La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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3. Les privilèges et immunités

La procédure relative aux questions de privilège

La Chambre des communes est sans aucun doute la plus importante institution laïque au Canada. Chacune des deux chambres du Parlement est une sorte de « cour » qui exerce un pouvoir juridictionnel sur les questions concernant ses propres privilèges, sa dignité et les privilèges de ses membres. Par conséquent, toute question de « privilège » posée dans une des chambres a théoriquement pour objet la sauvegarde du respect et de la crédibilité qui lui sont dus en ce qui concerne ses privilèges, la confirmation de ses pouvoirs et l’application des privilèges de ses membres. C’est pourquoi la véritable question de privilège est une procédure sérieuse qui ne doit pas être traitée à la légère et dont on ne doit saisir la Chambre des communes qu’en de rares occasions [316] .

Un député qui estime qu’il y a eu violation de privilège ou qu’un outrage a été commis peut en saisir la Chambre en soulevant une « question de privilège ». La procédure à suivre pour poser une question de privilège est régie à la fois par le Règlement et par les usages parlementaires. C’est à la Chambre qu’il incombe de déterminer s’il y a matière à question de privilège. La décision que prend la Chambre sur une question de privilège, comme sur toute autre question sur laquelle elle doit se prononcer, n’est connue qu’une fois que la question, nécessairement formulée sous forme de motion présentée par un député, a été mise aux voix par le Président de son fauteuil et a été adoptée ou rejetée.

Dans cette section, nous décrirons la manière dont la Chambre traite ces questions [317]  (voir la figure 3.1 à la fin de ce chapitre, où l’on décrit le cheminement d’une question de privilège depuis le moment où elle est soulevée jusqu’à ce qu’elle soit résolue).

Façon de soulever une question de privilège

On attache une grande importance aux allégations d’atteinte au privilège parlementaire. Un député qui désire soulever une question de privilège à la Chambre doit d’abord convaincre la présidence que de prime abord, sa préoccupation peut faire l’objet d’une question de privilège. Le rôle du Président se limite à décider si la question qu’a soulevée le député est de nature à autoriser celui-ci à proposer une motion qui aura priorité sur toute autre affaire à l’ordre du jour de la Chambre, autrement dit, que le Président pourra considérer de prime abord comme une question de privilège. Le cas échéant, la Chambre devra immédiatement prendre la question en considération [318] . C’est finalement la Chambre qui établira s’il y a eu atteinte au privilège ou outrage.

Une question de privilège peut également être soulevée dans le cours des travaux d’un comité permanent, spécial, législatif ou mixte, ou encore d’un comité plénier de la Chambre. La procédure qui s’applique alors diffère toutefois de la procédure générale que suit la Chambre dans ce genre de situation.

Si un député croit qu’il y a eu atteinte au privilège ou outrage, mais que la question ne mérite pas d’être débattue en priorité, il peut recourir à un autre moyen pour saisir la Chambre de l’affaire. Il peut faire inscrire un avis de motion au Feuilleton des Avis.

À la Chambre

Une plainte sur une question de privilège doit satisfaire à deux conditions pour qu’on puisse l’examiner en priorité sur toute affaire inscrite à l’Ordre du jour. Le Président doit être convaincu, premièrement, qu’il y a eu de prime abord atteinte à un privilège et, deuxièmement, que la question a été soulevée à la première occasion. Si le Président estime que ces deux conditions ont été remplies, il informe la Chambre qu’à son avis, la question peut être traitée avant de passer aux avis de motions et aux affaires de l’Ordre du jour inscrites au Feuilleton. La décision du Président ne va pas jusqu’à déterminer s’il y a eu effectivement atteinte à un privilège, car seule la Chambre est habilitée à en décider.

Moment de soulever la question et avis à donner

Une question de privilège découlant des délibérations de la séance en cours peut être soulevée sur-le-champ sans préavis. Les Présidents ont toutefois généralement refusé d’accueillir les questions de privilège soulevées pendant les périodes réservées aux Déclarations de députés et à la Période des questions [319] , de même que pendant le processus de la sanction royale [320] , le Débat sur la motion d’ajournement [321]  et la tenue d’un vote [322] . Dans ces circonstances, la question de privilège peut être soulevée le jour même à la fin de la période consacrée à ces travaux [323] , sauf dans le cas du Débat sur la motion d’ajournement, où la question de privilège ne peut être soulevée qu’à la séance suivante, après signification du préavis approprié au Président [324] .

