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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 25 mars 1999

• 0905

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Nous allons commencer.

Nous souhaitons la bienvenue à M. Isaacs et aux autres membres de l'Association canadienne des industries de l'environnement. Nous vous remercions d'avoir reçu certains d'entre nous au petit déjeuner hier. D'après ce que j'ai compris, les membres du comité ont accepté d'aller visiter l'exposition commerciale de l'association entre 11 h 30 et 13 h 30 aujourd'hui, de telle sorte que nous aurons l'occasion de vous voir à nouveau.

Nous n'avons que très peu de temps avec votre délégation, soit jusqu'à 9 h 45. Je vous prie donc de commencer de manière à ce que nous puissions passer dès que possible aux questions.

M. Colin Isaacs (président, Comité de la politique nationale, et président du service d'analyse de l'information contemporaine, Association canadienne des industries de l'environnement): Merci beaucoup en effet, monsieur le président.

Nous sommes ravis que vous soyez des nôtres pour le déjeuner d'aujourd'hui dans le cadre d'Americana 1999. Il s'agit de l'exposition internationale la plus importante du secteur de l'environnement au Canada. Elle accueillera plus de 7 000 visiteurs, y compris quelque 40 délégations internationales qui vont négocier des affaires et conclure des transactions avec des entreprises canadiennes du secteur de l'environnement. L'événement est donc important pour notre secteur et nous sommes très contents de pouvoir nous joindre à vous ici ce matin, tout comme nous nous réjouissons de votre participation à l'heure du déjeuner où vous aurez l'occasion de rencontrer certains représentants de nos sociétés membres et d'autres sociétés du secteur.

Nous sommes également heureux d'avoir l'occasion de vous souhaiter la bienvenue à Montréal dans le cadre de cet événement très important pour notre secteur.

Nous avons préparé un mémoire pour vous communiquer l'intérêt considérable que porte l'Association canadienne des industries et de l'environnement aux prochaines discussions de l'organisation mondiale du commerce.

Nous sommes d'autant plus intéressés que nous avons appris ce mois-ci que Susan Esserman, l'avocate principale du bureau du représentant commercial des États-Unis et la candidate du président au poste de représentant adjoint au commerce, a annoncé que les États-Unis vont accorder une place très importante à l'environnement lors de la prochaine ronde de négociations en matière de libéralisation du commerce.

L'Association canadienne des industries de l'environnement et son réseau de membres représentent environ 1 500 sociétés canadiennes qui fournissent des produits, des technologies et des services en matière d'environnement. Nous représentons l'un des secteurs de l'économie canadienne dont la croissance est la plus rapide. Il s'agit par ailleurs d'un secteur composé essentiellement de petites et moyennes entreprises.

Je suis accompagné ce matin par Robert Fraser, président du conseil des exportateurs de produits et services environnementaux, l'un des conseils de notre association; et par Mme Rebecca Last, la directrice de la politique et des programmes de l'association.

Comme il l'a été par le passé, le secteur canadien de l'environnement continue d'être un important moteur de création d'emplois et de richesses, soit directement soit indirectement, à titre de secteur habilitant. En effet, le secteur de l'environnement aide les secteurs traditionnels à réaliser leurs objectifs environnementaux et économiques et à ce titre favorise considérablement la productivité au Canada. On peut soutenir également qu'il s'agit de l'un des principaux secteurs de notre économie en ce sens qu'il permet au pays tout entier de respecter ses obligations qui découlent d'accords internationaux comme le Protocole de Montréal, le Programme 21 issu du Sommet de la terre tenu à Rio et, plus récemment l'accord de Kyoto.

Au Canada, le secteur de l'environnement compte au total environ 4 000 sociétés. Son chiffre d'affaires annuel totalise presque 20 milliards de dollars par an, soit 2,2 p. 100 du PIB canadien. La valeur de nos exportations annuelles dépasse un milliard de dollars. Nous employons plus de 123 000 personnes, soit plus que n'en emploient des secteurs comme ceux du pétrole et du gaz, des produits chimiques, de l'extraction forestière et de la foresterie, des pâtes et papiers ou du textile. Aspect encore plus important, la croissance du marché mondial pour le secteur de l'environnement continuera d'être de l'ordre de 7 p. 100 au-delà de l'an 2000, et elle se situera dans les deux chiffres pour certains débouchés clés.

Le secteur canadien de l'environnement est axé sur le savoir et la technologie; et il est représenté par des sociétés de toutes les régions du pays, et il jouit déjà de certains avantages importants à l'échelle internationale. La réussite du secteur canadien de l'environnement est largement assujettie à notre capacité d'exporter nos biens et services et nous sommes tout à fait en faveur de la libéralisation des échanges commerciaux.

• 0910

Sur la scène mondiale, le Canada bénéficie de certains avantages. Nous sommes perçus comme un pays dont les normes environnementales sont bien établies et qui compte un grand nombre d'années d'expérience dans l'application de mesures rigoureuses de protection de l'environnement. Il est extrêmement important que le gouvernement canadien s'efforce de conserver cette réputation. Chaque fois que nous sommes accusés d'un méfait environnemental, notre réputation se ternit un peu plus. Nous invitons le comité à profiter de chaque occasion pour rappeler au gouvernement du Canada que la réputation du Canada sur le plan de l'environnement est l'un de nos atouts les plus précieux pour la commercialisation des produits et des services canadiens partout dans le monde.

Dans de nombreux pays, les Canadiens sont perçus comme étant honnêtes, fiables, et moins portés à être dominateurs ou ambitieux que certains de nos concurrents. Les gouvernements et les entreprises des pays en voie de développement se sentent généralement à l'aise dans leurs rapports avec les fournisseurs canadiens du secteur de l'environnement et les sociétés canadiennes en général.

Le secteur canadien de l'environnement a acquis de l'expérience étant donné ses rapports avec des clients d'un grand nombre de secteurs industriels et avec des grandes et petites sociétés. Nos entreprises reconnaissent la valeur de la formation et sont disposées à partager leurs connaissances et leurs compétences avec leurs clients des divers pays du monde. Également, les sociétés canadiennes ont généralement d'excellentes sources de financement et sont ainsi en mesure de prêter main-forte à nos clients du marché international dans leurs efforts pour réduire la pollution et pour atteindre des formes plus durables de développement.

Nous aimerions aborder ce matin un certain nombre de questions précises avec le comité. Tout d'abord, évidemment, il est impossible d'aborder la question de l'OMC aujourd'hui sans parler de la décision récente concernant le Programme de partenariats technologiques. Notre association est très favorable à ce Programme. Nous l'avons soutenu dès le départ et nous avons été favorables à sa poursuite et à son extension aux sociétés de notre secteur. Le Programme de partenariats technologiques a été d'un secours inestimable dans la commercialisation de nouvelles technologies environnementales canadiennes. Dans notre mémoire complet que nous allons vous soumettre la semaine prochaine, nous vous présentons certains exemples de soutien accordé par le Programme à des sociétés du secteur de l'environnement.

Nous sommes tout à fait solidaires des efforts déployés par le gouvernement pour défendre le programme contre la plainte en rétorsion. Advenant le rejet de l'appel du Canada concernant la décision de l'OMC et la nécessité d'apporter les changements au Programme, les représentants du secteur de l'environnement souhaitent être consultés pleinement avant qu'une décision finale portant sur des changements ne soit prise.

Les sociétés de technologie environnementale d'autres pays ont accès à des mesures de soutien beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus généreuses que celles du Canada. Notre seul programme national important, le Programme de partenariats technologiques, ne doit pas être amoindri à cause de pressions internationales. Nous invitons également notre gouvernement à examiner les avantages que les gouvernements d'autres pays accordent à leurs fournisseurs de technologies et de services du secteur de l'environnement et à s'efforcer d'en faire autant.

Voici, à titre d'exemple, deux mesures de soutien accordées au secteur de l'environnement aux États-Unis. Tout d'abord, les crédits d'impôt accordés en matière d'énergie renouvelable et d'efficacité énergétique. Au Canada, par contre, l'amortissement autorisé est moins favorable pour les énergies renouvelables et pour bon nombre de technologies d'efficacité énergétique que pour des technologies visant les énergies non renouvelables. Les dépenses du département de la Défense des États-Unis en matière d'assainissement des lieux ont favorisé le développement d'un sous-secteur de l'assainissement dynamique dans le secteur de l'environnement aux États-Unis. Au Canada, le programme qui assurait le financement du gouvernement fédéral en matière d'assainissement des lieux pour les terres de la Couronne a pris fin en 1997.

Nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée de réduire les subventions accordées au secteur privé, mais seulement dans la mesure où de telles réductions sont faites de façon équitable parmi nos grands partenaires commerciaux. Le secteur environnemental du Canada mérite certainement d'être assujetti aux mêmes règles que les sociétés environnementales des États-Unis, de l'Europe et du Japon. Le fait d'uniformiser les règles du jeu nous permet d'être des concurrents efficaces et de procurer des avantages économiques et environnementaux à l'ensemble des Canadiens.

Par contre, du fait que nous ne sommes pas sur un pied d'égalité avec nos concurrents à l'heure actuelle, nous perdons du terrain, ce qui se répercute évidemment sur le bien-être des Canadiens.

• 0915

Pour ce qui est du rapport qui doit exister entre le commerce et la responsabilité nationale sur le plan de l'environnement, nous sommes tout à fait convaincus que la position adoptée par le Canada lors des prochaines négociations de l'OMC ne doit en aucune manière mettre en péril le pouvoir souverain dont jouissent les nations de gérer leurs ressources naturelles et d'imposer une réglementation environnementale visant à les protéger. Il s'agit là d'une question de première importance pour le marché intérieur du Canada mais aussi pour nos perspectives de vente à l'étranger.

En cette matière, un équilibre délicat s'impose. D'une part, le souci de protéger l'environnement ne doit pas être prétexte à des mesures protectionnistes qui ont pour effet d'entraver le libre-échange ou de contourner des dispositions à cet égard. D'autre part, l'harmonisation des objectifs nationaux grâce à des accords multilatéraux sur l'environnement doit s'effectuer d'une manière qui tienne compte de la pratique du commerce international et qui y soit intégrée.

Nous nous inquiétons de la prolifération grandissante de mesures soi-disant environnementales qui, en réalité, sont des mesures à caractère délibérément protectionniste à nos yeux. Or, il s'agit là d'une question qui ne semble pas prioritaire pour le gouvernement du Canada dans ses transactions internationales.

Il arrive pourtant trop souvent que des sociétés canadiennes en pâtissent et deviennent victimes de mesures pseudo-environnementales appliquées par d'autres pays. En matière de commerce international, les sociétés canadiennes ont des adversaires coriaces et elles méritent d'être soutenues comme il se doit par leur gouvernement, sans quoi le Canada pourra difficilement conserver sa réputation de chef de file en matière d'environnement.

Notre association recommande fortement que le Canada énonce les principes suivants pour régir les négociations internationales visant à assurer aux pays souverains la maîtrise de leurs ressources environnementales: faire valoir l'importance de faire reposer la prise de décision sur une démarche scientifique rigoureuse, faire du principe de prudence le fondement de la politique gouvernementale et, reconnaître la nécessité d'une protection efficace de l'environnement comme préalable au développement durable. Il s'agit là de principes qui ne sont pas mutuellement exclusifs.

Le Canada doit retrouver son rôle de meneur et non de suiveur dans les négociations d'accords multilatéraux sur l'environnement et nous devons dire bien haut que nous n'allons pas accepter que l'on exploite à outrance l'environnement tant par ceux qui le dégradent que par ceux qui en prennent prétexte pour adopter des mesures à courte vue qui sont essentiellement protectionnistes.

Plus que jamais auparavant, il importe que le Canada soit à l'avant-garde en montrant qu'il est avantageux d'intégrer la politique commerciale et la politique environnementale. Le Canada peut notamment s'affirmer comme chef de file en matière d'environnement tout en élargissant ses possibilités commerciales dans le cadre des négociations menant à la création d'une zone de libre-échange des Amériques.

Comme vous le savez, l'ALENA est assorti d'un accord parallèle en matière d'environnement à savoir l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement. Le Canada a joué à cet égard un rôle de premier plan et il a même intégré un accord du même type à son accord bilatéral de libre-échange avec le Chili.

L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement vient de faire l'objet de sa première évaluation quinquennale. En dépit de certaines critiques, l'évaluation est relativement favorable. En cinq ans, nous avons beaucoup appris en matière de commerce et d'environnement, de réussite ou d'échec, aussi bien que de réussite partielle qui pourrait donner de biens meilleurs résultats.

