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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 019 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le vendredi 18 novembre 2022

[Enregistrement électronique]

(0845)

[Français]

     Je déclare la séance ouverte.
    Bonjour à tous.
    Bienvenue à la 19e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

[Traduction]

    Je remercie tous les témoins et tous les députés de leur présence.
    Cette réunion se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022.
    Les membres participent en personne et par Zoom à la réunion.
    Voici quelques consignes à l'intention des témoins et des députés. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Nous avons un très bon système au Comité, qui fonctionne bien, mais pour les témoins qui sont ici, voici comment nous fonctionnons.
    Les témoins présents dans la salle qui souhaitent entendre l'interprétation n'ont qu'à utiliser cette petite chose que j'ai devant moi. Ceux qui participent à la séance par Zoom n'ont qu'à cliquer sur l'icône du globe. Vous avez le choix entre l'anglais ou le français, selon votre préférence.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 26 avril 2022, le Sous-comité reprend son étude de la situation actuelle en Haïti. Chaque témoin aura cinq minutes pour sa déclaration préliminaire, après quoi il y aura une série de questions et des échanges avec les députés.

[Français]

    Aujourd'hui, nous recevons M. Frédéric Boisrond, sociologue, ainsi que Mme Andréanne Martel, consultante en évaluation de programmes humanitaires et chercheuse. Tous les deux comparaissent à titre personnel et Mme Martel participe par vidéoconférence.

[Traduction]

    Nous accueillons également, par vidéoconférence, Michèle Asselin, directrice générale de l'Association québécoise des organismes de coopération internationale.
    Sans plus tarder, nous allons commencer par M. Boisrond, qui est ici en personne, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci d’être avec nous.
     Merci beaucoup, monsieur le président.
    Bonjour, tout le monde.
    Comment parler des droits de la personne alors qu'Haïti est à l'an zéro de la démocratie?
    Depuis la chute du régime des Duvalier en 1986, Haïti n'a connu que de très courts épisodes démocratiques, trop courts pour que s'installe une culture démocratique. Aujourd'hui, nous assistons à l'échec de l'implantation de la démocratie. C'est la continuité d'une dictature qui ne porte pas son nom.
     Après la chute du régime Duvalier, les Haïtiens ont adopté une Constitution leur garantissant la liberté d'expression, la justice, la liberté d'association, le droit à l'éducation et le droit à la vie. Pourtant, on ne compte plus le nombre de journalistes, de militants, de juges, d'avocats, d'opposants politiques, de syndicalistes, d'étudiants, de leaders d'opinion et de simples citoyens qui, depuis 1987, ont été contraints à l'exil ou exécutés.
    Cependant, la plus grande déception des Haïtiens est sûrement de s'être fait voler leur droit de vote. Le diplomate chilien Juan Gabriel Valdes, membre de la Global Leadership Foundation, disait que la crise que vit Haïti est le résultat d'une décision prise par le Core Group en 2010. Cette décision, c'est la fabrication des résultats des élections présidentielles pour donner le pouvoir à Michel Martelly, candidat du parti haïtien PHTK.
    Ce vol du droit de vote a été confirmé par Pierre‑Louis Opont, président du Conseil électoral provisoire haïtien. Ricardo Seitenfus, qui était représentant de l'Organisation des États américains, OEA, en Haïti, entre 2009 et 2011, a dit avoir perdu son poste parce qu'il s'était opposé à la falsification des résultats. Selon l'envoyé spécial américain Daniel Foote, Haïti ne s'en sortira jamais si le Core Group continue à voter à la place des Haïtiens. Bref, en plaçant son laquais au pouvoir, le Core Group a mis Haïti sous sa curatelle.
    Pendant tout son mandat, Michel Martelly, que le Canada a aidé à voler le pouvoir, n'a réalisé aucune élection et a géré son pays par décret. Il a reçu toute l'aide nécessaire de ses commanditaires pour remettre le pouvoir à son poulain Jovenel Moïse, qui a poursuivi les mêmes politiques que Michel Martelly et utilisé les mêmes tactiques que les Duvalier.
    Comme les Duvalier, comme Michel Martelly et comme Jovenel Moïse, l'actuel premier ministre d'Haïti Ariel Henry, lui aussi du PHTK, dirige le pays sans contre-pouvoirs. Le PHTK s'est assuré de n'avoir aucun opposant et il a réussi à faire taire la rue par l'entremise de ses tactiques mafieuses.
    Comme l'ont fait les tontons macoutes des Duvalier, le PHTK a financé et armé des fiers-à-bras pour protéger sa mainmise sur le pays. Ce sont ces mêmes vauriens qui se sont retournés contre le régime, qui ont formé des gangs et qui créent une crise sécuritaire qui alimente les crises humanitaire, économique, sociale et sanitaire. Ils font tout pour transformer l'idéal d'une démocratie en voyoucratie.
     Pour parler de droits de la personne en Haïti, il faudrait que l'article 149 de la Constitution de la République d'Haïti soit respecté. Selon cet article, la personne remplaçant un président qui est dans l'incapacité de remplir ses fonctions dispose de 90 jours pour remettre le pouvoir à des élus. Après plus de 17 mois en poste, Ariel Henry n'est en fait qu'un usurpateur du pouvoir et un dictateur.
    Pour parler de droits de la personne en Haïti, il faudrait que le pays ait des organes de l'État qui permettent à chacun d'exercer sa citoyenneté. Or, le régime d'Ariel Henry ne peut garantir ni l'approvisionnement en eau potable et en nourriture, ni l'accès à des soins de santé, pas plus qu'il ne peut permettre aux enfants d'aller à l'école et à la population active de gagner sa vie sans se faire humilier.
    Si les droits des femmes et des fillettes restent un problème crucial, c'est surtout parce que Michel Martelly, qui est aussi un chanteur populaire, a endoctriné toute une génération avec son discours misogyne, violent et haineux, ainsi qu'avec son apologie du viol. C'est pour éviter qu'il répande son idéologie ordurière que le Canada, les États‑Unis et la France ont interdit ses spectacles sur leur territoire respectif.
    Haïti est à l'an zéro de sa transition vers la démocratie.
    Pour démarrer, il faudra un vaste programme d'éducation populaire, entre autres pour assurer la compréhension des droits, des devoirs et des responsabilités qui viennent avec la citoyenneté.
    Pour décoller, il faut un renouvellement de la classe politique, qui est aujourd'hui composée majoritairement de vieux hommes déphasés, déconnectés, fossilisés et limoneux, qui n'ont rien connu d'autre que la culture duvaliériste.
    Pierre‑Louis Opont, président du Conseil électoral provisoire haïtien, avait ajouté que la supercherie par laquelle le Core Group avait nommé Michel Martelly au poste de président d'Haïti a pu se réaliser parce que personne n'avait contesté les faux résultats.
    Si le Canada et le Core Group sont responsables de cette crise, la classe politique haïtienne, dans son rôle de collaboratrice à rabais, docile et affamée, a trahi ses compatriotes et doit assumer la pleine responsabilité de la mise en place de cette dictature néo-duvaliériste.
    En terminant, je tiens à rappeler que, en 2010, au moment de voler le droit de vote des Haïtiens, le Canada, membre du Core Group, fut le premier à enclencher le processus. Le Canada est le premier à avoir infligé cet affront à la démocratie représentative. Celui qui a initié cet accroc à une valeur canadienne fondamentale, c'est le ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. Lawrence Cannon.
(0850)
    De plus, je déplore que l'actuelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ait tout fait pour légitimer Ariel Henry et en faire son seul interlocuteur dans la recherche d'une solution à la crise haïtienne. Comment le Canada, un pays qui est fondé sur la primauté du droit, peut-il mettre Ariel Henry, un dictateur, au coeur de la solution à une crise qui prive les Haïtiens de leurs droits fondamentaux?
    Merci.
    Merci, monsieur Boisrond.
    Madame Martel, vous avez maintenant la parole.

[Traduction]

    Vous avez cinq minutes. Je vous ferai signe quand il restera une minute, puis 30 secondes, pour que vous puissiez conclure.
    Écoutons Mme Martel, s'il vous plaît.