Un député qui veut soulever une question de privilège sur un sujet qui ne découle pas des délibérations de la séance en cours doit en donner avis avant de porter la question à l’attention de la Chambre. Il doit faire transmettre un avis écrit en ce sens au Président au moins une heure avant de soulever sa question de privilège à la Chambre. Sans ce préavis, le Président ne l’y autorisera pas [325] . La présidence a généralement considéré qu’un préavis verbal n’était ni nécessaire ni suffisant [326] . Des moments précis sont prévus pour soulever une question de privilège précédée d’un avis écrit, à savoir à l’ouverture d’une séance, après les Affaires courantes mais avant de passer à l’Ordre du jour, immédiatement après la Période des questions, et à l’occasion, durant un débat.

L’avis au Président doit contenir les quatre éléments suivants :

  1. Il doit indiquer que le député écrit au Président pour lui faire part de son intention de soulever une question de privilège;
  2. Il doit mentionner que la question est soulevée à la première occasion [327] ;
  3. Il doit exposer l’essentiel des faits relatifs à la question de privilège que le député entend soulever [328] ;
  4. Il doit inclure le texte de la motion que le député doit être prêt à proposer à la Chambre si le Président juge que la question est fondée de prime abord.

En exposant à la présidence le contexte dans lequel se situe la question de privilège et les mesures à prendre pour remédier au problème, le député aidera le Président à aborder la question d’une manière éclairée et expéditive. Le fait d’inclure le texte de la motion proposée permet au Président de suggérer les modifications qui s’imposent pour éviter tout vice de procédure que pourrait comporter le libellé; autrement, le député pourrait se voir empêché de proposer sa motion ou forcé de la reporter, si jamais le Président jugeait que la question de privilège est fondée de prime abord [329] .

La question doit être soulevée à la première occasion

La question de privilège dont sera saisie la Chambre doit porter sur un événement survenu récemment et requérir l’attention immédiate de la Chambre. Le député devra donc convaincre le Président que la question a été soulevée à la première occasion. Les fois où des députés n’ont pas respecté cette importante exigence, la présidence a généralement statué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord [330] . Dans les cas où la question de privilège concerne plus d’un député, le Président peut reporter la présentation des arguments jusqu’à ce que tous les députés visés puissent être présents à la Chambre [331] .

Avis multiples

Si le Président reçoit plus d’un avis de la même question de privilège, ou si plus d’un député demande la parole sur une question de privilège donnée, le Président déterminera l’ordre dans lequel les députés pourront intervenir [332] . En règle générale, le Président donnera la parole aux députés dans l’ordre où il a reçu les avis, ou encore au premier qui aura réussi à capter son attention. Si plus d’une question de privilège est soulevée, le Président n’en examinera qu’une à la fois.

Examen initial de la question soulevée

Un député qui est autorisé à soulever une question de privilège doit exposer brièvement et de manière concise les faits qui sont à l’origine de sa question de privilège et dire pourquoi la Chambre devrait examiner sa plainte en priorité sur tous autres travaux de la Chambre [333] . En règle générale, le député s’efforcera de renvoyer la présidence aux articles du Règlement et cas de jurisprudence pertinents et de citer des passages d’ouvrages de procédure parlementaire qui font autorité. Il devra en outre démontrer que la question a été portée à l’attention de la Chambre à la première occasion. Enfin, il suggérera les mesures que la Chambre devrait prendre pour remédier à la situation et, si la présidence juge qu’il s’agit d’une question de privilège fondée de prime abord, il indiquera qu’il est prêt à proposer la motion appropriée [334] .

Le Président entendra l’exposé du député et permettra parfois à d’autres députés directement impliqués d’intervenir. Il pourra aussi, à sa discrétion, demander l’avis d’autres députés pour l’aider à déterminer s’il y a de prime abord matière à soulever une question de privilège qui mériterait qu’on lui accorde la priorité sur tous autres travaux de la Chambre. Une fois satisfait, le Président mettra fin à l’examen initial de la question [335] .

