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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 mars 1999

• 0911

[Traduction]

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): Collègues, mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l'une des dernières séances que le Comité de la santé consacre à l'étude de la situation des dons d'organes et de tissus au Canada. Cette étude se poursuit depuis que la Chambre avait repris ses travaux au début de février. Nous avions même tenu des discussions préliminaires en décembre.

Nous avons le plaisir aujourd'hui d'accueillir comme témoins des experts nationaux et internationaux du domaine. Je suis particulièrement heureux de souhaiter la bienvenue aux personnes suivantes: la Dre Blanca Miranda, coordonnatrice nationale de la transplantation de l'Organizacion Nacional de Trasplantes, en Espagne; Carol Beasley, directrice générale de l'organisme Partnership for Organ Donation; le Dr William Pfaff, président de l'United Network for Organ Sharing; et Elizabeth Barker, coprésidente et directrice des programmes de soins aigus au ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse et coprésidente du Comité de coordination national pour le don et la distribution d'organes et de tissus. Mme Barker est accompagnée de l'autre coprésident du comité, le Dr Philip Belitsky, professeur d'urologie à l'Université Dalhousie. Nous avons également comme témoin Mme Prudence Taylor, chef d'équipe de projet, Division des stratégies de la santé, au ministère de la Santé de l'Alberta. Je tiens en outre à souhaiter tout particulièrement la bienvenue à Mme Celia Wight, de l'Eurotransplant Donor Action Foundation du Royaume-Uni.

Nous sommes très heureux de vous rencontrer. Pendant que vous êtes parmi nous, vous aurez l'occasion de connaître une intéressante expérience parlementaire. La Chambre des communes, qui se trouve à une cinquantaine de mètres d'ici, commencera à siéger dans 50 minutes environ. Dès l'ouverture de la séance, les députés seront appelés pour un vote. L'appel durera 30 minutes. Tous les députés devront être présents pour le vote.

Nous avons demandé aux whips des partis d'envisager le jumelage de quelques membres du comité. Ils vont peut-être accepter, mais il est plus probable qu'ils refusent. S'ils n'accèdent pas à notre demande, je suspendrai la séance une quinzaine de minutes pour que les membres du comité aillent voter. Vous pourrez discuter avec les membres du secrétariat, que vous voyez là au bout de la table, pendant cette période de suspension.

Nous vous demandons d'être patients. Nous n'avions pas prévu ce vote, même si nous avions prévu ce que vous avez pu observer à votre arrivée en ville hier, c'est-à-dire un exemple typique de notre hiver canadien, qui aura certainement plu à ceux d'entre vous qui avaient déjà commencé à se réjouir de l'arrivée du printemps.

• 0915

Je vais, sans plus attendre, vous donner une idée des paramètres de base. Je n'ai pas l'intention de tenir compte du temps aussi rigoureusement que je l'ai fait dans le passé. Nous demandons ordinairement aux témoins de présenter un exposé d'environ cinq minutes. Une fois tous les exposés terminés, nous passerons aux questions des députés de l'opposition et du gouvernement. Si vous croyez avoir besoin de plus de cinq minutes, n'oubliez pas que j'ai un oeil sur l'horloge, mais ne perdez pas de vue, en même temps, que tous les députés s'intéressent énormément à ce que vous avez à leur dire.

Nous commencerons par la Dre Blanca Miranda.

Dre Blanca Miranda (coordonnatrice nationale de la transplantation, Organizacion Nacional de Trasplantes): Merci. Bonjour à tout le monde. Je veux tout d'abord vous remercier de m'avoir invitée ici.

Je vais vous expliquer très brièvement le système espagnol de collecte d'organes.

L'Espagne est un pays européen. Nous avons près de 40 millions d'habitants et 17 régions autonomes. Le système national de santé comprend toutes les installations et tous les services publics consacrés à la santé. Aujourd'hui, 99 p. 100 de la population bénéficie de l'aide à la santé publique.

L'Organisation nationale de transplantation, établie en 1990, relève du ministère espagnol de la Santé. Le système de collecte d'organes se fonde sur trois grands aspects, le juridique, le technique et l'organisationnel.

Le cadre juridique ne se distingue probablement pas de celui d'autres pays. Il porte sur des considérations telles que le diagnostic ou la certification de la mort cérébrale, le consentement, le besoin de confiance, la nécessité d'éviter le commerce d'organes et les critères officiels d'autorisation et d'accréditation. L'organisation a une envergure nationale. Avec une population de 40 millions d'habitants, elle est d'une taille moyenne. Nous relevons directement du ministère national de la Santé. Notre philosophie consiste à travailler d'une manière décentralisée, chaque région étant responsable de ses propres succès et échecs. Notre principal objectif est d'obtenir des dons d'organes.

Nos responsabilités, à titre d'organisation nationale, comprennent les dons d'organes ainsi que la promotion et le maintien de la collecte, le partage des organes et la tenue de la base de données. Nos activités englobent les organes entiers, les tissus et la moelle osseuse.

Dès le tout début, nous avions supposé qu'une pénurie d'organes était le principal facteur limitant la transplantation. Nous avions impression que le problème résidait non dans l'absence de donneurs appropriés, mais dans le fait qu'on ne réussissait pas à transformer des donneurs potentiels en donneurs réels. Nous avons essayé de mettre en évidence la nécessité de charger une personne ou un groupe de la responsabilité de la collecte d'organes et de tissus dans chaque hôpital accrédité à cette fin.

Le réseau national de coordination des transplantations a été conçu à trois niveaux: niveau national, niveau régional et niveau local, le dernier niveau étant celui de l'hôpital. Nous croyons avoir établi une structure de gestion flexible grâce à laquelle les coordonnateurs qui travaillent au niveau de la base ont un sens d'appartenance et se sentent responsables du travail accompli. La plupart sont des médecins, surtout des intensivistes ou des néphrologues, qui ne consacrent qu'une partie de leur temps au rôle de coordonnateur de la transplantation. Les coordonnateurs relèvent directement du directeur médical de l'hôpital et non du chef du service des transplantations.

Entre 1990 et 1998, le taux des dons d'organes a doublé en Espagne, passant de 14,3 à 31,5 donneurs par million d'habitants. Le nombre de donneurs a augmenté, de même que le nombre d'organes prélevés et transplantés. Aujourd'hui, le nombre d'organes transplantés est trois fois supérieur à ce qu'il était en 1990.

• 0920

Bref, la hausse des taux de collecte d'organes en Espagne est attribuable aux efforts déployés pour surmonter différents obstacles, comme l'absence ou le manque de formation du personnel, la non-identification des donneurs et la réticence éprouvée face à des familles en deuil. Cela revient à dire que nous avons «professionnalisé» les dons d'organes en établissant un organisme qui consacre le plus gros de ses efforts à la promotion et à la facilitation des dons, et pas seulement à la transplantation et au partage d'organes. L'Espagne a fait des progrès dans le domaine des dons d'organes, mais je crois qu'il nous reste encore beaucoup à faire à l'avenir.

Je vous ai présenté un aperçu général. Je suis prête à répondre à des questions détaillées concernant différents sujets, comme le budget de l'opération ou ses aspects organisationnels.

Le président: Merci, docteure Miranda.

La parole est maintenant à Mme Celia Wight.

Mme Celia Wight (directrice, Donor Action Foundation): Merci beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Je suis très honorée d'être parmi vous, à Ottawa.

Donor Action a adopté une approche systématique du don d'organes. Le programme regroupe les meilleures pratiques de l'Espagne—vous venez d'entendre la Dre Miranda parler des différents aspects du système espagnol de collecte d'organes—, du Partnership for Organ Donation de Boston, aux États-Unis, et d'autres initiatives comme la Fondation Eurotransplant d'Europe centrale.

Le programme se fonde sur une approche systématique et vise particulièrement les services de soins intensifs. Il permet de déterminer le nombre de donneurs potentiels et le nombre de donneurs qu'on a manqués dans un service donné de soins intensifs. Il permet également de déterminer pourquoi on a manqué des donneurs. Il assure en outre des mesures correctives que nous croyons susceptibles d'accroître les taux de dons d'organes.

Le programme commence par un examen diagnostic des services de soins intensifs destiné à reconnaître les points forts et les faiblesses du processus de don d'organes. Il offre des protocoles spécialement conçus pour combler les lacunes reconnues dans chaque hôpital et vise à laisser la responsabilité des dons d'organes aux principaux membres du personnel qui se trouvent à l'endroit où se fait le don, c'est-à-dire dans les services de soins intensifs.

L'examen diagnostic prend la forme d'une étude rétrospective des dossiers médicaux et d'un sondage portant sur le comportement des médecins et des infirmières des services de soins intensifs où l'examen est exécuté. Le programme se sert d'une base de données spécialisée pour analyser et regrouper l'information afin de créer des profils et des descriptions de base des pratiques des services de soins intensifs. Après l'examen diagnostic rétrospectif, cette base de données peut servir d'outil permanent de contrôle permettant de suivre les progrès accomplis.

Les aspects particuliers du programme et les mesures correctives suivent les cinq principales étapes du processus de don d'organes: l'identification d'un donneur potentiel, la transmission de l'information sur ce donneur au coordonnateur ou à l'organisme compétent, les relations avec la famille tout le long du processus, la gestion du fonctionnement de l'organe chez un donneur atteint de mort cérébrale et le prélèvement des organes. Toutes ces étapes sont nécessaires pour aboutir à un don réussi.

La mise au point finale du programme a été réalisée dans un certain nombre de services de soins intensifs choisis un peu partout dans le monde. Il y en avait six au Canada, deux en Espagne, deux aux Pays-Bas et un au Royaume-Uni. Il s'agissait de services de types un, deux et trois, ce qui nous a permis d'avoir toute la gamme des services de soins intensifs.

Nous avons procédé à un examen rétrospectif des dossiers médicaux, puis avons mené un sondage sur l'attitude des membres du personnel de l'hôpital afin de déterminer leurs connaissances et leurs attitudes à l'égard des dons d'organes, leur degré de confiance en eux-mêmes dans les situations reliées aux dons d'organes, leur perception des appuis sur lesquels ils pouvaient compter au cours du processus et les connaissances professionnelles dont ils croyaient avoir besoin par rapport aux études qu'ils avaient faites.

• 0925

Après regroupement des données, les observations préliminaires tirées des projets pilotes ont révélé que l'examen des dossiers médicaux est un moyen efficace de déterminer les donneurs potentiels et les secteurs qu'il serait possible d'améliorer. Les membres du personnel des services de soins intensifs appuient le don d'organes. Ils pensent que c'est un bon moyen de sauver des vies, mais ils ne se sentent pas très à l'aise lorsqu'ils accomplissent des tâches reliées à ces dons. Toutefois, le jumelage des données tirées de l'examen des dossiers et du sondage permet d'optimiser les modules d'action—qui, comme je viens de l'expliquer, couvrent le processus de don—en fonction des besoins particuliers de chaque service de soins intensifs.

Les évaluations pilotes auxquelles nous avons procédé dans les hôpitaux ont révélé que 42 p. 100 des donneurs potentiels sont perdus, soit parce qu'ils ne sont pas identifiés, soit par suite d'un problème de gestion survenu au cours du processus. Toutefois, l'introduction d'un programme tel que Donor Action accroît effectivement les dons d'organes, les faisant passer de 30 p. 100 à un maximum de 120 p. 100. C'est là un effet immédiat de l'intervention. Cependant, on peut s'attendre, sur une période de deux ans, à une hausse durable de 15 à 30 p. 100.

En conclusion, nous croyons que ce projet constitue une occasion sans précédent d'accroître les dons d'organes. Les probabilités de succès sont élevées, mais pour que ce succès soit durable, il faut de la bonne volonté, des ressources, de l'engagement et une structure de gestion cohérente au niveau national, provincial ou local, l'objectif étant d'accroître les dons d'organe d'une façon soutenue.

Je vous remercie. Je serais heureuse de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, madame Wight.

Nous passons maintenant à Mme Carol Beasley.

Mme Carol Beasley (directrice générale, Partnership for Organ Donation): Merci beaucoup. J'aimerais remercier les membres du Comité permanent de la santé de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.

Je représente le Partnership for Organ Donation, un organisme sans but lucratif des États-Unis qui cherche à accroître les dons d'organes. Nous aidons les hôpitaux et les organismes de collecte d'organes à accroître l'efficacité de leurs opérations. Nous réalisons des recherches sur le don d'organes, nous en publions les résultats et, comme Celia Wight l'a déjà expliqué, nous sommes membres de l'initiative Donor Action.

Notre organisme croit que les dons d'organes augmenteront sensiblement lorsque les gens se seront engagés d'avance à donner leurs organes et lorsque les hôpitaux et les organes de collecte auront adopté des pratiques optimales. Compte tenu du fait que le public appuie déjà beaucoup le principe du don d'organes, nous croyons que les meilleures perspectives d'amélioration résident dans les hôpitaux.

Je voudrais vous faire part de certaines conclusions auxquelles nous avons abouti au Canada. Au cours des quatre dernières années, le Partnership a exécuté d'importants travaux au Canada. Je vais vous donner un compte rendu de certaines conclusions relatives à la situation actuelle des dons d'organes dans votre pays et aux perspectives d'amélioration qui existent.