[Français]

    Monsieur le président, membres du Sous-comité, je vous remercie du temps de parole que vous m'accordez aujourd'hui.
    Mon témoignage s'appuie sur plusieurs années de recherche sur la coordination de l'aide internationale en Haïti et sur divers mandats à titre d'évaluatrice de projets humanitaires et de reconstruction pour des organisations internationales œuvrant en Haïti.
    Alors que le pays fait face à une crise politique, économique et humanitaire particulièrement difficile, et que le Canada se questionne sur son rôle, je vais dans un premier temps faire quelques réflexions et vous parler des leçons tirées des interventions récentes en Haïti. À la lumière de ces réflexions, je vais dans un deuxième temps faire des recommandations quant aux possibilités d'une intervention militaire, politique ou humanitaire en Haïti.
    Je vais commencer par les conséquences des interventions récentes, particulièrement la réponse post-séisme sur ce qui se passe aujourd'hui et sur ce qu'on peut apprendre de celle-ci.
    Lors de la réunion précédente, d'autres témoins ont dit que les 20 dernières années d'intervention étrangère en Haïti n'avaient pas permis d'éviter ce qui se passe aujourd'hui. J'ajouterais que la façon dont les interventions internationales ont été menées dans le passé, particulièrement dans les années qui ont suivi le séisme, a parfois eu comme effet d'exacerber les problèmes, voire de fragiliser à la fois les institutions haïtiennes et certains secteurs de la société civile, plutôt que de les appuyer.
    Je vais brièvement faire deux constats.
    Premièrement, le renforcement des institutions augmente lorsque l'appui de la communauté internationale se base sur une vision à long terme, et que cet appui se concentre sur un soutien financier et logistique. De plus, l'expertise concernant le secteur, sa coordination et la régulation sur le territoire doivent rester entre les mains des Haïtiens et des Haïtiennes qui œuvrent au sein de ces institutions. Lorsque, au contraire, l'appui de la communauté internationale se fait en marge des autorités locales, et parfois en concurrence avec elles, comme ce fut le cas dans le secteur de la santé en Haïti entre 2010 et 2015, ces secteurs s'en trouvent affaiblis.
(0855)

[Traduction]

    Madame Martel, pour l'interprétation en anglais, je vous prierais d'aller un peu plus lentement. Merci.

[Français]

    Bien sûr.
    Un deuxième constat est que la société civile haïtienne a trop souvent été mise de côté, avec des conséquences très importantes sur la compréhension des dossiers et la justesse des interventions. L'un des exemples notoires est celui de la lutte contre les violences sexuelles à la suite du séisme. Les analyses et les orientations sur la façon de répondre aux violences sexuelles ont été prises à l'époque par la communauté internationale sans consulter les féministes haïtiennes et les organisations de femmes qui tiennent à bout de bras la lutte contre les violences fondées sur le sexe dans le pays. Cela a eu pour effet de mener à des constats erronés qui ne prenaient pas en compte des décennies de lutte.
    En conséquence, l'afflux massif d'aide internationale en Haïti au cours de la dernière décennie a eu des conséquences souvent négatives sur les structures locales, déjà sous-financées, et sur les initiatives de développement à long terme. Cela nous porte à réfléchir dans les termes suivants: plutôt que de se demander si on doit intervenir en Haïti, il faut se questionner sur la manière d'être des alliés pour la population haïtienne, qui vit des moments extrêmement difficiles.
    Cela m'amène à la deuxième partie de mon témoignage, soit le rôle du Canada.
    Devant la crise à laquelle Haïti fait face aujourd'hui, le Canada a au moins trois avenues possibles pour soutenir Haïti: l'avenue militaire, comme il en est question ces temps-ci, l'avenue politique et l'avenue humanitaire. Je vais clore ma présentation en proposant une réflexion sur chacune de ces avenues.
    L'option du recours à une intervention militaire, comme l'ont mentionné plusieurs témoins, est rejetée par une partie de la société civile haïtienne. Elle n'est pas la solution, selon les organismes québécois membres de l'Association québécoise des organismes de coopération internationale — l'AQOCI — qui travaillent en Haïti et leurs partenaires haïtiens.
    Force est d'admettre que les missions internationales de l'ONU des dernières années et les efforts de réforme du secteur de la sécurité dans lequel le Canada s'est particulièrement investi n'ont pas réussi à sortir le pays de l'insécurité et à éviter la crise actuelle. Au contraire, la présence militaire étrangère et l'impunité accordée aux militaires dans les cas d'abus sexuels ou dans l'intégration du choléra n'ont fait qu'attiser la méfiance et la colère. Cependant, cela n'implique pas que le Canada n'a pas un rôle à jouer, mais ce rôle passe davantage par la voie politique ou humanitaire.
    En ce qui concerne la voie politique, comme M. Boisrond vient de le mentionner, la grogne est de plus en plus grande à l'égard des gouvernements étrangers du Core Group, dont fait partie le Canada, qui appuient le gouvernement d'Ariel Henry, gouvernement que la société civile haïtienne conteste ouvertement. Un point de départ serait d'écouter la société civile haïtienne et de reconnaître l'accord de Montana pour la mise en place d'un gouvernement de transition.
    L'appui du Canada passe également par une lutte contre l'impunité, puisque les gangs agissent dans un environnement où règne l'impunité. Comme le suggère dans ses recommandations le regroupement Concertation pour Haïti, le Canada pourrait notamment appuyer une commission internationale pour enquêter sur l'assassinat de Jovenel Moïse et, plus largement, appuyer la justice haïtienne dans sa lutte contre l'impunité.
    Finalement, en ce qui concerne l'aide humanitaire et la solidarité internationale, une longue histoire de solidarité existe entre les organisations au Canada, particulièrement au Québec, et la société civile haïtienne. Ces organismes travaillent de pair dans le respect de l'expertise haïtienne et de la souveraineté des institutions, notamment dans les domaines de l'agriculture durable, du renforcement du système de justice, de l'éducation, des droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Ce soutien à la société civile est essentiel, particulièrement durant la crise actuelle qui exacerbe d'autres besoins primaires...
(0900)
     Madame Martel, je dois vous interrompre, mais vous aurez l'occasion d'en dire davantage lors de la période de questions. Merci.
    Madame Asselin, vous avez la parole pour cinq minutes.
    L'Association québécoise des organismes de coopération internationale, l'AQOCI, regroupe 70 organismes québécois, dont 34 sont actifs en Haïti depuis de très nombreuses années, voire des décennies. L'AQOCI est aussi un membre actif de Concertation pour Haïti, un regroupement d'organismes québécois de solidarité et de coopération et de groupes issus de la diaspora haïtienne au Québec.
    Mon témoignage est basé sur l'analyse de la situation partagée par les membres de l'AQOCI et de Concertation pour Haïti et, surtout, par nos partenaires haïtiens.
    Haïti fait face actuellement à l'exacerbation d'une crise multidimensionnelle. L'insécurité due aux gangs armés est croissante. Les gangs agissent avec une extrême violence dans leurs affrontements avec les membres de groupes rivaux. Ils ont recours à des kidnappings et à des assassinats cruels. Selon l'ONU, les gangs utilisent notamment les violences sexuelles comme arme pour terroriser la population et ainsi conquérir des territoires et y asseoir leur contrôle.
    Près de 100 000 personnes ont été déplacées après avoir fui les violences qui frappent le pays depuis juin 2021. À la fin du mois d'octobre dernier, des enlèvements, des assassinats et des tentatives d'assassinat de personnalités politiques et de la presse ont marqué l'actualité. Les territoires contrôlés par les gangs prennent de plus en plus d'expansion. Il n'existe presque plus de quartiers ou de régions de la capitale et des environs qui ne sont pas touchés directement ou indirectement par les actions des groupes armés.
    L'explosion du prix du carburant est aussi une dimension très importante de cette crise actuelle. Le pétrole est la seule source d'énergie disponible en Haïti. Une grave pénurie d'essence a perturbé l'approvisionnement en eau, en plus de bloquer l'ensemble de l'économie. La Police nationale d'Haïti a annoncé le vendredi 4 novembre avoir repris le contrôle du plus important terminal pétrolier, qui était sous la coupe des gangs armés depuis la mi-septembre. Cependant, l'approvisionnement demeure toujours problématique, ce qui continue d'aggraver la crise.
    L'insécurité alimentaire est grandissante et alarmante. Selon l'ONU, 4,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, connaissent des niveaux élevés d'insécurité alimentaire, alors que 19 200 personnes sont touchées par le niveau d'insécurité alimentaire le plus élevé, une première dans l'histoire récente du pays.
    Toutefois, l'aide humanitaire ne suffit pas pour Haïti. Les organismes de coopération et de solidarité le savent bien. Il faut soutenir les Haïtiennes et les Haïtiens dans la production des aliments qui pourront leur permettre de subsister et de planifier leur avenir. Pour l'instant, cette production est mise en péril par les difficultés de déplacement et d'accès à des intrants.
    Qui plus est, l'inaccessibilité du carburant a provoqué une pénurie aiguë d'eau potable, qui a entraîné une éclosion de choléra après plus de trois ans sans cas rapporté. Les Nations unies ont lancé mardi un appel visant à récolter 145 millions de dollars pour soutenir le pays, car 1,4 million de personnes vivent dans des zones très touchées.
    Le vendredi 14 octobre, l'AQOCI a tenu une rencontre d'urgence avec les organismes membres de notre association actifs en Haïti. Plusieurs partenaires haïtiens étaient présents. Ils ont livré de vibrants témoignages sur les conditions de vie de la population haïtienne.
     Ce que je veux vous dire, c'est que toutes et tous s'opposent fermement à une intervention étrangère armée sur leur territoire. Pour eux, il faut une solution haïtienne à une crise haïtienne. C'est pourquoi le Canada doit raffermir sa position de ne pas envoyer de force internationale en Haïti, et convaincre l'ONU et les autres pays qui sont toujours tentés de choisir cette solution...
(0905)
     Je dois vous interrompre, madame Asselin, car nous devons passer aux questions.
    Monsieur Genuis, vous avez la parole pour sept minutes.

