Passer au contenu
;

FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 12 février 1998

• 1517

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui M. Wei Jingsheng, qui nous vient de la Chine. Certains ont dit qu'il était le père du mouvement démocratique en Chine. C'est un journaliste éminent et un défenseur des droits de la personne.

Nous sommes très heureux, monsieur, que vous soyez avec nous aujourd'hui.

M. Wei est accompagné de M. Michael To, qui est le président international de la Fédération pour une Chine démocratique. M. To va nous présenter notre invité, puis M. Wei fera une courte déclaration de 15 minutes. Les membres du comité auront ensuite l'occasion de lui poser des questions.

Monsieur To.

M. Michael To (président international, Fédération pour une Chine démocratique): Monsieur le président et membres du comité, c'est pour moi aujourd'hui un plaisir et un honneur de vous présenter M. Wei Jingsheng. Pour ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas, permettez-moi de prendre quelques minutes pour vous parler de ses antécédents.

En 1966, lorsque la Chine a été bouleversée par la révolution culturelle, M. Wei était un adolescent qui venait tout juste de terminer ses études secondaires de premier cycle. Comme d'autres personnes de son âge, il s'est rapidement joint aux Gardes rouges. À l'époque, il croyait toujours à la pensée maoïste et au système communiste. Cependant, il avait toujours à l'esprit de nombreuses questions auxquelles il n'avait pas trouvé de réponses. Avec quelques-uns de ses amis, il a décidé de visiter le pays pour qu'ils puissent se rendre compte eux-mêmes de ce qu'était la réalité, et cette réalité l'a choqué. Il a donc changé d'avis au sujet de ce que les autorités du pays disaient au peuple pour ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas.

Par conséquent, en 1979, à l'âge de 29 ans, M. Wei a audacieusement réclamé la cinquième modernisation du pays, c'est-à-dire la démocratie. Par ailleurs, il a mis la population en garde contre la tendance ou la possibilité que M. Deng Xiaoping devienne le prochain dictateur. Cela lui a valu d'être jeté en prison pour 14 ans et demi.

• 1520

En septembre 1993, le gouvernement chinois souhaitait décrocher les Jeux olympiques de l'an 2000 et a donc relâché M. Wei six mois avant l'expiration de sa peine de 15 ans. Pendant les sept mois qui suivirent, M. Wei a profité d'une brève période de liberté. Dès sa sortie de prison, il a continué de lutter pour les droits de la personne et la démocratie sans se laisser intimider.

En avril 1994, il a été arrêté de nouveau et condamné à une nouvelle peine de 14 ans de prison. Cette fois-ci, on l'a accusé d'avoir tenté de renverser le gouvernement sous prétexte qu'il avait l'intention d'organiser une exposition d'arts au Japon et qu'il avait investi dans une caisse d'épargne locale.

Au total, M. Wei a passé 18 ans en prison. Au cours de ces 18 années, il a souvent été torturé, battu, et il a passé de longues périodes en isolement cellulaire, parfois jusqu'à un an. Au cours de ces périodes, on ne lui permettait pas de manger des légumes frais ni de sortir à l'extérieur au soleil. Par conséquent, il a perdu presque toutes ses dents et a développé une maladie du coeur. Mais il a persévéré. Il s'est accroché à ses croyances. Il continue de lutter pour les droits de la personne et la démocratie.

Mesdames et messieurs, nous avons devant nous une armée constituée d'un seul homme—un seul homme contre un parti qui compte 50 millions de membres—qui montre au monde entier que l'esprit humain ne peut être subjugué. Voilà quel est le legs de la lutte de M. Wei. Sans plus tarder, je vous présente M. Wei.

Le président: Merci beaucoup, monsieur To. Nous attendons avec impatience d'entendre les observations de M. Wei.

M. Wei Jingsheng (Laogai Research Foundation) (Interprétation): Puisque tout le monde s'intéresse beaucoup aux affaires étrangères et aux relations internationales, c'est de ces questions que je vous parlerai surtout.

Dans un contexte démocratique, lorsqu'on s'intéresse aux affaires étrangères, on ne s'intéresse pas uniquement à la relation entre le roi et le président; on s'intéresse à la relation entre les peuples.

Traditionnellement, le peuple chinois a toujours eu une opinion très positive du peuple canadien. Je pense que le peuple canadien a lui aussi une opinion favorable du peuple chinois.

Depuis de nombreuses années, les rapports entre le Canada et le Chine ont porté presque exclusivement sur les relations gouvernementales et commerciales.