Comme Celia vous l'a expliqué, nous sommes membres de Donor Action. Nous faisons beaucoup de travail diagnostic. C'est d'ailleurs dans ce domaine que nous avons commencé à travailler au Canada. Depuis 1996, nous avons procédé à l'examen des dossiers médicaux de 15 hôpitaux dans quatre provinces, l'Alberta, la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec. Dans l'ensemble, les résultats sont les suivants. Dans les 15 hôpitaux, 232 donneurs potentiels sans contre-indications médicales ont été identifiés, mais seulement 40 p. 100 d'entre eux, c'est-à-dire une minorité, sont devenus des donneurs effectifs. Dans ces hôpitaux, le principal motif, qui représentait 25 p. 100 des cas, était le fait qu'on n'avait pas demandé le don aux familles. Les autres motifs comprenaient le refus, dans 20 p. 100 des cas, et la non-identification d'un donneur potentiel, dans 7 p. 100 des cas. Il y a également eu un petit nombre d'autres motifs.

Nous avons également réalisé un sondage dans neuf hôpitaux de trois provinces—que Celia a déjà mentionné—pour déterminer à quel point le personnel essentiel était prêt à intervenir lorsque c'était nécessaire. Les provinces en question étaient l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario. Les médecins et les infirmières appuient, en grande majorité, le don d'organes. Toutefois, la plupart avaient peu ou pas de formation dans les compétences critiques reliées aux dons d'organes. La formation la plus courante est la gestion clinique des patients atteints de mort cérébrale, pour laquelle seulement 38 p. 100 des médecins et 22 p. 100 des infirmières ont déclaré avoir reçu une formation. Les taux de formation dans les domaines de la communication avec les familles et de la coordination du processus de don d'organes étaient encore inférieurs.

Les projets diagnostics révèlent un système susceptible d'importantes améliorations grâce à une identification plus systématique des donneurs potentiels et à l'adoption de pratiques optimales permettant d'approcher toutes les familles pour leur demander de consentir au don. Le personnel hospitalier appuie fortement le principe, mais manque de formation pour assumer efficacement ce rôle hautement délicat.

• 0930

Sur la base de conclusions diagnostiques comme celles que je viens de décrire, Capital Health d'Edmonton a réalisé un projet conçu pour renforcer les systèmes hospitaliers de collecte d'organes. Les trois établissements participants étaient l'Hôpital de l'Université de l'Alberta, le Royal Alexandra et le Grey Nuns. Les coprésidents du Comité des dons d'organes, qui supervise le projet, sont le chirurgien-chef de l'Hôpital universitaire et le chef du département des neurosciences, ce qui reflète bien la réalité, c'est-à-dire que les dons d'organes dépendent bien plus de l'activité des professionnels des soins intensifs que des transplantologues.

Le travail vise quatre objectifs: premièrement, l'élaboration d'une ligne directrice fondée sur la pratique pour la communication avec les familles; deuxièmement, la définition d'un rôle de soutien des familles des donneurs potentiels; troisièmement, une formation approfondie; et quatrièmement, l'assurance de la qualité et le suivi des résultats.

Les objectifs de rendement consistent à atteindre 100 p. 100 d'identification des donneurs potentiels d'organes et de tissus et 100 p. 100 de contact avec les familles pour leur demander de consentir au don, conformément à la ligne directrice. Si ces deux objectifs sont atteints, le taux des dons devrait augmenter. La nouvelle ligne directrice devrait être pleinement opérationnelle à l'Hôpital universitaire en mai. Elle sera ensuite adoptée progressivement dans les deux autres hôpitaux au cours des deux mois suivants. D'ici la fin de 1999, nous disposerons de données préliminaires permettant d'évaluer le degré de conformité à la nouvelle ligne directrice et de déterminer si le taux des dons augmente effectivement.

Ce modèle tire parti des conclusions auxquelles a abouti l'examen diagnostic approfondi des hôpitaux participants ainsi que du modèle établi par l'ONT, qui est l'organisme espagnol responsable des dons d'organes. Comme dans le modèle espagnol, la responsabilité de l'identification des donneurs potentiels et de la coordination des contacts avec les familles au sujet des dons est assumée par une petite équipe de professionnels des soins intensifs ayant reçu une formation appropriée.

Je vais, en me fondant sur le travail de notre organisme au Canada, exprimer mon point de vue sur les possibilités qui s'offrent au gouvernement fédéral pour améliorer l'efficacité du système de dons d'organes. D'après notre expérience, il est nécessaire d'établir un cadre national comprenant un contrôle national, mais qui reconnaît les distinctions régionales et s'y adapte. Les responsabilités de l'organisme national pourraient comprendre ce qui suit:

(1) Établir des mesures cohérentes du rendement et fournir des données à la fois sûres et comparables d'une région à l'autre sur les dons d'organes. Cela permettrait aux organismes régionaux de mesurer leurs efforts par rapport au reste du pays et de prendre en conséquence les mesures nécessaires à l'échelon local.

(2) Favoriser un régime dans lequel les hôpitaux et les organismes de collecte sont responsables des résultats obtenus. Les structures d'accréditation existantes des hôpitaux pourraient servir à cette fin. Les organismes de collecte devraient également être assujettis à des normes nationales d'accréditation.

(3) Attribuer des ressources suffisantes aux activités reliées aux dons d'organes, surtout dans les hôpitaux. Comme les greffes de rein permettent de réaliser des économies à long terme, il devrait être possible de faire des investissements plus importants dans le secteur des dons d'organes. Ces investissements consistent à donner la formation et les moyens nécessaires aux principaux membres du personnel des soins intensifs, qui sont ceux qui peuvent directement agir pour favoriser les dons d'organes.

(4) Définir des normes de pratique ou des approches par consensus relativement aux dons d'organes, y compris des pratiques recommandées, des programmes nationaux de formation et des mécanismes de certification.

Le comité a également reçu des recommandations préconisant l'établissement d'un organisme national de transplantation responsable des normes de sécurité, d'un registre central de candidats et d'approches plus concertées en matière de répartition des organes prélevés. Je dois signaler au comité qu'il est important de ne pas perdre de vue que le don d'organes et leur transplantation constituent des disciplines très différentes, qui connaissent des problèmes différents, ont des critères différents d'évaluation du rendement et, dans la plupart des cas, font intervenir des professionnels différents. Si le gouvernement décide de créer un organisme national, il sera essentiel de le concevoir de façon que les initiatives relatives aux dons restent assez distinctes des questions concernant la transplantation. Autrement, le secteur des dons d'organes deviendra le cousin pauvre de la transplantation et les progrès ne seront pas faciles à réaliser.

Je ne peux que rendre hommage au comité pour avoir adopté une démarche aussi soigneuse et approfondie face à une question aussi complexe. D'après l'expérience que nous avons acquise en travaillant avec les responsables des soins intensifs, de la collecte d'organes et de la transplantation du Canada, nous croyons qu'il existe chez vous une énorme volonté de prendre des mesures efficaces et bien pensées pour accroître les dons d'organes. Avec un engagement suffisant de la part des autorités fédérales et la mobilisation des ressources nécessaires, je suis convaincue que vous réussirez.

Je vous remercie.

• 0935

Le président: Merci pour l'optimisme avec lequel vous envisagez les efforts du comité.

Docteur Pfaff.

Dr William W. Pfaff (président, United Network for Organ Sharing): Comme je vous ai fourni des observations écrites, je vais me limiter à en reprendre les points saillants pour faire une brève introduction.

Je suis le Dr William Pfaff, professeur émérite de chirurgie à l'Université de la Floride. Cela fait déjà 34 ans—je devrais plutôt dire 35—que je m'intéresse à la transplantation, mais je n'ai pas commencé à le faire dès le début de ma carrière.

Une grande partie de ce que j'ai écrit et de ce que je vais vous dire de vive voix—comme je continue à le faire dans mon propre pays—porte sur les variations. La solution du problème de la transplantation fait intervenir toute une collection de sujets plutôt compliqués, dont certains m'échappent, d'ailleurs. Ces sujets comprennent l'incidence et la prévalence des maladies susceptible d'amener un patient à avoir besoin d'une transplantation. Dans mon pays, les maladies rénales varient avec les caractères démographiques raciaux. Par exemple, l'incidence des insuffisances rénales terminales est de trois à quatre fois supérieure dans tous les groupes d'âge parmi les Noirs des États-Unis que parmi les Blancs.

Les maladies hépatiques, je viens de l'apprendre récemment, sont un produit du Sud-Est et du Sud-Ouest, où l'incidence dans la population est beaucoup plus élevée qu'ailleurs. Je ne croyais pas qu'il pouvait exister de telles différences. Je pensais que les insuffisances hépatiques terminales étaient surtout attribuables aux péchés du Nord-Est, qui nous sont plus ou moins étrangers dans le Sud-Est. Mais il y a dans les États de ces régions des poches très denses de maladies hépatiques en phase terminale. Vous pouvez trouver des renseignements à ce sujet sur le site Internet du Centre for Disease Control. J'ai trouvé que ce site constitue une ressource très précieuse.

Les cardiopathies sont bien sûr omniprésentes. Le diabète est à la fois génétique et sporadique, ce qui fait que l'incidence et les besoins de greffes du pancréas varient. Les maladies pulmonaires sont diffuses, à cause de la multiplicité des causes. Ceux d'entre vous qui vivent en Ontario savent certainement que c'est là que s'est produit l'un des développements les plus importants de l'histoire des greffes de poumons. Je ne sais pas s'il y a ou non beaucoup de fumeurs à Toronto.

Il y a également des variations au niveau de l'accès à la transplantation. Je ne sais pas si cela est vrai dans vos petites localités et si les greffes sont pratiquées partout. D'après les conversations que j'ai eues ce matin, je suppose que ce n'est pas le cas dans certaines provinces, où les patients en attente d'une greffe du foie doivent obtenir des soins dans les régions voisines. Je ne sais pas s'il y a également des obstacles financiers. Nous en avons bien sûr aux États-Unis. Il y a même de grandes variations dans la couverture des transplantations extra-rénales par Medicaid, notre programme d'assistance médicale aux membres les plus défavorisés de la population. La couverture varie selon l'État. En général, les enfants sont couverts, mais les adultes ne le sont pas toujours. Il ne faut pas perdre de vue non plus les frais d'immunosuppression, qui peuvent atteindre 10 000 $ à 11 000 $ par an, après la greffe.

Il faut se demander s'il y a des spécialistes pour maintenir les patients en attendant la greffe, surtout s'ils doivent être traités à une certaine distance de chez eux. Le maintien d'un patient qui attend une greffe du coeur est une tâche extrêmement délicate. Les patients en attente d'un foie présentent de grandes variations quant au besoin de soins et à l'urgence des traitements.

Je dois également mentionner qu'il y a des pratiques médicales agressives et d'autres qui le sont moins. Il y a ceux qui favorisent la transplantation avec une probabilité faible mais réelle de résultats, tandis que d'autres préfèrent réserver les organes prélevés à ceux qui peuvent le plus en profiter. Nous avons donc eu de longues discussions sur l'égalité et sur l'accès aux soins, par opposition au principe d'utilité, qui consiste à faire le meilleur usage possible d'une ressource rare, ce qui se mesure en années de survie obtenues grâce à l'organe transplanté.

Les taux de don d'organes varient dans le monde. Vous le savez déjà. Aux États-Unis, en 1996, l'intervalle, pour les 63 organismes de collecte que nous avions alors, s'échelonnait entre 14,7 et 37,4 donneurs par million d'habitants. En fait, l'organisme qui avait enregistré 37,4 donneurs avait atteint 40 l'année dernière. Existe-il un système de gestion actif pour les victimes d'accidents de voitures? Aux États-Unis, ces victimes représentent près de 30 p. 100 des donneurs. Par ailleurs, si un accidenté se trouve à une certaine distance d'un hôpital de soins actifs et d'un service de soins intensifs, il y a peu de chances qu'il devienne un donneur, parce qu'il mourra sur les lieux de l'accident. Il en est de même pour la gestion des patients qui subissent des accidents cérébrovasculaires.

• 0940

L'incidence des accidents de la route dans vos agglomérations urbaines est-elle aussi élevée que dans les nôtres? Je n'ai observé que peu de conducteurs de l'Ontario et du Québec, juste ceux qui viennent en Floride au printemps, en hiver et à l'automne. Je ne sais pas s'ils conduisent plus ou moins prudemment, mais vous pouvez sûrement me le dire. Il y a un changement sensible dans l'incidence des accidents de la route aux États-Unis, par suite de l'usage croissant de la ceinture de sécurité et du recours à d'autres moyens.

Chez nous, les caractères démographiques influent également dans une certaine mesure sur le consentement. Dans notre organisme de collecte d'organes, le taux de consentement est de 68 p. 100 dans la population blanche et de 37,4 p. 100 dans la population noire. Les autres caractéristiques associées à la probabilité de consentement sont le niveau d'instruction et les ressources financières du donneur et de sa famille. Ces caractères démographiques jouent donc aussi un rôle.

La composition de nos organismes de collecte d'organes varie considérablement. Je crois que cela est attribuable aux efforts sans cesse déployés pour réduire le coût des soins de santé dans notre pays. En proportion du produit intérieur brut, ces coûts sont beaucoup plus élevés aux États-Unis qu'au Canada. Je ne sais pas pourquoi et je ne l'ai jamais su.

