutes les décisions sont prétendument prises au nom de la science. On pourrait croire qu'on s'en sert davantage pour justifier certaines tergiversations politiques.
    M. Attaran, à la page 3 de votre mémoire, vous dites ceci:
[...] le premier ministre fédéral a hésité, peut-être en raison de l’avis scientifiquement inexact de sa ministre de la Santé, selon lequel la fermeture des frontières pour freiner la maladie est « très inefficace ».
    Certaines personnes prétendent que la fermeture des frontières n'a pas d'effet significatif pour ce qui est de freiner la maladie. J'ai cru comprendre que vous étiez en désaccord. Aurait-on dû fermer les frontières beaucoup plus tôt, notamment la frontière américaine?
    Avait-on toute l'information nécessaire pour prendre une telle décision? Sinon, qu'aurait-il fallu avoir pour prendre cette décision le plus rapidement possible? Comment expliquer ces avis scientifiques contradictoires?
     Vous avez raison de dire que les questions scientifiques sont souvent politisées, et cela a été le cas pour ce qui est de la fermeture de la frontière.
    Selon moi, la fermeture des frontières sert à nous protéger, surtout dans le cas de la frontière américaine. Cependant, comme vous le savez déjà, l'OMS dit que c'est presque inutile, et le ministre a dit que c'était inutile, mais je ne suis pas d'accord.
    Je sais qu'après le désastre que nous vivons maintenant, nous allons repenser ces questions. En Afrique, par exemple, on a rapidement fermé les frontières entre les pays. On a tiré cette leçon de la crise de l'Ebola. Maintenant, on voit que les nations sont plus protégées. Le taux d'infection au Kenya et au Rwanda, par exemple, est moins élevé qu'il ne le serait normalement. Alors, cela fonctionne.

  (1730)  

    Certains témoins sont venus nous dire qu'on ne pouvait pas prendre de retard dans le cas de ce virus. Le fait que la période d'incubation soit souvent de 14 jours fait en sorte que, depuis le début de la pandémie, on a toujours l'impression de faire du rattrapage, ici. J'imagine donc qu'il aurait fallu faire les choses autrement et prendre les décisions beaucoup plus rapidement.
    Vous parliez de difficultés structurelles et systémiques liées à la Confédération et de l'incapacité de la communauté scientifique et des autorités de santé publique à travailler de façon coordonnée et en temps réel en ce qui concerne le partage des données.
    Quel est l'intérêt de ne pas collaborer? Qu'est-ce qui justifie cela? Vous donniez l'exemple de l'Ontario lors de l'épisode du SRAS. Quel intérêt ont ces provinces ou encore le Québec à ne pas collaborer? J'ai du mal à comprendre cela.
    Je ne le comprends pas non plus. C'est presque dangereux de percevoir notre Confédération comme étant 10 provinces qui ne sont pas liées par leurs moyens biomédicaux, surtout lorsqu'on tient compte du virus qui nous lie en ce moment. Vous avez raison.
    En quoi le fait de légiférer ou d'établir une réglementation serait-il plus efficace? J'essaie de comprendre la motivation à l'origine de cette inefficacité.
    Pour répondre plus facilement, je dois m'exprimer en anglais. Me le permettez-vous?
    Oui, bien sûr.

[Traduction]

    Je suis désolé, mais je ne connais pas certains termes juridiques en français. J'essaie.
    Le décret qui serait nécessaire pour rendre obligatoire l'échange de données entre le gouvernement fédéral et les provinces ne serait pas controversé. C'est une chose sur laquelle le Parlement a légiféré, je crois, en 2004 ou en 2005. Il faudrait s'en servir, tout simplement. Nous ne devrions pas laisser nos idées préconçues sur le bien-fondé de ce qu'une province pourrait faire, ou de ce que le gouvernement fédéral pourrait faire, nous empêcher d'interpréter clairement la loi. Vous avez créé, en tant que parlementaires, cette loi sur l'échange de données, et je vous en suis reconnaissant. C'est un outil très utile, mais il faut s'en servir.
    Je pense que le Dr Fisman aurait probablement quelque chose à ajouter.
    Je ne suis pas certain, mais je pourrais donner mon point de vue en tant que chercheur établi à Toronto depuis 2006.
    Ce qui nous a toujours abasourdis, c'est l'incapacité de donner accès aux Canadiens à des données payées, réunies et assainies aux frais de l'État sans compromettre les renseignements personnels ou le bien-être de quelqu'un. J'en suis abasourdi depuis longtemps.
    Depuis mon arrivée à Toronto, une grande partie de mon travail se fait à l'aide des données de l'enquête nationale sur les congés d'hôpital des États-Unis, qui ressemble beaucoup à ce que fait l'Institut canadien d'information sur la santé, sauf que lorsqu'on demande en ligne les données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, on les reçoit par FedEx, sans frais, tandis que lorsqu'on demande la même chose à l'Institut, il faut payer. Je ne comprends pas.
    C'est un problème qui transcende la COVID, et je remercie mon collègue de le signaler. Au Canada, la culture consiste à garder ses données, et il faut que cela change. Cela nuit à tout le monde.

  (1735)  

    Merci, monsieur Thériault.
    Nous passons maintenant à M. Davies.
    Monsieur Davies, je vous en prie, vous avez six minutes.
    Merci.
    Docteur Fisman, à une entrevue diffusée à TVO la semaine dernière, vous avez dit que beaucoup de personnes sont impatientes de crier victoire et de procéder à une réouverture, ce qui est un peu problématique étant donné que le nombre d'infections diminue à cause des mesures de distanciation. Craignez-vous que certaines provinces et certains territoires rouvrent trop rapidement?
    Je pense que c'est le cas de ma propre province, et je comprends parfaitement la pression que subit notre premier ministre. Je pense qu'il a fait un travail formidable dans les circonstances, mais je sais aussi que beaucoup de personnes veulent reprendre leurs activités.
    Je ne sais pas s'il est possible de partager des documents sur l'application Zoom pendant les délibérations des comités parlementaires, mais nous regardons les taux de reproduction en Ontario. C'est le nombre de nouveaux cas par rapport aux anciens. Ce que nous voyons, c'est une augmentation manifeste des cas au cours de la dernière semaine à Toronto, en particulier à Peel. C'est en partie attribuable à la libéralisation du dépistage, qui fait augmenter le nombre de cas. C'est probablement dû en partie à la réouverture accrue de l'économie qui est attendue. Je pense que nous traverserons peut-être quelques périodes difficiles en cours de route, mais la distanciation sera notre parachute. Si la situation commence à trop s'assombrir, on pourra refermer certains endroits, mais je crains effectivement un fort mouvement pour que les gens reprennent leurs activités.
    De nombreuses activités économiques pourraient reprendre en toute sécurité en Ontario. C'est une grande province. C'est plus grand que la France, et nous avons des régions... M. Attaran a mentionné Kingston. On n'y a enregistré qu'un ou deux cas au cours des 10 derniers jours, mais la ville est assujettie au même confinement général que Toronto et Peel, qui ont enregistré 200 ou 300 cas par jour. Je pense plus...
    J'aimerais vous orienter vers certaines des mesures que nous devrions prendre.
    Dans l'entrevue, vous avez dit qu'on pouvait s'attendre à une recrudescence de la maladie après la réouverture.
    En effet.
    C'est exactement ce que nous avons vu en Corée et en Allemagne cette semaine, deux pays qui ont contrôlé l'éclosion initiale plus rapidement que nous et qui se préparent à une relance. On y a observé une recrudescence des cas, comme à Singapour avant eux et à Wuhan la semaine dernière.
    Que nous recommandez-vous de faire, vu la recrudescence des cas? Quelles mesures, s'il y en a, devrions-nous mettre en place pour prendre les devants?
    Il y aura une recrudescence des cas. C'est tout simplement ainsi que cela fonctionne. Le calcul est simple. Le taux de reproduction d'une maladie est le nombre de contacts multiplié par la probabilité de transmission par contact multiplié par la période de temps qu'une personne est contagieuse. Nous pouvons oublier l'immunité pour l'instant, car le taux est faible. Même s'il est de 5 %, c'est trop faible pour diminuer le taux de reproduction. Par conséquent, à mesure que le nombre de contacts augmente, nous pouvons nous attendre à ce que le taux de reproduction en fasse autant.
    Monsieur, pouvez-vous tenir le microphone?
    Excusez-moi.
    Nous irons trop loin. Nous voudrons essayer de rouvrir des endroits et nous irons trop loin. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de solides systèmes de surveillance, pour suivre la progression.
    Je veux parler du dépistage. Vous pourriez peut-être, tout comme M. Attaran, vous prononcer à ce sujet.
    Tous les experts qui comparaissent devant notre comité nous disent qu'il faut faire du dépistage, que c'est essentiel pour contrôler la maladie et la réouverture. Nous n'avons toutefois effectué qu'un million de tests depuis janvier. Wuhan se prépare à en faire un million par jour. Nous accusons du retard par rapport à l'Allemagne et à la Corée du Sud. En fait, nous avons à peine atteint la moitié de la cible de la Dre Tam, qui est de 60 000 tests par jour.
    Pourquoi sommes-nous incapables d'effectuer des tests au rythme auquel nous devons le faire selon les experts? Quel est le problème?
    Je ne sais pas. M. Ciciretto est un expert du fonctionnement des laboratoires et pourrait probablement mieux vous répondre que moi.
    Nous travaillons avec les organismes de santé publique locaux. Il n'y a pas que le dépistage qui me préoccupe en ce moment. Des gens disent que nous ferons de la recherche de contacts au moment de la réouverture, que nous ferons un suivi des contacts comme en Corée — je pense que le pays a eu quelques centaines de cas secondaires associés à une éclosion dans une boîte de nuit —, mais je ne pense pas que ce sera possible.
    Nous accusons du retard depuis le début, et le problème remonte à la technologie des années 1990, au temps nécessaire pour effectuer des tests. Le résultat des tests est envoyé par télécopieur, et il faut attendre un moment avant qu'il parvienne au système de santé publique, et...

