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JURI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 18 février 1998

• 1536

[Traduction]

La présidente (Mme Shaughnessy Cohen (Windsor—St. Clair, Lib.)): Nous reprenons notre examen du projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques, et du projet de loi C-104 de la dernière législature concernant l'analyse génétique à des fins médico-légales.

Nous accueillons aujourd'hui des représentants du ministère du Procureur général de l'Ontario: Renee Pomerance, avocate au Bureau des procureurs de la Couronne, Affaires pénales; et le Dr James Young, sous-ministre adjoint, Division de la sécurité publique.

Merci d'être là. Nous avons votre mémoire et sommes prêts à entendre vos remarques liminaires, après quoi il y aura une période de questions.

Le Dr James Young (sous-ministre adjoint, Division de la sécurité publique, ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels de l'Ontario): Merci. Je ferai d'abord brièvement quelques remarques, puis Me Pomerance vous touchera quelques mots des questions juridiques qui nous intéressent plus particulièrement.

Je comparais ici au nom du ministère du Solliciteur général et des Services correctionnels en ma qualité de sous-ministre adjoint, ce qui fait de moi le responsable du Centre des sciences judiciaires dont fait partie le laboratoire d'analyse génétique, ainsi qu'en ma qualité de coroner en chef de l'Ontario, auquel titre je participe à des enquêtes.

Nous témoignons aujourd'hui pour approuver le projet de loi et vous faire part de la reconnaissance de l'Ontario de l'avoir déposé. Nous estimons que c'est une excellente mesure législative, que notre province appuie. Malheureusement, nous avons beaucoup trop d'expérience du genre de crimes auxquels on veut s'attaquer avec ce projet de loi.

Je suis certain que les membres du comité connaissent les causes les plus célèbres de notre province. On y compte certaines causes qui ont fait l'objet de poursuites, telles que la mort de Nina de Villiers et de Karen Marquis au Nouveau-Brunswick aux mains de Jonathon Yeo, qui ont fait l'objet d'une enquête du coroner en Ontario et ont mené à un examen de ce genre de contrevenants dangereux. Il y a aussi eu la commission royale dirigée par le juge Archie Campbell sur l'affaire Bernardo.

De là, nous avons élaboré un plan exhaustif et une méthode de traitement de ce genre de situations qu'on aborde dans le projet de loi C-3, ce qui comprend l'obligation pour la police de l'Ontario de faire rapport au système d'analyse des liens entre les crimes de violence, de nouveaux systèmes de gestion des cas pour la police qui enquête sur les crimes sérieux commis en Ontario et un agrandissement important de notre laboratoire d'analyse génétique. Cet agrandissement nous a permis d'augmenter le nombre de suspects innocentés et condamnés.

La stratégie de l'Ontario comprend donc une banque de données génétiques; nous estimons que c'est un outil important pour élucider les crimes. Voilà pourquoi nous appuyons ce projet de loi si vigoureusement. Nous avons aussi appuyé la dernière mesure législative sur l'ADN et espérons qu'on adoptera sous peu un projet de loi sur l'accréditation des laboratoires.

Nous estimons que cette loi nous permettra de résoudre certaines affaires en cours et d'autres à venir. Nous sommes aussi d'avis que, comme dans d'autres pays, elle nous permettra de résoudre des crimes commis dans le passé et non encore élucidés, et que cela aura un effet dissuasif sur les criminels.

• 1540

Nous souhaitons que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible et qu'il ait le plus de mordant possible. Connaissant les délais dont ont habituellement besoin les laboratoires, nous croyons que si le projet de loi est adopté demain, il faudra un an et demi à deux ans aux laboratoires pour s'y conformer. Voilà pourquoi l'adoption du projet de loi est urgente.

Pour terminer, j'aimerais aborder la conservation des échantillons. Nous croyons savoir que certains ont exprimé des inquiétudes concernant les violations de la vie privée que cela pourrait entraîner, mais nous sommes convaincus que la loi protège la vie privée et que le projet de loi prévoit des mesures de protection visant à garantir que les informations seront utilisées à bon escient. Nous sommes d'avis que bon nombre des inquiétudes exprimées sur les violations éventuelles de la vie privée sont plus théoriques que réelles, et je m'exprime ici comme médecin et scientifique. Je pense qu'il y a bien moins de risques en réalité que les gens ne le croient.

Enfin, je crois que les principes du maintien de la vie privée et de la destruction des échantillons doivent être bien soupesés par rapport aux besoins scientifiques aigus que représente le maintien des échantillons. Voilà pourquoi l'Ontario est un fervent tenant de la rétention.

Au cours des dernières années, l'identification par les empreintes génétiques a permis au système de justice pénale de devenir plus fiable, plus efficace et, en bout de piste, plus juste. Nous sommes convaincus que grâce aux projets de loi C-3 et C-104, la technologie judiciaire par empreintes génétiques favorisera toujours plus l'administration de la justice au Canada.

Je demanderais maintenant à Mme Pomerance de commenter les aspects juridiques de notre point de vue.

Mme Renee Pomerance (avocate, Bureau des procureurs de la Couronne—Droit criminel, ministère du Procureur général de l'Ontario): Merci, docteur Young.

Tout comme mon collègue, je suis heureuse de pouvoir expliquer au comité quels sont les grands enjeux qui découlent des projets de loi C-3 et C-104. J'ai déposé un mémoire qui explique plus en détail notre point de vue, et j'ai l'intention de vous en donner les grandes lignes.

Commençons par le projet de loi C-3: comme l'a signalé mon collègue, l'Ontario appuie sans équivoque cette initiative, car nous estimons qu'il est dans l'intérêt de la population et qu'il permettra beaucoup plus facilement à la police de faire le lien entre divers crimes et d'appréhender des criminels violents et des criminels en série.

Nous appuyons nombre des aspects du projet de loi, dont le prélèvement d'échantillons après la condamnation. Étant donné la jurisprudence canadienne portant sur le respect de la vie privée au regard de l'article 8 de la Charte, nous croyons que le prélèvement d'échantillons au moment de l'arrestation, sans mandat, pourrait soulever de graves difficultés d'ordre constitutionnel.

Comme l'a signalé le Dr Young, nous souscrivons également à l'article 10 du projet de loi, qui prévoit la conservation des échantillons biologiques. En effet, nous croyons que cette disposition constitue un élément crucial de la loi, nécessaire pour que la banque de données puisse demeurer un outil utile et efficace.

La science des empreintes génétiques a progressé rapidement au cours des dernières années. Les échantillons, qui, par le passé, ne pouvaient faire l'objet de tests parce qu'ils étaient trop petits ou trop dégradés, peuvent aujourd'hui faire l'objet de tests et peuvent donner lieu à des preuves d'identité accablantes. De plus, nos pouvons être sûrs que cette science continuera d'évoluer. Les nouvelles technologies utilisées pourront peut-être différer grandement de celles d'aujourd'hui. Nous ne pourrons peut-être pas comparer les résultats obtenus par les nouvelles et les anciennes techniques, ni en vérifier la compatibilité, ce qui pourrait avoir des conséquences très graves pour la banque de données.

Par contre, si l'on conserve les échantillons, il y aura toujours la possibilité de recommencer les tests si les techniques ont changé. Si l'on détruit les échantillons, deux options s'offriront à nous: d'une part, si nous mettons la banque à jour sans retester les échantillons, nous risquons de perdre les résultats précieux de toutes les autres données colligées sans doute au fil des ans. Par ailleurs, si nous gardons les vieilles techniques afin de pouvoir préserver les données, nous nous retrouverons avec une banque de données désuète du point de vue scientifique et ne pouvant pas communiquer avec les autres systèmes dans le monde.

La façon d'éviter ce dilemme, c'est de conserver les échantillons. Bien sûr, cela suscitera des problèmes de respect de la vie privée. Comme l'a signalé le Dr Young, le projet de loi C-3 prévoit de contrôler strictement l'accès aux substances conservées. Il prévoit notamment que l'usage non autorisé de l'information constitue une infraction criminelle, ce qui, d'après nous, devrait empêcher les abus éventuels tout en permettant à la banque de se mettre à jour devant toute innovation technologique.

Nous vous demanderions d'amender le projet de loi C-3 à deux égards.

• 1545

Commençons d'abord par les infractions primaires. Nous croyons que l'inclusion des données dans la banque de données devrait être obligatoire, et non discrétionnaire, pour tous ceux qui ont été déclarés coupables d'une infraction primaire.

Vous savez sans doute que le projet de loi prévoit actuellement qu'un juge de première instance peut refuser d'ordonner l'inclusion dans la banque de données dès que celui qui a été déclaré coupable d'une infraction primaire peut établir que sa vie privée serait lésée d'une façon disproportionnée par rapport aux intérêts de la société. Nous vous demandons de retirer de pouvoir discrétionnaire judiciaire, car il ne nous semble pas justifié du point de vue constitutionnel. Bien sûr, il faudra tenir compte des différents intérêts, mais nous sommes convaincus que le report du prélèvement d'échantillons jusqu'après la condamnation maintient l'équilibre du système.

Ceux qui nous préoccupent particulièrement, ce sont ceux qui ont été condamnés pour les crimes les plus graves que reconnaisse notre droit, soit les crimes sexuels, les homicides et les agressions graves. C'est au Parlement à établir que dès lors qu'une personne est condamnée pour une de ces infractions graves, ce simple fait justifie qu'un échantillon biologique soit envoyé à la banque, puisque les intérêts de la société priment et que cette inclusion dans la banque de données ne constitue aucunement une atteinte disproportionnée à la vie privée du coupable.

Ce qui nous inquiète, c'est que le pouvoir discrétionnaire judiciaire actuel puisse nuire au fonctionnement de la banque de données, puisqu'il introduira une incertitude. Nous affirmons respectueusement que le libellé définissant le critère est imprécis, car il peut faire l'objet de diverses interprétations. Nous savons d'après notre expérience des autres secteurs de la loi que les juges peuvent, en vertu de leur pouvoir discrétionnaire, interpréter le critère de bien des façons. Même si vous envisagez peut-être que le critère ne s'appliquera que dans des cas très rares, rien ne vous assure qu'il sera appliqué de façon aussi restrictive. La valeur d'une banque dépend de ses données. Nous craignons que ce pouvoir discrétionnaire n'entraîne l'omission de données importantes nécessaires à la protection de la population.

J'aimerais maintenant aborder l'application des dispositions du projet de loi portant sur la banque de données à ceux qui ont été déclarés coupables avant l'entrée en vigueur du projet de loi. Il est actuellement envisagé que le régime s'appliquera à deux catégories de criminels: les criminels dangereux et certains criminels sexuels récidivistes.

Nous reconnaissons que cette disposition exige l'exercice de certaines contraintes et qu'il devrait y avoir des limites à la portée rétrospective du projet de loi; toutefois, il nous semble que vous avez oublié au moins une catégorie de criminels très importants, soit ceux qui ont été déclarés coupables de meurtre et d'homicide involontaire, non seulement parce qu'il s'agit de crimes graves, mais parce que ces personnes peuvent être la source d'informations vitales.

Comme le signalait le Dr Young, la banque devrait non seulement nous permettre de résoudre les crimes de demain, mais devrait également permettre à la police de résoudre les crimes violents d'un passé éloigné. L'ADN est souvent la clé permettant de résoudre ces crimes anciens. Au printemps dernier, en Ontario, l'analyse par empreintes génétiques d'un mégot de cigarette a permis de condamner William Brett Hensen pour un meurtre qu'il avait commis il y a près de 12 ans. Il est raisonnable de croire que certaines personnes qui purgent actuellement des peines pour meurtre ou homicide involontaire ont déjà commis d'autres crimes violents pour lesquels elles n'ont pas été appréhendées.

Devrions-nous définir cette catégorie? Je crois savoir que, lors de discussions, il a déjà été question de limiter cette catégorie à ceux qui avaient été déclarés coupables d'homicides multiples. Cela nous semble trop restrictif. Nous suggérerions deux formules différentes. D'abord, vous voudrez peut-être inclure ceux qui ont été déclarés coupables de meurtre et d'homicide involontaire et qui purgent une peine de prison dans un établissement carcéral au moment où le projet de loi devient loi. Si, par contre, vous estimez que cette catégorie est trop large, vous voudrez peut-être proposer l'inclusion de ceux qui ont été trouvés coupables de meurtre ou d'homicide involontaire et d'au moins une autre infraction primaire.

Voilà ce que j'avais à dire sur le projet de loi C-3. J'aimerais maintenant commenter brièvement les dispositions du projet de loi C-104.

Avant l'adoption du projet de loi C-104, aucun mécanisme ne permettait vraiment à la police d'obtenir des échantillons d'ADN des suspects appréhendés dans des affaires criminelles. D'où l'importance du projet de loi, qui a permis de préciser la démarche à suivre. La police est maintenant autorisée à prélever de l'ADN dans des cas appropriés. Les droits individuels sont garantis par un modèle d'autorisation judiciaire préalable et par diverses autres protections.