[Traduction]

    Allez‑y, monsieur Genuis.
    Oh! Ce sera plutôt M. Aboultaif.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos témoins. Bonjour à tous.
    Nous sommes confrontés à une crise multidimensionnelle qui n'a de cesse nulle part. Il y a la situation politique. Il y a les enjeux humanitaires, sécuritaires, économiques et alimentaires très graves, et j'en passe. Il sera très difficile pour Haïti de se sortir de la situation dans laquelle elle se trouve.
    Monsieur Boisrond a surtout parlé du changement politique plus que nécessaire là‑bas. Notre dernier témoin, Mme Asselin, a dit que l'aide humanitaire est insuffisante pour ce pays.
    Je me demande quels sont les fruits à portée de main ici? Par où pouvons-nous au moins commencer pour avoir un plan ou une feuille de route? Comment pouvons-nous assurer l'efficacité des ONG qui déploient des solutions sur le terrain hors de l'arène politique et sans ingérence extérieure? Comment pouvons-nous établir des conditions propices à une plus grande efficacité des ONG en Haïti?
    J'aimerais entendre d'abord Mme Asselin, puis M. Boisrond.

[Français]

    Merci de votre question.
    D'abord, nous pourrions poursuivre notre appui de la société civile, qui s'est organisée d'une manière extraordinaire. Mme Martel a parlé de l'accord de Montana. Je veux vous rappeler que cet accord, signé le 30 août 2021, comporte les signatures de 418 organisations de la société civile, de 105 organisations populaires, de 85 partis et regroupements et de 313 personnalités.
    Le Canada doit appuyer cet accord, lequel propose un gouvernement de transition qui se donne deux ans pour préparer des élections démocratiques. Il existe déjà une instance de transition paritaire, qui regroupe des organismes de la société civile et des partis politiques et qui représente un modèle de consensus et de travail. Un effort a donc été fourni par Haïti. On sait que, dans ce pays, les points de vue sont très diversifiés.
    J'espère donc que le Canada va appuyer l'accord de Montana. C'est le cri du cœur que nous entendons de nos partenaires, parce que cette crise démocratique doit se régler. Le Canada pourrait donc entendre des signataires de cet accord pour les appuyer plus directement.
    Nous pourrions dès maintenant appuyer la police haïtienne, qui a besoin de ressources pour pouvoir jouer son rôle. Nous pouvons certainement continuer d'appuyer l'aide humanitaire, et même l'augmenter, et continuer d'appuyer la coopération internationale. En fait, quand le Canada appuie la coopération internationale, il appuie directement des ONG haïtiennes.
    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Allez‑y, monsieur Boisrond.
    Je pense que le mot clé dans votre intervention est « feuille de route ». Le gouvernement d'Haïti a demandé au Canada — enfin, l'ONU a demandé au Canada — de prendre le leadership d'une intervention militaire en Haïti. En fait, je crois que le Canada a déjà pris ce leadership. Le problème, c'est que le Canada n'a fait, jusqu'à maintenant, aucune proposition, qu'il n'a proposé aucune feuille de route, de sorte que les gens ne savent pas de quoi il s'agit.
    Quant à l'intervention militaire, je suis bien sûr d'accord avec les autres intervenants à ce sujet. L'intervention militaire n'a jamais produit de résultats bien positifs, non seulement en Haïti, mais aussi en Libye, en Afghanistan et en Irak. C'est évident pour tout le monde.
    La situation actuelle en Haïti est inacceptable, il faut en convenir, mais, en même temps, se débarrasser des gangs n'est pas une solution en soi. Il faut plutôt éliminer les conditions qui poussent les gens à se joindre à des gangs. La feuille de route ou toute autre proposition du Canada doit contribuer à prévenir ce genre de situation, faute de quoi le Canada se déploiera sur le terrain avec ses alliés pendant six mois, et six mois plus tard, les gangs seront de retour.
    Je pense que c'est de la feuille de route dont nous devrions discuter, et non de qui peut s'en occuper. En même temps, j'aimerais répéter ce que j'ai déjà dit: il n'y a pas de gouvernement en Haïti en ce moment. Il n'y a pas de gouvernement, il n'y a pas d'état de droit. Il faut trouver une solution globale à la situation et non une solution qui se limiterait à une seule chose, soit à une intervention militaire.
(0910)
    Merci.
    Madame Martel, j'ai entendu la réponse de Mme Asselin concernant l'accord de Montana; elle a mentionné le rôle du Canada dans la mise en œuvre de l'accord de Montana.
    Comment évaluez-vous le rôle du Canada à l'heure actuelle en ce qui concerne l'accord de Montana et la situation générale là‑bas? J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Je vous remercie.
    Vous avez 30 secondes.

[Français]

     D'accord. Je vais être très brève.
    Les deux autres témoins ont mentionné que, malheureusement, le Canada n'avait pas fait le choix d'appuyer l'accord de Montana, mais d'appuyer un gouvernement qui est plutôt contesté et qui est considéré comme illégitime.
     Nous souhaiterions voir le Canada se rallier plutôt à l'établissement d'un gouvernement de transition, ce qui est suggéré par l'accord de Montana et par les organisations qui se sont mobilisées dans la société haïtienne pour proposer une solution autre que la situation qui prévaut depuis les 12 dernières années.
    Merci, madame Martel.

[Traduction]

     Nous allons poursuivre avec notre deuxième intervenant, M. Dubourg, mais juste avant, j'aimerais saluer le groupe d'élèves du secondaire présents dans la salle dans le cadre d'Expériences Canada.
    Je suis vraiment heureux que vous soyez ici pour assister à cette séance de comité, et j'espère que cela vous inspirera pour orienter votre avenir.

[Français]

