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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 26 novembre 1998

• 1059

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je voudrais ouvrir la séance.

Nous avons le grand plaisir de recevoir M. Culpeper, Betty Plewes, présidente et chef de la direction du CCCI, Gauri Sreenivasan, coordonnateur de politique au Conseil canadien pour la coopération internationale et Libby Davies. Merci d'être venu.

Attendez un instant. Libby Davies, Daniel Turp et Jean Augustine se sont déplacés à l'autre extrémité de la table.

Madame Augustine et monsieur Turp, nous nous réjouissons de vous avoir avec nous en tant que témoins. Nous espérons que M. Robinson fera preuve envers vous de la gentille férocité qu'il réserve aux ministres.

M. Svend Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): S'ils répondent comme des ministres, je le ferai.

Des voix: Oh, oh!

• 1100

Le président: Merci de nous avoir fourni ce document très intéressant. Il semble que vous ayez fait un voyage extraordinaire.

Qui commence? Madame Plewes.

Mme Betty Plewes (présidente et chef de la Direction, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci, monsieur le président et membres du comité. C'est avec plaisir que nous nous sommes rendus à votre invitation.

Je voudrais seulement vous donner, en quelques minutes, un aperçu général de notre mission. Roy parlera ensuite un peu plus en détail du système économique international et de nos propositions. Ensuite, chacun des députés vous relatera rapidement les impressions que ce voyage lui a laissées.

Comme vous le savez sans doute, cette tournée faisait partie de la campagne IN COMMON du CCCI. Cette initiative vise à inscrire la pauvreté dans le monde à l'agenda des gouvernements et des milieux politiques.

Comme vous le savez, nous sommes allés examiner sur place les causes et les répercussions de la crise financière et voir surtout ses conséquences sur les gens, les travailleurs, les étudiants, les organismes féminins et les vendeurs dans les rues.

Nous avons rencontré toutes sortes de gens, de fonctionnaires et de dignitaires. En plus de la crise financière, nous avons constaté une crise aux proportions alarmantes sur le plan du développement et sur le plan humain. Cette crise a entraîné des changements sociaux et politiques à long terme. En fait, elle a fait reculer les progrès qui avaient été réalisés pour combattre la pauvreté, depuis 10 à 20 ans, en Indonésie et en Thaïlande.

D'ici à l'année prochaine, 100 millions de personnes, soit la moitié de la population de l'Indonésie, risquent de tomber en dessous du seuil de la pauvreté. Vingt pour cent de la population thaïlandaise risque de plonger dans la pauvreté.

Néanmoins, cette crise est marquée par des changements politiques et elle offre également la possibilité d'apporter des changements. Comme M. Chan l'a laissé entendre pendant son témoignage de ce matin, des changements sont possibles. Le moment est bien choisi pour apporter des changements démocratiques.

Cette crise a pris une envergure internationale. Si vous avez le moindre doute, il suffit de lire la manchette du Globe and Mail de ce matin. On y parle des conséquences que l'effondrement de la demande pour le porc en Asie et en Russie a pour les producteurs canadiens. Cette crise a des répercussions mondiales; ce n'est plus une crise financière asiatique seulement. Et cela nous oblige à repenser notre façon de concevoir la gestion économique mondiale.

Nous sommes allés dans ce secteur. Nous sommes allés en Thaïlande et en Indonésie en septembre, il y a très peu de temps, mais nous avons l'impression que c'était il y a un an. En fait, le discours, les discussions, le débat et le dialogue sur la plupart de ces questions se sont transformés radicalement au cours des deux à trois derniers mois.

Avant notre voyage là-bas, il était très peu question du contrôle des capitaux. Nous avons pourtant constaté que cette question suscitait de l'intérêt et des discussions à l'assemblée annuelle du FMI.

Des changements s'annoncent également sur le front de la politique étrangère canadienne. La semaine dernière semblait être la semaine de la politique étrangère en Asie. Le premier ministre a pris des initiatives qui représentent des changements modestes, mais néanmoins importants dans la politique canadienne. Cela répondait aux pressions en faveur d'un meilleur équilibre de notre politique étrangère de même qu'entre nos intérêts commerciaux et notre respect des droits humains dans cette région du globe.

Même si nous nous réjouissons de ces petites mesures, nous estimons qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que les discours ne se traduisent en gestes concrets. Vous avez sous les yeux un aperçu général de la situation et les répercussions de notre évaluation. Nous n'avons pas le temps de discuter avec vous de nos conclusions, mais il y a plusieurs choses que j'aimerais souligner.

Premièrement, nous avons appris que la crise asiatique reflétait une crise à deux niveaux. La première se situe au niveau du modèle économique national, le fameux tigre. C'est ce qui a soulevé la question de la gouvernance et de la gestion de l'économie.

Deuxièmement, il y a une crise au niveau des systèmes internationaux. Cela reflète les inquiétudes concernant les marchés financiers mondiaux et la gestion économique mondiale.

• 1105

Nous voudrions essayer d'établir des priorités pour les mesures bilatérales et multilatérales que le Canada pourrait prendre pour s'attaquer au problème dans sa dimension nationale de même que dans sa dimension internationale. Nous sommes convaincus qu'il ne s'agit pas de ramener l'Indonésie et la Thaïlande là où elles en étaient il y a un an. Il faut de nouvelles façons de faire.

Au niveau multilatéral, il y a la question du contrôle des mouvements de capitaux, au niveau tant national qu'international, et il s'agit aussi de trouver des moyens de rendre les investissements plus productifs et à plus long terme.

Nous devons examiner des solutions pour un règlement rapide et équitable des problèmes d'endettement. Il faut également se pencher sur la réforme et la réorientation des institutions financières internationales.

Roy vous en parlera un peu plus, mais nous croyons très important de ne pas laisser au G-8 de soin de réformer ces institutions. Il faut une démocratisation du processus. Il faut que davantage d'acteurs interviennent dans les discussions sur la réforme économique internationale et celle des institutions.

Alors que vous préparez votre rapport au gouvernement, d'ici les réunions du G-8 de l'année prochaine, le défi consistera à reconnaître les dimensions politiques et sociales de la crise économique mondiale et à chercher comment en tenir compte dans vos recommandations en faveur d'une action multilatérale.

Au niveau bilatéral, nous voudrions insister davantage sur la cohérence ou la coordination des divers instruments de la politique étrangère canadienne qui permettront de promouvoir un développement durable et démocratique. Comme nous l'avons déjà mentionné, la possibilité d'agir s'est élargie. Nous voudrions que l'on soutienne les droits de la personne, la société civile et la gouvernance. Le temps est venu d'apporter des changements politiques et d'effectuer une transition dans ces deux pays.

Il faut résoudre ces problèmes en même temps que l'on se penche sur les questions économiques. Il ne s'agit pas d'attendre une reprise économique. Les deux questions doivent être examinées en même temps.

Nous devons également chercher comment apporter une aide au développement efficace et suffisante. L'ACDI jouit d'une très grande réputation en Thaïlande en raison de l'appui que les ONG apportent à la société civile, et cela depuis de nombreuses années. Au début de la décennie, la politique de l'ACDI a changé dans ces deux pays où l'on a cherché davantage à soutenir le secteur privé et l'investissement canadien. L'appui que nous avions offert au développement de la société civile dans des pays comme la Thaïlande a diminué.

Pour ce qui est de la cohérence des politiques, nous devons également nous pencher sur la responsabilité sociale des sociétés et la viabilité environnementale. Le comité pourrait réexaminer le rôle de la cohérence de la politique en cherchant à établir comment les politiques relatives au commerce international, à l'aide étrangère et aux droits de la personne s'intègrent les unes dans les autres, surtout dans cette région. Nous avons d'importantes leçons à tirer des résultats de notre politique antérieure.

C'est également l'occasion d'expérimenter de nouvelles méthodes. Par exemple, nous pourrions voir comment nous pourrions élargir le concept d'Équipe Canada pour y inclure l'environnement, les droits de la personne et les questions de main-d'oeuvre.

Nous devons réexaminer l'aide apportée par le Canada à ces deux pays pour voir comment l'orienter vers la réduction de la pauvreté et le soutien de la société civile. Nous devons également nous pencher sur la question des responsabilités sociales des sociétés. Il faut absolument réinvestir dans cette région en favorisant des investissements productifs à long terme qui tiendront compte des droits des travailleurs et de la protection de l'environnement.

Je voudrais revenir sur les propos que j'ai entendus tout à l'heure quant à la façon dont le Parlement et les parlementaires pourraient collaborer à la préparation des élections en Indonésie. On a recommandé d'envoyer sur les lieux au moment des élections une délégation composée de députés de tous les partis.

Encore une fois, étant donné que ces missions constituées de parlementaires et de représentants de la société civile du Canada se sont révélés très efficaces pour surveiller les élections, nous pourrions appliquer de nouveau ce modèle.