Dans le cadre de l'ALEA, certains pays sont favorables à un accord parallèle sur l'environnement, tandis que certains autres y sont passablement défavorables. Du fait que le Canada préside actuellement l'ALENA, il est assez bien placé pour inciter et faire voir raison à ceux qui sont réticents, tout en participant à l'élaboration d'une prochaine génération d'Accords visant à intégrer le commerce et l'environnement. Dans la mesure où le Canada assume un rôle de chef de file, il en résultera des avantages très considérables pour nos échanges commerciaux de biens et de services liés à l'environnement avec nos partenaires de l'ALENA.

J'aimerais également aborder l'aspect de l'évaluation environnementale des négociations de l'OMC. Comme certains autres pays, le Canada s'est engagé à entreprendre une évaluation environnementale nationale des négociations. Pour nous, un tel engagement constitue une occasion et non pas un fardeau. Comme le savent les membres du comité permanent, bon nombre de Canadiens s'inquiètent du fait que la libéralisation croissante des échanges commerciaux soit incompatible avec le maintien d'un niveau élevé de protection de l'environnement. Nous ne sommes pas d'accord. Non seulement les objectifs commerciaux et environnementaux sont-ils compatibles, mais encore le commerce international apparaît-il déjà comme un puissant levier susceptible d'accroître la protection environnementale et de favoriser la réalisation à l'échelle de la planète de l'idéal de développement durable.

• 0920

L'évaluation environnementale des négociations de l'OMC représente une excellente occasion de sensibiliser les Canadiens aux avantages d'un accroissement du commerce aussi bien pour l'environnement de notre pays que pour celui de l'ensemble du monde. Nous tenons à dire que notre association soutiendra vigoureusement toute initiative de sensibilisation du public en ce sens.

Une autre question que je veux aborder c'est l'amélioration des disciplines relatives à l'attestation et à l'étiquetage environnementaux. Le Canada est un chef de file dans le domaine des systèmes de gestion de l'environnement, de l'attestation environnementale et de l'éco-étiquetage, et pourtant nous accusons du retard dans leur mise en oeuvre chez nous par rapport à nos objectifs internationaux.

Nous devons mettre en oeuvre des systèmes de gestion de l'environnement conforme à la norme ISO 14000, utiliser les outils qui sont l'analyse du cycle de vie, l'éco-étiquetage, la certification technologique et professionnelle comme le programme de vérification des technologies environnementales du Canada, afin de répondre aux attentes internationales. Ces programmes ne sont pas obligatoires; il s'agit essentiellement d'initiatives d'observation volontaires. Cependant pour préserver notre capacité de rivaliser sur les marchés internationaux, nous devons les mettre en oeuvre à l'échelle nationale conformément aux normes internationales.

Rien n'est plus gênant pour le vendeur d'une technologie environnementale canadienne que d'admettre à un acheteur étranger éventuel que la demande intérieure pour cette merveilleuse technologie canadienne est quasiment nulle. La demande intérieure doit être soutenue par le gouvernement. Comme c'est le cas aux États-Unis et en Europe, notre gouvernement doit donner l'exemple en incitant fortement les Canadiens à mettre en oeuvre ou à adopter ces initiatives environnementales canadiennes et internationales de pointe.

Pour vous donner un exemple frappant et pertinent, le Canada se doit d'adopter de toute urgence un programme reconnaissant l'intervention rapide et encourageant le secteur privé du Canada à prendre des mesures vigoureuses pour réduire les émissions de gaz à effet de serre conformément à nos obligations en vertu du protocole de Kyoto. D'autres pays sont déjà en train de se doter de solides compétences en changements climatiques avec l'aide d'instruments économiques exportables sur les marchés internationaux. Le Canada a à peine commencé à exploiter cette extraordinaire possibilité.

L'ACIE estime que le gouvernement peut et doit commencer à soutenir vigoureusement l'industrie en élaborant le cadre nécessaire pour reconnaître les entreprises qui innovent en matière de changements climatiques. On n'insistera jamais assez sur le besoin d'agir à cet égard.

Notre association prédit que si le Canada n'instaure pas de programme d'intervention rapide d'ici l'année prochaine, nos entreprises ne pourront pratiquement pas exploiter les débouchés commerciaux internationaux qu'offrent les changements climatiques. Dans ce domaine en particulier, le Canada ne doit pas être à la remorque du reste du monde. Nous devons montrer la voie et devenir un chef de file mondial dans ce secteur fondamental du commerce et de la protection de l'environnement.

En terminant, nous sommes très heureux d'avoir eu l'occasion de présenter ce mémoire au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Il nous tarde également de vous accueillir au déjeuner que nous offrons aujourd'hui au salon du commerce international à Montréal.

Le concept de l'intégration du commerce et de l'environnement est peut être nouveau pour les membres du comité, mais il devient crucial à l'aube du nouveau millénaire et de la prochaine ronde de négociations de l'OMC. Les principaux partenaires commerciaux du Canada reconnaissent l'importance du commerce et de l'environnement; le Canada doit faire de même.

Nous sommes particulièrement heureux que le ministre du Commerce international, M. Sergio Marchi, ait récemment renouvelé le mandat du groupe de consultation sectorielle sur le commerce extérieur qui s'intéresse à l'environnement, dont font partie certains de nos membres. Votre comité et ce groupe de consultation constituent d'importants forums pour étudier et orienter l'évolution de la politique commerciale et environnementale.

Nous nous réjouissons à l'avance de collaborer avec vous aux objectifs communs que sont l'accroissement du commerce international et la protection de l'environnement, des objectifs auxquels souscrivent de nombreux Canadiens.

Merci, monsieur le président.

• 0925

Le président: Merci beaucoup, monsieur Isaacs. Je suis très heureux d'entendre quelqu'un dire que l'environnement a un rôle à jouer dans le commerce international. On nous parle constamment du conflit, comme si ce conflit ne pouvait jamais être résolu. C'est donc très positif et encourageant.

Membres du comité, je suggère qu'on s'en tienne à cinq minutes, car il nous reste seulement vingt minutes pour poser des questions à M. Isaacs. Nous aurons l'occasion de le revoir à nouveau au déjeuner. Ce groupe est avec nous jusqu'à 21 h 45.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Réf.): Merci.

Je vous remercie de votre exposé. Bien sûr, nous reconnaissons l'importance de l'industrie, surtout pour ce qui est d'exporter les technologies canadiennes. Les perspectives sont fabuleuses.

Vous avez mentionné plusieurs points, et nous sommes d'accord avec vous à de nombreux égards. J'ai une question au sujet de PTC. Vous recommandez le maintien du programme, ce qui serait contraire à l'OMC, et vous affirmez que ce programme existe parce que d'autres pays y sont favorables. Mais l'OMC, qui vise à libéraliser le commerce, reçoit des plaintes concernant les subventions accordées par d'autres pays, un secteur où le Canada devrait jouer un rôle plus prépondérant, mais nous le faisons.

J'aurais cru que votre industrie aurait probablement recommandé de créer un milieu d'affaires plus propice au Canada au lieu d'accorder une subvention directe à votre secteur par l'entremise de PTC. Je me demande donc pourquoi vous ne prenez pas cette voie, plutôt que de demander une subvention directe du gouvernement.

M. Colin Isaacs: Nous serions très disposés à discuter avec le gouvernement, peut-être avec votre comité, des autres formes de soutien employées dans d'autres pays et qui pourraient servir à uniformiser davantage les règles du jeu que le PTC. Nous affirmons que nous ne voulons pas que ce programme soit éliminé, sans qu'il soit remplacé, si nos concurrents continuent de jouir de programmes de soutien d'un autre genre.

Mme Last peut vous donner en une minute ou deux un aperçu de certains programmes que d'autres pays utilisent pour soutenir leur industrie environnementale.

Mme Rebecca Last (directrice des Programmes et de la politique, Association canadienne des industries de l'environnement): Merci, Colin.

Monsieur Obhrai, vous avez posé une question très intéressante. Je crois, si je ne me trompe, que le ministre Manley s'est engagé à réexaminer le programme de Partenariats technologiques Canada afin qu'il ne viole pas les règles de l'OMC. En autant que je sache, le programme sera maintenu.

Nous estimons qu'il demeure utile pour le secteur de l'environnement en particulier, mais aussi pour d'autres secteurs canadiens qui tentent d'élaborer, de commercialiser et d'exporter de nouvelles technologies. Vous savez peut-être que c'est à la suite des démarches que notre association a entreprises auprès de M. Manley que le programme de Partenariats technologiques Canada a été élargi afin de financer la démonstration technologique internationale.

J'aimerais vous parler très brièvement des différentes mesures de soutien international que nos principaux partenaires commerciaux offrent à l'industrie environnementale dans d'autres régions du monde. Mentionnons à cet égard le projet de démonstration de transfert technologique aux États-Unis. En 1996, ils ont consacré environ 14 millions de dollars à des projets environnementaux. Ce n'est que l'un des nombreux fonds créés par le gouvernement fédéral et les États auxquels les entreprises environnementales ont accès aux États-Unis. Les entreprises en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni ont toutes accès à des fonds environnementaux spécialisés.

• 0930

M. Deepak Obhrai: Ne peut-on pas les contester devant l'OMC?

Mme Rebecca Last: C'est une question très intéressante, car cela devient en quelque sorte une question de principe de savoir si le Canada veut suivre la voie la plus noble, comme nous avons eu tendance à le faire par le passé, en évitant d'accorder des subventions à nos entreprises, en nous montrant bons princes et en ne contestant pas ceux qui...

M. Deepak Obhrai: Non, vous ne pouvez pas faire les deux à la fois.

Mme Rebecca Last: Nous avons donc tendance à y perdre au change.

Le président: Nous avons aussi perdu la contestation. Elle s'est retournée contre nous.

Mme Rebecca Last: Notre association n'a pas examiné cette question au cours des consultations. Je ne me sens donc pas à l'aise d'y répondre directement.

M. Deepak Obhrai: C'est la voie à suivre pour votre association.

Mme Rebecca Last: Cela fait certainement partie des consultations que nous avons menées après avoir reçu votre invitation à parler de l'OMC. Ce processus n'est pas encore terminé. Nous allons continuer de consulter nos membres à ce sujet.

M. Colin Isaacs: Nous prenons note de cette suggestion, monsieur Obhrai. Cela vaut la peine d'être envisagé. Ma réaction immédiate serait de dire que le processus décisionnel de l'OMC est assez lent. Si vous contestez tous ces programmes un à la fois, vous en aurez probablement pour dix ans avant de tout tirer au clair.

Il serait peut-être préférable d'utiliser l'OMC pour négocier de meilleures règles qui soient claires pour tout le monde, afin que nous n'ayons pas à nous engager dans ce processus. Nous sommes certainement favorables à une réduction de ces programmes, dans la mesure où nos concurrents et nos entreprises sont assujettis aux mêmes règles du jeu.

M. Deepak Obhrai: Merci.

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Dans la foulée des commentaires de M. Obhrai, je vous dirai que si vous voulez porter plainte contre les pays qui ne respecteraient pas leurs obligations, il faudra peut-être faire un lobby auprès des partis de l'opposition pour qu'ils vous fournissent des documents, comme on l'a fait ici, au Canada, pour le Brésil. Mais ma question ne portera pas là-dessus. Je vais partager mes questions avec Mme Debien.

Concernant l'accord parallèle sur l'environnement de l'ALENA, vous avez dit que lors de la révision quinquennale, on avait constaté que des choses fonctionnaient, que des choses ne fonctionnaient pas et que des choses devaient être améliorées, mais vous n'avez pas précisé. Pouvez-vous nous parler entre autres de ce qui devrait être amélioré, des choses qu'on devrait prendre en considération lors des négociations de la Zone de libre-échange des Amériques, s'il vous plaît? C'est ma première question.

Voici notre deuxième question.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Vous savez, monsieur Isaacs, que les pays en développement sont très réticents à l'inclusion des questions environnementales dans les négociations de l'OMC. J'aimerais que vous me parliez des mesures que l'industrie canadienne de l'environnement pourrait prendre pour que les pays en développement n'aient pas peur des mesures environnementales. Ils considèrent que ces mesures pourraient devenir des mesures protectionnistes. Qu'est-ce que l'industrie canadienne est prête à faire pour aider les pays en développement à s'insérer dans le cadre du développement durable?