    Monsieur Dubourg, vous avez la parole pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais dire bonjour aux témoins. Merci d'être présents ce matin avec nous afin d'étudier ce dossier très important.
    Monsieur Boisrond, nous l'avons lu dans les médias et vous l'avez dit: la demande de M. Ariel Henry n'en est pas une. C'est plutôt une commande de l'étranger. Vous venez aussi de dire que le Canada a déjà pris la décision d'intervenir en Haïti.
    D'après vous, pourquoi le Canada n'a-t-il toujours pas envoyé ses soldats en Haïti, plus d'un mois après cette demande? Ne serait-ce pas afin de permettre aux Haïtiens de trouver la solution haïtienne pour Haïti?
     La première partie de votre question consistait à savoir s'il s'agissait d'une demande ou d'une commande. Je voudrais vous rappeler qu'avant que le gouvernement d'Ariel Henry ne remplisse la commande, le secrétaire général de l'Organisation des États américains, Luis Almagro, a été la deuxième personne à dire qu'Haïti avait besoin d'une aide militaire étrangère et qu'il tenait à ce que cela se fasse. C'est Pamela White, ancienne ambassadrice américaine à Haïti, qui a été la première à dire que c'est ce que cela prenait.
    C'est le 3 novembre que M. Almagro a fait sa demande, et Ariel Henry s'est exécuté le 4 novembre. Le dimanche suivant, le 6 novembre, sur France 24, le secrétaire général des Nations unies a dit que c'était effectivement ce que cela prenait. Il a donc confirmé qu'il avait bel et bien reçu cette commande passée par les deux autres.
    Maintenant, je n'ai pas dit que le Canada avait accepté. J'ai dit que le Canada avait pris l'initiative sur la question haïtienne, ce qui lui avait été demandé. Je n'ai qu'à regarder l'ensemble des consultations que vous faites, y compris celle-ci. J'ai participé à une consultation avec vous, monsieur Dubourg. Pour sa part, M. Trudeau a eu une rencontre à l'ONU sur Haïti, et Mme Joly a eu différentes rencontres. Tout cela me laisse croire que le Canada a, de toute évidence, pris cela au sérieux.
    Je ne crois pas que le secrétaire général américain, M. Blinken, serait venu à Ottawa pour demander à Mme Joly de prendre cette initiative si cela n'avait pas été discuté avant. Par conséquent, oui, je suis convaincu que le Canada a déjà assumé cette direction. Pour moi, c'est une bonne nouvelle, parce que cela donne, entre autres à nous, de la communauté haïtienne de Montréal, l'occasion d'avoir une certaine influence sur les choses.
(0915)
    Merci, monsieur Boisrond.
    Vous avez parlé tous les trois de l'accord de Montana. Vous avez parlé aussi du Core Group, dont le Canada fait partie.
    Madame Martel, on déplore le fait que le Core Group a choisi un président ou un premier ministre en Haïti. Vous nous parlez maintenant de l'accord de Montana, que le Canada devrait appuyer. Or, même si je reconnais qu'ils ont fait des efforts, les signataires de cet accord sont en train de s'entredéchirer. De plus, le Canada a imposé des sanctions à deux des membres du Core Group.
     Comment s'en sortir? Comment voyez-vous la situation? Pourquoi nous dites-vous que le Canada doit appuyer cet accord?
     Je voudrais aussi rappeler que cet accord prévoit une transition. J'ai toujours dit que cet accord ne permettrait pas une sortie de crise, parce qu'il ne vise que l'instauration d'un gouvernement de transition pour remplacer le premier ministre et trouver un président, c'est tout.
    Qu'est-ce qui vous fait croire que la situation actuelle ne va pas continuer, quelle que soit la formation politique qui assurerait le gouvernement de transition?
    Je vous remercie de votre question.
    S'il y a bien une chose que j'ai apprise au cours de la dernière décennie où je me suis particulièrement intéressée à Haïti, c'est que, pour être pérennes, les solutions doivent toujours être endogènes. Elles doivent toujours venir de la communauté. Elles doivent venir de la société civile. Que ce soit sur le plan humanitaire ou politique, il faut absolument que cela émerge des organisations, des formations politiques, des mouvements sur place. Comme on l'a vu, il est malheureusement resté très peu de toute l'aide qui a été apportée à Haïti au cours des 10 dernières années, parce que cela ne s'est pas fait avec les consultations qu'il fallait.
    Pour revenir à l'accord de Montana et à une sortie politique de la crise, on ne peut pas dire aujourd'hui que cet accord va régler tous les problèmes. En effet, cette crise est multifactorielle, comme on l'a mentionné précédemment. Toutefois, cet accord représente la voix d'un grand nombre d'organisations de la société civile. En ce sens, je pense qu'il a une plus grande légitimité sur le plan des solutions politiques que l'appui à un gouvernement qui, à l'évidence, ne fait vraiment pas consensus en Haïti.
    Merci.
    Dans les interventions, je n'ai pas entendu parler d'une élite économique corrompue en Haïti.
    Monsieur Boisrond, je sais que vous avez écrit plusieurs livres qui traitent notamment de démocratie. Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait un renouvellement de la classe politique. Or, comment peut-on installer la démocratie en Haïti de façon définitive et sans équivoque?
     Le Canada a investi dans des programmes d'aide, entre autres au développement de la démocratie. Le Canada a l'habitude de faire cela.
    Il faut changer les règles, parce que les gens qui sont au pouvoir en Haïti et qui dirigent le pays sont des gens de mon âge, qui ont 60 ans, 65 ans ou 70 ans. Ces gens n'ont rien connu d'autre que la dictature. Il est donc temps d'aider à développer une nouvelle classe politique et à rapprocher des gens plus jeunes des rênes du pouvoir.
(0920)
    Merci.
    Merci, monsieur le président.
    Nous allons continuer avec M. Brunelle-Duceppe pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins qui participent à cette étude extrêmement importante. Je suis fier que ce soit le Bloc québécois qui l'ait proposée.
    Monsieur Boisrond, j'étais en entrevue hier avec M. Jean-Ernest Pierre, à la station de radio CPAM. Une des choses qui reviennent souvent, c'est que le Canada n'a jamais présenté d'excuses pour ce qui est arrivé dans le passé. Or, il me semble important de le faire pour la communauté haïtienne.
     Ces excuses ne sont jamais venues, e, pourtant, nous savons que le Canada est capable de présenter des excuses dans beaucoup de dossiers. Déjà, le fait d'avouer ses fautes pour repartir sur de nouvelles bases serait important, selon moi. À votre avis, est-ce important ou juste symbolique?
    Pour moi, ce n'est pas important. La situation du pays est trop grave pour que l'on s'arrête aux symboles. Il y a des vies en jeu. Des femmes, des fillettes, des gens sont violés, des enfants deviennent des enfants-soldats. Nous ne sommes pas là.
    Nous ne sommes pas là du tout.
    Nous verrons après.
    Parfait.
    Je préfère que nous fassions des remerciements.
    C'est bien. C'est exactement pour cela que nous sommes ici: nous attaquer à ce qui est le plus important.
    Vous avez eu des mots durs envers M. Cannon et Mme Joly. Or, nous n'avons pas le choix de travailler avec Mme Joly, car elle fait partie de la solution. Comme je vous ai entendu le dire, vous êtes content que le Canada prenne l'initiative.
     À quoi doit-il s'attaquer en premier, de toute urgence?
     Nous avons entendu plusieurs témoins depuis quelques rencontres, et certains nous disent qu'il faut absolument régler l'aspect sécuritaire en premier. S'agit-il d'une intervention des forces de l'ordre, de militaires étrangers? Ce n'est pas tout le monde qui est d'accord là-dessus.
     Tantôt, vous nous avez dit qu'il fallait s'attaquer aux conditions qui font de la situation ce qu'elle est. Est-ce à dire qu'il y aurait une solution plus humanitaire à la base?
    Si nous voulions éliminer les chefs de gang en Haïti, nous n'aurions besoin d'envoyer personne sur place puisque j'ai vu aux nouvelles qu'on était capable d'éliminer des gens d'Al-Qaïda du confort de son balcon.
    Quand je regarde la situation en Ukraine, je constate que ce n'est pas vraiment l'armée ukrainienne qui est en train de gagner la guerre. Pourtant, le pays reçoit de l'aide, notamment en matière de renseignement. Je laisserais aux militaires le soin de commenter la chose, mais, d'après ce que je vois dans l'actualité et ce que j'ai appris de l'histoire, il est possible d'aider la police haïtienne sans nécessairement envoyer des bottes fouler le sol haïtien. C'est assez évident.
    Pour tout ce qui concerne l'aide générale, il faut qu'elle soit structurante, afin d'aider le pays à redémarrer et faire que ce genre de situation ne se reproduise pas.
    Tantôt, M. Dubourg parlait de mes livres. J'ai toujours soutenu que l'avenir d'Haïti passe par le renforcement de ses capacités commerciales. Si on n'aide pas ce pays à développer sa présence dans l'économie de marché ou capitaliste, il est condamné à la pauvreté.
     Pour cela, un ensemble de projets était en place, dont le fonds PetroCaribe. Je crois que c'est Mme Asselin qui a parlé tantôt de ce projet, qui devait servir au développement de l'industrie agroalimentaire en Haïti. Si on avait développé cette industrie agroalimentaire, si le parti politique PHTK n'avait pas dilapidé cet argent, Haïti ne connaîtrait pas un tel niveau de pauvreté aujourd'hui. Quand les gens entrent dans des gangs et que des enfants le font aussi, c'est parce qu'ils sont trop pauvres et qu'ils n'ont plus de perspectives.
    Il faut donc une aide structurante qui renforce les capacités commerciales du pays.
    Merci beaucoup. Je vais vous poser d'autres questions, car c'est trop intéressant.
    À titre d'information, quelle est la relation entre la diaspora haïtienne de Montréal et les gens qui vivent en Haïti présentement?
     Gardez à l'esprit que 40 % de l'économie d'Haïti dépend des transferts de la diaspora. La diaspora haïtienne est donc extrêmement importante, notamment celle du Canada, puisqu'elle appuie directement l'économie d'Haïti. Évidemment, les gens sont sensibles à ce qui se passe dans le pays. Tout le monde connaît quelqu'un qui subit l'insécurité, que ce soit un parent, un ami ou l'ami d'un ami. Tout le monde est au courant et tout le monde est inquiet.
     Je réitère l'inquiétude que vit la communauté haïtienne à Montréal. Nous sentons que le Canada prend l'initiative et que notre communauté peut avoir une influence. Nous avons eu énormément d'occasions de vous rencontrer. Je suis ici aujourd'hui, et j'ai mentionné ma rencontre avec le député de Bourassa. Alors, nous aimerions que la communauté fasse aussi partie de la solution.
(0925)
    Est-ce que M. Henry a encore des appuis au sein de la diaspora à Montréal?
    Je n'ai pas vu d'appui pour Ariel Henry au sein de la diaspora, et je crois que tout le monde a compris que son gouvernement est illégitime. Moi, je dis que ce n'est pas un gouvernement.
     Je tiens quand même à rappeler que, quelle que soit la solution qui sera mise en place, que ce soit l'accord de Montana ou autre chose, elle sera en dehors de la Constitution haïtienne, en raison de l'assassinat de Jovenel Moïse.
    Merci beaucoup.
    Madame Martel, selon vous, compte tenu de l'urgence de la situation, quel est le rôle des organismes de coopération internationale dans la crise que l'on vit actuellement?
     Encore une fois, j'utilise le mot « urgence », car c'est vraiment le mot qu'on doit utiliser pour Haïti.
    D'abord, il faut apprendre des erreurs du passé et s'assurer que l'aide apportée s'inscrit dans une vision à long terme, qu'elle est adaptée aux besoins des populations et qu'elle s'arrime, si possible, à des initiatives existantes en Haïti. De nombreuses organisations, notamment du Québec, sont en Haïti depuis des années, alors les partenariats sont déjà établis avec les organisations haïtiennes. C'est donc en travaillant à renforcer les projets et les programmes qui sont déjà en place qu'on pourra apporter une aide efficace qui répondra réellement aux besoins des populations.
    Merci.