Toutefois, depuis quelques années, avec l'avènement de la gestion des soins dans nos hôpitaux et autres établissements, les pressions qui s'exercent pour réduire les coûts s'intensifient sans cesse. Cela veut peut-être dire que nous n'investissons pas suffisamment pour établir des organismes de collecte d'organes hautement productifs. Il faut du temps, de l'argent et des compétences spécialisées pour y parvenir.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Carol au sujet de l'intégration des organismes de collecte et des programmes de transplantation. Je crois que cette intégration a toujours été quasi complète, comme elle devrait l'être, et que nos interactions mutuelles constituent l'une des caractéristiques importantes des organismes qui réussissent le mieux.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, docteur William Pfaff.

Je vais directement passer aux questions. Je veux cependant avertir mes collègues que nous serons certainement interrompus. Il semble que les whips n'aient pas l'intention de montrer à nos invités les rouages de la procédure parlementaire. Gardez à l'esprit que vous disposez de cinq minutes et que vous aurez l'occasion de poursuivre après que nous aurons fait le tour de la table. Je vous ferai donc signe lorsqu'il faudra s'arrêter.

Monsieur Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je voudrais profiter de l'occasion pour remercier tous les témoins qui ont pris de temps de se présenter devant le comité pour leurs excellents exposés.

Je suis intrigué par le succès du modèle espagnol. Ma question s'adresse donc à la Dre Miranda. L'une des options proposées au comité dans le passé était la constitution d'un registre national de donneurs d'organes. Je suis donc surpris que l'Espagne n'en ait pas un. Puis-je vous demander pourquoi?

Dre Blanca Miranda: Nous croyons que l'idée de constituer un registre de donneurs devrait venir du public. Il est probable qu'en soi, un tel registre ne résout aucun problème. Nous ne croyons pas qu'une loi ou un registre puisse régler n'importe quoi puisque, comme on l'a dit plus tôt, le problème se situe dans les hôpitaux et non dans la population.

L'établissement d'un registre national de donneurs est un projet très coûteux qui n'influera probablement pas beaucoup sur le taux des dons. Ainsi, si on prend l'exemple du registre suédois, qui est sans doute l'un des meilleurs registres établis dans un passé récent, on constate qu'il ne compte que 20 p. 100 de la population de la Suède. Or ce registre coûte 1,50 $ par habitant et par an, sans compter la diffusion de l'information concernant le registre et toutes les campagnes destinées à renseigner les gens sur la façon de s'inscrire, etc. Il faut donc compter 1,50 $ par habitant juste pour tenir le système informatique. Ensuite, si on veut tirer un renseignement du registre, on constate que les personnes inscrites ne représentent que 20 p. 100 des donneurs potentiels. Dans le reste des cas, il faut quand même aller voir les familles et leur demander si elles sont disposées à donner les organes de leur défunt. Je crois donc que le rapport avantages-coûts ne favorise pas la création d'un registre.

• 0945

Avant d'imposer un registre de donneurs dans le cadre de l'application stricte d'une loi sur le consentement présumé, vous devez être sûrs que la population appuie l'idée. En Espagne, nos sondages ont révélé que seulement une personne sur quatre ou sur cinq appuierait l'idée d'un registre et l'application stricte du consentement présumé.

M. Gurmant Grewal: Cela m'amène à la question suivante. Quels éléments du modèle espagnol seraient directement applicables dans un contexte canadien? Vous avez également parlé de coût. Quel est le coût du modèle espagnol?

Dre Blanca Miranda: Sur le plan des coûts globaux, cela dépend. Si vous parlez des coûts globaux des dons d'organes, ils ne représentent pas dans l'ensemble plus de 10 p. 100 du coût total des programmes de transplantation. En ce qui concerne les processus relatifs aux dons d'organes mis en oeuvre dans les hôpitaux, c'est environ 11 millions de dollars par an. Il faut compter 8 500 $ par donneur, montant qui est attribué dans le budget des hôpitaux. Les frais de l'organisation nationale, du bureau national, de la structure nationale y compris les programmes de formation, la gestion des bases de données et toutes les autres activités du bureau national, s'élèvent à 1,6 millions de dollars par an. Les bureaux régionaux coûtent un million de dollars de plus. Il arrive qu'un gouvernement régional attribue aux services régionaux certains montants en sus des crédits prévus par le gouvernement central. Dans l'ensemble, le budget général de transplantation d'organes peut atteindre 100 millions de dollars par an et les frais généraux relatifs aux dons d'organes, près de 13 millions de dollars US par an.

Le président: Comme vous le savez, docteur Pfaff, ce serait un peu plus cher en dollars canadiens. En gros, sur la base des taux de change actuels, cela ferait 150 millions de dollars, plus ou moins.

Madame Picard.

[Français]

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Bonjour. Je vous remercie de votre présence. Nous avons beaucoup entendu parler de l'expertise espagnole et de l'expertise américaine. J'aimerais demander à Mme Miranda d'identifier plus clairement ce qui se passe aux différents paliers, soit aux niveaux national, régional et local. Quelles sont les responsabilités de chacun?

Vous avez répété à plusieurs reprises que vous n'aviez pas besoin de registre national, bien qu'il soit important qu'une personne responsable soit présente dans les hôpitaux pour identifier les donneurs. De quelle façon cela se passe-t-il? Est-ce que ces personnes responsables reçoivent une formation pour leur permettre de repérer les donneurs potentiels? Quelle approche utilise-t-on face aux familles?

• 0950

Dre Blanca Miranda: Les responsabilités sont partagées à tous les niveaux, et un grand nombre de personnes assument certaines responsabilités tout au long du processus de don d'organes et de transplantation. Aux niveaux national et régional, les responsabilités sont davantage d'ordre administratif, tandis qu'au niveau local, elles sont davantage techniques.

Les coordinateurs des hôpitaux assument des responsabilités techniques pendant tout le processus. Ils sont responsables de la détection du donneur, de son évaluation et de la certification de sa mort cérébrale. Ils ne doivent pas tout faire, mais ils doivent s'assurer que le processus se déroule sérieusement et conformément à la loi et au protocole écrit. Ils sont aussi responsables des résultats. Ils doivent faire une évaluation complète de toutes les personnes décédées dans les unités de soins intensifs et rédiger un rapport écrit indiquant, entre autres, le nombre de morts cérébrales, l'évolution de ces morts cérébrales, et le nombre de donneurs potentiels qui ont été perdus à cause d'une contre-indication médicale, d'un arrêt cardiaque avant l'extraction ou d'un refus de la famille. Tous ces renseignements sont transmis à l'organisation centrale. On obtient un rapport semblable à celui-ci qui nous permet d'avoir un aperçu de l'évolution, dans tous les hôpitaux, des dons d'organes de personnes décédées dans les unités de soins intensifs. Il s'agit d'une responsabilité précise qu'on a confiée au coordinateur de l'hôpital.

Nous avons fait un grand effort pour bien former ces coordinateurs. On n'apprend pas ce métier de coordinateur de l'hôpital à la faculté de médecine. Nous devons en enseigner toutes les facettes. Notre programme de formation est établi à l'échelle nationale et il est le même pour tous les coordinateurs. Avant de commencer à travailler, ils doivent franchir divers niveaux, dont deux cours de base généraux où ils étudient tout le processus du don d'organes et de la transplantation. Nous leur offrons aussi des cours plus avancés dans des matières spécifiques, ainsi que des cours portant sur la relation avec la famille, les questions budgétaires, les communications avec la presse et la transmission de l'information au public en général. On offre entre 12 et 15 cours par an, lesquels sont subventionnés par notre organisation nationale.

Mme Pauline Picard: Est-ce que la personne affectée à cette tâche n'a que cette responsabilité et est-ce qu'elle est rémunérée pour s'en acquitter?

Dre Blanca Miranda: Ces coordinateurs font partie d'une équipe dans les hôpitaux. Dans les très petits hôpitaux où il n'y a que deux, trois ou quatre donneurs par an, c'est parfois un seul médecin qui assume cette responsabilité. Dans les grands hôpitaux, où l'on compte 15, 20, 40 ou 50 donneurs par an, on forme des équipes de plusieurs médecins et de plusieurs infirmiers. Ils continuent d'exercer leur métier d'intensiviste, de néphrologue ou de chirurgien, mais ils s'occupent en plus des dons d'organes. Ils touchent une rémunération supplémentaire qui provient du budget dont disposent les hôpitaux. Cette somme de 8 500 $ US couvre l'ensemble du processus, soit l'évaluation du donneur, toutes les preuves complémentaires, la salle de chirurgie et la rémunération de tous ceux qui s'occupent du processus de don d'organes et de la transplantation.

• 0955

Il n'y a pas que le coordinateur, mais aussi de nombreuses autres personnes qui participent à ce processus de don d'organes et de transplantation. On peut parfois avoir recours à une personne qui ne vient à l'hôpital que pour s'occuper des prélèvements, ou à des intensivistes et des infirmiers qui ne viennent que pour maintenir en vie le corps du sujet en mort cérébrale. Ils touchent tous une rémunération, bien qu'elle varie d'un hôpital à un autre puisque le directeur de l'hôpital a le droit de répartir son budget comme il le veut, indépendamment des autres hôpitaux.

Le président: Merci, madame.

[Traduction]

La sonnerie retentira pendant cinq autres minutes, je suppose, jusqu'à ce que la Chambre commence à siéger, puis elle reprendra aux alentours de 10 h 05. Ces voyants vont clignoter jusqu'à ce que le vote ait lieu. Veuillez donc en prendre note.

Juste avant de passer à Mme Caplan, je voudrais vous poser, une brève question, docteure Miranda. Le nombre de médecins par 100 000 habitants a été cité dans une intervention précédente. Je crois que ce nombre est assez élevé en Espagne, qu'il dépasse légèrement les 400 par 100 000 habitants. Est-ce un autre facteur dont nous n'avons pas tenu compte, surtout par rapport à un pays comme le Canada, qui n'a qu'environ 200 médecins par 100 000 habitants?

Dre Blanca Miranda: Je crois, bien sûr, qu'il faudrait tenir compte de ce facteur. Nous avons beaucoup de médecins qui ont besoin de travailler. J'ai dit que nous n'avons qu'un système de santé public en Espagne, parce que la pratique privée est assez limitée. Pour beaucoup de gens, la seule possibilité est de travailler dans le système national de santé et le seul moyen de gagner un revenu supplémentaire est de faire partie des systèmes de coordination, comme coordonnateur de la qualité, coordonnateur des urgences ou coordonnateur d'autres programmes de l'hôpital. Le coordonnateur des transplantations en fait aussi partie.

Le président: Madame Caplan.

Mme Elinor Caplan (Thornhill, Lib.): Merci.

J'ai trouvé très intéressants les exposés de ce matin, qui m'ont beaucoup renseignée, surtout sur le modèle espagnol. Ma question porte sur le fait que vous avez commencé par une enquête dans les hôpitaux. Au Canada, le gouvernement fédéral n'a pas de rapports directs avec les hôpitaux. Je me demande donc si vous avez facilement obtenu la coopération des répondants, ou bien si la loi les obligeait à répondre à l'enquête. Comment avez-vous obtenu la coopération nécessaire pour recueillir les données dont vous aviez besoin pour élaborer votre politique?

Dre Blanca Miranda: En Espagne, le gouvernement national n'a pas non plus de rapports directs avec les hôpitaux. Nous avons des gouvernements régionaux, qui sont très puissants dans certains cas et ont un grand degré d'indépendance ou d'autonomie. Nous avons cependant un conseil interrégional où sont représentés tous les ministères de la Santé et qui compte plusieurs groupes de travail. L'un de ces groupes s'occupe de transplantation. Au sein du groupe de travail sur la transplantation, toutes les régions sont représentées par un coordonnateur régional. Dans mon groupe, nous sommes 18 membres, 17 représentants des régions et moi-même.

Ainsi, les régions sont responsables des décisions comme la réalisation d'un sondage auprès de tous les services de soins intensifs et la diffusion des données recueillies. Mais nous convenons tous de cela, parce que nous croyons que c'est un projet utile et avantageux pour tous. Nous ne pourrions pas autrement agir comme ministère national de la Santé.

Mme Elinor Caplan: Ainsi, chacun des coordonnateurs régionaux est responsable de la participation de tous les hôpitaux de sa région et de la conformité aux exigences relatives aux données, etc.

Dre Blanca Miranda: Oui.

Mme Elinor Caplan: Ma question suivante porte sur le partenariat entre votre organisation nationale et les 17 régions indépendantes..., nous les appelons provinces. S'agit-il d'une compétence partagée entre le gouvernement national et les 17 régions indépendantes ou est-ce un simple partenariat? Comment faites-vous pour que tout le monde collabore?

Dre Blanca Miranda: Voulez-vous savoir s'il y a un document officiel qui sanctionne cette coopération?

Mme Elinor Caplan: Oui.

• 1000

Dre Blanca Miranda: Non, il n'y en a pas encore. Nous sommes en train de réécrire la loi sur la transplantation pour y inclure les organisations nationales et régionales et les hôpitaux et pour attribuer à chaque partie les responsabilités qui lui incombent. Toutefois, jusqu'ici, ces responsabilités ne sont définies dans aucun document officiel.

Mme Elinor Caplan: Nous avons entendu différents points de vue sur les relations entre les organismes qui s'occupent des dons d'organes et ceux qui font la transplantation proprement dite. Doivent-ils être intégrés ou distincts? Mme Beasley dit de les séparer. Le Dr Pfaff voudrait plutôt les intégrer. Quelles sont les conclusions de l'expérience espagnole?