En Chine, on peut souvent lire dans les journaux ou entendre à la télévision que de hauts dignitaires canadiens, comme le premier ministre du Canada, se sont rendus en Chine et ont célébré les réalisations du Parti communiste chinois.

Ce qui est encore plus navrant, c'est que pour promouvoir la vente du blé et d'autres produits du Canada, le gouvernement canadien évacue totalement la feuille de route du Parti communiste chinois et va même jusqu'à saluer certaines de ses actions. Ce genre de comportement a eu pour effet de ternir la réputation du Canada dans l'esprit de la population chinoise.

• 1525

En outre, cela a suscité chez de nombreux Chinois une certaine confusion quant au système social en vigueur au Canada. Ils ne comprennent pas pourquoi, au nom de sa population, le gouvernement d'un État démocratique chanterait les louanges d'un gouvernement répressif, particulièrement d'un gouvernement qui a massacré et tué ses propres citoyens.

Certains pays pauvres du tiers monde se soumettent à des pressions de ce genre pour des raisons économiques, pour obtenir un peu d'argent. Nous comprenons cela. Mais nous ne comprenons pas qu'un pays riche comme le Canada brade les principes démocratiques pour empocher de très modestes sommes d'argent.

Un grand nombre de Chinois ne savent plus où ils en sont. Ils se demandent si le Parti communiste chinois n'a pas eu raison de faire ce qu'il a fait et d'affirmer que le système démocratique occidental n'est qu'une façade.

Il y a quelques instants, le ministre des Affaires étrangères du Canada m'a expliqué que le gouvernement appuie le mouvement démocratique en Chine ainsi que les efforts du peuple chinois pour acquérir davantage de droits politiques.

D'une part, j'estime que les efforts menés par le gouvernement du Canada n'ont guère donné de résultats, car nous n'avons pas constaté de véritables progrès dans ce domaine. D'autre part, nous pensons que certaines approches du gouvernement du Canada sont le résultat d'erreurs de jugement. En fait, nous voyons énormément de projets et de programmes de collaboration entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Parti communiste chinois. Des fonds considérables ont été injectés dans ce domaine, mais pour ce qui est de l'appui au mouvement pro-démocratie et de l'aide directe au peuple chinois, nous n'avons guère eu de résultats.

Nous n'avons pas eu l'occasion d'avoir une discussion plus approfondie avec le ministre des Affaires étrangères du Canada, car il déjeunait avec le vice-président de Cuba. Je vais donc saisir l'occasion que m'offre cette comparution devant vous pour expliquer certains problèmes que comporte à mon avis la politique étrangère du Canada.

• 1530

Tout d'abord, le soutien du gouvernement du Canada à l'égard du mouvement en faveur de la démocratie en Chine et du respect des droits de la personne n'est pas très clair. La position du Canada n'étant pas très ferme, le gros de l'aide du gouvernement du Canada a été consacrée à des projets sanctionnés par le Parti communiste chinois. En outre, on s'est servi des fonds en provenance du Canada dans certains projets pour léser encore davantage le peuple chinois.

Je vous invite à amorcer une réflexion sur la politique étrangère du Canada. Sur quoi la politique étrangère devrait-elle mettre l'accent? Devrait-elle viser à aider le peuple chinois et le mouvement pro-démocratie en Chine ou contribuer à soutenir un régime oppressif composé d'assassins du peuple?

Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.

Le président: Xie xie, Wei Jingsheng.

Si je m'arrête là, ce n'est pas parce que je ne parle pas chinois, mais parce que je ne veux pas semer la confusion parmi les interprètes.

Des voix: Oh, oh.

Le président: Je vous remercie de vos observations. Nous avons des députés qui souhaiteraient vous poser des questions.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): J'ai deux ou trois questions à poser.

Premièrement, il me semble que c'est une tâche écrasante que de gouverner un pays de 1,25 milliard d'habitants. Sans vouloir manquer de respect aux principes de la démocratie, avec les avantages et inconvénients qu'elle comporte, je me demande si ce système pourrait vraiment fonctionner en Chine en raison de son énorme population.

Je me bornerai à poser trois questions et je vous demanderais de répondre aussi brièvement que possible, s'il vous plaît.

M. Wei Jinsheng (Interprétation): La population du Canada est d'environ 20 millions et celle des États-Unis 200 millions, soit 10 fois plus que celle du Canada, mais je ne pense pas que le système démocratique des États-Unis soit inférieur à celui du Canada.