Nous voudrions également suggérer d'exercer une surveillance du respect des droits humains, peut-être par l'entremise du Sous-comité des droits de la personne de votre comité, en ce qui concerne le Timor oriental, les personnes d'origine chinoise, la responsabilité sociale des sociétés et plus particulièrement les droits des travailleurs.

• 1110

Nous avons fait un voyage très fructueux. Nous avons bénéficié de la collaboration des députés.

Je voudrais maintenant demander à Roy de dire quelques mots au sujet du système économique international.

M. Roy Culpeper (président, Institut Nord-Sud; délégué de la mission en Asie du Sud-Est): Merci, monsieur le président. Je voudrais simplement faire trois observations générales en ce qui concerne la crise asiatique, ce que nous avons appris et la voie à suivre.

Tout d'abord, les marchés financiers internationaux sont profondément instables. Cela paraît parfaitement clair. Deuxièmement, le cadre mondial de la politique économique est défectueux. Au lieu d'atténuer et de mitiger l'instabilité des marchés financiers, il alimente l'instabilité. Le genre de politiques économiques que nous avons au Canada, aux États-Unis et dans les pays du G-7 aggravent l'instabilité au lieu de l'atténuer. En troisième lieu, lorsqu'une crise survient, les solutions que nous trouvons sont mauvaises. Non seulement la structure de base est faussée et augmente le risque de crise, mais lorsqu'une crise survient, nous n'intervenons pas comme il le faudrait.

Je voudrais aborder tour à tour chacun de ces trois points.

Le genre de marchés financiers mondiaux que nous avons actuellement rend les crises presque inévitables. Les gens ont généralement la mémoire courte. Avant la crise asiatique de l'année dernière, il y a eu des crises au Mexique et en Amérique latine et, au début de la décennie, il y en a eu aussi en Europe. Ce phénomène semble se produire tous les deux ans. Nous ignorons pour le moment où se déclenchera la prochaine crise, mais il est à parier qu'il y en aura une autre d'ici deux ou trois ans.

Lorsque ces crises éclatent, elles sapent la croissance et le développement. La majeure partie de l'économie asiatique est en déclin et le restera pendant quelques années. Autrement dit, une crise financière devient presque une crise économique. Betty a fait allusion au fait que les producteurs de céréales et de porcs de l'Ouest ont été durement touchés par la crise. Bien entendu, d'autres facteurs sont en jeu, mais l'effondrement des principaux marchés résultant de la crise asiatique y a certainement largement contribué.

Tout cela a un air de déjà vu et je veux parler de la crise de vingt-neuf. Un grand nombre de ces phénomènes se sont produits pendant la crise: l'effondrement des secteurs financiers, la faillite des banques, la chute des cours des céréales et des autres denrées et une crise dans le secteur agricole. Nous avons déjà vu tout cela, et malheureusement nous le revoyons de nouveau.

Deuxièmement, je dirais que le cadre politique actuel est défectueux et alimente l'instabilité financière au lieu de l'atténuer. J'en mentionnerais seulement deux manifestations. Tout d'abord, nos politiques régissant le secteur financier ont insisté sur la libéralisation des marchés. Cela a généralement été favorable aux banques, aux investisseurs, aux créanciers et aux prêteurs. Mais quand les choses tournent mal, ce ne sont pas les banquiers, les investisseurs, les créanciers et les prêteurs qui paient la note; ce sont généralement les gens ordinaires qui perdent leurs emplois et leurs revenus et qui doivent payer plus cher pour les produits de base tels que le riz en Indonésie.

Je dirais donc, en ce qui concerne la façon dont nous régissons le secteur financier, qu'il est gravement sous-réglementé. Bien entendu, M. Martin l'a reconnu lorsqu'il a proposé de resserrer la réglementation, surtout dans les marchés dits émergents. Mais curieusement, il faut reconnaître maintenant que la grave sous-réglementation du secteur financier est un phénomène qui ne se limite pas aux marchés émergents. Depuis la quasi-faillite de Long Term Capital Management, l'énorme fonds de couverture de New York, il est évident que le secteur financier nord-américain est gravement sous-réglementé lui aussi et qu'il requiert notre attention de toute urgence.

• 1115

Le cadre dit de Bâle concernant l'adéquation du capital des banques en est un autre exemple, monsieur le président. En 1988, le Comité de Bâle sur la supervision bancaire a mis en place certaines normes d'adéquation du capital qui régissaient le montant du capital dont les banques devaient disposer comme coussin. En deux mots, les banques devaient couvrir leurs prêts à court terme avec un capital de disons seulement 20 p. 100, mais qu'il fallait un capital de 100 p. 100 pour les prêts à long terme. Cela incitait donc les banques à prêter à court terme. La crise a été déclenchée par le volume énorme de prêts à court terme consentis à la Corée, à la Thaïlande et à l'Indonésie et qui n'ont pu être remboursés.

La réglementation des principales banques centrales du nord exerce une forte influence sur la façon dont opère le secteur financier dans le monde entier. C'est donc un exemple des défauts que présente le cadre politique.

À un niveau plus général, je dirais que nos politiques macro-économiques sont également défectueuses. En octobre, les ministres des Finances du G-7—et je dirais que c'est le G-7 et non pas le G-8 qui compte ici—sont convenus de repousser le spectre de la déflation. Et ils l'ont fait au moyen d'une série mal coordonnée de réductions des taux d'intérêt. Le mouvement a été amorcé par les États-Unis auxquels le Canada, puis le Royaume-Uni ont emboîté le pas.

Je pense que c'était un bon début, mais je tiens à signaler que la politique monétaire et la politique financière semblent se diriger dans des directions opposées. Nous réduisons les taux d'intérêt et nous facilitons les conditions monétaires, mais en même temps nous accumulons des excédents budgétaires, ce qui diminue le pouvoir d'achat dans l'économie. C'est vrai non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis. Et ce sera de plus en plus vrai dans les autres pays de l'OCDE étant donné que l'on considère qu'il faut des budgets équilibrés ou des excédents budgétaires pour satisfaire les marchés financiers. Néanmoins, ces mesures d'austérité ne font qu'accroître les forces déflationnistes de l'économie.

Je crois que nous répétons certaines des erreurs de la crise de vingt-neuf où l'on prétendait que l'argent était rare et qu'il fallait donc l'économiser et moins dépenser. Ce genre de politique n'a fait qu'aggraver la crise et l'empirer pour tout le monde.

Troisièmement, lorsque des crises sont survenues, nous avons mal réagi. Nous l'avons constaté en Asie. Lorsque le FMI est intervenu en Thaïlande, en Indonésie et en Corée, il a freiné l'économie en augmentant les taux d'intérêt et en exhortant les pays à réduire leurs dépenses. Encore une fois, c'était le mauvais remède à appliquer au mauvais moment. Le FMI s'est rendu compte de son erreur six mois plus tard, mais il était trop tard. Les trois pays en crise ne pouvaient plus s'en sortir. Des millions de gens ont été réduits au chômage et il faudra des années pour résoudre le problème.

Et enfin, comme Betty l'a dit, nous n'avons pas de cadre politique pour résoudre les problèmes d'endettement. La Corée, la Thaïlande et l'Indonésie ont une dette en souffrance de l'ordre de 200 milliards de dollars et...

Le président: Combien?

M. Roy Culpeper: Deux cents milliards de dollars. Et nous ne voyons pas comment elle sera remboursée. La politique officielle consiste à procéder au cas par cas, en faisant adopter des lois sur la faillite, lesquelles sont inexistantes ou très faibles dans les pays en question et en demandant aux créanciers et aux débiteurs de résoudre individuellement leurs contentieux. Si c'est la solution adoptée, il faudra attendre encore dix ans avant de se sortir de l'impasse en Asie, tout comme on a perdu dix ans en Amérique latine dans les années 80.

Pour conclure, si nous voulons trouver les cadres politiques qui conviennent et les bonnes solutions pour faire face aux crises, il faudra que l'élaboration des politiques économiques se fasse avec la participation de beaucoup plus de gens, non seulement au niveau du FMI et de la Banque mondiale, mais également des gouvernements des divers pays.

• 1120

Nous avons en fait été frappés par le fait qu'en Thaïlande, le processus de planification économique est devenu relativement intégrant et participatif grâce à la réforme politique à long terme. En dépit que d'aucuns critiquent toujours ce système, j'ai été frappé par le fait que le gouvernement thaïlandais avait pris des mesures pour assurer la participation des Thaïlandais au processus de planification économique.

Il faut faire beaucoup plus, non seulement en Thaïlande, mais ailleurs, et il faut faire quelque chose au sein des institutions financières internationales. Le FMI sait très bien consulter les ministères des Finances, les banques centrales et les banquiers mais il ne consulte pas très souvent les travailleurs, les ONG, les groupes de citoyens et les autres intervenants. En fait, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Joe Stiglitz, l'économiste en chef de la Banque mondiale que nous avons invité il n'y a pas très longtemps.

