Débats d’urgence
Le Règlement donne aux
députés l’occasion d’examiner immédiatement une
question urgente en proposant une motion d’ajournement qui peut faire
l’objet d’un débat. Un député peut demander au
Président l’autorisation de « proposer l’ajournement de
la Chambre en vue de la discussion d’une affaire déterminée
et importante dont l’étude s’impose
d’urgence [51] ».
Il doit cependant s’agir d’une question qui se rapporte
« à une véritable
urgence [52] »
et,
si le Président accueille la demande, la Chambre peut renoncer au
préavis habituel de 48 heures pour en débattre sans
tarder.
Jusqu’au tournant du siècle,
tout député pouvait, à pratiquement n’importe quel
moment des délibérations, lancer la discussion sur un nouveau
sujet en proposant une motion d’ajournement de la Chambre. Comme ce genre
de motion pouvait être proposée n’importe quand et devait
toujours faire l’objet d’un débat, il en résultait une
interruption des travaux de la Chambre qui perturbait souvent le programme de
toute la journée. En 1906, le gouvernement a décidé de
remédier à la situation par l’adoption d’une nouvelle
règle, l’ancêtre de l’article actuel du
Règlement, selon laquelle seules les motions d’ajournement portant
sur des affaires déterminées et dont l’étude
s’impose d’urgence pourraient faire l’objet d’un
débat [53] .
De 1906 à 1968, une fois
acceptées, les motions demandant un débat d’urgence
étaient examinées immédiatement. Les autres travaux
étaient alors mis de côté. En décembre 1968, la
Chambre a modifié la règle de façon à ce que le
débat commence à 20 heures (15 heures le vendredi) lorsque la
question est mise à l’étude le jour
même [54] .
En
plus de perturber les travaux habituels de la Chambre, cela occasionnait
toujours un conflit. Après l’abolition, en 1982, des séances
normales de travail en
soirée [55] ,
le
conflit entre les débats d’urgence et les travaux courants de la
Chambre a été éliminé sauf le
vendredi.
Comme un Président l’a fait
remarquer, un débat d’urgence doit porter sur un sujet
« présentant un intérêt immédiat pour toute la
population [56] ».
Il s’ensuit que des problèmes chroniques, comme la situation
économique, le chômage et les affaires constitutionnelles, ont
été rejetés le plus souvent, tandis qu’on jugeait que
des sujets comme les arrêts de travail et les grèves, les
catastrophes naturelles, ainsi que les crises et événements
internationaux exigeaient une attention immédiate. D’autres sujets
comme la pêche, l’exploitation forestière,
l’agriculture et le commerce des fourrures ont été
jugés acceptables à divers moments; plusieurs débats
d’urgence ont porté, par exemple, sur des questions relatives aux
céréales depuis 1968, et il y a eu quatre débats
d’urgence sur l’industrie canadienne de la pêche depuis 1984.
Les questions jugées très partisanes ne sont pas
agréées aussi
volontiers [57].
Lancement du débat
Qu’il soit simple
député ou
ministre [58] ,
tout
député qui désire proposer l’ajournement de la
Chambre afin de discuter d’une question précise et importante sur
laquelle il est urgent de se pencher doit en aviser le Président par
écrit au moins une heure avant de se lever à la Chambre pour en
faire la demande
officiellement [59] .
À la fin des affaires courantes
ordinaires [60] ,
tout
député qui en a prévenu le Président peut se lever
pour demander l’autorisation de proposer l’ajournement de la Chambre
afin de débattre du sujet précisé dans
l’avis [61] .
Le
député fait alors une brève déclaration, qui se
résume d’habitude à lire simplement le texte de la demande
déposée auprès du
Président [62] .
La présentation ne doit s’accompagner d’aucune discussion ou
argumentation [63]
car,
comme un Président l’a souligné, un long exposé
risque de provoquer un
débat [64] .
À l’occasion, toutefois, un député sera
autorisé à étoffer sa demande si la présidence
indique qu’un supplément d’information pourrait l’aider
à prendre sa
décision [65] .
Lorsqu’il reçoit plus
d’un avis, le Président donne la parole aux députés
dans l’ordre où les demandes lui sont
parvenues [66] .