Voici mon autre question. Vous avez rapidement abordé la question des changements climatiques. À la toute fin de votre intervention, vous avez dit que le Canada devait faire quelque chose, mais j'ai alors perdu le fil de votre intervention. Vous avez abordé la question du changement climatique et fait une proposition en ce sens. J'aimerais que vous la répétiez ou que vous l'expliquiez.

[Traduction]

M. Colin Isaacs: Voulez-vous répondre à cette question?

[Français]

Mme Rebecca Last: Oui, je peux y répondre. Madame Debien, vous demandez ce que le Canada peut faire pour encourager les pays en développement à mettre en oeuvre plus de mesures de protection de l'environnement.

La plupart des pays en développement s'intéressent beaucoup aux transferts de technologies. Donc, c'est un des points forts du secteur de l'industrie de l'environnement au Canada.

• 0935

Notre association a été impliquée avec l'Organisation des États américains, l'an dernier, dans une série de tables rondes sur le transfert de technologies de l'environnement. Ce fut une réussite, tant pour ces pays, qui ont été mis au courant des méthodologies et des technologies canadiennes, que pour les compagnies canadiennes qui ont participé à ces tables rondes, qui ont ouvert des portes pour des possibilités d'exportation.

Voici un exemple très intéressant concernant l'un de nos major trading partners, les États-Unis. Il y beaucoup de réglementations internationales qui défendent le financement national de projets de démonstration de technologies, à moins qu'il n'y ait pas de bénéfices commerciaux. Dans ce cas, c'est permis. Il y a plusieurs pays, parmi nos concurrents, qui ont des programmes internationaux de démonstration de technologies. Le Japon, l'Allemagne et les États-Unis sont parmi ceux qui emploient avantageusement ce mécanisme pour promouvoir leurs exportations.

C'est une façon indirecte de promouvoir l'exportation. Lors de la première étape, les compagnies qui y participent ne gagnent rien et il n'y a pas de problème. Donc, le gouvernement du Canada pourrait encourager le transfert de technologies, ce qui pourrait encourager les pays en développement à augmenter leur réglementation et leurs mesures de protection de l'environnement. En même temps, les compagnies canadiennes pourraient gagner en termes de possibilités futures d'exportation.

J'espère que cela répond à votre question.

Mme Maud Debien: Je comprends.

Le président: Vous pouvez répondre à la question de M. Sauvageau.

[Traduction]

M. Colin Isaacs: C'est une question qui démarque l'envergure de l'industrie environnementale. Nous avons des entreprises qui se spécialisent dans ce qu'on appelle en Europe, des «produits verts», c'est-à-dire du matériel et des technologies qui ne sont pas destinés à améliorer l'environnement mais qui sont plus écologiques. Nous comptons également des membres dans le secteur des services—des services de gestion, de la finance, etc.

La question des obstacles se pose de façon très différente selon les secteurs. L'OMC a rendu des décisions très intéressantes, par exemple dans le dossier de la crevette et de la tortue et dans celui du dauphin et du thon, des décisions qui ne sont pas de nature purement écologique mais qui témoignent d'une tendance à exclure les considérations environnementales du régime commercial. Voilà selon nous le genre de décisions qui posent un grave problème.

[Français]

M. Benoît Sauvageau: Ma question portait sur la Zone de libre-échange des Amériques.

[Traduction]

M. Colin Isaacs: Je voulais également ajouter quelque chose à ce sujet...

Le président: Nous manquons réellement de temps ce matin. Deux autres personnes ont le droit de poser des questions et il ne reste plus que cinq minutes. Nous empiétons donc beaucoup sur le temps des autres.

M. Colin Isaacs: Je suis désolé, monsieur le président.

Le président: Ce n'est pas votre faute. C'est certainement un léger problème de minutage ce matin.

M. Colin Isaacs: Je comprends.

Le président: C'est assez serré. Si vous pouviez répondre rapidement à la question, cela...

M. Colin Isaacs: À la question sur l'ALE, l'ALENA?

Le rapport présenté dernièrement par le Comité d'examen est extrêmement long. Il porte sur tous les aspects du commerce et de l'environnement aux termes de l'ALENA, et j'hésite à tenter de le résumer en une minute. La création d'une commission et d'un accord commercial environnemental parallèle est efficace. Ce qui ne l'est pas, c'est un bon nombre de mesures que la commission a prises.

• 0940

[Français]

Le président: Merci. Monsieur Bachand.

M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC): Monsieur le président, ce sera très court. Je sens que vous êtes en grande forme ce matin pour présider cette digne assemblée. J'ai une seule question.

Votre troisième point, monsieur Isaacs, portait sur l'habileté du pays de légiférer au niveau de l'environnement. Vous avez parlé de la sovereign ability for nations to regulate au niveau de l'environnement. J'aimerais vous entendre là-dessus. Je vous fais part d'un cas qui n'est peut-être pas nécessairement le meilleur exemple, celui de MMT qui a fait en sorte que l'environnement a été confronté à une décision commerciale. La question environnementale n'avait pas primauté sur la question commerciale. En d'autres termes, le commerce a passé avant l'environnement. J'aimerais donc vous entendre sur la possibilité de légiférer en matière d'environnement.

[Traduction]

M. Colin Isaacs: Une des leçons que nous avons tirées ces dix dernières années, depuis que l'environnement est devenu un grand sujet de préoccupation mondiale, c'est qu'aucune question environnementale n'est simple. Les dossiers comme celui du MMT ne se limitent pas aux données scientifiques mais font intervenir le degré de risque que la société, le pays, la population sont disposés à prendre, et aussi les genres de technologies associées au produit—dans le cas du MMT, l'automobile—de même que la façon dont ce produit est utilisé, qui est légèrement différente au Canada par rapport aux États-Unis.

Il importe, compte tenu d'une foule de facteurs, que nous soyons en mesure de prendre nos propres décisions, et le dossier du MMT est particulièrement complexe, les industries pétrolière et automobile étant intégrées. Mais nous devons aussi tenir compte du degré de risque, le degré de protection environnementale, la qualité de l'air ambiant, les normes de qualité de l'air, et tous les autres facteurs que les membres de la société sont disposés à accepter. Ces questions doivent constituer un élément clé du processus décisionnel.

À mon avis, nous devons mettre à profit les développements scientifiques, mais la science ne répond pas toujours à toutes les questions. Souvent, elle suscite davantage de questions qu'elle ne fournit de réponses.

M. André Bachand: [Note de la rédaction: Inaudible]

M. Colin Isaacs: Oui, vous n'êtes pas trop loin de la vérité et, dans ce contexte, c'est là où nous disons que le principe de la prudence, auquel le Canada souscrit, devrait être de rigueur. S'il y a quelque risque que ce soit, il est toujours préférable de faire en sorte de le rejeter que de l'accepter. Si d'autres pays veulent prendre des décisions dans un autre sens, ils devraient avoir le droit de le faire, et il peut nous arriver à nous aussi, à l'occasion, de décider...

M. André Bachand: Mais le gros problème est que bon nombre de ces pays considèrent que des choses comme le MMT sont des obstacles non tarifaires.

[Français]

C'est le gros problème.

[Traduction]

M. Colin Isaacs: C'est un excellent exemple du problème dont je vous parlais au sujet des barrières non tarifaires. Je ne pense pas que le Canada ait adopté cela comme une mesure protectionniste, mais il y a d'autres pays qui adoptent des mesures semblables en sachant pertinemment qu'ils le font pour protéger leur industrie nationale.

M. André Bachand: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président, merci beaucoup. Je serai relativement bref. J'ai une observation et une question.

Mon observation est celle-ci: si nous relisons les derniers discours du directeur général de l'OMC, on constate qu'ils parlent tous systématiquement de l'importance de l'environnement et du développement durable, et tout le monde s'accorde à ce sujet sur cette terre. Encore la semaine dernière à Genève, il y a eu un colloque concernant le commerce et l'environnement.

Cela dit, pour revenir à ce que Mme Debien disait il y a quelques instants, étant donné que la majorité des membres de l'OMC sont désormais des pays pauvres et des pays en développement, il va vraiment falloir ouvrir un dialogue entre le Nord et le Sud. C'est là une chose essentielle, sans quoi nous risquons d'échouer dans chaque cas de figure.

• 0945

Vous avez parlé de cette ambiguïté dans les dossiers de la crevette et de la tortue, et également celui du thon et du dauphin. J'aurais une question très simple à vous poser. Pensez-vous que ce serait une bonne idée de créer, en parallèle à l'OMC, une organisation mondiale à vocation environnementale, ou devrions-nous plutôt nous en tenir au cadre de l'OMC? Quels sont les arguments pour et contre à cet égard?

M. Colin Isaacs: Notre association n'a pas été jusque-là dans son étude, si bien que je ne saurais répondre à cette question en son nom. D'aucuns craignent par contre qu'en ajoutant davantage à l'OMC, on ferait sans cesse grossir cette organisation. Par ailleurs, quel que soit le processus, il faut parvenir à une intégration du commerce et de l'environnement au lieu de scinder les deux sous couvert d'un organisme distinct concernant le commerce et d'un organisme distinct concernant l'environnement. Peut-être devrons-nous arriver à trouver un meilleur moyen d'intégrer les deux sans créer un monstre pour autant.

Peut-être Robert Fraser pourrait-il ajouter un mot à ce sujet.

M. Robert Fraser (président, Conseil des exportateurs en matière d'environnement, Association canadienne des industries de l'environnement): Je pourrais peut-être en effet ajouter un mot à ce sujet.

Notre association a l'intime conviction que l'environnement est profitable au commerce. Et tout en acceptant ce que vous dites à propos du tiers monde et des pays en développement, je pense qu'il y a une manière de paradigme qui fait que les questions environnementales sont considérées comme un fardeau pour l'industrie, et cela parce que ces pays, dans le cadre de leur développement, sont probablement toujours aux prises avec des problèmes de lutte contre la pollution, d'élimination des déchets qui sont produits par leurs propres industries, ce qui représente un fardeau de plus, alors qu'au Canada nous travaillons davantage au niveau de la prévention de la pollution, ce qui signifie que nos économies n'en sont que plus fortes. Cela nous ramène également à ce que disait Mme Last, en l'occurrence que le Canada doit avoir un rôle de premier plan en faisant jouer son leadership et en montrant à ces pays comment ils peuvent changer d'attitude au sujet des questions environnementales en les considérant plutôt comme profitables du point de vue commercial.

M. Bernard Patry: Je vous remercie.

Le président: Je vous remercie tous, nous avons eu un excellent échange d'idées et nous vous remercions d'être venus ce matin. Nous sommes impatients de vous retrouver au déjeuner. Merci de nous avoir invités. Nous allons visiter la foire commerciale avec beaucoup d'intérêt.

M. Colin Isaacs: Nous voulons nous aussi remercier vivement les membres du comité.

Le président: D'après ce que vous avez dit, je crois comprendre que vous allez présenter un rapport plus complet.

M. Colin Isaacs: Nous avons un mémoire, monsieur le président. Vous voudrez bien nous excuser si nous n'en avions pas d'exemplaires à votre intention ce matin, mais c'est que nous y avons ajouté des choses à la dernière minute et nous voulions être sûrs que le texte que vous alliez recevoir soit la version complète.

Le président: J'espère que l'environnement n'en aura pas souffert et que vous n'avez pas gaspillé trop de papier.

M. Colin Isaacs: Merci de nous en donner le crédit.

Le président: Je pense qu'étant donné la quantité de papier que consomme ce comité, il risque d'être dissous pour des raisons environnementales. Mais quoiqu'il en soit, je ne m'étendrai pas plus longtemps sur cela. Merci beaucoup.

[Français]

Nous recevons maintenant les représentants de l'Association canadienne de l'industrie du médicament. Nous n'avons que 45 minutes pour votre présentation. Si vous pouviez limiter votre déclaration à 15 minutes, nous aurions 30 minutes pour les questions. Ce serait bien aimable de votre part.

Monsieur Houde.

M. Bernard Houde (vice-président, Affaires corporatives, Merck Frosst Canada, Association canadienne de l'industrie du médicament): Merci, monsieur le président et membres du comité de nous donner cette occasion de présenter notre point de vue. Nous vous avons distribué un texte. Nous n'allons pas le suivre mot à mot, mais il est là devant vous.

Je m'appelle Bernard Houde et je suis vice-président des affaires de l'entreprise chez Merck Frosst Canada. Mon collègue Terry McCool est vice-président aux affaires de l'entreprise chez Eli Lilly Canada Inc.