Dans l'ensemble, ces dispositions ont bien fonctionné dans leur application. Nous vous signalons qu'environ 125 à 150 mandats de prélèvement d'ADN ont été obtenus et exécutés en Ontario depuis la promulgation de la loi. Toutefois, nous vous demanderions de tenir compte de trois facteurs dans la mise en oeuvre pratique du projet de loi.

Commençons par la liste des infractions désignées à l'article 487.04, infractions pour lesquelles il est possible d'obtenir un mandat de prélèvement d'ADN. Nous vous recommandons d'étendre cette liste à d'autres crimes violents en regard desquels il y a eu soit violence réelle, soit menace de violence, soit intention de violence. Notre mémoire contient une liste de crimes de ce genre, notamment les infractions avec arme à feu, le harcèlement criminel, l'infanticide et l'extorsion.

• 1550

Passons en second lieu à l'article 487.05, qui porte sur l'émission d'un mandat de prélèvement d'ADN. J'aimerais reprendre un point soulevé par M. Jack Walsh lorsqu'il a comparu la semaine dernière. Le libellé de l'article 487.05 nous semble ambigu.

Dans plusieurs cas en Ontario et ailleurs, le crime sexuel a donné lieu à la présence de substances dans le corps de la plaignante. Dans certains cas, la victime a subi un avortement thérapeutique, et on a pu saisir le tissu foetal pour comparaison d'ADN. Dans d'autres cas, la plaignante a mené l'enfant à terme et lui a donné naissance, à la suite de quoi l'échantillon a été prélevé sur l'enfant. Le libellé actuel ne dit pas clairement s'il est possible d'obtenir dans ces circonstances un mandat de prélèvement d'ADN. Or, différentes décisions ont été rendues par différents juges là-dessus.

Nous croyons qu'il y va de l'intérêt du public de préciser cet aspect, et notre mémoire propose d'ajouter un nouveau paragraphe à l'article 487.05 pour établir clairement qu'il est possible d'obtenir des mandats de prélèvement d'ADN dans ce type de crimes sexuels très graves.

Passons en dernier lieu à la destruction des échantillons au titre du paragraphe 487.09(1). Vous savez sans doute que ce paragraphe porte que, dans certains cas précis, les échantillons doivent être détruits, de même que les résultats des tests, même si un juge peut en ordonner la conservation. Cette disposition a donné d'assez bons résultats, mais nous avons découvert en Ontario que ce paragraphe pourrait profiter d'une précision s'il était établi clairement que les échantillons peuvent être gardés dans tous les cas où cela s'avère nécessaire et dans l'intérêt de l'administration de la justice.

Prenons un cas réel, celui où la police a saisi les vêtements d'un suspect après qu'il eut été arrêté pour homicide, et parce qu'il y avait du sang sur les vêtements. Les tests préliminaires ont déterminé que le sang était compatible avec celui de la victime, mais comme la police voulait s'assurer que les échantillons ne provenaient pas du suspect, elle a obtenu un mandat de prélèvement d'ADN pour le confirmer. Il faut dire que dans ce cas-là les preuves étaient très importantes pour la poursuite. Ce qui a été établi, ce n'est pas tant que le criminel avait laissé des substances corporelles sur les lieux du crime, mais plutôt que des empreintes indiciales suspectes avaient été laissées sur le suspect. Or, le paragraphe 487.09(1) stipulait que les preuves devaient être détruites, tandis que le paragraphe 487.09(2) ne permettait pas à première vue d'établir une ordonnance pour conserver les preuves.

Par conséquent, notre mémoire recommande de modifier cette disposition, afin de traiter des cas de ce genre et d'autres cas pratiques qui sont survenus dans nos contacts quotidiens avec cette loi.

Voilà ce que j'avais à dire, madame la présidente, mesdames et messieurs. Merci de votre attention.

La présidente: Merci beaucoup.

Êtes-vous prêt à poser vos questions, ou voulez-vous passer en dernier?

M. Jack Ramsay (Crowfoot, Réf.): Je suis prêt.

La présidente: Vous avez dix minutes.

M. Jack Ramsay: Merci, madame la présidente.

Je remercie les témoins d'être venus de si loin et de nous avoir fait part de leur expérience de première main. Nous avons besoin de témoignages de ce calibre dans l'étude d'un projet de loi comme celui-ci, étant donné que nous faisons oeuvre de pionniers. Nous sommes très sensibles aux contestations en vertu de la Charte dont pourraient faire l'objet certaines dispositions du projet de loi.

D'autres, comme moi, s'inquiètent de la portée du paragraphe 487.051(2), qui autorise le prélèvement d'échantillons d'ADN après la condamnation. Toutefois, ce paragraphe prévoit aussi certaines exemptions par les tribunaux. Cela semble contradictoire: le projet de loi autorise le prélèvement d'échantillons tout en permettant des exemptions.

J'établis ce parallèle, ou, si vous voulez, cet exemple. Ce n'est peut-être pas une bonne analogie, mais si le projet de loi est adopté tel quel, n'importe quel juge peut faire ce qu'il veut dans pratiquement tous les cas, en vertu de ce paragraphe. S'il commence à agir autrement que ne l'a voulu le Parlement dans le cadre de cet article, nous nous retrouverons dans la situation que nous avons actuellement au sujet des libérations conditionnelles, où des délinquants violents ont droit à des libérations conditionnelles et sont libérés alors que ce n'était pas du tout l'intention du Parlement au départ.

• 1555

Qu'en dites-vous? Voulez-vous qu'on garde cette disposition, ou êtes-vous d'accord avec ceux qui prétendent qu'il faut l'enlever complètement?

Mme Renee Pomerance: Non. Nous vous demanderions d'envisager de supprimer ce pouvoir discrétionnaire en ce qui touche les infractions primaires. Il est manifeste que le projet de loi fait la distinction entre les infractions primaires et les infractions secondaires.

Au sujet des infractions secondaires, qui sont moins graves, c'est au juge de décider s'il est dans l'intérêt de la justice de prononcer une ordonnance.

Le projet de loi reconnaît déjà qu'il doit y avoir des critères différents pour les infractions primaires. Comme vous l'avez dit, on exige que le juge prononce une ordonnance, mais un paragraphe précise ensuite que ce n'est pas nécessaire dans certaines conditions. Nous pensons qu'il serait justifié de renforcer cette distinction et de rendre obligatoire le prélèvement dans le cas des infractions primaires.

Outre les questions que j'ai soulevées dans mes commentaires précédents, il faut aussi garder à l'esprit l'incidence de la procédure d'appel. Chaque fois qu'un pouvoir discrétionnaire est accordé, il doit y avoir une possibilité de recours. Les appels ajouteront à l'incertitude. Il y aura encore plus de procédures dans les cas d'ordonnance de prélèvement pour la banque de données, et pour cette raison et de nombreuses autres nous demandons au comité d'envisager l'élimination de ce pouvoir discrétionnaire. Nous ne pensons pas qu'il soit constitutionnellement nécessaire pour la petite catégorie d'infractions graves que sont les infractions primaires.

M. Jack Ramsay: Votre recommandation est conditionnelle dans la mesure où elle ne porte pas sur toutes les infractions, mais seulement sur les infractions primaires?

Mme Renee Pomerance: Dans notre mémoire, nous nous sommes limités simplement aux infractions primaires, étant donné la gravité de ces crimes.

M. Jack Ramsay: Pourquoi voudriez-vous que cet article s'applique à toute infraction autorisée? Nous nous sommes torturé les méninges pour trouver un exemple hypothétique de cas où un juge ou un tribunal voudrait recourir à cette disposition. D'après votre expérience, y a-t-il des cas où il conviendrait d'utiliser cette disposition?

Mme Renee Pomerance: Je dirais que pour les infractions primaires, notre position, c'est qu'il n'y a pas de cas où les répercussions sur la vie privée seraient vraiment démesurées.

M. Jack Ramsay: Et pour les infractions moins...

Mme Renee Pomerance: Pour les infractions secondaires, il est possible, par exemple, qu'en cas de voies de fait simples, ce ne soit pas particulièrement grave. Les voies de fait sont l'une des infractions secondaires. Pour cette catégorie d'infractions, il conviendrait peut-être d'accorder un certain pouvoir discrétionnaire au juge, qui prendra en compte la situation du contrevenant, ses antécédents judiciaires, les circonstances de l'infraction, etc. Mais nous pensons que pour la catégorie d'infractions plus graves, ce n'est pas nécessaire.

Je vous signale qu'aux États-Unis, par exemple, dans au moins 40 États où il y a une banque de données de ce genre, on prévoit un prélèvement obligatoire sans exception discrétionnaire. Et si on commence à regarder ce que font nos voisins du Sud, nous pensons que cela favorise le prélèvement obligatoire, du moins pour les infractions plus graves. Mais nous reconnaissons qu'il peut convenir que le juge ait le pouvoir de tenir compte de toutes les circonstances lorsqu'il s'agit d'infractions moins graves.

M. Jack Ramsay: Bien. Dans votre exposé, vous nous déconseillez une modification au projet de loi qui permettrait un prélèvement sans mandat au moment de l'arrestation ou de la mise en accusation. Vous dites que cela pourrait prêter le flanc à des contestations en vertu de la Constitution. Quel argument pourrait être invoqué pour contester ainsi la loi en vertu de la Constitution?

Mme Renee Pomerance: Les tribunaux canadiens ont traditionnellement distingué clairement entre la prise d'empreintes digitales, par exemple, et les prélèvements d'échantillons pour fins d'analyse génétique.

Il n'y a pas si longtemps, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Stillman, déclarait que le prélèvement de cheveux pour fins d'analyse génétique et la prise des empreintes dentaires pour fins de comparaison, faits sans mandat au moment de l'arrestation, allaient à l'encontre des articles 7 et 8 de la Charte.

D'après la jurisprudence, nous estimons que les tribunaux pourraient exiger qu'au moment de l'arrestation, quand la culpabilité n'est pas prouvée et que la présomption d'innocence demeure, une autorisation judiciaire préalable sous forme de mandat soit exigée avant les prélèvements.

• 1600

Dr James Young: Je vous signale que le prélèvement à l'arrestation est utilisé en Angleterre et que c'est certainement extrêmement utile pour résoudre des crimes. Vous avez un échantillon, vous le comparez avec ceux de la banque et vous pouvez vraiment solutionner des crimes. Pratiquement, c'est utile. Le problème, c'est qu'on ne peut facilement transposer cela au Canada; il n'y a pas de système de mandat en Angleterre, les choses ne fonctionnent pas de la même façon. C'est à cause de cela que nous avons des problèmes. Après avoir examiné le système anglais et en avoir discuté avec le ministère de la Justice et notre procureur général—je présume que le solliciteur général est du même avis—je crois que même s'il serait merveilleux d'avoir la même chose, on pourrait avoir des problèmes et compromettre tout le projet de loi.

M. Jack Ramsay: Hier, l'Association canadienne des chefs de police était ici et nous a recommandé que les prélèvements se fassent après les accusations. L'un des témoins nous a donné des arguments solides pour défendre le projet de loi en cas de contestation en vertu de la Charte: si le processus judiciaire est en cours, toutes les mesures prises ensuite sont assujetties à l'examen et aux décisions du tribunal.

Je sais qu'il s'agit d'un domaine nouveau, dont la constitutionnalité n'est pas établie. Est-ce l'une des raisons pour lesquelles vous nous recommandez la prudence? Ou pensez-vous que dans dix ans, dans cinq ans, ou n'importe quand, on pourrait être moins chatouilleux sur ces questions et qu'il sera possible de modifier la loi pour permettre cela?

Mme Renee Pomerance: Il est difficile de prédire comment la loi évoluera d'ici 10 ans, mais si on remonte un peu dans le temps, on constate qu'on a insisté de plus en plus sur la nécessité des mandats et des autorisations judiciaires préalables, particulièrement lorsqu'il s'agit de fouilles corporelles ou se rapportant à l'intégrité corporelle. Même s'il est vrai qu'au moment où les accusations sont portées les policiers doivent par définition avoir des motifs raisonnables de croire que l'accusé a commis une infraction, si l'on ajoute à cela la nécessité d'obtenir un mandat, on s'assure que l'atteinte à l'intégrité corporelle est assujettie à un examen judiciaire.

Un juge à qui on présente une demande de mandat a le pouvoir de décider de le délivrer ou non, après avoir pris en compte les intérêts en jeu. Étant donné la tendance en droit jusqu'ici, au Canada, nous croyons que les tribunaux exigeraient probablement une évaluation judiciaire avant qu'on puisse saisir des substances corporelles.

La présidente: Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): On a entendu parler des progrès techniques, et on continue d'en entendre parler. Est-ce que d'autres pays ont une technique plus avancée que la nôtre, au Canada?

Dr James Young: Non. Ce qui se passe dans le milieu des analyses génétiques se passe partout dans le monde. Il y a un groupe de travail technique, dirigé par le FBI. Ce groupe fixe les normes nord-américaines. Divers laboratoires avancent à des rythmes différents pour ce qui est de la conversion, par exemple, des premières méthodes d'analyse génétique au PCR, à mesure qu'ils achètent le matériel et forment leur personnel. Mais pour ce qui est de l'orientation choisie, je pense que tous sont sur la même voie.