La population de la Chine est moins de 10 fois plus élevée que celle des États-Unis, et je pense que le peuple chinois est tout aussi intelligent et astucieux. Les Chinois trouveront certainement une méthode appropriée pour gouverner avec succès une population de 1,2 milliard d'habitants, ou même de 1,5 ou 1,6 milliard d'habitants. Il suffit de trouver la méthode qui convienne dans le système démocratique.

Fondamentalement, c'est une question de principe. Cela a tout à voir avec le respect de chaque personne, et rien à voir avec le nombre d'habitants.

• 1535

M. Bob Mills: D'accord. Dans le contexte de la modernisation qui a cours à l'heure actuelle en Chine, la privatisation d'un grand nombre d'entreprises d'État suscite d'importants problèmes de chômage, et dans certains endroits la situation est pire qu'ailleurs. Je voudrais savoir si M. Wei considère que c'est un facteur déstabilisant pour le gouvernement actuel. On parle d'un taux de chômage qui atteint les 20 p. 100 ou plus dans certaines régions.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Le mouvement vers la privatisation que connaît la Chine ne se compare pas à ce que l'on connaît dans les pays occidentaux. En fait, le peuple chinois a soulevé la question de la privatisation au début des années 80, mais le Parti communiste chinois a fait la sourde oreille. Au début, le gouvernement a confié la propriété des entreprises d'État à des fonctionnaires corrompus et aux membres de leurs familles. Une fois ces ressources épuisées, il a ensuite confié le lourd fardeau de ces entreprises à de simples citoyens ou à des étrangers. La véritable situation économique de ces entreprises ne correspond pas aux apparences. Voilà pourquoi un grand nombre de travailleurs ont été laissés pour compte dans le processus.

De l'avis du Parti communiste chinois, ces travailleurs excédentaires représentent un lourd fardeau parce qu'il n'a pas la possibilité de les nourrir tous. Par conséquent, ils sont rejetés de la société, et on rejette la responsabilité du chômage sur le processus de privatisation, comme si le parti n'avait rien à y voir. Ce genre de tractation a déjà suscité l'ire de nombreux Chinois, y compris de simples citoyens, de chômeurs et de travailleurs menacés de perdre leur emploi.

En réalité, si l'on compte à l'heure actuelle le nombre de travailleurs en chômage en Chine aujourd'hui, de même que le nombre de citoyens qui apparemment n'ont pas perdu leur emploi, mais ne sont pas payés, ce pourcentage a déjà dépassé les 20 p. 100. Il y a un nombre équivalent de gens qui quittent maintenant les régions rurales pour trouver des emplois à la ville, mais qui n'y réussissent pas. Il s'agit de la même proportion.

• 1540

J'ai parlé à de nombreux dignitaires des pays occidentaux et à de nombreux députés dans bien des pays. Je tiens à les mettre en garde: la Chine se trouve déjà dans une situation très instable, et de graves troubles risquent de se produire au tournant. Il s'agit d'un problème sérieux qu'il faudra régler par des mesures concrètes.

M. Bob Mills: J'ai une autre question à poser. Lorsqu'on s'entretient avec les représentants du gouvernement chinois—et je vous prie de mentionner à M. Wei que je me suis rendu en Chine à plusieurs reprises depuis 1980—, ils vous disent que le processus démocratique s'amorce au niveau municipal et que graduellement, après l'élection de fonctionnaires municipaux, il y aura des élections provinciales, et ensuite des élections d'État. Selon eux, c'est un processus qui s'étale sur une longue période de temps. Que répondez-vous à cette explication?

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Ce n'est qu'une excuse. Pour démocratiser le pays, et particulièrement pour avoir des élections en Chine, bien des choses font défaut. Tout d'abord, les gens n'ont pas de liberté d'expression, ce qui les prive de la possibilité de discuter de ce qui se passe et de critiquer le gouvernement. Voilà pourquoi ils n'ont pas la liberté de choisir.

D'autre part, si la population en général faisait connaître son choix, le Parti communiste chinois pourrait ne pas en tenir compte. Il pourrait annoncer à répétition que les résultats des élections ne sont pas définitifs, jusqu'à ce qu'ils obtiennent le candidat qu'ils souhaitent. Depuis 1951, ce genre de situation s'est produite à maintes reprises.

Ainsi, la population en général sait ce que valent les élections. Elle pense qu'il s'agit d'élections bidon, et par conséquent les citoyens n'y consacrent ni attention ni énergie. Voilà la véritable raison qui explique pourquoi il n'y a pas d'élections en bonne et due forme en Chine.

