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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 035 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 25 octobre 2022

[Enregistrement électronique]

  (1100)  

[Traduction]

    Il s'agit de la 35e réunion du Comité permanent de la défense nationale.
    Nous avons parmi nous trois professeurs qui sont probablement enclins à donner de longs cours magistraux. Je vous présente mes excuses à l'avance pour vous interrompre au terme de cinq minutes. Je trouve les échanges entre les professeurs et leurs étudiants beaucoup plus intéressants que les exposés.
    Je vais donner la parole à M. Huebert, puis à Mme Kimball et M. Massie pendant cinq minutes chacun, puis nous consacrerons l'heure et demie restante aux questions et réponses.
    Sur ce, je demanderais à M. Huebert de commencer son exposé.
    Merci de nous consacrer du temps ce matin.
    Je vous remercie sincèrement du privilège de vous faire part de certaines réflexions sur ce qui devient, à mon avis, une des menaces existentielles critiques pour la sécurité du Canada. Pendant les cinq minutes qui me sont allouées, je vais aborder la menace croissante géopolitique pour la sécurité du Canada en général, mais aussi pour la sécurité du pays dans l'Arctique.
    Permettez-moi d'emblée de dire que je constate ce que j'appelle l'évolution du syndrome de l'ordonnance par lequel nous tentons d'édulcorer la menace russe. Je m'oppose fortement à cette mentalité.
    La menace géopolitique se fonde sur trois éléments.
    Mentionnons d'abord l'intention. Nous nous trouvons face à un pays, la Russie, dont l'intention est d'incarner une puissance expansionniste comme en témoigne son traitement des Tchétchènes, des Géorgiens et des Ukrainiens en 2014. Je crois que nous ne devons pas sous-estimer les répercussions pour la sécurité du Canada.
    La deuxième partie de la menace géopolitique — qui est probablement celle qui n'attire pas l'attention qu'elle mérite — est la technologie de l'armement. La raison critique qui explique qu'il s'agit d'une menace pesant contre le Canada est que les Russes, depuis l'arrivée au pouvoir en 1999 de M. Poutine, se sont lancés dans une politique de développement de systèmes d'armement offensif non seulement alimentés par les méthodes conventionnelles, mais aussi alimentés par le nucléaire. C'est la géographie de la Russie qui fait de ces systèmes d'armement une menace dans l'Arctique. Un grand nombre de ces systèmes d'armement, tant du point de vue de leurs communications de surveillance que de leurs formes de dissémination, sont basés dans le Nord. Par conséquent, nous nous heurtons à une menace géopolitique axée sur les armes nucléaires tactiques, un danger sur lequel le Canada ne s'est pas entièrement penché à ce jour.
    Nous devons également savoir que les Américains ont pris conscience de cette menace croissante, comme en témoignent la gamme de stratégies qu'ils ont commencé à élaborer avant 2016‑2017 et la relance de certains de leurs systèmes clés de dissémination. Par conséquent, une nouvelle ère internationale beaucoup plus dangereuse s'amorce. J'imagine que nous ne constaterons pas nécessairement l'érosion de la dissuasion nucléaire, mais plutôt la possibilité croissante d'une guerre nucléaire en raison des nouveaux systèmes d'armement et de l'intention qui se développe au sein de ces deux États.
    Le Canada est en péril, pour deux raisons fondamentales.
    D'abord et avant tout, le Canada est bien entendu un membre du réseau d'alliances ligué contre l'agression russe. Ce réseau comprend le NORAD et l'OTAN. Même si nous parvenions par un quelconque moyen de nous isoler géographiquement des conséquences de toute forme de conflit — la probabilité étant faible, mais tout de même présente —, tout type de conflit nous impliquerait automatiquement.
    Or, le réel danger qui pèse contre l'Arctique canadien est que, d'un point de vue défensif, différents scénarios méritent d'être étudiés. Évidemment, les Russes pourraient décider de faire une première frappe limitée contre les bases nord-américaines pour essentiellement tenter d'aveugler les Américains en ciblant Thulé, et possiblement Anchorage. Ainsi, une intervention nucléaire limitée en Europe se verrait facilitée.
    Je le répète: je veux souligner que la probabilité est faible, mais nous commençons à voir les variables se rassembler. En d'autres mots, selon mes estimations, la probabilité est malheureusement accrue. Ainsi, le plus grand danger réside dans le fait que le Canada doit veiller à contribuer à la protection.
    La défense contre une telle intervention russe — et possiblement même à long terme contre une intervention chinoise, dont nous pourrons parler en détail — se décline en deux volets.
    Premièrement, nous devons montrer aux Russes que la capacité de défense de l'Amérique du Nord est irréprochable, tant pour sa capacité de surveillance que pour sa capacité de dissémination. Il s'agit fondamentalement de mettre en œuvre ce que le général VanHerck, le dirigeant du NORTHCOM et du NORAD, a appelé la dissuasion complémentaire.
    Deuxièmement, nous devons convaincre les Russes que notre engagement à défendre la patrie nord-américaine est aussi ardent que celui des Américains. Pour ce faire, il faut bien sûr se doter du type de système d'armement et de capacités qui permettront de supposer qu'un tel conflit est réellement possible. La meilleure façon d'éviter un conflit est de se prémunir contre celui‑ci.
    Merci beaucoup. Il me tarde d'entendre vos questions.
    Merci. Votre préparation était très professionnelle: vous vous en êtes tenu très précisément aux cinq minutes allouées.
    Madame Kimball, vous avez la parole pendant cinq minutes.
    Je remercie le comité permanent de cette invitation à discuter d'enjeux associés à la sécurité dans l'Arctique. Mes commentaires s'inspirent de ma compréhension des problèmes stratégiques liés à la protection de l'Arctique, en parallèle des enjeux connexes et des capacités asymétriques qui créent des difficultés pour le Canada et ses partenaires.
    À l'heure actuelle, nous comptons sur un ensemble d'arrangements institutionnels s'entrecoupant partiellement pour tenter de remédier aux défis dans l'Arctique liés à une rivalité entre les grandes puissances. Par exemple, les mandats du Conseil de l'Arctique se limitent aux aspects environnementaux et de sécurité humaine, ce qui empêche la sécurisation de la région. L'absence d'organisations de sécurité robustes est façonnée par une méfiance et un manque de confiance quant à la surveillance et le respect de toute garantie de sécurité. C'est ce qui explique le dilemme actuel lié à la sécurité.
    Bien entendu, nous nous inquiétons des réactions de la Russie. Il va sans dire que l'expansion de l'OTAN pour inclure la Finlande et la Suède renforcerait la sécurité multilatérale de la région pour le Canada et ses partenaires. C'est avec plaisir que j'en discuterai pendant la période de questions et de réponses.
    On peut caractériser les problèmes stratégiques dans l'Arctique en les regroupant dans les approches suivantes. Les approches que nous appuyons actuellement représentent un coût minime pour l'atténuation de problèmes. Je fais allusion notamment à la codification des normes comportementales dans la région par rapport à l'environnement, au développement durable et à la participation des communautés.
    Deuxièmement, des efforts continus sont déployés pour favoriser les effets externes positifs des actions des États dans la région et pour décourager les effets externes négatifs des actions. C'est particulièrement vrai pour l'environnement.
    Naturellement, les défenseurs rationnels des organisations diraient qu'il s'agit des comportements les plus faciles à adopter, mais le respect et l'imposition des règles grâce à l'application de la loi représentent une inquiétude centrale que nous n'avons abordée ni sur le plan stratégique ni sur le plan des organisations.
    Un élément clé entourant la rivalité dans la région se rapporte à la distribution, qui représente un problème stratégique central que nous tentons d'atténuer par le biais des organisations et des ententes. L'enjeu inclut la protection des zones économiques exclusives et la potentielle dégradation de ces zones à cause du transport commercial et militaire accru dans la région. La militarisation croissante de la région causée par une concurrence entre les grandes puissances augmente considérablement le risque de crises accidentelles. En outre, la Russie a démontré sa difficulté à respecter les engagements, comme on l'a vu en Ukraine par rapport aux garanties de sécurité passées et aux corridors humanitaires. Ce bilan fait de la Russie un partenaire peu crédible, et ce, même si une entente pouvait être conclue.
    Finalement, l'incertitude quant aux comportements futurs de la Russie et de la Chine entraîne d'autres problèmes. À titre d'exemple, mentionnons que l'intérêt de la Chine pour la région s'est intensifié, sans que le pays ne s'intègre à des organisations. La Chine a le statut d'observateur au Conseil de l'Arctique, mais a qualifié l'Arctique de région de plus en plus importante sur le plan stratégique pour la rivalité et la mise en valeur des ressources. Le pays devrait terminer la fabrication de ses brise-glaces lourds d'ici 2025, ce qui pourrait créer une route de la soie polaire, un pan de son initiative de plus grande envergure « la Ceinture et la Route. » Bien que certains tentent de modifier ce discours en Chine, les actions du pays dans l'Arctique témoignent d'un État cherchant à obtenir de l'influence et un accès.
    Des documents rédigés récemment par l'armée chinoise dénotent une perspective plus militarisée, représentée par l'emploi de formulations telles que « un jeu de grandes puissances » et « une lutte pour les espaces publics mondiaux et pour les contrôler. » C'est ainsi que la Chine perçoit l'Arctique.
    Le recours à une analogie entre les biens publics et la région indique aux États actuellement actifs dans l'Arctique que la Chine détient des droits pour investir dans la région et créer des stations de recherche sur l'extraction des ressources naturelles. Bien entendu, de telles initiatives lui procureraient aussi une expérience précieuse pour être active dans ce climat.
    Sa route de la soie polaire représente un cadre divergent pour le développement, et les entreprises chinoises essaient de plus en plus d'acheter des parcelles de territoire dans des zones qui leur garantiraient un accès stratégique. Toutefois, jusqu'à présent, le succès de la Chine dans la région semble plus limité que ses ambitions.
    L'objectif de la Chine dans l'Arctique est ambigu. Pour sa part, la Russie demeure très transparente: elle désire se doter de capacités militaires dans la région et de les maintenir pour diversifier ses capacités. Elle juge en effet que l'Arctique est un territoire ouvert à la compétition et la rivalité.
    Le problème stratégique le plus crucial rongeant les intervenants est peut-être le sort incertain de l'état du monde. Au cours des deux dernières décennies, certains ont avancé que les États-Unis s'affaiblissent lentement devant la Chine, tant sur le plan économique que politique. La réalité est que les États-Unis et de nombreux autres États arctiques détiennent des capacités suffisantes pour protéger conjointement la région advenant une crise. Pour ce faire, il faudrait réorienter des ressources d'autres missions ou régions. La configuration actuelle des moyens de défense dans la région permet de décourager l'ambition, mais manque de vigueur pour dissuader les incursions dans les espaces aériens et maritimes.

  (1110)  

    Malheureusement, je dois vous arrêter.
    Gardons le reste de vos réflexions pour les questions et les réponses.
    Finalement, monsieur Massie, vous disposez de cinq minutes.

