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Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous. Bienvenue à la 2e réunion du Comité permanent de la science et de la recherche.
Conformément à la motion du Comité du 18 juin 2025, le Comité se réunit pour étudier l'impact des critères d'attribution du financement fédéral sur l'excellence de la recherche ici au Canada.
La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride. Conformément au Règlement, les membres peuvent participer en personne, dans la salle, et à distance à l'aide de l'application Zoom. Je pense que tous les membres sont ici en personne présentement.
Avant de poursuivre, j'aimerais demander à tous les participants en personne de consulter les directives inscrites sur les cartes sur la table. Ces mesures sont en place pour aider à prévenir les incidents audio et les retours de son et protéger la santé et la sécurité de tous les participants, dont les interprètes.
Vous remarquerez également sur les cartes un code QR qui mène à une courte vidéo de sensibilisation.
J'aimerais faire quelques commentaires dans l'intérêt des témoins et des membres du Comité.
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Aux participants par vidéoconférence, cliquez sur l'icône de microphone pour activer votre micro, et veuillez le mettre en sourdine quand vous ne parlez pas. Ceux qui participent par Zoom peuvent sélectionner le canal du parquet, de l'anglais ou du français au bas de l'écran. Les participants dans la salle peuvent utiliser les oreillettes et sélectionner le canal de leur choix.
Je vous rappelle d'adresser tous vos commentaires à la présidence. Aux membres dans la salle qui souhaitent parler, veuillez lever la main. Aux participants, via Zoom, veuillez employer la fonction « lever la main ». Le greffier et moi ferons de notre mieux pour gérer l'ordre des interventions, et nous vous sommes reconnaissants de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux trois témoins de ce groupe. Nous accueillons virtuellement Gita Ljubicic, professeure à l'Université McMaster; en personne Steven Pinker, professeur de psychologie de la famille Johnstone, Université Harvard; et par vidéoconférence Azim Shariff, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique.
Bienvenue, et merci beaucoup de votre présence.
Sur ce, nous allons passer aux déclarations des témoins.
Nous entendrons tout d'abord Mme Gita Ljubicic. Vous avez cinq minutes pour votre déclaration liminaire; allez-y.
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Merci de m'offrir cette occasion de témoigner devant votre comité sur la science et la recherche aujourd'hui. C'est un honneur de pouvoir vous faire part de mes expériences sur l'incidence des critères de financement fédéral sur l'excellence en recherche au Canada.
Les investissements publics en recherche sont cruciaux pour faire progresser les connaissances, résoudre des problèmes complexes et former les prochains chercheurs. Cependant, l'évaluation des propositions est ardue. Les réviseurs cherchent à financer la recherche qui influe positivement sur les Canadiens à force d'innovation, de créativité et à l'aide des données, de manière à améliorer notre compréhension du monde, de la qualité de vie et de l'équité.
Les mesures classiques de l'excellence portent souvent sur des indicateurs quantitatifs comme le nombre de subventions, de publications, les prix et de bourses; le nombre d'étudiants diplômés; le bilan du chercheur et la force de la proposition. Même si ces indicateurs reflètent la productivité en milieu universitaire, ils ne témoignent pas toujours des incidences réelles pour éclairer les politiques et les décisions communautaires, améliorer les pratiques et les résultats de santé et d'éducation, appuyer la croissance économique, faire progresser la réconciliation et promouvoir la durabilité environnementale et l'équité sociale. Les chercheurs soulignent ces incidences dans les demandes de financement, mais il reste difficile de les mesurer. Cela cause des défis en matière de stratégies d'évaluation rigoureuses, impartiales et cohérentes.
Je m'appelle Gita Ljubicic. Je suis professeure à la School of Earth, Enrivonment and Society de l'Université McMaster. Je dirige l'équipe de recherche StraightUpNorth, ou SUN. Je suis géographe, j'ai étudié les sciences naturelles et sociales et je travaille en géographie à la fois culturelle et environnementale. Ma recherche se fonde sur la collaboration respectueuse avec les détenteurs du savoir autochtone pour résoudre les enjeux sociaux et écologiques complexes. Depuis plus de 25 ans, je travaille surtout avec les communautés inuites au Nunavut, et avec mes étudiants et collaborateurs, j'ai participé à des projets dans l'Inuit Nunangat — la terre natale des Inuits dans l'Arctique canadien — et avec les Premières Nations et les communautés métisses au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. Notre équipe SUN vise à s'assurer que les retombées de la recherche profitent aux partenaires communautaires, favorisent la prise de décisions, améliorent les pratiques de recherche et appuient les chercheurs nordiques émergents.
Mes recommandations ici aujourd'hui reflètent mon expérience personnelle dans la recherche communautaire et interdisciplinaire. Il importe de revoir les critères de financement fédéral pour y inclure des indicateurs qualitatifs permettant d'évaluer l'excellence en recherche avec rigueur et impartialité. J'ai travaillé avec le CRSNG, le CRSH, les IRSC — recevant des fonds et examinant des demandes de financement — et des initiatives interdisciplinaires avec les trois Conseils, Environnement et Changement climatique Canada, ainsi que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.
Les politiques sur le financement ont évolué pour mieux appuyer la recherche interdisciplinaire, les initiatives en matière de DEI, les partenariats avec les dirigeants autochtones, les chercheurs en début de carrière, le mentorat et la mobilisation de la connaissance. Toutefois, en plus de ces changements de politiques importants, des occasions de financement ciblées et de nouvelles exigences dans les propositions, les mesures quantitatives d'excellence axées sur le milieu universitaire doivent être revues.
Il y a six façons d'y arriver selon moi, et je serai heureuse d'en dire plus aujourd'hui ou lors d'un témoignage subséquent. Mes suggestions visent: à garantir la représentation de réviseurs ayant une expérience culturelle ou communautaire directe dans les comités d'évaluation des propositions à financer; à garantir la représentation de chercheurs en début de carrière comme réviseurs pour les fonds destinés à ce type de recherche; à considérer le temps consacré à la recherche communautaire et partenariale pour évaluer le bien-fondé, la méthodologie, le budget et les prétentions liées à une proposition; à considérer également la formation et les apports en matière de mentorat au‑delà du personnel universitaire très compétent; à évaluer les partenariats selon la diversité des rôles, la force des relations et les données sur la planification et la mise en œuvre collectives; ainsi qu'à reconnaître que la mobilisation de la connaissance dépasse le cadre des publics universitaires et de la sensibilisation de la population.
Durant les quelques minutes dont je disposais aujourd'hui, j'ai présenté six recommandations précises pour affiner la façon dont le gouvernement évalue les propositions et octroie les fonds de recherche fédéraux.
La façon dont on définit l'excellence influence la conduite des partenariats, les stratégies de mentorat et l'évolution des normes disciplinaires pour relever des défis complexes. En plus des dossiers scolaires, nous devons évaluer le bilan en matière d'impact.
Cinq minutes, c'est peu pour présenter des idées de fond. L'étude de votre comité mérite une discussion approfondie. Je suis favorable à discuter plus amplement aujourd'hui et à vous aider dans vos initiatives futures.
Merci. Thank you. Qujannamiik.
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Madame Zahid, monsieur Blanchette-Joncas, membres du Comité permanent de la science et de la recherche, en tant que fier Canadien et diplômé du Collège Dawson et de l'Université McGill, c'est un grand honneur de vous parler aujourd'hui de diversité en science.
À la fin des années 1970, le concept de diversité est devenu populaire aux États-Unis après la décision de la Cour suprême selon laquelle les quotas raciaux dans les admissions aux universités étaient une forme de discrimination inconstitutionnelle, mais qu'il était acceptable pour les écoles de favoriser les minorités si le but était de rehausser l'expérience éducative pour tous les étudiants grâce à cette population étudiante diverse. Au fil du temps, l'objectif louable de la diversité s'est transformé en politiques qui se fondaient de plus en plus sur des critères comme la race et le sexe pour admettre les étudiants, faire des embauches et accorder du financement. C'est le « D » de diversité dans DEI.
Plus récemment, le terme « diversité des points de vue » est devenu populaire comme une réponse ironique à la diversité raciale et de genre. La blague voulait qu'à l'université, la diversité signifie les gens qui ont l'air différents et qui pensent de la même manière; tandis que la diversité des points de vue, c'est la forme de diversité qui compte vraiment en science et en vie intellectuelle. Ce n'est simplement pas vrai — en effet, on pourrait parler d'une forme de préjudice — qu'on peut présumer que toutes les femmes ou tous les membres d'une minorité raciale ou ethnique pensent de la même manière.