[Traduction]

    C'est essentiellement le temps que vous aviez.

[Français]

    Merci, monsieur Brunelle‑Duceppe.

[Traduction]

    Nous enchaînerons avec Mme McPherson pour sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    C'est un grand plaisir pour moi d'accueillir nos témoins parmi nous aujourd'hui. Je vous remercie de votre témoignage.
    J'ai eu le privilège et le plaisir de travailler avec Mme Martel comme avec Mme Asselin pendant ma carrière antérieure, avant d'être élue.
    Madame Martel, je vais commencer par vous, si vous le voulez bien.
    Je suis très intéressée par la façon dont vous parlez de la réponse humanitaire et de ce à quoi elle devrait ressembler. Chacun d'entre nous est horrifié par ce que nous voyons en Haïti en ce moment et nous essayons de trouver des moyens de fournir de l'aide de la façon la plus efficace possible.
    J'entends des choses telles que la moitié de la population souffre d'insécurité alimentaire. Nous avons entendu tout ce que vous avez dit sur la nécessité de trouver des solutions ancrées dans la réalité locale et d'offrir un financement prévisible à long terme.
    Nous trouvons-nous dans cette situation parce que les interventions de la communauté internationale pour aider Haïti dans le passé n'étaient pas dirigées par des Haïtiens, à long terme, prévisibles et déployées en collaboration avec la société civile? Est‑ce la raison pour laquelle nous sommes ici?
    Y a‑t‑il un risque que cela se reproduise et que nous n'offrions qu'un système de développement de fortune?

[Français]

    Je ne voudrais pas dire que la situation actuelle est essentiellement due à la façon dont l'aide a été apportée dans le passé. Évidemment, c'est beaucoup plus complexe que cela. Toutefois, la façon dont l'aide est coordonnée et apportée de façon urgente a malheureusement des conséquences négatives à plus long terme pour les projets de développement qui sont déjà en place au pays.
     On l'a vu dans le passé, à la suite du séisme. L'aide est arrivée de façon massive sans aucune coordination de la part des instances haïtiennes, ce qui a fait que les priorités n'étaient pas mises en place par les acteurs haïtiens.
     On l'a aussi vu dans le cas des groupes sectoriels des Nations unies et lorsque différentes instances de coordination sont intervenues. Cela a eu pour effet d'affaiblir l'aide, malheureusement, parce qu'elles sont allées chercher l'expertise haïtienne beaucoup trop tard.
    Je remets donc en question l'idée selon laquelle, lorsqu'il y a urgence, on doit faire appel aux intervenants humanitaires internationaux parce que ce sont eux qui ont l'expertise. Même si on est dans une situation d'urgence et d'insécurité alimentaire, les solutions doivent être locales. Il y a des organisations de la société civile qui se spécialisent dans ces domaines et dans l'aide d'urgence, et ce sont elles que les organisations non gouvernementales canadiennes doivent écouter en premier et avec lesquelles elles doivent établir des partenariats.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Alors peut-être que nous pourrions dire, ou inclure dans les recommandations du Comité qu'à l'avenir [difficultés techniques] il faut augmenter notre aide au développement. Cette aide doit être à long terme et prévisible. Elle doit être offerte en collaboration avec la société civile et les communautés haïtiennes. C'est ainsi que le Canada devrait structurer son aide.
    Vous avez parlé un peu de l'intervention de l'ONU dans ce contexte. Pensez-vous que la mission de l'ONU, à ce stade, si on lui donne un mandat et des garde-fous très stricts, serait une réponse appropriée à l'heure actuelle, dans la mesure où elle utilise l'expertise et les réseaux locaux?
(0930)

[Français]

     On parle d'une intervention humanitaire. Cela veut dire que des agences des Nations unies joueraient un rôle plus actif, comme cela a été le cas dans la dernière décennie. Les Nations unies ont joué un rôle de coordination de l'aide humanitaire dans différents secteurs, dont l'alimentation, l'assainissement de l'eau potable et la santé. Si les Nations unies décident de jouer ce rôle, il leur faudra travailler en collaboration avec le ministère de la Santé publique et de la Population d'Haïti et la Direction nationale de l'eau potable et de l'assainissement, ce qui n'a pas été le cas dans le passé. Il faudra s'assurer que la coordination de l'aide renforce et soutient le leadership des institutions haïtiennes.

[Traduction]

    Merci, madame Martel.
    Madame Asselin, vous avez parlé assez longuement de l'accord de Montana. Je sais que vous disposez d'une grande quantité d'informations puisque vous représentez de nombreuses organisations présentes en Haïti. Nous savons que tous les Haïtiens ne soutiennent pas l'accord de Montana. Il y a un risque que ce soit source de division ou que certaines personnes le soutiennent publiquement, mais peut-être pas en privé.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'accord de Montana et sur le rôle du Canada pour qu'il se concrétise, s'il vous plaît?

[Français]

    Nos partenaires haïtiens nous disent que si le Canada continue à travailler avec un gouvernement illégitime, il y a un grand risque qu'il prolonge la crise démocratique actuelle. Comme cela a été dit ce matin, il y a un fort consensus: on ne croit pas à la légitimité du gouvernement actuel. Pour régler la crise humanitaire immédiate, les représentants des Nations unies sont déjà sur place et prennent des mesures pour lutter contre le choléra, et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, essaie de régler la crise alimentaire majeure.
    Il y a une crise démocratique. C'est une pièce maîtresse pour gérer la crise. Nous pensons qu'il faut miser sur l'accord de Montana. Est-ce que ce sera parfait? Est-ce qu'il y aura des débats? Certainement, mais que fait-on sinon? Est-ce qu'on continue d'appuyer un gouvernement illégitime qui n'est toujours pas prêt à déclencher des élections? D'ailleurs, dans quel contexte le ferait-il?
    Il y a quand même un fort consensus, qui a été renouvelé en janvier, sur la création d'une structure de gouvernance paritaire très intéressante. Cette structure comprendrait des représentants de la société civile, notamment les groupes de femmes et les églises, ainsi que tous les partis de l'échiquier politique. Le groupe de Montana sait qu'il faut bâtir un consensus, et que l'objectif n'est pas de maintenir le gouvernement en place, mais plutôt d'avoir des élections d'ici deux ans. Il y a un engagement écrit signé et public en ce sens. Nous croyons que, plutôt que d'appuyer un gouvernement totalement illégitime, le gouvernement du Canada doit appuyer cet accord, rencontrer les signataires et voir avec eux comment il faudrait procéder.
    Il faut mesurer ce risque.
    Merci, mesdames McPherson et Asselin.

[Traduction]

     Nous allons maintenant poursuivre pendant cinq minutes avec Mme Vandenbeld.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins pour leurs témoignages.
    J'aimerais adresser ma première question à Mme Martel.
    J'aimerais revenir sur ce que vous disiez à propos du fait que quoi que nous fassions, il faut écouter les féministes haïtiennes et la société civile haïtienne. Vous avez mentionné la violence sexuelle subie lorsque des forces internationales interviennent. Vous semblez dire que les femmes d'Haïti ne souhaitent pas l'intervention d'une force internationale. C'est plutôt une question d'ordre humanitaire.
     Vous savez que le Canada est le deuxième plus grand donateur humanitaire à Haïti après les États-Unis. Nous venons également de verser 10 millions de dollars au Fonds commun du PNUD, qui vise justement à renforcer les capacités de la police et des forces de sécurité. Est‑ce le bon angle à privilégier? Devons-nous continuer à agir sur le plan humanitaire et à renforcer la capacité des autorités haïtiennes à rétablir la loi et l'ordre? Est‑ce cela que les femmes haïtiennes demandent, plutôt que l'intervention d'une force internationale?
(0935)

[Français]

     Je vous remercie de votre question.
    Avant d'y répondre, je tiens à préciser que je ne parle pas au nom des féministes haïtiennes. Elles mènent leur propre combat et elles le présentent sur la place publique.
    Je peux cependant répondre que ce sont les groupes de la société civile, incluant les groupes de femmes, qui contestent le gouvernement. Ce sont elles qui ont le plus milité et qui se sont beaucoup mobilisées à l'époque contre la MINUSTAH, lorsqu'il y avait eu des cas d'agressions sexuelles. Ce sont vraiment les groupes de femmes en Haïti qui ont dénoncé la situation et qui ont décrié l'impunité accordée aux soldats et aux militaires qui étaient renvoyés chez eux sans devoir se soumettre à la justice haïtienne.
    Dans ce contexte, il est sûr qu'une intervention militaire internationale comme celles qu'on a vues dans le passé n'est vraiment pas la solution aux violences sexuelles qui ont cours présentement. Il y a des organisations en Haïti qui existent depuis des décennies. D'ailleurs, le mouvement des femmes est l'un des premiers à s'être vraiment soulevé et mobilisé à la suite de la dictature. Le mouvement des femmes en Haïti est extrêmement solide. Il y a des organisations qui travaillent pour la santé des femmes et contre la violence conjugale.
    Malheureusement, les dernières fois que la communauté internationale est intervenue, elle n'a pas pris en compte cette expertise. Aujourd'hui, nous espérons que ce sera fait différemment. Comme l'a mentionné Mme Asselin, il y a beaucoup de cas de violence sexuelle. Il faut absolument travailler avec ces organisations, parce qu'elles savent comment répondre, elles savent quoi faire pour soutenir les survivantes.
    J'espère que cela répond à votre question, madame Vandenbeld.