[Français]

    Mesdames et messieurs, je vais faire mon allocution en français. Je vais me limiter à mes notes pour faciliter le travail des interprètes.
    Il est convenu de concevoir l'environnement de sécurité en Arctique comme relativement bénin, exempté des turbulences caractéristiques d'autres régions du monde beaucoup plus en proie aux conflits, et moins favorable à la coopération. Cela a été longtemps le cas, mais deux nouvelles tendances remettent en question les à priori qui structurent la pensée stratégique canadienne, longtemps hypnotisée par le sentiment de vivre dans une région à l'abri et à l'écart des menaces.
    Ces deux tendances sont les suivantes.
    Premièrement, il y a l'intensification de la concurrence entre grandes puissances, illustrée de manière manifeste par le retour de la guerre de haute intensité en Europe et la compétition stratégique...

[Traduction]

    Je compatis avec l'interprète, qui roule à toute vitesse, tout comme vous.
    Pourriez-vous parler plus lentement, s'il vous plaît?
    Merci.

[Français]

    D'accord. Il est fort possible que je ne puisse pas lire toute mon allocution, si je vais plus lentement. Je pourrai toujours en dire davantage pendant la période des questions avec les membres du Comité.
    Il y a aujourd'hui deux grandes tendances qui n'existaient pas auparavant. Premièrement, il y a l'intensification de la concurrence entre grandes puissances, illustrée par le retour de la guerre de haute intensité en Europe. Deuxièmement, il y a les bouleversements occasionnés par les changements climatiques, illustrés par l'accroissement récent des opérations intérieures des Forces armées canadiennes afin de prêter assistance aux autorités civiles.
    Ces deux tendances ne sont pas nouvelles. Cela fait longtemps qu'on observe la modernisation des technologies militaires des grandes puissances et, évidemment, les changements climatiques. Or, conjuguées, ces deux tendances représentent une menace qui force le Canada à concentrer son attention stratégique et ses ressources beaucoup plus dans sa propre zone, soit sur le territoire canadien.
    Historiquement, le Canada a toujours eu une vision de sécurité avancée, suivant laquelle il intervenait à l'étranger et outre-mer pour empêcher que les conflits ne parviennent jusqu'ici. Maintenant, ils se retrouvent chez nous. Cela entraîne de grands changements dans la pensée stratégique canadienne.
    À mon avis, deux principales menaces doivent être prises en considération par le gouvernement canadien.
    D'une part, le réchauffement climatique cause l'accroissement du trafic maritime dans les eaux intérieures du Canada et dans sa zone économique exclusive, que ce soit pour la pêche, le transport, le tourisme, la recherche ou les opérations militaires, et les grandes puissances révisionnistes en tireront profit.
    Ce qui constitue une deuxième menace, ce sont les visées stratégiques des États révisionnistes. Non seulement ils développent des capacités conventionnelles pouvant atteindre le Canada, par exemple des armes nucléaires tactiques, dont il a été question tout à l'heure, des missiles hypersoniques, des sous-marins ou des drones, mais ils utilisent également des stratégies qui se situent sous le seuil du conflit armé, par exemple en investissant dans les infrastructures critiques, dans les métaux rares et dans les industries minières, soit autant de secteurs qui sont importants dans le développement économique du Canada, mais pour lesquels ce dernier affiche une grande vulnérabilité.
    Bien qu'il faille saluer les récents investissements dans la défense canadienne grâce à la politique de 2017, plusieurs lacunes demeurent. À mon avis, l'une des principales carences à souligner est l'absence de planification budgétaire ou opérationnelle du remplacement de la flotte de sous-marins canadiens. Ces derniers seront pourtant essentiels pour sécuriser les eaux canadiennes. Que l'on considère le passage du Nord-Ouest comme étant canadien ou comme faisant partie des eaux internationales, il faudra cette capacité. Le fait de ne pas planifier ce remplacement présentement peut laisser craindre qu'on perde cette capacité, ou bien qu'on doive abandonner d'autres priorités de la défense. En effet, si l'on devait investir dans une nouvelle flotte de sous-marins à propulsion nucléaire comme le font les Australiens, cela coûterait tellement cher qu'il faudrait amputer des budgets accordés à d'autres priorités de la défense canadienne.
    À mon avis, il faut aussi revoir l'approche des Forces armées canadiennes en matière de défense en examinant ce que les Norvégiens et les Suédois appellent la défense totale. Il s'agit d'une approche pansociétale qui est axée sur la résilience de l'ensemble des acteurs de la société, qu'ils soient civils, industriels, commerciaux ou militaires, afin de mieux résister aux crises, et qui mise également sur les capacités de dissuasion de haute et de faible intensité pour mobiliser l'ensemble de la population autour de conflits multidimensionnels, plutôt que d'agir en vase clos en séparant l'aspect conventionnel et l'aspect non conventionnel.
    En conclusion, il peut vous sembler incongru de parler de menaces qui se profilent dans un horizon qui n'est pas immédiat, alors même qu'un risque non insignifiant d'un élargissement horizontal ou vertical de la guerre en Ukraine est à craindre. C'est ce que disait tout à l'heure mon collègue M. Robert Huebert. Par contre, les menaces que je mentionne présentement ne sont pas à négliger, dans la mesure où un investissement est nécessaire dès maintenant pour se prémunir contre celles-ci. Vous savez comme moi que les processus pour le développement des capacités de défense et pour l'acquisition militaire du Canada sont loin d'être rapides. Afin de se pourvoir des capacités pour défendre le Canada et son territoire dans 10 ou 15 ans, c'est aujourd'hui qu'il faut faire des choix difficiles.

  (1115)  

    Merci.

[Traduction]

    Chers collègues, je crois que nous pourrons avoir trois séries de questions. Dans la première, les membres disposeront de six minutes. J'ai sur ma liste Mme Kramp-Newman, M. Fisher, Mme Normandin et Mme Mathyssen que nous entendrons tous pendant six minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à tous ceux qui ont témoigné devant nous ce matin. Vous avez tous fourni du contenu de qualité.
    Je vais commencer par M. Huebert. Vous avez reconnu certaines réalités que j'aimerais souligner. Tout d'abord, vous avez mentionné que nous devons démontrer que notre système de défense est irréprochable. Je suis on ne peut plus d'accord avec vous. Deuxièmement, vous avez reconnu que la meilleure façon d'éviter un conflit est de s'en prémunir. Ici encore, je ne pourrais le souligner davantage.
    Aujourd'hui, je vais aborder la pénurie de personnel militaire qui nécessite des solutions urgentes et qu'on y accorde la priorité.
    Ma première question s'adresse à M. Huebert. Hier, le général à la retraite Rick Hiller a suggéré que notre problème de pénurie dans les Forces armées canadiennes pourrait être pire que la pénurie de 10 % du personnel mentionnée par le chef d'état-major de la défense actuel. Il affirme que les chiffres qu'il entend de l'intérieur des forces armées sont tels que nous pouvons rassembler une force d'environ 45 000 membres et que, de ces 45 000 membres, un grand nombre ne pourrait être déployé dans les opérations aujourd'hui.
    Si ces propos sont exacts, la situation est réellement stupéfiante et signifie que la capacité d'intensification atteint presque 50 % dans tous les secteurs: au sein du NORAD, de l'OTAN et dans d'autres missions au Canada. S'il dit vrai, croyez-vous qu'une grave pénurie entraînera l'effondrement des Forces armées canadiennes?
    Je ne pense pas que nous sommes rendus au point où on peut parler d'un effondrement, mais nous sommes confrontés à une catastrophe. Je donne raison à ceux qui relèvent que notre incapacité à atteindre les cibles que nous nous sommes fixées pour tout le personnel militaire est un problème alarmant pour le Canada. On peut d'ailleurs en dire autant de notre incapacité à même discuter d'une augmentation de ces chiffres.
    La situation touche à tout. Si on réfléchit à ce que les deux autres témoins disent au sujet des choix difficiles, on conclut qu'il faut se préparer. Même les chiffres officiels que nous aurions dû atteindre posent problème. Bien entendu, quand on apprend que le nombre de membres des FAC est bien en deçà de la cible, on comprend qu'une crise se profile.
    J'ajouterais que la menace à laquelle nous sommes confrontés est du calibre technologique le plus élevé qui soit. Voilà le type de menace qui pèse contre nous. On ne parle pas ici de soldats sur le champ de bataille contre qui les Ukrainiens se battent. La menace qui nous guette en est une hautement technologique. La situation signifie que les nombres sont en soi importants, mais nous rappelle aussi notre incapacité à bien nous entraîner pour réagir à ces menaces, étant donné la période nécessaire pour cet entraînement. Je crois que tous les facteurs sont rassemblés quand...
    Réfléchissez au fait que la Russie représente notre menace géopolitique majeure. Son PIB se situe en moyenne en dessous de celui du Canada, et pourtant elle a réussi à se doter de capacités militaires qui déstabilisent maintenant tout le système international. Pour sa part, le Canada, fort d'un PIB plus élevé, n'a pas été en mesure de se doter d'effectifs militaires suffisamment nombreux. Ces facteurs cernent le problème illustré par vos trois témoins d'aujourd'hui, soit qu'on ne prend pas la menace au sérieux.

  (1120)  