La diversité des points de vue, par contre, est nécessaire pour bien mener les travaux scientifiques. Ce n'est pas parce que la diversité est agréable sur le plan esthétique; c'est plutôt parce que les gens ne sont pas omniscients ou infaillibles. À titre de spécialiste des sciences cognitives, je peux vous garantir que l'esprit humain est vulnérable aux biais et aux sophismes. Le principal biais est celui du parti pris, soit la conviction que son propre clan, sa coalition ou son parti a raison et qu'une coalition rivale est ignorante ou méchante ou les deux. Les gens ont du mal à percevoir leurs propres préjugés. Comme l'économiste Joan Robinson l'a dit, « l'idéologie, c'est comme l'haleine, on ne sent pas la sienne. »
Une meilleure version serait la raison pour laquelle la science peut aller de l'avant malgré les préjugés, c'est que nous sommes bien meilleurs à repérer les biais des autres. Dans une communauté où les gens de divers points de vue peuvent critiquer ceux avec qui ils sont en désaccord sans craindre la sanction, la censure ou l'annulation, on peut souligner les erreurs des autres, et toute la communauté peut être plus rationnelle que chacune des personnes qui la composent.
Par opposition, il y a plusieurs raisons de craindre que la diversité, dans le sens de la politique de DEI d'attribuer des fonds aux scientifiques selon la race ou le sexe, n'aille à l'encontre des intérêts de la science et du pays.
Tout d'abord, ces politiques peuvent être intrinsèquement injustes. Le financement est un jeu à somme nulle. Si les personnes d'un sexe ou d'une couleur de peau bénéficient d'un avantage, alors les personnes d'un sexe différent ou d'une autre couleur de peau sont désavantagées. C'est pourquoi mon propre établissement a perdu dans l'affaire Students for Fair Admissions, Inc. c. President and Fellows of Harvard College, devant la Cour suprême en 2023. La cour a jugé qu'en favorisant les Hispaniques et les Afro-Américains dans ses admissions. Harvard faisait preuve de discrimination inconstitutionnelle envers les Américains d'origine asiatique.
Ensuite, ce peut être du gaspillage des fonds publics si les subventions ne servent pas à la recherche scientifique jugée être de la meilleure qualité et la priorité. Bien sûr, les réviseurs des propositions de subventions sont eux-mêmes victimes de biais, y compris le racisme et le sexisme, mais cela signifie qu'il faut réduire au minimum les biais à l'aide d'examens, d'audits aveugles et appliquer les mesures les plus objectives de qualité et d'influence.
De plus, bien qu'il soit louable d'attirer la plus large palette de talent en science et de surmonter les obstacles à l'inclusion, l'attribution de subventions a lieu à la fin du parcours de formation scientifique, bien trop tard dans la vie d'un chercheur pour rectifier les iniquités sociales et historiques. L'obsession sur les différences statistiques dans l'octroi des fonds en recherche détourne l'attention des influences formatrices qui créent les iniquités en premier lieu, y compris l'éducation dès les années préscolaires jusqu'à l'université ainsi que les normes sociales et culturelles qui rendent la science attirante pour y faire carrière.
Enfin, la promotion de la diversité des genres et des origines ethniques, alors même que la diversité d'opinion est restreinte par la censure, l'annulation ou les monocultures intellectuelles, mine la confiance du public dans la science. Je dis souvent aux auditoires ou aux intervieweurs que le vaste consensus scientifique veut que l'activité humaine cause le réchauffement de la planète. Bien souvent, quelqu'un me demande en guise de réponse: « pourquoi devrions-nous faire confiance au consensus, si c'est celui d'une clique qui ne favorise pas les meilleures données scientifiques et qui sanctionne quiconque exprime son désaccord? »
Les événements récents survenus aux États-Unis — vous savez sans doute de quoi je parle — mettent en lumière les dangers qui existent quand les politiciens et le public perdent confiance dans la science.
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Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant le Comité.
Je m'appelle Azim Shariff et je suis professeur de psychologie à l'Université de la Colombie-Britannique. Je suis né et j'ai fait mes études au Canada — d'abord à l'Université de Toronto, puis, pour mon doctorat, à l'Université de la Colombie-Britannique —; j'ai ensuite occupé des postes de professeur aux États-Unis avant d'être invité à rentrer au pays dans le cadre du Programme des chaires de recherche Canada 150. Pour vous éclairer dans cette étude du Comité, je vous exposerai surtout aujourd'hui mes observations sur l'effet concret des politiques bien intentionnées entourant le Programme des chaires de recherche du Canada dans les faits.
Comme vous le savez tous, le Programme des chaires de recherche du Canada est l'un des principaux outils du Canada pour attirer et retenir des chercheurs influents. Pour atteindre les objectifs de soutien à l'excellence en recherche du programme, on a parfois dû, au cours de ses 25 années d'existence, revoir ses politiques en matière d'équité, de diversité et d'inclusion. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le milieu universitaire doit accorder la priorité à ces valeurs: un corps professoral plus représentatif de la population canadienne aura plus de légitimité dans la société et inspirera confiance; il sera également plus sensible à l'ensemble des enjeux qui préoccupent les Canadiens. Et surtout, du point de vue de l'intérêt public, l'élimination des obstacles à l'accès signifie que rien n'empêche les universitaires les plus talentueux de transposer leur talent en produits de recherche dont nous bénéficions tous.
Ainsi, des objectifs d'équité ont été établis jusqu'en 2029 pour des groupes nettement sous-représentés au début du programme: les femmes et les personnes de diverses identités de genre; les personnes racisées, comme moi; les personnes handicapées et les Autochtones. Les cibles visées ont été en grande partie atteintes à l'échelle nationale pour tous les groupes.
Cela dit, elles n'ont pas toutes été atteintes pour tous les groupes dans tous les établissements. Selon les nouvelles dispositions adoptées en 2019, tant qu'un établissement accuse un retard par rapport à ses objectifs pour un groupe donné, il ne peut pas soumettre de nouvelles candidatures de personnes ne faisant pas partie de ces groupes à des chaires de recherche.
Cette disposition pose deux problèmes de fonctionnement, dans la pratique.
Premièrement, cette façon d'amalgamer les groupes visés par l'équité en matière d'emploi est un moyen brutal et parfois inefficace d'éliminer les obstacles. Le bassin de chercheurs faisant partie des personnes racisées, des femmes et des personnes de diverses identités de genre est beaucoup plus grand que celui des personnes autochtones ou handicapées. Il est donc beaucoup plus facile de recruter parmi les premiers groupes. Par conséquent, la politique incite des établissements — comme le mien — à augmenter le nombre de femmes et de personnes racisées dans leurs effectifs, bien au‑delà de leurs cibles, tout en continuant à accuser un retard par rapport aux cibles pour les deux derniers groupes.
Deuxièmement, il y a lieu de s'inquiéter de l'incidence de cette restriction sur l'intérêt public en général. Comme je l'ai dit plus tôt, tout obstacle à l'égalité d'accès appauvrit tout le monde parce que les personnes les plus talentueuses ne peuvent alors pas exercer les fonctions où leur talent serait le plus utile. Or, avec cette politique restrictive, le Programme des chaires de recherche du Canada crée exactement ce genre d'obstacle: il ferme des portes plutôt que de les ouvrir.
Je vais vous donner un exemple concret. Il y a plusieurs années, mon département cherchait à pourvoir un poste de haut niveau à une chaire de recherche. Il s'agissait de remplacer le directeur d'une grappe de recherche mondiale très productive et réputée en sciences langagières, qui prenait sa retraite. Comme il fallait trouver un chercheur chevronné ayant une expertise particulière, le bassin de candidats était déjà petit, mais comme l'embauche se faisait dans le cadre du Programme des chaires de recherche du Canada, le bassin était restreint davantage aux membres des quatre groupes ciblés, excluant ainsi bon nombre des chercheurs les plus compétents et les plus influents. Cela nous laissait très peu de candidats qualifiés, et en fait, une seule répondait aux critères et était prête à quitter son poste aux États-Unis. Or, nous étions incapables de répondre à ses exigences, mais n'avions aucune autre option, de sorte que le processus a échoué, cette chaire de recherche du Canada a été révoquée, et l'avenir de l'institut et de la grappe de recherche est maintenant en péril.
L'équité et la justice sociale sont des objectifs importants du Programme des chaires de recherche du Canada. Cependant, en excluant explicitement un vaste groupe de chercheurs, cette politique restrictive crée un conflit inutile. Ces objectifs vont à l'encontre de l'objectif plus général du programme, qui est d'améliorer la profondeur de nos connaissances et la qualité de vie de tous les Canadiens, en nous privant de beaucoup de talents.