Nous représentons ce matin l'Association canadienne de l'industrie du médicament, laquelle regroupe environ 60 sociétés pharmaceutiques innovatrices, sociétés biopharmaceutiques et instituts de recherche qui se consacrent à la recherche, à la mise au point, à la fabrication et à la distribution de médicaments d'origine pour tous les Canadiens.

• 0950

L'association appuie l'initiative du gouvernement fédéral et du Parlement du Canada de tenir ces audiences publiques qui visent, par la voie de ce comité, à cerner les intérêts canadiens en ce qui a trait aux négociations prochaines de l'Organisation mondiale du commerce.

Notre exposé d'aujourd'hui vise à appuyer ce processus en offrant quelques commentaires préliminaires, au nom de notre industrie, sur ces questions d'échanges internationaux, lesquels influeront considérablement sur le taux de croissance, la création d'emplois, ainsi que la recherche et le développement au sein de l'industrie pharmaceutique innovatrice au Canada.

L'entente de l'OMC qui aura le plus de répercussions directes sur notre industrie est celle sur les Aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent le commerce (ADPIC). Cette entente devrait faire l'objet de nouvelles négociations dans le cadre de la prochaine ronde de l'OMC, et nous estimons nécessaire de l'inclure dans ce qu'on appelle «l'ordre du jour préétabli».

Ces négociations prendront vraisemblablement de l'ampleur lors de la nouvelle ronde du millénaire de négociations commerciales multilatérales élargies, lesquelles feront suite à la troisième conférence ministérielle de l'OMC, qui se tiendra aux mois de novembre et décembre de cette année. La question de la propriété intellectuelle fera certainement partie de ces discussions.

Nous aimerions aujourd'hui attirer plus particulièrement votre attention sur deux enjeux clés qui touchent les droits de propriété intellectuelle. Ces enjeux influent grandement sur l'industrie pharmaceutique innovatrice et ils se dessinent de plus en plus comme étant d'importants enjeux multilatéraux pour le Canada et ses partenaires d'échange principaux.

Ces enjeux sont les suivants: en premier lieu, assurer l'application et la mise en oeuvre efficaces des droits de protection des brevets actuels en vertu de l'accord sur les ADPIC; en deuxième lieu, se doter de normes supérieures et compétitives sur le plan international en matière de protection de brevets pharmaceutiques.

L'accord sur les ADPIC constitue l'accord multilatéral le plus complet sur la propriété intellectuelle qui existe à ce jour. Il couvre tous les secteurs de la protection de la propriété intellectuelle, y compris les droits d'auteur, les marques de commerce, les dessins industriels et, bien sûr, les brevets. L'accord sur les ADPIC couvre trois aspects principaux, dont l'établissement de normes en matière de protection de la propriété intellectuelle, l'application des droits de la propriété intellectuelle et l'élaboration de processus de règlement des différends.

Le Canada a toujours appuyé la mise en place de règlements efficaces en matière d'échanges internationaux afin d'assurer l'uniformisation de la réglementation sur le plan de la compétitivité. Au cours de la ronde de négociations de l'Uruguay, le Canada a posé comme priorité, tant nationale qu'internationale, l'établissement de normes élevées de protection de la propriété intellectuelle et leur application efficace. Le Canada a joué un rôle central dans ces négociations internationales et a accueilli l'entente sur les ADPIC comme étant l'une des réalisations majeures de la ronde.

Depuis, le Canada et d'autres pays ont fait de la mise en oeuvre efficace et du respect de l'accord actuel sur les ADPIC un objectif clé pour l'OMC. Cette position devrait être maintenue. L'industrie pharmaceutique innovatrice au Canada a toujours appuyé cet objectif et croit que l'assurance de la mise en oeuvre de l'accord sur les ADPIC par une application efficace des droits de la propriété intellectuelle adoptés à l'échelle internationale devrait continuer de figurer à l'ordre du jour, y compris au cours de la prochaine ronde.

Sur ce, monsieur le président, j'aimerais céder la parole à mon collègue Terry McCool, qui vous parlera un peu plus de notre industrie et des sujets qu'on aimerait soulever.

[Traduction]

Le président: Monsieur McCool.

M. Terry McCool (vice-président, Affaires corporatives, Eli Lilly Canada Inc., Association canadienne de l'industrie du médicament): Bonjour mesdames et messieurs.

J'aimerais vous dire quelques mots au sujet de l'Industrie canadienne du médicament d'innovation, de l'importance de l'APIC pour notre industrie, et de ce qui est à coup sûr une voie qui s'ouvre à nous.

Notre propre industrie du médicament est un bon exemple de l'utilité de l'APIC et de la nécessité qu'il y a d'assurer la protection des brevets et des autres droits de propriété intellectuelle. Notre industrie a été une réussite au Canada et d'ailleurs à biens des égards, c'est également une réussite sur le plan planétaire. Cette réussite est attribuable à un facteur primordial, en l'occurrence le fait que le Canada ait adopté un régime de normes et de règles international beaucoup plus rigoureux régissant la propriété intellectuelle et la protection par brevet. Ce facteur essentiel a permis de créer au Canada un milieu vigoureux et positif à la fois qui a été propice aux nouveaux investissements dans la R-D ainsi que dans la création d'emplois au sein de l'industrie pharmaceutique innovatrice.

• 0955

Depuis 1988, lorsque pour la première fois la protection des brevets pharmaceutiques a été renforcée, notre industrie a investi plus de 4,6 milliards de dollars dans des activités de R-D conduites partout au Canada. Les compagnies membres de notre association ont, pendant cette période, dépensé sept fois plus en R-D, soit un taux de croissance près du double de celui enregistré aux États-Unis. Pendant la même période, notre industrie a été la seule à financer la recherche médicale au Canada. Nous donnons du travail à plus de 18 000 Canadiens et nous créons près de 25 000 autres emplois indirects, principalement dans le secteur de la R-D. La majorité de ces emplois se retrouvent dans le secteur de la R-D pharmaceutique de haute technologie. Nos compagnies financent d'importants nouveaux travaux de recherche qui prennent la forme d'études cliniques dans les hôpitaux et les universités partout au Canada, ce qui créé des emplois et enrichi le bagage scientifique collectif dans notre pays.

Le renforcement de la protection des brevets a permis à notre industrie de découvrir et de mettre au point ici même au Canada de nouveaux médicaments, mais également d'obtenir des mandats mondiaux de fabrication et de vente. Par contre, il faut que le comité sache qu'il existe au Canada un écart dans le domaine de la propriété intellectuelle, lequel ne cesse d'inquiéter nombre de nos principaux partenaires commerciaux et ce facteur risque d'ailleurs de se retrouver à l'ordre du jour de la prochaine ronde de négociations concernant l'accord sur l'APIC. Cet écart est lié à deux enjeux très précis qui ont été signalés au début de notre exposé, c'est-à-dire les normes de protection des brevets et l'application de ces mêmes normes.

Cet écart est attribuable à la nature unique du secteur pharmaceutique, surtout en raison de la nature exceptionnelle des brevets pharmaceutiques mêmes. Je pourrais ajouter qu'il ne faudrait surtout oublier qu'un nouveau médicament coûte très cher en frais de R-D. Très souvent aussi, un nouveau médicament peut être copié à très bon marché. Une protection de vingt ans que confère un brevet n'équivaut à toutes fins pratiques qu'à une durée de vie utile d'une dizaine d'années, pour la simple raison qu'il faut en moyenne 8 à 12 ans pour qu'un nouveau produit passe par toutes les étapes d'homologation réglementaires, et cela aussi bien au Canada que dans le reste du monde. C'est précisément ce en quoi un médicament est différent de toutes autres inventions brevetées. Chacun de nos principaux concurrents—les États-Unis, les pays de l'Union européenne et le Japon—offrent d'ores et déjà une prolongation de la durée des brevets ou de ce qu'on a appelé les mécanismes de «restauration de la durée des brevets», allant jusqu'à cinq ans, précisément pour reconnaître la nature unique d'un brevet pharmaceutique.

De nombreux autres pays concurrents offrent également une protection prolongée pour ce que l'on appelle «l'ensemble des données» associées à un brevet pharmaceutique, encore une fois dans le but de reconnaître la nature spéciale de cette invention. L'application des droits des brevets peut se révéler ardue, mais elle n'en demeure pas moins essentielle non seulement pour notre industrie, mais également pour les détenteurs de propriété intellectuelle de toutes sortes.

Au Canada, nous avons élaboré des méthodes d'application des droits des brevets en réponse à la situation qui prévaut dans l'industrie canadienne. Toutefois, nos principaux partenaires commerciaux ont soulevé des questions en ce qui concerne à la fois l'efficacité de ces méthodes et leur concordance avec les ententes internationales. Il importe de se pencher sur ces questions si nous voulons assurer l'établissement de normes supérieures et compétitives sur le plan international en matière de protection des brevets pharmaceutiques. En effet, leur résolution favorisera non seulement l'expansion de notre industrie tout en optimisant notre capacité d'innover et d'investir dans la RD et la création d'emplois, mais aussi d'éviter d'éventuels litiges ou désaccords avec nos partenaires commerciaux.

La RD dans notre secteur est une entreprise qui se fait à l'échelle mondiale, et il est important que le Canada participe à cette activité de recherche et de découverte. Lors de l'ouverture d'une usine, récemment, à Mississauga, le ministre de l'Industrie, John Manley, a reconnu l'importance d'établir des normes compétitives. Il a déclaré: «La mesure que nous avons prise en mars dernier pour amender le cadre de réglementation relatif aux brevets pharmaceutiques a permis de raffermir la situation en ce qui a trait à de futurs investissements dans la fabrication au Canada.».

J'aimerais maintenant vous décrire brièvement les défis qui nous attendent. Le récent budget fédéral constitue l'une des plus récentes et importantes étapes visant à accentuer la productivité au Canada et à améliorer le bien-être des Canadiens dans le cadre d'une économie fondée sur la connaissance. Dans un autre discours qu'il a prononcé récemment, M. Manley a déclaré: «L'innovation constitue un facteur déterminant pour la croissance de la productivité, et la propriété intellectuelle donne la mesure de l'innovation.». Nous croyons que l'industrie pharmaceutique innovatrice du Canada peut relever le défi que lui a lancé le ministre.

• 1000

Se doter de moyens pour combler l'écart en matière de protection de la propriété intellectuelle est la clé qui permettra de combler l'écart en matière d'innovation. Pour ce faire, le but ultime que doivent se fixer le Canada et nos partenaires commerciaux internationaux est de relever les défis inhérents à trois facteurs clés qui concernent la propriété intellectuelle: En premier lieu, établir et appliquer des normes supérieures et compétitives sur le plan international en matière de protection de la propriété intellectuelle au moyen de mesures efficaces susceptibles de protéger ces droits prévus par la loi; en deuxième lieu, reconnaître les besoins particuliers en matière de protection intellectuelle pour ce qui est des secteurs industriels, notamment la protection des produits pharmaceutiques, pour lesquels la durée effective du brevet accordée est réduite en raison d'exigences réglementaires aux échelles nationale et internationale; et en troisième lieu, maintenir et tenir à jour les règlements en matière de protection de la propriété intellectuelle compte tenu de l'évolution rapide des progrès technologiques que connaît notre monde moderne.

Ce comité joue un rôle de premier plan pour tout ce qui touche la propriété intellectuelle et tout autre sujet de préoccupation connexe. Il est essentiel que le public comprenne et appuie ces questions fondamentales que sont la libéralisation des échanges, la réglementation en matière d'échanges internationaux, la capacité d'investissement, les droits de la propriété intellectuelle, ainsi que le rôle important que l'OMC est appelée à jouer pour assurer la croissance économique soutenue du Canada en tant que nation commerçante. Les audiences de ce comité et le rapport qui suivra constitueront un apport considérable à la détermination des objectifs prioritaires du Canada et un atout certain pour le succès éventuel de notre pays dans le cadre des futures négociations commerciales multilatérales.

Nous vous remercions. Nous serons maintenant heureux de répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McCool.

Encore une fois, chers collègues, nous avons environ une demi-heure. Je vous prierais donc de vous limiter à cinq ou sept minutes afin que tous puissent prendre la parole.

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai: Merci d'être venu témoigner.

Vous nous avez décrit les trois enjeux qui vous apparaissent les plus importants. À mon sens, ce ne sont là que des déclarations d'intention, ce que j'ai du mal à comprendre. Peut-être les avez-vous communiquées au Comité de l'industrie, ou à un autre.