    Merci de votre réponse.
    Pour renchérir vos propos, je vais poser une question complémentaire. Ce comité a entendu que notre emprise fragile sur l'Arctique n'est pas seulement attribuable à un manque d'appui matériel par rapport à l'équipement. Vous avez parlé du personnel entraîné dans les forces armées et des différents niveaux d'entraînement selon les missions militaires. Ces enjeux compliquent-ils notre capacité à projeter nos droits et nos craintes diplomatiques? Dans quelle mesure nos capacités militaires peuvent-elles s'affaiblir avant que même nos alliés se mettent à douter de notre capacité à projeter notre propre souveraineté dans le Nord?
    On a toujours un peu tendance à confondre les préoccupations liées à la souveraineté et celles liées à la sécurité. Permettez-moi d'être bien clair: la souveraineté dépend de notre capacité à reconnaître que les eaux dans l'Arctique sont canadiennes et que nous les contrôlons pleinement. Le sujet relève souvent du droit international. Le problème que vous décrivez porte plutôt sur notre capacité à garantir la sécurité de la région, tant au niveau national qu'international.
    Au niveau national, nous nous en tirons probablement assez bien, grâce aux Rangers et à notre capacité à bien comprendre le fonctionnement de nos activités. La situation se détériore dès qu'on aborde l'aspect international et ce vous avez décrit, soit l'association entre souveraineté et sécurité. Les décideurs canadiens ont toujours été confrontés à la peur de déterminer à quel moment notre incapacité à défendre l'Arctique forcera nos alliés à intervenir pour faire ce qu'ils jugent responsable. Par le passé, on pensait seulement aux Américains. La crainte demeure — et quand on songe aux possibles répercussions politiques de l'élection américaine, je crois que cette crainte est amplifiée — que les Américains vont simplement agir de la façon qu'ils jugent nécessaire.
    L'autre volet dont nous n'avons pas discuté est l'imposant réarmement des pays nordiques — représenté aussi par l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN — qui signifie que nos alliés nordiques prennent maintenant la défense du Nord beaucoup plus au sérieux. Selon moi, s'ils commencent à juger que nous ne contribuons pas à la défense comme nous le devrions, nos relations avec eux se détérioreront. De plus, les autres pays se demanderont comment nous pouvons participer aux capacités de surveillance de plus grande envergure nécessaires pour dissuader les Russes et, à plus long terme, les Chinois de représenter une menace.
    Il vous reste environ 15 secondes.
    D'accord. J'aimerais maintenant remercier tous les témoins.
    Merci.
    Monsieur Fisher, nous vous écoutons pendant six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos experts du milieu universitaire qui sont ici aujourd'hui. Vos témoignages étaient absolument fascinants.
    Professeur Huebert, vous avez dit que la Russie était la plus grande menace géopolitique. Je pense que nous en conviendrons tous, mais nous avons également constaté que les forces terrestres de la Russie se sont considérablement affaiblies depuis l'invasion de l'Ukraine. Aussi, en toute franchise, il semble que beaucoup d'entre nous seraient surpris du manque de succès des Russes. Beaucoup d'entre nous auraient pensé qu'ils mettraient fin à la guerre assez rapidement. Nous les verrions comme une présence militaire massive, et bien que je ne laisse pas entendre qu'ils ne le sont pas — leur puissance aérienne et navale est évidemment encore très importante —, quel genre de menace conventionnelle représentent les Russes de façon réaliste, professeur, dans tout le territoire de l'Arctique et, peut-être plus précisément, dans l'Arctique canadien?
    C'est l'un des faux-fuyants préférés de ceux qui veulent sous-estimer la menace russe pour le Canada. Certains chefs militaires hauts gradés plaisantaient autrefois en soutenant que la plus grande menace que représentait la Russie était de savoir comment elle allait lui porter secours si jamais elle tentait d'envahir l'une des îles ou l'un des territoires arctiques du Canada. La réalité est qu'il n'a jamais été question d'une invasion conventionnelle par des forces terrestres. Je tiens à ce que ce soit bien clair: ce n'est pas de cela dont il est question. Nous n'en parlions pas pendant la guerre froide et ce n'est pas la menace actuelle. Il s'agit d'une menace aérospatiale et d'une menace maritime.
    J'aimerais commencer par répondre à votre prémisse initiale concernant les difficultés que les Russes ont éprouvées dans la bataille terrestre contre les Ukrainiens. L'une des choses que nous devons surveiller et dont nous sommes tous coupables, essentiellement, est d'ignorer les interventions militaires russes lorsque le Canada et les alliés occidentaux participaient aux campagnes menées en Afghanistan et en Irak. Depuis qu'elles ont eu lieu, les Russes ont mené une série de guerres, en commençant en 1999 contre les Tchétchènes, en 2008 contre la Géorgie, puis à nouveau en 2014 contre les Ukrainiens.
    Si nous examinons la façon dont les Russes font la guerre, ils la font très différemment de nous. Nous avons ce que les Américains appellent la campagne de choc et de stupeur. Nous aimons assener un grand coup, nous utilisons la technologie la plus perfectionnée, et l'armée de l'air est intrinsèquement impliquée dans tout cela. Ce que nous avons vu de la façon de faire la guerre des Russes est exactement le contraire. Ils aiment saigner leur ennemi. Ils utiliseront d'abord leurs troupes les moins entraînées, et ils seront souvent très proches de ce que nous pensons être une défaite, principalement pour, en gros, épuiser l'ennemi pour ensuite le submerger. Nous avons vu cela avec les Tchétchènes et avec les Géorgiens, et nous l'avons vu dans l'Est de l'Ukraine en 2014... Eh bien, ils ont utilisé l'opération de choc et de stupeur en Crimée. Je pense que les Ukrainiens ne s'attendaient pas au degré d'intervention qu'ils ont vu.
    Nous devons être très prudents avant de tirer des conclusions, car nous avons tendance à nous comparer à nous-mêmes. Nous disons que ce n'est pas ainsi que nous nous engageons, que ce n'est pas ainsi que nous avons procédé en Afghanistan et en Irak. Une fois de plus, rappelez-vous qu'en Afghanistan, nous avons fini par nous retirer. Il y a donc des questions qui se posent en ce qui concerne notre utilité et la façon dont nous avons mené ce combat. Les Russes ont empêché la Géorgie d'adhérer à l'OTAN, ils ont réussi à écraser la révolution tchétchène et, lorsqu'ils se sont emparés de la Crimée, ils ont suscité très peu de réactions de la communauté internationale. Du point de vue des Russes, leur façon de faire la guerre est en fait plus efficace que celle des Occidentaux.
    Cela dit, nous revenons à la menace canadienne, et c'est une menace aérospatiale et maritime. Nous devons surveiller ce que les Russes ont fait en sectionnant le câble vers les îles Svalbard en février de cette année. Nous devons examiner la capacité des Russes de détruire le câble du Nord Stream. Tout cela se rapporte à une capacité sous-marine sur laquelle nous ne nous concentrons pas.
    Comme vous le soulignez dans votre préambule, les Russes n'ont pas eu recours à leur force aérienne à un degré où nous pouvons procéder à une évaluation significative de son efficacité. L'armée de l'air et la marine sont ce à quoi nous serions confrontés en cas de menace, pas les forces terrestres.

  (1125)  

    Merci.
    Vous disposez de deux minutes.
    Je vais continuer avec le professeur Huebert, mais si les deux autres témoins ont des observations à faire, ils peuvent intervenir.
    Je veux passer aux systèmes de pilotage à distance et à la façon dont ils pourraient changer la nature de la sécurité dans l'Arctique. Par ailleurs, ma question principale serait de savoir si nous investissons suffisamment dans ce domaine.
    Professeur Huebert, pourriez-vous répondre en seulement 30 secondes, pour ensuite laisser l'occasion aux deux autres témoins de prendre la parole?
    La grande avancée des Russes, c'est leur capacité d'utiliser des véhicules sous-marins de longue portée. Le Poseidon en est le meilleur exemple. Cela a toujours été le facteur limitatif. Ils semblent l'avoir résolu. Faisons-nous quelque chose pour ce qui est de notre capacité de répondre? Il n'y a rien que j'ai été en mesure de relever dans la littérature.
    Madame Kimball.
    Oui, je suis tout à fait d'accord. Le Canada pourrait faire beaucoup plus par rapport à ce que la Russie fait. Encore une fois, comme M. Huebert l'a dit, l'adhésion du duo nordique à l'OTAN sera bénéfique pour le Canada. Je peux en parler un peu, mais cela devrait aussi être très bon pour ce qui est des contributions à l'OTAN et de la surveillance dans le Nord, en particulier, ce qui nous sauve un peu.
    Monsieur Massie.

[Français]

    Je conviens qu'il y a un sous-investissement important du Canada dans les drones. On constate l'utilité de ces appareils dans la guerre en Ukraine, présentement, où les drones iraniens qui sont fournis à la Russie ont la capacité d'agir en essaim. Le Canada sous-investit aussi dans l'autre facette de cette capacité, soit les défenses antiaériennes contre l'usage de drones de surveillance ou de frappe par les Russes ou d'autres puissances étrangères.
    Merci.
    Madame Normandin, vous avez la parole pour six minutes.
    Je remercie beaucoup l'ensemble des témoins.
    J'ai une première question pour le professeur Massie et la professeure Kimball.
    Vous avez tous deux mentionné qu'il était important de protéger les zones économiques exclusives ainsi que les eaux intérieures et que l'augmentation du trafic maritime posait une menace. J'aimerais vous entendre parler de notre capacité de bien défendre militairement ces eaux si, du point de vue politique, on ne reconnaît pas clairement qu'elles appartiennent au Canada. Je pense notamment aux États‑Unis, qui ne reconnaissent pas nécessairement l'ensemble de nos eaux intérieures.
    Est-ce que la reconnaissance politique de ces zones et la capacité de les protéger sur le plan militaire sont deux enjeux dissociables?
    Ces deux facettes ne sont pas indissociables, à mon sens. Si certaines zones sont considérées comme des eaux intérieures, nous avons le devoir d'assurer la protection de tous les navires qui y circulent. S'ils ne nous demandent pas la permission de passer, il nous faut les intercepter. Pour ce faire, nous avons en quelque sorte une force constabulaire.
    Évidemment, ce n'est pas la position des États‑Unis, qui sont à la fois la plus grande puissance et notre principal allié. Le trafic maritime est en croissance depuis 25 ans, et rien ne laisse croire que cela va diminuer dans les années à venir. S'il y a un conflit à ce sujet, cela va créer des tensions. Si le Canada veut avoir le pouvoir unilatéral d'intercepter et de détecter des navires dans cette région, que ce soit des navires commerciaux ou miliaires, et qu'il a besoin de cette capacité, mais que la flotte américaine veut y passer sans demander l'autorisation des Forces canadiennes, cela va créer des différends très importants. Peu importe notre capacité, allons-nous l'utiliser contre notre principal allié? Je pense que, poser la question, c'est y répondre.

  (1130)  

    À mon avis, même si nous avons de la difficulté avec les Américains, nous nous entendons avec eux pour dire que nous ne nous entendons pas sur toutes les limites dans ce dossier. Pour ce qui est de s'assurer que les voies maritimes sont ouvertes afin de permettre l'accès au commerce, nous pouvons faire confiance à nos alliés.
    Il faut aussi prendre en compte que le Canada fait partie de l'entente binationale du NORAD. Nous avons accès à l'information qui nous permet de savoir ce qui se trouve dans nos zones maritimes.
    À la rigueur, ce qui est le plus important de déterminer, à mon avis, c'est ce que nous allons faire si un pays rival ou quelqu'un d'autre veut un accès à ces zones et que nous ne voulons pas le lui accorder. Cette question est probablement plus intrigante que le désaccord entre le Canada et les États‑Unis.
    Merci beaucoup.
    J'ai une autre question pour le professeur Massie.
    Vous avez parlé de carences, notamment lorsqu'il s'agit de prévoir des fonds pour le remplacement des sous-marins. Comme tout le monde le sait, nous n'avons pas de sous-marins nucléaires, nos brise-glaces ne sont pas vraiment des brise-glaces, même que certains les qualifient de « brise-sloche », et nous sommes un peu plus vulnérables quand il fait froid.
    La semaine dernière, lorsque nous avons reçu des représentants du haut commandement de l'armée, je leur ai demandé si nous étions plus vulnérables l'hiver comparativement à d'autres pays qui ont, par exemple, des sous-marins nucléaires. On m'a répondu que, dans le contexte de l'augmentation du trafic maritime et de l'accentuation de la crise climatique, l'important n'était pas nécessairement d'avoir le même arsenal, mais d'être capable de détecter celui des autres, notamment par l'entremise de satellites.
    Est-ce que cela vous envoie un mauvais message quant à la prise de conscience des risques qui existent?
    Je pense qu'il faut mettre les choses au clair sur le plan temporel. À court terme, l'Arctique canadien est beaucoup plus froid, en quelque sorte, que l'Arctique européen, par exemple. Donc, la liberté de navigation actuelle y est bien moindre et s'étale sur une période beaucoup plus courte que dans d'autres régions, dont l'Arctique au nord de la Russie. Par conséquent, les capacités limitées que nous avons au Canada aujourd'hui sont effectivement problématiques, mais elles ne sont pas terrifiantes. Dans 10 ans, ce sera autre chose.
    Revenons à la question du trafic maritime. Un problème se posera lorsque ce seront des navires chinois qui voudront passer supposément pour faire de l'exploration scientifique dans la région et que les intérêts américains seront en contradiction avec ceux du Canada. Les États‑Unis considèrent que c'est un passage international, parce qu'ils ont d'autres intérêts dans le détroit de Malacca et ailleurs. Or, ils auront intérêt à considérer ces zones comme des eaux canadiennes dans le contexte précis de menaces étrangères. En revanche, cela remettrait en question l'ensemble de leur position géostratégique. Cela pose donc un dilemme.
    À mon avis, ce dilemme sera beaucoup plus important dans quelques années. Cela dit, comme je le mentionnais dans mes remarques, c'est maintenant qu'il faut faire les acquisitions nécessaires pour avoir l'arsenal requis dans 10 ou 15 ans. Comme on le sait, même si le Canada voulait réagir en situation de crise, il n'en reste pas moins qu'il faut énormément de temps avant de faire les acquisitions nécessaires. Nous ne pouvons pas acheter des brise-glaces ou des drones sous-marins en un claquement de doigts. Nous le voyons présentement dans notre incapacité de fournir l'armement nécessaire aux Ukrainiens pour se défendre contre les Russes.
    Donc, la vision à court terme peut vraiment être problématique, dans le contexte.
    Merci beaucoup, monsieur Massie.
    Professeure Kimball, vous avez parlé de la possibilité que la Finlande et la Suède se joignent à l'OTAN et des répercussions qui en découleraient dans l'Arctique. J'aimerais vous entendre en parler davantage.
    Dans le contexte actuel de la crise en Ukraine, la Suède fait beaucoup de patrouilles dans le Grand Nord. Ce partenaire est très compétent pour ce qui est de surveiller la circulation aérienne. Il y a de bonnes raisons de croire que ces deux États travailleraient de concert dans le Grand Nord et dans l'Arctique.
    L'OTAN regarde de plus en plus ce qui se passe en Arctique. Dans le dernier concept stratégique de l'OTAN, il y avait une section traitant précisément de l'Arctique et une autre de la Chine. Cela démontre que, pour l'OTAN, des menaces se posent maintenant à court et à moyen terme dans certaines régions qui ne faisaient pas partie des réflexions auparavant.
    Ces deux États ont aussi des capacités conventionnelles dans l'Arctique, au cas où ce serait nécessaire, mais ils ont également de belles capacités maritimes. On devrait discuter davantage avec ces nouveaux partenaires, en cas de difficultés pour le Canada.