C'est particulièrement urgent en ce moment. Nous voyons actuellement les universités américaines fragilisées par des attaques à la liberté universitaire et des compressions épouvantables dans le financement de la recherche. Les États-Unis sont l'épicentre mondial de la science et de la recherche. Le monde entier souffrira des perturbations qui les secouent en ce moment dans la création de connaissances. Le Canada est le mieux placé pour combler ce vide. Pour les universitaires chevronnés qui choisissent de quitter les États-Unis, les solutions de rechange les plus attrayantes sont l'Université de Toronto, l'Université de Waterloo ou l'Université de la Colombie-Britannique.
Le monde a besoin de ces gens pour demeurer productif. J'encourage le Canada à réévaluer les compromis qu'il fait en se gardant les mains liées avec son programme des chaires de recherche du Canada. Nous devons revoir nos politiques en conséquence. La science se porte mieux quand tout le monde est invité à participer aux programmes de bourses d'études.
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Merci, madame la présidente.
Je suis heureux de revoir tous mes collègues. J'ai hâte de travailler avec vous tous au sein de ce comité. Je remercie également les témoins de leur présence.
C'est une étude importante; en juillet dernier, la a annoncé que 1,3 milliard de dollars étaient accordés en financement fédéral pour la recherche. L'étude que nous entreprenons s'appuie sur les travaux du Comité de la législature précédente et vise à examiner les divers critères utilisés pour l'attribution de ces fonds fédéraux et à recueillir de l'information à ce sujet.
Madame Ljubicic, vous avez parlé de l'utilisation de critères quantitatifs et du tort que cela peut causer. Des représentants de collèges nous ont dit qu'ils n'avaient pas accès à ces fonds de recherche, par exemple. Nous avons également entendu parler de diversité, équité et inclusion, de l'application de critères en ce sens et de l'incidence que cela peut également avoir sur la science.
Monsieur Pinker, je vous remercie de vos commentaires. Vous avez dit que la diversité, l'équité et l'inclusion vont à l'encontre des intérêts de la science.
Je relisais certains témoignages passés. En novembre 2024, nous avons reçu M. Jeremy Kerr, professeur au département de biologie de l'Université d'Ottawa. Lorsqu'un des membres du Comité lui a posé la question suivante: « Dans quelle mesure la diversité et l'inclusion sont-elles importantes dans la recherche s'il s'agit de produire des données fiables et exactes? », il a répondu ceci: « Je veux être très clair. Comme je l'ai dit, notre objectif n'est pas de mettre en œuvre un programme d'action positive, mais d'atteindre l'excellence, au nom des Canadiens... »
Cela ne veut pas dire que la diversité des points de vue ou des origines n'est pas importante. Pouvez-vous approfondir ce que vous avez dit dans vos commentaires, concernant l'idée selon laquelle la diversité, l'équité et l'inclusion vont à l'encontre des intérêts de la science?
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Je vous remercie. Pour ajouter à ce que vous avez dit, cela génère aussi de mauvaises données scientifiques.
Je lisais un article de Geoff Horsman, professeur agrégé de chimie et de biochimie à l'Université Wilfrid Laurier. Il parlait avec un collègue quand ce dernier lui a essentiellement dit: « J'ai fait la paix avec la DEI. Je vais mentir sur papier au sujet de mes croyances ou de mes convictions les plus profondes afin d'obtenir du financement. » En gros, on nous dit que si l'on croit au mérite et à la compétence, il faut se taire et mentir dans sa demande pour obtenir du financement. Cela ne contribue pas à l'avancement de la science.
À l'heure actuelle, il y a des personnes qui savent que si elles ne cochent pas une certaine case, leur projet ne sera pas financé.
Je me demandais si vous pouviez nous en dire plus à ce sujet.
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Oui, eh bien, beaucoup d'universités américaines exigent ce qu'on appelle des « déclarations sur la diversité », dans lesquelles un candidat à un poste de professeur doit essentiellement endosser les politiques de diversité, d'équité et d'inclusion, y compris les préférences raciales, et doit souscrire à la théorie critique de la justice sociale quant aux raisons pour lesquelles il y a des disparités raciales.
J'ai des étudiants qui ont demandé à ChatGPT de rédiger leur déclaration sur la diversité parce qu'ils ne pouvaient pas la remplir honnêtement. Ils savaient, en leur âme et conscience, qu'ils ne pouvaient pas dire des choses qu'ils savaient fausses, mais ils savaient aussi qu'ils seraient mis sur une liste noire et rejetés d'un emploi s'ils exprimaient leurs vraies opinions. C'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses universités — dont la mienne, Harvard — se sont débarrassées des déclarations sur la diversité.
De plus, je pense que c'est une drôle de façon de présenter la justice sociale que de prétendre que la composition d'un organisme scientifique, d'un organisme universitaire ou d'un bassin de scientifiques financés doit correspondre à la répartition démographique de la population en général. Je dirais que cela a des conséquences plutôt désastreuses. C'est comme si l'on disait qu'il y a trop d'Asiatiques à un comité, que trop d'Asiatiques reçoivent du financement, trop de Juifs, trop de Sikhs, trop d'Arabes. Il n'est tout simplement pas possible que chaque groupe ethnique ou chaque sexe soit parfaitement représenté proportionnellement à sa répartition dans la population. Si l'on veut vraiment de la qualité, cela ne devrait pas entrer en ligne de compte. Nul besoin de compter. Il peut y avoir des écarts, et ce, d'un côté comme de l'autre, mais si nous finançons les meilleurs projets scientifiques, nous en tirerons les meilleures données scientifiques.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie nos témoins de leur présence.
Monsieur Shariff, je vais reprendre là où vous vous êtes arrêté.
Je suis heureux de vous revoir. Cela fait longtemps, probablement une bonne trentaine d'années. C'est un plaisir de vous revoir.
J'aimerais reprendre là où vous vous êtes arrêté, lorsque vous parliez de l'importance de nous assurer que nous sommes en mesure d'attirer et de garder nos esprits les plus brillants, quels que soient ces critères. Ces critères peuvent être importants, mais il ne faut pas non plus mettre des gens à l'index pour cette raison si nous voulons pouvoir compter sur les meilleurs candidats possible.
À votre avis, quelle serait la meilleure façon pour le Canada d'aller chercher les meilleurs talents — je vais le dire sans détour — des États‑Unis, où bien des gens s'inquiètent en ce moment des menaces qui pèsent sur le milieu universitaire et où il y a une attitude omniprésente selon laquelle il faut penser d'une certaine façon, faute de quoi on risque de perdre son financement? Que faut‑il faire pour nous assurer de ne pas tomber dans les pièges d'un côté ou de l'autre, pour nous assurer d'attirer les meilleurs talents, sans pour autant adhérer à la rhétorique d'une attaque contre l'« idéologie woke », une chose dont je veux parler, d'ailleurs, peu importe ce que cela signifie, pour que nous puissions à la fois attirer les meilleurs talents ici pour faire les meilleures recherches possible tout en créant un environnement inclusif pour les universitaires?
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L'un de mes champs de recherche porte sur la confiance envers les institutions et l'apparence de politisation. Nous avons constaté que dès que les gens perçoivent un établissement comme étant politisé, cela a une incidence négative sur la confiance, non seulement chez les personnes qui trouvent que les opinions politiques de l'établissement sont à l'opposé des leurs, mais aussi chez celles qui ont l'impression que l'établissement les partage. Cela représente un défi. Les scientifiques, ceux qui utilisent la science et les récipiendaires de bourses ne veulent pas que leurs établissements soient politisés.
Malheureusement, le milieu universitaire au Canada a la réputation d'être quelque peu politisé. M. Pinker a parlé de l'incidence que la perception de la politisation a aux États‑Unis à l'heure actuelle; le Canada a l'occasion d'être un endroit sûr pour un milieu universitaire plus objectif et moins politisé. Les gens qui tentent de fuir un environnement universitaire politisé et fragilisé aux États-Unis pourraient, je l'espère, trouver au Canada un climat de financement plus souple et plus libre, ainsi qu'un milieu universitaire qui s'efforce de réduire la politisation.
La politisation dans le domaine scientifique est un peu comme des bactéries dans une salle d'opération. Il est impossible de s'en débarrasser complètement, mais il faut faire tout ce que l'on peut pour les éliminer. On ne devrait pas faire confiance à un chirurgien qui n'agit pas en ce sens.
Je vais poursuivre en vous posant une autre question, que je poserai aussi à M. Pinker.