Dre Blanca Miranda: Je crois que les deux doivent coopérer, mais sans être vraiment intégrés, parce qu'ils ont des responsabilités et des tâches différentes. Nous avons bien sûr besoin de relations étroites entre les deux. Nous avons constamment des réunions avec les équipes de transplantation. Celles-ci ne peuvent pas imposer les critères de répartition des organes, mais elles ont leur mot à dire aux réunions de répartition, où elles sont évidemment représentées. Par conséquent, il y a des relations étroites entre l'organisme de collecte d'organes et les équipes et sociétés de transplantation.

Mme Elinor Caplan: Conviendriez-vous que la clé de votre succès réside dans trois grands facteurs? D'abord, la coopération entre les différents paliers. Ensuite, la reconnaissance du fait qu'il importe beaucoup plus d'agir au niveau des services de soins intensifs, d'assurer la coopération dans les hôpitaux et de parler aux gens de la bonne façon, que d'établir de coûteux registres de donneurs. Enfin, la responsabilisation, tant sur le plan de la formation que sur celui du suivi des résultats. Diriez-vous que ce sont là les clés de votre succès?

Dre Blanca Miranda: Il y a aussi les investissements à faire. Ce serait le quatrième facteur.

Mme Elinor Caplan: Le quatrième facteur serait donc l'investissement partagé, ou bien tout l'argent provient-il du gouvernement national?

Dre Blanca Miranda: Tout vient du gouvernement national, mais est réparti sur une base régionale. C'est très différent d'une région ou d'une province à l'autre. Cela dépend donc du degré d'indépendance.

La répartition du budget relève des ministères régionaux de la Santé. Nous nous entendons tous sur un budget général de dons d'organes pour nos hôpitaux. Les différences entre hôpitaux sont minimes, le montant par donneur étant d'environ 8 500 $ US. Toutefois, ils peuvent répartir l'argent à leur guise. Ils peuvent payer les gens qu'ils veulent. Ils doivent seulement avoir un groupe de personnes responsables pour chaque don d'organe. Ils doivent nous montrer les résultats.

Mme Elinor Caplan: Merci.

Le président: Avant de céder la parole à Mme Wasylycia-Leis, je voudrais vous demander, docteure Miranda, si le gouvernement national acquitte toute la facture parce que les régions autonomes ou indépendantes n'ont pas le pouvoir de lever des impôts?

Dre Blanca Miranda: Je ne suis pas une experte en fiscalité. Il y a cependant des différences entre l'Espagne et le Canada. Par exemple, vous payez des taxes provinciales lorsque vous achetez quelque chose. Nous ne le faisons pas, mais, à titre de travailleurs, nous payons des impôts différents. Dans certaines régions, l'impôt sur le revenu des travailleurs est géré localement. L'impôt général sur les biens... De plus, certaines régions ont le droit de gérer les impôts entre les sociétés et ainsi de suite.

J'ai beaucoup de difficulté à expliquer cela. Pour le ministère de la Santé, il y a un budget général qui est réparti entre les régions et qui est géré localement par les systèmes de santé régionaux. Il y a des points communs entre ces systèmes, mais aussi des différences. Par exemple, les médecins ne reçoivent pas la même rémunération, même s'ils font le même travail.

Le président: Madame Wasylycia-Leis.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Nord-Centre, NPD): Merci, monsieur le président. J'aimerais aussi remercier tous nos visiteurs pour leurs exposés de ce matin.

• 1005

Je voudrais aborder quelques questions que le Dr Pfaff a mentionnées tout à l'heure, d'abord au sujet des obstacles financiers à l'accès aux organes prélevés et, ensuite, au sujet des pressions qui s'exercent sur le système de santé pour réduire les coûts.

Vous avez dit qu'il y a des différences sensibles entre les systèmes de santé des États-Unis et du Canada. Je crois que la différence la plus évidente réside dans le fait que nous avons un régime universellement accessible financé sur les fonds publics, ce qui devrait signifier, en principe, que l'accès aux organes prélevés se fonde strictement sur le besoin. L'une des questions qui nous cause beaucoup de maux de tête est de savoir comment mettre en place un système national cohérent pour assurer une répartition équitable, compte tenu de l'énorme demande qui existe et de notre approche des soins de santé.

La deuxième question, à l'égard de laquelle nous sommes évidemment très semblables, porte sur les pressions qui s'exercent pour réduire les coûts, indépendamment du mode de financement de nos régimes de santé. À mesure que des progrès sont réalisés, qu'il s'agisse de transplantation ou de nouvelles découvertes, le régime de santé doit absorber d'énormes hausses des coûts. C'est une question qui nous préoccupe beaucoup au Canada, parce que nous essayons de maintenir notre régime de santé universel.

Disposez-vous de preuves empiriques établissant qu'un important système de dons et de transplantation d'organes peut entraîner des économies? Pouvez-vous nous aider à monter un dossier justifiant l'énorme investissement nécessaire, alors que tant d'autres pressions s'exercent en même temps sur notre régime de santé?

Dr William Pfaff: Ce serait le plus facile dans le cas de la transplantation rénale, qui a été la plus étudiée. La personne qui peut le mieux vous renseigner serait Paul Eggers, qui fait partie du personnel de recherche de l'Administration de financement des soins de santé aux États-Unis. M. Eggers ne publie pas beaucoup, mais il va assez souvent présenter ses données, qui sont irréfutables. Je suppose qu'il ne veut pas prendre la peine d'écrire trop souvent des articles.

Aux États-Unis, dans le cas des patients en dialyse, on recouvre le prix de la transplantation en près de deux ans et demi. C'était quatre ans, il y a quelque temps, mais depuis la mise au point de l'Epogen et son utilisation comme antianémique, le coût de la dialyse a monté. Par conséquent, en tenant compte de tous les coûts du maintien en dialyse, le seuil se situe à environ deux ans et demi de la transplantation. Au-delà, vous réalisez des économies par rapport à la dialyse.

Je ne sais pas à quel point la dialyse est courante au Canada. Cela varie avec les pays, Aux États-Unis, on y a très facilement accès.

Il y a un autre aspect dont j'ai pris connaissance en parcourant des publications canadiennes. Un plus grand pourcentage de vos patients traités pour insuffisance rénale terminale sont des receveurs que ce n'est le cas aux États-Unis. Je crois que votre pourcentage est de 35 ou 40 p. 100, à comparer à 28 p. 100 chez nous.

Bien sûr, cela veut dire que vos receveurs ont, dans la plupart des cas, de nombreuses années de vie réussie après la transplantation. La dialyse est une option de traitement assez agressive pour les malades chroniques. Par conséquent, si on compare la transplantation à la dialyse, on peut en définitive réaliser des économies en élargissant les programmes de transplantation. Si je me souviens bien, vous avez actuellement une liste d'attente de trois ans et demi pour les greffes du rein.

Je ne peux pas me prononcer avec autant de certitude dans le cas des transplantations cardiaques et hépatiques. Certains articles affirment que le maintien d'un patient souffrant d'insuffisance hépatique terminale est très coûteux. Vous pouvez donc continuer à financer la gestion en service de soins intensifs pour permettre au patient de quitter l'hôpital. Toutefois, il y revient invariablement quelque temps plus tard. Il y a donc hospitalisation à répétition, souvent en soins intensifs, dont le coût est effarant. Je ne sais pas vraiment où se situe le point d'équilibre.

La réponse est également difficile à donner dans le cas des cardiopathies. On estime ou on a écrit qu'aux États-Unis, environ 30 000 patients pourrait bénéficier d'une transplantation cardiaque chaque année. Le nombre de transplantations réellement effectuées est de 2 600. Nous ne traitons donc qu'une infime partie de la population cible.

Au sujet des coûts croissants—si vous me permettez de revenir en arrière quelque peu—, je ne sais pas si les forces en jeu sont les mêmes au Canada et aux États-Unis. Chez nous, la plus grande partie des soins est assurée par des organismes de gestion de la santé, dont beaucoup a un but lucratif. Ces organismes ont connu un succès considérable sur les marchés boursiers pendant quelques années, bien que le succès ait été moindre l'année dernière. J'espère qu'ils disparaîtront, mais qui sait?

• 1010

Nous en avons de toutes les couleurs, chacun le sait. D'une certaine façon, beaucoup d'entre nous considérons avec beaucoup de respect et d'espoir ce que vous avez accompli grâce à votre régime de soins universel. Mais nous avons également peur parce que nous savons que votre gouvernement central a connu de grandes difficultés financières. Je crois d'ailleurs avoir entendu aux nouvelles, la nuit dernière, que vous seriez obligés de choisir entre une hausse des impôts ou une augmentation du déficit. Nous nous inquiétons toujours de la structure de notre gouvernement central et de ce qu'il pourrait nous faire, par opposition à ce qu'il pourrait faire pour nous. Mais vous avez choisi d'assumer cette responsabilité.

Nos problèmes de répartition découlent en partie de l'enthousiasme avec lequel nous voulons recourir à la transplantation pour guérir certaines maladies graves et ce, dans une plus grande mesure que dans d'autres pays. Vous pouvez voir dans le document que j'ai mis à votre disposition que, dans le cas des reins, le Canada a 31 transplantations par million d'habitants, à comparer à 45 aux États-Unis. Dans le cas du foie, les chiffres correspondants sont de 11,5 pour le Canada et de 14,72 pour les États-Unis. Ces chiffres demeurent en fait comparables, surtout si le temps d'attente pour la transplantation est très court. Dans le cas du coeur, les chiffres sont de 5,4 pour le Canada et de 8,7 pour les États-Unis.

Je n'arrive pas à trouver votre taux de dons d'organes, mais je crois que qu'il est de 14,2 donneurs par million d'habitants, tandis que nous en avons 20 ou 21. Mais les chiffres peuvent être surprenants si on les examine d'une certaine façon. Notre taux de donneurs s'échelonne entre 15 et 40 par million d'habitants. Je ne crois pas que cette différence soit naturelle. Voilà donc le genre d'investissements dont vous avez entendu parler aujourd'hui.

Le président: Docteur Pfaff, je vais peut-être vous soulager en précisant que, dans son dernier budget, le gouvernement fédéral du Canada a affecté beaucoup d'argent aux soins de santé. Je crois que Mme Wasylycia-Leis a été la personne la plus heureuse du pays lorsqu'elle a vu tous les milliards de dollars réservés à la santé, suivie de près par le Dr Keith Martin, qui avait constaté que nous avions la possibilité d'accroître l'excédent budgétaire dans les coffres de l'État. Nous avons donc réussi à réaliser un heureux équilibre, si vous voulez. La seule personne malheureuse a été Mme Picard parce que, pour elle, cela signifiait que le régime actuel fonctionne.

De toute évidence, vous avez affaire à une présidence absolument impartiale, mais les membres du comité ont bien sûr le droit de répondre.

Dr William Pfaff: Si les chiffres de votre site Internet sont exacts, il y a eu une minuscule augmentation du pourcentage du produit intérieur brut consacré à la santé. Est-ce que je me trompe?

Le président: Comment pouvez-vous utiliser les mots «minuscule» et «augmentation» dans la même phrase? «Augmentation» est le mot clé, vous ne croyez pas?

Madame Ur.

Mme Rose-Marie Ur (Lambton—Kent—Middlesex, Lib.): Et si nous revenions à nos moutons?

J'ai apprécié tous les exposés de ce matin. J'avais vraiment hâte d'écouter la Dre Miranda. Nous avons tant entendu parler du modèle espagnol que nous étions vraiment impatients de vous rencontrer.

J'ai trouvé très intéressante une remarque que vous avez faite ce matin. Vous avez dit que nos problèmes se situent bien plus dans les hôpitaux que parmi la population. C'est peut-être très vrai, mais nous ne l'avons jamais entendu dire d'une manière aussi frappante. Nous craignons toujours que les familles n'acceptent pas les voeux exprimés par un donneur, mais ce n'est pas là que nous devrions concentrer nos efforts. C'est plutôt dans les hôpitaux.

Je crois également important d'avoir des équipes de collecte, mais les budgets des hôpitaux sont déjà tellement chargés. Je me demande s'il ne serait pas utile de former aussi des non-spécialistes dans ce domaine, à un coût moindre que ce ne serait le cas s'il s'agissait d'un membre de la profession médicale, pour travailler auprès des familles.

Que pensez-vous de ces deux points?

Dre Blanca Miranda: Je crois très fermement que la population n'a rien, ou presque rien, à se reprocher. Nous sommes responsables de nos résultats.

La façon dont on aborde les familles est très importante. Une situation de peine profonde occasionne un blocage émotif assez intense, qui empêche la personne affectée de comprendre ce que lui dit le médecin ou l'infirmière, d'assimiler l'information qui lui est transmise. Il importe donc de donner les compétences appropriées aux personnes qui abordent les familles pour qu'elles puissent établir la communication et obtenir le consentement malgré le blocage émotif.

• 1015

Dans 50 p. 100 des cas, le refus des familles est relié à la situation plutôt qu'à une opposition de principe au don d'organes. Les membres de la famille n'ont pas été bien renseignés au sujet de la mort cérébrale ou du prélèvement. Ou alors le traitement avec l'équipement d'urgence extérieur ou les rapports établis avant l'arrivée à l'hôpital n'ont pas été bons. Ou encore, les choses ne se sont pas bien passées dans la salle des urgences ou même dans le service de soins intensifs. Tous ces facteurs peuvent contribuer à un refus.

Les personnes qui abordent les familles en deuil doivent donc recevoir une formation appropriée leur permettant de tenir compte de tous les éléments qui interviennent dans une situation donnée.