  (1740)  

    Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je veux que M. Attaran ait lui aussi la chance de donner son opinion.
    D'autres pays ont des taux de dépistage beaucoup plus élevés que nous. Pourquoi le Canada ne peut-il pas faire de même?
    Encore ici, je ne suis pas un spécialiste en matière de dépistage. Ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit évidemment d'un problème systémique et administratif, car si l'Éthiopie et le Rwanda nous surpassent à ce chapitre… Ces pays s'approvisionnent quelque part en réactifs et en matériel. Ils s'en tirent bien.
    J'ai parlé de la ville d'Addis-Abeba, qui est la capitale de l'Éthiopie. Là-bas, les autorités ont envoyé des travailleurs de la santé pour cogner à chaque porte et interroger les gens sur leurs antécédents de voyage ou d'exposition, puis les tester au besoin. Si l'Éthiopie peut le faire, je refuse de croire que le Canada en est incapable. Nous devons simplement mieux comprendre quel blocage administratif retarde le dépistage — je ne connais pas la réponse —, mais c'est manifestement un problème administratif, et non pas scientifique.
    Merci, monsieur Attaran.
    J'ai une petite question à vous poser.
    Votre graphique était éloquent. Ma question est la suivante: pourquoi le Canada a-t-il un rendement inférieur à celui de pays comparables comme l'Australie et d'autres nations que vous avez nommées? Votre graphique démontre clairement que c'est le cas. Qu'est-ce qui explique cette situation?
    Parlez-vous plus particulièrement d'infléchir la courbe ou de tester?
    D'infléchir la courbe.
    Le Dr Fisman pourra vous donner plus de détails à ce sujet, mais, de toute évidence, notre confinement n'a pas été aussi rigoureux que celui d'autres pays. Nous avons également eu un problème à combustion lente dans les foyers de soins, de sorte que ce qui aurait pu être un pic prononcé s'est élargi en forme de plateau.
    J'ai un grand malaise à l'idée de rouvrir l'économie sans effectuer suffisamment de dépistage ou de recherche des contacts. Je ne dis pas que je suis contre l'ouverture. Je déteste être enfermé autant que tout le monde — vous devriez voir mes enfants. Il faut toutefois commencer par un travail préparatoire. Le problème, c'est que les gouvernements de notre pays n'ont tout simplement pas fait ce travail — je parle de certains d'entre eux, et surtout du gouvernement fédéral.
    Je vous remercie.
    C'est ce qui termine le premier tour.
    Commençons le deuxième tour.
    Allez-y, monsieur Jeneroux. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui encore.
    J'aimerais m'adresser au Dr Khan au sujet de certaines de ses remarques. J'espère plus particulièrement comprendre à quel moment BlueDot — qui avait manifestement anticipé les choses en avance — a fourni les premières données sur le coronavirus à l'Agence de la santé publique du Canada.
    Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, notre système de surveillance a détecté le virus le 31 décembre. Vous savez peut-être aussi que l'Agence de la santé publique du Canada possède une plateforme du nom du Réseau mondial d'information en santé publique, ou RMISP, qui présente certaines ressemblances avec la plateforme que nous utilisons. Je pense que notre système utilise peut-être davantage l'apprentissage automatique et l'intelligence artificielle.
    En ce qui concerne la prise de conscience de la situation à Wuhan, je crois que c'est arrivé environ au même moment: vers la fin du mois de décembre ou le début du mois de janvier. Comme je l'ai dit, nous avons des contacts avec l'Agence de la santé publique du Canada qui ne se limitent pas à la détection des menaces. Nous avons ensuite étudié la dispersion du virus, la façon dont il pourrait se propager et les endroits où il pourrait s'installer ensuite. Tous les systèmes que nous employons à l'interne — les logiciels, les données internes sur les vols commerciaux, les mouvements de passagers sur la planète — sont à la disposition de l'Agence de la santé publique du Canada. Ce volet fait partie de notre partenariat.
    J'ai également transmis les résultats de certaines de nos analyses directement à la Dre Tam au début du mois de janvier — je crois que c'était vers le 4 ou le 5 janvier, soit quelques jours après le Nouvel An. Je l'ai informée de certaines de nos premières constatations, puis j'ai organisé une rencontre de suivi le 9 ou le 10 janvier, je crois, pour en discuter en personne.

  (1745)  

    Quelles données avez-vous transmises exactement? Avez-vous fourni les informations qui remontent au 31 décembre, et que vous attribuez au début de la pandémie?
    Comme l'Agence de la santé publique du Canada possède déjà un système de surveillance, et que le RMISP avait déjà repéré la nouvelle sur l'éclosion de Wuhan à peu près au même moment que BlueDot, nous ne lui avons pas envoyé l'information puisqu'elle y avait déjà accès. Nous avons toutefois collaboré avec l'Agence afin de situer l'information dans son contexte.
    Être au courant de l'apparition d'un virus dans le monde est très différent que de comprendre les risques qu'il représente pour le Canada, et l'endroit où ces risques sont les plus élevés à ce moment précis. Est-ce en Colombie-Britannique, à Halifax ou ailleurs?
    Nous avons transmis à la Dre Tam et à son bureau certaines de nos observations sur les déplacements des voyageurs dans le monde, puis nous l'avons rencontrée en personne pour discuter des résultats et du besoin de systèmes de façon plus générale. Nous avions déjà formulé des commentaires sur les données intérieures au sein du Canada. Nous ne sommes manifestement pas une population fermée; nous sommes un microcosme du monde et avons une des populations les plus branchées sur terre.
    Pour nous, il était essentiel d'avoir de meilleurs systèmes non seulement pour repérer les menaces, mais aussi pour évaluer rapidement les risques qu'elles présentent, afin d'avoir une longueur d'avance et de mobiliser nos ressources, de renforcer notre surveillance au bon endroit et au bon moment et de vous fournir plus de détails sur les risques afférents aux événements de Wuhan. C'était quelques jours seulement après le Nouvel An, au début du mois de janvier.
    À ce moment-là, avez-vous formulé des recommandations sur la fermeture des frontières et ce que cela signifierait pour la Dre Tam et son équipe, peut-être?
    Nous avons évidemment discuté de la nature des risques, mais vous vous souviendrez bien sûr qu'au début du mois de janvier, nous ne savions même pas qu'il s'agissait du coronavirus. De toute évidence, le virus a suscité suffisamment d'inquiétudes chez nous puisqu'il avait des similitudes avec l'éclosion du syndrome respiratoire aigu sévère, ou SRAS, qui était apparu à Guangdong à la fin de 2002. Nous avions des craintes en raison des ressemblances avec le SRAS.
    Cependant, dès que nous avons eu plus d'information et avons su qu'il s'agissait d'un nouveau coronavirus, nous avons communiqué directement avec la Dre Tam et son bureau. Ces gens étaient visiblement au courant, mais ce qui nous inquiétait alors, c'est que nous savions que les deux derniers nouveaux coronavirus, soit le syndrome respiratoire du Moyen-Orient, ou MERS, et le SRAS, avaient tué respectivement le tiers et 10 % des personnes atteintes. Aussi, il n'existe à notre connaissance aucun vaccin ou antiviral efficace contre ces virus.
    L'émergence d'un nouveau coronavirus signifie que le monde entier est exposé, ce qui représente beaucoup de carburant pour une épidémie. C'était aussi en plein hiver, au moment où les affections respiratoires touchent la population. À la lumière du rapport signal sur bruit et de la découverte du virus à un moment où les maladies fébriles battent leur plein, la situation nous a certainement inquiétés.
    J'ai une dernière remarque: je crois que c'est le 13 janvier que le premier cas a été signalé à Bangkok. D'ailleurs, il se trouve que c'est la ville qui courait le plus grand risque, selon notre évaluation. À ce moment, nous savions qu'il ne s'agissait pas de quelques dizaines de cas. Pour que des cas soient repérés dans une ville de 11 millions d'habitants, il devait y avoir des centaines, voire des milliers de personnes atteintes. C'est vraiment à ce moment que l'inquiétude a monté d'un cran. Mais en présence d'une maladie émergente, nous apprenons malheureusement au fur et à mesure. Personne ne connaît toutes les réponses, et il faut prendre des décisions tandis que de nouveaux renseignements sont disponibles.
    Merci, monsieur Jeneroux.
    Monsieur le président, puis-je demander au Dr Khan de soumettre au Comité les premières informations qu'il a transmises à l'Agence de la santé publique du Canada?
    Bien sûr.
    Je vous remercie.
    Je serai heureux de le faire.
    Monsieur Jeneroux, je vous remercie.
    C'est maintenant au tour de Mme Jaczek.
    Madame, vous avez cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins. La séance d'aujourd'hui a assurément été fascinante. Il y a eu de véritables divergences d'opinions, surtout entre les trois premiers témoins.
    Je vous remercie tous les trois pour vos opinions très réfléchies. Nous passons d'un extrême à l'autre, avec M. Attaran qui croit que nous ne sommes vraiment pas allés assez loin, et le Dr Schabas, qui affirme au contraire que nous sommes peut-être allés trop loin.
    En tant que membres du Comité, nous souhaitons vivement connaître l'opinion de chacun, mais une partie de notre travail consiste à trouver des points communs et des éléments d'entente. Le sujet qui semble faire l'unanimité, et dont de nombreux témoins nous ont beaucoup parlé, c'est le besoin d'avoir un système national de surveillance des données en matière de santé publique. Bon nombre d'entre vous ont illustré que les provinces recueillent en réalité les données différemment. Il y a même eu des divergences interprovinciales dans l'utilisation de la définition d'un cas.
    Docteur Schabas, je vais vous adresser ma prochaine question compte tenu de votre vaste expérience, et puisque je vous connais depuis des années, en première ligne des milieux tant urbains que ruraux. À la fin de votre exposé, vous avez fait une remarque à propos d'un système national de surveillance. J'aimerais entendre votre point de vue sur le type de données que vous aimeriez obtenir, et sur les domaines importants qui doivent faire l'objet d'une collecte de données. Je suis persuadée que vous avez pris des décisions à plusieurs occasions qui étaient fondées sur des données inadéquates, ou sur un nombre inférieur de données que ce que vous auriez voulu. Pouvez-vous nous expliquer comment vous envisagez un tel système national de surveillance?

  (1750)  

    Merci, madame Jaczek. Je vous remercie encore d'avoir organisé mon invitation à la séance du Comité. C'était formidable. C'était fascinant d'écouter le Dr Fisman et M. Attaran. J'aurai peut-être l'occasion de réfuter certaines des choses qui ont été dites à un moment donné.
    En ce qui concerne la création d'un organisme national, nous avons toujours été très envieux des Américains. Ils avaient les Centers for Disease Control, une agence très respectée qui dirigeait et prenait les devants. Tout le monde se tournait vers ces centres pour obtenir des conseils, des orientations et des lignes directrices. Nous avions l'ancien Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada. Des gens très compétents y travaillaient, mais le Laboratoire n'avait pas le même prestige…
    Docteur Schabas, pouvez-vous parler un peu plus près du micro, et peut-être un peu plus lentement pour les interprètes?
    Veuillez m'excuser.
    Il y a une vingtaine d'années, nous avons eu l'idée de proposer la création d'un organisme national qui remplirait certaines de ces fonctions — j'avais d'ailleurs rédigé un éditorial à ce sujet dans le Journal de l'Association médicale canadienne. Je pense que l'occasion s'était présentée il y a 15 ans, après l'épidémie de SRAS, alors qu'il y avait un regain d'intérêt pour la santé publique et l'amélioration de notre capacité nationale à ce chapitre, ce qui a conduit à…
    Pardonnez-moi, docteur Schabas.
    L'interprétation a été interrompue. Nous allons suspendre la séance une minute jusqu'à ce qu'elle reprenne.