Nous avons entendu les attaques lancées par le président Trump contre les universités Princeton et Harvard — où j'ai étudié — et les menaces de compressions qui ont été formulées. Nous avons constaté des réductions dans le financement destiné à la recherche sur le cancer, le diabète, les nouvelles méthodes agricoles, le développement préscolaire et la qualité de l'enseignement. Tous ces domaines ont été touchés par cette attaque contre ce que l'on appelle « l'idéologie woke ». Le au Canada a employé l'expression « idéologie woke »; il a dit vouloir éliminer « l'idéologie woke » des universités canadiennes.
Lorsque vous entendez des termes comme ceux‑là et que vous voyez le type d'attaques dont les universités font l'objet sous ce prétexte, craignez-vous que le Canada puisse emprunter une voie semblable et utiliser ce même prétexte pour s'en prendre à la liberté universitaire, à la recherche universitaire et au développement intellectuel dans les universités?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins qui sont avec nous aujourd'hui pour participer à cette importante étude.
Mes premières questions s'adressent au professeur Pinker.
Les politiques d'équité, de diversité et d'inclusion ne risquent-elles pas de remplacer le mérite par des considérations politiques et d'ainsi miner la confiance du public envers la science?
Si la science est perçue comme idéologique, cela ne risque-t-il pas aussi de fragiliser la confiance du public, même lorsqu'il s'agit de questions comme le climat?
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Il faut d'abord se concentrer sur la qualité de l'enseignement des sciences, dès l'école primaire.
Ensuite, il faut veiller à ce que la science elle-même n'ait pas l'air d'avoir un caractère politique, ce qui pourrait rebuter la partie de la population qui se situe ailleurs sur le spectre politique. Si la science est perçue comme une activité de gauche, les gens de la droite la rejetteront. C'est probablement la raison principale... De fait, c'est principalement ce qui explique le rejet du consensus scientifique dans les études que j'ai consultées. Cela n'est pas dû à des lacunes quant aux connaissances scientifiques, mais à la perception que la science est contaminée par une idéologie.
Le dernier élément en est un sur lequel les gouvernements peuvent difficilement exercer leur influence. Il s'agit des normes culturelles qui déterminent si la science est un choix de carrière intéressant. Cette détermination dépend de l'influence des pairs, de la culture et de nombreux autres facteurs que les politiques gouvernementales ne peuvent pas facilement contrôler; la science, c'est chouette ou pas?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
C'est un honneur de siéger à ce comité, car j'ai étudié les sciences toute ma vie. Après avoir fait ma maîtrise en génie civil à l'Université métropolitaine de Toronto, j'ai également présenté une demande de doctorat, mais je n'ai pas pu me présenter faute de temps.
Ma question s'adresse à la professeure Gita Ljubicic. Elle enseigne à l'Université McMaster, juste à côté de ma circonscription.
Je suis heureux de voir le travail que vous réalisez à la Faculté des sciences. À la lumière de votre expérience au sein du projet sur la conciliation, j'aimerais savoir si vous avez rencontré plus ou moins de problèmes de financement lors de recherches sur le savoir autochtone.
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Je vous remercie de la question.
Comme je l'ai mentionné, au cours de la dernière décennie environ, il y a eu beaucoup de changements dans les politiques des trois conseils qui reconnaissent de plus en plus la valeur du savoir autochtone, encouragent le leadership autochtone dans la recherche et favorisent les partenariats. En fait, il y a de plus en plus de financement disponible pour les chercheurs autochtones et les partenariats avec ces communautés. La difficulté que j'essayais toutefois de soulever, c'est de savoir comment évaluer efficacement si ces partenariats sont respectueux, préservent le leadership autochtone et permettent aux universitaires autochtones d'accéder aux fonds.
Bon nombre des commentaires qui ont été formulés au sujet de l'équité, la diversité et l'inclusion, ou EDI, sont également très importants dans le contexte de la recherche autochtone et d'autres recherches axées sur la communauté, en ce qui concerne la façon de l'évaluer. Ainsi, les chercheurs ne doivent pas se contenter de cocher des cases pour demander ces sources de financement, mais doivent réellement joindre le geste à la parole. Il est possible de vérifier les partenariats. Il y a des méthodologies respectueuses et adaptées à la culture pour élaborer les procédures, sélectionner l'équipe et allouer des budgets. C'est un facteur important.
Je constate bel et bien plus de soutien et de reconnaissance à l'égard de la recherche autochtone, mais je pense qu'il est vraiment important d'effectuer des évaluations qualitatives pour faire la distinction entre ceux qui sont vraiment doués pour rédiger des propositions d'une certaine manière et ceux qui mettent en œuvre des méthodes de recherche concrètes et respectueuses.
Je remercie tous les témoins d'être ici aujourd'hui.
Ma question s'adresse à vous, monsieur Pinker. Vous avez mentionné que, dans le système actuel, rompre avec l'orthodoxie régnante mine la confiance dans la science. Je pense que c'est l'effet le plus préjudiciable de ce qui se passe aujourd'hui avec l'EDI.
Je vais très rapidement reprendre un article qui a été publié: « un collègue scientifique universitaire... a dit ceci: “J'ai fait la paix avec l'EDI. Je vais mentir sur papier au sujet de mes croyances ou de mes convictions les plus profondes afin d'obtenir du financement.“ »
Que pensez-vous des critères actuels fondés sur le mérite pour obtenir un financement fédéral au Canada? Comment cette confiance s'effritera‑t‑elle au fil du temps, et à quelle vitesse, surtout dans les centres d'innovation comme celui de Kitchener-Centre, d'où je viens?
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Merci, madame la présidente.
Tout à l'heure, un député d'en face a parlé des visions du monde et de l'importance de les intégrer. Je suis une scientifique occidentale. C'est ainsi que j'ai été formée. C'est la vision du monde que j'utilise, mais je sais aussi que si j'examine le monde uniquement sous cet angle ou dans ce contexte, c'est incomplet. Prenons l'exemple du savoir autochtone. Dans le domaine des sciences de l'environnement, d'où je viens, nous savons que les Premières Nations au pays étaient déjà au courant qu'il y avait eu une ère de glace dans le passé. Ils savaient déjà que les Grands Lacs se trouvaient ailleurs. Il y a énormément de connaissances, surtout en matière de durabilité. Voilà pourquoi il est important que nous travaillions ensemble.
Ma question s'adresse à notre première intervenante, Mme Ljubicic.
Pourriez-vous nous parler de l'importance que vous accordez au savoir autochtone, à la collaboration et aux partenariats afin que nous puissions faire avancer la science?
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Nous allons maintenant devoir conclure cette partie de la réunion.
Je tiens à remercier tous les témoins de leurs importants témoignages. S'il y a quoi que ce soit que vous aimeriez porter à l'attention du Comité, vous pouvez toujours envoyer des observations écrites au greffier, qui les distribuera aux députés.
Sur ce, nous allons clore la discussion avec ce groupe de témoins, puis suspendre la séance pendant deux minutes pour accueillir le prochain groupe.
Je vous remercie. Merci beaucoup d'être venus aujourd'hui.
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Bienvenue tout le monde.
J'aimerais faire quelques observations pour la gouverne des nouveaux témoins. Veuillez attendre que je vous nomme avant d'intervenir. Les participants par vidéoconférence peuvent cliquer sur l'icône du microphone pour activer leur micro. Veuillez mettre votre micro en sourdine lorsque vous n'avez pas la parole. Pour ce qui est de l'interprétation, les personnes qui participent sur Zoom ont le choix, en bas de leur écran, entre l'audio du parquet, l'anglais ou le français. Dans la salle, vous pouvez utiliser l'oreillette et sélectionner le canal désiré. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue au prochain groupe de témoins. Nous accueillons Kelly Cobey, scientifique à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa. Nous avons également parmi nous, par vidéoconférence, Grace Karram, professeure adjointe de l'enseignement supérieur et coordonnatrice du Programme d'études supérieures de l'Université de Toronto. Notre troisième témoin est Vincent Larivière, professeur à l'Université de Montréal.
Bienvenue à tous les témoins.
Vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions. Nous allons commencer par Mme Kelly Cobey.
Madame Cobey, je vous en prie. Vous avez cinq minutes. Merci.
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Madame la présidente, distingués membres du Comité, merci de m'avoir invitée à discuter de l'impact des critères d'attribution du financement fédéral sur l'excellence de la recherche au Canada.
Je suis scientifique à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, où je suis également professeure adjointe. Je copréside aussi une initiative internationale appelée DORA, la Déclaration sur l'évaluation de la recherche. L'équipe de la DORA mène ses activités à l'échelle mondiale et dans tous les domaines. Nos recommandations s'adressent aux organismes de financement, aux établissements d'enseignement, aux journaux, aux fournisseurs de paramètres et aux chercheurs. La DORA préconise des critères d'évaluation plus vastes pour tenir compte de la diversité des activités de recherche.