En fait, s'il y avait un climat propice à des élections légitimes, le peuple chinois saurait comment y participer. Dans les années 60, j'ai travaillé en milieu rural. À l'époque, j'ai constaté que lorsque le Parti communiste chinois n'intervenait pas dans la vie des villageois, ces derniers prenaient les élections très au sérieux, même s'ils étaient illettrés.

• 1545

Lorsqu'ils discutaient des mérites respectifs de certains candidats, ils le faisaient avec plus de sérieux même que je n'en ai observé au cours de vos débats parlementaires au Parlement.

Ils savent pertinemment que leurs candidats doivent recevoir l'aval des instances locales du Parti communiste chinois, et cela constitue pour eux un grand problème dont ils discutent abondamment. Par exemple, s'ils pensent qu'une personne en particulier a toutes les qualités voulues pour diriger le village, mais que ce n'est pas un candidat qu'acceptera le Parti communiste, ils doivent choisir un autre candidat. Par conséquent, si l'on ne change pas la situation où le Parti communiste chinois est une puissance oppressive omniprésente, il n'y aura jamais de véritables élections en Chine.

Certains pays occidentaux comme le Canada, les États-Unis, et certains pays européens consacrent des fonds à des programmes d'aide technique à l'appui d'élections locales en Chine, mais cela ne contribue en rien à promouvoir le mouvement démocratique en Chine. La seule conséquence de ce genre d'activité est de duper les médias occidentaux et d'atténuer les pressions internationales qui s'exercent sur le gouvernement chinois.

Le président: Merci.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, monsieur Wei Jingsheng. Je voudrais vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à notre comité et je voudrais aussi le faire au nom du Bloc québécois que je représente. C'est-à-dire que je suis membre de l'opposition.

Vous avez émis à l'égard de la politique étrangère canadienne un certain nombre d'observations assez sévères. J'aimerais vous dire que le Bloc québécois a souvent posé au gouvernement canadien le même type de questions.

Ma question portera surtout sur un commentaire que vous avez fait, dans lequel vous avez dit que l'appui du gouvernement canadien au mouvement démocratique chinois était très peu vigoureux, que la position canadienne n'était pas très claire à ce sujet-là, qu'il en résultait que l'aide canadienne prenait la forme d'aide à des projets du gouvernement chinois et que ces sommes servaient à spolier le peuple canadien. J'aimerais que vous commentiez cet énoncé que je trouve particulièrement sévère.

J'ai une deuxième question. Vous avez dit que dans le cadre de la politique étrangère canadienne, l'action du gouvernement canadien était surtout orientée vers le gouvernement chinois et très peu vers le peuple chinois.

• 1550

J'aimerais savoir quels sont les moyens concrets que vous pourriez suggérer au gouvernement canadien de prendre pour aider le peuple chinois.

Troisièmement, j'aimerais vous demander si vous êtes au courant que certains produits exportés au Canada sont fabriqués en Chine dans des conditions de travail assez épouvantables.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Premièrement, il y a beaucoup de produits en Chine qui sont fabriqués dans les camps de réforme. Mais il y a aussi beaucoup de produits fabriqués par des enfants et également des produits qui sont fabriqués dans des entreprises où les conditions de travail sont très mauvaises. Par exemple, il y a des entreprises de village où les conditions de travail sont très mauvaises.

Dans ce domaine, M. Harry Wu a créé une fondation qui s'appelle la Fondation du système de correction en Chine. Par le biais de cette formation, ils ont fait beaucoup d'enquêtes dans ce domaine et je peux leur demander de vous envoyer des documents à ce sujet.

Pour répondre à la deuxième question, je pense que le gouvernement canadien, dans le domaine des Affaires étrangères, surtout quand il investit dans l'aide internationale, préfère faire des affaires directement avec le gouvernement chinois afin d'obtenir des quotas supplémentaires pour le commerce.

• 1555

Si le gouvernement canadien faisait moins attention aux questions de commerce international et un peu plus attention à la condition des Chinois, il pourrait faire beaucoup plus de choses.

Par exemple, en ce moment, par peur d'irriter le gouvernement chinois, le gouvernement canadien n'ose pas aider publiquement ou directement le mouvement démocratique en Chine et il n'ose pas non plus contacter directement les activistes dans ce domaine. Si le gouvernement canadien faisait plus attention à la condition des Chinois, il pourrait y avoir beaucoup plus de coopération avec les organisations pour la démocratie, surtout dans le domaine des droits de la personne.