[Traduction]

    Oui, merci.
    C'est l'essence même de notre politique d'aide internationale féministe, qui consiste à nous assurer que nous tenons compte de l'expertise des femmes locales.
    Ma deuxième question s'adresse à Mme Asselin.
    Vous parliez des gangs et de leur violence. Nous avons entendu au sein de ce comité le témoignage d'une personne qui plaide pour les droits des enfants en Haïti. Nous avons entendu que les gangs comptent aussi des victimes. Il s'agit d'enfants qui ont été séparés de force de leur famille puis recrutés au sein de ces gangs. Ils sont donc aussi des victimes.
    J'aimerais vous demander ce que nous devons faire à ce sujet.
    Les réponses ne sont évidemment pas simples puisque les personnes qui commettent les violences sont elles-mêmes des victimes.

[Français]

    Il s'agit effectivement d'une question très complexe.
    Nos partenaires haïtiens disent connaître les chefs des gangs. Si les gangs sont armés, c'est parce que des armes entrent en Haïti. Si on est en mesure de contrôler les frontières, on devrait être capable de mettre fin au trafic d'armes en provenance de Miami, entre autres. Cela choque beaucoup les organismes et ils veulent qu'on agisse à cet égard. S'il n'y a plus d'armes qui entrent au pays, cela va permettre de réduire l'explosion de la violence des gangs.
    Selon nous, il ne faut pas une intervention militaire, mais plutôt un renforcement de la police haïtienne. D'ailleurs, le Canada avait commencé à le faire en formant les policiers en Haïti. Maintenant, nous devrions redoubler d'efforts, afin que les policiers en Haïti puissent jouer leur rôle et arrêter les responsables. L'impunité qui leur est accordée ne fait que renforcer leur pouvoir. Si l'on veut s'occuper des victimes, il faut lutter contre la pauvreté. On le fait au moyen de l'éducation, mais il est très difficile de reprendre l'école présentement parce que les routes sont entravées et qu'il y a trop de dangers.
    Il faut donc appuyer la transition politique et appuyer la police, afin qu'elle joue son rôle sans être menacée, mais ce n'est pas simple.
(0940)
    Merci, madame Asselin. Peut-être que le prochain intervenant va vous poser des questions à ce sujet.

[Traduction]

    M. Genuis a maintenant la parole pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je suis ravi de comparaître à nouveau devant ce comité.
    Je voudrais commencer par demander à l'un des témoins ou aux deux ce qu'ils pensent de ces gangs armés. Que savons-nous de leurs éventuelles motivations, politiques ou autres?
    Cherchent‑ils à atteindre des objectifs précis? Leur organisation est‑elle sophistiquée ou chaotique?
    Comment ces gangs sont‑ils organisés et quels sont leurs objectifs?
    Si vous le permettez, j'aimerais répondre à cette question en disant que ce que nous voyons actuellement en Haïti est une guerre civile. L'un des gangs, qui s'appelle « Mouvement révolutionnaire G9 », a pour objectif de renverser le gouvernement.
    Ces derniers mois, ils ont, en premier lieu, demandé des sièges au sein du gouvernement d'Ariel Henry; mais depuis le début, leur idée est de renverser le gouvernement. Bien sûr, il y a des rançons et des enlèvements contre de l'argent et d'autres choses, mais l'objectif principal de ce groupe, qui a été sanctionné par l'ONU et le Canada — Jimmy Chérizier — est de renverser le gouvernement.
    Je voudrais m'assurer que nous comprenons tous ce fait, car ce que nous voyons en Haïti est un crime de guerre. C'est un crime contre l'humanité, mais c'est aussi un crime de guerre. Si nous ne tenons pas compte de ce facteur dans l'équation, nous allons passer à côté de beaucoup de choses qui se passent dans ce pays en ce moment.
    Je vais...
    Pardon, mais puis‑je approfondir ce point? Vous avez mentionné un gang. Il me semble qu'il serait peut-être plus utile de le comprendre comme une force rebelle. Est‑il représentatif des différents gangs? Ce gang essaie‑t‑il de renverser le gouvernement alors que d'autres utilisent simplement des moyens criminels pour s'enrichir, sans objectifs politiques précis, ou ont‑ils tous des objectifs politiques?
    Celui dont on parle le plus est « G9 en famille », le « Mouvement révolutionnaire ».
    L'un des sénateurs sanctionnés par le Canada, Joseph Lambert, avait déclaré à un moment donné que si nous voulions démanteler les gangs, nous devions aussi garder à l'esprit que certains d'entre eux sont des gangs révolutionnaires.
    J'ai dit dans mon discours que la classe politique haïtienne a fait de ce pays une voyoucratie. Voilà ce que je veux dire. Cette idée, cette idéologie des actions criminelles en Haïti, va du sommet à la base. Gardez à l'esprit que ce que nous voyons en Haïti en ce moment est un crime de guerre et une guerre contre l'humanité.
    D'accord, nous devons comprendre cela pour notre cadre. J'ai l'impression qu'il y a un gang révolutionnaire important et des gangs purement criminels. Est‑ce exact?
    Oui, c'est exact.
    Je suppose que les personnes rejoignent ces différents gangs pour des raisons très différentes, en fonction des objectifs qui les motivent?
    Oui. Mais je tiens à souligner que leur définition de ce qui est « révolutionnaire » ne correspond pas à l'idée que je me fais d'une révolution. Je veux juste m'assurer que... Ils restent des criminels, pas des personnes qui veulent le bien de leur pays.
    Je suis un conservateur, donc l'idée d'une « révolution » a pour moi une connotation très négative, en général, mais je vous remercie d'avoir fait cette distinction pour clarifier ce point.
    J'ai peut-être le temps de poser cette question, une considération à plus long terme. Avant ce conflit, j'ai parlé avec beaucoup de personnes qui s'inquiétaient des difficultés à attirer des investissements étrangers en Haïti, et qui affirmaient qu'il y avait beaucoup de personnes prêtes à fournir une aide au développement, mais pas à investir réellement et à essayer de créer des entreprises et des emplois en Haïti. S'agit‑il d'une difficulté à long terme? Comment pouvons-nous encourager une plus forte croissance économique grâce à des investissements qui viendraient s'ajouter à l'aide au développement comme outil de construction du pays?
(0945)
    Vous avez 10 secondes.
    Nous sommes d'accord sur ce point. Si nous voulons travailler au renforcement des capacités en matière d'échanges commerciaux, la sécurité est le premier problème que nous devons résoudre. Pourquoi investir dans un pays dans lequel vous risquez de perdre tous vos investissements à cause de gangs?
    Merci.
    Nous allons poursuivre avec M. Brunelle-Duceppe, pour cinq minutes.