  (1750)  


  (1755)  

    La séance reprend.
    Docteur Schabas, veuillez continuer, s'il vous plaît.
     Comme je le disais, la vision que j'espérais que nous allions adopter il y a 15 ans ne consistait pas nécessairement à créer un organisme fédéral, mais bien un organisme national. Nous avions certaines ressources fédérales, mais c'était aussi à l'époque où l'Ontario mettait sur pied Santé publique Ontario, et où la Colombie-Britannique bonifiait le Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique.
    Il y avait un avantage réel à favoriser la coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces, car le fait est que ce sont les provinces qui recueillent les données et qui prennent la plupart des décisions en matière de santé publique. Votre pouvoir fédéral ne vous permet pas de leur dicter ce qu'elles doivent faire. Les provinces feront à leur tête. La seule façon de résoudre un problème semblable au moyen d'une stratégie uniforme et véritablement nationale consiste à obtenir l'appui des gens. Il faut faire en sorte que les provinces soient disposées à respecter les consignes parce qu'elles sont convaincues que c'est la bonne chose à faire, et parce que le prestige des directives qu'elles reçoivent de l'organisme national suffit à… Je ne vais pas dire qu'elles doivent rentrer dans le rang, mais plutôt adopter une approche cohérente.
    Nous ne pouvons jamais nous attendre à ce que toutes les mesures soient identiques. Voici un excellent exemple: pourquoi la réponse de la Colombie-Britannique à la COVID devrait-elle être la même que celle du Québec? Leurs situations sont très différentes. Je pense que nous serions tous beaucoup plus heureux si nous savions que nous avons un but commun, des objectifs communs et une ligne directrice commune.
    Je suis peut-être un peu naïf, mais j'espère qu'il y aura un autre regain d'intérêt à l'égard de la santé publique après la crise de la COVID — je suis persuadé que ce sera le cas. J'espère que nous reverrons la manière dont nous organisons les choses. Ce n'est pas une critique à l'égard de l'Agence de la santé publique du Canada. Je crois simplement qu'il serait plus efficace de mieux intégrer le processus avec les organismes provinciaux, et d'établir un véritable partenariat entre les provinces et le gouvernement fédéral à ce chapitre.
    Madame Jaczek, votre temps est pratiquement écoulé, mais je vais vous laisser poser une dernière question en raison du problème qui est survenu au milieu de votre intervention.
    Merci, monsieur le président.
    Docteur Khan, je vais peut-être m'adresser à vous. De toute évidence, BlueDot et vous avez été d'une grande utilité à l'Agence de la santé publique du Canada. Quelle était la nature des interactions entre BlueDot et vous et les organismes provinciaux, comme Santé publique Ontario?

  (1800)  

    Nous avons eu des interactions avec le ministère de la Santé de l'Ontario et avons travaillé activement avec la province. BlueDot compte une équipe d'une cinquantaine de personnes. Nous travaillons également par le truchement d'Affaires mondiales Canada…
    Veuillez m'excuser, docteur Khan, mais je vais vous demander d'ajuster votre microphone, s'il vous plaît.
    Je suis vraiment désolé.
    Nous collaborons également avec Affaires mondiales Canada pour favoriser le renforcement des capacités dans 10 pays d'Asie du Sud-Est — comme je l'ai mentionné dans mon discours d'ouverture. Nous travaillons également avec l'État de la Californie.
    À bien des égards, je pense que nous serions toujours prêts à appuyer les interventions en matière de santé publique dans tout le pays et à travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires. D'une certaine façon, nous avons toutefois eu du mal à le faire en pleine pandémie de la COVID-19. Cependant, nous avons établi un dialogue avec le fédéral, et nous produisons de semaine en semaine des analyses dans tout le pays, et aussi dans la province de l'Ontario.
    J'ignore si j'ai répondu à votre question, mais une grande partie des analyses visent à comprendre les questions liées à la distanciation sociale et à son rôle dans l'activité épidémique. Aussi, n'oubliez pas que même si nous sommes quelque peu confinés aujourd'hui, tandis que nous assistons à la réouverture de l'économie et que nous avons une population très susceptible, nous allons devoir commencer… Nous pourrions nous retrouver à l'avenir dans la même situation que la Nouvelle-Zélande. Nous devrons recommencer à tourner notre regard vers l'extérieur et à songer aux introductions qui pourraient déclencher la prochaine vague.
    Nous avons contribué à soutenir le regard vers l'intérieur et la résolution du problème dans notre propre cour, tout en surveillant la situation mondiale et les introductions possibles.
     Merci, madame Jaczek.
    Monsieur Kitchen, vous avez cinq minutes de temps de parole.
    Merci, monsieur le président.
     Je vous remercie tous de vos exposés, que j'ai beaucoup appréciés.
    Monsieur Attaran, hier, dans une conversation avec la Dre Tam, je l'ai interrogée sur la mise en commun des données entre les provinces et les organismes fédéraux. Vous avez répondu à beaucoup de questions que je vous destinais, mais je l'ai interrogée, en plus, sur les données démographiques, notamment sur la façon dont la ville de New York s'y est prise pour rassembler beaucoup plus de ces renseignements, etc. Elle m'a dirigé vers le site Web de l'Agence de la santé publique du Canada. Ce matin, j'ai donc profité de l'occasion pour le visiter. Avec l'aide de mon personnel, je suis finalement parvenu à trouver certains renseignements.
    On y lit que les données sont actualisées en date d'aujourd'hui et qu'on compte 4 201 cas de manifestations cliniques, dont 561, c'est-à-dire 13 %, de pneumonie diagnostiquée par examen clinique ou radiologique. Essentiellement, on y trouve beaucoup de renseignements, puis, tout d'un coup, un peu plus loin, un court avis selon lequel l'actualisation épidémiologique se fonde sur des renseignements reçus sur 38 746 cas. Les champs de données ne sont pas tous complets. Seuls les cas sur lesquels on possède des données sont pris en considération. Le résultat net est que le site fournit de mauvais renseignements sur nos données.
    Comment se fait-il que nous vous demandions, à vous ou à d'autres épidémiologistes, de produire des données et de fournir des modélisations, quand nous les publions avec de mauvais renseignements?
    Monsieur Kitchen, je vous remercie pour cette question très intelligente. Vous avez absolument raison. Vous avez dit qu'il y avait, en gros, 38 000 cas dans les données que vous avez consultées. De mémoire, je pense que nous avions environ 80 000 cas déclarés au Canada jusqu'ici. C'est donc moins de 50 % de l'ensemble. Ça signifie que, au nombre maximal de cas, n'importe qui comme les Drs Fisman ou Khan, quand ils font de la modélisation, ou moi, quand je le fais en amateur, nous partons de données incomplètes.
    Exact. Et...
    Ça cause des problèmes évidents.
    Quand les décisions de l'agence de santé publique se fondent sur les données de l'Organisation mondiale de la santé, qui, peut-être proviennent de Chine ou d'ailleurs, ce qui n'est pas la bonne façon de faire, encore une fois, comment parvenez-vous à produire ces bons renseignements?
    Docteur Fisman, avez-vous des observations?

  (1805)  

    Voici. Les membres de mon groupe à l'Université de Toronto se qualifient de « ratons laveurs de données », parce que nous avons trouvé le moyen de bien tirer notre épingle du jeu pendant une quinzaine d'années à partir de données que la plupart des gens considéraient comme bonnes pour les rebuts. Pour nous, c'est un peu la normalité en ce qui concerne l'analyse de données sur la santé publique. Nous avons un matériau qui est d'assez bonne qualité d'après nos normes.
    Pour notre travail avec les joueurs de l'Ontario, une table de modélisation a été convoquée ces dernières semaines. On nous a donné accès aux dossiers des cas. On peut en tirer beaucoup de données utiles, mais de nombreux champs sont lacunaires. Nous pourrions faire mieux, mais qu'on n'oublie pas que ces champs sont remplis par des épidémiologistes de première ligne de la santé publique qui sont très talonnés.
    Je soupçonne que votre perception de l'Agence de la santé publique du Canada est qu'elle publie les données dont les champs sont complets, et c'est sa façon de compenser les données manquantes, l'ordinaire de l'analyse des données épidémiologiques. Cela se produit, peu importe la qualité des données dont on dispose. J'aimerais bien mieux connaître la démarche suivie avant la prise des décisions, mais, parfois, c'est suffisant.
    Mais c'est un obstacle quand on ne possède pas de données convenables et qu'on ne le comprend pas.
    J'ai l'intention de creuser un peu plus.
    Monsieur Ciciretto, vous avez parlé de dépistage de qualité des anticorps. Vous et tous les témoins que nous avons entendus jusqu'ici, vous nous en avez appris beaucoup sur le dépistage. La semaine dernière Santé Canada a autorisé le premier test de dépistage sérologique des anticorps chez les personnes ayant contracté ou pouvant avoir contracté la COVID-19. Le test autorisé provient d'une société italienne de biotechnologies.
    Savez-vous si, au Canada, nous avons la capacité de produire ces tests?
    Nous l'avons. Le test autorisé provient d'une société appelée DiaSorin. Nous ne possédons pas la plateforme, notamment, qui est indispensable. Pourrions-nous l'acquérir? Oui.
    En ce moment même, nous collaborons avec d'autres entreprises, d'importants producteurs de diagnostics, qui cherchent à obtenir également l'autorisation de Santé Canada pour un test sérologique. Je peux ensuite compter sur 200 centres de prélèvement et 850 phlébotomistes qui peuvent prélever ces échantillons, les apporter dans un laboratoire et les déposer sur les plateformes dont nous disposons aujourd'hui, pour effectuer les tests rapidement, efficacement et avec exactitude.
    Merci, monsieur Kitchen.
    Entendons maintenant M. Kelloway.
    Vous disposez de cinq minutes. Allez-y.
    Merci, monsieur le président.
    Chers collègues, bonjour.
    Je tiens à remercier particulièrement nos témoins. Comme Mme Jaczek, je dirai qu'il est intéressant d'entendre une gamme si riche d'opinions, de points de vue, et également d'antécédents professionnels dans une foule de domaines. Je m'en réjouis vraiment. C'est très éclairant.
    Docteur Khan, votre travail est très fascinant par les techniques que vous utilisez. Je ne tiens pas nécessairement à revenir sur le passé, mais plutôt, sur une éventuelle deuxième ou même troisième vague.
    Pouvez-vous expliquer comment votre technique permettrait de les reconnaître et de les identifier de plusieurs manières? Pourriez-vous éclairer un peu mieux le principal facteur de risque susceptible de déclencher la prochaine vague?
    Pour l'expliquer, employons la métaphore du détecteur de fumée et de l'extincteur. Pendant six années et demie, nous avons construit des systèmes capables de détecter rapidement les menaces, parce que nous savons, comme je l'ai dit, que le temps est notre allié le plus précieux.
    Il importe beaucoup, une fois la détection faite, de déterminer les risques qui nous guettent — non seulement du fait de la propagation de la maladie, mais du fait également des ruptures consécutives —, parce que les maladies se propagent tout le temps autour du monde. Elles ne causent pas toutes des épidémies ou des pandémies. C'est une nécessité complexe, parce que chaque maladie se comporte différemment des autres. Le virus Zika diffère de l'Ebola, lequel diffère d'ailleurs de la COVID-19 ou de la rougeole.
    Au fil des années, nous nous sommes donné la capacité d'acquérir une vue d'ensemble des événements de la planète, pour les corréler aux facteurs géographiques, vraiment en quelques secondes.
    En ce qui concerne le début de la propagation d'une maladie, à l'échelle locale, c'est là que nous avons utilisé — encore une fois, je tiens à le souligner, de façon anonyme — seulement les impulsions, les emplacements numériques de centaines de millions d'applications mobiles et d'appareils mobiles.
    Ce genre d'information peut nous aider à comprendre. En fin de compte, c'est un virus qui se propage, comme l'a dit le Dr Fisman, à la faveur des déplacements et des interactions de personnes. Il s'agit vraiment d'ensembles de données riches — plus de trois milliards de données ponctuelles par jour — qui peuvent vraiment nous permettre de comprendre comment ces déplacements ont lieu pour que nous puissions ensuite commencer à prévoir le sens de l'évolution de l'épidémie. Ça nous permettrait également de nous faire une idée de certaines des interventions non pharmaceutiques, comme la distanciation physique ou les recommandations de mise en quarantaine. À l'échelle d'une population, est-ce qu'on y donne suite?
    Je tiens à souligner que nous ne suivons personne qui est infecté ni ses contacts. Nous observons des mouvements de populations.
    La prochaine vague, personne ne sait vraiment à quoi elle ressemblera ni comment, exactement, elle se déroulera, pour s'en tenir à la simple réalité. Voilà une maladie complètement inédite. Il est certain que nous avons des appréhensions pour les derniers mois de l'automne... Nous savons que les coronavirus préfèrent les climats frais et secs, où ils peuvent se transmettre plus efficacement. Entretemps, nous corrélons actuellement beaucoup de ces données sur la mobilité pour comprendre l'évolution de la courbe de l'épidémie. Peut-être pouvons-nous tirer des leçons des différences géographiques et des emplacements qui semblent déconfiner la société d'une manière à procurer un certain sens de la normalité et assurer une sorte d'activité économique sans connaître d'augmentation exponentielle de l'épidémie. Je pense que c'est vraiment la question à un million de dollars. Comment faire mouche élégamment?
    Bien honnêtement, j'ignore si quelqu'un possède les réponses à ces questions. Ça nous ramène à l'importance cruciale de la surveillance, du dépistage et du contrôle, parce que, alors que nous commençons à déconfiner la société, il sera incroyablement important d'observer très attentivement la réaction de l'épidémie et sa transmission.
    J'espère vous avoir peut-être donné une petite idée de ce que nous avons désormais à l'esprit.