Quant à la participation de non-spécialistes, je crois que le don d'organes relève indubitablement de l'activité médicale, comme tout ce qui touche aux soins dans un hôpital, qu'il s'agisse de chirurgie cardiaque ou de microbiologie. Voilà pourquoi nous croyons fermement qu'il faudrait laisser cette tâche à des équipes formées de médecins et d'infirmières.

Mme Rose-Marie Ur: Je vais encore me faire l'avocate du diable. J'étais infirmière, dans ma précédente vie. Ne croyez-vous pas que les professionnels de la santé qui travaillent au service de soins intensifs et qui sont en contact avec des familles soumises à un stress considérable pourraient être considérés comme des... charognards est peut-être un peu trop fort, mais comme étant là à la fois pour donner des soins et pour prélever des organes? Comment établir une distinction suffisante entre les deux rôles, de façon qu'on agisse toujours pour la bonne raison?

Dre Blanca Miranda: Vous voulez savoir s'il existe un conflit d'intérêts.

Mme Rose-Marie Ur: Oui.

Dre Blanca Miranda: Pour le personnel du service de soins intensifs, il n'y a rien de plus triste que de perdre un patient. Toutefois, une fois que le patient est décédé, la perte aura au moins eu un aspect positif si elle aboutit à un don d'organes. Il est difficile pour les membres du personnel de comprendre cela. Ils savent très bien faire la distinction lorsqu'un patient a cessé de combattre et que le diagnostic de mort cérébrale a été fait.

La Société espagnole des intensivistes a, dans ses protocoles, un texte concernant le diagnostic de mort cérébrale, qui impose aux membres l'obligation morale de couper le respirateur artificiel une fois la mort cérébrale constatée. L'aspect positif, c'est l'existence d'un donneur potentiel; l'aspect négatif, c'est que nous avons perdu un patient. Cela, rien ne peut le changer. Par conséquent, s'il est possible d'aboutir à un résultat positif, c'est bon pour tout le monde, la famille, les médecins, etc. Je n'y vois aucun conflit d'intérêts.

Mme Rose-Marie Ur: Merci.

Vous savez ce que nous avons ici au Canada et ce que vous avez dans votre modèle. Pouvez-vous conseiller le comité sur ce qu'il devrait s'efforcer d'obtenir? Sur quels aspects devrions-nous concentrer nos efforts? Vous êtes l'experte.

Dre Blanca Miranda: Je ne suis vraiment pas l'experte. Je n'ai pas l'impression d'être assez experte pour vous dire ce que vous devez faire. Je ne crois pas que notre système soit exportable tel quel, comme s'il s'agissait d'oranges ou d'autres fruits. Nous ne pouvons qu'échanger des idées et des expériences. Je ne peux vraiment pas vous dire quoi faire parce que je ne sais presque rien du système canadien, de vos hôpitaux, de votre personnel médical. Je regrette.

Le président: Voilà une réponse très diplomatique. Peut-être plus tard, au cours d'une rencontre moins formelle, Mme Ur pourra-t-elle vous convaincre d'en dire un peu plus.

Docteur Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président. Merci beaucoup à tous ceux qui sont venus aujourd'hui, certains de très loin.

• 1020

Docteure Miranda, diriez-vous que le programme des coordonnateurs des dons d'organes constituait l'élément le plus important du modèle dont vous vous êtes servis en Espagne pour augmenter le taux des dons?

Deuxièmement, j'ai de la difficulté à imaginer les coûts du programme. Peut-être pourriez-vous nous donner des précisions sur les coûts du programme que vous avez mis en place, à l'exclusion des coûts attribuables à la transplantation proprement dite.

Docteur Pfaff, nous avons eu des témoignages très intéressants sur l'expérience tentée à Philadelphie, qui a très bien réussi, comme vous le savez. En quoi l'expérience de Philadelphie diffère-t-elle de l'expérience espagnole? Certains témoins étaient d'avis que le modèle espagnol est excellent pour l'Espagne, mais qu'il s'appliquerait mal au Canada, parce que les attitudes que nous avons et la façon dont notre système de santé est organisé se distinguent nettement de ceux de l'Espagne et se rapprochent beaucoup plus de ceux des États-Unis. Pourriez-vous préciser pour nous les différences entre l'expérience de Philadelphie et le modèle espagnol et nous éclairer sur ce que nous pourrions adopter?

J'aimerais que la Dre Miranda nous donne ensuite son point de vue. Merci.

Dr William Pfaff: Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, l'État de Pennsylvanie a adopté une loi imposant de déclarer directement tous les décès aux organismes de collecte d'organes ou OCO. Il y a deux OCO en Pennsylvanie: le Delaware Valley Transplant Program, qui dessert la région de Philadelphie, et l'Université de Pittsburgh ou plutôt l'OCO de la Pennsylvanie occidentale, qui a son siège à Pittsburgh. Les deux organismes ont bénéficié de la possibilité qui leur a été offerte d'améliorer l'identification des donneurs. Tous deux avaient déjà des résultats supérieurs à la moyenne, en nombre de donneurs par million d'habitants.

Après l'adoption de la loi et grâce aussi à un personnel plus nombreux, l'OCO de Philadelphie a réussi à accroître de 40 p. 100 le nombre d'organes transplantés entre 1994 et 1997. Il nous faudrait plusieurs autres OCO dans le pays.

Il n'y a ni rime ni raison dans la répartition des rendements supérieurs aux États-Unis. Les régions qui enregistrent le plus de succès sont la Floride, le Wisconsin, la Pennsylvanie orientale, c'est-à-dire Philadelphie, et, ce qui surprend un peu, le Nevada. Tout ce que je peux dire, c'est que ces régions n'ont pas grand-chose en commun, sauf qu'elles ont toutes un plus grand nombre relatif de coordonnateurs, par rapport à leur population. C'est dans ces régions que les OCO ont le plus de ressources. Une partie de nos coûts consiste évidemment en frais directs reliés aux salles d'opération, aux services de soins intensifs, aux services de laboratoire, etc.

Il existe également une certaine corrélation entre le rendement et la sensibilisation du public. Pour répondre à la question que Mme Ur a posée il y a quelques instants au sujet de la différence entre la sensibilisation du public et la formation du personnel hospitalier et de la différence entre pays, je dirai que les deux formes d'éducation donnent des résultats et sont nécessaires pour réussir.

Ma conclusion, après tous les débats suscités par les dons et la transplantation d'organes, c'est qu'il y a en jeu un nombre considérable de facteurs. Ce qui se fait aux différents paliers de gouvernement est bien sûr important, mais c'est au niveau local que se situe la mise en oeuvre. Je ne connais pas la structure de vos organismes de collecte d'organes, mais je crois qu'ils émanent surtout des programmes de transplantation. Est-ce exact?

Une voix: En gros, oui.

Dr William Pfaff: Nous en avons de tous les genres. Il y a un OCO pour l'État du Michigan. Il y en a un qui s'occupe de toute la Nouvelle-Angleterre, à l'exception de la région de Hartford. Les OCO qui réussissent le mieux servent en général une population d'environ trois millions d'habitants.

Tout ce que vous avez jamais lu ou entendu, tout ce que vous lirez ou entendrez à l'avenir au sujet des dons d'organes est probablement vrai, mais les solutions sont différentes. Pour bien réussir, vous devrez tout essayer, vous devrez mettre en oeuvre tous les programmes dont vous avez entendu parler aujourd'hui.

M. Keith Martin: Docteure Miranda.

• 1025

Dre Blanca Miranda: Je crois vraiment que la différence entre l'Espagne et les autres pays réside dans l'équipe qui est chargée des dons d'organes dans chaque hôpital. Il y a aussi bien sûr la sensibilisation de la population, l'information diffusée au sujet du système de don d'organes pour persuader les gens que le système est utile pour tout le monde. Toutefois, ce sont les équipes établies dans les hôpitaux qui font vraiment la différence.

Pour ce qui est du budget, je répète que l'administration nationale et régionale ainsi que les programmes de formation coûtent environ 3 millions de dollars, tandis que 11 millions de dollars US sont consacrés au travail qui se fait dans les hôpitaux. Cela comprend la rémunération supplémentaire versée aux coordonnateurs et tous les frais reliés aux dons: un lit de soins intensifs pour une journée, la salle d'opération et les gens qui viennent spécialement pour le prélèvement.

Pour ce qui est des différences entre les États-Unis et l'Espagne, j'ai déjà dit que je ne connais pas suffisamment les systèmes américain et canadien ni, à plus forte raison, les pratiques des hôpitaux des deux pays. Je suis cependant sûre qu'il y a des différences. Certaines ont été mentionnées ce matin, comme le nombre de médecins, leurs objectifs ou les pratiques des services de soins intensifs des différents hôpitaux. Il n'y a pas de doute qu'il faudra analyser tout cela avant d'essayer de mettre en oeuvre des idées ou des initiatives.

Le président: Soyez très bref.

M. Keith Martin: Docteur Pfaff, nous avons pris bonne note de votre point de vue. Vous dites que nous devons tout essayer. Le problème, évidemment, c'est que nos ressources sont limitées. Nous devons donc établir une liste de priorité et déterminer ce qu'il y a de plus important à faire. Si vous avez plus tard des idées à ce sujet, nous serions très heureux de les connaître. C'est un peu comme le vieux dilemme de 80 et 20: nous pouvons dépenser 20 p. 100 de notre argent pour obtenir 80 p. 100 de la solution et les 80 p. 100 restants pour les derniers 20 p. 100 de la solution. Malheureusement, malgré l'injection de 11 milliards de dollars de fonds publics, nous devons encore porter une grande attention à ces premiers 20 p. 100 de nos ressources. Comme vous l'avez si bien dit, l'augmentation du budget de la santé a été vraiment minime.

Dr William Pfaff: L'investissement le plus important, ce sont les coordonnateurs et les autres membres du personnel de l'organisme de collecte d'organes. Ainsi, le don d'organes comporte deux étapes: l'approche initiale et la demande officielle. Si une seule personne s'occupe des deux et que cette personne a la formation et l'expérience nécessaires et reste à l'écart des émotions que suscitent les soins à donner à un patient à l'agonie, le taux de succès, dans notre organisme, atteint 78 p. 100.

J'ai récemment examiné les données recueillies au cours des huit dernières années. Si l'approche initiale concernant la possibilité d'un don d'organes est assumée par un membre qualifié de l'OCO, qui se charge ensuite, à un autre moment, de la demande directe—c'est le jumelage dont Carol a parlé dans son exposé, je crois—notre taux de succès moyen est de 78 p. 100.

Ce taux baisse progressivement lorsque l'un des deux contacts, surtout l'approche initiale du patient, est fait par une personne différente. Si un médecin, une infirmière ou même l'aumônier de l'hôpital joue de rôle, le sentiment de culpabilité ressenti ou la peine partagée avec la famille à ce moment constitue en fait un obstacle. Je crois donc que l'investissement le plus précieux—et je rejoins là ce que disait la Dre Miranda—réside dans le personnel responsable.

M. Keith Martin: Merci beaucoup.

Le président: Madame Beasley, avez-vous aussi des observations à présenter sur ce dernier point?

Mme Carol Beasley: Oui.

Nous nous apercevons—et cela rejoint la question posée plus tôt au sujet de la participation possible de non-spécialistes aux contacts avec les familles au sujet des dons d'organes—que la formation antérieure est extrêmement importante. Aux États-Unis, certains de nos travaux ont établi que la collaboration entre un membre de l'équipe de soins et une personne familiarisée avec les techniques de demande de dons—dans ce cas, il s'agissait d'un membre de l'organisme de collecte d'organes—faisait monter les taux de consentement à des niveaux sensiblement supérieurs à ceux qu'on obtenait si les personnes en cause n'avaient pas reçu une formation officielle.

• 1030

Nos observations au Canada nous ont permis de constater que les rôles diffèrent d'un endroit à l'autre. J'ai remarqué, par exemple, du moins dans les services de soins intensifs que j'ai connus, que l'intensiviste a au Canada une présence beaucoup plus marquée qu'aux États-Unis et que les services canadiens de soins intensifs se rapprochent beaucoup plus du modèle fermé doté d'un intensiviste et d'un personnel à plein temps qui ont des contacts étroits et constants avec la famille. De plus, c'est une responsabilité que les intensivistes prennent très au sérieux et qu'ils ne seraient pas du tout disposés à réduire ou à limiter.

Cette situation a un aspect positif et un autre, négatif. L'aspect positif, c'est que les médecins s'occupent beaucoup des contacts avec la famille. L'aspect négatif, c'est que beaucoup n'ont pas de formation particulière en matière de dons d'organes.

La solution que nous avons adoptée pour le projet d'Edmonton que j'ai mentionné plus tôt a consisté à nommer des coordonnateurs au soutien familial, qui sont en général des infirmières. En fait, l'équipe est en train d'être constituée. Nous nous attendons à ce qu'elle se compose essentiellement d'infirmières, mais elle pourrait comprendre aussi du personnel pastoral et des travailleurs sociaux. L'équipe prendrait le relais, au chapitre des contacts avec la famille, si le médecin est occupé et que des membres de la famille se posent des questions sur le diagnostic de mort cérébrale ou certains aspects des soins dispensés.

Il faut donc reconnaître les différences de structure. Aux États-Unis, on a tendance maintenant à confier le processus de demande de dons aux coordonnateurs des OCO, ce qui semble donner de bons résultats dans la structure américaine.