Il faut toutefois s'entendre à la fois au Canada même et au niveau international, par exemple au sujet des banques de données. La meilleure façon de gérer une banque de données rendrait possible la comparaison de l'information d'une banque canadienne, pour ce qui est des analyses que nous faisons normalement dans nos laboratoires, avec le système de profil génétique du FBI ou de n'importe quel État américain. Bien entendu, nous savons que ce genre de crime franchit toutes les frontières, à l'intérieur des pays comme entre les pays. Plus la recherche peut être large, meilleurs seront les résultats. Nous allons tous dans le même sens, avec les mêmes méthodes.

• 1605

M. John Maloney: On prétend qu'il faut conserver ces échantillons parce que les progrès techniques nous permettront un jour d'en savoir davantage. Que faut-il savoir de plus?

Dr James Young: Il ne s'agit pas d'en savoir plus, mais de procéder différemment ou de changer les résultats conservés.

Le FBI a mis sur pied un système, il y a des années, en utilisant l'ancienne méthode. Personne aujourd'hui n'utiliserait cette méthode pour établir une banque de profils génétiques, parce qu'il faut un échantillon plus grand et plus de temps pour l'analyse de chaque échantillon; il faut donc beaucoup plus de personnel. Par conséquent, ceux qui mettent actuellement sur pied des banques de données passent à la méthode du PCR.

Quand les premières banques de données ont été créées, personne ne connaissait les méthodes PCR. En fait, le FBI a dû essentiellement mettre de côté son ancienne banque de données et tout recommencer avec le PCR pour être compatible avec les autres banques de données. En fait, on s'attend à ce que de nouveaux systèmes soient mis au point.

Nous en sommes maintenant à un point où l'analyse génétique nous permet d'exclure qu'une personne ait déjà fourni un échantillon, mais aussi, dans certains cas, si l'échantillon est suffisant, nous pouvons dire absolument que c'est la personne qui a fait telle chose, avec une précision astronomique. Ce qui va changer, c'est la quantité d'échantillons, la rapidité de l'analyse, son informatisation. Nous sommes très préoccupés parce que actuellement, en Ontario, nous sommes très en retard sur tous les autres laboratoires du monde pour ce qui est des analyses génétiques. Les demandes d'analyses arrivent bien plus rapidement que nous pouvons les faire. Plus nous serons informatisés, moins grande sera la quantité d'échantillons, plus grand le nombre de choses pour lesquels nous pouvons l'utiliser, meilleurs nous serons. C'est donc le genre de progrès que nous souhaitons.

Mme Renee Pomerance: Ce n'est pas tout: cela pourrait avoir une incidence sur les cas pour lesquels l'analyse d'ADN sera utile. Autrefois, lorsqu'on était limité à la méthode RFLP, dans certains cas on ne pouvait pas faire de comparaison d'ADN parce qu'il n'y avait pas un échantillon suffisant. Les nouvelles méthodes permettent de procéder à des analyses de quantités minimes d'échantillons. Il y a donc maintenant des cas où les nouvelles techniques d'ADN pourront faire avancer l'enquête, ce qui était autrefois impossible. Les nouvelles méthodes ne vont donc pas seulement nous donner des chiffres différents ni accroître notre efficacité, mais pourraient aussi élargir le nombre de cas où l'analyse d'ADN peut être utile.

M. John Maloney: Quelle est la quantité de l'échantillon que vous prenez, disons, s'il s'agit de sang ou de cheveux?

Dr James Young: La quantité d'échantillons nécessaire... ce pourrait être une enveloppe léchée contenant suffisamment d'ADN, s'il y en a. Mais dans les circonstances d'analyse normale, une tache de sang un peu plus grande qu'une pièce de dix cents, mais plus petite qu'une pièce de vingt-cinq cents, sur un buvard, est bien suffisante pour faire un enregistrement; ce pourrait être aussi un écouvillonnage buccal, soit une partie des cellules de l'intérieur de la bouche, obtenu avec un abaisse-langue et étendu sur un morceau de verre. C'est bien suffisamment d'ADN pour que nous procédions à l'analyse du profil génétique.

M. John Maloney: Est-ce que vous n'analysez qu'une partie de cela, pour garder le reste?

Dr James Young: Oui, essentiellement avec l'ADN on n'obtient pas de renseignements utiles quant à... Je ne peux prendre le profil génétique de quelqu'un et vous dire qui il est, s'il est chauve, s'il porte des lunettes ou s'il a les yeux bleus. J'obtiens l'équivalent d'une série de chiffres, ou un code, et je compare ce code à un autre.

En réalité, on prend un gène, on en sépare chimiquement les chromosomes, qu'on sépare ensuite à leur tour en certains endroits, au moyen de produits chimiques particuliers. On prend ensuite une toute petite partie de ce chromosome et on en analyse le code. Si on le fait suffisamment souvent, si je prends cette toute petite partie sur tous les chromosomes, j'obtiens la séquence 1, 2, 3, 4, et je sais que cette séquence ne se retrouve que dans 10 p. 100 de la population. Je sais alors que je peux mettre de côté les échantillons de tous les autres, qui n'ont pas la séquence 1, 2, 3, 4. Je sais qu'ils ne correspondent pas.

Si je prends un deuxième échantillon, de séquence 4,4,4,4, qui ne se retrouve que chez une personne sur 100, je peux multiplier un dixième par un centième et savoir qu'il n'y a qu'un millième de la population qui correspond aux deux codes à la fois. Sur 1 000 personnes 999 n'ont pas le code correspondant à celui de l'échantillon.

Je peux prendre un troisième échantillon et un quatrième, et bientôt j'aurai une correspondance de un sur un milliard ou de un sur dix ou cent milliards, selon le nombre d'analyses que je fais. Cela ne me dit rien d'autre que le fait que sur ces quatre sites, le code est 1, 2, 3, 4, ou 4,4,4,4, ou 3,3,3,3, et 2,1,2,1—rien de plus que ces quatre séries de données.

• 1610

Je ne sais donc pas si la personne en question a le diabète, ou tout autre problème génétique, pas plus que tout autre renseignement. D'ailleurs, si je veux obtenir de l'information sur vous, au plan génétique, je ferais mieux de trouver quel est votre hôpital, pour y subtiliser votre dossier médical, parce que j'y trouverais mille fois plus d'information que tout ce que je pourrais obtenir d'une banque de profils génétiques, où ne se trouvent que ces codes, qui ne me permettraient même pas de vous retrouver, de toute façon.

M. John Maloney: Pourtant, vos analyses produisent un profil génétique. Avec les progrès techniques, ce profil changera-t-il?

Dr James Young: Si vous faites l'analyse autrement, le profil... On peut aller voir des gènes différents et les analyser. Au lieu de faire porter l'analyse sur le chromosome 1, à la position 4 000, vous pouvez aller au chromosome 2, à la position 1 000. Les résultats sont différents, parce que le profil... Le profil qu'on obtient se rapporte à un gène précis, en un endroit précis, parce qu'on utilise des enzymes de restriction pour diviser le chromosome et n'analyser que cette petite zone. Ce n'est donc pas la même séquence pour tous les gènes, partout. C'est complètement différent, pour chaque gène, à chaque endroit. Essentiellement, si on fait les choses d'une façon une année et d'une autre, l'année d'ensuite, il sera impossible de faire la conversion entre les deux. Il faut refaire les analyses de tous les échantillons de la deuxième façon, pour que la comparaison puisse se faire.

M. John Maloney: Qui paie actuellement pour les analyses?

Dr James Young: Il y a trois laboratoires d'analyse d'ADN au Canada. La GRC le fait pour toutes les provinces, sauf l'Ontario et le Québec. Le Québec et l'Ontario ont chacun leur laboratoire d'analyse d'ADN. C'est le ministère du Solliciteur général qui paie les coûts du Centre des sciences judiciaires, en Ontario. Les autres provinces recourent aux services du laboratoire de la GRC.

M. John Maloney: Avec la technologie, est-ce que vous recommanderiez que nous allions tester à nouveau tous ces échantillons afin d'améliorer les renseignements que peut nous donner la banque de données? Combien cela coûterait-il et qui...?

Dr James Young: Non. Comme nous n'avions pas de banque de données, je pense que nous la constituerions au mieux maintenant en nous fondant sur des normes internationales reconnues. Nous conserverions séparément les échantillons qui ne sont pas utilisés, avec un code distinct et de façon sûre. Ils ne seraient utilisés qu'au cas où la technologie changerait sensiblement et si l'on décidait que la banque est alors dépassée et qu'il faut passer à une nouvelle méthode.

On déciderait alors s'il faut refaire tous les essais ou simplement une partie de ceux qui figurent déjà dans la banque de données et, à partir de ce moment-là, on testerait de nouveaux échantillons en utilisant la nouvelle technologie. Par contre, si on n'a pas conservé les échantillons, on ne peut pas revenir en arrière et modifier les technologies, ni même changer la façon dont est constituée la banque de données, et c'est la raison pour laquelle on les conserve. Ils resteront littéralement là sans être utilisés pendant plusieurs années, en toute sécurité, et tout ce qui resterait, c'est une carte avec une tache de sang ou un écouvillon, une micro-plaquette avec un peu de salive.

M. John Maloney: Est-ce que ces échantillons peuvent se détériorer ou s'altérer avec le temps?

Dr James Young: S'ils sont bien conservés, il ne devrait pas y avoir de détérioration marquée. Les empreintes génétiques peuvent être sensibles à la température, mais on a effectué des tests sur de très vieux échantillons et, dans bien des cas, par exemple, cela nous permet d'élucider des homicides qui remontent à 20 ans. On a fait du travail à l'aide d'empreintes génétiques sur des momies, si bien que lorsque les conditions voulues sont réunies... Je ne pense pas que nous allons trop nous inquiéter de ce qui peut arriver après 2 000, 3 000 ou 5 000 ans.

M. John Maloney: Où en suis-je, madame la présidente?

La présidente: Vous avez bien dépassé votre temps.

M. John Maloney: Une dernière question.

Ce projet de loi va multiplier de beaucoup les échantillons d'empreintes génétiques. Avons-nous les moyens nécessaires, l'infrastructure, pour cela en Ontario et au Québec et sur le plan fédéral?

Dr James Young: Ce que l'on propose, c'est que la banque même d'empreintes génétiques soit dirigée par la GRC et que ces échantillons soient testés par la GRC, que les codes y soient conservés et que l'on se contente ensuite de ranger les échantillons.

• 1615

Je ne pense pas que cela représente un nombre d'échantillons énorme si l'on considère ce que représente l'espace nécessaire pour un morceau de papier buvard. N'oubliez pas que certains criminels récidivent et qu'il n'est donc nécessaire d'avoir leur profil génétique qu'une seule fois. Si cela a un bon effet dissuasif, nous n'aurons pas de toute façon à en obtenir tellement.

Je ne pense pas que cela puisse poser de problèmes de gestion. Ce que je crois, c'est que nous ferons ensuite les tests sur des cas particuliers dans le laboratoire, et nous comparerons le profil sur les mêmes marqueurs avec ce qui existe dans la banque afin de voir si cela correspond à quelque chose.

Évidemment, le nombre et la complexité des cas pour lesquels nous utiliserons les empreintes génétiques ont augmenté. Je pense que ce que nous voyons n'est que le sommet de l'iceberg pour les utilisations que l'on pourra faire des empreintes génétiques. Par exemple, en Grande-Bretagne, on les utilise dans les cas de cambriolage, mais nous sommes trop occupés à essayer d'élucider les cas de viol et de meurtre pour nous en servir pour les cambriolages. S'il y a toutefois des cambriolages répétés à certains endroits, ce serait une bonne utilisation des empreintes génétiques si la population s'inquiète.

Voilà donc ce que je vois qui peut être augmenté, mais pour l'entreposage et le reste, non, je ne pense pas que cela puisse poser un problème.

La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez dit que vous aviez encore une question à poser.

M. Jack Ramsay: Oui, en fait deux.

Nous avons entendu le commissaire à la protection de la vie privée dire qu'il s'inquiète que l'on conserve les échantillons. Le profil, c'est différent, mais il s'agit là d'échantillons. Il a dit que c'était beaucoup trop tentant pour d'autres ministères, qui pourraient faire ce que d'autres font avec les déclarations d'impôt, etc.

J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez. J'aimerais également aussi que vous me donniez votre avis sur la suggestion que nous a faite un témoin, qui consisterait à retirer entièrement à la GRC la direction de cette banque pour la confier à un organisme entièrement différent.

La présidente: Il a proposé un organisme d'État distinct...

M. Jack Ramsay: Qui relèverait du solliciteur général.

La présidente: ...et Diane Martin, de Innocence Project, l'a également proposé.

Mme Renee Pomerance: Pour ce qui est du glissement de fonction et de la notion que ces échantillons pourraient être utilisés à des fins qui ne sont pas actuellement envisagées, il existe des contrôles stricts. Si l'on considère d'autres domaines du droit pénal, il y a d'autres exemples de situations dans lesquelles il est nécessaire de maintenir le caractère confidentiel des documents.

Par exemple, dans le contexte des tables d'écoute, c'est une infraction criminelle que de dévoiler sans autorisation une communication privée interceptée par la police.