  (1810)  

    Vous avez réussi.
    Je pense que vous avez parlé de mesurer le degré de rupture dans la société. Je me trompe peut-être de catégorie.
    Pouvez-vous en dire un peu plus à ce sujet?
    Oui. Merci. C'est un enjeu vraiment gros et très important.
    Nos quatre critères sont le dépistage, la dispersion, la rupture et la dissémination. Le dépistage, celui qui intervient tôt, se passe d'explications. La dispersion c'est la façon, pour ces maladies, de franchir des distances continentales en quelques heures. Comment prévoir ce qui se déroulera ensuite? Sans nous encombrer des détails nombreux de l'épidémiologie, ce qu'on appelle parfois le triangle d'une maladie infectieuse est une rupture ou une épidémie qui se situe vraiment au point de rencontre des caractéristiques du microbe ou du germe, de celles de la population et des conditions ambiantes.
    Le virus Zika ne se propagera pas ici, localement, à Toronto, faute de moustiques et de chaleur. Il pourrait se propager à Miami, en juillet, mais peut-être pas en janvier. C'est un ensemble très complexe de données et nous rassemblons des centaines de sources de données à partir des données satellitaires en temps réel jusqu'aux facteurs démographiques, etc., en passant par les observations d'insectes. Nous pouvons le faire sur plus de 100 maladies, ce qui peut nous donner une idée de la conjugaison des facteurs nécessaires pour que, effectivement, survienne une épidémie, une rupture.
    Comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas un problème de données. Il faut une connaissance approfondie de la matière intégrée dans une connaissance analytique approfondie des données et de la science des données. Voilà notre domaine d'action. Nous suivons notre voie et nous avançons bien, mais c'est un défi formidable, et qui nous occupera vraiment pendant des années.
    Merci, monsieur Kelloway.
    Je vous en prie.
    La parole est maintenant à M. Thériault.
    Vous disposez de deux minutes et demie.

[Français]

     Je vous remercie, monsieur le président.
    Ma question s'adresse au professeur Fisman. M. Schabas pourra peut-être exprimer son opinion également.
    On n'a pas encore de vaccin ou de médicament antiviral. On commence à peine les tests sérologiques. Devant la volonté de déconfinement, on a vu apparaître tout à coup, et de façon un peu précipitée, la notion d'immunité collective. Or on n'a pas vraiment de certitude quant aux données exactes, au lien entre la COVID-19 et l'immunité collective.
     Pouvez-vous nous dire où en sont les connaissances ou les études sur l'immunité collective dans le contexte de la COVID-19? Pouvez-vous nous décrire l'état de la situation?
    Dans l'éventualité où le rythme de déconfinement serait idéal, atteindrions-nous l'immunité collective? À quel rythme faudrait-il l'atteindre pour que tout cela soit sécuritaire?

  (1815)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous avons beaucoup de variables. On peut décrire approximativement l'immunité collective comme une fonction du taux de reproduction de la maladie. Plus le taux est élevé, plus la population doit être immune pour que la maladie n'explose pas. Voilà pourquoi nous constatons des épidémies de rougeole quand les taux de vaccination tombent à peine, parce que le taux de reproduction de cette maladie, dans une population réceptive, est d'environ 20. Chaque cas peut en engendrer une vingtaine de nouveaux.
    Notre maladie est beaucoup moins infectieuse. Son taux de reproduction se situe entre 2 et 3. Il faut donc que de la moitié aux deux tiers de la population soient immuns pour obtenir une immunité collective, celle qui, avec l'introduction d'un cas infectieux dans la population, prévient l'épidémie.
    Où en sommes-nous maintenant? Je l'ignore. J'effectue une méta-analyse sans cesse remise à jour des études de la séroprévalence à mesure qu'elles sont publiées. Elle en englobe maintenant une cinquantaine. On peut comparer la prévalence des anticorps dans des populations à ce que ces communautés croient qu'elles ont, actuellement, par le nombre de cas qui s'y trouvent. Ça s'appelle une méta-analyse cumulative, qui consiste simplement à ajouter les études, successivement. Le fin mot de l'histoire, d'après moi, est que nous détectons environ 7 % des cas. Le facteur d'inflation se situe entre 10 et 20.
    Au Canada, avec 80 000 cas reconnus, il y aurait en réalité entre 800 000 et 1,6 million de cas. Ça nous situe — le calcul risque de ne pas aboutir — à 4 %.
    À ce taux, New York nous devance amplement. Cette ville a de bonnes données sur la séroprévalence. Son taux de cas est d'environ 15 %, mais, pour y arriver, ç'a été le parcours du combattant: la plus grande partie de son réseau hospitalier s'est effondré en bloc, notamment dans le Bronx et Queens. Ça signifie que l'immunité collective pourrait atteindre 50 à 70 % en refaisant ce parcours quelques autres fois. On ne le tolérera pas. Ce résultat a coûté la vie à 20 000 New Yorkais de tous les âges.
    Notre tâche, désormais... Beaucoup de pays, de fait beaucoup de provinces du Canada, nous montrent que nous pouvons réduire la maladie à de faibles taux, puis, ensuite, employer des pratiques exemplaires de santé publique. Je suis d'accord avec le Dr Schabas: on ne peut pas rechercher les contacts quand le nombre quotidien de cas s'élève à 200, comme à Toronto. C'est simplement trop. À 5 cas par jour, c'est sûrement possible. Si on fait beaucoup de dépistage, ce l'est également. Il faut recourir à la distanciation pour rabattre le taux de reproduction. Il se situe encore autour de l'unité au Québec et en Ontario. J'ajouterais que l'épidémie, dans sa forme canadienne, jusqu'à maintenant, est essentiellement québéco-ontarienne. Jusqu'ici, c'est mission accomplie pour les autres provinces. Si on peut le faire, on peut ensuite commencer à employer d'autres mesures de santé publique comme la recherche des contacts, pour localiser la maladie et traverser l'été tout en laissant l'économie redémarrer.
    Nous n'avons absolument pas abordé la question des masques. Ils portent actuellement un témoignage écologique assez convaincant de leur efficacité, puisque la plupart des pays qui obtiennent de meilleurs résultats que nous en sont des adeptes. On peut contester les conclusions de la science et organiser un colloque, dans cinq ans, pour déterminer qui avait raison ou, d'autre part, invoquer le principe de précaution et adopter tout de suite les masques, ce que, je crois, la Dre Tam a commencé à faire.
    Nous disposons d'un vaste champ de manœuvre pour maintenir bas le taux de reproduction, relancer l'économie jusqu'à un certain point et nous en sortir vaille que vaille.
    Les vaccins sont en effervescence. Ceux à ARN n'existaient pas il y a 10 ans. Un vaccin à virus vivant vraiment emballant a été mis au point au Royaume-Uni, où la pharmaceutique AstraZeneca le manufacture à l'échelle industrielle tout en poursuivant les tests. Si les tests aboutissent, des millions de doses seront prêtes à injecter.
    Nous devons éviter les mortalités massives tant que nous ne pourrons pas combattre effectivement la pandémie. Nous y parviendrons, mais avec ténacité, patience, compétence, dans un pays inhomogène. Certains endroits s'en sont montrés capables; d'autres, non. Je suis désolé d'avouer que j'ai l'impression que ma province, à sa pleine grandeur, ne s'est pas distinguée, contrairement à des unités locales de santé publique qui, chacune de son côté, l'ont fait de façon brillante.