C’est à la présidence et à elle seule qu’il incombe de décider si la question de privilège est fondée de prime abord. Sauf dans les cas où sa décision coule de source, il pourra prendre la question en delibéré pour pouvoir rendre un jugement motivé. Les fois où la question de privilège exigeait une décision immédiate de la présidence, le Président a parfois, sans que personne ne s’y oppose, suspendu brièvement la séance pour délibérer sur la question, puis est revenu à la Chambre pour annoncer sa décision [336] . En délibérant sur la question, la présidence prendra en considération dans quelle mesure l’atteinte au privilège a gêné le député dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires ou semble avoir fait outrage à la dignité du Parlement.

Si le Président est convaincu que les conditions requises sont remplies et estime qu’il y a de prime abord atteinte à un privilège ou outrage, il informe la Chambre de sa décision, et le député qui a soulevé la question est dès lors autorisé à présenter une motion en conséquence.

Dans la grande majorité des cas, la présidence établit qu’il n’y a pas de prime abord matière à soulever la question de privilège. En informant la Chambre d’une telle décision, elle explique habituellement (souvent de façon assez détaillée) les facteurs qui l’ont amenée à arriver à cette conclusion. Fréquemment, dans de tels cas, elle reconnaîtra l’existence d’un grief légitime et il lui arrivera parfois de recommander des mesures propres à redresser la situation [337] . Si le Président décide que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord, l’affaire est close. Cependant, si de nouveaux faits viennent à être découverts par la suite, le député qui a initialement soulevé la question de privilège, ou tout autre député, peut la soulever à nouveau [338] .

Débat sur une motion de privilège

Une fois que le Président a décidé que de prime abord la question de privilège était fondée, il incombe au député qui l’a soulevée de proposer la motion appropriée [339] , qui, comme toute autre motion, doit être appuyée. Il arrivera parfois que le député propose une motion immédiatement après avoir présenté ses arguments en soulevant initialement la question de privilège. Le Président peut alors, au besoin, informer le député de la forme dans laquelle la motion doit être présentée [340] . Lorsque la teneur de la motion n’est pas connue à l’avance, le Président peut aider le député à la reformuler si son contenu diffère substantiellement de celui que le député avait initialement prévu [341] . La présidence hésiterait à permettre qu’une affaire aussi importante qu’une motion de privilège soit refusée pour un simple vice de forme [342] . Au Parlement canadien, l’usage veut qu’il soit généralement mentionné dans ce genre de motion que la question est renvoyée pour étude à un comité, ou que la motion initialement présentée soit modifiée de manière à prévoir un tel renvoi [343] .

Une fois que la motion a été proposée à la Chambre en bonne et due forme, elle est soumise à toutes les procédures et usages relatifs au débat d’une motion de fond. Les discours ne doivent pas durer plus de 20 minutes et ils sont suivis d’une période de questions et observations d’au plus 10 minutes [344] . Seuls le premier ministre et le chef de l’Opposition bénéficient alors d’un temps de parole illimité (sans période de questions et observations). Les députés doivent suivre les règles les obligeant à tenir des propos pertinents et à éviter de se répéter inutilement, et le Président doit s’assurer que la discussion ne s’éloigne pas du sujet sur lequel porte la motion.

Quand la motion à l’étude concerne la conduite d’un député, ce dernier peut faire une déclaration pour s’expliquer, mais il doit ensuite se retirer de la Chambre [345] . Par le passé, la présidence a interprété le mot « conduite » comme s’entendant d’actes qui, s’il est confirmé qu’ils ont été commis, peuvent entraîner l’expulsion du député au motif qu’il n’est pas apte à être membre de la Chambre, plutôt que d’actes qui pourraient simplement amener le Président à « désigner le député par son nom » [346] . Il ne s’est toutefois pas toujours avéré qu’un député dont la conduite faisait l’objet d’un débat à la Chambre ait été contraint de se retirer dans ces circonstances [347] . Il peut parfois arriver qu’un député soit autorisé à retourner à la Chambre pour clarifier ou expliquer des faits.