  (1135)  

[Traduction]

    Nous allons devoir nous arrêter là.

[Français]

    Merci, madame Normandin.

[Traduction]

    Madame Mathyssen, allez‑y pour six minutes, je vous prie.
    Pour approfondir ces réflexions, vous deux, madame Kimball et monsieur Massie, avez parlé de l'approche multilatérale. Vous avez mentionné le Conseil de l'Arctique, bien entendu, et l'OTAN, et il y a aussi le NORAD.
    Comment le Canada parvient-il à utiliser ces organisations multilatérales afin d'éviter une escalade de l'agression que nous constatons dans le monde, et que devrions-nous faire différemment au sein de ces organisations ou d'autres que vous aimeriez mentionner?
    Mme Kimball pourrait peut-être répondre en premier, et M. Massie par la suite.
    Oui. Je dirais que l'une des choses très importantes à ce stade‑ci est de réfléchir à ce dans quoi le Canada va investir lorsqu'il modernisera le NORAD. Dans le passé, il était plus logique d'avoir des emplacements fixes. À l'avenir, il faudra probablement penser à certains de ces aspects pour prévoir une plus grande mobilité. Cela donnera au Canada une plus grande flexibilité dans ses capacités.
    Il faudra également réfléchir à la façon dont la défense stratégique, la surveillance et tout le reste — la scène entre l'OTAN et le NORAD et la garantie d'une meilleure... Soit dit en passant, le Canada participe à ces deux systèmes différents. Le système de l'OTAN est en quelque sorte sous l'égide des États-Unis, qui fournissent et diffusent ensuite la majorité des renseignements, tandis qu'avec le NORAD, le Canada est à la table, mais il se retire à un moment donné.
    D'une certaine manière, il faut donc réfléchir à ce que cela signifiera pour le Canada en matière de modernisation à l'avenir.
    J'ajouterais que, du point de vue du Canada, il est un bon équipier au sein de l'OTAN. Son objectif stratégique est d'apporter une contribution plus qu'il n'est d'avoir un impact significatif, je pense, sur le plan politique ou stratégique.
    Par exemple, le Canada désirait simplement avoir un siège à la table; on a vu que cela primait sur le désir d'avoir un impact concret sur son propre intérêt national.
    On le voit dans la capacité limitée d'envoyer des armes aux Ukrainiens; on dit qu'il faudrait les garder au cas où il y aurait une guerre contre la Russie. La Russie mène actuellement cette guerre en Ukraine. C'est donc insensé, selon moi.
    On le voit également avec l'inclusion de deux nouveaux partenaires dans l'OTAN, la Finlande et la Suède, et la volonté limitée de s'engager avec ces deux pays pour développer de plus grands partenariats. Étant donné que la dissuasion de l'armée russe dans l'Arctique se produira principalement, je pense, dans l'Arctique européen plutôt que dans l'Arctique canadien à court terme, je pense que le Canada doit également garder ces enjeux en tête. Nous pourrions être beaucoup plus proactifs.
    On le voit aussi avec la volonté limitée de notre pays d'avoir une quelconque implication de l'OTAN dans l'Arctique canadien; le Canada a utilisé son veto sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN et ne veut même pas mentionner l'Arctique dans son concept stratégique. Je pense qu'il désire conserver une relation bilatérale avec les États-Unis, ce qui, à mon avis, limite la capacité du Canada à s'engager de manière multilatérale ou bilatérale avec d'autres pays. Je pense que c'est un problème étant donné le manque croissant de fiabilité de notre voisin du Sud lié à l'élection présidentielle à venir en 2024.
    Pour que le Canada exerce une plus grande influence à ces différentes tables... Je comprends l'idée d'être un équipier plutôt qu'un leader, mais le Canada a déjà été un leader à bien des égards, notamment en matière de maintien de la paix.
    Nous n'avons pas autant investi que d'autres et nous n'avons certainement pas rempli nos obligations en matière de maintien de la paix au sein de l'ONU. Le Canada pourrait‑il changer la donne en s'armant d'une politique qui lui permettrait d'avoir un différent type d'influence de façon multilatérale?
    Allez‑y, monsieur Massie.

  (1140)  

    Nous n'avons certainement pas la capacité de nous réengager dans les opérations de paix de l'ONU, selon moi. Dans l'ordre de priorité, la défense du Canada devrait venir en premier. Cela n'a jamais été le cas, car nous voulions plutôt contribuer à la sécurité internationale par le biais des opérations de l'OTAN depuis ses débuts à la fin des années 1990, et nous avons simplement rejeté les opérations de paix de l'ONU par la suite.
    Nous devons doubler notre capacité en Lettonie d'ici les trois prochaines années et nous faisons également face à une pénurie de personnel tel que mentionné. Je ne crois donc pas qu'il soit même possible pour nous d'avoir des opérations simultanées ailleurs dans le monde, étant donné que nous devons investir dans des ressources — équipement et personnel — juste pour défendre notre pays. Je ne pense pas que nous puissions nous le permettre.
    J'aimerais que ce soit une troisième priorité, mais nous devons nous concentrer sur les deux plus importantes. Elles nous demanderont trop d'énergie pour que nous puissions investir nos ressources ailleurs.
    Allez‑y, madame Kimball.
    Je suis d'accord avec mon collègue là‑dessus. Si on examine les données sur le déploiement des troupes, l'Italie est présentement le pays qui envoie le plus de Casques bleus. Cela dit, si on regarde ce qu'elle fait au sein de l'OTAN et dans d'autres missions, sa contribution peut laisser un peu à désirer.
    On constate surtout que les États qui ont plus de capacités en matière de troupes ont eu tendance à les déployer dans les missions de l'OTAN ou de l'UE — évidemment, le Canada n'est pas concerné ici —, mais il y a un aspect de substitution ou de complémentarité avec ces missions de l'OTAN. Je me répète, mais je ne pense pas que nous pourrions déployer autant de soldats, même si nous le voulions.
    Je crois que peu de gens le savent, mais le Canada forme la majorité des Casques bleus d'autres pays. Ils sont formés au Canada, puis ils retournent dans leur pays avec ce savoir et partent ensuite en mission de maintien de la paix. On pourrait dire que nous avons dépassé le stade du maintien de la paix et que nous sommes en quelque sorte devenus des éducateurs de la paix.
    Merci, madame Mathyssen.
    Nous allons maintenant passer au deuxième tour de questions. Chacun disposera de cinq minutes. Ce sera Mme Gallant, Mme O'Connell, Mme Normandin, Mme Mathyssen, M. Kelly ou M. Bezan, et enfin Mme Lambropoulos.
    Allez‑y, je vous prie, madame Gallant. Vous disposez de cinq minutes.
    Monsieur Huebert, de quelles infrastructures et de quels équipements le Canada a‑t‑il besoin pour s'assurer que son front arctique est sécurisé et prêt à se défendre, au besoin?
    Nous devons nous assurer que les bases d'opérations avancées — les aérodromes à partir desquels nous opérerions — sont capables d'opérer 24 heures sur 24, sept jours sur sept, même dans un environnement arctique. Une crise ne va pas attendre le beau temps.
    À nouveau, on se demande si la capacité des bases d'opérations avancées est telle qu'elles peuvent opérer à bref préavis. Nous devons avoir les aéronefs pour opérer à partir de là. Cela signifie qu'il faut prendre une décision afin de remplacer les CF‑18 achetés en 1982. Nous devons également explorer les options d'appareils de ravitaillement. Bon nombre des chasseurs de cinquième génération envisagés — vraisemblablement le F‑35, puisque tous nos alliés nordiques, à l'exception de la Suède, ont opté pour ce type d'appareil, et je présume que ce pourrait être notre cas aussi — doivent avoir des capacités de ravitaillement pour faire face à la menace que les Russes et les Chinois poseront à long terme.
    Nous devons disposer de l'infrastructure nécessaire pour savoir où se trouve la menace. Je pense au radar transhorizon et à la menace aérospatiale.
    On n'a pas du tout abordé la question de la modernisation de notre capacité d'écoute sous-marine. Parle‑t‑on d'un système SOSA, dont le coût pourrait être prohibitif? Quoi qu'il en soit, il faut s'y attarder.
    Nous devons également parler de la façon dont nous allons améliorer nos capacités satellitaires. Selon les sources publiées, aucune décision n'a encore été prise quant au remplacement de la constellation RADARSAT. J'espère que ces sources sont incorrectes et que nous prévoyons planifier les capacités futures de RADARSAT, mais cela signifie également que nous devons nous joindre aux Américains et aux Européens pour bénéficier de leur capacité de surveillance par satellite.
    Si on examine la liste des dossiers, j'ai bien peur que tout reste à faire au niveau de la surveillance et de notre capacité d'intervention.
    Le gouvernement dit que les fonds seront extrêmement limités en raison des difficultés économiques auxquelles nous sommes présentement confrontés, et j'estime donc qu'il s'agit de l'un des problèmes les plus difficiles — ou « mauvais » comme aiment dire les responsables politiques — que nous aurons à affronter à l'avenir.