Voilà donc le genre de choses qui doit impérieusement appeler note attention. Je m'en tiendrai à cela. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Sreenivasan, désirez-vous ajouter quelque chose? Je ne sais pas comment vous désirez procéder.

Mme Betty Plewes: Jean, Libby et Daniel peuvent faire des commentaires.

Le président: Très bien. Nous passerons maintenant à Mme Jean Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.) (déléguée de la mission en Asie du Sud—Est): Merci.

Je ne ferai pas d'analyse puisqu'elle a déjà été faite par Betty et par M. Culpeper. Je vous parlerais plutôt des choses qui m'ont frappée quand nous sommes allés là-bas: je vais vous parler du modèle du tigre de la croissance économique, de la raison pour laquelle il n'a pas réussi et des leçons que peuvent en tirer les Canadiens.

J'aimerais d'abord remercier le CCCI de m'avoir invitée à faire partie de cette délégation. Cette visite m'a beaucoup appris. J'avais lu beaucoup de choses dans les journaux sur cette région, et cette visite m'a permis d'observer directement comment les gens vivent dans cette région.

Monsieur le président, j'aimerais vous faire part de certaines de mes impressions.

Dès que vous descendez de l'avion, vous constatez qu'il existe là un régime répressif. Pratiquement tout le monde signale que la corruption règne là-bas. La pauvreté est une chose que vous ne pouvez éviter, elle vous interpelle partout où vous allez. Vous constatez également que l'armée est partout, même au sein du gouvernement.

Vous constatez que les gens ont quitté les campagnes, ils sont venus en ville en raison des circonstances économiques: en ville on peut devenir riche rapidement et faire partie d'une économie qui s'oriente vers tous ces marchés internationaux. Les choses étaient quelque peu différentes en Thaïlande, parce que les terres existent toujours, on peut y retourner. En Indonésie, les gens ne pouvaient plus y retourner; on nous parlait des nouveaux pauvres et des pauvres traditionnels. Le terme «nouveau pauvre» c'est une nouvelle expression pour moi.

Puis, il y a la corruption, pas simplement en ce qui a trait aux banques et au régime financier, mais également en ce qui a trait aux intermédiaires. Ils sont présents partout en Indonésie et créent une certaine insécurité dans le domaine de l'approvisionnement alimentaire; le riz est envoyé en Malaisie et est réacheminé en Indonésie pour y être vendu très cher, ou tout au moins à un prix plus élevé. De plus, pendant notre séjour, il y avait pénurie de vivres. Nous avons appris de première main que les enfants n'allaient pas à l'école parce qu'il n'y avait pas de nourriture et qu'il n'y avait pas d'argent. Il fallait travailler environ une journée pour gagner de quoi acheter un kilo de riz.

• 1125

Quant aux propriétaires dans les bidonvilles en Indonésie, on nous a dit que si les propriétaires savaient que vous aviez travaillé une journée, ils exigeaient votre salaire comme loyer. En d'autres termes, ceux qui peuvent travailler une journée peuvent soit payer leur loyer, soit acheter un kilo de riz, et ils se retrouvent dans la même situation voire dans une situation pire le lendemain.

Il n'existe aucune organisation civile ou ONG qui soit en mesure d'apporter de changements importants au niveau du développement communautaire en Indonésie. En Thaïlande, nous avons noté qu'il existait une organisation du genre, et c'est fort encourageant. Il y a avait en Thaïlande des ONG qui étaient en mesure de représenter la communauté, de parler en son nom et de faciliter la création d'organisations communautaires.

J'ai senti que les gens étaient découragés et frustrés face à leur avenir. J'ai séjourné également à Pontianak, qui est dans la région ouest du Kalimantan, une des îles qui est supposément très riche en ressources, avec des mines, les forêts, la pêche, l'huile de palme, les plantations et j'en passe. Quand nous sommes arrivés, on avait enfin jugulé les feux de forêt que vous avez sans doute tous pu voir à la télévision. Nous avons constaté la dévastation créée par les feux de forêt—la disparition de niches, de la vie marine, des plantes, de l'eau douce et autres divers impacts sur l'environnement. Nous avons rencontré les chefs des communautés. Nous avons rencontré un prêtre qui travaillait auprès de la population à plusieurs milles de la ville. Il est venu en ville parce qu'il savait que nous étions là et désirait nous parler. Il voulait que les Canadiens et tout le monde soient conscients du désastre environnemental qui se produisait.

On nous a beaucoup parlé du danger de conflits culturels, raciaux et ethniques; on s'inquiétait également de la présence de l'armée, du processus de prise de décisions et de l'impact que cela peut avoir. Nous avons rencontré une jeune avocate qui essayait de défendre les droits civils. Nous lui avons parlé des efforts extraordinaires qu'il lui fallait déployer ne serait-ce que pour faire avancer un dossier. Nous avons également été témoins de l'impact qu'ont les prêts conditionnels du FMI—Roy en a déjà parlé: ces prêts conditionnels accélèrent la dévastation; 3 millions d'hectares sont maintenant utilisés pour la culture du palmier à huile, et nous avons vu l'impact que cela eut sur la région.

J'ai appris que comme Canadiens nous ne pouvons pas nous contenter de dire que cette économie peut se débrouiller seule. Je suis d'accord avec le rapport dont nous sommes saisis et avec les leçons qu'il nous apporte, ainsi qu'avec les mesures que le Canada doit prendre en ce qui a trait à cette région.

Le président: Merci beaucoup.

Mme Jean Augustine: Je j'excuse si j'ai pris trop de temps.

Mme Betty Plewes: Ça va.

Le programme de ces deux semaines était très chargé, et nous étions quand même un groupe assez important. Nous avons tous la langue bien pendue, et nous voulons partager avec vous ce que nous avons appris.

Nous aimerions que Daniel et Libby aient le temps de vous faire part de leurs impressions.

Le président: Puisque M. Turp n'est pas un grand bavard, nous demanderons à Libby d'intervenir en premier.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) (déléguée de la mission en Asie du Sud-Est): Merci, monsieur le président. J'essaierai d'être brève parce que je sais que d'autres intervenants aimeraient prendre la parole. J'espère qu'il y aura également des questions à la suite des exposés.

Je dois d'entrée de jeu signaler que le rapport vient d'être publié et j'espère que vous aurez l'occasion de le lire. Il s'agit d'un excellent rapport qui vous donne une bonne idée de ce que nous avons vécu et constaté, et il comporte également d'excellentes recommandations.

Tout comme Jean, j'aimerais signaler que la délégation, l'organisation, a pu rencontrer un très grand nombre d'intervenants dans ces pays et étudier plusieurs questions. Le groupe était très bien organisé grâce au CCCI. C'était une très bonne délégation, très représentative aussi parce qu'elle contenait des parlementaires, des représentants d'ONG, de syndicats et, églises et un chef autochtone, Matthew Coon Come. Nous avions tous des points de vue différents, mais je crois que nous avons partagé les mêmes impressions et les mêmes conclusions.

J'aimerais vous faire part de quelques-unes de mes impressions personnelles.

• 1130

J'étais à Djakarta. Les rues là-bas sont bondées et très polluées. Nous étions à bord de notre petit autobus, et nous pouvions voir des jeunes hommes qui se précipitaient littéralement dans la rue les véhicules—il a là-bas des genres de boulevards à chaussées séparées par un terre-plein—et ces jeunes dirigeaient la circulation quand vous arriviez à un carrefour. On ne comprenait pas ce qui se passait, pourquoi ces jeunes dirigeaient la circulation. Nous avons appris qu'en raison de l'effondrement de l'économie, c'était une façon pour les jeunes de gagner quelques roupies. Ils se précipitent donc littéralement devant un véhicule, l'arrêtent, puis le laissent passer en espérant obtenir quelques roupies. C'est leur seule façon de survivre.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ) (délégué de la mission en Asie du Sud-Est): Ils ne lavaient pas les vitres des voitures comme le font les jeunes ici, avec leur raclette.

Mme Libby Davies: C'est exact. Il n'y avait pas de jeunes laveurs de vitres. Les jeunes se contentaient de se précipiter devant un autobus, ou un véhicule, en espérant recevoir quelques roupies pour survivre.

Je me souviens parfaitement d'avoir visité, avec les autres membres de la délégation, les bidonvilles de Klong Toey en Thaïlande. Ils hébergent une collectivité d'environ 100 000 habitants à proximité du port dans une ville qui compte quelque 8 millions d'habitants. Voir ce que ces gens doivent vivre tous les jours, chômage général, pauvreté, SIDA, absence de ressources en soins de santé...