Rapidement, au sujet de la protection des brevets, vous avez dit qu'une protection de 20 ans ne signifie dans les faits qu'une protection de 10 ans en raison du temps qu'il faut pour commercialiser un produit. Quelle est la durée de la protection à l'étranger? Je crois savoir que, dans certains cas, c'est 17 ans; vous aimeriez jouir d'une protection additionnelle de 5 ans. Peut-être pourriez-vous nous dire quelle est la durée de cette protection aux États-Unis et ailleurs. Combien de temps vous faut-il à partir du point de départ jusqu'à la fin? Combien de temps vous faut-il au total? Vous nous avez parlé de prolongation. J'ignore quelle est la durée totale déjà prévue, mais c'est de cela que vous parlez.

L'autre chose, c'est la mise en oeuvre. Vous parlez de niveaux de mise en oeuvre élevés. J'aimerais que vous nous disiez exactement ce que vous entendez par mise en oeuvre.

Vous pouvez peut-être répondre à ces deux questions.

M. Terry McCool: Merci.

Nous avons un tableau où nous comparons les durées des brevets internationaux. Pardonnez-moi de ne pas l'avoir apporté aujourd'hui, mais chose certaine, nous pourrons le faire parvenir au comité. Les grands partenaires commerciaux du Canada, qui sont membres du G-7, tiennent compte du temps qu'il a fallu pour mettre au point un produit pharmaceutique ainsi que du temps qu'il a fallu pour obtenir l'homologation réglementaire, et ils déterminent alors s'il y a eu des retards excessifs. Si c'est le cas, on demande ce que l'on appelle la restauration de la durée des brevets. Aux États-Unis, on peut ajouter jusqu'à quatre ans de plus. En Europe et au Japon, cela peut aller jusqu'à cinq ans de plus. En fait, la durée de l'exclusivité dans ces grands pays se situe entre 14 et 15 ans. Le Canada ne reconnaît pas cette façon de faire, mais ce sont pourtant les pays contre lesquels nous devons lutter pour attirer des investissements chez nous.

M. Deepak Obhrai: Mais vous avez encore 20 ans.

M. Terry McCool: Nous avons 20 ans...

M. Deepak Obhrai: S'ils ont 15 ans et qu'ils en ajoutent cinq, ça fait 20. Vous avez 20 ans vous aussi.

M. Terry McCool: C'est exact, nous avons 20 ans, mais nous parlons de la durée réelle du brevet, à savoir le temps qu'on a pour le commercialiser. S'il vous faut 10 ans pour l'offrir aux consommateurs, il ne vous reste plus que 10 ans pour le commercialiser au Canada. Aux États-Unis, en Europe et au Japon, on vous donne 14 ou 15 ans. Il y a un écart de quatre ou cinq ans au Canada parce que notre pays ne tient pas compte du fait qu'il faut longtemps pour mettre un produit au point. Il y a aussi un autre élément important dans notre pays, à savoir que l'instance chargée de l'homologation réglementaire est plus lente qu'en Europe, au Japon et aux États-Unis. Cela amoindrit également notre capacité d'attirer les investissements.

• 1005

M. Deepak Obhrai: Et la deuxième chose, c'était...

M. Bernard Houde: Le mécanisme de mise en oeuvre, c'est-à-dire s'assurer d'avoir un mécanisme efficace de mise en oeuvre qui sera la pierre angulaire de la protection des brevets. Au Canada, notre situation est quelque peu différente de celle des autres pays du G-7 ou du G-8.

Sans les règlements actuels établissant des liens avec les brevets, si une entreprise copie notre produit, contourne le brevet et le met en marché, nous nous trouverons coincés dans une situation où nous devrons consacrer deux ou trois ans pour traîner cette entreprise devant les tribunaux afin de corriger la situation, et pendant ce temps nous perdons notre créneau sur le marché, nous perdons des ventes et nous perdons la capacité de réinvestir. Ce qu'on a donc mis au point dans le système canadien, c'est un mécanisme où, avant qu'un concurrent générique puisse commercialiser son produit, ce concurrent doit démontrer qu'il respecte notre brevet ou que notre brevet est invalide. C'est le mécanisme qui a été défini par le Parlement ces dernières années, et c'est un mécanisme qui marche bien quand on l'applique comme il faut.

J'ajoute cela parce qu'il est important de reconnaître que le système actuel se fonde sur une compétence partagée, si vous voulez, entre le ministère de la Santé et le ministère de l'Industrie. Il y a beaucoup de chevauchement qui nécessite une grande coordination.

Au bout du compte, s'assurer que le brevet que l'on reçoit pour un produit pharmaceutique est aussi respecté que le brevet que l'on pourrait recevoir pour un nouvel ordinateur, est essentiel à la croissance de notre industrie. Le mécanisme de mise en oeuvre qui a été mis en place—que nous appelons les règlements établissant des liens avec les brevets—est essentiel si l'on veut assurer cette croissance.

[Français]

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Houde.

Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: J'ai une question toute simple. Il se peut que je ne comprenne absolument rien à la propriété intellectuelle et à la protection que vous voulez. Vous faites trois recommandations: en premier lieu, en deuxième lieu et en troisième lieu, mais j'ai de la difficulté à les cerner. S'il y avait une phrase que vous souhaiteriez que le comité inclue dans son rapport concernant l'industrie des médicaments, quelle serait-elle?

Si j'étais négociateur, je verrais vos trois premières recommandations comme des souhaits plutôt que des demandes concrètes. Concrètement, demandez-vous que la protection soit portée de 20 à 25 ans? Si c'est ça, il faudrait que vous l'écriviez et on partirait avec ça. Donc, quelle phrase souhaiteriez-vous voir dans notre rapport?

M. Bernard Houde: Notre but n'était de venir ici avec des demandes, mais plutôt de commencer un processus de discussion. On a saisi l'occasion pour faire un survol de notre industrie dans le cadre des négociations, celles du passé et celles qui vont s'amorcer.

Pour nous, la chose la plus importante pour le Canada est de reconnaître que l'industrie pharmaceutique est une industrie mondiale et que le Canada fait partie de cette industrie mondiale, mais que pour en avoir une plus large partie et attirer les investissements et les emplois, il doit demeurer concurrentiel avec les autres pays du G-7. Si les États-Unis offrent une protection de brevet de 10, 20 ou 25 ans, le Canada se doit d'en faire autant.

Dans le cas de notre industrie, on n'est plus dans un monde où le Canada peut être différent de l'Angleterre, des États-Unis ou de l'Allemagne. Le Canada devrait plutôt voir à maintenir le même niveau de normes qu'on trouve ailleurs.

Comme vous l'avez dit, nous nous sommes permis, à la page 9, de donner des exemples de choses un peu plus spécifiques. Au fond, cela veut dire que le Canada doit essayer de se maintenir au même niveau que ses partenaires.

M. Benoît Sauvageau: Merci.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Madame Debien.

Mme Maud Debien: J'ai une question supplémentaire. Vous parliez de l'accord sur les ADPIC. Y a-t-il une norme internationale à l'OMC pour la protection des brevets? C'est ce que j'ai de la difficulté à comprendre. Est-ce que la durée de protection des brevets est laissée à chaque pays ou s'il y a, à l'OMC, une norme internationale disant qu'il faut que, dans tous les pays, la durée de la la protection du brevet soit de 25 ans, par exemple? Serait-ce une de vos recommandations?

• 1010

[Traduction]

M. Terry McCool: Au niveau international, il y a ce qu'on appelle les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, lesquels font l'objet d'un accord qui a été signé par les pays membres de l'OMC. Cela signifie que dans chacun de ces pays, il a fallu modifier les lois relatives aux brevets afin qu'elles soient conformes au texte de l'accord. Cet accord est une norme minimale. Ce que nous faisons valoir aujourd'hui, c'est que certains pays, surtout les pays développés, ont dépassé cette norme minimale. Il y a certains pays développés qui ont dû modifier leur loi, modifier leurs règlements, et parfois modifier leurs processus judiciaires pour se conformer au texte de cet accord. Les pays développés ont jusqu'à l'an 2000, et les pays moins développés ont jusqu'à l'an 2005.

Certains très grands pays développés se font tirer l'oreille pour ce qui est de cet accord sur la propriété intellectuelle. C'est un problème pour l'industrie pharmaceutique présente au Canada, en Europe, au Japon et aux États-Unis, mais il s'agit d'un accord qui a été ratifié par tous les gouvernements. Si certains pays ne se conforment pas au texte de l'accord en adoptant les lois, règlements ou processus judiciaires voulus, ils s'exposent à des contestations au sein de l'OMC. Certains ont déjà fait des progrès de ce côté. Le Canada fait actuellement d'une plainte. L'action du Canada a été contestée par l'Union européenne, mais je pense que la plupart d'entre vous êtes au courant. Mais voilà ce qui arrive lorsque les pays ne semblent pas avoir des idées conformes en ce qui concerne le texte de l'accord.

Le président: Le Brésil est-il l'un des pays en voie de développement?

M. Terry McCool: Le Brésil est l'un de ces pays en voie de développement. Il a agi rapidement pour mettre en place un système de protection de la propriété intellectuelle; cependant, il n'a pas agi assez vite pour ouvrir des bureaux des brevets. Les Brésiliens ont commencé à s'en occuper et à modifier leur système judiciaire.

[Français]

Le président: Monsieur Bachand.

M. André Bachand: Je discutais avec Mme Debien de la fameuse entente sur la propriété intellectuelle qui a été signée le 1er janvier 1995. C'est tout nouveau. Dieu merci, le Canada avait pris les devants avant cette entente de janvier 1995 qui, comme vous le savez, est constituée de parties de la Convention de Berne et de celle de Paris. On a mis tout cela ensemble pour en faire une convention.

J'aimerais revenir sur ce que Mme Debien disait. La protection intellectuelle ne porte pas uniquement sur l'aspect pharmaceutique. Il y a aussi la culture. C'est très vaste. Mme Debien et moi-même aimerions savoir quel est le nombre minimal d'années pour les brevets en vertu de cet accord du 1er janvier 1995.

[Traduction]

M. Terry McCool: Vingt.

[Français]

M. André Bachand: Vingt, au niveau de l'ensemble de la propriété intellectuelle. Vous dites aujourd'hui que c'est une norme minimale. Cependant, dans les cas comme celui de l'industrie pharmaceutique, la commercialisation réelle du produit crée une distorsion au niveau de la durée réelle de protection commerciale du brevet. C'est ce que vous nous dites ce matin.

En portant la durée à 25 ans, par exemple, est-ce qu'on irait à l'encontre des différents accords internationaux?

M. Bernard Houde: Cela dépend un peu du produit, de l'endroit où il est dans le processus et du temps qu'il a fallu à ce produit pour passer par le processus d'approbation de la DGPS, au ministère de la Santé, en vertu de la Loi sur les brevets.

Différents pays ont adopté différentes approches pour régler ce problème, mais on trouve un peu partout dans ces pays une reconnaissance du fait que, même si on a une norme minimale de 20 ans, cela ne veut pas dire qu'on a 20 ans sur le marché.

• 1015

Pour tenter d'assurer aux compagnies cette période de 20 ans sur le marché, différents pays ont ajouté trois ans, cinq ans ou sept ans à cette période de 20 ans, selon leur environnement législatif et réglementaire. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui que notre association souhaite une protection de 25 ans, mais je peux vous dire qu'elle souhaite que le Canada examine ces normes, comme d'autres pays l'ont fait, ainsi que l'ensemble de l'industrie pour voir ce qui se passe exactement, à savoir pendant combien de temps un produit est sur le marché et combien d'années de plus il devrait y demeurer. Cela nous aiderait à conserver notre place dans cette industrie mondiale.

En tant que sociétés multinationales, nous sommes en concurrence avec nos filiales. Quand les compagnies mères ont de l'argent à investir un peu partout dans le monde, elles regardent les normes canadiennes et les comparent aux normes allemandes avant de prendre leur décision.

Mme Maud Debien: Et elles investissent là où c'est le plus payant. C'est cela?

M. André Bachand: La Convention de Paris, qui était la base moderne de la protection des brevets, impliquait 27 ou 29 pays très développés et a évolué avec d'autres accords, dont celui de 1995.

Il va falloir faire très attention et différencier les différents types d'industries. En accordant une protection de 25 ans ou en mettant une norme de commercialisation, on risque—passez-vous l'expression—de foutre le bordel dans le domaine des brevets.