Nous avons toutes les raisons de croire que cette disposition a permis d'éviter que soit utilisé à mauvais escient ce genre d'élément de preuve. Pour ce qui est du projet de loi C-3, qui fait de l'usage non autorisé un acte criminel, nous croyons que cela devrait permettre, avec les conditions de sécurité exigées, d'éviter tout abus éventuel.

Pour ce qui est de l'organisme d'entreposage indépendant, je laisserais peut-être le Dr Young répondre. Mais si vous estimez que c'est préférable et que ce serait plus sûr pour la protection de la vie privée, nous vous inviterions instamment à régler le problème en rendant les contrôles encore plus stricts plutôt qu'en évitant de conserver les échantillons.

M. Jack Ramsay: J'aimerais vous poser une question complémentaire à ce sujet. Le commissaire à la protection de la vie privée, M. Phillips, s'inquiétait, d'après ce que j'ai compris, non pas que l'on risque d'enfreindre la loi, mais que la loi soit interprétée de façon plus lâche dans quelque temps du fait de ces glissements, de la nécessité de savoir, du désir de savoir.

Dr James Young: Le problème est que la nécessité de savoir ne fournira pas d'informations utiles. Les informations que contient la banque de données ne sont rien de plus qu'un code qui dit simplement quelles sont vos caractéristiques génétiques dans certains sites spécifiques. Cela ne dit rien de plus. Cela ne donne aucun renseignement utile. Vous ne pourriez rien prévoir ni faire avec ces renseignements, sinon dire si cela s'apparente à quelqu'un d'autre, tellement l'échantillon est petit. C'est extrêmement limité.

Les codes individuels sont littéralement limités. Par exemple, dans certains cas, un échantillon peut représenter quelque chose que l'on retrouve dans 50 p. 100 de la population. Cela ne dit ou ne fait donc rien de très utile. Vous voyez le code, et cela ne vous donne rien, parce que 50 p. 100 de la population présente cette caractéristique.

• 1620

Donc le problème que peut représenter l'échange d'informations ou l'utilisation de ces informations n'est pas réel, parce qu'il n'y a rien à utiliser. Comme je l'ai déjà dit, je m'inquiéterais beaucoup plus de mon dossier médical et de mon dossier de conducteur ou de mes déclarations d'impôt ou d'autres renseignements que possède le gouvernement. En tant que médecin et chercheur, je sais que ces renseignements ne peuvent servir à personne d'autre.

Quant à l'organisme séparé, je crois que c'est une question de sécurité, et la GRC sait très bien comment assurer la sécurité. Je ne verrais pas d'objection toutefois à ce que l'on confie cela à un organisme distinct. Je n'en vois pas la nécessité, mais si on mettait cela sur pied et que le salaire était bon, je présenterais certainement ma candidature. Cela pourrait être un bon emploi.

M. Jack Ramsay: Je vous remercie, parce que ce que vous nous dites est très important à la suite des propos tenus par le commissaire à la protection de la vie privée. Il est important que nous ayons votre point de vue. Nous essayerons probablement de vérifier cela auprès d'autres sources afin que nous soyons le mieux informés possible pour rassurer certains témoins qui semblent avoir quelques craintes.

La présidente: J'aurais une ou deux questions à poser. Connaissez-vous le nombre de cas d'agression sexuelle, d'agression grave et de meurtre en Ontario restés en suspens? Avez-vous des chiffres?

Dr James Young: Qui seraient à l'heure actuelle dans notre laboratoire?

La présidente: Nous avons reçu hier un agent de Vancouver qui nous a dit que depuis environ 1982, en Colombie-Britannique, il y a eu environ 600 cas qui sont restés en suspens et qu'on a l'intention d'élucider grâce à la banque de données génétiques. Chacun de ces cas a une victime ou un groupe de victimes.

Dr James Young: Pour les agressions, je ne suis pas certain des chiffres. C'est énorme. Je ne sais pas si nous les avons comptés, car il y a tellement de vieux dossiers que nous pourrions tout d'un coup rouvrir.

Nous avons à l'heure actuelle un projet en Ontario qui s'appelle Project Angel, qui consiste à réexaminer 20 cas anciens d'homicide dans la région de London seulement, qui remontent à quelque 20 ou 30 ans. Un nombre important d'entre eux contiennent peut-être des éléments d'identité génétique. Si l'on prend cela, plus les cas non élucidés, il faut retourner aux dossiers et voir là où nous avions des échantillons et des échantillons de sperme. Il y en aurait des centaines. Le nombre de cas actuels que nous essayons d'élucider atteint des centaines, comme dans tous les autres laboratoires, parce que l'on utilise de plus en plus les empreintes génétiques.

Mme Renee Pomerance: Il y a évidemment des services de police en Ontario qui ont commencé à consacrer des ressources spécialisées aux enquêtes sur des cas anciens. Leur travail a déjà porté fruit dans certains cas. Nous croyons que la banque de données va considérablement les aider dans leur travail.

La présidente: Madame Pomerance, vous avez de toute évidence examiné des systèmes dans d'autres pays, et vous l'avez probablement fait tous les deux. Est-il un pays qui à votre avis soit réellement en avance, un qui ait un système juridique similaire au nôtre et un qui ait les lois modernes nécessaires pour ce type d'enquête et qui ait une banque de données moderne?

Dr James Young: L'Angleterre, l'Australie... la Nouvelle- Zélande y travaillent; dans la plupart des régions des États-Unis aussi. Le cadre législatif, et ce que l'on fait dans ces pays, est similaire à ce qui se fait partout, notamment pour la conservation des échantillons.

J'étais la semaine dernière à une grande conférence médico- légale, et l'inventeur de l'analyse génétique, Sir Alex Jeffries, était là. Tous les représentants des États-Unis et de la Grande- Bretagne parlaient de conservation et du fait que c'était nécessaire. Tout le monde semble aller à peu près dans le même sens. J'ai regardé les lois de divers États, et elles sont pratiquement identiques, sous réserve de quelques variances.

Mme Renee Pomerance: Il y a des variations quant au moment où est prélevé l'échantillon. Certains le prélèvent quand on entre dans une institution et d'autres quand on en sort. Dans certains cas, c'est un acte administratif plutôt que judiciaire. Il y a certaines différences mineures d'après les États. Sous réserve des observations que nous avons faites, nous serions favorables à la formule proposée dans le projet de loi C-3.

La présidente: J'aurais encore une ou deux questions à poser; et, docteur Young, je n'essaie pas de vous provoquer, mais l'enquête Morin est fraîche dans nos esprits à tous...

Dr James Young: Les éléments de preuve dans l'enquête Morin, en effet.

La présidente: Oui. Ce sur quoi je veux vous interroger, c'est sur le centre et sur les problèmes qui ont été soulignés par cette commission. Je n'ai pas l'intention de faire enquête. J'essaie simplement de savoir si vous avez vu des signes de problèmes semblables dans d'autres laboratoires du pays—il n'y en a que deux, un au Québec et celui de la GRC—et si vous échangez des informations sur la façon d'éviter ce genre de problèmes et sur ce que vous avez fait à ce sujet.

• 1625

Dr James Young: C'est une question tout à fait normale.

Tout d'abord, pour ce qui est des problèmes qui ont mené à la condamnation à tort de M. Morin, ces travaux ont été faits il y a 14 ans et portaient sur les cheveux et fibres, mais en particulier sur les fibres. Les éléments de preuve sur les fibres sont à l'état de traces, et la question n'était pas de savoir s'il y avait d'autres fibres qui s'étaient introduites dans ce cas, parce que nous le savions déjà depuis toujours. La question était de savoir quand elles s'y étaient introduites. Puisque c'est ce que l'on compare dans le cas des fibres, c'est essentiel, et c'est là-dessus que portait le problème.

Pour tout cas, ce qui est fait et la façon de le faire, y compris l'agrément, varient énormément. Dans l'affaire Morin, l'élément de preuve essentiel était justement l'analyse génétique, incontestablement. Malheureusement, pendant de nombreuses années— presque les 14 années—nous étions incapables d'effectuer l'analyse génétique. Nous savions posséder un échantillon de sperme, mais sans méthode il nous était impossible de faire l'extraction de l'ADN et d'en faire l'identification. C'est justement ce qui explique la tenue d'une enquête—à cause des empreintes génétiques.

Grâce au GTTADN, c'est-à-dire le Groupe de travail technique sur l'ADN, les normes et les méthodes utilisées pour l'identification des empreintes génétiques sont les mêmes, qu'il s'agisse de la GRC, du laboratoire du Québec, du laboratoire de l'État de l'Illinois ou du FBI. Ce qui est très important, outre l'agrément—j'ai déjà mentionné que nous tenons énormément à l'agrément; nous sommes un laboratoire qui jouit de l'agrément de l'ASCLAD—c'est le fait que nous avons eu du mal à nous entendre sur une norme canadienne comme telle, et donc nous sommes allés de l'avant, nous avons adopté la norme du laboratoire médico-légal américain.

Nous estimons important que les laboratoires qui font des analyses génétiques aient obtenu l'agrément, ce qui constitue, à notre avis, une méthode d'assurance de la qualité. Ce que nous faisons au laboratoire au sujet de cette affaire, et comment nous le faisons, est très différent, mais nous avons tiré de nombreuses leçons de cette affaire.

La présidente: Vous me dites donc qu'il nous faut mettre au point un régime d'agrément au Canada ou nous procurer un agrément international.

Dr James Young: Oui, et personnellement je préfère que nous utilisions le régime de quelqu'un d'autre. Vu la taille de notre pays, et le fait que nous possédons trois laboratoires médico- légaux, il ne sert à rien de réinventer la roue, puisqu'elle existe déjà. C'est essentiellement ce que fait l'ASCLAD, ce que font les Australiens, sauf que là-bas on se fonde sur les normes de l'ISO. L'ASCLAD est sur le point de faire la même chose, et nous sommes sur le point d'adopter ces normes.

La présidente: Ce régime d'agrément implique évidemment que quelqu'un ou un groupe de personnes viendra voir, n'est-ce pas?

Dr James Young: Oui.

La présidente: En fait, ce sera un peu comme des vérificateurs externes de la science?

Dr James Young: On examine tous les aspects d'un laboratoire: comment préparez-vous vos manuels, comment gérez-vous votre laboratoire, faites-vous suffisamment d'épreuves de compétence, et faites-vous ou non des tests anonymes? On se promène dans le laboratoire pour s'assurer de sa propreté et de son bon fonctionnement comme laboratoire médico-légal. Lorsque nous obtiendrons l'agrément—à titre d'exemple, notre laboratoire est grand—nous aurons une équipe de six inspecteurs externes qui, pendant une semaine, viendront examiner tout ce qu'ils voudront voir chez nous. Ils nous diront ensuite ce que nous faisons bien et ce que nous ne faisons pas bien.

La présidente: À la lumière de cette science et de cette technologie, verrons-nous le jour où le service de police de Windsor possédera un petit laboratoire d'identification génétique?

Dr James Young: J'ose espérer que non. J'aime mon emploi.

La présidente: Vous aimeriez vivre à Windsor.

Dr James Young: Ce ne sera pas le cas, à moins que l'analyse ne devienne très mécanique et facile. Vu les procédures qui doivent être en place dans un laboratoire médico-légal afin d'assurer la continuité des tests, etc., je ne vois pas l'analyse génétique se vulgariser. J'envisage cependant la mécanisation et de nombreux autres aspects médico-légaux. Par exemple, à l'aide d'un programme d'ordinateur, vous pouvez maintenant vous rendre sur la scène d'un meurtre, examiner les taches de sang, faire l'entrée de toute une gamme de données, pour ensuite déterminer d'où ça vient, sous quel angle, etc., ce que vous ne pouviez faire auparavant. Toutefois, je ne nous vois pas faire les analyses génétiques sur le terrain.

La présidente: Madame Pomerance, le respect de la Charte dans cette mesure tourne autour de la nature gênante de la prise d'échantillons. À l'heure actuelle, un échantillon peut provenir de sang, d'un prélèvement, d'un cheveu, et même, je suppose, d'un ongle, ou que sais-je. On parle même maintenant d'un test d'haleine, de l'agrippement d'un instrument, ce qui ressemblerait à la prise d'empreintes digitales. L'échantillon nécessaire deviendra de plus en plus petit, et le prélèvement pourra se faire de façon moins gênante que la prise d'empreintes digitales. Si vous avez déjà donné vos empreintes digitales—je l'ai fait c'est à suivre—il y a des gens autour de vous, et c'est très physique. Il faut du temps. Je pense que si vous étiez en état d'arrestation—ce qui n'était pas mon cas—cela pourrait être énervant. On se sent pris.

• 1630

Si cela devient moins gênant, je me demande s'il sera possible ainsi de respecter la Charte et de faire avancer la loi. Ma question est-elle claire?

Mme Renee Pomerance: Je le pense.

Tout d'abord, en ce qui concerne la nature gênante des procédures, c'est vrai que celles-ci le sont plus que la prise d'empreintes digitales, mais, par ailleurs, les tribunaux reconnaissent qu'elles sont beaucoup moins gênantes que d'autres types de procédures utilisées. Par exemple, la prise d'une goutte de sang en piquant le doigt est beaucoup moins gênante que le prélèvement d'un échantillon liquide de sang dans le cadre d'une enquête portant sur une infraction de conduite en état d'ébriété.