Nous avons visité un hospice dans cette collectivité. Ce qui m'a frappé, c'est qu'on nous parle beaucoup de l'Asie du Sud-Est et de la croissance économique dans cette région; la crise nous a forcés à nous pencher sur le système qui existe dans cette région. Oui, il est vrai qu'il y a des gens qui sont devenus très riches très rapidement, mais cette richesse n'a jamais vraiment été distribuée de façon équitable ou durable pour assurer la création de communautés solides. Dans ces bidonvilles de 100 000 habitants, certains ont peut-être bénéficié pendant une brève période de la prospérité économique de la Thaïlande. Puis, ils se sont retrouvés rapidement encore une fois parmi ceux qui n'ont rien. Leurs vies n'ont pas vraiment changé beaucoup. C'est l'impression que j'ai eue.

J'exhorte le comité à étudier les recommandations générales que nous avons formulées. Elles touchent la gestion économique mondiale, parce que c'est vraiment la question principale et, en fait, l'origine du problème quand on étudie la pauvreté. Nous étudions le système économique mondial. Il faut le faire. Ce système est complètement détraqué, et il n'a pas vraiment répondu aux besoins de la population dans cette région ou même à l'échelle du globe, au chapitre de l'environnement ou des normes de travail; il n'a pas su tirer les gens de la pauvreté, ni créer des emplois durables.

L'autre chose qui m'a frappée, comme mes collègues, a été les conditions absolument inacceptables en ce qui a trait aux droits de la personne en Indonésie. Dans ma circonscription de Vancouver-Est, les gens s'inquiètent énormément, par exemple, de la persécution de la communauté ethnique chinoise en Indonésie et des émeutes qu'il y a eues dans ce pays. L'omniprésence de l'armée y est renversante. L'armée est partout.

Encore une fois, nous désirons signaler au comité que le Canada doit dire clairement qu'il va faire intervenir pour assurer la démilitarisation de ce pays. Nous devons appuyer le secteur des ONG, qui est très solide et qui se fait entendre clairement dans sa lutte pour la démocratie. Je dois répéter ce que Svend et d'autres, comme le ministre, ont dit, tout particulièrement pour ce pays qui se dirige vers des élections générales. Les gens savaient pertinemment que la situation était très explosive, mais ils veulent absolument établir la démocratie dans leur pays; je crois que ce qu'ils sont prêts à faire est absolument renversant.

Je ne suis pas revenue découragée. En fait, ce que les gens font en Indonésie et en Thaïlande pour changer le régime militaire et politique m'a vraiment inspirée. Par conséquent, j'exhorte le comité à étudier sérieusement les recommandations que nous avons formulées et à les adopter; partout on nous a dit que le Canada jouissait d'une très bonne réputation mais qu'il fallait se faire clairement entendre. Nous devons faire preuve de solidarité envers ces gens et la lutte qu'ils mènent.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: La première chose que je veux dire devant les personnes qui ont organisé cette mission, et ce sera dans les procès-verbaux de notre comité, c'est que j'ai été impressionné par le professionnalisme de l'organisation de cette mission.

On reproche souvent aux ONG de ne pas bien faire les choses. Ce n'est pas moi qui leur fais ce reproche, mais on l'entend souvent dans les pays en développement. Cette mission a été menée de main de maître du début à la fin, et ce n'est pas fini. Je pense à l'organisation sur le terrain de cette mission et aux rencontres qui ont été faites en Indonésie.

• 1135

J'ai eu l'occasion d'aller en Indonésie, mais pas en Thaïlande. Nous avons rencontré le ministre Martin, la ministre Marleau et le ministre Axworthy et nous leur avons fait part de nos recommandations et de nos préoccupations. Cette présence aujourd'hui, au Comité des affaires étrangères, boucle un peu la boucle. Cela est remarquable. Lorsqu'il s'agit de faire des missions, il y a une façon de faire les choses et de les faire de façon professionnelle. Cette formule devrait être utilisée dans l'avenir. Si on devait recommander, comme M. Robinson l'a fait tout à l'heure, d'organiser une autre mission, je pense que cette formule devrait être retenue. On devrait peut-être envisager d'en confier l'organisation au Conseil canadien pour la coopération internationale à cause de cet heureux précédent.

Il y a trois choses très factuelles qui m'ont beaucoup ému là-bas, et elles méritent d'être dites. Ce qui m'a le plus touché et ému, c'est notre visite dans une plantation de tabac à Jogjakarta, où nous avons vu des travailleurs de toute évidence exploités, surtout des femmes. Nous avons vu des femmes qui réclamaient le salaire égal pour leur travail égal. Lorsque l'on prétend que la culture et le relativisme culturel doivent jouer lorsqu'il s'agit de droits fondamentaux ou de droits économiques et sociaux, comme le droit à un salaire égal pour un travail égal, on se rend compte que cela ne doit pas toujours être le cas. En effet, nous avons demandé à certaines femmes si elles pensaient mériter le même salaire que les hommes et leur réponse a été claire et nette: c'était oui. Aucun argument ne saurait nous convaincre que ce droit fondamental ne doit pas nous être attribué, même si on ne fait pas partie d'une société développée, occidentale.

Ce qui m'a aussi frappé, c'est une rencontre que l'on a eue avec un représentant de la Banque mondiale dont je ne me rappelle plus le nom; je crois que c'était un Américain du nom de Dennis de Tray. Roy aura le souvenir de cette rencontre avec ce représentant. Il nous a parlé en aparté de la corruption en Indonésie, dont il avait parlé avec le président Habibie lors d'une rencontre récente. Cette corruption existait à un degré tout à fait inacceptable. Elle n'avait pas été vue et suffisamment prise en compte par la Banque mondiale et d'autres institutions financières internationales lors de l'élaboration et de la mise en oeuvre des programmes. On parlait de cette corruption tous les jours dans les journaux lorsque nous y étions et on en parle encore maintenant à cause de la commission d'enquête qui, semble-t-il, va examiner la participation de l'ancien président à cette corruption.

Une dernière chose qui m'a beaucoup frappé et que j'ai beaucoup appréciée, c'est une rencontre que nous avons eue avec les étudiants, aussi à Jogjakarta. Ces mêmes étudiants avaient été à l'origine des manifestations du mois de mai et à l'origine du départ de Suharto. Ils nous disaient vouloir continuer le combat. Ils voulaient amener le gouvernement Habibie à démissionner également, parce qu'ils ne pouvaient être satisfaits d'un gouvernement auquel ils ne faisaient pas confiance. Les étudiants disaient vouloir se battre, même dans des conditions difficiles. Ils nous disaient qu'ils avaient faim et qu'ils n'avaient pas accès à de la nourriture. Ils disaient aussi qu'ils avaient difficilement accès à l'université ou à l'école secondaire parce que leurs parents n'avaient plus les moyens de leur payer des études. Ce sont des rencontres qui m'ont beaucoup frappé.

La donnée qui m'a le plus frappé, c'est qu'on laissait entendre que d'ici la fin de l'année, la moitié des Indonésiens vivraient sous le seuil de la pauvreté. En d'autres mots, environ 100 millions sur 200 millions d'individus vivraient sous le seuil de la pauvreté avant que cette année ne se termine.

Je me suis intéressé, pendant la mission, aux droits de l'homme et à la démocratie. Nous avons eu l'occasion de poser beaucoup de questions aux personnes que nous avons rencontrées.

• 1140

En ce qui concerne les droits de l'homme, je vous invite à regarder les recommandations, qui ne perdent pas leur pertinence. La recommandation principale sur laquelle j'ai beaucoup insisté, y compris dans nos rencontres avec les ministres, c'est que le gouvernement du Canada fasse une déclaration non équivoque sur la situation des droits de la personne en Indonésie, qu'il s'agisse de la question du rôle des militaires, de la corruption ou encore de la nécessité d'une société civile forte pour faire progresser cette démocratisation.

On aurait souhaité que ce soit fait avant l'assemblée consultative populaire. Je ne crois pas que ça a été fait. Je n'ai rien vu. Le ministre Axworthy nous avait pourtant promis qu'il ferait quelque chose lorsque nous sommes allés le voir. Je n'ai rien lu, rien entendu, et rien n'a été rapporté dans les journaux que je lis. Je dois vous dire que j'en suis déçu, parce que je croyais que M. Axworthy tiendrait parole lorsqu'il nous avait dit cela. Il n'est pas trop tard, car il y a des élections. Entre maintenant et les élections, il faudrait faire cette déclaration non équivoque sur la situation des droits de la personne en Indonésie.

Concernant la démocratie, ce qui m'a frappé et déplu, c'est le rôle des militaires. Ça m'a vraiment étonné. Je ne connaissais pas la constitution de l'Indonésie. La constitution donne automatiquement des sièges à des militaires au parlement, sans aucune élection; les militaires ont un pouvoir immense et un nombre incroyable d'entre eux participent aux travaux législatifs. Je trouve que c'est complètement inacceptable. On devrait remettre ça en cause. On ne devrait pas imposer notre propre façon de voir la démocratie, mais il y a quelque chose de malsain à ce que des militaires soient dans un appareil législatif sans même devoir être élus, sans même devoir passer le test de l'élection. Je trouve qu'on devrait beaucoup en parler.