La réunion d'aujourd'hui a lieu à un moment où les critères pour évaluer les chercheurs au pays changent. Les décisions ont toujours reposé sur des paramètres quantitatifs, comme le nombre d'articles que nous publions, le facteur d'impact des revues dans lesquelles se trouvent ces publications ainsi que le financement que nous avons apporté. Les paramètres quantitatifs sont faciles à calculer, ce qui les rend pratiques pour évaluer beaucoup de monde très rapidement. Malheureusement, ils ne reposent pas sur des données probantes, ne sont pas adaptés aux changements dans l'écosystème de recherche et ne peuvent pas être utilisés pour les objectifs axés sur la mission du gouvernement fédéral.
La mauvaise utilisation du facteur d'impact des revues, tout comme la trop grande importance accordée aux paramètres quantitatifs, a créé dans l'écosystème de recherche une culture où il faut publier ou périr. En tant que chercheurs, nous avons souvent l'impression que le moyen le plus sûr ou la seule façon de réussir dans notre domaine consiste à multiplier les publications et à en faire plus, en accordant moins d'importance à la qualité pour plutôt nous concentrer sur la quantité.
Cela dit, à l'heure actuelle au Canada, nous observons un virage fondé sur des principes qui nous éloigne de ces paramètres quantitatifs et nous rapproche de paramètres qualitatifs qui tiennent compte de l'incidence plus vaste de la recherche. Les trois organismes subventionnaires du Canada ont signé la DORA en 2019 et s'efforcent depuis à mettre en œuvre ses recommandations. Ce processus est une évolution, pas une révolution. Je crois que le Canada commence à être actif sur la scène mondiale des politiques scientifiques en ce qui a trait aux critères d'évaluation des chercheurs. Les trois organismes subventionnaires participent activement aux activités de la communauté de pratique de la DORA pour les bailleurs de fonds, ils jouent un rôle de premier plan au sein du comité d'évaluation de la recherche du Global Research Council et, par l'entremise du Conseil de recherches en sciences humaines, ils se sont joints au RORI, le Research on Research Institute.
Concrètement, en tant que chercheurs, nous voyons des changements récents qui ont des répercussions généralisées et immédiates sur nous. Par exemple, les Instituts de recherche en santé du Canada ont un cadre pour l'excellence de la recherche entièrement nouveau qui tient dorénavant compte de l'excellence en la matière dans huit domaines, dont un est la science ouverte. Les trois organismes subventionnaires mettent collectivement en œuvre un nouveau CV descriptif, et c'est exactement de cela qu'il s'agit: un rapport descriptif sur ce qu'un chercheur fait, sur la façon dont il a procédé et sur les raisons pour lesquelles la recherche à un impact. Ce document remplace un CV traditionnel, qui ressemblait beaucoup plus à une liste de résultats qu'à une évaluation qualitative nuancée.
Ce nouveau format fait en sorte que les chercheurs, tout comme les évaluateurs, doivent être formés pour créer ces CV descriptifs ainsi que pour les évaluer. Autrement, on risque de voir les vieilles habitudes et les paramètres quantitatifs axés sur le leadership persister dans le formulaire descriptif écrit. Les CV descriptifs font partie de la solution pour évaluer la recherche correctement. Je dirais toutefois que je suis préoccupée par la façon dont ces réformes sont mises en œuvre dans notre pays et par l'écart entre les solides politiques scientifiques que nous créons à cet égard et ce qui se fait réellement aux comités. Nous devons assurer une surveillance et une mise en œuvre efficaces à mesure que nous déployons ces changements.
J'ai trois dernières brèves remarques à faire.
Premièrement, la manière dont le gouvernement fédéral choisit d'évaluer l'excellence de la recherche a une incidence directe sur les travaux de recherche qui sont faits, sur la façon dont ils sont faits et sur les personnes qui les font.
Deuxièmement, dans la pratique, les comités ne tiennent pas toujours compte des nouvelles définitions de l'excellence de la recherche des trois organismes subventionnaires au moment d'évaluer la recherche. C'est une fois de plus attribuable à des écarts répétés dans la mise en œuvre entre ce que nous disons vouloir faire et ce qui se produit réellement.
Enfin, même si nous tenons pour acquis que les critères utilisés pour évaluer l'excellence au pays, dans le passé ou dans le présent, sont appropriés, une série de problèmes dans la façon dont le financement est accordé nous empêchent d'atteindre cette excellence de manière efficace. Prenons par exemple la réduction généralisée du financement des projets de recherche financés.
J'estime également que la surveillance des subventions est extrêmement limitée. Une fois que nous obtenons les fonds en fonction de ce que nous avons promis dans notre demande, très peu est fait pour vérifier, en tant que chercheurs et gouvernement fédéral, si l'investissement est rentable.
Merci.
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Merci beaucoup, distingués membres du Comité.
[Français]
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de cet important sujet.
[Traduction]
Lorsque nous comparons la position du Canada dans le domaine de la recherche scientifique avec les positions d'autres membres de l'OCDE, plusieurs paradoxes sont mis en lumière. Je vais présenter ces paradoxes pour apporter un éclairage sur le secteur canadien de la recherche et développement et sur les personnes qui travaillent dans ce secteur.
Plus précisément, je vais examiner le rôle des établissements postsecondaires, l'incidence des collaborations internationales en matière de recherche, le rôle du secteur des affaires et les aspects dysfonctionnels du marché du travail qui ont mené à une sous-utilisation de nos détenteurs de doctorats. Je vais conclure en présentant plusieurs recommandations pour aider à renforcer la production de travaux de recherche au pays.
Comment le Canada se compare‑t‑il au reste du monde? Eh bien, les dépenses générales du Canada en recherche et développement, en tant que pourcentage du PIB, sont considérablement inférieures à la moyenne des pays membres de l'OCDE, et elles diminuent de façon constante depuis 2001. Le paradoxe, bien entendu, c'est que les dépenses en recherche et développement dans le domaine de l'enseignement supérieur ont augmenté de 30 % au cours des mêmes 20 années, ce qui signifie que les établissements postsecondaires canadiens et les chercheurs qu'ils accueillent jouent un rôle important dans la recherche et développement au pays.
Le deuxième paradoxe est que même si notre pourcentage de publications par chercheur nous place au septième rang dans le monde — et c'est formidable —, pour ce qui est de notre production de brevets, nous nous situons au 18e rang en partant du bas. C'est probablement attribuable à des niveaux plutôt faibles de recherche et développement dans le secteur des affaires. Même si l'industrie a tendance à financer un certain niveau de recherche et développement dans les établissements postsecondaires, les liens sont relativement faibles.
Le troisième paradoxe se rapporte à la collaboration internationale et à un écart important entre les sexes. Des études ont maintes fois confirmé qu'il existe une corrélation entre la collaboration internationale et une augmentation du nombre de travaux de recherche, qui est souvent établie en fonction des publications, même si elle est limitée. Cependant, au Canada, un écart statistiquement important existe entre les chercheurs et les chercheuses. Les hommes ont beaucoup plus de collaborations internationales, et donc plus de résultats de recherche à impact élevé.
Le dernier paradoxe est lié à la main-d'œuvre et au personnel. Bien qu'un nombre supérieur de personnes obtiennent un doctorat au Canada, le nombre de postes menant à la permanence a atteint un plateau, ce qui a fait en sorte que des chercheurs hautement qualifiés sont employés à temps partiel, occupent des emplois précaires qui se concentrent surtout sur l'enseignement et finissent par quitter le monde universitaire. Il vous suffit de visiter l'un des formidables collèges ou cégeps ou l'une des formidables universités ou écoles polytechniques du Canada pour voir énormément de titulaires de doctorat sous-employés, y compris beaucoup de personnes ayant de l'expérience à l'étranger et beaucoup de femmes. Comme une grande partie de notre recherche et développement se fait dans les établissements postsecondaires, notre secteur privé n'intègre pas les détenteurs de doctorat comme le font d'autres pays.
Que faut‑il en conclure à propos de la recherche scientifique au Canada? L'enseignement supérieur joue un rôle important. Nous avons des liens d'affaires relativement faibles, une participation limitée en matière de collaboration internationale et un marché du travail inefficace qui ne tire pas le meilleur parti de sa main-d'œuvre qualifiée.
Qu'est‑ce que je recommande? Eh bien, premièrement, les établissements postsecondaires sont au cœur de la réussite de notre recherche. Il faut donc continuer de financer les universités et les collèges. Le Canada a besoin d'accroître le financement de la recherche pour construire l'infrastructure nécessaire dans les établissements de petite taille, comme d'autres témoins l'ont dit dans ces délibérations, et sans aucun doute dans nos collèges, qui ont des liens avec l'industrie et le secteur de la recherche appliquée. La pratique qui consiste à financer les projets et les établissements s'est révélée très fructueuse dans le contexte européen. Pour sa part, le Canada a tendance à se concentrer plus sur les projets que sur l'infrastructure des établissements, que nous devons également appuyer.