Une fois mise en délibération, la motion de privilège a priorité sur tout point à l’Ordre du jour, y compris sur les Ordres émanant du gouvernement et les Affaires émanant des députés, mais non sur les Affaires courantes, les Déclarations de députés, la Période des questions, la sanction royale et l’ajournement de la Chambre [348] .

La Chambre peut modifier une motion de privilège dont elle est saisie, même si l’amendement devait se traduire par un libellé différent de celui initialement accepté par le Président et proposé à la Chambre [349] .

Durant les délibérations sur une motion de privilège, les motions d’ajournement du débat, d’ajournement de la Chambre, ou portant retour à l’Ordre du jour sont recevables [350] , au même titre que les motions visant à poser la question préalable (« que cette question soit maintenant mise aux voix »), à obtenir le prolongement d’une séance, ou à donner la parole à un député (« qu’un député soit maintenant entendu »). Toutefois, en cas de rejet de la question préalable ou d’adoption d’une motion demandant le retour à l’Ordre du jour, la motion de privilège est remplacée et rayée du Feuilleton. Un ministre peut également proposer la clôture du débat sur la motion de privilège [351] .

Si le débat sur la motion de privilège n’est pas terminé au moment de l’ajournement, la question aura alors priorité sur tous les autres points à l’ordre du jour à la séance suivante et figurera au Feuilleton avant toute autre affaire à l’Ordre du jour [352] .

À l’issue du débat sur la motion, le Président met la question aux voix. Si la motion est adoptée, on donne suite aux instructions qu’elle contient. Si elle est rejetée, le débat sur la question est clos [353] .

En comité permanent, spécial, législatif ou mixte

Puisque la Chambre n’a pas donné à ses comités le pouvoir de réprimer eux-mêmes l’inconduite, l’atteinte aux privilèges et l’outrage, les comités ne peuvent se prononcer sur ces questions; ils ne sont habilités qu’à en faire rapport à la Chambre. Seule la Chambre peut établir si une infraction a été commise [354] . La présidence a toujours eu pour politique, sauf dans des circonstances extrêmement graves, de n’accueillir des questions de privilège découlant de délibérations de comités que sur présentation, par le comité visé, d’un rapport traitant directement de la question et non lorsqu’elles étaient soulevées à la Chambre par un député [355] . La plupart des incidents signalés dans le passé par les comités avaient trait à la conduite de députés, de témoins ou du public. Les comités ont eu l’occasion de faire rapport à la Chambre du refus de témoins de comparaître lorsqu’on les y avait convoqués [356] ; du refus de témoins de répondre à des questions [357] ; du refus de témoins de fournir des documents ou des dossiers [358] ; du refus de certaines personnes d’obéir aux ordres d’un comité [359] ; et de la divulgation de faits survenus durant une séance à huis clos [360] . Les comités peuvent également faire rapport de cas d’outrage, par exemple de comportement irrespectueux à l’endroit de l’autorité ou des activités d’un comité, d’intimidation de députés ou de témoins, de refus de témoins de prêter serment ou de mensonge de la part de témoins devant un comité.

Contrairement au Président de la Chambre, le président d’un comité n’a pas le pouvoir de réprimer le désordre ou de statuer sur des questions de privilège. Si un député veut soulever une question de privilège au cours des délibérations d’un comité ou s’il survient en comité un incident qui s’apparente à une violation de privilège ou à un outrage, le président du comité permettra au député d’intervenir pour soulever la question de privilège, ou, dans le cas d’un incident, suggérera que le comité examine la question. Un président de comité n’est toutefois pas habilité à se prononcer sur la question de savoir s’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage [361] . Le rôle d’un président de comité, dans ces circonstances, consiste à déterminer si la question soulevée touche bel et bien au privilège parlementaire ou s’il s’agit plutôt d’un rappel au Règlement, d’un grief ou d’une question devant faire l’objet d’un débat. S’il est d’avis que l’intervention du député a trait à un rappel au Règlement, à un grief ou à une question devant faire l’objet d’un débat, ou que l’incident relève de la compétence du comité, il peut prendre une décision en conséquence, en la motivant. Le comité ne peut alors traiter l’affaire plus avant comme s’il s’agissait d’une question de privilège. Un député qui serait en désaccord avec la décision du président pourrait en appeler au comité, qui maintiendrait ou renverserait la décision du président.