[Français]

     Monsieur le président, le groupe de témoins d'aujourd'hui est extrêmement intéressant. Je tiens vraiment à remercier tout le monde. Leurs témoignages vont nous aider pour la rédaction du rapport. Nos analystes prennent tout cela en note.
    Madame Asselin, j'imagine que vous êtes au fait de la situation. Comment cela se passe-t-il sur le terrain, présentement, pour la sécurité des travailleurs humanitaires? On n'en entend pas beaucoup parler, et je pense qu'il serait important que vous nous fassiez une petite synthèse.
     Depuis plusieurs années, les organismes québécois de coopération ont mis sur pied des projets dont le soutien est assuré par des travailleurs haïtiens. Malheureusement, il y a peu de travailleurs humanitaires de la coopération québécoise qui sont sur le terrain. Il est très difficile maintenant de participer à des missions et d'être accueillis par nos partenaires, car ils sont menacés.
    Il y a toute une panoplie de règles liées à la sécurité, particulièrement en ce qui a trait aux déplacements. Nous avons besoin d'assurer le transport de matériel humanitaire de toutes sortes. Je parlais de l'agriculture, qui pose d'énormes défis. Nous sommes obligés de prendre des moyens de transport de rechange, comme de petits avions, parce que nous n'arrivons pas à nous déplacer d'une région à l'autre. C'est très préoccupant.
    Il est quand même impressionnant que nous puissions encore organiser des rencontres. Grâce à la technologie et à Zoom, nous sommes capables de parler à nos partenaires régulièrement. Nous nous rendons compte qu'ils continuent de faire le travail.
    Je disais tout à l'heure qu'il y avait 100 000 personnes déplacées. Ces dernières sont déplacées dans les campagnes et dans leur lieu d'origine, et cela crée une énorme pression. C'est pour cette raison qu'il y a une crise alimentaire, que vivent également les agricultrices et les agriculteurs. Il y a quand même de grandes capacités en Haïti, mais, pour l'instant, les gens n'ont pas ce qu'il faut pour produire. Il est clair que l'insécurité menace toutes les personnes en Haïti, y compris le personnel de tous les organismes avec lesquels nous travaillons.
     Sur le plan humanitaire, il existe quand même de grandes organisations sans but lucratif, comme celles qui sont en train d'organiser la lutte contre le choléra. Je ne pourrai pas m'étendre là-dessus, mais je pense que ce sont des organismes qui ont de grands moyens, comme les Nations unies, qui s'affairent à apporter une réponse immédiate au choléra et à la crise humanitaire.
    Nous allons distribuer de la nourriture, mais c'est du très court terme. Notre principale préoccupation est d'assurer la sécurité des agricultrices et des agriculteurs pour qu'ils puissent répondre aux besoins de la population. Ils sont capables de le faire, mais il faut qu'ils aient les intrants, qu'ils puissent travailler en sécurité et que les denrées puissent circuler dans le pays.
    Les travailleurs humanitaires en Haïti sont-ils parfois obligés de négocier avec des chefs des gangs et de leur payer des pots-de-vin pour simplement avoir accès à la population ou à un certain territoire? Êtes-vous au courant de cette réalité?
     Je ne suis pas au courant de cette réalité dans les détails. Je peux dire une chose, par contre: étant donné le manque carburant partout, tout le monde est obligé de l'acheter sur le marché noir, y compris le personnel d'Affaires mondiales Canada. C'est vraiment une crise majeure.
    Jusqu'où s'étend l'influence des gangs? Selon ce que nous rapportent les ONG, elles ne travaillent pas avec les gangs. Cependant, il y a certainement un marché noir pour les besoins essentiels, comme le carburant, qui est la seule source d'énergie. La situation n'est pas simple.
    Merci beaucoup, madame Asselin.
    Monsieur Boisrond, il me reste seulement une minute, mais je veux absolument entendre ce que vous avez à dire sur le sujet de la guerre civile, une expression que vous avez utilisée. Je pense que c'est la première fois que nous entendons cela, ici, au Comité.
    J'aimerais que vous précisiez votre pensée à ce sujet, parce que ce sera intéressant pour nous lors de la rédaction du rapport.
(0950)
     La plupart des gangs voulaient dès le départ renverser le gouvernement de Jovenel Moïse. Par la suite, ils ont toujours maintenu qu'il fallait renverser le gouvernement d'Ariel Henry. Ce que je vous raconte, on peut le vérifier: ces gangs publient même des vidéos où ils disent vouloir renverser ce gouvernement. On y voit, entre autres, Jimmy Cherizier. Le journal Le Nouvelliste a publié un article mentionnant justement les revendications que les gangs avaient faites au gouvernement, dans lequel on pouvait lire que ces derniers allaient proposer un gouvernement de transition, une feuille de route pour la transition...
    C'était comme dans l'accord de Montana et ils se réappropriaient le gouvernement, dans le fond.
    En fait, l'accord de Montana ne faisait pas partie de la donne; ce sont eux qui formeraient le gouvernement de transition. C'est tout documenté, il n'y a aucun doute là-dessus.
    Il s'agit donc d'une guerre civile, parce que l'objectif est de renverser le gouvernement actuel.
    C'est bien la définition d'une guerre civile. Je vous remercie infiniment de votre réponse.
    Merci.

[Traduction]

    Nous allons maintenant continuer avec Mme McPherson qui disposera de cinq minutes.
     [Difficultés techniques]
    Nous ne vous entendons pas, madame McPherson.
    Et maintenant?
    C'est bon.
    Merci. Désolée.
    Je voulais simplement remercier une fois de plus les témoins de leur présence. Ils nous seront très utiles au moment de formuler des recommandations.
    Monsieur Boisrond, j'ai quelques questions à vous poser.
     Vous avez parlé de la manière dont nous devons rétablir l'ordre en Haïti, avant de pouvoir passer aux étapes suivantes du développement du processus démocratique. Vous avez notamment parlé de la nécessité d'éduquer les Haïtiens sur la démocratie. Actuellement, en Haïti, nous savons que les médias ont été attaqués et que des journalistes ont été assassinés. Les médias ne peuvent pas s'en charger.
    Est‑ce un rôle que pourraient selon vous jouer des pays comme le Canada? Le Canada pourrait‑il intervenir et contribuer à cette partie de la solution? Pourrions-nous fournir ce soutien?
    C'est ce que je demande depuis de nombreuses années: que le Canada participe à ce projet. J'en ai parlé avec M. Carrière, qui est notre ambassadeur en Haïti. Ce dont Haïti a besoin, en ce moment, est que l'on éduque la population sur la démocratie.
    Du jour au lendemain, nous sommes passés d'une dictature à une démocratie, mais ce qui s'est en fait passé est que le peuple n'a qu'un seul pouvoir réel, celui de voter. Le droit de vote a été volé immédiatement. Dès le départ, il a été volé. Les Haïtiens n'ont aucune idée de ce que signifie vivre dans une démocratie, parce qu'ils n'en ont pas fait l'expérience — du moins, pour l'instant — depuis près de 60 ans. J'ai 65 ans. Je suis né en 1958, l'année où Duvalier est arrivé au pouvoir, donc toute personne de mon âge n'a connu que la dictature et seulement quelques épisodes de démocratie. Dans ce pays, les gens n'ont jamais été exposés à ce qu'est la démocratie.
    J'encourage le Canada et je demande, une fois de plus, que nous contribuions à l'éducation du peuple à la démocratie, non seulement de la classe politique, mais aussi des citoyens ordinaires, afin qu'ils comprennent ce qui est juste et quelles sont leurs responsabilités.
    La démocratie est bâtie sur la confiance que nous avons les uns envers les autres. Lorsque vous vivez, depuis 65 ans, dans un pays dans lequel vous ne savez pas à qui vous pouvez faire confiance... vous vivez dans une dictature. La dictature n'est pas seulement une structure, mais aussi une culture. Si nous n'aidons pas les Haïtiens à se débarrasser de cette culture, nous ne ferons que reproduire ce phénomène à l'infini.
    C'est bien dit. Je vous remercie beaucoup.
    Nous savons également qu'il faut mettre fin à la violence des gangs sans tarder, en Haïti, afin que certaines choses puissent changer.
    Le gouvernement canadien a pris des sanctions contre certains Haïtiens. Pensez-vous qu'il faut allonger cette liste de sanctions? Devrions-nous en faire plus et devrions-nous utiliser ces outils pour sanctionner des individus — pas des pays, bien entendu, mais des individus? Cela serait‑il utile?
    Oui, ce serait utile et j'espère que vous ajouterez d'autres noms sur cette liste. Cela permettra d'envoyer un message direct aux membres des classes dirigeantes politiques et du monde des affaires que les choses qui sont faites dans le pays…
    En fait, lorsqu'on met des gens sur cette liste, on envoie aussi un message aux Canadiens. On signale aux Canadiens que le Canada n'est pas prêt à traiter avec les criminels et qu'il n'est pas prêt à traiter avec les personnes qui maintiennent les Haïtiens dans la pauvreté et la terreur. C'est donc un message au Canada et à nous-mêmes. À titre de Canadiens, quelles mesures sommes-nous prêts à prendre, non seulement pour aider les Haïtiens, mais aussi pour protéger l'image de notre pays? Sommes-nous prêts à apporter ce changement? J'espère que la liste va s'allonger.
(0955)
    Je sais que je n'ai pas beaucoup de temps, mais je dirais aussi que la liste est importante. Son application est toutefois plus importante, bien entendu. Je me demande toujours si l'application est aussi rigoureuse qu'elle devrait l'être.
    Je vous promets que, de mon côté, je continuerai à exercer des pressions en ce sens.
     Monsieur le président, je pense que mon temps est écoulé.
    C'est exact, et je vous remercie, madame McPherson. Vous avez parfaitement respecté le temps qui vous avait été imparti.
    La parole est maintenant à M. Ehsassi. Il a cinq minutes.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
    Permettez-moi tout d'abord de remercier nos trois témoins de leur expertise et de leurs contributions. Cette séance est très utile.
    Comme ils l'ont tous les trois indiqué très clairement, nous assistons à une convergence de crises en Haïti. Ce qui nous brise vraiment le cœur, ce sont les conditions sur le terrain en Haïti. D'après ce que je comprends, de nombreuses banques, écoles et hôpitaux sont fermés.
    Si vous me le permettez, j'aimerais d'abord m'adresser à Mme Asselin. Comment pouvons-nous renforcer les efforts des organismes qui se trouvent sur le terrain en Haïti, afin qu'ils puissent mieux faire leur travail?
    Comme vous le savez, les conditions sont très chaotiques. Que peut faire notre pays pour les aider à stabiliser la situation?