Je ne suis pas sûre que la même solution conviendrait parfaitement au Canada. Cela est peut-être dû au rôle plus important et plus remarqué que jouent les médecins des services de soins intensifs, rôle qui nous amène à croire que, dans le contexte canadien, les services de soutien à la famille devraient peut-être être concentrés dans ces services. C'est en tout cas la solution que nous avons retenue à Edmonton.

Il faut dire, en dernière analyse, que ce n'est pas là un rôle que peut assumer avec succès une personne qui n'y a pas été préparée. C'est un rôle qui exige une grande subtilité, énormément de tact et de délicatesse et une maîtrise constante de ses émotions. Il est très difficile de s'en acquitter sans préparation ou si on éprouve de l'appréhension. Il faut absolument reconnaître le caractère très spécial, très intime du contact personnel, qui nécessite une bonne préparation et une solide formation.

Le président: Merci, madame Beasley.

Il nous reste environ deux minutes avant d'avoir à nous présenter à la Chambre. Je ne veux pas vous presser, madame Wight. Je sais que vous avez aussi quelques observations à présenter. À notre retour, il restera quatre membres du comité qui souhaitent encore poser des questions. Si vous voulez, madame Wight, vous pouvez prendre une minute ou deux, puis je vais devoir suspendre la séance.

Mme Celia Wight: Merci beaucoup. Je serai très brève. Je voulais simplement exprimer mon accord sur tout ce qui a été dit au sujet du caractère essentiel de la formation.

Par souci de flexibilité, on ne peut pas prescrire à un pays ou à un service de soins intensifs donné les meilleurs moyens à adopter ou des moyens particuliers, quels qu'ils soient. L'essentiel est de trouver des personnes capables de s'occuper des familles, de leur donner la formation appropriée, de les préparer à cette responsabilité et de les laisser l'assumer. Bref, je suis d'accord avec tout le monde.

Merci.

Le président: Je remercie beaucoup tous les témoins. Je m'excuse encore de cet embarras, mais j'ai l'obligation de suspendre la séance. Nous serons probablement absents pendant environ 25 minutes. Tout dépend de ce qui se passera à côté. Entre-temps, je vous laisse en bonnes mains avec notre greffière et notre attachée de recherche.

• 1034




• 1107

Le président: La séance reprend. Je vous remercie de votre patience. Nous pourrions être encore interrompus, mais ce sont les aléas de la vie parlementaire.

Nous avions terminé avec Mme Wight. J'ai maintenant plusieurs personnes qui veulent prendre la parole. Si vous voulez une période complète de cinq minutes, vous devrez attendre.

Mme Elinor Caplan: Non, juste une ou deux questions rapides, si vous permettez.

Le président: Allez-y.

Mme Elinor Caplan: Au cours de ma discussion avec la Dre Miranda, je l'ai interrogée sur le rôle du coordonnateur, à l'hôpital et dans le cadre du programme. Je voudrais maintenant lui demander de répéter pour les membres du comité ce qu'elle m'a dit en privé: qui engage le coordonnateur, qui le paie, qui est responsable et comment s'assure-t-on que chaque hôpital a un coordonnateur?

Le président: Docteure Miranda.

Dre Blanca Miranda: Si un hôpital souhaite être accrédité pour la collecte ou la transplantation d'organes, il doit former une équipe de coordination des transplantations. Il ne peut donc pas être autorisé à prélever ou à transplanter des organes s'il n'a pas une telle équipe. Le directeur de l'hôpital décide qui en fera partie. Je n'ai aucun droit de regard dans ce domaine.

Je ne peux pas non plus choisir le coordonnateur régional. C'est la prérogative du gouvernement régional. Je peux écrire au gouvernement régional ou à l'hôpital pour expliquer les résultats ou exposer mon point de vue, mais je n'ai pas le droit de désigner des coordonnateurs.

• 1110

Le directeur de l'hôpital choisit donc le coordonnateur parmi les membres du personnel. Il ne peut pas choisir une personne de l'extérieur, ni engager une personne à contrat pour jouer ce rôle. Il verse la rémunération supplémentaire en puisant dans le budget de 8 500 $ par donneur qui est affecté au don d'organes.

Le président: Merci beaucoup.

La parole est à Mme Maria Minna.

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Je voudrais reprendre avec la Dre Miranda la discussion qu'elle avait eue plus tôt avec un de mes collègues au sujet du consentement présumé et d'un registre national. Ces dernières semaines, on nous a constamment recommandé d'établir un registre national. Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, ont déjà créé des registres régionaux.

L'autre aspect du registre national, c'est le consentement présumé. Nous avons reçu divers commentaires à ce sujet. Certains croient que si une personne signe un document, comme la déclaration qui figure au verso du permis de conduire, ou fait connaître ses voeux d'une autre manière, cela devrait suffire pour écarter toute opposition de la famille. Selon d'autres, le point de vue de la famille est important, indépendamment des volontés exprimées par la personne décédée, et devrait donc l'emporter sur celles-ci.

Avez-vous en Espagne un système quelconque permettant aux gens d'indiquer au moins s'ils souhaitent donner leurs organes, pour que la famille le sache dès le départ?

Dre Blanca Miranda: Les gens peuvent porter sur eux une carte de donneur, mais il ne s'agit pas d'un document officiel, et c'est la famille qui prend la décision finale. Nos sondages ont révélé que la population espagnole préfère que la décision soit laissée à la famille, de façon qu'on puisse s'assurer que tout va bien. Je veux savoir que ma famille est au courant ou a la certitude que tout a été fait selon ses voeux. Par conséquent, la plupart des Espagnols considèrent qu'un système qui imposerait strictement des décisions prises d'avance donnerait lieu, dans certains cas, à des abus de pouvoirs ou pourrait insulter la famille. Jusqu'ici, ils préfèrent que nous demandions la permission à la famille au dernier moment.

Nous avons fait un sondage en 1991, puis un autre en 1995, et un troisième est actuellement en cours, parce que nous voulons suivre l'évolution des attitudes de la population espagnole. Si nous nous rendons compte que la population veut un changement, nous modifierons le système. Mais nous ne le ferons pas si les Espagnols n'ont pas changé d'idée, parce que toute autre solution, si je comprends bien, pourrait avoir des incidences globales négatives sur les dons d'organes.

Mme Maria Minna: Quel genre de carte de donneur avez-vous? Figure-t-elle au verso du permis de conduire ou s'agit-il d'une carte distincte que les gens doivent remplir?

Dre Blanca Miranda: C'est une carte distincte réservée aux dons d'organes. Il peut y en avoir des centaines de modèles. Nous en avons un, mais les associations de patients ont le leur, de même que certaines régions. C'est seulement une indication publique du désir de devenir donneur, ce n'est pas une carte officielle.

Mme Maria Minna: Vous n'avez donc pas, en ce sens, un début de registre national.

Dre Blanca Miranda: Non, pas encore.

Mme Maria Minna: Merci.

Le président: Y a-t-il un registre au Royaume-Uni, madame Wight?

Mme Celia Wight: Au Royaume-Uni, nous avons un système de carte de donneur. En signant sa carte, une personne déclare qu'elle veut donner ses organes à son décès. Toutefois, nous approchons la famille dans tous les cas. Par conséquent, avec ou sans carte, c'est la famille qui a le dernier mot. La décision de la famille l'emporte, même si la carte exprime très clairement la volonté du décédé.

Il y a quatre ans, le gouvernement britannique a établi un registre de donneurs pour permettre aux gens qui le désirent de s'enregistrer comme donneurs à leur décès. Je dois dire que l'accueil a pour le moins manqué d'enthousiasme. Nous avons une importante population et je crois qu'en quatre ans, nous n'avons eu qu'environ six millions d'inscriptions. Le registre nous a coûté très cher. Nous encourageons donc le port d'une carte de donneur, mais, ces jours-ci, nous incitons en même temps les gens à en discuter avec leur famille. Cela s'ajoute donc à la déclaration disant qu'on veut donner ses organes. Nous demandons aux intéressés de faire part à leur famille de leur volonté, pour qu'elle le sache en cas de décès.

• 1115

Le président: Vous dites que le point de vue de la famille l'emporte. Est-ce parce que la loi britannique ne reconnaît pas qu'une déclaration d'intention crée une obligation exécutoire?

Mme Celia Wight: En fait, le Human Tissues Act britannique permettrait de prélever certains organes ou tissus au profit d'autres. Par conséquent, une application stricte de la loi permettrait d'exiger le don de la part de la famille d'un porteur de carte de donneur. Je crois cependant que les autorités ne veulent pas intervenir dans les rares cas où la famille d'un donneur refuse son consentement, pour éviter de mauvaises réactions ou un impact négatif sur les dons d'organes. Si une famille est tellement opposée au don qu'elle ne veut même pas respecter la volonté du décédé, je crois qu'il faut s'incliner. Ce n'est pas tout à fait conforme à la loi, mais il faut le faire par compassion et aussi pour éviter le risque d'une réaction négative si l'affaire fait l'objet d'une certaine publicité.

Le président: J'ai vu le Dr Pfaff tiquer un peu.

Dr William Pfaff: Non, j'étais seulement en train de réfléchir. Cela me peine un peu.

Aux États-Unis, le Uniform Anatomic Gift Act, qui doit être adopté séparément dans chaque État, établit la carte de donneur comme document officiel indiquant la volonté exécutoire d'une personne. Mais cette disposition de la loi est rarement appliquée pour les mêmes raisons que nous venons d'entendre dans le cas de l'Angleterre. Certains États et certains OCO disent qu'ils vont appliquer la loi, peu importe ce qu'en pense la famille. Dans d'autres, nous croyons, pour exactement ces mêmes raisons, que ce n'est probablement pas la meilleure attitude à adopter dans les rares cas où cette situation se produit.

Il est vraiment très rare que la famille, ayant appris les voeux du défunt, refuse de les respecter. Cela arrive et j'y pensais justement en parlant plus tôt, lorsque la discussion s'est engagée au sujet des dons d'organes. Dans mon propre OCO, c'est la famille qui, dans 15 à 18 p. 100 des cas, va voir le médecin ou l'infirmière pour parler de don d'organes. Pourtant, le consentement n'est accordé que dans 85 p. 100 des cas, parmi les donneurs potentiels, parce qu'un autre membre de la famille s'oppose au don. Plusieurs scénarios sont donc possibles.

Je pensais également à la question du registre en écoutant les autres. Nous en avons un en Floride depuis près de 14 ans. Il n'est pas vraiment utile ou, du moins, il ne l'est pas encore. Il devrait fonctionner cette année. J'espère que ce sera le cas. C'est une question de coût. Si on a registre sanctionné par la loi, on a besoin d'un mécanisme permettant aux inscrits de retirer leur inscription. Il faut donc sérieusement réfléchir à la conception du système, au matériel et au logiciel nécessaires ainsi qu'aux besoins de communication.

J'ai toujours considéré le registre comme un moyen de sensibilisation, plutôt qu'un moyen technique d'accès. Pendant des années, des millions de cartes ont été conservées dans un local de Tallahassee, mais sans moyen d'accès 24 heures sur 24, critère sans lequel on ne peut pas vraiment exploiter un registre. L'accès 24 heures sur 24 est essentiel. Il faut en effet qu'on puisse, dès qu'un donneur potentiel est identifié, pouvoir appeler pour demander si son nom figure dans la liste des donneurs enregistrés.

Le président: Merci.

[Français]

Madame Picard.

Mme Pauline Picard: Docteur Pfaff, l'organisme que vous représentez, l'UNOS, est un organisme national. Est-ce que cet organisme national rejoint tous les États des États-Unis et est-ce que les États sont assujettis à une autorité fédérale en ce qui concerne les soins de santé?

• 1120

[Traduction]

Dr William Pfaff: C'est une question qu'il est intéressant de poser cette année, parce que nous sommes en pleine révolution.

Permettez-moi de m'expliquer. UNOS est un organisme sans but lucratif qui a une représentation nationale. Ses membres représentent tous les programmes de transplantation, tous les OCO indépendants—soit environ 85 p. 100 de l'ensemble des OCO, les quelque 10 restants relevant d'hôpitaux—, tous les laboratoires indépendants et un nombre assez considérable de membres, tant organismes que particuliers, représentant le public. UNOS a un conseil d'administration élu qui, bien sûr, représente l'ensemble de la communauté nationale de la transplantation. Il n'y a qu'une autorité perçue au sein de l'organisme. Il a été créé par le Congrès, mais à la condition que ni le Congrès, ni le gouvernement n'interviennent dans l'élaboration des politiques portant par exemple sur la répartition, les membres, etc. Seul le secrétaire a un pouvoir de supervision. La définition précise de ce pouvoir est assez nébuleuse parce que le secrétaire a adopté un règlement l'année dernière, que le Congrès a suspendu.

La structure est indépendante et l'a toujours été. Depuis la création d'UNOS dans le milieu des années 80, aucun secrétaire n'a jamais signé une politique. Par conséquent, notre adhésion à ces politiques a toujours été volontaire et découlait en réalité des pressions exercées par les pairs.

Y a-t-il de nos membres qui s'écartent de notre politique? Oui, et cela occasionne des querelles. Si quelqu'un s'écarte sérieusement de la politique, il est mis au pilori sur la place publique. Voilà comment nous punissons les pécheurs, avec la pression des pairs. Cela fait beaucoup de «p». J'aime bien la façon dont cela sonne!

Le président: Oui, l'allitération est bonne. C'est comme Pfaff.

Dr William Pfaff: Non, c'est comme les serpents qui sifflent sur nos têtes!