Si le président du comité estime que la question concerne un privilège (ou si sa décision affirmant qu’il n’y a pas matière à privilège est renversée en appel), le comité peut alors envisager de présenter un rapport à la Chambre sur la question [362] . Le président du comité recevra alors une motion qui constituera le texte du rapport. On devra y exposer clairement la situation, résumer les faits, nommer les personnes en cause, indiquer qu’il pourrait y avoir atteinte au privilège ou outrage, et demander à la Chambre de prendre les mesures qui s’imposent [363] . La motion peut être débattue et modifiée, et le comité devra l’étudier en priorité. Si le comité décide qu’il y a effectivement lieu de faire rapport de la question à la Chambre, il adoptera le rapport, qu’il présentera à la Chambre au moment prévu au cours des Affaires courantes ordinaires.

Dès que le rapport lui aura été présenté, la Chambre sera officiellement saisie de la question [364] . Après avoir transmis l’avis approprié [365] , tout député pourra ensuite soulever une question de privilège à ce sujet. Le Président accueillera la question et pourra entendre d’autres députés, avant de décider si de prime abord les allégations constituent matière à question de privilège. Comme le Président Fraser l’a noté en rendant une décision, « […] la présidence ne prononce pas de jugement sur cette question. Seule la Chambre peut le faire. La présidence se contente de décider en fonction des témoignages présentés si la question doit être abordée en priorité » [366] . Si le Président décide que la question de privilège est fondée de prime abord, la prochaine étape sera, pour le député qui a soulevé la question de privilège, de proposer une motion demandant à la Chambre de prendre les mesures qui s’imposent [367]. Si le Président juge que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord, elle n’aura pas priorité. Tout député pourra alors demander, au cours des Affaires courantes ordinaires, l’adoption du rapport du comité en suivant la procédure habituelle prévue pour tout rapport de comité [368].

En comité plénier

Compte tenu que la Chambre se forme rarement en comité plénier et que, lorsque cela se produit, les délibérations du comité plénier ne durent habituellement que quelques minutes, les questions de privilège n’y sont pas très fréquentes [369]. La procédure relative aux questions de privilège en comité plénier est pratiquement identique à celle qui s’applique dans un comité permanent, spécial ou législatif.

Quand la Chambre est réunie en comité plénier, un député ne peut soulever une question de privilège qu’à propos de faits qui se sont produits au comité. La question de privilège doit avoir trait aux délibérations du comité. Un député ne peut pas soulever une question de privilège concernant les privilèges de la Chambre en général ou des faits survenus ailleurs qu’à la Chambre. En comité plénier, un député qui veut soulever une question de privilège à propos de faits qui ne concernent pas le comité peut présenter une motion demandant que le comité lève la séance et fasse rapport du progrès de ses travaux, afin de permettre au Président d’entendre la question de privilège [370] . Si la motion est adoptée, le président du comité lèvera la séance et fera rapport au Président de la Chambre, qui accueillera ensuite la question du député [371] .

Si un député soulève une question de privilège qui a trait aux délibérations en cours au comité plénier, le président du comité l’entendra. Comme dans un comité permanent, spécial ou législatif, il incombe alors au président de déterminer si la question soulevée peut vraiment être considérée comme une question de privilège [372] . Encore là, il est possible d’en appeler de sa décision. Dans ce cas, l’appel n’est pas adressé au président du comité plénier, mais bien au Président de la Chambre [373] . Si la question soulevée par le député a trait à un privilège et à des faits survenus au comité plénier, le président du comité accueillera une motion portant qu’il soit fait rapport de ces faits à la Chambre. L’examen de cette motion, qui peut être débattue et modifiée, a dès lors priorité sur les autres travaux du comité. Si le comité accepte de faire rapport de la question, le président du comité lève la séance, le Président de la Chambre retourne au fauteuil et le président du comité présente son rapport [374] . Le texte du rapport à la Chambre doit inclure un résumé des faits, indiquer qu’il y a peut-être eu atteinte à un privilège et demander que le comité soit ensuite de nouveau formé pour poursuivre ses travaux [375] .