Si
l’on n’atteint pas, dans les affaires à l’ordre du
jour, la période réservée à l’audition des
demandes, ou si la Chambre décide de passer à autre chose en
adoptant, par exemple, une motion visant à passer à l’ordre
du jour pendant les affaires courantes, la présidence ne peut pas
entendre les demandes de débats d’urgence. Ces demandes doivent
être représentées à la prochaine séance
à moins que la Chambre n’autorise, par consentement unanime, le
Président à les entendre à un autre moment durant la
séance [67] .
Il est bien important de déposer
l’avis de motion au bon moment. En une occasion, le Président a
prié un député qui s’était levé pour
présenter une motion dont il avait donné avis quelques jours plus
tôt d’en redonner
avis [68] .
Même
si la Chambre peut, par consentement unanime, autoriser un député
à présenter une motion dont avis n’a pas été
donné le jour
même [69] ,
la
présidence a exprimé des réserves au sujet du report des
avis de motion. Un Président a maintenu qu’une question qui exige
des mesures urgentes un jour n’exigera pas nécessairement la
même attention le lendemain ou peut, au contraire, devenir encore plus
critique, ce qu’il faut laisser au motionnaire le soin de
déterminer [70] .
À une occasion, les avis de motion ont été
déposés pendant une longue interruption des travaux de la Chambre
et ont été pris en considération à la fin des
affaires courantes ordinaires le premier jour où la Chambre a repris ses
travaux [71] .
Latitude du Président
Après avoir entendu une demande de
débat d’urgence, le Président décide, sans discussion
aucune, si la question est suffisamment déterminée et importante
pour justifier son étude urgente à la
Chambre [72] .
Il se
fonde sur le Règlement, les textes faisant autorité et la
pratique, pour décider s’il y a lieu ou non d’autoriser la
demande.
Le Président n’est pas tenu de
motiver sa décision d’accueillir ou de rejeter une demande de
débat
d’urgence [73] .
Il arrive cependant que des raisons soient données, même si la
présidence cherche à s’en garder pour éviter
d’ajouter à la jurisprudence qui est elle-même susceptible de
susciter un débat à la
Chambre [74] .
Critères de
décision
Bien que le Règlement lui laisse
passablement de latitude pour décider si une question doit être
portée d’urgence devant la Chambre, le Président doit tenir
compte de certains critères. Pour décider si une question a trait
à une urgence réelle dont il ne serait pas possible de saisir la
Chambre dans un délai raisonnable par d’autres moyens, comme
à l’occasion d’un jour réservé aux travaux des
subsides [75] ,
le
Président prend dûment en considération, outre
l’importance et la nature précise de la
question [76] ,
la
mesure dans laquelle celle-ci relève des responsabilités
administratives du gouvernement ou pourrait relever de la compétence
ministérielle [77] .
Le Président vérifie ensuite
si la demande répond à d’autres critères. La motion
proposée doit porter sur une seule
question [78] .
La
motion d’ajournement de la Chambre en vue d’un débat
d’urgence ne saurait relancer la discussion sur une question qui a
déjà fait l’objet de pareils débats au cours de la
même session [79]
ni soulever une question de
privilège [80] .
Elle ne peut, d’autre part, porter sur une question qui exige normalement,
pour faire l’objet d’un débat, une motion de fond dont avis a
été donné et sur laquelle la Chambre doit se
prononcer [81] .
D’autres conditions découlant
de décisions antérieures sont également examinées.
La présidence a établi comme principe que, en temps normal, le
sujet proposé ne doit pas être uniquement
d’intérêt local ou régional, se rapporter uniquement
à un groupe ou à une industrie en
particulier [82] ,
ni
concerner l’administration d’un ministère du
gouvernement [83] .
Des
demandes de débat sur des situations
chroniques [84] ,
sur
des questions découlant des travaux de la session en
cours [85]
ou des
délibérations du
Sénat [86] ,
sur
des questions dont des tribunaux ou d’autres organismes administratifs
sont saisis [87]
et sur
des motions de défiance ou de
censure [88]
ont
été rejetées. La présidence a par ailleurs
décrété qu’il ne saurait y avoir de débat
d’urgence sur l’interprétation d’un article du
Règlement [89]
et que ce mécanisme ne saurait « servir de véhicule pour
exposer les déclarations et les allégations faites en dehors de la
Chambre par des organismes ou des personnes qui ne doivent pas y répondre
de leurs
actes [90] ».