Je pense que la question pharmaceutique et médicale présente certaines différences qui peuvent justifier certaines modifications aux réglementations des brevets. Il faudra faire attention de ne pas étendre cela à l'ensemble de la propriété intellectuelle. Je pense que ce serait très, très dangereux.

M. Bernard Houde: À cet égard, le Canada ne peut évidemment pas faire de discrimination entre un secteur et l'autre dans l'application de la Loi sur les brevets, mais vous avez raison de dire qu'on est presque un cas d'espèce. Si d'autres industries travaillent dans les mêmes conditions et font face aux mêmes enjeux, ce sera à elles de faire leurs représentations. Je peux voir où certaines autres industries auraient besoin d'un élargissement de la protection de leur propriété intellectuelle.

Que je sache, depuis presque 10 ans que j'oeuvre dans ce domaine, on est probablement la seule industrie à avoir ce problème, non seulement au Canada mais partout dans le monde. C'est effectivement un peu spécial à cause du fardeau de l'approbation de nos produits, tant du côté des brevets que du côté de la santé.

Le président: Est-ce que la période de 20 ans commence au moment de la demande ou après l'octroi du brevet?

M. Bernard Patry: Au moment du dépôt de la molécule.

Le président: Donc, c'est au moment de la demande. Si, après votre demande, il vous faut trois ans pour obtenir le brevet et trois ou quatre autres années pour obtenir l'approbation des autorités de la santé, cela fait sept ans, et vous ne pouvez bénéficier de votre brevet sur le marché que pendant 13 ans.

M. Bernard Houde: Exactement.

Le président: Le système de patent term restoration est un moyen que d'autres pays ont adopté pour que vous puissiez bénéficier d'une certaine équité...

M. Bernard Houde: Vis-à-vis d'autres industries.

Le président: Merci.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci, messieurs. On a vraiment commencé la discussion sur les questions de restauration de la durée des brevets et on sait que l'entente, telle qu'elle existe actuellement, sera renégociée lors des prochaines négociations de l'OMC.

On sait que l'année passée, au Canada, à la suite de l'adoption de la loi en 1993, on a réexaminé la Loi C-91. On sait qu'il y a actuellement des trous dans nos lois fédérales.

• 1020

J'aimerais aborder le sujet de la restauration de la durée des brevets et de la protection au-delà de 20 ans. On a dit qu'après le dépôt de la molécule, il s'écoule de 8 à 12 ans avant que le produit soit mis sur le marché. Si cela prend 8 ans, on a 12 ans pour le vendre. Si cela prend 12 ans, on a 8 ans. Tout va bien au plan mathématique, mais je voudrais savoir ce qui se passe dans les autres pays du G-8. Ce sont des concurrents de notre industrie pharmaceutique. Comment les autres pays ont-ils réussi à adopter ces mesures de restauration de plus de 20 ans sans que l'OMC ne leur en fasse l'obligation? Ce n'est pas une obligation de l'OMC, n'est-ce pas? Quelles sont les conséquences d'une telle mesure pour ces pays?

Il y a nécessairement des conséquences au plan de la recherche et du développement. On augmente la recherche et le développement dans ces pays-là parce qu'il est beaucoup plus avantageux pour l'industrie d'être là, mais quelles sont les conséquences pour le public? La grande discussion qui est faite ici, au Canada, porte sur le coût pour le public. On sait ce qui est arrivé lorsqu'on a discuté du C-91. Ces pays-là ont réussi à le faire sans y être obligés. Est-ce que tous les pays, qui sont au fond vos concurrents, font cette restauration? Êtes-vous d'accord là-dessus? On a parlé ce matin d'aller jusqu'à 25 ans. Préféreriez-vous qu'on dise à l'OMC qu'on devrait avoir 12 ans ferme après l'acceptation des pays, ou quelque chose de semblable? De quelle façon voyez-vous cela, mais, surtout, quel serait le coût pour la société canadienne à ce moment-là?

[Traduction]

M. Terry McCool: Bien, permettez-moi de répondre à la première partie de votre question.

La restauration de la durée des brevets qui existe en Europe, au Japon et aux États-Unis n'est pas automatique. Il faut faire une demande, et en Europe, on demande ce que l'on appelle un certificat de protection supplémentaire, qui n'est pas nécessairement un brevet; c'est une protection que l'on accorde à un droit qui vous donne l'exclusivité sur le marché pour... Si la longueur des essais cliniques vous ont imposé des retards indus, auxquels on ajoute le temps qu'il a fallu pour obtenir l'homologation réglementaire, vous allez demander une prolongation.

Je peux vous citer l'exemple d'un produit qu'on appelle Prozac, qui est fabriqué par Eli Lilly, qui est très célèbre, parfois trop. Au Canada, le brevet est arrivé à expiration en 1997, après sept ans sur le marché. Ce brevet est encore protégé jusqu'en l'an 2003 aux États-Unis, et 2001 ou 2002 en Europe. Donc, parce que le brevet est parvenu à expiration en 1997, nous n'avons pas pu utiliser les recettes de ce produit au Canada pour financer des projets de R-D dans d'autres secteurs thérapeutiques où nous travaillons. Nous n'avons donc pas profité de ces recettes, alors que nos entreprises en Europe, aux États-Unis et au Japon en ont profité.

Ce n'est qu'un exemple. Mais si nous avions disposé de la restauration de la durée des brevets, nous aurions pu faire une demande, et selon les mérites de notre cause, nous aurions pu obtenir une prolongation de notre brevet.

Maintenant, toute cette question du coût, j'imagine est toujours une arme à double tranchant parce que nous omettons parfois de mesurer la valeur d'une innovation et ce qu'elle peut faire pour atténuer les coûts de santé, soit que les gens sont moins hospitalisés ou que l'on a moins besoin de recourir à des interventions médicales plus coûteuses. Les gens ne tiennent compte que du fait que...

Je pense avoir dit dans mon allocution liminaire qu'il en coûte très cher pour faire des recherches et mettre au point ces médicaments, mais il n'en coûte presque rien pour les copier. Et c'est pourquoi la plupart des gouvernements ont voulu s'entendre sur une certaine durée et ont dit: Nous devons protéger cette activité économique parce que c'est bon pour le développement économique du Canada, et le système de santé de notre pays en profite beaucoup aussi.

Existe-t-il parfois des moyens moins coûteux? Bien sûr que oui. Je pense que c'est la raison pour laquelle les gouvernements ont fixé une certaine durée. Je pense que c'est ce que nous faisons valoir aujourd'hui: Assurons-nous que le Canada est conscient de ce que font les autres pays concurrents afin que nous n'enregistrions pas de retard dans la recherche de l'innovation.

Je pense qu'une conséquence essentielle se produira au Canada... Le Canada a une industrie biotechnologique immense et en pleine croissance, et si nous ne protégeons pas ces innovations, cette industrie va quitter le Canada. Je pense qu'il y a un gros contingent au Québec, et il y a une grosse industrie en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta ces jours-ci.

M. Bernard Patry: Pouvez-vous me dire si tous les autres pays du G-8 ont cette mesure de restauration, ou la trouve-t-on seulement aux États-Unis ou au Japon? Disposent-ils tous aujourd'hui de mesures de restauration?

• 1025

[Français]

M. Bernard Houde: Je ne crois pas que chacun en ait. Les pays les plus importants doivent se demander s'ils en ont besoin. Comme M. McCool l'a dit, ce n'est pas automatique, mais c'est le cas aux États-Unis et dans la plupart des pays d'Asie. Je ne pourrais pas vous dire aujourd'hui, sans vérifier la liste, que chacun des pays a de ces mesures.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Dans quelle mesure ces comparaisons entre pays sont-elles fiables? Ces divers pays fonctionnent très différemment, tant au niveau du processus réglementaire que du système de santé. Le caractère délicat de ce sujet fait l'objet d'un débat politique au Canada, en ce qui a trait aux coûts des soins de santé dont parlait M. Patry.

Je viens de l'Ontario. Vous savez parfaitement bien qu'il y a débat ici entre les fabricants de médicaments non brevetés, etc. Ces questions deviennent alors très politisées, et il est donc très important de les comprendre.

Vous avez parlé de l'Europe et des brevets européens. Tous les membres de l'Union européenne ont ratifié la convention sur les brevets, il existe donc un brevet centralisé pour l'Europe. La règle est une règle européenne; pour ce qui est de cette prolongation, ce n'est pas une règle qui s'applique à un seul pays. Est-ce exact?

M. Terry McCool: Oui, c'est bien une règle européenne.

Le président: Mais au sein de l'Europe elle-même, divers pays auront diverses approches et divers intérêts dans ce domaine. Je sais que la France, par exemple, a un système où l'on achète les médicaments directement—c'est l'État qui intervient et qui achète les médicaments—et qui peut par conséquent les acheter à bien meilleur marché, étant donné qu'il en achète beaucoup, que le simple particulier qui va acheter un médicament au magasin, quelque chose du genre. Donc comment tenir compte de cela lorsqu'on établit des comparaisons et lorsqu'on veut établir le meilleur système qui soit?

Je vous comprends quand vous dites que ce qu'il y a de mieux à faire pour le public canadien, c'est d'avoir un système qui facilite la R-D dans notre pays. On tient compte ensuite des coûts pour le système de santé, etc. Nous voulons tous y voir clair. Voilà pourquoi j'ai un peu de mal avec ces comparaisons parce que je ne connais pas suffisamment chaque système. J'imagine qu'il est très difficile d'établir une comparaison avec l'Europe étant donné que le système britannique est différent du système français, italien, etc.

M. Bernard Houde: Je pense que votre question va droit au coeur du problème que nous voulons expliquer au gouvernement fédéral. Comme l'a dit le Dr Patry, la dernière révision du projet de loi C-91 était très importante dans la mesure où elle nous a permis de régler certains problèmes. Chose certaine, je pense que le comité et le gouvernement ont proposé de très bonnes recommandations et de très bonnes modifications à cette loi qui a permis au Canada de progresser.

Sauf le respect que je vous dois, la question n'est pas tant de savoir si l'Europe ou le Japon a un système que nous voulons imiter. Nous prions le comité de tenir compte de ce que le Canada veut faire. À l'heure actuelle, selon toutes apparences, la position du Canada est celle-ci: il existe des normes minimales et nous allons les respecter. Le Canada touchera probablement plus qu'un rendement minimal sur cet investissement, mais il n'obtiendra pas un rendement supérieur sur cet investissement.

Le gouvernement doit donc tenir compte de l'approche des autres pays en matière de propriété intellectuelle. Les pays signataires de l'OMC ont tous adhéré à une norme minimale de protection en matière de propriété intellectuelle. Selon ce que nous savons, certains en font davantage pour diverses raisons. Nous croyons que le Canada tient là une excellente occasion d'être l'un des pays qui exigent des normes plus élevées étant donné qu'il en profitera.

Nous comparaissons devant vous aujourd'hui à titre de représentants d'entreprises multinationales. Nous vivons dans un environnement compétitif à l'intérieur de nos propres entreprises. Nous savons que l'une des premières questions qu'on nous pose est celle-ci: que peut nous apporter l'environnement canadien? Voilà pourquoi, en tant que pays commerçant, le Canada doit examiner la situation et se demander ceci: comment pouvons-nous exactement tirer le plus grand parti de ces entreprises; quel environnement pouvons-nous leur offrir pour obtenir ces investissements?

• 1030

La restauration de la durée des brevets en est un très bon exemple parce qu'elle est de plus en plus courante. Mais je ne saurais vous dire quel système choisir. Il m'est beaucoup plus facile aujourd'hui de plaider en faveur de la restauration de la durée des brevets.

Le président: Merci beaucoup. Voilà qui est très utile.

C'est une première pour notre comité. Nous avons réussi à faire le tour d'une question, question pourtant compliquée. Mais nous avons déjà vécu ce genre de chose auparavant, monsieur McCool, avec le projet de loi C-91 et quelques autres questions.

Allez-vous nous faire sauter notre horaire? Nous allons faire une pause de cinq minutes, mais prendrons-nous seulement cinq minutes, chers collègues?

[Français]

Cinq minutes, c'est cinq minutes.

[Traduction]

Soyez de retour à 10 h 35.

[Français]

J'invite les représentants du Réseau québécois sur l'intégration continentale à prendre place.

• 1031




• 1049

Le président: Nous recevons maintenant les représentants du Réseau québécois sur l'intégration continentale. Merci beaucoup d'être venus. Je m'excuse de la confusion en ce qui a trait à l'heure de la réunion.