  (1145)  

    Monsieur Huebert, étant donné qu'Inuvik est l'épicentre de la défense aérienne du Canada et du NORAD et la seule base militaire de l'océan Arctique, quelles pourraient être les répercussions de la résiliation du contrat portant sur le hangar qui se trouve là‑bas?
    N'oubliez pas que ce qu'ils tentent de faire, à l'heure actuelle, c'est... Ce n'est pas nécessairement une résiliation, mais il s'agit de savoir qui va s'occuper de l'entretien à l'avenir.
    En tant qu'universitaires, il nous est difficile d'obtenir de bonnes statistiques sur la façon dont ces hangars et ces pistes ont été entretenus lorsque nous examinons ces enjeux. Nous devons évidemment maintenir un certain degré de secret gouvernemental à ce sujet. Par conséquent, il devient difficile pour chacun d'entre nous de dire avec certitude qui s'occupera de l'entretien une fois la transition complétée.
    Parle‑t‑on de l'entreprise existante qui a offert d'excellents services d'entretien ou d'un transfert, qui crée toujours certains défis? Il m'est difficile de statuer sur ce qui se fera à l'avenir, mais j'ajouterais qu'on est censés construire une autre base, à Nanisivik. Nous avons fait face à divers obstacles avec les gouvernements à cet égard... À nouveau, je peux comparer cela à ce que les Russes ont fait.
    Nous devons bien sûr régler le cas du hangar à Inuvik, comme vous l'avez souligné. Nous devons tenir compte du fait que la base à Nanisivik n'est pas encore prête, et nous devons parler des autres emplacements d'opérations avancées que nous avons à Yellowknife et ailleurs — j'oublie où c'est, désolé — et comparer cela aux Russes, bien sûr, qui, de 1999 à 2022, ont construit ou restauré plus de 22 sites, bases et emplacements militaires différents dans le Nord. En fait, dans le mémoire que j'ai remis au Comité, on trouve une liste des sources publiées portant sur les endroits où nous pensons que ces bases, aérodromes et capacités sont situés. Je rappelle aussi au Comité que le PIB de la Russie est inférieur à celui du Canada.
    Cela nous amène à la question de l'engagement politique. Il nous faut répondre aux besoins imminents en matière de sécurité, dans l'immédiat et à plus long terme.
    Merci, madame Gallant.
    Allez‑y, je vous prie, madame Lambropoulos. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier nos trois témoins d'être parmi nous aujourd'hui, de répondre à nos questions et de nous faire craindre le pire à propos de la Russie et des enjeux futurs potentiels.
    J'ai une première question: pensez-vous que le Canada et ses alliés dans l'Arctique en font assez? Nous mobilisons-nous suffisamment auprès d'eux? Organisons-nous suffisamment d'exercices militaires dans l'Arctique, ou pensez-vous que nous pourrions en organiser nettement plus? Qu'avez-vous à dire précisément à ce sujet?
    Je vais m'adresser à M. Huebert en premier.
    Merci. Il s'agit d'une question essentielle. Je ne saurais trop insister là‑dessus. Depuis 2017, il y a eu un redécoupage de la sécurité nordique. Or, le Canada l'a complètement loupé.
    Bien sûr, tout le monde se concentre sur la demande d'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN et sur l'élimination de la résistance turque qui, on l'espère, se réglera grâce à l'accord conclu entre les trois pays.
    La réalité, c'est que les Finnois, les Suédois, les Norvégiens et les Danois ont tous signé des ententes spéciales avec les Américains. Ces quatre peuples ont également conclu une entente ensemble. Enfin, il s'agit d'une entente à cinq, puisque l'Islande en fait aussi partie. Il s'agit de l'entente de Coopération des pays nordiques en matière de défense, ou NORDEFCO.
    Cette entente vise à créer un espace aérospatial commun. Même avant la demande d'adhésion à l'OTAN de la Suède et de la Norvège, tous avaient reconnu le besoin de disposer d'une capacité opérationnelle commune.
    Ces pays nordiques ont également permis aux États-Unis de se joindre à eux. À nouveau, au Canada, nous n'y avons pas particulièrement prêté attention, mais cet été, les Norvégiens ont permis à un sous-marin d'attaque américain, le Seawolf, d'accoster au port de Tromsø, et ils sont en train de réaménager ce port pour mieux accueillir les Américains.
    Le Canada a participé à certains exercices. Lorsque les Norvégiens organisent leur grand exercice Cold Response, nous envoyons un petit nombre de participants. Nous participons plus activement à l'exercice anti-sous-marin mené par la Grande-Bretagne et les pays nordiques, appelé Dynamic Mongoose. Nous avons été un participant à part entière à cet exercice.
    Les lacunes et... À nouveau, nous sommes limités par les sources publiées, mais nous ne verrions pas le Canada convoquer les pays nordiques et les États-Unis pour leur dire: « Écoutez, nous nous rendons compte que vous êtes en train de créer une nouvelle division nordique pour la défense de l'OTAN. Nous voulons contribuer. » Cela nous ramène encore une fois à la question du « siège à la table » qui, je crois, a été soulevée par Mme Kimball. Le Canada n'est pas présent. Je reviens au point soulevé par M. Massie: nous ne sommes pas à l'avant-plan en train de dire qu'il faut unifier le NORAD d'un point de vue aérospatial et maritime et sur le plan de ce contexte maritime nordique émergent. Ce n'est tout simplement pas le cas.
    Quant à l'autre partie de l'équation, nous avons réglé notre problème avec les Danois au sujet de l'île Hans. J'aimerais que nous nous servions de cette relation avec les Danois et les Groenlandais et que nous leur disions: « Regardez, Thulé est au centre. » Thulé, bien sûr, fait partie du système américain de missiles antibalistiques, qui sera essentiel pour contrer les menaces auxquelles nous serons confrontés à l'avenir. Le Canada pourrait dire: « D'accord, il serait temps d'avoir une conversation avec les Groenlandais et les Danois sur la façon dont les choses fonctionnent. » Nous pourrions ensuite nous en servir comme moyen d'intégration et de liaison avec l'OTAN, en disant: « Nous adhérons à l'OTAN. Oui, nous savons que nous avons un problème de souveraineté. »
     J'aimerais ajouter quelque chose à l'une des questions. Nos alliés européens n'approuvent pas non plus la façon dont nous avons tracé les lignes de base droites pour encloisonner le passage du Nord-Ouest. Les Américains sont ceux qui se font le plus entendre, mais les Européens n'approuvent pas notre décision non plus.
    Les Européens réagiront si nous nous asseyons à la table de discussion en disant vouloir jouer un rôle plus important et s'ils ont besoin de notre expertise nordique. À nouveau, je pense que nous pouvons être beaucoup plus directs à cet égard, mais nous devons également avoir les moyens de nos ambitions.

  (1150)  

    Il vous reste environ 30 secondes.
    À ce stade, je vais offrir à Mme Kimball ou à M. Massie la possibilité de répondre à mes questions également, s'ils souhaitent ajouter quelque chose.
    J'aimerais souligner, rapidement, que le Canada a la possibilité d'en faire plus en se joignant à d'autres centres d'excellence de l'OTAN. Le Canada établit son premier ici, à Montréal, mais il s'agit du 30e centre de l'OTAN. Nous n'avons pas de centre d'excellence en matière de sécurité énergétique ni de centre d'excellence pour les opérations dans le Nord. Nous pourrions mieux profiter des accords multilatéraux et de nos partenaires, mais nous ne le faisons tout simplement pas. Je crois que le Canada devrait chercher cette expertise et collaborer davantage avec d'autres.
    Nous allons devoir en rester là.
    Madame Normandin, vous disposez de deux minutes et demie.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Professeur Huebert, vous avez parlé de l'importance pour le Canada d'avoir un système de défense sans faille, tant en ce qui concerne la surveillance que la réponse. Or, le professeur Massie nous a dit qu'on pouvait voir venir les drones, mais qu'on n'avait absolument rien pour les abattre, le cas échéant.
    On a aussi mentionné qu'il était important que le Canada démontre un engagement aussi fort que celui des États‑Unis en matière de sécurité. Je comprends que cela concernait des adversaires potentiels, mais serait-il important aussi que le Canada en fasse la preuve aux Américains, notamment en ce qui a trait au NORAD?

[Traduction]

    Nous allons atteindre un point critique avec les États-Unis. Je crois que l'éléphant dans la pièce, dont on ne parle jamais dans la société civilisée, c'est la possibilité que soit élue une personne qui s'est montrée réticente à tout ce qui touche une relation spéciale avec le Canada. Nous pouvons tous spéculer à ce sujet.
    Le problème, toutefois, c'est qu'au fil du temps, les fondations de ce que nous considérons comme une relation spéciale se sont érodées. Sur le plan politique, cette relation est évidemment importante. Les diverses rencontres des présidents et premiers ministres au fil de temps ont permis d'établir ce précepte, mais c'est la capacité de travailler ensemble sur le plan bureaucratique qui nous a permis de nous distinguer et qui fait que les Américains ne nous perçoivent pas comme une entité étrangère.
    Nous avons eu de la difficulté à maintenir notre armée au même niveau que celle des États-Unis, ce qui est problématique. Le problème ne disparaît pas. Nous entretenons toujours de bonnes relations interpersonnelles avec les Américains, mais elle est fragilisée par ce manque d'engagement au quotidien, qui va au‑delà du domaine militaire. Il touche l'économie, la politique sociale et ainsi de suite.
    Je crains que l'orientation politique que risquent de prendre les Américains à la suite des élections du mois de novembre, mais aussi à la suite des élections présidentielles — ce qui est encore plus problématique — crée une situation qui nous obligera à nager à contre-courant pour veiller à ce que, sous la prochaine administration, les Américains sachent qu'il est dans leur intérêt d'entretenir de bonnes relations avec nous. Ce sont les mesures que nous devons prendre aujourd'hui pour nous préparer à une telle éventualité.
    Je crois qu'il faut nous préparer aux situations politiques les plus difficiles.

  (1155)  

[Français]

    Merci.
    Merci, madame Normandin.