Ce n’est qu’après que le président du comité a fait rapport à la Chambre que cette dernière peut être dûment saisie de la question et que le Président peut l’accueillir. Un député doit alors soulever la question de privilège et présenter les faits au Président, qui peut également permettre à d’autres personnes d’intervenir. Une fois satisfait des arguments présentés, le Président déterminera si de prime abord il y a matière à soulever une question de privilège. Si la question de privilège est jugée fondée de prime abord, le député pourra présenter une motion traitant de l’affaire [376]. Si le Président estime que la question n’est pas fondée sur des présomptions suffisantes, la Chambre reprendra ses travaux. Au cours de la période réservée à l’examen des questions à l’Ordre du jour, la Chambre peut soit se former de nouveau en comité plénier pour reprendre l’étude de la question dont le comité avait été initialement saisi, soit passer à un autre point.

Le Président recevra une question de privilège concernant une affaire survenue en comité plénier seulement si le comité plénier en a déjà traité et s’il en a fait rapport à la Chambre [377] .

Au moyen d’un avis inscrit au Feuilleton

Si un député est convaincu qu’il y a eu atteinte à un privilège ou outrage, sans pour autant estimer que l’affaire devrait être traitée en priorité dans les débats, il peut, en utilisant un moyen auquel on a très rarement recours, faire publier un avis de motion dans le Feuilleton des Avis. Dans ce cas, à la fin du délai d’avis requis, la motion est inscrite au Feuilleton sous la rubrique appropriée. Une motion parrainée par un ministre doit être précédée d’un avis de 48 heures. La Chambre l’étudiera alors sous la rubrique des Ordres émanant du gouvernement [378] . Une motion parrainée par un député doit être annoncée au moyen d’un avis de deux semaines; elle sera placée sous la rubrique des Affaires émanant des députés [379] .

Toutefois, après l’expiration du délai d’avis prévu, le député parrain de la motion peut décider de demander que la motion soit débattue en priorité (par exemple, si de nouveaux faits surviennent). Il doit alors tenter de convaincre le Président que la question sur laquelle porte la motion devrait être considérée de prime abord comme une question de privilège. Dans ce cas, il devra aviser par écrit le Président au moins une heure à l’avance de son intention de soulever la question à la Chambre [380] .

Par le passé, il est arrivé à un certain nombre d’occasions que des députés choisissent de donner avis par écrit de leurs motions de privilège, notamment lorsque la question découlait d’incidents survenus à l’extérieur de la Chambre. En 1874, par exemple, une motion qui avait été précédée d’un avis écrit et qui n’était pas censée être soulevée un jour précis a été abordée avant son tour, déplaçant tous les autres points à l’ordre du jour [381] . Dans un cas similaire, en 1886, une motion avait pris le pas sur toutes les autres affaires à la demande du député visé dans la motion [382] . Il n’a toutefois pas toujours été aussi facile d’obtenir ce genre de traitement. Dans deux cas exceptionnels, en 1892, le Président a refusé d’accorder la priorité à des motions qui avaient été annoncées par des avis écrits, ayant jugé qu’il ne s’agissait pas vraiment de questions de privilège [383] . Par ailleurs, dans les cas où la motion comporte une accusation contre un député, l’étiquette exige que le parrain de la motion informe personnellement le député visé du moment où la motion sera présentée [384] .

On a continué de recourir à ces pratiques au vingtième siècle, et de donner avis, verbalement ou par écrit, même si on n’y était pas tenu, qu’on allait soulever une question de privilège. En 1911, par exemple, une question de privilège a été soulevée après qu’on en eut donné avis verbalement [385] , alors qu’en 1932, une motion concernant des accusations qui avaient été portées contre le premier ministre a été accueillie après qu’on en eut donné avis par écrit [386] . Il est également arrivé que des questions soient soulevées sans préavis aucun [387] .