  (1820)  

    Merci, monsieur Thériault.
    Au tour, maintenant, de M. Davies, qui dispose de deux minutes et demie.
    Merci
    Docteur Fisman, la semaine dernière, vous avez déclaré: « Je continue de m'inquiéter de l'attention insuffisante accordée à l'épidémiologie chez les enfants. Je sais que des études ont débuté en Allemagne et en Suisse, mais l'Amérique du Nord est encore en friche. » Vous avez ajouté: « Pour ceux d'entre nous qu'inquiète vraiment la possibilité que les enfants soient d'importants vecteurs de cette maladie... ».
    Comme peu de recherche a été faite en Amérique du Nord et que vous craignez que les enfants ne soient d'importants vecteurs, comment l'accorder avec la réouverture des écoles?
    Franchement, c'est un dilemme.
    Je pense avoir dit que cette maladie est une maladie de foule, et le déconfinement peut donc, dans beaucoup de cas, être efficace de manière économique et sûre, si on évite les foules. Or, c'est très difficile à faire, en réalité, dans les écoles, ce qui a aussi d'importantes conséquences économiques. C'est le plus difficile.
    On craint les concentrations d'enfants parce qu'on a constaté qu'ils étaient des vecteurs efficaces d'autres maladies infectieuses respiratoires non mortelles pour eux.
    Dans ce cas, pourquoi rassembler ces vecteurs en grands nombres pour ensuite les renvoyer chez eux, au contact de personnes âgées?
    Quel est le dilemme?
    Pour désentraver l'économie nationale. Même si 40 % de nos actifs peuvent faire du télétravail, c'est souvent difficile pour des parents qui doivent en même temps surveiller les enfants.
    C'est bien un problème. Des pays comme la Corée ont gardé leurs écoles fermées. C'est encore le cas à Hong Kong. Je pense qu'elles commencent tout juste à rouvrir, parce qu'il n'y a à peu près aucun nouveau cas jusqu'ici.
    Je pense que les endroits où les autorités sanitaires ont bien fait leur travail ont procédé avec prudence. Les enfants sont des vecteurs de nombreuses maladies infectieuses respiratoires, même si, eux-mêmes, ont tendance à ne pas en souffrir.
    Merci.
    Docteur Khan, je passe rapidement à vous.
    Vous faites de l'excellent travail. D'après un article de l'U of T News, BlueDot a été l'une des premières dans le monde à prédire l'arrivée d'une nouvelle maladie susceptible d'être dangereuse, la COVID-19. Vous avez tiré la sonnette d'alarme le 31 décembre 2019, avant les Centers for Disease Control des États-Unis ou l'Organisation mondiale de la santé. Vous avez également prédit les 11 villes qui seraient ensuite frappées par le nouveau coronavirus.
    Je vous cite: « Nous ne savions pas nécessairement que ça taperait si fort... Mais nous savions qu'elle avait tout pour le faire ».
    À quel moment, à peu près, saviez-vous que la COVID-19 ou le nouveau coronavirus avait la capacité de se transmettre sur de grandes distances en semant le chaos?
    Je pense que le point de bascule se situe le 31 décembre. La première fois, cette nouvelle a certainement causé l'alarme. Vers le milieu de janvier — je devrai retrouver la date exacte — le premier cas s'est présenté à Bangkok.
    Je vais vous donner une idée de l'inquiétude croissante.
    Quand nous avons appris que l'agent était un nouveau coronavirus, vers le 8 janvier, je crois, on s'inquiétait pour toutes les raisons que j'ai exposées tout à l'heure, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient et le syndrome respiratoire aigu sévère, et leurs points communs: absence de vaccin, aucun antiviral efficace, aucune immunité sous-jacente et le fait que nous étions au milieu de la saison des rhumes.
    Nous savions que, jusqu'à ce moment-là, des dizaines de cas avaient été signalés en Chine. Celui de Bangkok était le plus inquiétant, vu l'afflux de voyageurs de Wuhan dans une ville de 11 millions d'habitants... Les chiffres ne concordaient pas entre eux: un cas dans une autre ville vers laquelle se dirigent beaucoup de voyageurs. C'est à ce moment que l'inquiétude nous a gagnés, mon équipe et moi.
    Nous n'avions pas encore toutes les réponses, mais nous craignions beaucoup que ce soit un nouveau coronavirus. C'était un foyer beaucoup plus important qu'il ne le semblait. Forcément, ça ne nous semblait pas simplement un effet domino, des personnes infectées au marché. S'il y avait des centaines ou des milliers de cas, il fallait que la propagation de personne à personne soit plus efficace.
    C'est vers le milieu de janvier que nous avons éprouvé des inquiétudes sérieuses sur l'éventuel déroulement du phénomène.

  (1825)  

    Merci.
    La deuxième série de questions vient de se terminer. M. Webber entame la troisième.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président. Je remercie également les auteurs des exposés, qui ont été très intéressants.
    Monsieur Attaran, merci de votre mémoire sur la mise en commun des données sur la pandémie. Vous y disiez que lors de l'épisode du SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, en 2003, l'Organisation mondiale de la santé avait exigé du Canada des données épidémiologiques sur l'ampleur de l'épidémie, à l'époque, particulièrement à Toronto. Le problème était que le Canada était absolument dans l'incapacité de répondre à cette demande, à cause de la querelle des compétences que vous avez décrite aujourd'hui relativement à la mise en commun des données.
     Voilà pourquoi Santé Canada n'a pas été en mesure de répondre aux questions de l'organisme, ce qui l'a rendu méfiant, parce qu'il soupçonnait notre pays de dissimulation, ce qui l'a ensuite amené à recommander d'éviter les déplacements vers le Canada, faisant de notre pays l'un des deux seuls — avec la Chine — qu'elle a ensuite sanctionnés.
    Hélas, ça recommence! Monsieur Attaran, le voyez-vous aussi? Quelles seront les conséquences d'une nouvelle sanction?
    Monsieur Webber, que de justesse dans ce résumé! À l'époque du SRAS, deux pays ont été stigmatisés par un avis aux voyageurs de l'Organisation mondiale de la santé, et le Canada en faisait partie. La Chine, pour ne pas avoir été exactement honnête, devons-nous le préciser, était l'autre. Or, nous ne dissimulions pas, contrairement à la Chine. Il nous était tout simplement impossible d'être honnêtes. Ottawa était incapable d'obtenir les données de l'Ontario puis de les communiquer au siège genevois de l'OMS.
    Rien n'a changé. C'est un risque qui pourrait se répéter. Hier, je crois que M. Kitchen a posé une question sur l'entente multilatérale sur l'échange de renseignements, entre les provinces et l'État fédéral. C'est un document tellement secret et tellement inefficace que, aujourd'hui encore, nous ignorons qui en sont les provinces signataires. Pouvez-vous le croire?
    En ce qui concerne l'agence de santé publique, je lui ai posé la question directement: qui sont-elles? L'agence ne répondra pas. Des clauses de l'entente empêchent l'analyse des données, celle qu'effectue le Dr Fisman. Conformément à l'entente, les provinces doivent autoriser la publication des analyses employant leurs données, ce qui signifie qu'elles peuvent supprimer des analyses qui peuvent sauver des vies. C'est affreux.
    Monsieur Attaran, c'est vraiment incroyable. Merci de votre témoignage.
    Docteur Fisman, encore une fois, merci à vous aussi, pour votre travail, votre engagement et vos sacrifices, de même que ceux de tous les soignants au Canada. Merci à eux tous.
    Vous avez parlé de certaines des pratiques exemplaires qui ont cours un peu partout au pays. C'est en Nouvelle-Écosse, avez-vous dit, qu'on chasse le virus, et vous avez également parlé des mesures prises en Saskatchewan pour réagir rapidement contre les foyers d'épidémie et les circonscrire.
    Vous avez ensuite parlé de l'Alberta et de l'intensification du dépistage dans cette province qui est, à ce chapitre, la plus efficace au Canada. Quelque chose ne marche pas. Je ne comprends pas. Comment est-ce que ça se peut pour elle, mais pas pour le reste du Canada? Où obtient-elle les produits de dépistage? Quel est son secret?

  (1830)  

    J'ignore dans quelle mesure je peux relater des conversations privées sur cette tribune publique, mais, d'après mes conversations avec des collègues de partout dans notre pays, il m'apparaît évident que les endroits qui ont bien tiré leur épingle du jeu étaient conscients des lacunes de leurs laboratoire et qu'ils ont collaboré avec des partenaires du privé pour en automatiser les processus. Tester 100 échantillons par jour est une chose; en tester 1 000 en est une autre.
    Les laboratoires capables d'un débit élevé de production et... M. Ciciretto est probablement le mieux placé pour répondre à cette question... Des Canadiens savent s'y prendre. On peut, de l'arrivée de l'échantillon au départ du rapport vers l'unité de santé publique, non par télécopieur, mais par voie électronique, considérablement moderniser les opérations pour supprimer les goulots d'étranglement comme ceux qui ont sévi en Ontario.
    Pour beaucoup de problèmes, on a incriminé la chaîne d'approvisionnement, mais, visiblement, cette chaîne est moins encombrée et, pourtant, elle reste parsemée d'embûches. En Ontario, la politique était également très présente. Ça se voit. On a eu accès à certaines données de dépistage à la faveur du processus de modélisation. On constate l'existence de chasses gardées. Même si le dépistage est censé être confié aux laboratoires hospitaliers et aux laboratoires privés, les laboratoires de santé publique ne lâchent pas prise.
    Je pense qu'en période de crise nationale, il faut rabattre son amour-propre et collaborer avec tous ceux qui se présentent. Essentiellement, à Terre-Neuve... L'expérience, là-bas, a été remarquable. Question de taille, peut-être, mais ça m'a semblé beaucoup une question d'amour-propre. On a créé là-bas un groupe de travail provincial constitué d'anciennes personnalités politiques, de chefs de file de la santé, de dirigeants d'entreprises et de quelques universitaires qui, à la même table, s'échangent des idées. Ça me rappelle l'histoire enfantine de la « soupe à la roche », à la confection de laquelle chacun contribue. À la fin, elle est savoureuse, et tous en mangent.
    C'est la façon de faire des Terre-Neuviens. Quelle révélation pour l'Ontarien que je suis, habitué de se faire demander des renseignements qui aboutissent dans un endroit obscur, où on ne sait jamais vraiment qui les a consultés, qui les a utilisés ou qui y a réagi. Là-bas, les comportements sont très différents, et cela rapporte. C'est l'Islande qui leur a donné l'idée de se lancer à la chasse du virus. Ils se sont dit qu'à l'ouest il y avait tout le Canada et, à l'est, ce pays qui fait de l'excellent travail et qu'il serait peut-être avantageux de consulter.
    Je pense qu'une partie de la recette, c'est de faire preuve d'humilité, d'observer les plus malins que soi et de les imiter.
    Absolument!
    Merci.
    Monsieur Van Bynen, vous disposez de cinq minutes. Allez-y.
    Merci, monsieur le président. Merci docteur Fisman d'être avec nous. C'est tellement stimulant d'entendre une telle diversité de points de vue qui aident certainement à bien comprendre la situation à laquelle nous cherchons à trouver des solutions.
    Si j'ai bien compris, vous êtes le coauteur d'une étude de l'impact de la recherche améliorée des contacts et des mesures de distanciation physique plutôt rigoureuses comparativement à une combinaison de mesures de recherche améliorée des contacts et d'une distanciation moins rigoureuse.
    Pourriez-vous faire part à notre comité des conclusions de votre étude et de leurs éventuelles conséquences?
    Je pense que vous faites allusion à notre article publié en mars dans le Journal de l'Association médicale canadienne. Notre modèle ressemble beaucoup à la plupart des autres modèles construits par des groupes compétents, notamment à celui d'un certain Steve Kissler, publié dans Science, environ un mois après.
    Nous avons entrepris de réduire la transmission par divers moyens pouvant abaisser le taux de reproduction de la maladie et prévenir le débordement des unités de soins intensifs. Nous avons appris... Nous ne prévoyions pas vraiment un nombre élevé de morts en Ontario dans les établissements de soins de longue durée. Nous les savions vulnérables, mais nous avons supposé, comme dans notre modèle, que les gens essaieraient de se protéger, ce qui ne s'est pas avéré.
    Nous avons constaté que diverses combinaisons d'identification des cas au moyen de la recherche des contacts et d'une simple distanciation physique suffisait à abaisser le taux de reproduction pour empêcher le débordement des unités de soins intensifs. C'est ce qui est arrivé au Canada, et c'est magnifique.
    Une deuxième mouture du modèle est sous presse, dans le journal Annals of Internal Medicine. Grâce à la table provinciale de modélisation, nous avons été mieux en mesure d'étalonner le modèle, c'est-à-dire de l'ajuster aux données réelles. Cela n'avait pas pu être fait avant, faute d'épidémie pour fournir les données. Nous pouvons l'ajuster à l'occupation des unités de soins intensifs de l'Ontario ainsi qu'à la mortalité hospitalière. Le volet des soins de longue durée est très difficile à ajuster dans n'importe quel modèle. Nous pouvons essentiellement constater que plus l'activité de la maladie diminue et plus nous retardons le déconfinement, plus nous retardons aussi la recrudescence.
    Dans notre article publié en mars dans le Journal de l'Association médicale canadienne, ma collègue et brillante modélisatrice Ashleigh Tuite, dont j'ai parlé, a eu l'idée de la distanciation sociale dynamique, qui dépend d'une excellente surveillance de la santé publique, qui permet de savoir quand les hôpitaux commencent à se remplir de nouveau et quand il faut renforcer la distanciation. Je crois vraiment que nos amis du groupe de Harvard peuvent s'en être inspirés. L'article de Science, également, quelques semaines plus tard. C'est l'adaptation aux mouvements de la maladie — les journalistes disent « surfer sur la vague » — jusqu'à l'obtention d'un vaccin, qui peut survenir plus tôt que je ne l'aurais imaginé.