La dernière chose que j'ai à dire a trait au Timor. On y reviendra peut-être. Ce qui m'a surpris et qui m'intéresse au Timor oriental depuis longtemps, en tant que professeur de droit international, concernant les résolutions de l'ONU sur la question et les positions que les États ont adoptées sur la question de l'autodétermination, c'est que la situation du Timor oriental n'est pas unique. Il y avait des mouvements similaires à Aceh et au Kalimantan. Il y a d'autres mouvements autonomistes ou souverainistes dans ce pays et, là encore, il faudrait avoir une position nuancée. Je crois comprendre que le Canada, dans ces questions, est toujours un petit peu inconfortable, mais en même temps, il y a des choses qui devraient être dites sur la question. J'étais content d'entendre le ministre parler tout à l'heure de sa reconnaissance du droit à l'autodétermination des Timorais, ce dont on ne devrait pas s'inquiéter de l'un ou de l'autre côté de la Chambre.

En terminant, je veux vous dire que j'ai vraiment beaucoup aimé cette expérience. Je vous en remercie. Je suis content d'avoir fait une modeste contribution; comme le signalait Gauri tout à l'heure, il semble que les photos que j'ai prises en Indonésie ont été reproduites dans le rapport. Ce sera ma modeste contribution à cette mission.

Le président: Merci beaucoup. Nous n'avons plus que 15 minutes. Il y a trois personnes sur ma liste: M. Reed, Mme Finestone et M. Mercier.

Monsieur Reed.

[Traduction]

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je ne sais pas si je pourrai me contenter d'une brève intervention. Chaque fois que nous voyons des reportages sur ce qui se passe ailleurs dans le monde, là où il existe un écart entre les pauvres et les riches—un fossé qui s'élargit sans cesse—on semble toujours attribuer cela à la migration des populations vers les régions urbaines en quête d'une vie meilleure. Mais ces gens ne la trouvent pas, ils vivent dans une misère noire et sont à la merci des forces qui les entourent.

Des organisations non gouvernementales canadiennes essaient, du mieux qu'elles peuvent, d'encourager les gens à demeurer dans les régions rurales et à devenir par exemple des agriculteurs autonomes. Ces efforts, modestes certes ont jusqu'à présent été couronnés de succès.

• 1145

Je me demande s'il existe un problème dans des pays comme l'Indonésie où il est impossible de procéder au remembrement des terres ou de conserver des petits lopins de terre. Il y a eu les feux de forêt, je le sais, mais tout cela est fini. Il y a des plantations de palmiers à huile, mais un jour il n'y aura plus de marchés pour l'huile de palme parce qu'elle est associée à un taux de cholestérol élevé et qu'elle sera sans aucun doute remplacée par un autre produit.

Je crois que nous devons reconnaître ce dilemme, cette migration vers les villes, mais il semble que nos efforts n'ont pas vraiment réussi à régler les problèmes de base comme l'alimentation, l'hébergement et autosuffisance.

Je me demande si on travaille dans ce sens en Indonésie. Dans l'affirmative, c'est encourageant. Dans la négative, il me semble que notre gouvernement devrait encourager les ONG qui sont en mesure de le faire à agir immédiatement.

Si mon message n'est pas très très clair, c'est qu'il est difficile d'exprimer en deux ou trois phrases tout ce que je veux dire.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez avant que je mentionne les autres choses qui me préoccupent. À mon avis, l'autosuffisance serait une des façons de régler en fin de compte un problème qu'on rencontre dans toutes les régions du monde, c'est-à-dire l'explosion démographique et la centralisation des terres.

Mme Betty Plewes: Vous avez identifié certaines des grandes questions. Il est difficile d'étudier le lien de cause à effet.

J'aimerais faire quelques commentaires. Les migrations internes sont attribuables à la pauvreté. En Indonésie, les gens doivent quitter les régions rurales et agraires en partie en raison du modèle économique adopté par le pays, qui a opté pour des investissements étrangers importants, comme dans le domaine de la culture intensive du palmier à huile.

Les populations autochtones qui savent comment gérer les ressources, qui ont su les gérer de façon durable pendant de longues périodes, perdent leurs terres qui sont exploitées comme des zones agricoles industrielles.

M. Julian Reed: Leurs terres sont expropriées?

Mme Betty Plewes: Le gouvernement indonésien a été autorisé à saisir des terres dans le cadre de sa politique de développement. C'est ce qu'on a fait dans bien des cas. On a enlevé au peuple autochtone ses terres. Ainsi, ces derniers qui avaient pu vivre de l'exploitation de ces terres ne peuvent désormais plus survenir à leurs propres besoins.

Vous posez une question fort complexe, et il n'existe aucune solution facile à ce problème. Vous avez raison de signaler qu'il doit bien y avoir une politique gouvernementale, une politique sur l'aide, et des programmes d'ONG qui aident les populations à demeurer dans les régions rurales et à adopter des pratiques agricoles durables. C'est vrai. Cependant, à certains égards, il est déjà trop tard. Les gens ne veulent pas revenir à la terre à cause des grandes implantations urbaines. En Thaïlande et en Indonésie, les gens ont essayé pour survivre de retourner dans les régions rurales, mais lorsque vous vivez en ville depuis une génération, vous ne savez plus comment exploiter la terre d'après moi vous ne savez plus comment vivre en région rurale.

Je crois que vous avez identifié un problème très intéressant qui explique en partie pourquoi les populations migrent.

M. Julian Reed: Il existe une ONG au Canada, SHARE Agriculture Foundation, qui oeuvre justement dans ce secteur. Il est vrai, il faut réapprendre aux gens bon nombre de techniques agricoles, en d'autres termes les compétences nécessaires pour survivre si je peux m'exprimer ainsi. Les programmes qu'offre cette ONG sont couronnés de succès.

• 1150

M. Roy Culpeper: Il y a un autre aspect au problème; en effet, les pays en développement qui deviennent urbanisés et industrialisés ont besoin de meilleurs filets de sécurité sociale. Tout cela est très évident dans les pays de cette région, en Thaïlande et en Indonésie. Il n'existe pas de programme d'assurance-chômage, de programme de bien-être social—du moins pas de programmes semblables aux nôtres. Ainsi, si vous perdez votre emploi, vous êtes dans le pétrin, et vous devez faire le genre de chose que décrivait Betty, vous devez retourner chez vos parents à la campagne ou vivre aux crochets de vos proches qui habitent en ville.

La Banque mondiale essaie de mettre sur pied des programmes qui visent à donner du travail d'urgence aux gens, mais il s'agit plutôt de programmes improvisés. Je crois que tous les pays en développement connaissent le même problème. Ils croyaient que l'industrialisation serait la solution, mais en fait, à moins d'avoir déjà des programmes sociaux, en raison de l'instabilité du marché, des crises et des pertes d'emploi qui pourraient en résulter, la population risque d'être très vulnérable.

Pour en revenir à Joe Stiglitz, je crois qu'il essayait de dire qu'il faut faire beaucoup plus, pas simplement investir des ressources, mais longuement réfléchir à la façon de créer des programmes de sécurité sociale dans les pays de développement.

Le président: Merci.

Mme Jean Augustine: Monsieur le président, je crois qu'il faut faire ce qu'on vient de dire parce que, si vous regardez les tendances démographiques, vous noterez que les populations migrent vers les centres urbains. La plupart des gens, dans toutes les régions du monde, migrent vers les régions urbaines; il faut donc...

Le président: Il suffit de voir ce qui se passe au Caire depuis 10 ans.

M. Julian Reed: C'est justement ce que j'essaie de dire. Pouvons-nous inverser cette tendance? Pouvons-nous pour la première fois dans le monde industrialisé reconnaître que nous ne pouvons pas dépendre exclusivement de l'industrialisation et que plus gros n'est pas toujours meilleur dans toutes les circonstances? Nous devons apprendre à nous fier à l'initiative et aux capacités des gens et communiquer ce message à ceux qui doivent vraiment l'entendre.

Les filets de sécurité et les programmes sociaux c'est bien joli, je sais qu'il n'y en a aucun... J'étais en Malaisie le printemps dernier. Il n'existe là-bas aucun filet de sécurité. Mais les filets de sécurité ne sont pas la panacée. En fait, ce sont plutôt des camisoles de force. Les programmes sociaux sont une bonne solution temporaire—grâce à eux les gens ne mourront pas de faim—mais il faut trouver une solution permanente.

C'est tout. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Reed.

[Français]

Monsieur Mercier.

M. Paul Mercier (Terrebonne—Blainville, BQ): Monsieur le président, je suis content que les circonstances me permettent de participer à un débat qui m'intéresse au plus haut point. J'ai été très intéressé par les dépositions des membres de la mission ainsi que par leurs documents.