[Français]

     Je vais répéter ce que Mme Martel a dit.
    Nous voyons tous les jours sur le terrain qu'il faut renforcer la coopération apportée par le Canada et le faire aussi avec une certaine souplesse. Le financement que nous avons d'Affaires mondiales Canada doit s'adapter à une réalité qui est très changeante.
     Nous avons des programmes d'envoi de bénévoles qui durent sept ans. Nous avons des programmes à moyen et long termes, et nous saluons ces programmes qui sont à plus long terme. Toutefois, il faut que les programmes actuels de coopération en Haïti fassent preuve d'une grande souplesse pour pouvoir continuellement s'adapter à la situation. Ce n'est pas toujours facile pour une grosse machine.

[Traduction]

    Madame Asselin, je parle du renforcement des capacités sur le terrain.
    Que pouvons-nous faire pour veiller à ce que tous ces organismes qui sont sur le terrain en Haïti disposent des capacités nécessaires pour faire leur travail?

[Français]

    C'est ce à quoi j'essayais de répondre. Je me suis peut-être mal exprimée.
    Le Canada fournit de l'aide actuellement. Il peut en faire davantage, mais, pour que cette aide soit la plus efficace possible, nous devons travailler avec des organismes sans but lucratif dans tous les domaines, notamment en santé, en éducation, en justice ou en agriculture. Il faut pouvoir répondre aux besoins rapidement et la souplesse est importante. Nous sommes en discussion avec Affaires mondiales Canada pour tenter de trouver des solutions.
    De plus, je le disais et je le répète, il faut fournir un soutien à la police haïtienne pour garantir une certaine sécurité. Le gouvernement canadien doit agir en ce sens.

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup.
    J'aimerais maintenant m'adresser à M. Boisrond. J'ai également trouvé votre témoignage très convaincant, surtout lorsque vous parlez du peu de confiance que vous avez dans les anciennes élites politiques. Vous semblez avoir beaucoup plus confiance dans les jeunes Haïtiens qui sont, manifestement, sur le terrain et qui connaissent tous les défis.
    Que faisons-nous pour soutenir les jeunes leaders en Haïti, afin de changer la donne?
    Il faut travailler avec eux et les inviter.
    J'écoutais les deux sénateurs contre lesquels le Canada a pris des sanctions. C'était une surprise, car ils ont dit qu'ils avaient toujours été des alliés du Canada. Ils ont été invités par le gouvernement du Canada et par le gouvernement du Québec.
    Peut-être que le Canada devrait ouvrir une sorte d'école de leadership et qu'il devrait commencer à inviter des jeunes leaders haïtiens à participer à des programmes qui les aideraient à renforcer leurs compétences en leadership. Je pense que ce serait très utile.
(1000)
    Tout à fait. Vous avez certainement fait ressortir cette dynamique.
    Si je comprends bien, mon temps est écoulé.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Il vous reste 30 secondes, mais c'est à vous de décider.
    Je cède mes 30 secondes.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie, monsieur Ehsassi.
    La parole est maintenant à M. Genuis. Il a cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Il y aura peut-être un peu de bruit de fond là où je suis, et je vais donc mettre mon microphone en sourdine entre mes questions.
    J'aimerais que nos témoins nous parlent un peu de la façon dont, en particulier, le Canada pourrait renforcer les capacités en matière de sécurité. Quelles mesures pouvons-nous prendre pour soutenir la mise sur pied de forces armées et de forces de police efficaces qui sont capables de fournir aux Haïtiens le niveau de sécurité dont ils ont besoin à long terme?
    Une sociologue haïtienne qui s'appelle Michèle Oriol a affirmé que l'un des plus gros problèmes de la police nationale en Haïti n'est pas nécessairement l'équipement dont elle dispose. Elle pense plutôt que le recrutement de la police en Haïti fait partie des raisons qui expliquent l'échec de cette organisation. En effet, les candidats qui sont recrutés pour la police ne disposent pas des habiletés nécessaires dès le départ. Ils n'ont pas la capacité d'accomplir le travail en tant que tel.
    Une autre chose qui me semble importante, c'est que le salaire versé à un policier ou une policière en Haïti, en ce moment, est d'environ 325 dollars canadiens par mois. Cela rend la police très ouverte à la corruption. En fait, Barbecue Jimmy Chérizier est un ancien policier. Un grand nombre des membres de gangs, et tous les chefs de gangs, étaient autrefois des policiers. Pourquoi? Premièrement, ils n'ont pas été préparés à ce poste très difficile. Deuxièmement, ils sont sous-payés. Et troisièmement, même si on leur donne la formation nécessaire, ils n'ont pas forcément, au départ, la capacité d'absorber cette formation.
    Il faut tenir compte de tout cela dans la mise au point d'une solution. Il faut déterminer comment embaucher les gens, comment les former et comment les payer.
    Dans le même ordre d'idées, et j'aimerais que d'autres témoins participent à la discussion, je crois que certains pays — je pense à la Géorgie et à l'Ukraine — ont mis en place, à un certain moment, d'ambitieux programmes de réforme de la police. Un ancien ambassadeur de la Géorgie m'a expliqué qu'en gros, ils se sont rendu compte que la police existante faisait plus de mal que de bien, et ils ont donc congédié tous les policiers et les ont remplacés par un tout nouveau groupe.
    Je ne vous demande pas d'entrer dans les détails, mais y a‑t‑il des choses que nous pouvons apprendre de ces modèles? En outre, est‑ce le bon moment pour procéder à une sérieuse réforme de l'appareil de sécurité en Haïti?
    Oui, je voudrais laisser la place aux deux autres témoins si elles souhaitent prendre la parole à ce sujet, mais tout de même, ce que je dis, c'est que peu importe le type, la police en Haïti a besoin d'une réforme, car il y a une petite armée dans le pays qui n'est pas pertinente pour la solution. La solution retenue par le Canada et la communauté internationale est de travailler avec la police. Toutefois, à mon avis, la police est trop faible pour faire partie de la solution en ce moment.
    En réalité, nous assistons actuellement à l'échec de la police. Donc, quelle que soit la solution choisie, la police doit faire l'objet d'une réforme dans les trois domaines que j'ai mentionnés, à savoir le recrutement, le salaire et l'équipement, bien entendu.
    Je vous remercie. J'aimerais maintenant entendre la contribution des autres témoins à cette discussion.
    Il reste une minute au temps imparti, puis nous terminerons la discussion avec ce groupe de témoins.
    Monsieur Genuis, vous avez une minute.
(1005)
    Oui, j'aimerais beaucoup entendre les réflexions des autres témoins.
    Vous avez la parole.

[Français]

     Je serai brève pour permettre à Mme Asselin de répondre également.
    Je veux seulement dire que cela fait longtemps que le Canada s'implique dans la réforme du secteur de la sécurité en Haïti. Le mandat a évolué. À l'époque, il était peut-être plus intégré. Depuis, l'engagement du Canada a plutôt pris la forme d'une aide sur le plan technique ou de la formation.
     Il faudrait réfléchir à l'importance non seulement de former les policiers et de les armer, mais aussi de s'assurer que cela va de pair avec une lutte contre l'impunité et un renforcement du système judiciaire. En effet, comment motiver les policiers à aller de l'avant dans leur travail si une impunité est ensuite accordée? Tout cela doit aller ensemble.
    Madame Asselin, vous avez 15 secondes.
    Mes propos allaient tout à fait dans le même sens. Il faut aussi aller à la rencontre des groupes qui s'affairent sur les plans de la justice, du système judiciaire et de la défense des droits de la personne pour discuter de cette question.
    J'abonde dans le sens de M. Boisrond et Mme Martel à ce sujet.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Je tiens à remercier les témoins d'avoir comparu aujourd'hui, que ce soit en personne ou en ligne. Je vous remercie sincèrement de vos témoignages. Nous en tiendrons compte dans notre travail. Nous avons des applaudissements sur Zoom et, encore une fois, je vous remercie d'avoir comparu aujourd'hui.
    Mesdames et messieurs les membres du Comité, nous allons maintenant nous réunir à huis clos. Je demanderais aux personnes qui ne font pas partie du Comité de nous permettre de nous réunir à huis clos. Je demanderais également aux participants en ligne de bien vouloir cliquer aussi rapidement que possible sur le lien de la réunion à huis clos.
    Je vous remercie beaucoup.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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