  (1835)  

    Je vous remercie.
    Hier, j'ai posé des questions à la Dre Tam au sujet des provinces et des territoires et de leurs plans de reprise économique, ainsi que sur le fait que les gens commencent à sortir de chez eux pour profiter du beau temps. Afin d'assurer le suivi de ces questions, j'aimerais avoir votre avis sur la manière de faire tout cela de façon sécuritaire, en tenant compte des renseignements obtenus dans le cadre de votre étude.
    Ce ne sont pas nos recherches, mais celles d'un merveilleux mathématicien de Waterloo, Chris Bauch, qui a produit un document sur la possibilité de procéder à des reprises régionales en Ontario plutôt que de mettre en œuvre des politiques générales. Cela pourrait permettre de déterminer comment nous pouvons minimiser la durée du confinement.
    Je pense qu'une reprise naturelle des activités est en train de se produire de toute façon à mesure que le temps s'améliore, et c'est très bien. Cette maladie infectieuse ne semble pas se répandre particulièrement bien dans les parcs ou lorsque les gens se divertissent à l'extérieur, à condition qu'ils gardent une certaine distance entre eux. La maladie continue réellement à montrer qu'elle aime les grandes foules et les lieux intérieurs. Je pense que la dernière super propagation ici, en Ontario, s'est produite chez les travailleurs d'une serre à Chatham. Cet événement correspond exactement à la description de ce type d'événement, c'est-à-dire que 50 personnes ont été infectées en travaillant dans une serre. Lorsque les gens sont rassemblés en petits groupes et qu'on limite le nombre de personnes avec lesquelles ils peuvent travailler — nous appelons cela des « bulles de travail » — ou lorsque les gens font de l'exercice à l'extérieur ou qu'ils vont au parc ou qu'ils profitent de l'extérieur avec leurs enfants, le risque est minimal pour le reste d'entre nous.
    Nous avons donc besoin de bons systèmes de surveillance — et cela nous ramène à notre première conversation sur les tests — qui nous permettent de déterminer à quel moment nous sommes à nouveau en danger, comme c'était le cas en mars. Toutefois, je pense que nous aurons encore des difficultés à l'automne. Encore une fois, nous pouvons maintenant prendre beaucoup de recul. Ce virus est apparu en janvier dernier, mais nous ne l'avons pas vraiment pris au sérieux avant le mois de mars, et je pense que nous traversons ce cycle à nouveau. Tout professionnel qui étudie la dynamique de cette maladie pourra vous dire que nous sommes actuellement dans une accalmie, mais que la maladie va probablement réémerger en septembre ou en octobre. Nous avons maintenant une période de grâce pour nous préparer à une résurgence probable à l'automne. Je pense que nous devons mettre en place des systèmes de surveillance et nous améliorer grandement d'ici l'automne, car nous devrons être plus efficaces à ce moment-là. Nous pouvons faire beaucoup de choses, et nous pouvons faire beaucoup de choses de façon sécuritaire si nous évitons les grands rassemblements.
    L'idée de la bulle — et de nombreuses entreprises l'ont déjà mise en œuvre — est simplement que si l'on divise les gens en équipes relativement petites, si ces équipes ne travaillent pas en même temps dans le même lieu et si on nettoie les lieux en profondeur entre chaque équipe, on limite le nombre de personnes qui seront infectées si une personne infectée entre dans la bulle.
    Je pense qu'il y a beaucoup d'ingéniosité et une grande marge de manœuvre pour relancer l'économie en toute sécurité, tant que nous avons des systèmes de surveillance qui nous permettent de nous rendre compte que nous sommes à nouveau en danger.
    Je vous remercie.
    Madame Jansen, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
    Docteur Khan, je suis curieuse de connaître votre avis, à titre de spécialiste des maladies infectieuses, au sujet de l'accord actuel que Santé Canada a conclu avec la Chine sur la mise au point d'un vaccin contre la COVID-19.
    L'annonce mentionne que le Conseil national de recherches travaille avec CanSino Biologics pour faire avancer un vaccin qui est mis au point conjointement avec l'Armée populaire de libération. Apparemment, Santé Canada a même approuvé le premier essai clinique sur l'humain qui sera mené à la Dalhousie University, même si CanSino n'a publié aucune donnée de sa première phase d'essai aux fins d'un examen public.
    J'ai été stupéfaite d'apprendre cela. En effet, les cycles de mise au point d'un vaccin durent habituellement de 10 à 15 ans, et le cycle le plus court a été de quatre ans. L'Alliance des services de renseignement du Groupe des cinq a exprimé ses inquiétudes quant à la transparence de la Chine au sujet de cette pandémie. Les Chinois ont même nié, au début, qu'il y avait eu des contacts interpersonnels. De plus, des dénonciateurs ont disparu.
    Si nous voulons que les Canadiens fassent confiance à un vaccin contre la COVID-19, ne serait-il pas plus logique de travailler avec un partenaire plus fiable sur ce genre de chose? Cela ne vous semble-t-il pas dangereux?

  (1840)  

    Je vous remercie de votre question. Je vais tenter d'y répondre.
    En ce qui concerne les partenariats liés à la mise au point d'un vaccin, je dois admettre que je ne connais pas les détails de la façon dont le Canada envisage la mise au point d'un vaccin, que ce soit avec le gouvernement de la Chine ou avec des groupes de scientifiques chinois.
    Je crois que tous les points que vous avez soulevés sont très importants. On s'efforce visiblement de mettre au point un vaccin aussi rapidement que possible, non seulement pour des raisons liées à la prévention, mais également pour la mise au point de produits thérapeutiques.
    Je ne pense pas que je suis bien outillé pour parler des questions d'ordre éthique plus générales dans ce cas-ci. Je suis tout simplement moins bien informé sur les détails de ces circonstances précises.
    Mais il est évident que les points que vous soulevez au sujet de la transparence sont essentiels dans tout projet scientifique. Je crois donc que c'est un enjeu crucial.
    M. Ciciretto ou un autre témoin a peut-être quelque chose à ajouter.
    Mon temps est limité. J'ai une autre question, mais elle ne s'adresse pas précisément à vous.
    Monsieur Attaran, vous avez dit que nous pouvions vous poser des questions au sujet de la réunion d'hier.
    J'ai interrogé la Dre Tam sur sa volte-face au sujet de l'utilisation des masques. En effet, jusqu'au début du mois d'avril, la Dre Tam soutenait qu'une personne asymptomatique ne devrait pas porter de masque, car cela ne fonctionnait pas et pourrait même être nocif. Puis, le 6 avril, elle a changé d'avis et a déclaré qu'un masque était une bonne protection supplémentaire.
    En réponse à ma question sur la raison de ce changement dans son message, elle a affirmé qu'apparemment, de nouvelles données probantes avaient été publiées.
    Comme il s'agissait d'un agent pathogène respiratoire, j'imagine que, parmi toutes les mesures de prudence possibles, les masques auraient été utiles dès le début.
    À votre avis, quelles nouvelles données probantes ont été publiées au cours de cette pandémie pour modifier sensiblement la façon dont nous jugeons l'efficacité des masques comme mesure prophylactique?
    Je ne sais pas comment dire cela, mais la Dre Tam n'a pas dit toute la vérité.
    Dans la semaine ou dans les 10 jours... Veuillez m'excuser, mais je ne connais pas le délai exact entre le moment où elle a déclaré que les masques ne devraient pas être recommandés au public et celui où elle a changé d'avis pour donner des indications permissives sur l'utilisation des masques à des fins non médicales. Toutefois, pendant cette courte période d'une semaine ou de 10 jours, comme je l'ai dit, aucune nouvelle donnée probante n'a émergé pour justifier ce changement.
    On a manifestement mené d'autres études sur les masques, et certaines étaient de nature biophysique, c'est-à-dire qu'elles s'intéressaient à la taille des particules qui pénètrent dans un masque et sur les conditions dans lesquelles elles le font. Mais dans cette période cruciale, il n'y a certainement pas eu d'étude qui aurait changé la donne.
    J'aimerais poser une dernière brève question, car mon temps est presque écoulé.
    Dans votre mémoire, vous avez fourni un diagramme qui montre que les trajectoires pandémiques de l'Australie et, je crois, de la Corée du Sud étaient bien meilleures que celle du Canada. Dans toutes les situations catastrophiques, il n'y a jamais qu'une seule cause à la tragédie, et je présume que c'est la même chose lorsque les choses tournent bien.
    Selon vous, quels sont les éléments essentiels qui ont permis d'obtenir de meilleurs résultats dans ces pays comparativement au Canada?
    Les Australiens, par exemple, ont très vite interrompu les voyages entre leur territoire et la Chine. Ils l'ont fait en même temps que le président Trump, mais pour des raisons plus valables que celles de M. Trump.
    Ils ont également organisé très rapidement la coordination entre leurs États — ou leurs provinces, si vous préférez — et le gouvernement fédéral. Comme je l'ai mentionné, ils ont signé un accord de coopération le 13 mars. Nous n'avons même pas encore conclu ce type d'accord ici.
    En général, les Australiens ont un sens très aigu de la biosécurité parce qu'ils vivent sur un continent insulaire et ils l'ont perfectionné au fil des années. Ils sont donc beaucoup plus sensibles que nous aux risques venant de l'étranger. Nous avons commis l'erreur de ne pas imposer de restrictions sur les voyages assez rapidement et nous le regretterons sûrement pendant de nombreuses années.
    J'ai également l'impression que les Australiens ont pratiqué la distanciation sociale de manière exceptionnellement efficace. Bien sûr, il est difficile de mesurer avec précision l'ampleur de la distanciation sociale. M. Fisman pourrait vous en parler mieux que moi, mais même de mon point de vue profane sur la question, il est visible que les Australiens ont pris la distanciation sociale plus au sérieux que les Canadiens dès le début de la pandémie, et cela a eu un impact déterminant.