On a considéré la validité constitutionnelle du projet de loi C-104 dans plusieurs affaires. Il y a notamment l'affaire SF, en Ontario. Il y a deux affaires en Alberta—Brighteyes et Schwalm. De façon générale, les tribunaux ont décrété que ces procédures étaient assez peu gênantes, en ce sens qu'elles portaient de façon minime atteinte à la dignité et que la gêne était très minime. Ces procédures ont une portée éphémère et ne posent aucun risque médical ni aucune menace grave à l'intégrité physique.

À l'heure actuelle, je ne pense pas que ces procédures soient particulièrement gênantes. Il se peut qu'elles le deviennent encore moins, et il y a plusieurs cas où on a utilisé par exemple un mégot de cigarette, une gomme à mâcher, ou la colle d'une enveloppe pour obtenir le profil d'identification génétique.

En ce qui concerne la Charte, lorsqu'il est question d'échantillons au moment de l'accusation, la nature gênante de la procédure n'est qu'une partie de l'affaire. Songez à l'affaire Stillman, par exemple, où le tribunal s'est préoccupé non seulement de la nature gênante perçue de la procédure, mais également du fait que l'ADN n'allait pas disparaître. On ne risquait pas en effet de voir détruits ou perdus les éléments de preuve, et donc rien n'empêche la police de se procurer un mandat au préalable.

Même si les procédures varient et deviennent moins gênantes, il y a peut-être encore quelques aspects à considérer en ce qui concerne le prélèvement au moment de la mise en accusation.

La présidente: Je jure que ce sera ma dernière question, mais je pourrais continuer toute la nuit.

Un témoin précédent nous a dit qu'une fois le profil dans l'ordinateur, il devenait impossible de l'effacer. En d'autres termes, le profil d'identification y figurera toujours, mais on peut séparer cette identification du profil même. Certains témoins se sont préoccupés de l'aspect de la protection de la vie privée. Une fois le profil dans l'ordinateur, même si on tente de l'éliminer, ce n'est pas le cas.

Dr James Young: Je ne saurais vous dire. C'est à peine si j'arrive à mettre mon ordinateur en marche.

La présidente: J'ai dû apprendre cette manoeuvre par coeur.

Dr James Young: Oui. On change continuellement mes codes.

La question n'est pas de savoir si on peut l'effacer. Si l'on peut isoler l'identité, à quoi sert l'information? Le profil ne sert à personne de toute façon, surtout si vous isolez l'identité du profil. Le profil ne représente qu'un ensemble de chiffres qui ne sert à rien. Que cela existe ou pas, qu'importe? Qu'est-ce que vous allez en faire?

Mme Renee Pomerance: Si je comprends bien, le projet de loi C-3 n'envisage pas de détruire les résultats, mais simplement de les rendre inaccessibles. J'ai moi aussi une connaissance très limitée des ordinateurs, mais je pense que ce sera très utile pour le Centre des sciences judiciaires, vu la façon dont on y enregistre les données tirées d'un profil. Si la loi prévoit une description physique, cela peut devenir très difficile, et dans certains cas impossible, vu les logiciels utilisés. Je pense que l'option «rendue inaccessible» permettra de surmonter certains des problèmes qui se poseraient autrement.

• 1635

La présidente: Je pense que c'était là ma dernière question, mais je suis la présidente, et j'ai le marteau.

Pouvez-vous me dire, docteur Young, ce qui arrivera? Comment allons-nous prélever des échantillons dans cinq ans? Combien nous en faudra-t-il?

Dr James Young: Difficile à dire. Par exemple, il se fait actuellement des travaux sur un nouveau régime appelé ADN mitochondrial. Déjà, l'échantillon est plus petit, mais c'est très coûteux et très difficile sur le plan scientifique. On travaille aussi à mécaniser de plus en plus l'analyse des échantillons.

Les quantités d'échantillons vont certainement diminuer. Quant à la façon de s'y prendre, je pense que nous gagnerions du terrain sur le plan de la rapidité des analyses, du nombre de personnes nécessaires pour faire le travail... Sur le plan des résultats, c'est déjà réussi. Nous pouvons obtenir les résultats souhaités. Je ne sais pas si nous allons pouvoir utiliser les empreintes sur des verres ou les tests d'haleine. Peut-être, peut-être pas.

La difficulté, à mon avis, c'est qu'il faut s'assurer que nous pouvons faire ces prélèvements et s'assurer qu'ils ne sont pas contaminés. Quand il s'agit de l'haleine... il y a de nombreuses autres «haleines» dans cette salle outre la mienne. Quant aux verres, il faudrait s'assurer que le verre a été parfaitement lavé et qu'on n'y trouve l'ADN que d'une seule personne. Je pense que la beauté d'un prélèvement de gorge ou d'un échantillon de sang, c'est que j'ai un échantillon considérable dont je connais la provenance avec certitude, et donc le risque de contamination est très minime.

La présidente: Très bien. Merci.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je tiens à m'excuser auprès de vous deux de mon arrivée tardive et d'avoir raté vos exposés. J'espère qu'on ne vous a pas déjà posé ma question.

Hier, des représentants des forces policières, en réponse à une question d'un député de l'opposition, ont parlé du rôle de l'ADN dans le sens d'une infraction désignée comme telle et de ce que cela donnerait dans le cadre du processus de négociation de plaidoyer. C'est-à-dire, au Bureau du procureur de la Couronne, si l'infraction entraîne un prélèvement en vue d'une identification par les empreintes génétiques—ce serait prévu dans la loi— qu'est-ce que cela donnerait si le procureur de la Couronne voulait peut-être laisser tomber les accusations ou les négocier?

La présidente: L'exemple donné, c'était: «Je vais me reconnaître coupable, mais ne mettez pas mes empreintes génétiques dans la banque.»

M. Peter MacKay: Laissons tomber la moindre...

Mme Renee Pomerance: Il est difficile de se prononcer dans l'abstrait, et invariablement les discussions de ce genre tournent autour de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire fondé sur les faits particuliers dont dispose le procureur de la Couronne. Il est donc difficile de parler de façon générale, mais je m'attendrais à ce que le procureur de la Couronne n'oublie pas le fait qu'en incluant les empreintes dans la banque, on dispose d'un moyen très important pour assurer la protection de la population et pour résoudre des crimes éventuels. Je ne pense pas que l'on ait recours à cette stratégie très souvent, si jamais on y a recours.

M. Peter MacKay: Très bien. Je crois savoir que c'est l'instruction qui figurait dans le guide du procureur de la Couronne, mais prévoyez-vous que les agents de police s'adresseront à vous pour obtenir des conseils avant de porter des accusations afin de voir s'ils ne devraient pas placer la barre plus haut en vue d'obtenir un plaidoyer de l'accusé?

Mme Renee Pomerance: Généralement, du moins en Ontario, la police peut demander un avis avant l'accusation, mais nous ne faisons pas de tri à cette étape. La décision ultime concernant les accusations qui seront portées est prise par la police.

M. Peter MacKay: Évidemment.

Mme Renee Pomerance: J'aimerais croire que l'accusation n'est jamais portée au-delà du niveau approprié dans le simple but d'obtenir un plaidoyer particulier.

Il pourrait arriver qu'à cause de la banque de données un délinquant qui serait normalement porté à présenter un plaidoyer de culpabilité à une infraction particulière décide de ne pas le faire, constatant que si sa culpabilité est reconnue, son nom sera versé dans la banque de données. De peur qu'on ne puisse lui attribuer d'autres infractions, il préférera peut-être subir un procès, quitte à essayer de se faire acquitter. Voilà ce qui pourrait se produire dans certains cas.

Je ne pense pas que les deux autres possibilités présentent un risque réel, même s'il est difficile, comme je l'ai dit, de prévoir comment s'exercera ce pouvoir discrétionnaire dans un cas donné.

• 1640

M. Peter MacKay: Je voudrais poursuivre sur la même question, madame la présidente.

Si l'on reprend le même scénario, comment concilier le fait... Je comprends qu'on puisse ne pas souhaiter que de l'ADN soit prélevé avant une condamnation, précisément parce que cela pourrait inciter certains individus à venir au procès, à présenter un plaidoyer, puis à disparaître, craignant que s'ils sont soumis à un prélèvement d'ADN après une condamnation, on ne puisse leur imputer un crime auquel ils ont participé; il est donc à craindre que l'obligation de fournir de l'ADN ne contraigne ces individus à prendre la fuite.

Mme Renee Pomerance: Eh bien, ce que je peux dire—et j'espère que cela répondra à votre question—c'est qu'évidemment il existe une façon d'obtenir un échantillon d'ADN au moment de l'arrestation: il faut pour cela obtenir un mandat d'ADN.

M. Peter MacKay: C'est cela.

Mme Renee Pomerance: La police en aura toujours la possibilité si elle a les motifs requis.

Ce qui m'inquiète, c'est le risque de soulever des difficultés constitutionnelles si l'on applique le scénario de la banque de données et que l'on donne carte blanche aux policiers pour prélever des échantillons sans mandat à cette étape. Mais jusqu'à maintenant la police a réussi à se prévaloir de ces dispositions dans un grand nombre de cas et à recueillir des preuves. Il lui a suffi d'obtenir préalablement un mandat.

M. Peter MacKay: Pensez-vous qu'il faille, dans ce cas, ajouter une disposition à la loi pour donner aux juges et aux procureurs de la Couronne le pouvoir discrétionnaire d'exiger que ce mandat leur soit demandé avant la condamnation?

Mme Renee Pomerance: Excusez-moi, voulez-vous dire la demande de mandat concernant l'échantillon...?

M. Peter MacKay: Concernant le prélèvement d'ADN.

Comme il le fait dans le cas d'une ordonnance concernant une arme à feu, le tribunal pourrait ordonner au suspect de coopérer avec la police et d'accepter un prélèvement comme condition préalable à sa remise en liberté.

Mme Renee Pomerance: Je suppose qu'on peut déjà obtenir les mêmes résultats grâce à la demande de mandat d'ADN. Une fois que le juge a émis ce mandat, l'individu est contraint de fournir un échantillon conformément aux procédures d'enquête.

Je ne suis pas certaine qu'on puisse procéder ainsi dans le contexte d'une enquête sur le cautionnement, mais c'est déjà dans une large mesure ce qui se produit à l'occasion d'une requête ex parte de mandat en vertu de l'article 487.05, et dans ce cas il n'y a aucune condition. Si le juge émet un mandat, l'individu est obligé de fournir un échantillon.

M. Peter MacKay: Merci.

La présidente: Ne pensez-vous pas, Peter, que c'est un peu comme si le juge lui disait: «D'accord, je vous laisse sortir, mais vous devez faire une déclaration»? N'est-ce pas la même chose?

M. Peter MacKay: Non, je ne pense pas.

La présidente: C'est pour cela que je ne suis pas restée procureure de la Couronne pendant toute ma carrière. En tout cas...

Allez-y, Nick.

M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Je voudrais entrer dans des détails techniques. J'essaie de me faire à l'idée de la conservation des échantillons, car vous défendez ce principe avec une grande conviction.

Si l'on analyse plusieurs fois le même échantillon provenant d'une même source, on obtiendra le même profil, n'est-ce pas?

Dr James Young: Non, le profil dépend de l'analyse que l'on fait. S'il s'agit d'une analyse RFLP, on obtient un profil RFLP. Si l'on fait une amplification en chaîne par polymérase, ou ACP, en utilisant les sondes 1, 2, 3 et 4, on obtient ce profil.

M. Nick Discepola: On obtient ce profil, mais on utilise la même ACP, n'est-ce pas?

Dr James Young: On ne sait pas si l'ACP est la solution ultime. Elle pourrait être l'année prochaine ce qu'était l'analyse RFLP il y a cinq ans, et c'est là le problème. Je ne peux pas vous donner de réponse.

M. Nick Discepola: Est-ce que l'ACP et l'analyse RFLP sont l'équivalent du Beta et du VHS pour les magnétoscopes?

Dr James Young: Non. Le RFLP équivaut à un Apple IIe, et l'ACP à un MacIntosh.

M. Nick Discepola: Mais cela n'a pas d'importance. Si j'utilise toujours un Apple IIe jusqu'à la fin de mes jours, je n'aurai pas de problèmes. C'est le logiciel qui change...

Dr James Young: Non, pas si j'utilise un système tout à fait différent dans mon laboratoire, parce que...

M. Nick Discepola: Cela me rappelle mon directeur général, qui voulait toujours avoir des ordinateurs à la fine pointe du progrès.

J'essaie de savoir de quoi nous avons besoin. C'est d'une banque qui permette d'obtenir un profil qu'on pourra confronter à un fichier de criminalistique. N'est-ce pas?

Dr James Young: Le problème, c'est que le fichier de criminalistique n'utilisera plus les mêmes mesures. Il y a eu des progrès, car pour faire le travail que j'ai à faire, je dois maintenant utiliser une technologie différente et beaucoup plus rapide. La banque est très en retard, et je vais cesser de l'utiliser.