À un moment donné, on a tenté de convaincre le Président de donner prioritairement suite à un avis de motion parce qu’il semblait y avoir eu atteinte à un privilège. En juin 1959, le chef de l’Opposition a donné avis d’une motion dans laquelle il s’élevait contre la conduite d’un député ministériel. Avant d’établir s’il y avait lieu de donner priorité à la question, le Président a demandé l’avis de la Chambre [388] . À l’issue d’une longue discussion, il a pu, en se fondant sur les critères établis peu avant pour guider la présidence concernant la façon de traiter les questions de privilège, en arriver à conclure que de prime abord, il ne semblait pas y avoir matière à question de privilège et que, par conséquent, il ne permettrait pas que les autres affaires à l’ordre du jour soient mises de côté pour débattre de la motion [389] . La motion est donc demeurée au Feuilleton, et la Chambre n’en a jamais été saisie.

Un avis de motion portant sur des allégations d’outrage à la Chambre a été inscrit au Feuilleton du 27 février 1996. Le texte de la motion, parrainée par Don Boudria (Glengarry–Prescott–Russell), accusait Ray Speaker (Lethbridge) d’avoir tenté de faire pression sur le Président pour l’inciter à donner au Parti réformiste le statut d’Opposition officielle. La motion disait en outre que la conduite du député portait outrage au Parlement, et elle exigeait que le Président réprimande le député de Lethbridge à la barre de la Chambre. La motion, qui avait été inscrite au Feuilleton sous la rubrique des Affaires émanant des députés [390] , a par la suite été choisie, après un tirage au sort le 4 mars 1996, comme motion pouvant faire l’objet d’un débat. Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre ne l’a toutefois pas retenue parmi celles qui pouvaient faire l’objet d’un vote.

Le 9 mai 1996, la veille du jour où la motion devait, selon l’ordre de priorité des Affaires émanant des députés, être mise en délibération, M. Speaker (Lethbridge) a invoqué le Règlement pour demander si on pouvait porter ainsi une accusation contre un député par la voie d’une motion ne pouvant faire l’objet d’un vote. Le Président suppléant a alors informé la Chambre que la motion ne serait pas mise en délibération le lendemain parce que M. Boudria ne pourrait être présent et qu’entre-temps la présidence prendrait en délibéré le rappel au Règlement [391] .

Le 18 juin 1996, le Président Parent a statué qu’aux termes des règles qui gouvernent les Affaires émanant des députés, la motion était recevable sur le plan de la procédure. Il a déclaré : « L’honorable député a tout à fait raison lorsqu’il affirme que la conduite d’un député ne peut être examinée par la Chambre qu’en vertu d’une accusation précise contenue dans une motion de fond. Souvent, dans ces cas, les députés choisissent de soulever la question à la Chambre, sans donner l’avis de 48 heures ou de deux semaines, et demandent au Président de lui accorder priorité pour que la Chambre l’étudie immédiatement, mettant ainsi toutes les autres délibérations de la Chambre de côté […] Dans les circonstances présentes, je conclus que les règles relatives aux Affaires émanant des députés ont été observées et que le rappel au Règlement n’est pas fondé [392]  ». Le Président a également fait remarquer qu’il n’avait pas la compétence voulue pour décréter que la motion pouvait faire l’objet d’un vote. Il a ajouté que la Chambre avait « à sa disposition des procédures lui permettant de veiller à ce que le sens de l’équité prévale dans toutes les délibérations [393]  ». Le député de Lethbridge a soulevé sur-le-champ une question de privilège qui allait constituer un moyen de forcer une décision sur l’accusation portée contre lui en permettant que la question soit mise aux voix. Il a soutenu que si cette accusation n’était pas résolue, sa réputation en souffrirait gravement. Après avoir entendu d’autres députés, le Président a réservé sa décision [394] .

Quand il est revenu sur la question le 20 juin 1996, le Président a rappelé à la Chambre qu’il était arrivé par le passé que des motions comportant des accusations relatives à la conduite de députés soient inscrites au Feuilleton sous la rubrique des Affaires émanant des députés sans jamais avoir été mises aux voix par la suite. Même s’il ne pouvait établir qu’il y avait de prime abord atteinte au privilège parlementaire, le Président a suggéré au député d’envisager de soumettre au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre la question des motions qui ne peuvent faire l’objet d’un vote [395] .