Il y a des flux et des reflux. Chacun doit se conformer à la politique, autrement on s'expose à des mesures disciplinaires. Mais, jusqu'ici, ces mesures ne sont jamais allées au-delà de la pression des pairs. Le secrétaire a le pouvoir de retirer les subventions accordées à l'organisme, mais il ne l'a jamais fait.

Le président: Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président. Je m'excuse d'avoir manqué la première partie. Je préfère le dire tout de suite, pour le cas où j'aborderais des sujets déjà traités.

Plusieurs témoins nous ont dit que l'un des obstacles à la collecte d'organes au Canada réside en fait dans les incidences financières négatives que subissent les hôpitaux qui s'occupent de prélèvement d'organes. Je me demande s'il existe de telles incidences en Espagne. Si oui, comment les surmontez-vous et ont-elles des effets sur les dons d'organes? Par ailleurs, existe-t-il, à l'opposé, des mesures incitatives de nature financière?

Dre Blanca Miranda: Je ne sais pas s'il existe des incitatifs financiers. Nous avons essayé de supprimer les incidences financières négatives pour l'hôpital. Je crois que nous couvrons les frais des hôpitaux en versant les montants affectés aux dons d'organes dans leur budget.

Nous nous sommes dit dès le départ que nous ne pouvions pas avoir de beaux services de transplantation coûteux, avec d'importants préparatifs techniques et de longues listes d'attente, sans affecter des crédits à la collecte d'organes, qui représente l'autre terme de l'équation. On a besoin d'un dispositif de collecte pour faire fonctionner les beaux services de transplantation. C'est pourquoi nous avons décidé au début des années 90 de réserver de l'argent à la collecte d'organes dans les hôpitaux. C'est là une fonction coûteuse pour l'hôpital. Il y a le lit de soins intensifs qui reste occupé pendant 24 heures, le maintien du donneur avec tous les médicaments nécessaires et toutes les analyses supplémentaires auxquelles il faut procéder pour l'évaluation. Le prélèvement est également coûteux. Il faut qu'il y ait une personne responsable, qu'il faut rémunérer. C'est ce que nous avons fait.

Je ne sais pas si c'est là un incitatif suffisant pour s'occuper des dons d'organes. Je peux vous assurer que lorsque j'ai travaillé comme coordonnatrice dans un hôpital, je ne l'ai pas fait pour l'argent. Chaque fois qu'il y avait un donneur, on devait travailler 20 ou 24 heures sans rentrer chez soi. Aucune rémunération supplémentaire ne peut vraiment compenser cela.

• 1125

Mme Karen Redman: Merci. Je pensais plutôt aux inconvénients financiers dans le cas des hôpitaux qui n'ont pas de budget particulier pour les dons d'organes et qui doivent prélever les sommes nécessaires sur leur budget de base.

Est-ce que d'autres témoins auraient quelque chose à ajouter au sujet de cette question d'incitatifs ou de désincitatifs en s'inspirant du modèle qu'ils connaissent le mieux?

Mme Celia Wight: La question est vraiment très intéressante.

Au Royaume-Uni, on a procédé à une analyse des coûts qu'un service de soins intensifs assume réellement pour produire un donneur. Finalement, le ministère de la Santé a trouvé les chiffres trop élevés et a décidé de verser un montant réduit, qui est de 1 000 livres par donneur, aux hôpitaux ou aux services de soins intensifs, pourvu qu'ils suivent la procédure normale approuvée pour déclarer le donneur et que l'attribution de l'organe soit jugée conforme.

Fait surprenant, beaucoup d'hôpitaux ne réclament pas cette somme. Ils ne la reçoivent pas d'avance: ils doivent la réclamer en prouvant que l'attribution de l'organe a été faite selon les normes du système national. Certains hôpitaux présentent des demandes de remboursement. Dans ce cas, leur administration utilise l'argent à sa guise, même si on avait prévu à l'origine que la somme revienne au service de soins intensifs. L'argent est donc disponible, mais on ne fait pas trop de publicité pour le faire savoir.

Quoi qu'il en soit, il est intéressant de constater qu'à l'occasion, même les hôpitaux qui sont au courant choisissent de ne pas réclamer cette petite somme. D'une certaine façon, cela confirme ce que la Dre Miranda vient de dire à l'instant. Par ailleurs, nous n'avons pas des exigences financières rigoureuses en ce qui concerne les dons au Royaume-Uni. Personne n'a donc la responsabilité de dire comment l'argent est dépensé. Dans votre cas, vous attribuez un montant approprié aux hôpitaux pour financer les dons d'organes, mais ils doivent en justifier l'utilisation. Le système est différent.

Mme Carol Beasley: Aux États-Unis, je dirais que nous avons un système hybride. Il y a un remboursement des frais engagés pour s'occuper d'un donneur et pour prélever les organes après l'obtention du consentement de la famille. Mais les frais antérieurs ne sont pas couverts. Nous n'avons pas fait d'études approfondies, mais la question nous intéresse énormément: quelles mesures faut-il prendre, quels préparatifs faut-il faire pour qu'un hôpital soit prêt à recevoir des dons d'organes?

Nous avons remarqué, aux États-Unis, qu'un certain nombre d'organismes de collecte d'organes font preuve d'imagination pour mettre plus de ressources à la disposition des hôpitaux, surtout sous forme de services gratuits, en donnant de la formation, par exemple. Il arrive également qu'un OCO paie le salaire d'un employé de l'hôpital pour remplir un rôle semblable à celui des coordonnateurs des dons ou de la transplantation en Espagne ou à celui que nous avons conçu ici, à Edmonton.

Les frais sont donc remboursés jusqu'à un certain point, mais seulement après le consentement de la famille, lorsque le don est en train de se concrétiser. Par contre, on n'offre pas grand-chose aux hôpitaux pour qu'ils se préparent à recevoir des dons d'organes.

Cela signifie que si l'hôpital a inscrit le don d'organes parmi l'ensemble des services qu'il offre aux familles, et particulièrement aux familles en deuil, alors il devra trouver des ressources pour financer les autres activités nécessaires pour être prêt à recevoir des dons d'organes.

Voilà pourquoi nous constatons souvent, aux États-Unis comme au Canada, que très peu de membres du personnel des services de soins intensifs ont reçu une formation appropriée et que les gens qui se trouvent en première ligne, c'est-à-dire sont les plus susceptibles d'être appelés à intervenir aux premiers stades d'une situation pouvant donner lieu à un don d'organes, ne peuvent pas compter sur un appui sérieux s'ils en ont besoin.

Dr William Pfaff: Je crois qu'il y a un remboursement équitable des frais et un peu plus peut-être. Les frais des hôpitaux sont remboursés conformément aux règles de l'Administration de financement des soins de santé. Aux États-Unis, plus personne n'acquitte des frais. Il y a une grande distinction à faire entre les coûts, les paiements et les frais. Il y a donc là un léger avantage.

Par ailleurs, lorsque les coûts assumés par les OCO ont augmenté, ils ont approché les hôpitaux pour leur demander s'ils pouvaient se contenter d'un taux de remboursement de 80 p. 100, alors que tout le monde paie 70 ou 75 p. 100, ou même 60 p. 100, dans le cas de Medicaid.

• 1130

Il ne faut pas perdre de vue d'ailleurs qu'on ne peut pas offrir des incitatifs à tout le monde, certainement pas à la famille et probablement pas aux établissements. La plupart de ces derniers n'ont pas de but lucratif et doivent à la fois rendre des comptes au fisc et se conformer aux normes de l'administration responsable des régimes de santé. Sans compter les vérifications. Tous les OCO reçoivent chaque année la visite des vérificateurs d'un ou deux organismes officiels.

Le président: Merci.

Monsieur Vellacott.

M. Maurice Vellacott (Wanuskewin, Réf.): J'aimerais proposer à nos témoins le libellé d'une carte de don, qui serait très simple et très précis, et connaître leur réaction à ce libellé. Cela fait suite aux discussions que nous avons tenues au sujet de la mort cérébrale. Voici le texte très simple que je propose: «Consentez-vous à donner vos organes après le constat de votre mort cérébrale?» Qu'en dites-vous? Seriez-vous d'accord si ce texte figurait sur une carte de don?

Dre Blanca Miranda: Et que faites-vous des donneurs dont le coeur a cessé de battre et des donneurs de tissus? Si vous n'envisagez que les personnes atteintes de mort cérébrale, nous ne parlons plus que d'organes extra-rénaux...

M. Maurice Vellacott: C'est cela.

Dre Blanca Miranda: ...parce que les reins et les tissus peuvent être prélevés sur des personnes qui ne sont pas exactement atteintes de mort cérébrale, mais qui sont déclarées mortes selon des critères cardiorespiratoires.

M. Maurice Vellacott: Est-ce que ce libellé conviendrait dans le cas des organes qui ne peuvent être prélevés qu'en cas de mort cérébrale? Ajoutez des réserves, si vous le croyez nécessaire. Mais, dans le cas de ces organes, peut-on dire: «Consentez-vous à donner vos organes après le constat de votre mort cérébrale?»

Dre Blanca Miranda: Je crois que cela figure déjà dans tous les textes officiels. Organes et tissus ne peuvent pas être prélevés avant que les personnes ne soient déclarées mortes ou que leur décès ait été certifié. Par conséquent, cela figure déjà dans les textes officiels.

Est-ce que je me trompe?

Mme Celia Wight: Ne serait-il pas plus simple de parler de «mort» plutôt que de «mort cérébrale»? Je ne comprends pas pourquoi vous voulez introduire...

M. Maurice Vellacott: C'est parce qu'il y a tout un débat philosophique selon lequel la mort cérébrale n'est pas vraiment la mort. Vous le savez sans doute et vous pouvez ne pas être d'accord. Mais si nous parlons de mort cérébrale et disons que les deux sont synonymes, pourquoi ne pas laisser le qualificatif? Quelle difficulté cela présente-t-il?

Mme Carol Beasley: Je n'y vois aucun avantage. Ce libellé tend à confirmer que la mort cérébrale ne correspond pas tout à fait à la mort.

Nous savons que la mort cérébrale est une grande source de confusion pour beaucoup de familles. Dans l'étude que nous avons réalisée, nous avons constaté que la plupart des familles qui avaient refusé leur consentement avaient utilisé l'expression «mort cérébrale», tout en croyant dans le fond qu'une personne peut revenir à la vie après le constat de sa mort cérébrale, ce qui est faux. Une personne dont on a vraiment constaté la mort cérébrale ne peut pas reprendre le dessus.

Je crois donc que le qualificatif ajoute à la confusion au lieu de l'atténuer, en suggérant qu'il existe plus d'un type de mort, qu'on peut être mort de telle ou telle autre façon.

Dr William Pfaff: Je suis tout à fait d'accord. J'ai la même réaction que vous. Avec ce texte, il faudra expliquer ce qu'est la mort cérébrale, dire de quelle façon elle est différente, alors qu'elle ne l'est pas, parce que dès l'instant où on coupe le respirateur après la mort cérébrale, la personne s'achemine immédiatement vers toutes les autres sortes de mort.

Dans la loi américaine, la définition de la mort était à l'origine celle du Black's Law Dictionary, c'est-à-dire l'absence de respiration ou d'activité cardiaque spontanée. Cette définition a été acceptée jusqu'à la fin de 1968 ou le début de 1969, lorsque le consortium de Harvard s'est réuni pour définir la «mort cérébrale».

La définition est en train d'être repensée dans certains États, mais je crois que, d'une façon générale, le public confond encore coma profond et mort cérébrale. Il est très important d'expliquer la différence lorsqu'on essaie d'obtenir le consentement de la famille, mais il faut être très précis. C'est le processus d'initiation dont je parlais plus tôt.

M. Maurice Vellacott: C'est exactement là que je voulais en venir. Comme vous venez tout juste de le dire, il arrive toujours un moment où il faut expliquer la mort cérébrale. Je ne veux pas du tout prétendre que vous essayez d'éluder le problème, de le contourner ou de le masquer aux yeux du public. Si vous devez l'expliquer plus tard, pourquoi ne pas prendre les devants? Ne vaut-il pas mieux le faire plus tôt que plus tard?

• 1135

Dr William Pfaff: Non, parce qu'il faudrait l'expliquer à 500 personnes alors qu'on ne s'intéresse vraiment qu'à une seule. Le processus d'éducation et de rétention est tel que vous occasionnerez bien plus de difficultés que vous ne résoudrez de problèmes. «Je désire qu'après ma mort, tous mes organes puissent servir à des fins de transplantation.» Voilà la déclaration que je préconise, sans détails inutiles.

M. Maurice Vellacott: Docteur Belitsky?

Le président: Le Dr Belitsky et Mmes Elizabeth Barker et Prudence Taylor sont ici à titre d'observateurs. Je leur ai demandé de prendre place autour de la table.

M. Maurice Vellacott: Je ne le savais pas.

Le président: Il n'y a pas de mal. Nous réservons nos munitions, pour ainsi dire, aux quatre témoins.

M. Maurice Vellacott: D'accord.

Ma question suivante porte sur le programme Donor Action. Vous dites dans votre document, sous «Résultats», qu'en moyenne, les répondants ont dit être plus compétents et avoir davantage confiance en eux dans certaines conditions, tandis qu'ils se disaient beaucoup moins à l'aise pour expliquer la mort cérébrale (44 p. 100), présenter le don d'organes (36 p. 100) et demander le don d'organes (31 p. 100).