M. Nick Discepola: Mais vous me donnez des exemples indiquant ce qu'on peut faire avec un plus petit échantillon, ou grâce à l'automatisation, etc. Est-ce que je n'obtiendrai pas le même résultat si j'utilise toujours l'ACP?

Dr James Young: Si l'on n'abandonne jamais l'ACP ni les... Une fois qu'on a les échantillons, vous semblez dire que si l'on choisit l'ACP et les sondes 1, 2, 3 et 4, on va toujours rester avec ces mêmes sondes. L'année prochaine, lorsque le FBI, la police britannique et tous les autres décideront de passer aux sondes 15, 16, 17 et 18...

M. Nick Discepola: Très bien.

Dr James Young: ...ils ne pourront pas le faire. Si notre laboratoire décide de profiter d'une percée technologique, et que soudain on peut faire un test en 15 minutes plutôt qu'en 48 heures, grâce à une procédure automatisée qui nous permet de rattraper tout notre retard, on va soumettre tous nos échantillons à la nouvelle procédure, la banque de données sera toujours là, mais on ne la consultera plus.

• 1645

M. Nick Discepola: Il s'agit non seulement de la technologie, du choix entre l'ACP et le RFLP, mais également des types d'analyses qu'on effectue avec cette technologie.

Dr James Young: Oui, tout à fait.

M. Nick Discepola: On obtient donc des profils différents.

Dr James Young: Oui.

La présidente: Il faut donc définir les priorités. On pourrait effectuer toutes les analyses de plus en plus vite.

Dr James Young: J'aimerais que nous en soyons déjà là. C'est l'établissement des priorités qui a posé un problème dans l'affaire Bernardo. C'était même le coeur du problème: on avait à cette époque un tout nouveau laboratoire submergé d'échantillons. À l'époque de Bernardo, nous avions un seul expert en ADN. Nous venons de finir la formation... nous allons avoir 50 spécialistes qui feront des analyses d'ADN, et nous avons encore plus de retard en analyse d'ADN qu'à l'époque de Bernardo, à cause de la prolifération des cas où on a recours à l'ADN. Nous avons encore bien du retard à rattraper.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Je dis tous les jours que ce dossier nous plaît beaucoup, car il est beaucoup plus intéressant que certains autres sujets que nous avons étudiés. Nous avons beaucoup appris. Vous êtes très professionnels, vous nous avez beaucoup aidés, et nous tenons à vous remercier sincèrement.

Nous allons nous interrompre quelques instants pendant que les témoins suivants vont s'installer.

• 1646




• 1654

La présidente: Nous sommes de retour. Nous accueillons les avocats Carole Brosseau, Anne-Marie Boisvert et Giuseppe Battista, qui représentent le Barreau du Québec.

• 1655

Soyez les bienvenus. Vous êtes déjà venus nous voir à plusieurs reprises; nous allons tout d'abord vous écouter, puis nous vous poserons des questions.

[Français]

Me Carole Brosseau (avocate, Barreau du Québec): Je voudrais d'abord vous remercier de nous avoir invités à participer aux délibérations d'aujourd'hui.

Je suis accompagnée, comme vous le disiez plus tôt, d'Anne-Marie Boisvert et de Giuseppe Battista, qui sont tous les deux avocats et membres du comité permanent en droit criminel du Barreau du Québec.

Dans ce comité, qui est un comité consultatif du Barreau du Québec, on retrouve une pluralité de disciplines, à savoir des avocats de la défense, des avocats de la Couronne, des professeurs ainsi que des représentants de la police. Donc, on a une vision assez globale quand on présente nos positions. On essaie d'avoir la vision la plus large possible.

Une fois que le comité consultatif a fait ses suggestions, elles sont analysées ou non par le comité administratif du Barreau du Québec.

Pour présenter nos commentaires relativement au projet de loi C-3, c'est Me Anne-Marie Boisvert qui va prendre la parole.

Me Anne-Marie Boisvert (avocate, membre du Barreau du Québec): Bonjour. Je vois que la journée est passablement entamée. Je vais donc tenter d'aller à l'essentiel de notre présentation.

Tout d'abord, j'aimerais dire que le Barreau du Québec est d'accord sur les objectifs poursuivis par la loi. Il est d'accord aussi sur les principes qui sont énoncés à l'article 4 et il se réjouit de l'adoption d'une loi particulière pour régir les banques de données, une loi qui est à l'extérieur du Code criminel.

Cela étant dit, le Barreau du Québec est d'avis que le projet de loi, dans son état actuel, n'est probablement pas prêt et qu'il mérite d'être retravaillé. En effet, le Barreau craint que, dans son état actuel, le projet de loi ne respecte pas certains principes énoncés comme étant des principes directeurs de la loi, plus particulièrement le respect de la vie privée.

Si on comprend bien le projet de loi qui crée une banque de données, il y aurait une banque de données composée essentiellement de deux fichiers: un fichier des condamnés et un fichier de criminalistique, beaucoup plus large.

Pour ce qui est du fichier des condamnés, je dirais que la loi est passablement claire. Le mécanisme d'entrée dans le fichier des condamnés est relativement précis. Le mécanisme de sortie, si on peut l'appeler ainsi parce qu'on parle de conservation perpétuelle, ou de mise à l'écart de certains renseignements est relativement précis aussi, sauf peut-être en ce qui a trait aux personnes acquittées d'une infraction.

En fait, les données sur les personnes acquittées d'une infraction feront partie du fichier des condamnés pendant toute la vie de celles-ci. On prévoit une mise à l'écart des renseignements, mais le Barreau du Québec voit là une remise en question de la notion d'acquittement et d'innocence.

Nous éprouvons par ailleurs plus de difficultés quant au fichier de criminalistique. En parlant du fichier de criminalistique, qui est prévu à l'article 5 de la loi, le législateur a fort probablement en tête la banque de suspects non condamnés encore.

Or, si on lit le projet de loi, on voit que peuvent entrer dans le fichier ou doivent nécessairement entrer dans le fichier de criminalistique, à moins qu'il existe quelque part un troisième fichier dont la loi ne parle pas, beaucoup plus que des éventuels suspects.

La victime qui fournit des échantillons, les tiers innocents, son conjoint, par exemple, doivent entrer quelque part. Ou bien on ne nous parle pas du troisième fichier de la banque, ou bien ils sont dans le fichier de criminalistique. On pense même que certaines personnes pourraient entrer dans le fichier de criminalistique sans même le savoir. Je pense entre autres aux victimes ou à des tiers innocents. Donc, l'entrée dans ce fichier-là est perpétuelle, alors que pour le fichier des condamnés, on prévoit un éventuel mécanisme de mise à l'écart ou de non-divulgation de certains renseignements. Rien n'est prévu pour le fichier de criminalistique. Donc, c'est une entrée à perpétuité.

• 1700

Cela me ramène à ce que je disais en introduction. L'objet de la loi, pour l'instant, est l'identification des criminels dans le respect de la vie privée, mais l'entrée perpétuelle de données sur des personnes qui n'ont jamais été suspectes d'une infraction dans un fichier de renseignements laisse craindre que le fichier serve un jour à autre chose qu'à l'identification des criminels.

Si on envisage un jour de ficher tout le monde, les victimes auront eu l'honneur de faire leur entrée les premières dans le fichier. J'ai un petit peu de difficulté devant cela.

De façon générale, le Barreau du Québec est d'avis qu'il faudrait prévoir un mécanisme de sortie des fichiers, un mécanisme qui aille au-delà de la simple mise à l'écart des renseignements contenus dans le fichier des personnes condamnées.

Nous avons parlé dans notre mémoire de destruction d'échantillons et de destruction des fichiers. Nous avons avancé une période de 10 ans, période qui est aléatoire, l'idée maîtresse étant surtout qu'il faudrait prévoir la possibilité de sortir des renseignements du fichier quand leur conservation n'est plus nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi.

À la limite, il faudrait peut-être même qu'après un certain temps, quelqu'un ait à faire la preuve qu'il est toujours dans l'intérêt public et dans l'esprit de la loi de conserver certains renseignements et certains échantillons.

Pour ce qui est de la victime qui a fourni des échantillons et qui voudrait sortir à un moment donné du fichier, il n'y a pas de mécanisme de prévu pour elle, mais son conjoint qui a fourni des échantillons pourrait tout simplement être éliminé des suspects. Il n'y a pas moyen d'en sortir.

La personne qui a obtenu un pardon est dans le fichier des condamnés pendant toute sa vie. Je dirais que c'est aussi le cas de la personne acquittée.

Donc, le Barreau du Québec exprime la crainte que la banque ne produise des intérêts qui serviraient des fins autres que celle de l'identification des criminels.

Telle est, de façon générale, la vision qu'a le Barreau du Québec du projet de loi tel qu'il est présenté. À notre avis, il y a du travail à faire, plus particulièrement sur le fichier de criminalistique. Il faudrait peut-être le définir de façon plus précise et prévoir des mécanismes éventuels de destruction de certaines données.

Pour ce qui a trait aux remarques plus particulières, j'aimerais en faire trois.

On parle d'un fichier destiné à l'usage des personnes qui enquêtent sur la commission d'infractions criminelles. Le Barreau du Québec croit qu'on devrait prévoir dans la loi des mécanismes d'accès à certains renseignements pour la défense, dans le contexte d'un procès, et même d'accès à certains échantillons pour fin de contre-expertise. Dans notre mémoire, cette idée-là est un peu exprimée à travers l'idée de laboratoire privé, mais il s'agit essentiellement de prévoir un mécanisme d'accès aux renseignements pour la défense dans le contexte d'un procès en matière pénale.

Par ailleurs, pour ce qui a trait à l'obtention des échantillons, le Barreau du Québec suggère qu'un mécanisme un peu plus serré quant à l'autorisation de procéder à des prélèvements soit mis en place. Je ferai la comparaison avec l'écoute électronique.

Dans le cas de l'écoute électronique, on a considéré que la vie privée et les conversations des gens étaient tellement importantes que la demande d'écoute devait être faite par un mandataire désigné. Or, on ne prévoit pas de mécanisme semblable pour aller fouiller dans le code génétique des individus. Donc, nous suggérons qu'un mécanisme un peu similaire à celui qui prévaut en matière d'écoute électronique soit prévu pour l'obtention d'échantillons en vue de procéder à des analyses génétiques.

Finalement, l'article 6 du projet de loi parle de possibilité d'échanges de renseignements entre les États, dans la mesure, nous dit le projet de loi, où il existe des ententes d'échange de renseignements entre les États.

• 1705

Le Barreau croit qu'il faudrait que les ententes dont il est question à l'article 6 de la loi soient non seulement des ententes sur l'échange de renseignements, mais aussi des ententes qui présentent, en matière de procédure, des garanties un peu équivalentes à celles qui prévalent dans la Loi sur l'entraide judiciaire, par exemple, ou encore dans la Loi sur l'extradition.

Donc, avant de transmettre des renseignements, il faudrait qu'il soit clair que le Canada peut demander certaines garanties, non seulement quant à la confidentialité, mais aussi quant à l'usage qui sera fait des renseignements qui vont être envoyés. Donc, il faudrait qu'il soit bien clair que les ententes vont au-delà d'ententes sur le transfert des renseignements entre États.

Je ne sais pas si mon collègue veut ajouter quelque chose.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Bien. Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Oui, je voudrais poser une question.

Je comprends vos préoccupations concernant le respect de la vie privée, mais un témoin vient de nous dire que l'information conservée ne comporte essentiellement qu'une série de chiffres qui ne peuvent servir qu'à des fins de comparaison, et à rien d'autre. Si j'ai bien compris, ces chiffres ne peuvent servir à rien d'autre qu'à des comparaisons. J'aimerais savoir sur quoi reposent vos hypothèses et vos craintes en ce qui concerne la possibilité qu'on puisse se servir de cette information à d'autres fins que des comparaisons. Comprenez-vous ce que je veux dire?

M. Giuseppe Battista (membre, Barreau du Québec): Oui. J'ai entendu les propos du témoin précédent et je crois qu'il est parfaitement qualifié pour parler de l'utilisation qu'on peut faire de cette information. Cependant, nous craignons qu'avec la technologie moderne—et je crois qu'il a lui-même soulevé ce problème—on ne soit limité à l'information A. Si l'on considère le fichier de criminalistique, on ne peut savoir avec certitude ce que contiendra la banque de données. Je ne sais pas comment traduire en anglais l'expression «fichier de criminalistique», et je parle non pas de l'information concernant l'individu condamné, mais de...

M. Nick Discepola: The crime scene index.

M. Giuseppe Battista: The crime scene index. Merci. La technologie actuelle nous donne certains résultats à partir de l'information disponible. Elle nous permet d'identifier un individu. La technologie future nous permettra peut-être d'obtenir d'autres résultats. On ne peut pas le savoir.

Ce qui nous préoccupe, c'est que le droit actuel ne définisse pas clairement ce qui fait partie du fichier de criminalistique. Il n'exclut pas les victimes. Nous discutions tout à l'heure avec un collègue qui considère que le fichier de criminalistique devrait contenir l'identification des individus soupçonnés d'activités criminelles. Il a peut-être raison, mais à notre avis ce n'est pas ce qui est prévu dans la loi.