Un
Président a décrété par ailleurs qu’on ne peut
pas se servir des dispositions relatives aux débats d’urgence pour
discuter de choses « qui, dans un programme législatif de la Chambre
des communes et au cours de l’étude normale des textes
législatifs, peuvent être présentées à la
Chambre sous forme de modifications à des lois existantes ou lui seront
de toute façon présentées sous une forme
différente [91] ».
Dans un cas exceptionnel, un débat
d’urgence a toutefois été autorisé à cause
« de la révélation soudaine et imprévue
d’événements qui, faute d’intervention, pourrait
précipiter l’adoption de mesures que l’on pourrait
incontestablement qualifier
d’urgentes [92] ».
Si la Chambre manifeste le désir de
tenir un débat d’urgence, le Président peut enfin en tenir
compte pour acquiescer à une demande en ce
sens [93] .
La
présidence a de même autorisé périodiquement des
débats d’urgence sur des questions qui n’étaient pas
nécessairement urgentes au sens de l’article du Règlement,
mais dont le calendrier parlementaire empêchait de discuter en temps
opportun [94] .
La responsabilité de décider
si une question constitue un sujet acceptable de débat d’urgence
est parfois retirée à la présidence. Il est arrivé
que la Chambre décide elle-même, à l’unanimité,
de tenir un débat d’urgence, parfois au moyen d’un ordre
spécial [95] .
En
une occasion notable, le Président n’a pas eu à rendre de
décision sur plusieurs demandes semblables, la Chambre ayant, plus tard
au cours de la séance, donné son consentement unanime à la
présentation d’un projet de loi sur le même sujet et
décidé de passer immédiatement au débat sur la
motion visant la deuxième lecture du projet de
loi [96] .
Le Président diffère dans
bien des cas sa décision sur une demande de débat d’urgence
pour y revenir plus tard dans la journée; il interrompt alors les travaux
de la Chambre pour annoncer sa
décision [97] .
Dans un cas exceptionnel, le Président n’est revenu en Chambre pour
rendre sa décision que le
lendemain [98] .
Le Règlement interdit la
présentation de plus d’une motion d’ajournement de la Chambre
en vue d’un débat d’urgence au cours d’une même
séance [99] ;
il
est toutefois possible de déposer plus d’un avis de motion, auquel
cas il appartient au Président de déterminer lequel est recevable,
le cas échéant. Si plusieurs demandes de débat
d’urgence sur un même sujet sont présentées au cours
d’une même séance et jugées recevables, le
Président autorise l’auteur du premier avis de motion jugé
recevable à proposer l’ajournement de la
Chambre [100] .
Heure et jour du débat
Le Règlement stipule qu’un
débat d’urgence doit se tenir entre 20 heures et minuit le jour
où une demande en ce sens est accueillie, à moins que le
Président n’ordonne que la motion soit examinée à une
heure qu’il reste à préciser le jour de séance
suivant [101] .
La
Chambre a également adopté périodiquement des ordres
spéciaux fixant l’heure d’un débat
d’urgence [102] .
Dans un cas, une demande de débat d’urgence a été
accordée à un moment où la Chambre avait prolongé
ses heures de séance en
juin [103] .
Lorsqu’un débat
d’urgence est prévu pour 20 heures, la séance est suspendue
à l’heure normale d’ajournement; la Chambre reprend ses
travaux à 20 heures et le député dont la demande a
été autorisée propose « Que cette Chambre
s’ajourne
maintenant [104] ».
Lorsqu’un débat d’urgence est prévu pour 20 heures les
lundi, mardi, mercredi et jeudi, les délibérations sur la
procédure normale d’ajournement sont éliminées
puisque la motion dont la Chambre est saisie est identique. Il est toutefois
arrivé que, par consentement unanime, cette procédure soit suivie;
dans ces cas, après le débat sur la motion d’ajournement,
celle-ci a été réputée retirée et la
séance suspendue jusqu’à 20
heures [105] .
Il est
aussi arrivé à l’occasion, par consentement unanime, que la
séance soit suspendue avant l’heure habituelle d’ajournement
afin de permettre aux députés de se préparer pour le
débat
d’urgence [106] .
Les débats d’urgence se
tiennent habituellement en dehors des heures de séance normales, sauf le
vendredi. Le Règlement donne toutefois la priorité aux
débats d’urgence le vendredi ou lorsque le Président en fixe
l’heure pendant les heures normales de la séance suivante. Il
appartient alors au Président de décider quand toute question
laissée de côté en vue du débat d’urgence sera
reprise ou mise aux
voix [107] .