[Traduction]

    Nous allons maintenant entendre Mme Mathyssen, qui dispose de deux minutes et demie.
    En ce qui a trait aux prochaines étapes... Comme bon nombre de Canadiens, je pense qu'il y a une différence entre la modernisation du NORAD, nos opérations, nos flottes, nos navires, etc., et la croissance de l'armement. Comme l'a fait valoir M. Huebert, nous nous fions aux États-Unis pour nous couvrir à de nombreux égards. Toutefois, au fil de l'histoire, nous nous sommes abstenus de participer à la défense antimissible balistique par crainte d'une course à l'armement.
    Nous n'avons pas la capacité requise pour être dans la course afin d'être les prochains États-Unis... si c'est de cela que l'on parle. Pourquoi ce raisonnement ne tient‑il plus la route? Est‑ce qu'il tient encore la route? Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je vais adresser ma question à M. Massie. Comment pouvons-nous tenir notre bout sans tomber dans la course à l'armement ?
    Je pense à ce que fait la Finlande: je ne crois pas qu'elle essaie de faire comme les États-Unis, mais elle investit beaucoup plus que nous. La Norvège et la Suède investissent aussi plus que nous par habitant. Je ne crois pas qu'il y ait les États-Unis d'un côté et le reste des pays de l'autre. Certains pays se portent beaucoup mieux; ils établissent clairement leurs intérêts nationaux plutôt que d'attendre que les autres leur disent quoi faire. C'est une approche différente de la nôtre.
    Nous hésitons à prendre les devants sur le plan politique ici, au pays. De plus, l'armée canadienne ne veut pas centrer ses ressources et son attention sur son propre pays, parce que cela l'empêcherait d'être ailleurs, étant donné le budget de 1,2 % dont elle dispose. C'est dans notre culture stratégique d'être ailleurs, de planter le drapeau canadien en sol étranger et de mener une force opérationnelle multinationale en Lettonie, par exemple, ou un déploiement naval en Asie-Pacifique, où nous avons deux frégates à l'heure actuelle. Nous jugeons qu'il est dans le meilleur intérêt du Canada de procéder ainsi, mais je ne sais pas si ces ressources sont bien dépensées, puisqu'elles sont très limitées, à mon avis.
    Merci, madame Mathyssen.
    Monsieur Bezan, vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président. Je veux également remercier nos témoins de participer à la réunion d'aujourd'hui et de nous faire comprendre que le Canada n'en fait pas assez. Est‑ce le manque de leadership politique est en cause? Est‑ce un manque de capacité? Est‑ce qu'on n'investit pas suffisamment dans la sécurité de l'Arctique et dans la défense nord-américaine de façon générale?
    J'aimerais faire un tour de table; vous pouvez répondre rapidement par oui ou non. Monsieur Massie, vous pourriez répondre en premier, puis nous entendre M. Huebert et Mme Kimball.
    Allez‑y en premier, monsieur Huebert.
    Je suis d'accord avec vous. Je crois que nous étions sur la bonne voie avec la politique de défense de 2017, mais ce n'est pas suffisant. C'est un pas dans la bonne direction, mais il faut en faire plus.
    On entend dire que le budget sera réduit ou qu'il ne sera pas augmenté. Il faudrait des investissements clés vers le milieu des années 2020, jusqu'au milieu des années 2030, mais nous savons que ces investissements sont toujours retardés et qu'ils coûtent toujours plus cher.
    On ne parle pas de passer de 15 à 12 navires de combat. Ces pourparlers — et j'espère que ce ne sont que des rumeurs — visent une réduction de la capacité et non seulement de l'entretien.
    La politique de défense de 2017 ne vise pas la croissance; elle vise à maintenir la capacité militaire du Canada. Nous parlons aujourd'hui de renforcer cette capacité. Nous sommes vraiment loin du but.

  (1200)  

    Monsieur Huebert.
    Il y a trois facteurs à prendre en compte ici.
    Premièrement, je suis d'accord avec vous: je crois que de façon générale, tant à l'échelon provincial qu'à l'échelon fédéral, le Canada a tendance à se retirer et à choisir l'isolationnisme. J'ai écrit un article à ce sujet dans Options politiques. Nous avons observé cette tendance à se dégager de la scène internationale.
    Deux facteurs sont en cause: premièrement, il y a ce mythe selon lequel la géographie nous protège. Il y a un mythe voulant que ce qui se passe en Ukraine, en Géorgie ou en Tchétchénie ne nous concerne pas; que ce qui arrivera à Taïwan — vous pouvez me compter parmi ceux qui croient que la Chine utilisera l'intervention militaire pour se venger de ce qu'elle considère être le siècle de l'humiliation et qu'un conflit militaire s'ensuivra — ne nous touchera pas. Nous nous sommes convaincus de cela, et je crois que certains leaders politiques nous ont encouragés à croire que comme nous sommes si loin, tout cela ne nous affectera pas.
    Deuxièmement — et c'est le facteur le plus effrayant, à mon avis —, il y a la question de la course à l'armement, qui a été soulevée tout à l'heure. Le débat sur la possibilité d'une course à l'armement s'est terminé en 2002 lorsque la Chine et la Russie ont pris une série de décisions en matière d'approvisionnement militaire qui, à mon avis, nous ont fait passer d'un système de dissuasion nucléaire à un système de guerre nucléaire. Les Russes ne sont pas les seuls à avoir investi en ce sens.
    C'est un problème. Soyons honnêtes: le Canada ne veut pas parler d'armes nucléaires. Il ne veut pas parler de la possibilité que nous soyons dans une ère où il n'est pas seulement question de dissuasion, mais aussi d'engagement dans ce type de conflits. Comme l'a dit Herman Kahn, comment peut-on penser l'impensable?
    Comme il s'agit d'un problème de taille, alors que nous tentons de nous y attaquer... M. Massie et Mme Kimball ont parlé de la menace existentielle des changements climatiques. Comment pouvons-nous, en tant que société et en tant que leaders politiques, songer aux changements climatiques alors que nous sommes dans l'ère de la guerre nucléaire? L'enjeu est tel que le Canada s'est retiré sous prétexte que la géographie nous protégeait, et je crois que c'est pour cette raison que nous n'y songeons pas. Comme nous n'y pensons pas, nous n'agissons pas non plus.
    Madame Kimball.
    Je regarderais la situation sous un autre angle: je crois que nous sommes pris au piège par la géographie, d'une certaine façon.
    Dans le cadre de mes cours, je présente à mes étudiants une interception de missile balistique fictive entre Pyongyang et Washington. Ce qu'ils remarquent, bien sûr, c'est l'aspect géographique. Nous parlons aussi de la vitesse à laquelle tout cela se passe: l'interception en début de course ou à mi‑chemin ne se fait pas en six minutes, mais plutôt en trois minutes. La plupart des gens ne peuvent pas fumer une cigarette ou aller aux toilettes en trois minutes. Est‑ce que nous arriverions à éviter une guerre nucléaire en si peu de temps? Il faut y penser.
    Au Canada, nous préférons investir dans les affaires étrangères plutôt que dans la défense, notamment parce que nous nous percevons à titre de pays multilatéral, à titre de collaborateur qui suit toujours le reste du groupe.
    J'étudie les dépenses de la défense depuis longtemps et je crois qu'il y a un mythe associé aux dépenses de guerre. En fait, une grande partie de ces dépenses visent les efforts de paix. C'est l'objectif de la plupart des dépenses de l'OTAN. Je crois qu'il y a beaucoup d'idées fausses à ce sujet.
    Nous allons devoir nous arrêter là, malheureusement. Je ne sais pas pourquoi je dois toujours vous interrompre, madame Kimball, mais j'en suis désolé.
    Il n'y a pas de problème.
    Vous voyez à quoi nous sommes allergiques.
    Nous allons maintenant entendre M. Robillard, qui dispose de cinq minutes. Allez‑y.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Étant donné que de nombreux pays, y compris les États‑Unis, ne reconnaissent pas la revendication du Canada selon laquelle le passage du Nord‑Ouest est une voie navigable intérieure canadienne, quelle mesure concrète le Canada peut-il prendre pour protéger sa souveraineté dans le passage du Nord‑Ouest?

  (1205)  

[Traduction]

    À qui s'adresse votre question?
    Si vous me le permettez, c'est une question qui m'empêche de dormir la nuit: notre capacité d'exercer la souveraineté.
    La Russie est le seul autre pays à avoir fait des revendications similaires au sujet du contrôle d'un plan d'eau semblable et de ce qu'elle a fait pour la route maritime du Nord. Toutefois, les Russes ont clairement dépassé le Canada à ce titre. La route maritime du Nord dépasse ce que le Canada a revendiqué à titre de droit de contrôle similaire dans le passage du Nord-Ouest. Encore une fois, la différence entre les deux pays, c'est que la Russie a une capacité d'exécution très vigoureuse. Les Russes refusent les navires qui ne respectent pas leurs normes; ils refusent aussi des navires pour des raisons politiques.
    J'aimerais souligner qu'en 2017, la Chine avait demandé notre consentement pour faire traverser le navire Xue Long dans le passage du Nord-Ouest. Étant donné l'animosité entre la Chine et le Canada à l'époque et le fait que nous ayons affirmé vouloir des eaux internes pour contrôler la sécurité et les intérêts du Canada, je m'explique mal pourquoi nous avons donné notre consentement. Je parle de consentement parce que selon ce que je comprends, c'est ce que nous avons donné, par opposition à notre permission.
    La question est donc la suivante: avons-nous la volonté politique requise pour exercer notre souveraineté? Je suis la situation depuis très longtemps. Nous parlons de construire un grand brise-glace depuis 1985. Joe Clark en avait fait l'annonce... Nous attendons toujours sa construction.
    Si l'on dit maintenant qu'on va en construire deux... Je crois que nous devrions prendre exemple sur la Russie, étant donné sa capacité d'obliger les pays à suivre ses règles sur la route maritime du Nord et dans le passage du Nord-Ouest.
    Je crois que même si les Européens n'ont pas accepté nos lignes de démarcation — ils disent qu'on ne peut les tracer de la sorte —, la stratégie arctique de chaque pays européen prévoit la liberté de navigation dans les nouvelles voies navigables de l'Arctique. Ces pays ne nomment pas le passage du Nord-Ouest, mais on peut deviner que c'est à lui qu'ils font référence. Pour les décourager de prendre des mesures qui nous menaceraient, nous devons accroître notre capacité d'exécution.
    C'est un problème qui perdure. Je crois qu'il remonte à la déclaration de Joe Clark au sujet de la souveraineté dans l'Arctique, qui date du 10 septembre 1985.

[Français]

    Quelles sont les intentions de la Chine dans l'Arctique? Quels sont les principaux facteurs qui motivent l'intérêt de la Chine pour la région? Comment cela a-t-il évolué au cours des dernières décennies?
    Pour la Chine, à mon avis, c'est certainement la circulation pour le commerce maritime et l'exploration des ressources. Par exemple, les Chinois ont tenté à plusieurs reprises d'y acheter des territoires, notamment pour l'exploitation de minéraux, mais tous ces accords avec des entreprises internationales ont fini par échouer après un certain temps. Cela dit, les Chinois continuent de chercher un endroit où il y aurait moyen de s'ancrer dans la région. Je ne m'attends pas à ce qu'ils changent d'avis à court ou à moyen terme, car ils voient cela comme étant une nouvelle région où il y a des biens publics qu'ils ont le droit, comme tous les États, d'explorer et d'exploiter.

[Traduction]

    Nous sommes...
    Si vous me le permettez, j'aimerais souligner l'importance de cette question, parce qu'elle n'a pas été abordée par les médias au Canada. Elle démontre que les intérêts de la Chine en matière de sécurité ne doivent pas être sous-estimés. Au cours des derniers mois — je ne me souviens pas du nom ou de la date exacte —, une force opérationnelle navale de la Chine et de la Russie est passée sur les voies navigables des îles Aléoutiennes. Elle est restée dans les eaux internationales, mais nous n'avons jamais vu les Chinois et les Russes unir leurs forces et ainsi traverser les eaux nordiques. Cela démontre clairement un désir de travailler avec la Chine et de renforcer la capacité de navigation dans ces eaux.
    Le deuxième point qui n'est pas abordé, c'est la schématisation active de la région de l'Arctique par le Xue Long. L'objectif est probablement d'y envoyer des sous-marins.
    Encore une fois, on peut présumer que lorsque la Chine a navigué dans le passage du Nord-Ouest, elle a procédé à la schématisation, parce qu'il s'agissait d'une condition... nous lui avons permis de faire des recherches scientifiques. En fait, les Américains se préoccupent grandement des efforts de la Chine, avec ses deux brise-glace, pour schématiser la région de l'océan Arctique. On peut présumer qu'à long terme, les sous-marins y passeront.