Je voudrais également dire que le gouvernement canadien, sans doute dans le but de protéger les intérêts canadiens, a beaucoup diminué la pression sur le Parti communiste chinois, ce qui, en fait, aide le Parti communiste chinois dans ses actions et ses campagnes d'intimidation. Si le gouvernement canadien pouvait changer d'attitude, cela aiderait grandement le peuple chinois.

Par exemple, au lieu de dépenser de l'argent pour de faux projets comme les élections de village ou la formation des juges en Chine, il vaudrait mieux utiliser cet argent à aider les mouvements démocratiques en Chine et à investir davantage dans la radio chinoise au Canada, ce qui serait beaucoup plus bénéfique pour le peuple chinois.

Je pense également que, si le gouvernement canadien voulait bien critiquer les actions du gouvernement chinois dans les conventions internationales ou bien dans les grandes conférences internationales à Genève sur les droits de la personne, cela augmenterait la pression sur le gouvernement chinois, qui pourrait peut-être, si le gouvernement canadien veut les critiquer, considérer un peu plus sérieusement ses actions.

• 1600

Le gouvernement canadien s'est montré très enthousiaste à l'idée d'organiser un symposium sur les droits de la personne, mais il faut savoir que ce symposium permettra au Parti communiste chinois de venir directement tromper le peuple canadien.

Je crois donc que le gouvernement canadien doit répondre à une question fondamentale, qui est celle de savoir quelle attitude il doit avoir face à la Chine: prend-on position pour le Parti communiste chinois ou bien pour aider le peuple chinois?

Si le gouvernement canadien est vraiment décidé à aider le peuple chinois, je suis prêt à prendre le temps de revenir pour les aider à trouver les moyens et les approches pour entreprendre cette action.

[Traduction]

Le président: M. Wei sera sans doute intéressé d'apprendre que M. Harry Wu a comparu devant le sous-comité du comité avant Noël.

L'année dernière, avant les élections, nous avons aussi eu le plaisir de recevoir la soeur de M. Wei, qui est venue nous demander d'intervenir pour qu'il soit relâché de prison.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Je vous remercie beaucoup de votre aide. Je suis sûr que les Canadiens souhaitent vivement aider le peuple chinois à accéder à la démocratie et au respect des droits de la personne. Ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que certaines activités concrètes menées par le gouvernement du Canada ont suscité une telle confusion qu'elles vous ont tous amenés à perdre la face.

Nous devrions tous tenter de convaincre le gouvernement du Canada de modifier sa politique actuelle, et tout particulièrement d'abandonner les activités qui, outre qu'elles donnent peu de résultats, ont pour effet de brouiller les cartes. À tout le moins, nous réaliserions une chose, c'est-à-dire éviter d'utiliser l'argent des contribuables canadiens pour aider un régime oppressif.

Le président: Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.): Merci.

Je pense que vos propos sont plutôt controversés. En effet, en 1951, les démocraties occidentales ont imposé un embargo commercial à la Chine, et nous avons pu constater que la Chine est devenue plus agressive et s'est approprié davantage de territoire. L'embargo a été un échec.

• 1605

J'hésite toujours à défendre la position du gouvernement, parce que je ne suis généralement pas d'accord avec cette position. En l'occurrence, de façon générale, je ne suis pas d'accord avec la politique actuelle. Cela dit, grâce aux échanges commerciaux, nous avons l'occasion de communiquer. À vous entendre, il faudrait supposer que tous les dirigeants politiques chinois sont des tenants de l'oppression. Je pense que ce serait une insulte non seulement pour le gouvernement, mais pour tous les Chinois, que de dire que tout le monde croit la même chose.

Donc, à certains égards, n'estimez-vous pas qu'un dialogue ouvert entre parlementaires peut être bénéfique? Je ne suis pas sûre de bien comprendre comment, à votre avis, le gouvernement canadien peut aider le mouvement en faveur de la liberté—mouvement qui est clandestin—sans empiéter sur les droits souverains d'un autre pays.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Premièrement, vous avez dit que l'embargo contre la Chine n'avait pas obtenu de résultats très satisfaisants. Même s'il n'a pas fonctionné complètement, il a quand même eu une certaine incidence. L'économie chinoise, à cause de cet embargo, s'est retrouvée dans une conjoncture très difficile, mais à cette époque l'URSS a aidé la Chine, à cause de ses convictions idéologiques et de son régime. Le gouvernement chinois pouvait à peine s'en sortir. L'embargo a quand même eu un résultat.