Deuxièmement, il faut financer la recherche théorique et la recherche appliquée, établir de solides partenariats avec l'industrie et créer un processus menant à l'obtention de brevets. Cependant, en tant que gardiens du financement de la recherche, nous avons besoin de cadres réglementaires réfléchis pour que ce soit fait de manière éthique et équitable ainsi que pour tenir compte de l'impact social de la recherche.
Troisièmement, nous devons élargir notre définition de chercheur. Les professeurs qui enseignent à temps partiel et qui ont des contrats limités sont rarement admissibles au financement fédéral. De plus, le financement fédéral ne peut pas être versé aux principaux chercheurs sous forme de salaire, ce qui signifie que les chercheurs à temps partiel, lorsqu'ils sont admissibles à une subvention, ne peuvent pas augmenter leur revenu pour en faire un salaire de subsistance à l'aide de fonds provenant de la subvention. Nous devons adapter nos critères de sélection à la réalité, à savoir que ce ne sont pas tous les chercheurs qui ont les mêmes conditions d'emploi.
Quatrièmement, nous devons multiplier nos collaborations internationales et prévoir des fonds pour qu'il soit possible de travailler à l'étranger avec d'autres équipes. Lorsque j'ai étudié les publications internationales, d'autres équipes dans d'autres pays étaient choquées d'apprendre que la collaboration internationale ne fait pas partie de nos exigences. Nous devons nous concentrer sur les grandes questions qui ont des répercussions sur notre planète.
Enfin, nous avons besoin de programmes ciblés pour appuyer les populations de chercheurs qui sont exclues de l'univers à fortes retombées de la recherche scientifique: les femmes, les chercheurs de couleur et les communautés autochtones. Bref, nous voulons que les fonds pour la recherche soient remis à des établissements diversifiés et à des chercheurs de diverses origines grâce auxquels le Canada peut devenir un chef de file mondial de la recherche scientifique avec des répercussions sociales positives.
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Merci beaucoup de l'invitation à témoigner au sujet de l'importante question de l'excellence en recherche.
Mon nom est Vincent Larivière, et je suis professeur de sciences de l'information à l'Université de Montréal. Je suis aussi titulaire de la Chaire UNESCO sur la science ouverte et cotitulaire de la Chaire de recherche du Québec sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français. Aujourd'hui, je ne représente pas l'Université de Montréal, je suis ici plutôt à titre personnel, en tant qu'expert qui étudie la communauté scientifique depuis environ 20 ans, et plus précisément la question de l'excellence et de l'évaluation de la recherche.
Le premier élément qu'il est important de mentionner, c'est le manque de consensus sur ce qu'est l'excellence en recherche. Ça s'observe à peu près partout dans la communauté scientifique. Les comités d'évaluation du financement ne s'entendent pas toujours sur les projets qui sont les plus importants. Les rédacteurs en chef des revues et les évaluateurs ne s'entendent pas toujours sur la qualité d'un article.
L'excellence en recherche est, d'une certaine façon, le saint graal du monde scientifique, mais elle demeure assez difficile à définir. Il y a une grande part de subjectivité dans tout ça. On peut expliquer ça de plusieurs façons, mais il y en a une qui est claire: l'excellence en science est plurielle. Elle peut varier en fonction du contexte. Il peut s'agir de l'ingéniosité d'une méthode, de l'originalité de la question de recherche, de la qualité de la construction d'un argument ou encore des applications potentielles d'un projet de recherche.
En raison de ce manque de consensus, les comités d'évaluation vont souvent se rabattre sur des indicateurs quantifiables, sur des éléments que l'on peut mesurer: le nombre d'articles écrits dans des revues prestigieuses, le nombre de citations qui en sont faites, si la personne a obtenu son diplôme d'une université prestigieuse ou si elle a déjà obtenu du financement. En effet, un des critères principaux pour obtenir du financement, c'est d'en avoir déjà obtenu. Ces marqueurs quantifiables ne reflètent pas toujours l'excellence en recherche, mais ils rendent l'évaluation beaucoup plus simple. Une dizaine de publications va toujours être plus que cinq publications. Une somme de 1 million de dollars sera toujours plus élevée que 100 000 dollars. Cette façon d'évaluer les scientifiques et leurs projets, qui se fait souvent de façon implicite, soulève des questions importantes pour la communauté scientifique canadienne.
En mettant l'accent sur le volume de publication, on favorise certains travaux, mais aussi certaines thématiques qui font plus facilement l'objet de publications. Ça contribue à la surproduction d'articles, qu'il ne faut pas confondre avec la surproduction de connaissances. La surproduction d'articles contribue au bruit et à la surcharge d'information, surtout celle de qualité moyenne. Bon nombre de gagnants du prix Nobel, dont Peter Higgs, ont dit qu'ils n'auraient pas pu faire leurs découvertes aujourd'hui dans le contexte de l'évaluation de la recherche.
Je veux faire trois recommandations pour améliorer l'excellence en recherche au Canada.
La première est quand même assez compliquée, mais je crois que c'est faisable. Il s'agirait de permettre aux organismes de financement d'expérimenter l'évaluation par les pairs. On est conscient que l'évaluation par les pairs est imparfaite, mais bon nombre de pays l'expérimentent, notamment la Suisse, la Norvège et le Royaume‑Uni. On ne peut pas dire que ce sont des pays qui sont en retard sur le plan scientifique. Il y a donc des pays qui ont pris le taureau par les cornes, qui ont pris conscience des préjugés actuellement associés à l'évaluation de la recherche et qui se sont dit qu'on devait essayer de trouver de nouvelles façons de favoriser l'excellence. Comme le dit mon collègue Julien Larrègue, il serait important que les résultats de ces expérimentations soient disponibles pour la communauté des experts.
La deuxième recommandation est un peu liée à ce que ma collègue Mme Cobey a dit à propos de la question du CV, qui est évalué par les différents comités. Récemment, on a mis en place le CV narratif, ce qui me semble a priori une bonne idée, mais la façon dont ce CV va être interprété n'est pas tout à fait claire. En effet, il va aussi être interprété selon son volume. Dernièrement, j'ai eu un CV narratif de sept pages qui était plus long que la demande elle-même. On n'a absolument aucune idée de la façon dont les comités vont évaluer ça. Il faut réfléchir à cette question. Certains pays ont mis en place l'exigence de CV courts, de deux pages, qui ne mettent pas l'accent sur le volume de publication et qui permettent de montrer les publications les plus pertinentes pour le projet.
La troisième recommandation porte toujours sur la question des indicateurs. Au Canada, dans la plupart des cas, il n'y a pas de demande explicite de fournir des indicateurs pour les évaluations. Cependant, durant l'évaluation, les membres d'un comité vont souvent sortir des indicateurs de leur chapeau. Évidemment, les comités sont souvent souverains et il n'y a donc pas grand-chose qu'on puisse faire. Je crois qu'on doit prohiber l'utilisation de ces indicateurs dans les comités d'évaluation des organismes subventionnaires. Il s'agit non seulement de ne pas les pousser, mais aussi de dire aux comités que tout ça est à l'extérieur du périmètre d'évaluation.
Je vous remercie et je répondrai à vos questions avec plaisir.
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais dire rapidement que je vais poser une question, puis je céderai le reste de mon temps de parole à ma collègue, Mme DeRidder. Elle a quelques questions à poser.
J'aimerais m'adresser à Mme Cobey et à M. Larivière.
Monsieur Larivière, vous avez souligné un point qui m'a frappé, soit l'absence de consensus sur ce qui constitue l'excellence en recherche.
Madame Cobey, vous avez parlé de la DORA et de l'abandon des mesures quantitatives au profit des mesures qualitatives, par exemple. Les principes de la DORA ont été acceptés par les trois organismes subventionnaires fédéraux, mais j'ai lu dans les documents d'information qui nous ont été fournis que seulement neuf universités ont accepté ces principes. Pourquoi pensez-vous que l'adhésion aux principes de la DORA est limitée? Qu'est‑ce qui empêche les autres de les accepter?