Si je peux résumer leurs constatations en quatre points, je dirai qu'ils ont constaté en Indonésie une exploitation incroyable par la famille du dictateur, de la dictature, du racisme et aussi, ce qui est très important, une baisse du niveau d'éducation. C'est important à long terme, parce que cela compromet, de façon non définitive, j'espère, les chances d'accès à la démocratie de ce pays. En effet, la démocratie n'est pas possible en dessous d'un certain niveau d'alphabétisation.

Ce qui me frappe, c'est la ressemblance entre ce que vous avez constaté en Indonésie et ce qu'on peut constater dans d'autres pays du tiers monde qui sont devenus indépendants dans les années 1960. Je pense, par exemple, au pays qui, ironiquement, est appelé la République démocratique du Congo et qui a été, comme vous le savez, sous la coupe de Mobutu et de Kabila qui, tous les deux, ont exploité, ont été des dictateurs, ont développé le racisme et ont fait baisser le niveau d'éducation.

On a vu la même chose en Ouganda avec Amin Dada, en République centrafricaine avec Bokassa, en Guinée, en Éthiopie, en Mozambique et à Madagascar. Tout cela conduit quand même à une question d'ordre général. Quand ces pays ont accédé à l'indépendance dans les années 1960, la communauté internationale les y a aidés, précisément pour mettre fin à ce que l'on considérait comme l'exploitation, la dictature, le racisme et une éducation insuffisante.

• 1155

Il y a un paradoxe dans le fait que l'accès à l'indépendance de ces pays a eu un résultat inverse à celui que l'on attendait de ce changement de statut.

J'aimerais qu'on m'éclaire là-dessus.

Le président: Monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Je trouve la remarque de notre collègue tout à fait intéressante. Cela pourrait nous mener à une discussion sur le sens de l'indépendance. Cela nous intéresse parce qu'il y en a ici qui veulent la préserver et d'autres qui veulent l'obtenir.

Que vaut l'indépendance sans un projet de société, sans la démocratie, sans le respect des droits de l'homme? Cela ne semble pas valoir grand-chose pour les peuples qui souffrent du racisme, de violations systématiques des droits de l'homme, pour ceux qui souffrent de ne pas pouvoir s'exprimer librement et promouvoir un projet de société pour un pays qui a accédé à l'indépendance. Cela, on l'a entendu de la part de certains témoins qui ne voulaient pas d'un pays pour un pays; ils voulaient un pays d'une meilleure qualité.

J'espère que je ne choquerai pas Mme Finestone, mais il y a quelque chose qui nous a été dit et qu'on doit retenir pour la suite des choses. Il y a des gens qui nous ont dit ne pas avoir apprécié que le Canada soit aussi silencieux sur la question des droits de la personne en Indonésie. Ils s'attendaient à davantage du Canada. J'ai dit à M. Martin et j'ai répété à M. Axworthy que s'il s'agit d'une réputation à protéger ou à changer, il faut que le Canada prenne des mesures et laisse entendre publiquement que cette situation qu'a décrite M. Mercier, et qui est celle d'autres pays, doit être décriée par un gouvernement démocratique, un pays indépendant qui, lui, a un projet de société qui se tient, bien qu'on soit peut-être en désaccord sur certains de ses fondements.

J'aimerais ajouter une dernière chose. Quand de nouveaux États indépendants n'accordent pas l'autonomie que souhaitent les peuples qui la constituent, qu'ils la refusent, qu'ils répriment les leaders de mouvements autonomistes, comme au Timor oriental, à Aceh et ailleurs, qu'est-ce qui arrive à ces pays? Ses peuples veulent devenir indépendants. Ils ne veulent non plus seulement l'autonomie, mais l'indépendance. C'est un chemin normal pour des peuples qui se voient refuser l'autonomie que de réclamer l'indépendance. C'est une leçon qu'on a à tirer de l'Indonésie, mais qu'on peut aussi tirer d'autres situations.

Ce qui me frappe dans le cas du Timor oriental, c'est que les Timorais veulent maintenant ne pas fermer la porte à l'idée de devenir souverains. Ils veulent avoir le droit de décider librement d'être souverains mais, peut-être aussi librement, de demeurer à l'intérieur de l'Indonésie.

C'est vrai non seulement pour les Timorais, mais aussi pour les Irlandais du Nord, pour les Sarawis, pour des peuples coloniaux et même non coloniaux qui veulent avoir le droit de décider de leur avenir. Tel est l'enseignement à tirer de notre visite en Indonésie.

Le président: Merci. Madame Finestone.

[Traduction]

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Je ne suis pas prête à comparer le mode de vie et les difficultés qu'on observe en Indonésie à une expérience canadienne éventuelle; je ne les comparerais pas du tout. Je me contenterai simplement de dire ce qui suit.

Nous étudierons le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et leur impact sur les nouveaux États; je crois que ce que nous avons entendu aujourd'hui, et je parle en mon nom propre, fait ressortir l'importance de ne pas se limiter aux grosses banques et aux grands prêteurs ou aux corps diplomatiques, ou aux institutions de ce genre. Nous devons consulter les ONG. Nous devons consulter ceux qui ont visité ces régions et qui savent comment les gens vivent là-bas.

• 1200

Je dois avouer que j'ai été fort impressionnée par les exposés que nous avons entendus ce matin. Ils étaient fort instructifs et bien présentés. Je crois que vous avez probablement fait un voyage absolument extraordinaire. C'est absolument merveilleux que vous ayez l'occasion de revenir expliquer de façon si bien organisée et si logique ce que vous avez vécu.

Nous comptons tous dans nos circonscriptions des entreprises qui font affaire avec l'étranger. Lorsque vous recevez des plaintes et que vous devez communiquer avec Revenu Canada et Douanes et Accise au nom de vos clients, et que vous devez composer avec toutes sortes de problèmes auxquels ils sont confrontés à l'étranger... Pratiquement toutes les entreprises que je connais qui traitent avec de grands pays étrangers ont parlé de corruption, de favoritisme et du fait qu'il fallait soudoyer des tas de gens personnes pour pouvoir importer ou exporter. Quand ces compagnies fixent leurs prix, elles doivent tenir compte des pots de vin qu'elles devront payer. C'est absolument honteux qu'en affaires il faille tenir compte du coût de ce genre de pratiques illégales, mais c'est la vie.

J'espère, monsieur le président, que dans le cadre de notre étude sur la Banque mondiale, le Fond monétaire international et le rôle des entreprises, nous tiendrons compte de ce modèle si nous voulons vraiment formuler des recommandations positives pour faire bouger les choses dans cette région. Ce n'est qu'un commentaire.

Ensuite, lorsque vous avez mentionné, Daniel, les 100 millions de gens qui seraient touchés par les consignes de restructuration, j'ai été absolument renversé. On m'avait dit qu'en Indonésie, le nombre moyen de chômeurs, et ce depuis un bon moment déjà, s'élevait à 7 millions, et qu'en raison du ralentissement de l'économie ou de la crise, appelez-la comme vous voulez, ce chiffre était passé à 20 millions. On a dit que cela pourrait toucher environ la moitié de la population. Vous êtes revenu de votre visite et vous nous avez dit que c'était vrai.

C'est effarant, pour des gens comme nous qui vivons dans un pays qui compte au maximum 30 millions d'habitants, d'apprendre que dans un autre pays, il y a 100 millions de gens qui n'ont pas d'emploi et qui n'ont pas accès à des programmes sociaux. C'est de ce genre de choses que naissent les révolutions. C'est effarant.

M. Daniel Turp: Je ne sais pas s'il s'agit de 100 millions de chômeurs; je sais qu'il y a 100 millions de gens qui vivent en deçà du seuil de pauvreté.

Quel serait le taux de chômage Roy?

M. Roy Culpeper: J'ai les chiffres exacts: il y a 20 millions de chômeurs.

Mme Sheila Finestone: C'est ce qu'on nous a donné comme nombre de chômeurs, qui...

M. Daniel Turp: Il y a donc 20 millions de chômeurs et 100 millions de gens qui vivent dans la pauvreté.

Mme Libby Davies: Ce qui représente 50 p. 100 de la population.

Mme Sheila Finestone: De toute façon, c'est effarant. J'ai hâte de lire le rapport, monsieur le président. Je n'ai pas de question instructive à poser. Cependant j'ai écouté très attentivement.

Le président: Je vous remercie de vos commentaires. Pourrais-je...

[Français]

M. Daniel Turp: Mary Robinson a parlé hier de l'importance de mettre maintenant la communauté des affaires dans le coup.

Mme Sheila Finestone: Absolument.

M. Daniel Turp: Dès notre première réunion ici, sur la rue Nicholas, Roy avait dit que nous étions une bonne délégation, mais qu'il manquait quelqu'un du monde des affaires. Il y a des parlementaires, des représentants des ONG et des Églises, mais il manque quelqu'un du milieu des affaires, disait-il. On devrait dorénavant se préoccuper de toujours associer des gens du monde des affaires à des délégations comme celle-là. Ça sensibiliserait le monde des affaires au discours sur les droits de l'homme, mais aussi à leur intérêt à ce que les droits de l'homme et la démocratie soient respectés dans les États avec lesquels ils font affaire. Je trouve que Mary Robinson a soulevé un très bon point à ce sujet hier. Elle a raison d'insister sur cela.