On a prévu une heure pour vous entendre. Si vous pouviez faire votre présentation en 15 ou 20 minutes, nous aurions 40 minutes pour la période de questions. Ce serait l'idéal, mais vous avez deux mémoires assez impressionnants, même un peu terrifiants. On va les lire pendant le week-end. M. Bakvis, qui était ici hier, a déjà eu la chance de nous convaincre de ses points de vue.

Est-ce vous qui allez commencer, monsieur Lanctôt?

M. Yves Lanctôt (Réseau québécois sur l'intégration continentale): Oui.

• 1050

Si vous me le permettez, je vais d'abord vous présenter mes collègues. Ce sont Catherine Saint-Germain de l'Association canadienne des avocats du mouvement syndical; Patrice Laquerre du Centre québécois du droit de l'environnement, qui prendra aussi la parole tout à l'heure; Peter Bakvis de la CSN, que vous avez déjà rencontré hier; pour ma part, je m'appelle Yves Lanctôt et je suis de la Centrale de l'enseignement du Québec.

Je vais d'abord vous dire quelques mots sur le Réseau québécois sur l'intégration continentale. Il s'agit de la plus importante coalition québécoise qui se consacre à l'intégration continentale et la deuxième en importance au Canada à se pencher sur cette question-là. Le réseau regroupe des organisations syndicales, entre autres la CSN, la FTQ et la CEQ, des organisations populaires comme Solidarité populaire Québec, des organisations de coopération internationale comme Alternatives, l'AQOCI, l'Association québécoise des organismes de coopération internationale, ou le CISO, le Centre international de solidarité ouvrière. Il y a aussi des groupes environnementaux, comme le Réseau québécois des groupes écologistes, et des centres de recherche comme le Groupe de recherche sur l'intégration continentale de l'Université du Québec à Montréal ou le Centre d'étude sur les régions en développement de l'Université McGill. Donc, je pense qu'on peut affirmer que le RQIC est vraiment représentatif de l'ensemble des groupes québécois qui s'intéressent de près aux accords de libre-échange auxquels participe le Canada.

Le réseau existe depuis 1991, alors que se déroulaient les négociations qui ont mené à la signature de l'ALENA. Depuis ce temps, il a développé des liens et des échanges avec plusieurs organismes semblables au Canada, au Mexique, aux États-Unis, au Brésil et au Chili, pour ne nommer que ces pays. Il a aussi participé à plusieurs conférences internationales et il est membre du groupe de coordination de l'Alliance sociale continentale.

Il est important de préciser que le RQIC ne s'est jamais opposé à l'idée que le Canada puisse négocier et conclure des accords de libre-échange. On peut aussi affirmer qu'on a toujours eu une approche qu'on a voulu constructive, qui vise d'abord à ce que les accords conclus soient les meilleurs possibles pour tous les secteurs concernés et que ces accords respectent les droits fondamentaux des citoyens et citoyennes canadiens.

C'est pourquoi on pense qu'il est essentiel que les négociations qui visent la création de la Zone de libre-échange des Amériques respectent un certain nombre de conditions. Tout d'abord, il faut prendre en compte les variables qui sont liées à l'environnement, aux droits sociaux et aux droits du travail. À ce sujet, les accords parallèles de l'ALENA sur l'environnement et sur le travail sont des preuves que les accords commerciaux semblables ne peuvent pas exclure les variables environnementales et sociales.

Le RQIC a d'ailleurs développé avec d'autres groupes ce que nous avons convenu d'appeler Des alternatives pour les Amériques, dont vous avez reçu quelques exemplaires. On espère que vous en tiendrez compte et que vous tiendrez particulièrement compte des recommandations qu'on y retrouve. À ce sujet, je vais laisser mon collègue Patrice Laquerre vous faire une brève présentation.

M. Patrice Laquerre (Réseau québécois sur l'intégration continentale): Bonjour. Ce document a pris sa source dans une consultation tenue lors du Sommet populaire des Amériques à Santiago, en avril 1998, le sommet parallèle qui eu lieu en même temps que le sommet officiel. C'était un forum sur les alternatives. Des gens de différents pays se sont rencontrés et ont commencé à élaborer un document de travail auquel différentes coalitions nationales et différents groupes d'intérêt travaillent toujours pour essayer de proposer des alternatives constructives pour les Amériques.

Le document est divisé en 11 chapitres qui traitent de différents thèmes: les principes généraux; les droits humains; l'environnement; le travail; l'immigration; l'État-nation; les investissements étrangers; les finances internationales; les droits de propriété intellectuelle; le développement énergétique durable; l'agriculture; l'accès aux marchés et les règles d'origine; et les mécanismes d'exécution et de règlement des différends.

Je ne vous donnerai pas le détail du document, étant donné qu'on vous en a laissé des copies. Je voudrais seulement vous présenter quelques recommandations ou quelques principes directeurs pour vous donner une idée de l'orientation de ce document. Je vous demanderais de vous reporter au chapitre sur l'environnement, à la page 20.

Dans les principes directeurs, on dit:

    La prépondérance des accords environnementaux signés par les gouvernements devrait être établie dans le cadre des négociations sur le commerce et l'investissement et des accords qui en découleront.

Donc, un des fils conducteurs de ce document est que les accords internationaux, non seulement les accords parallèles comme ceux sur l'environnement et le travail, mais aussi les accords internationaux dans les différents domaines, devraient avoir prépondérance sur les accords de commerce.

• 1055

Un autre principe directeur est celui-ci:

    La qualité de l'environnement doit être une priorité clé. Les pouvoirs publics doivent établir des limites sociales et environnementales à la croissance en fonction de la durabilité écologique et de l'équité sociale.

Voici un autre principe:

    Les accords commerciaux internationaux et les États-nations doivent élaborer des plans pour l'internalisation graduelle des coûts environnementaux et sociaux découlant de la production et de la consommation non durables.

Dans l'éventualité où cette démarche entraînerait une hausse des prix, il faut prévoir des mécanismes d'ajustement.

On parle aussi d'une dette écologique, qui devrait faire faire l'objet de négociations en vue d'accords internationaux, pour qu'on puisse établir un équilibre entre les pays qui ont trop payé au niveau environnemental et les autres.

On parle aussi d'adopter le principe de précaution qui, en matière environnementale, stipule qu'en cas de doute, on adopte une approche prudente. Ce principe devrait guider les accords internationaux.

On parle d'éviter le dumping social et écologique et on prévoit aussi des mesures concrètes dans les domaines de l'énergie, de la foresterie, de l'exploitation minière et de la biodiversité. Donc, c'est un document assez exhaustif.

Si vous avez des questions ayant trait à des chapitres particuliers, nous pourrons y répondre. Merci.

M. Yves Lanctôt: Je disais qu'une des conditions pour que la négociation réussisse est qu'on tienne compte des éléments qui viennent de vous être exposés.

Une autre condition de la réussite des négociations est la mise en place d'un processus de consultation qui soit rigoureux et sérieux, tant au Canada que dans les autres pays concernés par ces négociations. À ce sujet, on doit exprimer une certaine insatisfaction. Il est un peu malheureux qu'on doive l'exprimer devant un comité qui a accepté de nous recevoir, ce qui revient à dire qu'on réprimande les gens présents à une réunion où il y a des absents, mais c'est l'endroit qui nous est fourni pour exprimer cette insatisfaction.

On comprend mal qu'une négociation qui touche autant de domaines d'intervention, qui ne touche pas seulement le commerce, ne considère, dans son processus officiel, que le point de vue du monde des affaires. Les pays concernés par la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques ont reconnu le forum de l'entreprise privée, mais refusent de reconnaître le forum des organismes syndicaux et sociaux, qu'on pourrait appeler le forum de la société civile. Pourtant, nos expertises sont nombreuses, que ce soit en éducation, en santé, en droit du travail, en droits sociaux, etc., et elles portent sur des domaines qui sont tout aussi importants que ceux auxquels s'intéressent les gens d'affaires. On demande donc une reconnaissance qui soit égale à celle qui leur est accordée.

Un processus de consultation exige aussi que toute l'information pertinente soit disponible, ce qui n'est pas le cas actuellement. Comment peut-on se prononcer sur des résultats non déclarés de rencontres qui sont pratiquement secrètes? Comment peut-on participer de façon efficace et utile sans connaître les enjeux réels? La société civile doit pouvoir suivre la négociation. Elle doit pouvoir y intervenir et pouvoir l'influencer.

Bien sûr, intégrer la société civile à une négociation, c'est prendre un certain risque, le risque que des partenaires soient amenés à faire certains compromis. Quand je dis cela, je parle autant de la société civile que des autres partenaires. C'est aussi prendre le risque de s'aliéner éventuellement la société civile, selon les voies qui sont suivies ou les recommandations qui sont déposées. Par contre, rejeter la société civile dès le départ, c'est se l'aliéner dès le départ. Je ne crois pas que ce serait profitable à quelque partie que ce soit.

La consultation exige aussi que des audiences publiques soient tenues régulièrement, des audiences comme celles-ci ou d'autres types d'audiences. Dans ce cas-ci, on peut applaudir l'initiative du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce et on espère évidemment qu'elle sera répétée.

On espère aussi connaître les résultats, autant de cette consultation que de la consultation qui est menée en parallèle par le ministère et par les gouvernements des autres pays touchés par la négociation. On espère aussi que les points de vue exprimés lors de ces consultations seront livrés de façon juste et impartiale.

• 1100

Enfin, nous vous remercions de nous avoir fourni l'occasion de nous exprimer. Malheureusement, comme vous pouvez le constater, nous ne pouvons présenter que de façon très générale les intérêts que nous défendons. Nous espérons avoir, dans un avenir rapproché, l'occasion de faire une présentation sur des éléments précis de la négociation en cours. L'un des éléments les plus importants que nous devons souligner, c'est que le fait de ne pas être associés nous empêche de nous prononcer sur des éléments précis. Par exemple, nous pourrions poser nos questions à la réunion des ministres du commerce qui aura lieu à Toronto en novembre prochain.

Est-ce que nous saurons ce que le Canada déposera lors de cette conférence? Est-ce que nous saurons ce que le Canada défendra? Est-ce que nous pourrons nous prononcer sur ce qui sera proposé à cette conférence? Est-ce que des rapports seront rendus publics, sur lesquels nous pourrons aussi nous prononcer pour préparer la suite de la négociation? Merci.

Le président: C'est tout? Nous allons donc passer à la période de questions.

[Traduction]

Monsieur Obhrai.

M. Deepak Obhrai: Merci d'avoir accepté notre invitation et de nous avoir fait part de votre point de vue. J'ai jeté un coup d'oeil sur votre mémoire. J'ai quelques observations à faire.

Ma perspective est celle d'un homme qui a vécu dans un pays du tiers monde. J'ai été à même de mesurer les effets des politiques sur lesquelles bon nombre d'entre vous vous prononcez aujourd'hui. J'ai vu, malheureusement, des niveaux de vie fléchir à plusieurs égards. J'ai vu des gens s'appauvrir. Ils se sont appauvris parce que leur environnement n'était pas propice à l'essor de l'entreprise. Cet environnement n'existait pas parce qu'il n'y avait pas de libre circulation des biens. Ces économies s'étaient fermées. Ces pays avaient imposé des tas de restrictions.

Je ne dis pas que ces choses ne sont pas importantes. Je ne dis pas que les droits de la personne ne sont pas importants. Je crois au contraire qu'ils sont très importants. Je pense que ces pays des Amériques dont vous parlez doivent se développer à partir de ce que j'appellerais probablement des institutions indépendantes. Ces institutions—le législatif, le judiciaire, l'exécutif—doivent être indépendantes, de telle sorte que lorsque des changements politiques s'opèrent, ils ne nuisent pas à l'ensemble de la situation économique.

Sur le marché canadien d'aujourd'hui, j'ai vu, pour avoir voyagé avec des gens d'affaires, que de plus en plus de petites et moyennes entreprises s'implantent sur le marché mondial. Vous parlez aujourd'hui de multinationales. Je ne suis pas un grand partisan des multinationales. Je peux comprendre que le désir du profit vous amène parfois à nous signaler ces nombreuses situations dont vous avez parlées aujourd'hui. Mais il y a un autre aspect qui émerge, et c'est celui de la petite et moyenne entreprise. Les gens du monde en voie de développement et dans des Amériques en ont besoin. Ils en ont besoin pour échapper à la pauvreté.