Et la Chine de cette époque était très différente de la Chine d'aujourd'hui. À l'époque, le gouvernement chinois avait encore l'appui de la grande majorité de la population chinoise. De plus, les mensonges du gouvernement chinois étaient très efficaces à cette époque, de sorte que les pénalités infligées par des gouvernements étrangers ne suffisaient pas à donner des résultats, tout comme dans le cas de l'Iran.

• 1610

En outre, les gouvernements étrangers avaient à cette époque une politique chinoise fondée sur le long terme; on croyait que si l'on persistait, on finirait par obtenir des résultats. Par ailleurs, le gouvernement chinois n'a plus l'appui du grand public de nos jours, de sorte que si l'on continue l'embargo, on finira par obtenir des résultats.

En persévérant, on finira par obtenir des résultats, tandis que si vous abandonnez votre politique maintenant, juste au moment où d'importants changements pourraient se produire, vous laisserez passer une excellente occasion. C'est comme si un joueur de soccer s'arrêtait subitement au moment où il parvient devant le but adverse. Ce serait une erreur regrettable. Pour vous donner un autre exemple, si vous n'aviez pas fait preuve de patience et n'aviez pas persisté dans votre politique à l'égard de l'Union soviétique au cours de la période 1988-1989, à quoi ressemblerait le monde d'aujourd'hui?

Certaines politiques prennent beaucoup de temps à produire leurs effets. Il faut de la patience et de la persévérance. Si vous vous attachez seulement aux avantages immédiats et aux intérêts actuels, vous n'atteindrez peut-être jamais l'objectif à long terme. Et puis, il y a en Chine un dicton: celui qui concentre toute son attention sur les avantages immédiats qu'il a sous les yeux a constamment sous les yeux des embêtements.

Le président: Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Une simple observation.

Ils sont nombreux ceux qui voudraient s'attribuer le mérite de la chute du communisme en Russie, mais il y en a aussi qui croient qu'en fait, c'est parce qu'on a donné libre cours au système capitaliste, c'est-à-dire à l'appât du gain qui est le moteur du capitalisme, que le gouvernement s'est effondré en Russie. Beaucoup soutiennent que l'implantation du capitalisme en Chine aura le même résultat. Je ne sais pas. C'est seulement un argument.

• 1615

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Je crois que cette théorie est tout à fait trompeuse: c'est une déformation de la réalité.

La véritable raison qui explique l'effondrement du régime en URSS, et aussi celui d'autres régimes oppresseurs dans d'autres pays, c'est la volonté de tous d'instaurer une société fiable et dénuée d'oppression. C'est-à-dire que, conformément à la nature humaine, les gens voulaient un régime démocratique qui convenait davantage à leur nature profonde. Ils ont lutté pendant de nombreuses années pour atteindre cet objectif, et ils ont enfin réussi à l'atteindre.

Comme votre nation a déjà réussi à mettre en place un régime de ce genre, vous devriez faire davantage pour aider les autres, surtout les êtres humains qui souffrent et qui consentent des sacrifices pour atteindre de tels objectifs.

Le président: Monsieur To, vous vouliez ajouter quelque chose. Peut-être, avant que vous le fassiez, pourrais-je attirer l'attention des membres du comité sur le fait qu'il nous reste moins de 15 minutes. Nous avons environ 12 minutes à notre disposition. J'ai encore trois députés sur ma liste. Compte tenu du temps qu'il faut pour la traduction, nous devrons nous en tenir à des interventions beaucoup plus courtes, parce que nous devons terminer à 16 h 30 précises.

M. Michael To: En tant que président de la fédération, je pourrais peut-être jeter un peu de lumière sur les questions soulevées par Mme Beaumier, après quoi je présenterai notre position en termes simples.

Par exemple, lors de nos nombreuses discussions avec le ministère des Affaires étrangères, nous avons reconnu que le commerce était un bon moyen d'améliorer le dialogue, mais il ne faudrait pas que le commerce soit le seul moyen utilisé. S'il suffisait du commerce, nous n'aurions pas l'exemple de l'Indonésie. Nous avons fait du commerce avec l'Indonésie pendant plus de 40 ans, mais ce pays n'a tout de même pas changé. Par conséquent, nous sommes tous d'accord pour reconnaître qu'il faut agir par le commerce, mais en plus exercer des pressions.

En ce qui concerne les sanctions, ce n'est pas que nous voulions exiger des sanctions, mais on peut signaler le cas très particulier de l'Afrique du Sud dans le monde occidental. Il ne faut donc pas ignorer totalement la valeur des sanctions.