[Traduction]

Mme Sheila Finestone: Je crois que c'est important, Daniel, parce que vous avez essayé de critiquer—fort injustement à mon avis—M. Axworthy. Si ce n'était de gens comme M. Axworthy, le monde serait encore moins humain. Il y a très peu de gens comme lui dans le monde aujourd'hui, des gens qui cherchent à parler de la pauvreté, de l'entreprise et du fair play, de l'équité, de la décence et du respect de la diversité.

• 1205

Je crois qu'il nous faut discuter de la façon dont Sergio Marchi et M. Axworthy, lorsqu'ils participent à des missions commerciales internationales, peuvent intégrer cela à leur travail. En raison de la nature et de la structure de notre société, les entreprises canadiennes sont sensibles à l'importance des programmes sociaux qui existent ici. Lorsqu'elles verront ce genre de chose, elles réévalueront peut-être leur rôle sur le plan des affaires. Ces gens ont le droit d'aller dans tous ces pays pour faire des affaires, mais ils pourraient le faire de façon plus humanitaire.

Ils pourraient par exemple offrir des cours d'alphabétisation à la leurs employés, une heure par jour par exemple. Il y a toutes sortes de choses qu'ils pourraient faire pour assurer l'épanouissement de la population, des choses qui ne seraient pas perçues comme une ingérence dans les affaires de l'État.

M. Daniel Turp: Madame Finestone, je fais les louanges du ministre. Je le respecte beaucoup. Je crois qu'il est un excellent ministre des Affaires étrangères. Je l'ai dit à plusieurs reprises et je continuerai à le dire. Cependant il m'a déçu et je ne suis pas le seul. Il a dit qu'il ferait une déclaration lors de cette assemblée sur les Droits de la personne en Indonésie. Nous pensions tous que c'était important de ka faurem naus il ne l'a pas encore fait. J'espère qu'il le fera avant les élections. Il faut absolument le faire.

Le président: M. Culpeper veut ajouter quelque chose.

M. Roy Culpeper: Le premier ministre vient de se rendre en visite dans cette région, et j'ai été surpris de constater qu'il semblait avoir indiqué que nous accorderions une plus grande importance aux droits de la personne, à tout le moins que cela faisait partie de ses priorités.

Mme Sheila Finestone: Cela ne vous a pas encouragé?

M. Roy Culpeper: Non. J'ai été renversé par les critiques du secteur des affaires, de M. d'Aquino et d'autres intervenants et de Pierre Lortie, qui ont dit que de tels propos nuisaient aux perspectives commerciales des Canadiens dans cette région. Je crois que le temps est venu d'entamer un dialogue à cet égard avec le secteur des affaires. Peut-être devriez-vous les inviter à une réunion du comité pour discuter, avec les gens d'affaires, des droits de la personne; vous pourriez faire ressortir que les droits de la personne sont à l'avantage des entreprises et qu'il ne faudrait pas continuer à penser le contraire.

Le président: J'aimerais faire un bref commentaire. Je crois que le comité aura notamment l'occasion de discuter de la question lorsqu'il étudiera la convention de l'OCDE sur la corruption.

Il faut assurer la participation du secteur des affaires, car nous avons déjà abordé la question lorsque nous avions étudié les petites et moyennes entreprises, et il s'agit là d'un compromis assez délicat. Nous ne voulons pas nuire aux possibilités de développement en disant «n'allez pas dans ce pays parce que la corruption y est galopante». Cela ne favoriserait certainement pas le développement dans ce pays. Il faut donc essayer de faire la part des choses, ce qui n'est pas facile.

Certains des membres du comité jugeaient qu'il devrait y avoir dans le Code criminel une disposition stipulant que tout Canadien qui paie un pot-de-vin sera mis en prison. Cela mettrait fin aux échanges commerciaux du Canada avec quelque—M. Culpeper le saurait mieux que moi—160 des 180 pays du monde. Je ne crois pas que cela favoriserait la prospérité ou le respect des droits de la personne dans ces pays, ce qui est en fait un de nos objectifs. Il faut vraiment qu'on se penche sur la question.

J'aimerais vous poser deux questions.

Notre comité va étudier l'OMC au début de l'année prochaine. Cela sera tout un travail. Comme vous le savez, il y aura ne novembre prochain une réunion de l'OMC aux États-Unis. On prévoit alors amorcer une nouvelle ronde. Il y aura une nouvelle ronde de l'Uruguay, peu importe comment on l'appellera. On discutera alors de la société civile que vous avez abordée tout à l'heure. En fait, la société civile fait déjà l'objet de discussions.

Je reviens d'une rencontre en Amérique Latine avec des politiciens de la région et tout le monde dit que, dans la déclaration de Santiago, la société civile faisait partie du dialogue commercial. J'énonce simplement les faits. Je crois que nous aurons besoin de votre aide et que nous devrons vous inviter pour que vous veniez nous dire comment intégrer la notion de société civile au sein de l'OMC. Comment surmonter les réticences que démontrent certains de nos partenaires? Comment institutionnaliser la notion de société civile? On a beau en parler tant qu'on veut, il faut concrétiser ces idées; n'oubliez pas non plus que l'OMC est une institution très complexe.

Je ne m'attends pas nécessairement à ce que vous répondiez à cette question aujourd'hui, mais je voulais simplement vous faire part des travaux futurs du comité. Il y aura un plan de travail au printemps. C'est important. Nous voulons mettre de l'avant certaines propositions pour que nous puissions dire ce que devrait être la politique du Canada lors de la réunion de l'OMC; voilà comment nous pensons pouvoir faire avancer le dossier. Vous avez beaucoup d'expérience dans le domaine.

Quand j'étais à l'OMC à Singapour j'ai été frappé parce que la majorité des pays que vous avez visités s'opposaient aux idées progressives que nous mettions de l'avant. Ils ne voulaient pas en entendre parler parce qu'ils jugeaient qu'il s'agissait là d'une nouvelle forme de barrière commerciale.

Nous ne pouvons pas convaincre les Américains, par exemple, de ne pas transformer les idées dont nous parlons ici en un nouveau régime anti-dumping dont ils se serviraient pour empêcher les produits provenant des pays du Tiers Monde d'arriver sur leur marché; ils ne feraient ainsi qu'accroître la pauvreté.

• 1210

Nous ne pouvons assister passivement à la création d'un nouveau système qui fait des droits de la personne un obstacle au commerce, comme le projet de loi sur les libertés religieuses dont nous avons entendu parler ce matin. Nous n'aimons pas ce que vous faites dans ce domaine, alors nous allons empêcher l'importation de vos produits. En fait, vous aggravez la situation, car vous tuez dans l'oeuf la prospérité de ceux-là mêmes que vous essayez d'extraire du système.

Cela nous serait donc très utile.

L'autre question qui nous serait tout aussi utile, monsieur Culpeper—et je sais que nous en avons discuté à de nombreuses reprises auparavant—, c'est celle du FMI et du principe de la conditionnalité. Je me répète, mais lorsque j'ai rencontré des membres de la classe politique d'Amérique latine à Santo Domingo, beaucoup disaient qu'ils cherchaient à obtenir un allégement de la dette. Une personne très sensée d'un de ces gros établissements financiers internationaux a acquiescé, mais a fait valoir qu'il fallait gérer cet allégement de façon à ce que les prêteurs acceptent encore de prêter de l'argent la prochaine fois; si c'était un don la dernière fois, ce ne sera plus un don la prochaine fois.

Si j'étais banquier ou si on me demandait personnellement de faire un don, cela me serait égal, mais je veux savoir si c'est un don ou non. Je ne veux pas qu'on me dise que c'est un prêt. Si vous me dites que c'est un prêt et que ce prêt passe aux profits et pertes, qui va vous prêter de l'argent la prochaine fois? Si c'est la communauté financière internationale, il ne faut pas oublier que cet argent sort de la poche du contribuable, de tous ceux qui représentent un électeur ici dans cette pièce. Vous et moi, nous savons très bien que ce n'est pas bien toléré.

Il me semble que d'une part, nous parlons de cela, mais que d'autre part nous parlons du type de conditionnalité à définir. Il me semble qu'il s'agit d'un tout nouveau type de conditionnalité.

À en croire Mme Augustine, Mme Davies et M. Turp, nous sommes peut-être d'accord pour prêter de nouveau de l'argent, mais cette fois, au lieu que la conditionnalité imposée par le FMI se rattache à des questions structurelles et non pas simplement à une politique économique saine, il faudra dorénavant tenir compte des droits de la personne.

Si tel est le cas, et je suis fermement convaincu que ce devrait l'être, combien de pays accepteront cette condition? Jusqu'où sont-ils prêts à aller pour obtenir cet argent?