Le vendredi, les débats
d’urgence commencent dès que le Président juge la demande
recevable [108] .
Si la
demande est présentée et accueillie immédiatement
après les affaires courantes, le débat commence à environ
12 h 15 et se poursuit jusqu’à 16 heures, heure à laquelle
la motion « Que cette Chambre s’ajourne maintenant » est
réputée adoptée. Lorsqu’un débat
d’urgence se tient le vendredi, où l’heure habituelle
d’ajournement est 14 h 30, environ deux heures ou deux heures et demie de
travaux de la Chambre sont donc déplacées. Depuis
l’entrée en vigueur de cet article du Règlement en
1987 [109] ,
aucun
débat d’urgence n’a eu lieu le vendredi, mais le
Président a dans deux cas reporté un tel débat à 20
heures le lundi
suivant [110] .
Règles du débat
Au cours d’un débat
d’urgence, aucun député ne peut prendre la parole pendant
plus de 20
minutes [111]
et il
n’y a pas de période de questions et
observations [112] .
Toutefois, pour permettre au plus grand nombre possible de députés
de participer, la durée des interventions a souvent été
réduite par consentement unanime à 10 ou 15
minutes [113] .
Les
règles établies pour les débats s’appliquent aux
débats
d’urgence [114].
Une motion d’ajournement de la Chambre pour discuter d’une question
importante dont l’étude s’impose d’urgence ne peut,
comme toute autre motion d’ajournement, faire l’objet
d’amendements [115] .
Interruption et conclusion du débat
Comme mentionné plus haut, une fois
lancé, un débat d’urgence a priorité sur tout le
reste. Du lundi au jeudi, le débat ne devrait, s’il se tient
après l’heure d’ajournement habituelle, causer aucun conflit.
S’il a lieu un vendredi, en plus des quelque 90 minutes
réservées aux affaires émanant du gouvernement, le
débat supplante également une heure des affaires émanant
des députés. En effet, le Règlement interdit
expressément toute interruption pour les affaires émanant des
députés [116] .
Comme la motion visant la tenue d’un
débat d’urgence est libellée simplement « Que cette
Chambre s’ajourne maintenant », la Chambre n’a pas à
prendre de décision sur le sujet débattu à la fin du
débat [117] .
À minuit (16 heures le vendredi) ou lorsqu’aucun
député ne se lève pour prendre la parole, la motion est
déclarée adoptée par le Président et la Chambre
s’ajourne jusqu’au jour de séance
suivant [118] .
Si le
débat se tient pendant les heures de séance normales de la Chambre
et prend fin avant l’heure d’ajournement habituelle, la motion est
réputée retirée et la Chambre passe à d’autres
questions [119] .
Le Règlement autorise un
député, dans l’heure qui précède l’heure
normale d’ajournement du débat, c’est-à-dire entre 23
heures et minuit (15 heures et 16 heures le vendredi), à présenter
une motion en vue de poursuivre le débat au-delà de minuit (16
heures le
vendredi) [120] .
Si
moins de 15 députés se lèvent pour signifier leur
opposition, la motion est réputée adoptée. Un petit nombre
seulement de débats ont été prolongés au-delà
de minuit en application du
Règlement [121] ,
alors que plusieurs ont été prolongés par consentement
unanime [122] .
Il est arrivé que la Chambre veuille
s’exprimer sur le thème d’un débat d’urgence par
l’adoption d’une motion ou d’une résolution. En 1970,
la Chambre a tenu un débat d’urgence sur le conflit
nigérian-biafrais; selon un ordre spécial donné plus
tôt au cours de la séance, le débat a été
interrompu à 22 h 30, la Chambre a adopté une motion sur le
même sujet puis elle a ajourné sans mettre la question aux
voix [123] .
En 1983,
après un débat d’urgence sur l’incident de
l’avion civil sud-coréen abattu par l’Union
soviétique, la motion d’ajournement de la Chambre a
été réputée retirée, la Chambre a
adopté une résolution dénonçant les actes du
gouvernement soviétique, puis elle a ajourné par consentement
unanime jusqu’au jour de séance
suivant [124] .
En
1989, un débat d’urgence sur le massacre de la Place Tiananmen
à Beijing, en Chine, a été interrompu pour permettre
à la Chambre d’adopter une résolution condamnant cet
acte [125] .