Pour notre part, en tant que Canadiens d'origine chinoise, nous ne voudrions pas non plus que les gens pensent que dans notre race tous les grands dirigeants pensent la même chose. Il n'est pas question des choix intellectuels de certaines personnes, mais ce groupe de personnes qui occupent le haut de l'échelle à Beijing et qui dirigent le pays ont perdu leur légitimité. S'ils sont encore au pouvoir, c'est seulement par la force, et par conséquent ils se serrent les coudes. Nous ne pensons pas qu'ils aient tous les mêmes convictions, mais ils se serrent les coudes. Ils se raccrochent à leur pouvoir en imposant des mesures très sévères.

Vous dites que les parlementaires parlent aux parlementaires. Chez vous, les parlementaires sont véritablement élus. Malheureusement, là-bas, ils ne sont pas élus; ce sont de faux parlementaires. Quand on leur parle, on parle à un groupe de gens qui tiennent à rester au pouvoir illégalement. Quand on leur parle, on ne fait que renforcer leur position.

Quant à l'effondrement des pays d'Europe de l'Est et de l'Union soviétique, le capitalisme, la mesure où...

Le président: Monsieur To, comme je l'ai dit, nous en sommes maintenant à dix minutes. Si nous nous lançons dans l'effondrement de l'Union soviétique, cela pourrait être très long, jusqu'à la fin de l'histoire humaine, comme on le disait dans un article célèbre.

J'ai trois députés qui souhaitent poser une question. Je ne veux pas vous interrompre, mais j'apprécierais que vous abrégiez. Souvenez-vous donc de la limite de dix minutes, et du fait que nous avons trois questions à vous poser. Monsieur Martin, vous serez bref?

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci d'être venu, monsieur Jingsheng. Vous nous faites honneur en venant nous voir, et nous admirons le courage que vous avez eu pendant votre emprisonnement. Nous vous remercions d'être venu nous en parler, et également de nous avoir montré ce que nous pourrions faire mieux.

Je vous remercie également pour votre livre magnifique, The Courage to Stand Alone; c'est un modèle pour nous tous.

• 1620

Comme vous avez pu le voir, notre pays a beaucoup de mal à déterminer comment il doit traiter avec le vôtre. Nous voulons que les choses changent, mais comment pouvons-nous, un pays de 30 millions de personnes, faire changer les choses?

Nous aimerions que vous nous donniez des détails. En particulier, quand vous parlez de commerce, est-ce que vous pensez à un commerce assorti de restrictions, à une aide destinée uniquement aux dirigeants démocratiques, aux courants souterrains? Devons-nous rompre les liens diplomatiques lorsque nous voyons que les droits de l'homme sont ignorés? En Afrique du Sud, les sanctions ont donné des résultats, mais la situation était peut-être très différente.

J'aimerais donc savoir ce que nous pouvons faire, à votre avis, en tant que Canadiens, en tant que parlementaires, pour que ce régime change. Nous aimerions avoir votre opinion non seulement maintenant, mais également plus tard. Vous pouvez toujours envoyer un complément d'information à M. Graham ou à n'importe lequel d'entre nous, et nous l'apprécierons.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Si nous voulons entrer dans les détails, nous risquons de rester très longtemps ici, mais pour m'exprimer en termes simples, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire ensemble. Pour commencer, vous pouvez aider directement les mouvements démocratiques en aidant ces organismes démocratiques dans leur résistance et dans leur lutte contre le gouvernement chinois pour que nous puissions renforcer leur action.

Deuxièmement, lorsque les affaires internationales et le commerce international le permettent, en tant que gouvernement, vous pouvez exercer des pressions accrues sur le Parti communiste chinois. C'est un moyen d'agir de façon accrue sur le Parti communiste chinois. Si vous présentez une liste d'actions en pensant seulement aux médias, et si cette liste d'actions n'a pas de suite concrète, elle ne donnera pas de résultats réalistes.

J'ai entendu dire qu'il existe aux États-Unis une fondation appelée la Fondation démocratique nationale. J'ai entendu dire qu'il y a une fondation équivalente au Canada. Si une fondation comme celle-là pouvait envoyer plus d'argent au mouvement démocratique chinois, ce serait extrêmement utile; en fait, c'est ce qui serait le plus utile.

Le président: Merci.

Il nous reste cinq minutes. Monsieur Reed, puis madame Augustine, soyez brefs.