  (1845)  

    Je vous remercie.
    Madame Sidhu, vous avez la parole. Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je remercie également les témoins d'être ici aujourd'hui.
    Comme vous le savez, j'aime beaucoup tous les témoins. Hier, la Dre Tam et son équipe ont comparu.
    Notre comité se concentre réellement sur le soutien aux Canadiens et sur la meilleure façon de les aider.
    Aujourd'hui, je tiens à remercier tous les témoins. Ma première question s'adresse au Dr Khan.
    Vous avez parlé du niveau de rigueur et du déclenchement de la prochaine vague. Pourriez-vous expliquer à notre comité comment votre technologie peut être utilisée pour surveiller l'arrivée d'une deuxième ou d'une troisième vague de COVID-19? Selon vous, quel est le plus grand risque à venir?
    Dans la technologie que nous avons mise au point, et je reviens à la métaphore du détecteur de fumée et de l'extincteur, nous nous sommes vraiment beaucoup plus concentrés sur la mise au point de systèmes d'alerte précoce qui pourraient nous signaler l'approche d'une menace.
    La COVID-19 est maintenant ici et nous en sommes tous très conscients. Nous sommes plutôt en mode de lutte contre les incendies et nous nous saisissons de l'extincteur pour éteindre les feux.
    Avec notre technologie, nous appuyons les décisions en matière de santé publique en aidant les intervenants à comprendre les déplacements de la population et la façon dont ils sont liés à la transmission de la COVID-19 dans tout le pays.
    J'ai deux commentaires à formuler en ce qui concerne la prochaine série de vagues. Tout d'abord, la grande majorité de la population du Canada demeure manifestement susceptible de contracter la maladie, comme nous l'avons entendu. Ainsi, nous pourrions observer une remontée du nombre de cas à l'automne en raison d'une série de facteurs, notamment les conditions climatiques et les interactions entre les gens. Mais nous pourrions aussi nous retrouver dans une situation semblable à celle d'autre pays, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, dans lesquels les cas importés contribuent au déclenchement de la vague suivante.
    Nous devrons donc surveiller à la fois la situation interne et la situation externe. Ce sont quelques exemples de la façon dont notre technologie vise l'intérieur du pays, mais aussi le reste du monde.
    Je vous remercie.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Ciciretto. Votre entreprise se trouve à Brampton et elle a récemment commencé à communiquer les résultats des tests de la COVID-19 en ligne plutôt qu'au téléphone. Comment cela a-t-il amélioré l'efficacité de votre processus de tests?
    À ce jour, au Canada, 1,3 million de personnes ont été testées. Qu'en pensez-vous? Comment la communication des résultats en ligne plutôt qu'au téléphone a-t-elle accru l'efficacité de votre processus de tests?
    La capacité de transmettre directement les résultats d'un analyseur à un système d'information de laboratoire et aux bases provinciales de données sur la santé est essentielle à au moins deux égards. Il y a tout d'abord la rapidité du processus. En effet, aussitôt qu'un résultat est prêt, il faut s'assurer de pouvoir le communiquer.
    Ensuite, il y a l'exactitude, et c'est peut-être encore plus important. En effet, dès qu'il y a une interaction humaine quelconque, par exemple lorsqu'on prend manuellement le résultat d'une machine pour l'entrer dans un ordinateur, il y a toujours un risque d'erreur, et c'est quelque chose que l'on souhaite manifestement éviter.

  (1850)  

    Docteur Fisman, comme vous le savez, l'Agence de la santé publique a une opinion sur les masques non médicaux.
    Vous avez également mentionné une stratégie pour favoriser l'adoption des masques. Comment cela peut-il aider les Canadiens?
    Nous ne le savons pas, mais nous pouvons présumer que cela nous aiderait beaucoup, surtout si nous pouvons réduire le taux de reproduction de la maladie à environ 1. En effet, c'est un moment décisif, car à ce point, de très petits changements dans la transmissibilité de l'infection peuvent réellement endiguer l'épidémie et jusqu'à l'enrayer.
    Ce qu'il faut retenir à propos des masques et des maladies comme celle-ci, c'est que les masques fonctionnent dans les deux sens. En effet, ils réduisent la possibilité que vous receviez des particules infectieuses dans votre nez, votre bouche et vos yeux — si vous ne touchez pas votre visage. Ils vous empêchent aussi d'infecter d'autres personnes. L'élément le plus important, dans le cas de cette maladie, c'est probablement la réduction de la transmission, qui se fait très efficacement, même avec des masques en tissu. Nous savons que ce point est très important dans le cas de cette maladie, car dans une étude menée à Hong Kong et publiée dans la revue Nature il y a environ un mois, Gabriel Leung et ses collègues estiment qu'environ 44 % des transmissions de la maladie à Hong Kong se sont produites chez des personnes présymtomatiques. Il s'agit de personnes qui ont été malades le lendemain, mais qui se portaient bien le jour de la transmission. Ils n'avaient donc pas modifié leur comportement ce jour-là.
    Les masques peuvent avoir un effet considérable, car si je porte un masque et que je deviens infectieux, mais que je ne le sais pas encore, je n'infecterai pas les autres. Tout le monde veut porter un masque pour se protéger des autres. Je suis d'accord pour que les gens se servent de cette raison pour porter un masque. C'est une raison assez évidente. De plus, les chirurgiens portent un masque dans la salle d'opération pour bloquer l'extrusion de gouttelettes respiratoires qui pourraient infecter les patients qu'ils opèrent. C'est le même concept, sauf qu'en public, on porte un masque non pas pour se protéger nécessairement — bien que cela puisse être le cas —, mais pour protéger les autres de soi si on est contagieux, mais qu'on ne présente pas de symptômes.
    Comme je l'ai dit, nous avons reçu des données sur la reproduction en Ontario et au Québec — et c'est généralement là où vit actuellement notre épidémie — qui présentent un facteur de reproduction d'environ 1. En Ontario, ce facteur est présent depuis le début du mois d'avril, et nous ne semblons pas pouvoir le réduire. Si une quelconque mesure permettait de réduire le taux de reproduction à 0,7 ou à 0,6, nous pourrons relancer l'économie beaucoup plus rapidement. Nous pourrons aussi reprendre les autres activités. Plus le taux de reproduction sera bas, plus nous pourrons relancer l'économie de façon sécuritaire.
    Pour moi, c'est une évidence. Nous pouvons discuter des preuves de catégorie 1A ou d'autres types de preuves. Nous pouvons organiser un symposium sur la question dans cinq ans et tirer des conclusions scientifiques exactes. Mais c'est maintenant qu'il faut agir.
    Comme l'a dit M. Attaran, nous dépensons actuellement 12 milliards de dollars par semaine. Offrir des masques aux Canadiens et leur montrer comment les utiliser ne coûte rien comparativement à ce que nous dépensons en prolongeant le confinement. Selon moi, le jeu en vaut la chandelle.

  (1855)  

    Merci.
    C'est maintenant au tour de M. Desilets, qui dispose de deux minutes et demie. Allez-y, s'il vous plaît.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence. Le contenu dont ils nous ont fait part est fort intéressant.
    Ma première question s'adressera...

[Traduction]

    Excusez-moi, monsieur Desilets, mais votre son est également mauvais.
    Pourriez-vous débrancher votre casque d'écoute et le rebrancher?
    Nous allons suspendre la séance un instant.

  (1855)  


  (1900)  

     Nous reprenons.
    Allez-y, monsieur Thériault, au nom de M. Desilets.

[Français]

     D'accord.
    Tout à l'heure, quand j'ai posé une question au Dr Fisman, j'ai vu que le Dr Schabas réagissait. Je pense qu'il désire répondre à la question que j'ai posée.
    Elle concernait le rythme de déconfinement sécuritaire que le Canada devrait adopter en vue d'obtenir l'immunité collective, compte tenu du fait que nous n'avons pas encore de vaccin, que nous n'avons pas d'antiviraux et que nous commençons à peine les tests sérologiques.
    Ma question s'adresse au Dr Schabas.

[Traduction]

    Ce qui est profondément regrettable dans ce qui s'est passé au Canada, où nous avons, en fait, procédé au confinement avant la flambée de COVID-19, contrairement à de nombreux endroits en Europe de l'Ouest ou aux États-Unis, c'est que, dans un sens, nous avons connu le pire des deux mondes. Notre immunité collective est très faible. Le taux d'immunité ne dépasse certainement pas 5 %, du moins dans l'ensemble du pays. Pourtant, le nombre de décès est élevé. Le nombre de décès est important en raison des éclosions qui sont survenues dans des établissements de soins de longue durée. Le taux de mortalité est deux fois plus élevé à Montréal qu'à Stockholm, en Suède, et il commence à se rapprocher de celui de la ville de New York. Ce n'est pas une expérience très heureuse.
    Il y a eu deux types d'éclosions. Il y a les éclosions qui sont survenues dans des établissements de soins de longue durée, qui ont entraîné des décès, et il y a celles qui sont survenues dans la collectivité, qui ont entraîné très peu de décès.
    La question fondamentale est la suivante: est-il sécuritaire de procéder au déconfinement malgré la présence d'une maladie? Non, pas au sens où nous ne verrons pas plus de cas de COVID. Nous en verrons. Lorsque nous commencerons le déconfinement, nous verrons une augmentation du nombre de cas.
    L'idée fondamentale de mon exposé, c'est d'examiner la question sous un autre angle. Est-il sécuritaire de ne pas procéder au déconfinement? Nous en avons discuté, et l'une des questions qui ont été posées plus tôt était celle de savoir quand nous allons ouvrir les écoles. Pourquoi ouvrons-nous les écoles? La COVID se propagera davantage. Eh bien, si on ouvre les écoles, c'est parce que les enfants doivent aller à l'école. L'éducation est un droit fondamental des enfants. Si nous privons toute une génération d'enfants de six mois ou d'une année d'école, nous allons en payer le prix sur le plan de la santé publique pendant des années.
    Il n'y a pas de solution agréable. Le Dr Fisman et M. Attaran parlent de l'idée de faire plus de dépistage et d'assurer une plus grande recherche des contacts, quelque chose qui, soit dit en passant, n'a jamais été fait pour contrôler la propagation d'un virus respiratoire. Cela peut bien fonctionner en théorie, mais le monde est un peu plus compliqué. J'espère qu'ils ont raison et que cela fonctionnera, mais le monde réel est plus compliqué.
    J'allais seulement dire que ce qui m'inquiète vraiment, c'est que lorsque l'on mettra la stratégie à l'essai et qu'il y aura une nouvelle poussée de la maladie cet automne et que la stratégie échouera, comme je crois que ce sera presque certainement le cas, nous ne pourrons pas revenir à ce type de confinement, car nous causerons plus de dommages à long terme à notre santé publique que ce que la COVID-19 ne pourrait jamais causer.