D'après notre interprétation de la loi, ce fichier contient l'information recueillie sur les lieux du crime, sur la personne de la victime, et nous craignons, par conséquent, que l'information concernant la victime ne soit versée au fichier. Pour quels motifs devrait-il en être ainsi? Pourquoi faut-il inscrire la victime à ce fichier? Quel crime a-t-elle commis? Pourquoi l'État veut-il conserver cette information au fichier? Voilà ce qui nous préoccupe.

On nous dit aujourd'hui qu'il n'est pas certain que cette information soit conservée au fichier. On ne le sait pas encore. À notre avis, la loi n'est pas assez claire. Tout ce que permet la technologie actuelle, c'est d'identifier un individu avec un code génétique, mais il est possible que demain ce code génétique nous permette d'établir un profil psychologique et bien d'autres choses encore.

À notre avis, la loi devrait être limitée à son objectif premier, qui nous semble noble. Nous sommes d'accord sur les principes énoncés au préambule; il faudrait prévoir des mécanismes pour faire en sorte que l'information ne puisse servir qu'aux fins prévues, et qu'elle soit détruite dès que l'objectif aura été atteint.

M. Chuck Cadman: Merci. Il faudrait que d'autres experts nous expliquent comment la technologie pourrait évoluer et nous disent s'il est possible que...

M. Giuseppe Battista: Oui. C'est notre principal argument. On peut comprendre qu'une personne qui a été condamnée... Prenons l'exemple des récidivistes coupables d'actes criminels violents et graves. On comprend parfaitement que la société doive se protéger, et ce devrait être l'objectif de la loi; mais elle devrait éliminer toute ambiguïté.

• 1710

J'ai entendu le témoin dire que le fichier ne contiendra qu'un numéro. C'est parfait, mais c'est la situation actuelle. On ne sait pas ce qu'il en sera demain. Je ne doute pas des possibilités de la science; je fais confiance à la science et je suis certain qu'elle permettra d'obtenir beaucoup plus, et c'est bien cela qui me préoccupe.

M. Chuck Cadman: Merci.

La présidente: Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Est-ce que vous prévoyez la possibilité qu'il faille créer une troisième catégorie où l'on conserverait l'ADN à part pour l'utiliser au cours du procès pour venir en aide à la victime, et qui serait ensuite conservée à part? On pourrait aussi inclure dans cette catégorie l'ADN des individus qui ont été acquittés et éventuellement, de ceux qui obtiennent un pardon. Pensez-vous qu'on puisse envisager une troisième catégorie distincte de l'ADN qui pourrait être utilisée à l'avenir?

M. Giuseppe Battista: Il devrait y avoir une catégorie pour les individus condamnés. Ceux qui ne sont pas condamnés, qui n'ont commis aucun crime, ne devraient figurer dans aucune banque de données, point final, qu'il s'agisse de victimes ou d'innocents.

L'article 9 précise que tout renseignement «doit être rendu inaccessible». J'ai la version française, et je traduis au fur et à mesure.

[Français]

Il doit être rendu inaccessible s'il a trait à une personne déclarée coupable d'une infraction désignée dès que la déclaration de culpabilité est annulée.

[Traduction]

Il est donc rendu inaccessible dans le cas d'une personne innocente. Voilà comment il faut interpréter la loi. La personne est jugée non coupable. Pourquoi l'information la concernant est-elle simplement rendue inaccessible? Elle devrait être détruite, point final.

Il en va de même pour les victimes. Il est légitime d'alimenter une banque de données qui sert à résoudre des crimes, mais une fois qu'on y est inscrit, c'est terminé. L'exemple qui me vient à l'esprit est celui de M. Guy Paul Morin, ou celui de M. Milgaard. Pendant plus de 20 ans, M. Milgaard a affirmé son innocence, mais il n'a été possible de l'établir que récemment, par une analyse d'ADN. Il faut donc conserver cette information. Je reconnais qu'elle est nécessaire, mais il ne faut pas la conserver dans une banque nationale.

M. Peter MacKay: Je voudrais vous poser la question suivante. Que se passe-t-il si une preuve disculpatoire fondée sur l'ADN, qui pourrait être utilisée dix ans après les faits, provient de la victime et qu'elle est détruite?

M. Giuseppe Battista: Je ne prétends pas qu'il faut détruire toutes les preuves. Ce que je dis, c'est qu'elles ne doivent pas être versées dans une banque nationale. J'ose cependant espérer qu'un service de police qui fait enquête sur le lieu d'un crime ne va pas détruire une preuve matérielle qui établit l'existence du crime.

M. Peter MacKay: La police devrait donc disposer d'une banque distincte.

M. Giuseppe Battista: Pas nécessairement, mais je peux concevoir que les services de police tiennent des fichiers comme ils le font actuellement. Je ne vois pas la nécessité d'une banque nationale dotée d'un système centralisé auquel n'importe qui pourrait avoir accès pour obtenir une information de nature privée et tout à fait confidentielle.

M. Peter MacKay: Je vous dirai franchement que le problème, à mon avis, c'est qu'une fois que la police a prélevé un échantillon et qu'elle l'a versé à un fichier quelconque, que ce soit son propre fichier ou une banque nationale, comme celle qui est envisagée dans ce projet de loi, on aura toujours tendance à faire des recoupements si la technologie permet d'en faire. À partir de là, je vous repose la même question: quels sont les risques d'abus? Qu'est-ce qu'on a à cacher? Qu'est-ce que la victime, ou l'innocent qui a été acquitté a à craindre du fait que son ADN est conservé quelque part, comme une empreinte digitale? S'il n'a commis aucun crime, il n'a pas à s'inquiéter.

Mme Anne-Marie Boisvert: Peut-être que ce qu'elle craint est la tentation éventuelle. Il y a certes eu des Clifford Olson au Canada. Nous pouvons lire des romans à propos des tueurs en série. On a l'impression que cette banque nationale perpétuelle existe parce que le Canada regorge de tueurs en série et que nous devrons peut-être un jour aller voir dans la banque de données pour trouver la solution à une énigme policière.

D'un autre côté, nous jugeons qu'on doit fixer certains délais. Si, pour une raison particulière, nous voulons conserver des données plus longtemps, quelqu'un devrait être obligé de prouver que c'est nécessaire. Selon nous, il faut envisager la question d'une autre façon et avoir un peu plus de respect pour la vie privée des gens.

• 1715

M. Peter MacKay: C'est la même chose que lorsque vous devez présenter vos arguments à un juge de paix pour prouver que vous avez besoin d'un mandat. Vous dites que, peu importe la raison pour laquelle vous voulez vous servir des données, vous devrez encore une fois justifier plus tard la nécessité d'entreposer ou de conserver l'échantillon d'ADN.

Mme Anne-Marie Boisvert: Oui, mais pour un certain...

M. Giuseppe Battista: Dans les cas où l'on avait des raisons légitimes de conserver l'échantillon au départ, nous considérons qu'on devrait pouvoir conserver l'échantillon à perpétuité.

M. Peter MacKay: Très bien.

M. Giuseppe Battista: On devrait fixer des délais quelconques, par exemple, une période de 10 ou 15 ans si la personne n'a pas été mêlée à un autre crime. Un délit avait été commis, mais ce délit était désigné par la loi et c'est pour cela qu'on a prélevé un échantillon d'ADN, mais 15 ans se sont écoulés et cette personne n'a pas été mêlée à la moindre activité criminelle depuis. Pourquoi conserver l'échantillon?

S'il y a des raisons de le conserver, on devrait le faire. Tout ce que nous disons, c'est qu'on devrait prévoir un mécanisme ou une procédure quelconque pour avoir un examen judiciaire ou, au moins, un examen par une tierce partie.

Cela m'amène à une autre question, dont ma collègue a parlé déjà, soit l'obtention des autorisations. Vous avez parlé tantôt d'aller devant un juge de paix. Selon nous, la norme ou le critère devrait être plus élevé.

Dans le cas de la surveillance électronique, bon nombre d'avocats vous diront que l'épreuve la plus difficile est celle qui se passe dans le bureau de l'avocat de la Couronne. Celui-ci doit s'assurer que la police a bien fait son travail. Avant que la police ne puisse violer la vie privée de quelqu'un, elle doit avoir satisfait à toutes les exigences de la loi et de la Constitution. C'est ce qui manque dans ce projet de loi-ci et, selon nous, cela va à l'encontre de l'objectif de la loi.

M. Peter MacKay: Je veux être bien certain d'avoir compris. Vous dites que le pouvoir de décision ne devrait pas appartenir à la police et que la police devrait d'abord présenter ses arguments au procureur de la Couronne et que celui-ci devrait obliger la police...

M. Giuseppe Battista: Tout comme pour la surveillance électronique...

Une voix: Pour une table d'écoute.

M. Giuseppe Battista: ... pour une table d'écoute.

M. Peter MacKay: Très bien.

M. Giuseppe Battista: C'est une intrusion dans la vie privée. Il ne s'agit pas simplement de prendre un document, mais bien de prendre des renseignements sur les caractéristiques génétiques de quelqu'un. Il s'agit de l'intrusion ultime dans la vie privée de quelqu'un.

M. Peter MacKay: Je ne veux pas faire de remarques désobligeantes, mais ne sommes-nous pas plongés dans un roman d'Orwell si nous pensons que l'on pourrait un jour utiliser cet échantillon d'ADN pour une mutation génétique quelconque ou autre chose du genre, soit pour faire des essais ou des recoupements?

M. Giuseppe Battista: Envisageons la question d'un point de vue plus pratique. Vous avez dit tantôt que si quelqu'un n'a rien à craindre, il n'a aucune raison de ne pas vouloir que son empreinte génétique soit entreposée dans une banque.

M. Peter MacKay: En effet.

M. Giuseppe Battista: De mon côté, je demande pourquoi l'empreinte génétique de quelqu'un doit-elle se trouver dans une banque si cette empreinte n'a pas de raison d'être là? Vous dites que si l'échantillon de quelqu'un est dans une banque, on sera tenté d'aller vérifier. Qu'arrivera-t-il si la technologie de l'avenir nous permet de vérifier autre chose grâce aux renseignements que nous possédons dans cette banque de données, autre chose qui n'est pas nécessairement relié à un crime, mais qui pourrait être utile, à notre avis.

Peut-être que nous pourrions réduire les frais des régimes de soins de santé plus tard en allant voir dans la banque qui a tel ou tel code génétique. Le public pourrait ensuite dire qu'il y a des millions de dollars de dépenses alors que des enfants sont sans écoles et qu'on devrait songer à réduire les frais des contribuables pour les soins de santé.

Peut-être que la technologie nous le permettra un jour. Je l'ignore. C'est peut-être une hypothèse tout à fait ridicule. Je l'ignore, je ne suis pas en mesure de me prononcer là-dessus, mais je trouve que ce sont des inquiétudes tout à fait légitimes. Nous devons nous assurer qu'il n'existe pas de lois qui permettent de faire une telle chose vu que ce n'est pas l'objectif de la loi.

M. Peter MacKay: Très bien.

La présidente: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur Discepola.

[Français]

M. Nick Discepola: Je pense qu'on touche sensiblement aux deux inquiétudes que vous avez. Si je ne me reporte pas à la bonne disposition, s'il vous plaît, corrigez-moi.

Quand vous parlez de l'échange de renseignements avec des organismes d'un autre État, faites-vous allusion au paragraphe 6(3) ou 6(2)?

Me Anne-Marie Boisvert: Au paragraphe 6(5).

M. Nick Discepola: À ce paragraphe, on parle seulement de dire si un profil est inclus ou non dans une banque de données.

Me Anne-Marie Boisvert: Oui.

M. Nick Discepola: Donc, on ne peut que dévoiler à un autre organisme, disons le FBI des États-Unis, que, oui, tel profil est retenu dans notre banque de données.

• 1720

Avez-vous de l'inquiétude quant à un tel échange? Je n'ai pas tout à fait saisi votre inquiétude. Voulez-vous élaborer?

Me Anne-Marie Boisvert: Selon notre lecture du projet de loi, vous avez raison. Si, en vertu du paragraphe (2), quelqu'un est dans la banque des condamnés, le service de police peut dire si la personne est là ou n'y est pas.

Cependant, si la personne n'est pas dans le fichier des condamnés, on peut aller dans l'autre fichier, le grand fichier, où il y a toutes sortes de choses sur les suspects, les victimes, etc. De là, on peut envoyer plus qu'un oui ou un non; on peut envoyer le profil.

M. Nick Discepola: Non. On dit qu'on ne doit jamais envoyer le profil ou l'échantillon même.

Me Anne-Marie Boisvert: On dit:

    ...communiquer au gouvernement d'un État étranger, à une organisation internationale de gouvernements, ou à un de leurs organismes, tout profil d'identification génétique contenu dans le fichier de criminalistique.

C'est au paragraphe (4).