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Je pense que c'est une bonne question. Pour ce qui est d'une collaboration significative dans l'ensemble du secteur, je dirais qu'à l'heure actuelle, nous avons des politiques scientifiques qui, à mon avis, favorisent cela, comme l'initiative de la science ouverte. Par exemple, si le gouvernement fédéral s'est fixé un objectif en matière d'innovation en intelligence artificielle, il faut une solide gestion des données de recherche. On est en train de mettre en œuvre une politique à cet égard, qui vise l'élaboration de plans de gestion des données en amont de la recherche de sorte qu'à la fin de la recherche, nous puissions avoir des données à communiquer, à mettre à profit et à utiliser à des fins d'innovation. Les politiques et la vision existent, mais on n'offre pas d'incitatifs ni de récompenses pour amener les chercheurs à les mettre en oeuvre.
Par exemple, dans mon établissement et dans d'autres au pays, les chercheurs n'ont pas les compétences et les connaissances pratiques nécessaires pour obtenir le consentement, dépersonnaliser leurs données et les préparer en fonction de cet objectif axé sur la mission qu'est l'innovation en intelligence artificielle. À mon avis, comme nous n'avons pas ces compétences, en tant que chercheurs, nous devons les acquérir. Pour ce faire, nous devons avoir l'assurance que nous pouvons nous concentrer sur l'acquisition de ces compétences et l'obtention de la formation nécessaire, et que ce travail sera valorisé. Il ne s'agit pas seulement de produire plus; il s'agit aussi de prendre le temps de nous perfectionner afin que nos données puissent être utilisées dans le cadre de collaborations, et non seulement de la seule façon dont nous envisageons leur usage.
Je pense, notamment, qu'il doit y avoir davantage de consultations régulières entre, disons, les trois organismes, le gouvernement et les chercheurs dans les établissements. Il y a un certain cloisonnement, à mon avis, en ce qui concerne la façon dont les messages et les politiques des bailleurs de fonds fédéraux se traduisent dans les établissements. Les trois organismes disent peut-être qu'ils ont signé la DORA et qu'ils accordent de l'importance à un large éventail de retombées, y compris celles de la recherche axée sur la collectivité et ce genre de choses, mais si les établissements ne véhiculent pas le même message, il y a un certain décalage.
J'ai l'impression que les chercheurs sont souvent pris entre deux systèmes à l'échelle fédérale. Les bailleurs de fonds fédéraux nous parlent de l'ÉDI, de la science ouverte et d'excellence, mais bon nombre de nos établissements se concentrent encore sur les indicateurs quantitatifs. Cela entraîne un dédoublement des efforts pour nous, les chercheurs.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci à nos témoins.
L'objectif de notre comité est de formuler des recommandations, comme vous l'avez fait tous les trois, sur le type de critères d'évaluation à utiliser pour l'attribution des fonds fédéraux par l'entremise des trois organismes. Je faisais partie du Comité lorsqu'il a étudié cette question au cours de la législature précédente. Nous avons entendu un certain nombre d'idées.
Madame Cobey, vous avez parlé du principe voulant qu'il faut publier à tout prix. L'une des idées que nous avons entendues, c'est que les demandes ne devraient pas comporter l'identité du demandeur. Autrement dit, ce biais potentiel serait éliminé, et l'évaluation se ferait simplement en fonction de la qualité du projet de recherche proposé. Cela ferait peut-être partie d'un examen par étapes de la demande. Autrement dit, une fois que les différents projets auraient été jugés excellents, on pourrait procéder à une évaluation de l'équipe. Puisque nous nous intéressons tellement aux critères d'évaluation d'ÉDI, cela pourrait peut-être faire partie de la deuxième étape. On pourrait évaluer la formation des chercheurs, etc.
J'aimerais vous entendre sur la façon dont, très concrètement, on pourrait éliminer certains des biais potentiels qui existent depuis longtemps à l'échelle institutionnelle.
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Madame la présidente, je remercie la députée pour sa question.
Vous soulevez des problèmes dans la façon dont l'examen par les pairs peut se faire au sein de comités d'octroi de subventions et vous mentionnez des changements potentiels. Je suis d'accord avec votre suggestion. Je pense qu'une évaluation en aveugle par les pairs au sein de ces comités pourrait aider à régler certains de ces problèmes et qu'il y aurait lieu de sélectionner les projets d'excellence à la deuxième étape, sans que cela se fasse en aveugle.
J'encourage le Comité à envisager de rendre l'examen par les pairs plus ouvert, de façon générale. Même si l'examen par les pairs se fait en aveugle au départ, je pense qu'à la dernière étape, une fois la sélection terminée, il serait extrêmement utile d'ouvrir la boîte noire qu'est le processus d'examen par les pairs au pays pour l'octroi du financement fédéral et de rendre les rapports d'examen par les pairs aussi accessibles que possible. Parfois, il y a des secrets commerciaux ou d'autres aspects qui ne doivent pas être révélés, mais, à mon avis, pour améliorer le système, nous devons savoir comment il fonctionne et nous devons faire des recherches actives, ou des métarecherches, sur le processus d'examen par les pairs pour l'améliorer. Nous ne voulons pas passer d'un système qui ne fonctionne manifestement pas à un autre système qui, selon nous, pourrait mieux fonctionner sans en avoir réellement la preuve. En tant que chercheuse, je pense que nous avons besoin de recherches, de métarecherches, pour montrer que les objectifs de changement du processus d'examen par les pairs et de la sélection en fonction de l'excellence sont atteints. À l'heure actuelle, dans l'ensemble, je dirais qu'il y a très peu de surveillance des politiques et des pratiques.
À l'heure actuelle, au Canada, dans la grande majorité des cas, une fois le financement obtenu, aucune surveillance n'est effectuée jusqu'au rapport final. Dans d'autres administrations, des agents des subventions sont affectés aux projets financés pour s'assurer que certains jalons sont atteints et que les résultats globaux sont livrés.
Je vais utiliser, dans mon domaine d'expertise, le concept de la science ouverte. Par exemple, en ce qui concerne les essais cliniques, il existe une politique fédérale exigeant que ces essais soient enregistrés prospectivement dans un registre approprié. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne les métarecherches.
Conformément à cette politique, nous devons veiller, lorsqu'un essai bénéficie d'un financement, à ce que cet essai soit bel et bien enregistré et à ce que les résultats soient ensuite communiqués entièrement. Nous savons, grâce à un audit que nous avons effectué, que les résultats d'environ la moitié des essais menés au pays ne sont jamais publiés dans un registre public ou même dans une publication évaluée par les pairs. Cela dénote une inefficacité. Il faut exercer une surveillance pour s'assurer que nos politiques scientifiques fondamentales — qui sont très solides et que nous ne cessons de renforcer — soient mises en œuvre sur le terrain.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins de leur présence.
Professeur Larivière, dans vos travaux, vous avez démontré que le regroupement des 15 grandes universités de recherche du Canada, ou U15 Canada, reçoit environ 80 % des fonds de financement de la recherche au Canada depuis les 20 dernières années. Dans ce regroupement, cinq universités en particulier captent près de la moitié de ce montant.
Est-ce que ce critère d'allocation fédérale favorise réellement l'excellence ou entretient-il plutôt une concentration qui perpétue le prestige institutionnel sans améliorer la production scientifique?
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C'est évidemment une question complexe et il est difficile de trouver des relations de cause à effet dans tout ça.
Cependant, il y a un phénomène bien connu en sociologie des sciences, qui s'appelle l'effet Matthieu. En gros, les scientifiques ou les établissements qui ont le plus de capital symbolique et de prestige en recevront encore plus, indépendamment de la qualité intrinsèque de tout ça. Si deux scientifiques trouvent la même chose en même temps, en toute probabilité, on attribuera la découverte à celui qui a déjà énormément de capital. On sait que ça fait partie des effets, disons, naturels du système scientifique, à savoir de donner plus à ceux qui en ont déjà.
Évidemment, si on base le financement futur sur le financement passé, ça amène la concentration des fonds, en grande partie entre les mains des chercheurs qui sont affiliés à U15 Canada.
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Effectivement, c'est ce que les données montrent: le coût par article est plus élevé dans les grandes universités. En bon scientifique, encore faut-il douter des données. On essaie donc de trouver les causes de tout ça. Je ne peux pas dire que c'est ce que ça montre, mais les données montrent que ça coûte assurément plus cher.
En étant charitable, on sait que les grandes universités collaborent beaucoup avec les petites. En toute probabilité, on pourrait dire qu'il y a des effets d'entraînement qui touchent les plus petites universités. Ça prendrait plus de recherches à ce sujet. Ça rejoint ce que ma collègue a dit: on a besoin de données sur le système de la recherche.
Ce que nous voulons faire dans nos laboratoires, c'est trouver une façon de la financer. Il faudrait, entre autres, créer des politiques publiques qui financeraient la recherche de façon plus juste, qui généreraient le plus de bénéfices collectifs. Pour ça, on a besoin que les organismes subventionnaires s'échangent leurs données.