Nous avons beaucoup parlé avec nos homologues chinois. Nous savons très bien que si l'on pointe la Chine du doigt et qu'on lui dit de faire telle chose de telle ou telle façon, sa réponse sera toujours non. Comment s'en sortir? Il me semble qu'on parle de ces choses là depuis des lustres et que le problème persiste toujours.

L'année prochaine, le comité s'intéressera à ces deux sujets très importants, soit les discussions tournant autour de l'Organisation mondiale du commerce et les institutions financières internationales. Nous devons adopter une politique claire en la matière.

M. Roy Culpeper: Permettez-moi de prendre la question de l'Organisation mondiale du commerce en délibéré. Je vais essayer de répondre aux questions que vous m'avez posées à propos de la dette et de la conditionnalité.

Au sujet de la dette, je crois qu'il est important de savoir qu'au sein des instances nationales—le Canada, les États-Unis, et ainsi de suite—il existe un cadre qui offre une solution aux débiteurs qui éprouvent de sérieuses difficultés et qui ne peuvent rembourser leur dette. Il existe des lois, des procédures, des tribunaux devant lesquels les débiteurs et leurs créanciers peuvent se rencontrer et régler leurs problèmes. En règle générale, les créanciers finissent par obtenir moins qu'ils n'avaient prêté.

Mais comme on dit, c'est la vie. La vie n'est pas toujours une longue ligne droite. Les créanciers le savent bien et les débiteurs en ont l'expérience. La question qui se pose est la suivante: Existe-t-il un mécanisme qui permette de régler ces problèmes?

Le président: En effet.

M. Roy Culpeper: Il en existe un au niveau national.

Le président: Les débiteurs doivent cependant abandonner leur liberté. Si vous êtes une nation endettée, vous ne pouvez pas revenir ce qu'a connu Terre-Neuve lorsque le commissariat britannique a géré le pays pendant 25 ans parce qu'il s'était endetté. Personne ne va accepter cela non plus.

M. Roy Culpeper: Ce qui nous manque, c'est une espèce de mécanisme de mise en faillite à l'échelle internationale.

Le président: Oui, je comprends.

M. Roy Culpeper: Les débiteurs devront effectivement lâcher du lest, mais les créanciers également...

Le président: Oui.

M. Roy Culpeper: ... tout en essayant de mener leurs affaires comme avant.

La situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement est la pire qui soit. Il n'existe ni procédure, ni mécanisme, ni droit de la faillite. On finit par se trouver dans une impasse où personne ne sait quand ça va finir ou comment ça va finir.

M. Daniel Turp: C'est bien qu'il y en ait.

Le président: J'en conviens. Lorsque le FMI dit à la Corée qu'il va lui prêter de l'argent, non pas en le traitant comme un régime ayant fait faillite, mais en assujettissant ce prêt au rejet du système en vigueur, entraînant ainsi le chaos total alors qu'on sait très bien que la moitié de cet argent est de toute façon réacheminé vers les banques américaines, le problème n'est absolument pas résolu... Ce système est complètement opaque...

M. Roy Culpeper: Effectivement, il l'est.

• 1215

Daniel a parlé du Club de Paris. Le Club de Paris n'a pas du tout réussi à résoudre ces questions très rapidement.

Le président: Et que dire des pays pauvres lourdement endettés dont nous avons entendu parler?

M. Roy Culpeper: Ils sont dans la même situation. C'est une initiative qui a été lancée il y a deux ans, et il va bien falloir dix ans ou plus pour que les douze premiers pays arrivent à se désendetter.

Le président: Bien. Il va falloir compter dix ans, mais... Nous pourrions en parler toute la journée. Il est évident qu'il faudra bien attendre dix ans avant que le gouvernement indonésien ne se débarrasse de l'armée également. Ce n'est pas ainsi que va la société. Tous ces problèmes... L'Indonésie ne va pas changer de régime du jour au lendemain non plus. Il faudra beaucoup de temps pour se débarrasser de l'armée. Il faut du temps. C'est malheureux, mais c'est la vie.

M. Roy Culpeper: Pour ce qui est de la conditionnalité, je pense que le premier pas important à faire est de favoriser la participation et l'inclusion des pays au dialogue entamé avec les institutions financières internationales. C'est cela qui manque. C'est ce qui manque depuis toujours. Comme vous le savez peut-être, le FMI vient chaque année au Canada tenir des consultations au titre de l'article IV. Lorsque les représentants du FMI viennent, à qui parlent-ils? Ils parlent aux fonctionnaires du ministère des Finances. Ils font un bilan de la santé économique de chaque pays membre du FMI. Les pays en développement ne sont pas les seuls touchés, les pays riches le sont également. Ils portent des jugements sur la politique économique suivie. Ils disent aux Canadiens que leurs taux d'intérêt sont trop bas, qu'il faut les augmenter. C'est cela qu'ils disent. Mais si je vous dis tout cela, c'est simplement pour vous faire remarquer que lorsqu'ils viennent au Canada, ils ne consultent que les représentants des institutions financières et ceux de la Banque du Canada. Tous les autres pays passent par là aussi.

Le temps est venu de les inciter à consulter une plus large couche de la population, à s'entretenir avec les syndicats, les travailleurs, les groupes communautaires pour qu'ils aient une meilleure idée des problèmes réels qui se posent et des conséquences que subira la population si des politiques plus restrictives devaient être adoptées à la suite de leurs recommandations. Ils n'ont pas l'habitude de ce type de débat ou de discussion. Ils opèrent dans un genre de tour d'ivoire.

Le président: Nous ne laisserons pas M. D'Aquino s'approcher d'eux.

M. Daniel Turp: Invitons-les à témoigner.

Le président: Non, je crois que ceci nous a été très utile.

M. Roy Culpeper: Quand vous dites que ces pays ne veulent pas qu'on leur impose comme condition le respect des droits de la personne, vous faites référence aux gouvernements et non aux citoyens. Les citoyens de ces pays seraient nombreux à être ouverts à cette idée, mais leurs gouvernements refusent de bouger.

Le président: Voilà comment vous pouvez nous aider avec l'OMC. Quand nous nous y rendrons, nous parlerons avec les gouvernements. Il n'existe aucun système de gouvernance planétaire qui nous permette de parler directement avec les citoyens. Nous tentons d'effacer la notion de l'État-nation, une notion qui existe depuis mille ans. Nous essayons tous de trouver une solution à ce problème. La décision rendue hier dans l'affaire Pinochet représente un immense pas en avant. C'est l'arrêt de mort de la notion de l'État-nation, mais il y aura des conséquences très intéressantes. Qui dorénavant va participer aux réunions?

[Français]

M. Daniel Turp: L'idée de proposer l'émergence d'un régime international de la faillite—je ne sais pas comment on appellerait cela—est une piste très intéressante pour notre comité. Peut-être que Roy pourrait nous dire s'il y a des gens qui ont déjà écrit sur cette question. Quand on y pense, c'est quand même un peu ridicule qu'un régime comme celui-là n'existe pas.

Le président: Monsieur Turp, permettez-moi de vous suggérer de lire le rapport de ce comité de 1995, où on en avait parlé, surtout grâce à M. Culpeper qui était venu témoigner devant le comité pour proposer cela. Il y a beaucoup de gens qui se sont convertis à cette proposition. Si nous poursuivons nos efforts dans l'affaire des institutions financières internationales, nous devrons absolument examiner cette notion de façon plus approfondie. La dernière fois, on avait un peu esquissé l'idée, sans vraiment la détailler.

[Traduction]

Mme Plewes aimerait avoir le dernier mot c'est son droit. À titre de présidente du Conseil canadien pour la coopération internationale, elle a toujours le dernier mot. C'est la règle au comité.

• 1220

Mme Betty Plewes: C'est exact. Merci.

J'aimerais remercier le comité et ceux et celles qui sont ici pour leur participation. J'ai l'impression que, dans vos travaux futurs, vous allez être à l'affût des grandes questions que nous devrons affronter au siècle prochain. La démocratisation des grandes institutions financières, la relation entre les questions sociales et économiques et les objectifs sociaux de ces institutions, ainsi que la relation entre les droits de la personne et la politique commerciale sont les questions clés auxquelles il existe actuellement plusieurs réponses, et votre comité nous aidera grandement à les examiner sous des perspectives différentes. Donc merci.

Le président: Merci.

J'espère que vous pourrez nous aider à orienter nos discussions, car ce sera une de nos... Il n'existe aucun organe de gouvernance planétaire pour nous guider dans notre travail. C'est pourquoi—il appert que j'aurai le dernier mot—on nous dit, fait intéressant, que la plupart des discussions importantes auront lieu à l'OMC, car l'OMC est une des rares institutions internationales qui fonctionne bien. Il nous faut donc agir.

Mme Augustine a un autre rendez-vous...

Des voix: Oh, oh.

Le président: ... et la séance est levée. Mme Augustine retourne en Indonésie.