Croyez-vous que le problème découle d'un manque de formation des travailleurs de première ligne? Le problème serait-il réglé s'il y avait plus de formation? Les travailleurs seraient-ils alors plus à l'aise pour expliquer la mort cérébrale et pour présenter et demander le don d'organes?

Le président: Monsieur Vellacott, pour être juste envers les autres, je dois dire que les témoins ont déjà répondu à une partie de cette question. Si vous permettez, je vais donc demander à un seul témoin de résumer les réponses données plus tôt à une question semblable.

Voulez-vous commencer, madame Wight?

Mme Celia Wight: Oui, je crois que le manque de formation est en cause. Toutefois, je pense aussi qu'il y a un manque d'organisation et de délégation ou d'acceptation de la responsabilité. Ces résultats témoignent de la situation actuelle un peu désordonnée du processus de don d'organes. Les résultats dépendent toujours de la personne qui est de garde au moment crucial. C'est à cause de ces résultats que nous préconisons une formation appropriée, la délégation des responsabilités aux personnes qui ont reçu cette formation et l'acceptation de ces responsabilités au sein du service de soins intensifs.

Mme Carol Beasley: J'appuie fortement ce que Celia Wight vient de dire.

Les deux facteurs clés sont la désignation de personnes responsables du processus et la formation de ces personnes.

Pensez un instant au don d'organes. Même dans les grands hôpitaux, ce n'est pas quelque chose de fréquent. Dans le cadre de nos activités au Canada, je crois que le plus grand nombre annuel de donneurs potentiels était d'une quarantaine, dans un établissement de 800 ou 900 lits, qui avait quatre ou cinq services de soins intensifs, y compris la salle des urgences, et trois équipes d'infirmières par jour avec des relèves les week-ends et les jours fériés.

Imaginez donc une quarantaine de cas survenant n'importe quand à ce niveau d'activité. Laisser le hasard déterminer si une famille sera ou non prise en charge par une personne ayant reçu la formation appropriée n'est pas très acceptable, que ce soit du point de vue de ceux qui veulent faire des transplantations ou de celui de familles qui vivent des moments de peine intense.

Comme Celia Wight l'a dit, les deux facteurs essentiels sont de définir ou de déléguer les responsabilités et de s'assurer que les responsables ont la formation nécessaire pour jouer le rôle qu'on attend d'eux.

Le président: Docteure Miranda.

Dre Blanca Miranda: Après la mise en oeuvre du programme Donor Action, l'enquête a révélé des améliorations sensibles. Le personnel se sentait beaucoup plus à l'aise après avoir reçu la formation et après la mise en place des mécanismes du programme.

Le président: Docteur Pfaff.

Dr William Pfaff: Il faut des compétences spécialisées. Je suis bien d'accord avec les autres. Si vous avez le personnel voulu et si vous savez le conserver, il est très probable que les résultats seront de loin meilleurs.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Ur.

Mme Rose-Marie Ur: Merci, monsieur le président.

• 1140

De nombreux témoins nous ont dit, comme vous, que même avec une carte de donneur signée, la famille conserve le droit de refuser le consentement au don d'organes expressément demandé par la personne décédée. Il faut, paraît-il, prendre contact avec la famille. Mais jusqu'où s'étend cette famille? Il y a le conjoint, les enfants, les parents... Où faut-il s'arrêter? Combien de membres de la famille doit-on approcher avant d'être certain d'avoir un consentement? Personne n'a jamais posé cette question. Pouvez-vous y répondre?

Dre Blanca Miranda: D'après mon expérience, je crois qu'il faut trouver le membre clé de la famille qui prendra les décisions. C'est parfois la femme, parfois le fils, parfois le père ou quelqu'un d'autre encore. En Espagne, nous avons la famille élargie, qui comprend beaucoup de membres, et trouver la bonne personne devient un art. Il faut savoir reconnaître cette personne clé et l'approcher de la bonne manière.

J'ai vu des textes juridiques qui précisent qui est légalement habilité à donner le consentement. Dans le cas du mari, c'est la femme. Dans le cas de la femme, c'est le mari, et ainsi de suite. Mais ce ne sont là que les exceptions. Je crois que la plupart des textes juridiques n'en disent rien. C'est donc la famille, les proches parents.

En l'absence de la famille, nous devons, en Espagne, nous adresser au juge qui est de garde ce jour-là dans la ville. C'est à lui qu'il incombe de signer le consentement si nous n'arrivons pas à trouver la famille. Par exemple, s'il s'agit d'étrangers, nous sommes obligés d'essayer de rejoindre la famille par l'intermédiaire de l'ambassade. Si nous n'y arrivons pas, c'est encore une fois au juge qu'il appartient de donner le consentement.

Mme Celia Wight: En gros, je suis d'accord avec Blanca Miranda. Au Royaume-Uni et dans d'autres pays, la loi peut être un peu plus claire dans la définition du plus proche parent. Mais, en définitive, les membres de la famille se retrouvent le plus souvent pour en discuter entre eux. On peut, par exemple, discuter initialement du don d'organes avec deux membres de la famille, qui disent qu'ils vont y réfléchir. Ils s'en vont et parlent de l'affaire aux autres membres de la famille.

Dans toute ma carrière, je n'ai jamais eu connaissance d'un cas où, par exemple, le mari donne son consentement, la grand-mère le refuse et nous passons outre aux voeux de la grand-mère. Nous ne faisons pas cela. Nous nous en remettons au consensus familial. Je crois que, dans l'ensemble, il est plus avantageux d'agir ainsi dans tous les systèmes. Nous ne voulons pas avoir des gens qui vont répandre partout la nouvelle que nous avons fait abstraction de leurs voeux ou que nous avons soumis un être qui leur était cher à des opérations qu'ils n'avaient pas approuvées.

Quoi qu'il en soit, les conflits familiaux de ce genre sont rares et ne se produisent que dans le cas des familles très nombreuses. En Espagne, bien sûr, les familles comptent plus de membres. Nous avons également des familles nombreuses parmi les différents groupes ethniques qui vivent au Royaume-Uni. Mais les conflits sont assez rares.

Mme Carol Beasley: Il y a aussi aux États-Unis des définitions légales assez précises du plus proche parent, qu'il s'agisse du conjoint, du parent ou de l'enfant. Ces définitions sont bien sûr respectées. Je crois que la meilleure conduite à tenir consiste à laisser la famille décider de la façon dont elle veut intervenir. On trouve à cet égard des différences d'une famille à l'autre et des différences entre ethnies, qu'il est essentiel de respecter.

Lorsque nous avons comparé les familles selon qu'elles avaient consenti ou non au don d'organes, nous avons abouti à des résultats assez surprenants. Nous avions toujours supposé qu'il y avait une corrélation inverse entre le taux de consentement et le nombre de personnes qui intervenaient dans la décision, que plus la discussion familiale se compliquait, plus les chances d'un refus grandissaient. Notre étude n'a pas confirmé ces hypothèses. Nous avons en fait constaté des taux de consentement moindres parmi les personnes qui avaient été seules à prendre la décision, sans consulter personne d'autre, que dans les cas où la discussion s'était étendue à la famille.

Nous devons par conséquent respecter les préférences exprimées par les familles, tout comme nous respectons les préférences familiales pour les décisions concernant la vie d'un être cher. Nous croyons qu'il appartient à la famille de décider.

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Ordinairement, nous prenons contact avec le plus proche parent selon la loi, qui devra signer les autorisations nécessaires, mais cette personne est tout à fait libre de faire intervenir d'autres membres de la famille si elle le juge bon.

Dr William Pfaff: Je crois qu'il y a un chef dans presque toutes les familles. C'est parfois un homme, parfois une femme et c'est ainsi que se prennent les décisions. Mais tous les États ont bien sûr défini une hiérarchie: le conjoint, les enfants adultes, les parents et toutes les autres personnes qui seraient mentionnées dans les règles relatives à la succession et à la responsabilité de disposer des différents biens. Je pense que tout cela est bien défini en Floride, mais je ne suis pas sûr pour les autres États.

Le président: Merci, madame Ur.

Mme Caplan posera la dernière question.

Mme Elinor Caplan: J'ai examiné le document sur l'assurance de la qualité du processus de dons d'organes. Je crois que c'est là qu'intervient le facteur de la responsabilité. J'aimerais savoir dans quelle mesure l'information est rendue publique et mise à la disposition de tous les participants au programme.

Docteur Pfaff, est-ce dans ce contexte que vous avez parlé de mettre des gens au pilori sur la place publique?

Dr William Pfaff: Cela s'appliquait plutôt au programme de transplantation et au processus de répartition des organes. Certains peuvent ne pas classer les patients dans la catégorie appropriée ou essayer d'obtenir des organes qui ne correspondent même pas à leur propre description. Nous avons à l'occasion des problèmes de comportement.

Mme Elinor Caplan: Ainsi, le processus de responsabilisation est positif. Est-ce un modèle d'amélioration continue et de partage d'information pour améliorer les normes? Je vois des hochements de tête.

Dr William Pfaff: Parlez-vous de transplantation ou de don d'organes?

Mme Elinor Caplan: Je parle des deux. J'ai entendu dire, au sujet du modèle espagnol, qu'il y avait un suivi des procédures et des taux de dons et qu'il y avait également un contrôle des programmes de transplantation. Est-ce exact?

Dre Blanca Miranda: Oui, c'est exact. Nous informons chacun de ses propres données, puis nous lui présentons le reste de l'information sous une forme globale. Aucun hôpital ne connaît exactement le rendement des autres hôpitaux, mais chacun connaît le rendement de la région, pour chacun des trois types d'hôpitaux que nous distinguons d'après la taille et la disponibilité de services de neurochirurgie, de transplantation, etc. Nous effectuons donc les analyses et présentons des données agrégées. Chaque hôpital dispose de ses propres données, tirées des résultats de ses programmes de transplantation et de dons. Mais il ne connaît pas les données précises des autres hôpitaux. Ces renseignements sont réservés aux autorités.

Mme Carol Beasley: Aux États-Unis et au Canada, nous nous sommes occupés, avec d'autres organismes, de l'examen des dossiers médicaux des hôpitaux. Cela donne des renseignements très détaillés sur le nombre de donneurs potentiels et sur ce qui leur est arrivé.

Il y a deux facteurs à considérer. D'abord, il s'agit d'une activité strictement volontaire. Il est vrai qu'un règlement a récemment été adopté aux États-Unis, imposant aux hôpitaux d'autoriser leur organisme de collecte d'organes à examiner leurs dossiers médicaux, mais c'est un développement assez nouveau. Auparavant, nous demandions à l'hôpital l'autorisation d'examiner ses dossiers et convenions d'utiliser les données d'une façon très semblable à ce que la Dre Miranda vient d'expliquer.

Nous transmettions aux hôpitaux leurs propres données en même temps que les données agrégées d'un ensemble d'hôpitaux, représentant la région, l'État ou tout le pays. Il est très intéressant de partager ce genre d'information avec les hôpitaux, parce que leurs responsables sont très souvent surpris. Si vous interrogez le personnel des soins intensifs sur ses impressions quant au fonctionnement du processus de don d'organes, vous obtiendrez en général des réponses de ce genre: «Chez nous, tout va bien. Ce n'est pas comme chez les autres. Nous ne croyons pas que tous ces autres hôpitaux fassent du bon travail, mais, ici, nous faisons tous un travail exceptionnel.»

Nous avons constaté que lorsque nous présentons à un hôpital un profil factuel de son rendement, non pas comme s'il s'agissait d'un carnet de notes ou d'un jugement, mais dans le but de résoudre des problèmes, de favoriser l'acquisition de nouvelles connaissances et de définir les perspectives d'amélioration, la réaction est en général bonne. Les responsables ont des questions à poser, ce qui est bien leur droit. Nous reprenons souvent nos tableaux et nos graphiques si quelqu'un a une question précise. Ensuite, ils s'interrogent sur le rendement des autres. Comment nous comparons-nous à l'ensemble? Sommes-nous meilleurs? Sommes-nous pires? Le rapport se transforme rapidement en un puissant catalyseur de l'amélioration. Le simple fait de dire aux gens d'une façon très franche comment vont les choses est très bénéfique. C'est ordinairement le point de départ d'améliorations sensibles des programmes.

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Bien que nous ayons effectué ces examens sur une base volontaire en respectant le caractère confidentiel de l'information particulière lors de la diffusion des renseignements, je crois qu'il importe d'étendre ces examens et de se servir des données pour brosser un tableau plus complet du bassin sous-jacent de donneurs potentiels. Cela profiterait à l'ensemble du système.

Le président: Je sais que nos témoins ont un programme chargé cet après-midi. Ils doivent s'adresser au Comité de coordination national coprésidé par le Dr Belitsky et Elizabeth Barker et, bientôt je crois, par Prudence Taylor.

Au nom de tous mes collègues membres du comité, tant ceux qui sont présents maintenant que ceux qui étaient là tout à l'heure, je voudrais vous remercier pour cet échange extrêmement intéressant. Au début, toutes les questions semblaient s'adresser à la Dre Miranda parce que nous avions tant entendu parlé du modèle espagnol, mais, comme vous avez pu le constater, notre champ d'intérêt est maintenant beaucoup plus étendu. Je vous remercie donc, au nom de mes collègues et en mon nom personnel, pour nous avoir consacré tout ce temps, pour avoir franchi toute cette distance et pour nous avoir parlé avec autant de franchise. Je peux vous donner l'assurance que vos idées se refléteront dans les délibérations du comité.

La séance est levée jusqu'à l'appel de la présidence.