  (1210)  

    Nous allons devoir en rester là, malheureusement.
    Chers collègues, il nous reste environ 20 minutes pour poser l'équivalent de 25 minutes de questions. Je vais donc y aller un peu au pif et réduire d'une minute le temps de parole de chacun.
    Monsieur Kelly, vous disposez de quatre minutes.
    Je vous remercie. J'aimerais continuer à parler de la Chine.
    Des experts, dont le général Eyre qui a témoigné devant le Comité la semaine dernière, ont parlé de la capacité de la Chine à menacer la souveraineté du Canada dans l'Arctique d'ici 20 ans et, par ailleurs, ils nous ont expliqué comment la Russie, dont la fortune continue de décliner depuis son invasion de l'Ukraine, devient de plus en plus le vassal de la Chine.
    Monsieur Huebert, pouvez-vous nous en dire plus... ou pensez-vous que le général est optimiste quant à cet horizon de 20 ans? Dans précisément combien de temps verrons-nous se concrétiser les menaces que fait peser la Chine sur la souveraineté canadienne dans l'Arctique?
    Tous les observateurs canadiens changeront immédiatement d'avis sur ce point lorsque la guerre à Taïwan éclatera. À ce moment‑là, nous verrons à la fois les ramifications internationales et les capacités militaires chinoises. Nous ferons alors une réévaluation, et les gens diront, comme c'est le cas pour la deuxième phase de la guerre russo-ukrainienne: « Ah, je suppose qu'on aurait dû s'y attendre. »
    Ceux qui, comme David Mulroney et d'autres, prévoient une telle éventualité disent depuis longtemps que la menace est déjà là. Nous pouvons parler des capacités sur une période de 20 ans, mais la véritable menace ne se situe pas sur le plan de la souveraineté. Les Chinois prennent garde de ne rien dire publiquement qui puisse remettre en cause leurs revendications de souveraineté dans la mer de Chine méridionale. Autrement dit, la teneur de leurs déclarations publiques sur la souveraineté canadienne dans l'Arctique sera déterminée en fonction de ce qui, d'après eux, favorisera ou non leur capacité en la matière.
    Ils éviteront donc la question de la souveraineté. La menace concerne plutôt la sécurité. Il s'agit de savoir si la Chine, par ses agissements à Taïwan, finira d'une manière ou d'une autre par déclencher une offensive militaire contre les États-Unis et nos autres amis asiatiques, ce qui aurait un effet d'entraînement. Le cas échéant, comme Mme Kimball l'a souligné avec tant d'éloquence, nous trouverons-nous dans une situation où nous servirons en quelque sorte de chemin de passage pour ces armes?
    La question de savoir si la Chine a l'intention de faire venir ses sous-marins de croisière à propulsion nucléaire dans les eaux arctiques fait l'objet d'un vaste débat. Le cas échéant — et je crois qu'elle s'y prépare activement —, si les sous-marins de classe 094 sont dotés de capacités de navigation sous la glace, il n'est que logique que la Chine trouve un moyen de traverser le détroit de Béring, ce qui est très difficile. C'est un énorme problème. Je le reconnais. En passant par là, l'armée chinoise pourrait lancer des missiles de croisière à partir du Nord pour essayer de nous prendre au dépourvu.
    Comme le souligne Mme Kimball, les choses bougent très rapidement, ce qui signifie que le problème se posera bien avant 20 ans. La Chine mène des études de capacité en ce moment même. Elle prend les mesures nécessaires, et cela dépend ensuite du moment où elle décidera de se mobiliser contre Taïwan.
    Dans quelle mesure est‑il essentiel que le Canada se dote d'une véritable capacité en matière de sous-marins afin d'égaler la capacité chinoise dont vous parlez?
    C'est tout à fait essentiel, mais il ne s'agit pas seulement de sous-marins. Nous ne sommes plus à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, où il n'y avait qu'une seule unité. Nous avons maintenant affaire à une guerre de systèmes, et cela nous ramène à la question de savoir si nous voulons ou non faire partie de la meilleure capacité de surveillance américaine, australienne, japonaise, parce que c'est invariablement lié à ce que nous appelions les « systèmes de missiles antibalistiques ». Nous cherchons à déterminer la provenance des missiles qui nous défendront contre ces diverses menaces.
    Il faut des sous-marins, mais il faut aussi que nos alliés asiatiques nous prennent au sérieux, ce qui signifie un engagement. Ainsi, à mesure que la Corée du Sud, le Japon, l'Australie et les États-Unis mettront au point ces systèmes de surveillance pour contrer la Chine dans le conflit à venir, ils seront prêts à ce que nous jouions un rôle dans ce contexte.
     Il est à espérer que le comité actuel, auquel le gouvernement a confié le mandat d'étudier la région Indo-Asie-Pacifique, se penchera très sérieusement sur cette question, car elle revêt une importance cruciale.
    Comme je l'ai dit, je suis d'accord avec le général Eyre pour dire que la Chine sera une menace. Je ne suis toutefois pas d'accord avec lui quant à sa chronologie. Selon moi, ce sera beaucoup plus immédiat que ce qu'il prévoit. Encore une fois, cela dépend de la situation à Taïwan, ce qui est un facteur important.

  (1215)  

    Merci, monsieur Kelly.
    Monsieur May, vous disposez de quatre minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens d'abord à remercier tous les témoins d'aujourd'hui. C'est absolument fascinant.
    Monsieur Huebert, vous avez parlé un peu des sous-marins. Je crois que nous nous entendons sur l'importance d'une telle capacité ou influence. Il est essentiel pour le Canada d'avoir des sous-marins afin de protéger sa souveraineté dans l'Arctique, mais quelle en est l'incidence sur nos relations militaires avec nos alliés?
    Encore une fois, je voudrais revenir au fait qu'une telle capacité permet de protéger notre sécurité.
    En ce qui concerne la souveraineté, il est difficile de savoir si nous utiliserions un sous-marin — et, le cas échéant, comment nous nous y prendrions — pour convaincre les Américains et nos amis et alliés européens de l'exactitude de nos lignes de base droites. Je veux être très clair là‑dessus.
    Cela dit, votre question demeure d'une importance capitale, car vous avez tout à fait raison. Nous devons assurer la sécurité de l'Arctique, et nous avons besoin de sous-marins. Nous avons eu des problèmes à l'époque de Mulroney lorsque nous avions envisagé l'achat de sous-marins à propulsion nucléaire, parce que les Américains étaient réticents à les partager. Nous constatons aujourd'hui que les Américains sont désireux, voire impatients, de faire partager la technologie aux Britanniques et aux Australiens pour leur montrer que toutes les réserves qu'ils auraient pu avoir dans les années 1980 se sont dissipées à la lumière des nouvelles menaces qui pèsent sur nous.
    La participation du Canada serait acceptée en bonne et due forme si nous disions aux Britanniques, aux Australiens et aux Américains que nous voulons, nous aussi, prendre part à leurs négociations en matière de développement; nous voulons avoir des ressources communes. Cependant, encore une fois, on en revient au fait qu'il ne suffit pas de dire: « D'accord, nous allons acheter un ou deux des sous-marins que les Australiens vont acheter. » Il s'agit d'adopter le système, parce qu'il faut se doter du système d'intégration. Cela nous amène à parler de la possibilité d'établir une sorte de pseudo-OTAN dans la région de l'Asie-Pacifique, auquel cas il reste à savoir si nos alliés seraient prêts à...
    Il y a toutefois une condition importante: tant que nous comprenons la nature de la menace que présente la Chine et tant que le Canada n'est pas perçu comme étant non coopératif en raison de ses relations amicales avec la Chine, et j'ose dire que c'est ainsi que certains de nos comportements passés ont été qualifiés... Que ce soit vrai ou non, et nous vous laissons le soin d'en décider, cet aspect deviendrait un des facteurs politiques qui entreraient en ligne de compte.
    Je vous remercie.
    Madame Kimball, comment le Canada coopère‑t‑il avec ses alliés du Nord et de l'Arctique sur les questions de droit international et de sécurité, et quels sont les points sur lesquels nous nous entendons et ceux qui pourraient entraîner des frictions?
     L'une des choses les plus intéressantes que nous pouvons faire, c'est probablement de revenir en arrière et d'examiner le dernier accord qui a été négocié en matière de recherche et de sauvetage. Cet accord, qui date de 2019, nous donne une vision assez réaliste des capacités que les divers pays pensent avoir dans la région, à certains égards. Ce n'est pas un accord militaire. Il vise principalement le commerce ordinaire et la circulation dans la région.
     Si vous deviez comparer les délimitations prévues dans cet accord avec celles des diverses zones économiques pour voir comment le tout se superpose, vous constateriez que ce ne sont pas exactement les mêmes lignes de démarcation.
    Par exemple, la superficie sous contrôle canadien aux termes de l'accord en matière de recherche et de sauvetage est légèrement inférieure à celle que nous revendiquons en matière de souveraineté. Je crois que cela témoigne un peu de la différence entre ce que nous savons pouvoir faire et ce que nous affirmons posséder. Il est également intéressant de noter, par exemple, que les Norvégiens sont chargés d'une plus grande superficie aux termes de cet accord, toujours en matière de services de sauvetage, que ce qui leur appartiendrait réellement.
    Il y a là des occasions à saisir, mais nous devons songer notamment à prendre des mesures propres à renforcer la confiance si nous prévoyons une présence chinoise et russe. Comment pouvons-nous créer des exercices pour certaines de ces choses? Ces exercices n'ont pas besoin d'être militarisés, mais nous devrons peut-être travailler ensemble pour avoir un certain niveau de compréhension, notre objectif étant d'empêcher une crise.

  (1220)  

    Je vais devoir compter sur votre collaboration pour ne pas dépasser le temps alloué. J'en suis désolé, encore une fois.
    La prochaine intervention sera très courte. Vous avez une minute et demie, madame Normandin.

[Français]

     On sait qu'il existe présentement une forme de collaboration entre les pays alliés, mais vous avez aussi mentionné, professeur Massie, qu'il y avait une augmentation de la concurrence entre les grandes puissances. J'aimerais vous entendre parler des perspectives et des projections.
    À la suite de cela, verra-t-on une augmentation de la collaboration entre les alliés ou bien une érosion de cette collaboration, puisqu'il y a de plus en plus d'intérêts individuels dans l'Arctique?
    Ce qui se produit présentement, c'est une fragmentation de l'ordre international. Il y a une consolidation du bloc occidental autour d'un noyau dur, avec quelques électrons libres qui commencent à se dissiper, par exemple la Turquie. En effet, on ne sait plus trop dans quel camp joue la Turquie. Cette consolidation tourne autour de noyaux d'États pivots qui sont cruciaux. On a parlé du Japon, de l'Australie et du Royaume‑Uni. Il y a aussi la France, qui se positionne grandement autour des États‑Unis, bien sûr, et les autres tentent de s'en approcher. Pour sa part, le Canada est un peu dans le flanc extérieur.
    En périphérie, il y a la consolidation de l'axe sino-russe. Présentement, l'affaiblissement de l'économie russe représente une occasion en or pour les Chinois d'acheter la plupart des infrastructures stratégiques de la Russie.
    Il y a donc la création de ces deux pôles, qui sont de plus en plus en collision, et les États qui gravitent autour d'eux, dont l'Inde, la Turquie et d'autres États pivots, pourraient faire pencher la balance.
    Pour ce qui est de l'Arctique, précisément, risque-t-on d'avoir la même érosion de la collaboration?
    On en a parlé. Il y a des noyaux de collaboration autour de pays nordiques, dont le Canada est absent. Le Canada veut juste sa relation spéciale dans une relation qui n'est pas très spéciale. Donc, on est un peu tenu à l'écart. À mon avis, c'est vraiment là que se trouve le noyau présentement, en ce qui concerne la sécurité en Arctique.
    Merci beaucoup.
    Merci, madame Normandin.