  (1905)  

    Merci, monsieur Thériault.
    C'est maintenant au tour de M. Davies.
    Merci.
    Docteur Schabas, vous vouliez avoir une chance de vous expliquer, alors je vais vous parler de quelques éléments. Après la crise du SRAS, vous avez écrit que « dans le cas peu probable où une autre épidémie de SRAS devait survenir au Canada, les responsables de la santé publique devraient ne placer personne en quarantaine ». La pandémie actuelle est une épidémie de SRAS. Il s'agit du virus SARS-CoV-2. Nous l'avons combattu principalement par le confinement et la mise en quarantaine. Je vous pose ma première question. Maintenez-vous votre déclaration extraordinaire selon laquelle nous ne devrions placer personne en quarantaine?
    Avant que nous en arrivions là, je veux faire une comparaison. En 1990, lorsque vous étiez le médecin hygiéniste en chef de l'Ontario, vous avez classé le VIH comme une maladie virulente, soit la pire catégorie, et vous avez recommandé que nous imposions le confinement des personnes atteintes du VIH qui auraient pu avoir des relations sexuelles avec quelqu'un d'autre, même si elles avaient utilisé un préservatif et même si elles l'avaient révélé à leur partenaire.
    Le dernier élément dont je veux parler avant de vous laisser répondre, c'est que vous avez dit que nous devrions traiter la COVID davantage comme la grippe de 1957, mais le taux de mortalité dans ce cas, à l'époque, était d'environ 0,1 %, ce qui représente environ un douzième de celui de la COVID-19.
    Si l'on tient compte de tous ces points, pouvez-vous m'aider à comprendre votre point de vue?
    Je vais essayer de me souvenir de chacun d'eux.
    Permettez-moi tout d'abord de commencer par le SRAS 1 et la quarantaine. Je parlais du SRAS 1. Cette maladie n'était pas transmissible si l'on ne présentait pas de symptôme et elle n'était même pas transmissible au début de la phase symptomatique, de sorte que le recours à la mise en quarantaine n'avait aucun sens dans le cas du SRAS 1, et j'espérais que la situation ne se reproduise pas.
    Oui, nous y avons eu largement recours dans le cas du SRAS 2. Que ce soit vraiment très efficace ou que ce soit une stratégie utile, parce que comme je l'ai déjà dit, on peut aplanir la courbe... En fait, je suis assez impressionné par notre capacité de mettre en oeuvre des mesures de quarantaine, et je pense que cela a probablement contribué à aplanir la courbe jusqu'à un certain point, mais la question qui se pose, au bout du compte, c'est de savoir à quelle fin? Le virus ne va nulle part, et à moins que les mesures qu'on utilise pour aplanir la courbe soient durables, d'une manière ou d'une autre, à long terme, je ne suis pas sûr qu'elles nous mènent vraiment quelque part.
    Pour ce qui est de la troisième question, concernant le VIH, oui, je l'avais recommandé. Je ne l'ai pas fait. Ce n'était pas à moi de le faire. J'avais recommandé au ministre de le classer dans la même catégorie que des maladies comme la tuberculose, la syphilis, la gonorrhée et l'hépatite B. C'était une classification qui donnerait à un juge le pouvoir d'incarcérer une personne qui propageait délibérément la maladie. C'était le contexte. Cela ne s'est, en fait, jamais produit, et ce n'est pas une quarantaine. Il faut bien comprendre que la quarantaine, c'est quand on enferme une personne qui, selon vous, couve une maladie.
     L'isolement des cas, qui est une chose complètement différente, consiste à prendre des mesures pour isoler une personne lorsqu'on sait qu'elle est atteinte de la maladie. Je ne recommande pas que nous le fassions pour le VIH. Le contexte est différent. C'est ce que nous faisons, en fait, lorsque des gens sont atteints de la COVID ou lorsque nous avons de bonnes raisons de croire qu'ils en sont atteints. Nous les isolons. Il ne s'agit pas de la quarantaine. La quarantaine, c'est lorsqu'on les enferme quand on pense... Le mot « quarantaine » vient des 40 jours du carême. Il s'agit d'une stratégie médiévale et, en gros, je pense qu'elle appartient au Moyen-Âge.

  (1910)  

    Merci.
    Je veux soulever une question de privilège, monsieur le président, avant que notre réunion se termine.
    J'aimerais proposer la motion suivante: que ce comité se penche sur les allégations selon lesquelles un témoin qui a comparu devant le comité de la santé, le Dr Amir Attaran, pourrait avoir été menacé, puni, intimidé ou lésé par l'Agence de la santé publique du Canada, Statistique Canada ou le gouvernement fédéral sous une autre forme, en raison du témoignage qu'il a fait devant le comité de la santé; et qu'il détermine si une question de privilège a été soulevée de prime abord et, dans l'affirmative, qu'il présente ses conclusions à la présidence de la Chambre.
    Monsieur le président, je vais citer l'ouvrage de Bosc et Gagnon, dans lequel on peut lire ce qui suit:
... l'intimidation d'un témoin ayant comparu devant un comité a également été considérée de prime abord comme une atteinte aux privilèges. En 1992, une employée d'une société d'État a informé une personne qui avait témoigné devant un sous-comité que la question de son témoignage avait été renvoyée au service juridique de la société. Le témoin a avisé de la situation un député, qui a soulevé une question de privilège à la Chambre. Le Président Fraser a jugé qu'il y avait de prime abord matière à outrage, et la Chambre a renvoyé la question pour étude au Comité permanent de la gestion de la Chambre.
    Dans son rapport, le comité a dit ce qui suit:
La protection des témoins est un élément fondamental du privilège qui s'étend aux délibérations parlementaires et aux personnes qui y participent. Il est bien établi, au Parlement du Canada comme au Parlement britannique, que les témoins entendus en comité jouissent d'une immunité et d'une liberté de parole égales à celles des députés. Les témoins qui comparaissent devant un comité parlementaire bénéficient donc automatiquement, pour tout ce qu'ils disent devant le comité, des mêmes immunités contre les poursuites au civil ou au criminel que les parlementaires. La protection des témoins s'étend aux menaces proférées contre eux et aux tentatives d'intimidation exercées sur eux relativement à leur exposé devant quelque comité parlementaire que ce soit.
    Monsieur le président, je pourrais continuer. Il y en a bien d'autres. À mon avis, il y a eu atteinte aux privilèges dont je jouis en tant que membre de ce comité, et je vous demande de donner suite à la motion que j'ai présentée.
    Monsieur Davies, c'est un Rappel au Règlement. On ne peut pas présenter de motion quand on fait un rappel au Règlement.
    Pour ce qui est de la question de privilège, comme je l'ai déjà mentionné, je crois que nous n'avons pas ce pouvoir dans le cadre de nos réunions par vidéoconférence. Nous devons nous limiter à recevoir des témoignages concernant la réponse du gouvernement à la COVID-19, et nous sommes également autorisés à présenter des motions concernant l'invitation de témoins.
    Comme je l'ai déjà mentionné, je prendrai la question en délibéré. Je demanderai l'avis de la greffière ainsi que du légiste et nous pourrons y revenir à un autre moment. Je vais prendre la question en délibéré et...
     Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
    Des propos non parlementaires ont été tenus au cours de la réunion d'aujourd'hui, à mon avis. Il est profondément irrespectueux de dire qu'une fonctionnaire n'a pas dit toute la vérité. Ce commentaire devrait être retiré du compte rendu.
    Je vous remercie d'avoir invoqué le Règlement.
     Nous sommes certes tenus de respecter les règles du Parlement dans le cadre de nos travaux. J'invite tous les participants à faire preuve de prudence lorsqu'ils s'exprimeront à l'avenir.
    Merci à tous. J'aimerais...
    Monsieur le président, je veux dire quelque chose au sujet du rappel au Règlement de M. Davies.
    Allez-y.
    Je suis en train de lire la motion que la Chambre des communes a adoptée lors de la séance du mardi 24 mars 2020. Voici ce qui est indiqué au paragraphe i):
... si le Comité n'est pas satisfait de la manière dont le gouvernement exerce ses pouvoirs en vertu de la Loi, le Comité puisse adopter une motion lors d'une réunion par vidéoconférence ou par téléconférence, en faire rapport à la Chambre en le déposant auprès du greffier de la Chambre et que le rapport soit réputé avoir été présenté à la Chambre à cette date;
    Je demanderais à vous, monsieur le président, ainsi qu'à la greffière, de parler de ce point lorsque nous reviendrons sur la question de privilège de M. Davies.
    Si vous me le permettez, monsieur le président...
    Excusez-moi, je...
    ..., je tiens à préciser que je n'invoque pas le Règlement. Je soulève une question de privilège.
     Je peux citer un autre passage et...
    Un instant, monsieur Davies.
    Je vous remercie de votre contribution, monsieur Jeneroux.
    Monsieur Davies, je crois que vous avez commencé vos remarques par un rappel au Règlement. Vous avez ensuite soulevé une question de privilège. Cela n'a pas d'importance. Je vais prendre la motion en considération. Nous vous reviendrons là-dessus lorsque le légiste se sera prononcé.

  (1915)  

    Monsieur le président, malgré tout le respect que je vous dois, il est très important que vous...
    Vous ne comprenez pas ce que je veux dire. Tout à l'heure, j'ai invoqué le Règlement. Maintenant, je soulève une question de privilège. C'est ce que j'ai fait lors de ma deuxième intervention. Vous avez clairement le pouvoir, en fait, vous avez le devoir, de recevoir ma question de privilège telle qu'elle est soulevée en comité, car c'est là que je dois la soulever.
    Je suis ravi que vous y réfléchissiez, mais je veux qu'il soit très clair que je soulève une question de privilège et que je vous demande d'examiner la motion que j'ai présentée.
    Merci, monsieur Davies. Comme je l'ai dit, je vais prendre la question en considération. Nous y reviendrons en temps et lieu.
    Merci.
    Merci à tous.
    Je remercie nos témoins. La discussion a été animée. Je vous remercie beaucoup d'avoir été présents et d'avoir été patients malgré nos problèmes techniques.
    Je remercie les membres du personnel de la Chambre et l'équipe technique de nous aider à régler ces problèmes. Je remercie également les membres du Comité d'avoir posé de très bonnes questions.
    Bonne journée. Merci.
    La séance est levée.
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