• 1625

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Je cède mon tour. M. Martin et Mme Beaumier ont posé les questions que j'allais poser. Toutefois, j'aimerais en profiter pour vous dire, monsieur Wei, que vous avez une interprète étonnante, qui a très bien su vous transmettre nos idées, qu'elles soient exprimées en français ou en anglais. D'autre part, elle nous a également transmis vos réponses.

Mme Marianne Situ (interprète, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada): Je précise que je suis une de vos interprètes et que je travaille pour Travaux publics et Services gouvernementaux. Merci.

M. Julian Reed: Vous faites un travail étonnant.

Le président: C'est une ressource que nous ne connaissions pas. Nous sommes tous très satisfaits. Monsieur Wei, il a fallu que vous veniez nous voir pour que nous apprenions cela.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): J'ai eu l'occasion de travailler avec cette interprète en Chine lorsque nous sommes allés assister à la conférence sur les femmes, et elle est tout à fait incroyable. Elle parle anglais, français et divers dialectes chinois. C'est une personne tout à fait étonnante.

Le président: Est-ce qu'elle parle la langue de Granada?

Mme Jean Augustine: Elle est également excellente quand il s'agit de faire des emplettes.

Mme Marianne Situ: Ce n'est pas de moi qu'il s'agit.

Mme Jean Augustine: Elle travaille aux Affaires étrangères.

C'est un plaisir de vous revoir et de voir que vous allez bien. Je vous souhaite la bienvenue, ainsi que le reste de mes collègues. Vous avez lancé un mouvement, celui du Mur de la démocratie. Où sont les gens qui ont lancé ce mouvement avec vous? Pourriez-vous nous parler rapidement de la cinquième modernisation en Chine, car c'est un thème qui revient dans vos critiques?

M. Wei Jinsheng (Interprétation): À cause de l'oppression particulièrement cruelle du Parti communiste chinois et des stratégies utilisées par ce parti pour diviser les gens qui ont lancé le mouvement du Mur de la démocratie, il y a beaucoup de gens qui ne travaillent plus avec nous, mais il en reste tout de même qui continuent à lutter pour le mouvement démocratique.

En ce qui concerne la cinquième modernisation, le Parti communiste chinois mentionne souvent des objectifs très attirants pour tricher et pour tromper la population chinoise. Le slogan des quatre modernisations était l'un de ces moyens.

Les Chinois considèrent que dans une société véritablement modernisée l'élément clé, c'est la démocratisation du système. C'est la raison pour laquelle j'ai intitulé l'un de mes articles: «La cinquième modernisation». En même temps, je voulais me moquer du slogan très trompeur du gouvernement chinois, qui parlait des quatre modernisations.

• 1630

Après des années de lutte, la plupart des Chinois acceptent maintenant ce concept. D'autre part, après de nombreuses répétitions et au bout de 19 ans, le président, Jiang Zemin, a enfin utilisé une expression que j'avais utilisée il y a 19 ans, et dit que la Chine ne deviendrait jamais une société moderne tant qu'elle n'aurait pas la démocratie. Pendant ces 19 ans, mes opinions ont été largement critiquées. Quelle que soit la forme de ces critiques, si on les analyse attentivement, on se rend compte qu'elles sont toujours venues d'une façon ou d'une autre du Parti communiste chinois, du parti de l'oppression.

Le président: Monsieur Wei, au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier, ainsi que M. To, pour votre visite. Comme vous le savez, nous avons beaucoup de citoyens canadiens d'origine chinoise qui ont dû suivre cette séance avec beaucoup d'intérêt. D'autre part, nous sommes nombreux à vouloir établir des liens plus forts avec la Chine, mais en même temps nous tenons à nous assurer que ces liens favorisent la démocratisation de vos institutions et qu'ils conduiront à une Chine moderne et démocratique. Nous vous remercions d'être venus et de nous avoir fait profiter du fruit de votre réflexion.

M. Wei Jingsheng (Interprétation): Moi aussi je tiens à vous remercier de m'avoir accueilli et de m'avoir écouté. Dans l'intérêt de la démocratie et de la liberté du peuple chinois, je suis certain que nous aurons des liens de coopération pendant de longues années.

Le président: Merci.

Je rappelle aux membres du comité que la semaine prochaine, lundi, nous recevons M. Enrique Iglesias, le président de la Banque interaméricaine de développement. Mardi, nous aurons des délégations de la Lithuanie et de l'Algérie. M. Claude Laverdure doit venir également. Jeudi, nous reprendrons nos tables rondes sur le désarmement nucléaire.

La séance est levée jusqu'à 15 h 30, le lundi 16 février.