Un peu plus tôt, vous avez évoqué le fait que les comités d'évaluation par les pairs peuvent utiliser comme critères d'excellence des indicateurs bibliométriques — vous avez dit tout à l'heure « sortir des indicateurs de leur chapeau » —, comme des citations, des facteurs d'impact, l'indice h et les volumes de publication. Or vos recherches montrent qu'ils favorisent certaines disciplines, mais aussi les publications scientifiques de langue anglaise, au détriment des sciences humaines, des francophones et des chercheurs émergents.
Ces critères reflètent-ils vraiment l'excellence ou introduisent-ils plutôt de nouveaux biais dans le financement de la recherche?
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens à remercier les témoins. Je remercie également les députés d'en face.
Puisque notre comité s'intéresse au financement fédéral pour l'excellence en matière de recherche et d'enseignement universitaire, mes questions se concentreront sur le bénéficiaire qui devrait recevoir la subvention et sur la façon de mieux utiliser cette subvention. Je vais d'abord aborder la question de la diversité, de l'équité et de l'inclusion, dont on a beaucoup parlé au cours de cette séance.
Ma question s'adresse à Mme Karram.
Dans votre témoignage, vous avez dit que l'atteinte d'un équilibre est un élément important que nous devons garder à l'esprit lorsqu'il s'agit du financement fédéral. Voici ma question. Le principe de diversité, d'équité et d'inclusion est une condition obligatoire imposée par le gouvernement aux établissements d'enseignement. Selon vous, comment peut‑on trouver un équilibre dans le cas des chercheurs qui ne souhaitent pas divulguer cette information? S'ils divulguent cette information, ils risquent de ne pas obtenir le financement voulu ou de ne pas voir leur demande approuvée. Que feriez-vous dans une telle situation?
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Des années de recherche montrent que le nom qui figure sur les curriculum vitae, par exemple, influence les décisions d'embauche… Ce phénomène est bien documenté en sociologie. Des processus tels que l'examen par les pairs à double insu, par exemple, peuvent représenter un moyen d'évaluer la recherche sans tenir compte des critères en matière de diversité, d'équité et d'inclusion.
Nous avons également un très bon système de catégorisation pour les chercheurs en début de carrière. Lorsqu'une personne indique qu'elle est chercheuse en début de carrière, elle est placée dans un groupe particulier qui lui permet d'être évaluée en conséquence. Pourquoi ne pas créer certains groupes pour les personnes qui souhaitent être évaluées en fonction du mérite et pour celles qui indiquent faire partie d'un groupe qui a toujours été marginalisé dans le milieu universitaire, et dont le manque de ressources l'a obligée à fréquenter un petit établissement, ce qui signifie qu'elle n'a pas les ressources institutionnelles nécessaires pour concrétiser ses excellentes idées de recherche?
Lorsque je dis que nous allons financer les infrastructures de recherche… Je travaille dans une université où l'on m'accompagne depuis la conception de mes idées de recherche jusqu'au moment où j'envoie ma demande de subvention au CRSH. Je peux compter sur une communauté robuste dotée de services adéquats pour m'aider, et nous voulons nous assurer d'offrir l'accès à ces services aux personnes qui n'y ont pas accès en ce moment.
Si nous savons, en consultant leur dossier, que ces personnes appartiennent à l'un de ces groupes et qu'elles ont pu fournir les raisons pour lesquelles elles ont été exclues de la communauté de recherche, nous voulons les intégrer, car ces recherches qui sont négligées font prendre du retard au Canada. En effet, nous savons que la collaboration internationale permet d'accroître le nombre de publications. Les personnes qui ont des liens naturels avec d'autres parties du monde, car ce sont des Canadiennes de première génération dans le milieu universitaire ou parce qu'elles sont venues ici avec un doctorat obtenu ailleurs, représentent un atout considérable pour la main-d'œuvre canadienne, mais nous passons à côté.
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L'affiliation politique est une préoccupation sérieuse en ce moment, mais de nombreux autres indicateurs et facteurs nous permettent d'identifier les différents groupes. Nous sommes des spécialistes en sciences sociales et nous pouvons donc créer des indicateurs fiables et les utiliser adéquatement. Il est possible de créer des critères de sélection efficaces qui nous permettent de protéger les affiliations politiques des gens — il y a de nombreux enjeux délicats sur le plan politique à l'heure actuelle —, mais qui, en même temps, nous permettent d'identifier les Canadiens de première génération et ceux qui appartiennent à des groupes qui ne sont pas bien représentés dans les milieux universitaires et leur dire que ces facteurs donneront la priorité à leur recherche pour que ces questions importantes puissent être étudiées.
Si nos systèmes de candidature sont si limités qu'ils soulèvent des inquiétudes chez nos chercheurs, nous devons les réévaluer. S'agit‑il seulement de la question de la diversité, de l'équité et de l'inclusion ou est‑ce que nous ne disposons pas d'un système robuste de liberté en matière de recherche qui protège l'ensemble des universitaires ?
Je pense que nous devons nous assurer que les personnes qui arrivent avec des compétences élevées… Les limites de la transition vers le Canada et vers l'emploi dans le domaine médical sont bien documentées, mais nous voulons faire la même chose pour nos titulaires de doctorat dans tous les domaines, afin de nous assurer que nous offrons des programmes qui ne sont pas axés sur la diversité, l'équité et l'inclusion uniquement pour les apparences ou pour des raisons symboliques, mais qui nous permettent d'accueillir des personnes compétentes en les aidant à transférer leurs compétences au Canada.
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Merci, madame la présidente.
Nous considérons que la recherche commence au moment où on lance l'expérience et qu'elle se termine à la fin de l'expérience. Cependant, il se passe beaucoup de choses avant et après.
En ce qui concerne les critères de financement de la recherche — qui sont en fait à l'origine de notre étude et qui expliquent pourquoi nous vous avons invités ici —, j'ai entendu des observations très intéressantes. J'espère que vous pourrez nous en dire plus sur la mobilisation et l'utilisation des connaissances et sur la nécessité ou non de les inclure dans les critères d'attribution du financement de la recherche.
Commençons par vous, madame Cobey.
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Lorsqu'il s'agit de la recherche extraordinaire qui est réalisée dans nos collèges, qu'il faut financer davantage, dans le cadre de travaux de recherche appliquée, on examine comment l'apprentissage intégré au travail, par exemple, permet d'élaborer des programmes d'études. Le passage des études postsecondaires au marché du travail est alors beaucoup plus rapide. C'est vraiment important.
Lorsque des personnes qui ont travaillé ailleurs dans le monde sont présentes à la table, elles commencent à créer des réseaux. À l'heure actuelle, il existe des programmes formidables dans quelques-uns de nos collèges communautaires, dans lesquels nous établissons des liens avec des établissements d'autres pays. Le Canada joue un rôle à la fois dans le développement et dans l'apprentissage en observant comment les endroits qui offrent une formation technique solide peuvent évoluer.
La mise en commun des pratiques exemplaires à l'échelle internationale est l'un des moyens les plus efficaces d'améliorer le secteur postsecondaire, qui, encore une fois, est au cœur de la recherche. Il y a des problèmes lorsque nous avons des personnes qui n'ont travaillé que dans une petite communauté, là où elles se trouvent. Elles ont fait du bon travail, mais elles n'ont pas pris en compte les diverses voix, par exemple celles des étudiants étrangers...
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Merci, madame la présidente.
Ma prochaine question s'adresse à Mme Cobey.
Tout à l'heure, vous avez mentionné que l'application de la Déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche, ou DORA, était assez robuste. Or les trois organismes subventionnaires ont mis six ans avant d'appliquer la DORA.
Après un tel retard de six ans, comment pouvez-vous dire que l'application est assez robuste? À mon avis, il s'agit plutôt d'un manque de leadership ou de vision. De plus, pouvez-vous nous confirmer combien d'universités au Canada ont signé la DORA?
C'est ainsi que se termine la série de questions.
Je remercie tous les témoins de leur participation à la réunion d'aujourd'hui et de leurs témoignages importants. Si vous souhaitez porter à l'attention des membres du Comité des éléments dont vous n'avez pas pu parler en raison du temps limité, vous pouvez toujours envoyer des mémoires au greffier du Comité. Une fois que vous l'aurez fait, ces mémoires seront distribués à tous les membres du Comité et seront pris en considération au moment de la rédaction du rapport.
Je tiens vraiment à remercier tous les témoins.
Ai‑je le consentement des membres du Comité pour lever la séance?
Des députés: Oui.
La présidente: D'accord. La séance est levée.