[Traduction]

    Madame Mathyssen, vous avez la parole.
    Je crois que c'est M. Huebert qui a dit que la Russie et la Chine investissent déjà dans un armement plus important et une agression plus poussée, et nous ne pouvons pas fermer les yeux là‑dessus. Au bout du compte, l'élément déclencheur remonte au début des années 2000, dans la foulée de l'opposition au traité de défense antimissile balistique. Cela dit, cette idée a réussi à montrer que les esprits raisonnables l'emporteraient.
    Qui veillera à ce que la raison l'emporte, si ce n'est pas le rôle du Canada?
     J'invite M. Massie à répondre en premier et, si nous avons le temps, Mme Kimball et M. Huebert pourront également intervenir.
    L'instabilité de notre voisin du Sud représente une grande menace. Une façon de parer à cette menace consiste à institutionnaliser et à dépolitiser nos relations militaires réciproques, ainsi que nos relations dans d'autres domaines, comme le commerce, les institutions, la culture, etc. Nous devrions le faire beaucoup plus souvent, à mon avis, afin de prévenir le chaos que pourrait engendrer une nouvelle administration « trumpiste ».
    Par exemple, en pleine instabilité, une telle administration pourrait miser sur ses affinités avec la Russie. On peut d'ailleurs le constater dans ses prises de position. Il suffit de songer à la division actuelle qui existe au sein du Parti républicain quant à la question de savoir si l'Occident doit continuer à armer les Ukrainiens. On observe ce genre de divisions avec l'extrême droite dans de nombreux pays. Le Canada doit empêcher une telle situation.
    Pour ce faire, nous devons institutionnaliser ces relations au‑dessous du niveau politique, de sorte qu'elles existent indépendamment des dirigeants d'État.
     Merci, madame Mathyssen.
    Monsieur Bezan, vous disposez de quatre minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je dois dire que les témoignages des trois témoins d'aujourd'hui sont à la fois passionnants et effrayants.
    Quand on commence à parler de... M. Huebert parlait du partage de la technologie avec les Américains et de la raison pour laquelle nous devrions faire partie de l'AUKUS, l'accord entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Lorsqu’on regarde le dialogue quadrilatéral qui existe entre l'Australie, le Japon, l'Inde et les États-Unis, nous brillons par notre absence encore une fois.
    La raison pour laquelle les Américains sont prêts à partager la technologie, et pas seulement celle des sous-marins... Dans le cas des navires de combat de surface canadiens, on parle d'y installer le système Aegis. Cela montre que les États-Unis tiennent à protéger l'Amérique du Nord contre les menaces aériennes, notamment au moyen de missiles de croisière hypersoniques, sachant que nous devrons agir plus vigoureusement pour avoir accès à la technologie et faire partie de la solution globale.
    Pouvez-vous, chacun de vous trois, énumérer rapidement les mesures que nous devons prendre en matière de capitalisation des technologies de défense? Quelles sont vos cinq principales priorités, qu'il s'agisse de sous-marins, de systèmes à longue portée ou d'autres technologies dont nous avons besoin pour défendre l'Arctique?
    Monsieur Massie, voulez-vous commencer? Nous passerons ensuite à M. Huebert.

  (1225)  

    Certaines choses ont déjà été mentionnées. En ce qui concerne les capacités maritimes, qu'il s'agisse de sous-marins ou de drones, c'est certainement nécessaire.
    Par ailleurs, le Canada a absolument besoin d'autres drones, que ce soit pour la surveillance aérienne, le renseignement et la reconnaissance. C'est dans ce créneau que nous devrions investir, car ces technologies ont des retombées industrielles que nous pouvons ensuite utiliser en dehors de l'Amérique du Nord, mais nous ne le faisons pas. Je crois que ce sont les deux grandes priorités.
    Tout ce qui a trait à la détection... à la défense antimissile, oui... Il est certes important d'accroître la capacité de nos navires de combat de surface, mais nous devons en avoir 15, et non 12. Cela va coûter encore plus cher que ce que nous prévoyons actuellement. Il faut, selon moi, garder ces 15 navires. Voilà ma liste des cinq grandes priorités.
    Allez‑y, monsieur Huebert.
    J'aurais, pour ma part, trois grandes priorités. D'abord et avant tout, il faut toutes les capacités de surveillance dont nous avons parlé. On doit connaître la nature de la guerre, et ce, dans l'immédiat.
    On doit également disposer d'une capacité de réaction. La façon dont on dissuade un ennemi de nos jours, qu'il s'agisse de la Chine ou de la Russie, c'est en démontrant qu'on peut se battre avec ses alliés et qu'on n'est pas le maillon faible.
    La troisième priorité se rapporte à la toute première question qui m'a été posée, à savoir, bien entendu, la crise du personnel. Nous ne recrutons pas assez de gens. Nous ne les formons pas adéquatement. Nous ne parvenons pas à obtenir les chiffres nécessaires pour contrer les menaces des temps modernes.
    Je vous remercie.
    C'est à vous, madame Kimball.
    Lorsqu'on examine les accords de partage en matière de défense et les accords d'échange de données nucléaires classifiées que le Canada a conclus avec les États-Unis et qu'on les compare aux accords que les États-Unis ont conclus avec le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, on constate que le Canada a un accord que je qualifierai de très peu institutionnalisé. Il pourrait conclure un accord beaucoup plus détaillé s'il voulait faire le saut. À cette fin, le Canada devrait s'engager à mener des activités de recherche et de développement, des mises à l'essai et des évaluations. S'il veut obtenir cet accès, il doit être prêt à prendre un tel engagement.
    Quand j'examine les accords, il y a un constat très clair: une des stratégies adoptées par l'Australie après le 11 septembre a été de se rapprocher des États-Unis sur une période de 10 à 15 ans, comme le fait le Canada depuis les années 1940. C'est ce que l'Australie a fait de manière très délibérée, grâce à un certain nombre d'accords, et le Canada a tout simplement raté le coche.
    La deuxième chose que je voudrais souligner, c'est que le Canada doit vraiment réfléchir à ses régimes d'exportation à double usage et les harmoniser davantage avec ceux des États-Unis, d'Australie et de certains autres pays. Voilà une autre façon de prendre part à cette relation en vue d'avoir accès à ces renseignements.
    Merci, monsieur Bezan.
     Pour les quatre dernières minutes, nous allons donner la parole à Mme O'Connell, qui rêve d'une soupe au poulet pendant que nous parlons, car elle est très malade.
    En effet. C'est pourquoi, monsieur le président, si vous êtes d'accord, je vais céder mon temps de parole à M. Fisher.
    D'accord.
    Monsieur Fisher, vous disposez quatre minutes.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, et merci aussi à Mme O'Connell.
    Madame Kimball, lorsque vous avez été gentiment interrompue par le président pendant votre déclaration liminaire, vous vous apprêtiez à parler de l'entrée de deux nouveaux pays au sein de l'OTAN et des répercussions positives que cela pourrait avoir pour nous dans l'Arctique canadien.
    Je veux vous donner l'occasion de poursuivre, parce que vos propos étaient fascinants... J'étais tout ouïe quand, comme je l'ai mentionné, le président a décidé de vous interrompre.
    Voulez-vous terminer ce que vous aviez à dire, ou encore nous parler un peu de l'aide que pourraient nous apporter ces partenaires dans l'avenir?
    Il ne fait aucun doute que ces deux pays ont en bonne partie les mêmes principaux intérêts que le Canada dans l'Arctique, soit veiller à un développement respectueux, protéger l'environnement et l'accès maritime, mais ils disposent, en fait, d'une capacité militaire et maritime supérieure à la nôtre dans la région. Ils disposent aussi — en particulier les Suédois — d'une capacité aérienne impressionnante.
    Il va sans dire que les Finlandais disposent d'une capacité de collecte de renseignements parmi les meilleures dans la région. Ils savent à peu près tout ce qui s'y passe. De fait, ils comptent parmi ceux qui fournissent actuellement le plus d'information à l'OTAN sur les activités russes dans l'Arctique. On simplifierait ainsi le processus. Il y aurait un intervenant de moins puisqu'il serait présent à la table. Il n'y aurait pas de transfert d'information.
    Il faut aussi savoir que ce sont des pays qui souhaitent collaborer activement à de futurs projets dans la région. Je pense que le Canada devrait être au nombre des pays qui veulent établir des partenariats tant avec la Suède qu'avec la Finlande.
    Enfin, il est aussi important de penser à la contribution que ces pays peuvent apporter au sein de l'OTAN. Ce sera bon pour l'OTAN, car j'ai l'impression qu'ils voudront contribuer probablement plus que les Danois et les Norvégiens, ce qui les placera sans doute parmi les 10 principaux contributeurs à l'OTAN pour ce qui est du budget civil, ce qui, encore une fois, est une bonne chose pour le Canada.

  (1230)  

    Je vous remercie, monsieur le président. C'est excellent.
    S'il me reste du temps, j'aimerais le céder à M. May.
    Il reste environ une minute et demie.
    Très bien. Je n'ai pas beaucoup de temps, alors je vais poser très rapidement une question à M. Huebert.
    Vous avez parlé de l'aérospatiale à quelques reprises. Pourriez-vous conclure en nous disant ce sur quoi le Canada devrait se concentrer d'abord et avant tout dans ce secteur?
    Il faut d'abord prendre une décision au sujet du remplacement des F‑18. Compte tenu que les Norvégiens, les Danois, les Finlandais et les Britanniques ont tous opté pour le F‑35, en raison de sa capacité, je pense qu'il est clair que nous devons en faire autant pour assurer une bonne intégration.
    Il faut ensuite disposer des moyens d'assurer une bonne assise. Il faut une base de communication. Il faut des emplacements d'opérations avancés qui peuvent fonctionner 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Nous avons besoin d'une capacité de ravitaillement, d'une capacité d'intervention avec les missiles dont nous avons parlé. Nous avons besoin d'une assise solide.
    En effet. Je vous remercie, monsieur May.
    Au nom du Comité, je tiens à vous remercier sincèrement de toutes vos observations et vos idées, même, comme M. Bezan l'a mentionné, celles qui nous effraient. Tout cela est très utile et éclairant pour le Comité au moment d'entreprendre cette étude.
    J'offre encore une fois mes excuses non sincères à Mme Kimball. Vous êtes en bonne compagnie dans ce club, car, au cours de la dernière année, j'ai interrompu un haut-commissaire britannique, un juge de la Cour suprême et plusieurs ministres. Comme je l'ai dit, je vous offre mes excuses non sincères...
    Une voix: Oh, oh!
    Le président:... et je vous remercie tous de votre collaboration et de nous aider dans cette étude.
    Comme mon collègue à ma droite l'a remarqué, j'offre des excuses non sincères tout le temps.
    Sur ce, nous allons suspendre la séance pour laisser partir nos invités et passer à huis clos.
    Je vous remercie.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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