M. Nick Discepola: Mais on a dit qu'un profil en lui-même ne pouvait rien dévoiler, qu'il n'y avait aucun danger. J'essaie toujours de faire une analogie avec une autre technologie, mais je n'en suis pas capable aujourd'hui. Le profil en lui-même n'est utile que pour identifier l'individu à qui appartient cet échantillon ou dont le profil a été fait. Je n'ai pas tout à fait compris votre inquiétude, mais j'en prends bonne note.

Pour ce qui est de la rétention des échantillons et du profil, je pense que vous faites allusion au paragraphe 6(2).

Me Anne-Marie Boisvert: Non, pas 6(2). J'imagine qu'on fait allusion...

M. Nick Discepola: Je m'excuse, c'était à l'article 9.

Me Anne-Marie Boisvert: ...simplement au fait qu'il n'y a pas d'article qui prévoie la mise à l'écart ou la destruction d'échantillons ou de ce qui est dans le fichier de criminalistique.

M. Nick Discepola: Au paragraphe 9(2), il est dit qu'il doit être rendu inaccessible. Encore là, on parle de l'accès à la banque de données.

Me Anne-Marie Boisvert: Au fichier des condamnés?

M. Nick Discepola: Au fichier des condamnés, exactement.

Me Anne-Marie Boisvert: Mais la victime n'est pas dans le fichier des condamnés.

M. Nick Discepola: C'est ma troisième question. Pour ce qui est de la victime, je pense que vous avez soulevé une bonne question en ce qui a trait aux échantillons qui sont prélevés lorsqu'on ramasse toutes les épreuves, etc.

Vous avez également fait allusion—je pense que c'est M. Battista qui a soulevé la question—à la raison pour laquelle l'article a été rédigé de façon à ce qu'on rende les données inaccessibles. Il faut bien comprendre comment cela fonctionne dans le cas du profil: il n'y a rien de dévoilé; l'échantillon n'est jamais dévoilé. La seule chose qu'on va faire, c'est prendre deux échantillons de différentes sources. L'ordinateur va les gérer et vous dire: «Voici le nom de quelqu'un.» C'est la seule chose qui est dévoilée. On ne dévoile même pas le contenu du profil. On dévoile seulement le nom.

On nous a expliqué—je suis dans l'informatique et je ne comprends pas tout à fait pourquoi ce n'est pas faisable—qu'on ne pouvait tout simplement pas effacer cela. Des archives électroniques sont stockées et on ne peut toutes les effacer. Donc, en enlevant le lien, c'est-à-dire le nom lié à l'échantillon, on règle le problème.

Il me semble que si vous avez accès aux centaines de milliers de profils et que vous ne pouvez identifier le nom qui correspond au profil, cela devrait régler votre inquiétude. Non?

Me Anne-Marie Boisvert: Je ne sais pas si ma réponse va vous satisfaire. Moi non plus, je ne connais pas beaucoup ces choses-là. Je ne connais pas l'informatique non plus. Cependant, le Barreau du Québec a fait une lecture de la loi dans ce qu'elle dit.

M. Nick Discepola: Je vais vous donner un exemple. Je vous donne le bottin téléphonique de la ville de Montréal avec tous les numéros de téléphone, mais je ne vous donne pas le bottin téléphonique jaune avec les noms qui correspondent à ces numéros de téléphone.

• 1725

Me Anne-Marie Boisvert: Je vais vous donner un exemple. Nous avons émis des réserves ou, en tout cas, posé des questions, et je vous invite à vous pencher là-dessus, sur ce qui entre dans le fichier de criminalistique.

Personnellement, cela ne me rassure pas beaucoup de me faire dire par quelqu'un: «Oh! On ne mettrait jamais les victimes dans ce fichier. Ce n'est pas à cela qu'on pensait.» La loi, telle qu'elle est rédigée, permet de le faire.

Donc, si quelqu'un me dit qu'il n'y a pas de danger parce que la technique d'aujourd'hui ne permet pas de faire ce que je crains pour demain, cela ne change pas le fait que la loi, telle qu'elle est rédigée ou envisagée, permettra un jour, quand la technique le permettra, de faire certaines choses. La loi est rédigée en tenant compte des pratiques et de l'état de la science actuellement. C'est comme si la loi ne pensait pas au futur. Je pense qu'il faut être un petit peu plus strict dans la rédaction. C'est ce que je vous dirais.

Quand bien même quelqu'un m'expliquerait qu'aujourd'hui, de la façon dont cela fonctionne, il suffit de séparer le nom du code génétique pour qu'on ne puisse plus faire quoi que ce soit, je dirais presque que mon petit doigt me dit que demain on pourra faire autre chose avec ce qu'on a dans cette banque.

Si on garde des données dont on ne peut rien faire, pourquoi diable les garde-t-on?

M. Nick Discepola: On ne les garde pas.

Me Anne-Marie Boisvert: On les met à l'écart.

M. Nick Discepola: Non, on ne les garde pas. Si quelqu'un a été acquitté, on enlève son nom du profil, mais le profil, malheureusement, ne peut plus être détruit. Donc, on le stocke. Le nom sera enlevé de la banque de données. Donc, on n'aura jamais accès à son nom.

Me Anne-Marie Boisvert: Est-ce que cela est écrit dans la loi?

M. Nick Discepola: C'est pour cela qu'ils ont choisi ce texte. Il doit être rendu inaccessible. Selon les témoignages des experts, la technologie qui permet la cueillette et l'analyse d'échantillons et le stockage par la suite, fait en sorte qu'avec l'informatique, on ne peut plus faire le lien avec la personne qui a fourni cet échantillon. Cela le rend inaccessible. Je pense que c'est satisfaisant.

Cependant, sur la question du nom de la victime dans la banque de données, je suis heureux d'entendre ce que vous dites parce que vous avez mis le doigt sur quelque chose.

Me Giuseppe Battista: Sauf que, si on suit votre raisonnement, il n'y a pas de problème pour la victime non plus, parce que si tout est rendu inaccessible et qu'on n'a plus que des numéros et des fichiers, il n'y a pas de difficulté.

M. Nick Discepola: Oui, parce qu'on a l'échantillon d'une victime dans le fichier de criminalistique. Donc, son nom apparaîtra si elle commet un crime dans le futur...

Me Anne-Marie Boisvert: Oui, et elle aura fait son...

Me Giuseppe Battista: ...ou si on décide d'enquêter pour un motif quelconque.

M. Nick Discepola: Non, parce qu'il y a assez de preuves. Vous êtes avocat. Je ne suis pas avocat, mais vous savez qu'on ne peut avoir accès à cette banque de données sans avoir suivi une procédure.

Me Giuseppe Battista: C'est le commissaire qui décide de l'accès à la banque de données et à l'information. On ne va pas chercher un mandat auprès d'un juge afin de pouvoir saisir un échantillon sur une personne. C'est la banque qui est la ressource qui conserve toute cette information.

Notre crainte porte sur le fait que l'information est dans cette banque. Vous avez donné l'exemple du bottin téléphonique sans noms, avec simplement des numéros.

M. Nick Discepola: Ce n'était pas un bon exemple, parce que vous pouvez quand même composer des numéros et savoir qui est à l'autre bout.

Me Giuseppe Battista: Non, mais on va peut-être un jour développer un programme qui sera capable d'établir le lieu où résident ces gens-là, par exemple.

[Traduction]

La présidente: L'ADN.

M. Nick Discepola: L'ADN 411.

La présidente: Nous avons déjà discuté de la question de savoir ce qui se passera s'il y a une liste de délits désignés primaires et secondaires et, bien sûr, il y a des délits pour lesquels cette mesure ne s'appliquera pas du tout, et s'il existera une tentation pour les policiers et les procureurs de porter des accusations pour des délits plus graves afin d'attraper quelqu'un qu'ils soupçonnent d'avoir commis d'autres crimes. Ils pourraient porter des accusations plus graves dans l'espoir que l'accusé plaidera coupable pour le délit plus grave et qu'on pourra prélever un échantillon pour le mettre en banque ou bien parce qu'on jugera que, si l'on prélève un échantillon, l'accusé plaidera coupable pour un délit moins grave.

Il y a aussi l'argument contraire selon lequel un avocat comme vous-même, monsieur Battista, pourrait dire: «Nous allons plaider coupable pour le délit moins grave, mais ne versez pas d'échantillon dans la banque.»

J'ai examiné la liste des délits primaires et secondaires et je ne vois pas vraiment de liens entre les deux genres de délits qui permettraient de faire une telle chose. Je n'ai jamais vu une inculpation d'homicide involontaire être réduite à une accusation de négligence criminelle causant la mort. Il arrive qu'une accusation de meurtre soit transformée en accusation d'homicide involontaire, mais je ne vois vraiment pas de correspondance entre les deux listes qui ferait qu'il existe un problème pour les plaidoyers. C'est peut-être parce que mon expérience remonte à trop longtemps. Vous êtes-vous penchés sur cette question?

• 1730

M. Giuseppe Battista: Je dois dire bien honnêtement que ce n'est pas une chose sur laquelle nous nous sommes vraiment penchés.

Ce qui nous inquiète au sujet de la liste, c'est qu'on veuille toujours y ajouter des choses. On commence par plusieurs délits qui sont jugés particulièrement exécrables à une certaine époque et, par la suite, chaque fois qu'on adopte un nouvel amendement, on ne fait qu'allonger la liste. Ce que nous préconisons aurait donné beaucoup plus de pouvoir discrétionnaire à toutes les parties en cause et cela aurait résolu le problème qui vous inquiète. Le fait est que les gens peuvent faire preuve de beaucoup d'imagination lors de négociations. Le problème, c'est que quand la loi est trop stricte, on doit trouver des moyens pour essayer d'appliquer la loi de façon humanitaire sans laisser tomber des choses importantes.

Si, par exemple, il faudra un procès de trois mois pour une personne accusée du délit A s'il ne plaide pas coupable du délit B et si les arguments du procureur ne sont pas aussi solides qu'on le pensait au départ, les deux parties envisageront une transaction pénale. C'est un fait et la situation ne changera pas, peu importe les amendements législatifs que vous pourriez adopter.

Par ailleurs, ce que je vous dis, c'est que plus la loi est stricte, moins elle prévoit de marge de manoeuvre, plus les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense doivent se servir de leur jugement. C'est là que la discrétion entre en jeu. Au lieu de laisser ce pouvoir discrétionnaire entre les mains des magistrats, vous ne faites que le mettre ailleurs, mais le problème subsiste.

Prenons la notion «retirer après trois prises» des États-Unis et le cas de celui qui vole une pizza. C'est le procureur qui devra décider s'il va soulever cette question devant le tribunal ou non. Ce n'est donc plus le juge qui a le pouvoir discrétionnaire, mais quelqu'un d'autre et il faut toujours trouver des exceptions et de nouvelles façons de faire les choses.

La présidente: C'est comme s'entendre pour ne pas établir le deuxième cas de conduite en état d'ébriété.

M. Giuseppe Battista: Exactement.

Mme Anne-Marie Boisvert: Pourquoi ne pas s'en tenir simplement, par exemple, à la possibilité de présenter une demande à un juge dans le cas d'un crime de violence et de laisser celui-ci décider s'il faut un mandat? D'après la liste, cette mesure vise les crimes de violence et les crimes qui ont un élément sexuel. C'est essentiellement le genre de crimes mentionnés dans la liste. Cependant, il y a aussi l'homicide involontaire et cela peut aller d'un quasi-accident jusqu'à un quasi-meurtre. Vous pouvez être déclaré coupable d'homicide involontaire parce que vous avez eu un quasi-accident de chasse.

Il y a toujours des problèmes lorsqu'on a une liste. Nous devrions peut-être garder l'idée principale et dire que l'on pourrait demander un mandat dans le cas de crimes de violence ou de crimes sexuels et laisser les juges décider.

M. Peter MacKay:

[Note de la rédaction: Inaudible]... où l'on présenterait simplement la demande. Mais je n'ai pas très bien compris d'après votre réponse si vous pensez qu'il serait préférable de laisser les procureurs et les avocats de la défense s'en occuper ou si c'est le juge qui doit décider quand il recevra la demande.

M. Giuseppe Battista: Ce devrait être le juge, et les tribunaux établiront les critères, comme ils l'ont toujours fait. Ensuite, si le Parlement n'est pas satisfait dans quelques années, il pourra toujours modifier la loi; il peut toujours intervenir. Cependant, on peut faire confiance aux juges pour faire les distinctions appropriées en cas d'homicide involontaire. Si l'accusé ne constitue pas une menace pour la société le lendemain de ce terrible événement, mais qu'il est néanmoins coupable, pourquoi vouloir verser un échantillon de son ADN dans la banque où l'on trouve aussi un échantillon de Clifford Olson, par exemple?

La présidente: Il y a aussi le problème politique de la confiance qu'a le public dans les juges.

M. Giuseppe Battista: Vous pourriez peut-être vous demander si vous aidez le public à faire davantage confiance aux juges en confirmant qu'on doit enlever aux tribunaux leur pouvoir discrétionnaire. On peut aussi voir les choses sous cet angle.

La présidente: C'est un bon argument et j'espère que vous reviendrez quand nous aurons notre forum national sur la confiance dans le système judiciaire.

Sur cette note, je pense que nous allons ajourner la séance. Merci beaucoup de votre aide.

La séance est levée.