Le 23 octobre 1996, le Président a annoncé à la Chambre que M. Boudria l’avait informé par écrit qu’il ne pouvait plus proposer de motions d’initiative parlementaire à cause de sa récente nomination au Cabinet. Le Président qui, aux termes du Règlement, doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le déroulement ordonné des Affaires émanant des députés a en conséquence demandé que la motion de M. Boudria soit retirée du Feuilleton [396] .

Examen d’une question de privilège par un Comité

Si la motion de privilège précise que l’affaire doit être renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, son adoption par la Chambre constitue par le fait même un ordre de renvoi au Comité. Le Règlement habilite le Comité à enquêter sur toute question qui lui est renvoyée, à convoquer des personnes et à exiger la production de documents et de dossiers. Bien que le Comité soit maître du programme de ses travaux, tant le Comité que la Chambre prennent très au sérieux ce genre d’enquête. Le Comité n’a pas le pouvoir d’imposer des sanctions, ce pouvoir étant réservé à la Chambre. Il doit se borner à examiner l’affaire et à faire rapport de ses conclusions à la Chambre. Lorsqu’il enquête sur une question de privilège, le Comité adopte la même ligne de conduite que tout autre comité de la Chambre qui examine une question donnée, mais ce type d’ordre de renvoi, de par sa nature même, l’incite à procéder avec prudence [397] .

Rapport du comité

Le rapport que produit le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre lorsqu’il enquête sur une question de privilège a la même forme que tout autre rapport que produit un comité de la Chambre sur une question de fond. Il peut comprendre des recommandations concernant l’application de mesures ou de sanctions [398]  et, si le Comité l’ordonne, il peut également comporter en annexe des opinions ou recommandations dissidentes ou complémentaires [399] . Souvent, le rapport suffit par lui-même à clore l’affaire, et la Chambre n’a pas à prendre d’autres mesures [400] . Le rapport peut également recommander au Président de veiller à ce que telle ou telle mesure, souvent d’ordre administratif, soit prise [401] . Comme c’est le cas pour la plupart des rapports de comité, un député peut, après en avoir dûment donné avis, proposer une motion d’adoption du rapport, motion que la Chambre pourra mettre en délibération [402] .

Explication sur un fait personel

Il arrive parfois que la présidence autorise un député à expliquer un fait de nature personnelle sans que la Chambre soit saisie d’une question particulière [403]. Une intervention de ce genre, que les députés appellent communément « une question de privilège personnelle », est normalement accueillie avec indulgence par la présidence. Il ne s’agit nullement d’une question de privilège proprement dite, et comme le Président Fraser l’a déjà fait remarquer, la présidence, en l’accueillant, ne s’appuie « sur aucune autorité juridique, règle de procédure ou précédent historique ou autre » [404] . En conséquence, de telles occasions ne sont pas censées être utilisées pour engager un débat de nature générale, et les députés sont invités à s’en tenir dans leurs propos au point qu’ils cherchent à faire valoir [405] . Le Président a également dit que, puisqu’il s’agit généralement de déclarations personnelles et non de véritables questions de privilège, il ne permettrait à aucun autre député d’intervenir sur la question [406] . Par le passé, les députés ont utilisé cette procédure pour fournir des explications personnelles [407] , rectifier des erreurs commises dans les délibérations [408] , présenter des excuses à la Chambre [409] , remercier la Chambre ou lui témoigner de la reconnaissance [410] , annoncer un changement d’affiliation politique [411] , annoncer une démission [412] , ou pour quelque autre motif [413] .

Figure 3.1 – Le cheminement d’une question de privilège
Série de cases reliées par des lignes et illustrant les étapes suivies à la Chambre des communes lorsqu’un député soulève une question de privilège. Le processus commence avec les cases du haut de la page, lorsqu’un député soulève une question de privilège; il se poursuit vers le bas avec d’autres cases affichant les façons dont le Président peut choisir de traiter la question et se termine au bas de la page par des cases illustrant ce qui peut arriver une fois que le Président a rendu sa décision.


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