Il est malheureux de voir qu'après 25 ans, soit l'époque à laquelle j'ai quitté ces pays, le niveau de vie baisse. Vous avez parfaitement raison de dire ici que le niveau de vie baisse. Ce niveau de vie a baissé non pas à cause des situations que vous dénoncez mais parce qu'il n'y existe pas d'environnement favorable à l'entreprise.

Je pense que le Canada a un rôle essentiel à jouer. J'irais même jusqu'à dire que l'accord que nous nous apprêtons à signer est l'un des meilleurs incitatifs économiques qui soient pour ces pays qui veulent hausser leur niveau de vie. Ce qui m'intéresse, c'est hausser le niveau de vie des pauvres et non parler des profits des riches. L'essor du commerce dans ces pays profite aux pauvres et à la classe moyenne. J'ai donc des réserves à propos de certaines questions que vous soulevez aujourd'hui.

J'aimerais que vous songiez à cet aspect aussi, sur ce qui se passe au niveau de la mondialisation—la petite échelle, l'échelle moyenne, et enfin la hausse du niveau de vie de la population. Je veux aussi que vous compreniez qu'il faut dire à ces gouvernements que tant qu'ils n'auront pas créé d'institutions indépendantes, ça ne marchera pas. Même l'entreprise ne décollera pas. Car dès qu'il y a un changement politique, c'est toute la société qui est touchée étant donné que les institutions indépendantes ne sont nullement protégées. C'est la voie à suivre.

• 1105

[Français]

M. Peter Bakvis (Réseau québécois sur l'intégration continentale): Puis-je répondre?

Le président: Oui, d'accord.

M. Peter Bakvis: Nous partageons les préoccupations du député, qui sont de promouvoir le développement économique des pays du Sud. J'aimerais insister sur le fait que ce document, comme on l'indique à la page 2, est une production conjointe de notre réseau au Québec, d'un réseau du Canada anglais, d'un réseau des États-Unis, d'un réseau du Chili et d'un réseau du Mexique qui représentent sensiblement les mêmes intérêts. La participation du Mexique à ce document a été très importante. Les préoccupations du Sud s'y retrouvent. C'est le fruit d'un exercice Nord-Sud auquel j'ai participé de près et qui a été pour moi une expérience très riche sur le plan personnel. On a tenté de trouver des positions communes avec des gens de différents pays qui sont à différents niveaux de développement.

Les gens du Mexique insistaient sur le fait que l'ouverture des frontières sans aucune sorte de balises avait fait augmenter le commerce, mais avait aussi entraîné la détérioration des conditions dans lesquelles vivent les gens. Nous avons un accord de libre-échange avec les Mexicains depuis le 1er janvier 1994. Il y a eu la crise du peso. Les salaires réels des gens, qui étaient déjà très pauvres, ont diminué de 40 p. 100 depuis 1994. Beaucoup de petites et moyennes entreprises ont été éliminées au profit de certaines grands entreprises multinationales. Donc, nous partageons la préoccupation qu'exprime le député de créer un espace de développement dans lequel des entreprises nationales de plus petite taille puissent se développer et créer des emplois et de la richesse.

Le temps nous manque pour aller dans les détails, mais c'est certainement une préoccupation. Il ne s'agit pas du tout d'un modèle que nous, les gens du Nord, avons voulu imposer aux gens du Sud; ils ont participé à cet exercice avec nous.

Je pourrais aussi vous mentionner qu'il s'agit, comme on le dit bien, d'un document de travail qui est en constante évolution. Nous sommes déjà en train de préparer une troisième édition—vous avez la deuxième entre les mains—, et il y a encore plus de participation du Sud, particulièrement du Brésil, où il s'est créé un Réseau sur l'intégration continentale en décembre. Le Brésil, qui est le plus grand pays d'Amérique latine, est maintenant très impliqué dans la révision de ce document en vue d'une troisième édition qu'on veut préparer pour le mois d'octobre prochain.

[Traduction]

Le président: Il vous reste à peu près une minute.

M. Deepak Obhrai: J'ai une minute.

Je voulais seulement que vous, qui nous avez soumis ce mémoire, compreniez l'importance du libre-échange pour ces pays. M'inspirant de ma perspective et de mon expérience, je veux vous dire que c'est la meilleure façon de progresser sur le plan économique—d'aider les pauvres de ces pays. Quand vous rédigez ces mémoires et toutes ces choses, vous auriez intérêt à être un peu plus prudent et à ne pas imposer trop d'obstacles au libre-échange parce que c'est le véhicule de la prospérité pour les pauvres—et je le répète, pour les pauvres—dans ces pays.

[Français]

Le président: Je considère ça comme une observation plutôt que comme une question.

Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bonjour, madame; bonjour, messieurs.

Monsieur Lanctôt, vous avez posé comme prémisse, lors de votre première intervention, que dans le cadre de la ZLEA, il fallait absolument que la société civile soit partie prenante «à la formulation, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des politiques sociales et économiques du continent». Tout de suite après, vous avez dit qu'on avait refusé à la société civile de tenir un forum parallèle, semblable au forum des affaires. On vous avait refusé ce forum.

• 1110

J'aimerais savoir quelle était la position du Canada face à cette demande d'obtention d'un forum parallèle et quelles raisons on a invoquées pour vous refuser ce forum parallèle.

M. Yves Lanctôt: M. Bakvis possède une plus longue expérience à cet égard.

M. Peter Bakvis: Des forums se sont tenus parallèlement, notamment au sommet ministériel qui a eu lieu à Belo Horizonte au Brésil, au mois de mai 1997, qui préparait le sommet des chefs d'État et de gouvernement qui a eu lieu en avril 1998 à Santiago, où il y a eu aussi un sommet parallèle. Nous cherchions une reconnaissance au même titre que le forum de l'entreprise privée. Le forum de l'entreprise avait accès à l'ensemble de l'ordre du jour dont on discutait aux conférences. Ses avis étaient reçus et déposés officiellement. Les nôtres ne l'étaient pas.

Je dois dire qu'on a eu des rencontres avec les délégués canadiens. Je ne crois pas que le Canada était parmi ceux qui s'y opposaient le plus. La délégation canadienne a fait preuve d'une certaine réceptivité à l'idée que les recommandations issues de nos délibérations puissent aussi être reçues. Par exemple, à Santiago, une rencontre avec M. Axworthy a eu lieu, ainsi que des rencontres à d'autres niveaux, à Belo Horizonte.

Le problème est qu'on fonctionne par consensus. À 34 pays, il est parfois difficile d'arriver à des consensus. Je déplore qu'on ait permis, lors de ces deux sommets, à quatre ou cinq pays de dicter la ligne de conduite de 34 pays. Je pourrais vous les nommer, mais cela n'ajouterait rien. Ce ne sont pas des pays qui se démarquent par une performance absolument fantastique au niveau du respect des droits humains, du fonctionnement démocratique, etc.

Si on doit toujours s'appuyer sur le dénominateur commun le plus bas, on n'ira jamais de l'avant. Si on avait permis à Mme Thatcher de dicter la ligne de conduite à l'Europe, on n'aurait jamais eu l'espèce de construction sociale qu'on a connue en Europe. Finalement, on a dit aux Anglais: «On va construire l'Europe à 14; lorsque vous serez prêts, vous viendrez.» Ils sont venus 15 ans plus tard. Ce serait peut-être une suggestion à envisager. Si on ne peut pas arriver à un consensus à 34, et si 29 ou 27 pays s'entendent pour mettre en place un véritable processus de consultation et de reconnaissance de la société civile, eh bien, qu'on le fasse à 27. Je suis convaincu que le Canada sera le chef de file de ces pays. Jusqu'à maintenant, on n'a pas eu de signal contraire.

M. Yves Lanctôt: Dans ma présentation, par rapport à cet aspect, j'avais inclus les autres pays pour ne pas viser spécifiquement le Canada, qui ne méritait pas d'être visé à cet égard. Il serait important que le Canada soit un chef de file.

Sur la scène internationale, au cours des dernières années, le Canada a fait la démonstration qu'il pouvait avoir une attitude plus ouverte que plusieurs autres pays, particulièrement quant à la diversité d'opinions. Le Canada peut donc jouer un important rôle de leadership auprès des autres pays.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Mesdames et messieurs, bonjour et soyez les bienvenus parmi le groupe.

En ce qui concerne le rôle que vous voulez jouer comme société civile, vous avez dit que le Canada ne méritait pas de mauvaises notes pour son implication de la société civile. Je sais qu'au Costa Rica, il a travaillé très fort pour inclure un comité d'étude sur la société civile. Je disais hier que je n'avais pas ma carte de membre du fan-club de Sergio Marchi, mais il faut quand même rendre à César ce qui appartient à César.

• 1115

Souhaitez-vous que ce comité d'étude sur la participation de la société civile vous donne les mêmes privilèges et le même processus de consultation qu'on donne aux gens d'affaires, ou si, étant donné que vous n'avez pas les mêmes moyens—c'est un préjugé—, vous voulez un processus différent? Voulez-vous le processus qu'on a accordé aux gens d'affaires ou un processus différent? Indirectement, à quelle conclusion souhaitez-vous que ce groupe d'étude arrive?

Concernant le manque de... C'était votre question? Je m'excuse.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Benoît Sauvageau: Je vous aime quand même, madame Folco.

Concernant le manque de consultation, je voudrais vous dire que les parlementaires vivent très souvent les mêmes frustrations, parce que ce sont les négociateurs qui négocient. Il y a ce comité-ci, mais on doit parfois faire les mêmes remarques que vous. Pensez-vous que les parlementaires de la Conférence parlementaire des Amériques pourraient vous appuyer substantiellement dans ce que vous tentez de mettre en place? Croyez-vous important de maintenir forte cette Conférence parlementaire des Amériques? Ce sont mes deux questions. Je suis sûr que Mme Folco voulait aussi poser la deuxième.

Mme Raymonde Folco: Cela, c'est sûr.

Le président: Comme vous le voyez, monsieur Bakvis, ici on procède par consensus et on n'a jamais eu de difficulté.

M. Peter Bakvis: Vous n'êtes pas 34.

M. Yves Lanctôt: Concernant votre première question, nous désirons être considérés au même titre que les gens d'affaires. Par contre, là où il y aurait probablement un effort particulier à faire, c'est dans certains pays du Sud où les organismes ont beaucoup plus de difficulté qu'au Canada à élaborer et à faire connaître leurs opinions. Il y a peut-être un effort financier qui peut être fait pour leur venir en aide à cet égard.

M. Benoît Sauvageau: Et sur la COPA? Les parlementaires peuvent vous aider dans...

M. Peter Bakvis: Oui, tout à fait. J'ai été observateur à la conférence à Québec et je sais qu'il y a eu un certain suivi depuis. Je ne connais pas le résultat concret, mais je crois qu'à la COPA, des sentiments comme ceux que nous ressentons ont été exprimés, mais par des gens comme vous, des gens qui ne font pas partie du pouvoir exécutif, mais qui sont des parlementaires, qui, normalement, devraient avoir accès à ces choses autant que nous, sinon plus, et qui se trouvaient autant exclus que les membres de la société civile.

Je crois que nos propositions ont une plus grande transparence et sont plus démocratiques. Évidemment, cela touche aussi les parlements nationaux. Nous disons à quelques endroits dans le document qu'il est nécessaire que les parlements, et pas uniquement le pouvoir exécutif, puissent avoir leur mot à dire dans le déroulement de ces négociations.

Le président: Merci.

Monsieur Bachand.

M. André Bachand: J'aimerais dire que le document est très, très complet et couvre un éventail de sujets très importants. On y présente notamment certaines suggestions concernant le fameux blé stérile dont on parle depuis le début de la semaine.

Mme Maud Debien: À la page 44.

M. André Bachand: Aux pages 44 et 45, Raymonde, tu trouveras toutes les réponses à tes questions, ou presque, ou des éléments de solution.

Je n'ai pas eu le temps de lire tout le document et j'ai deux questions. Dans ce que j'ai pu lire du document, je n'ai vu aucune mention de l'exemption culturelle au sens où on l'entend dans les débats qui sont présentement en cours au Canada et au Québec. J'ai feuilleté très rapidement le document. Pouvez-vous me dire si on y parle de l'exemption culturelle? Je regardais le chapitre sur les droits de propriété intellectuelle. On n'y parle pas de la question de la fameuse exemption culturelle.

• 1120

Concernant les droits de propriété intellectuelle, nos invités de l'industrie pharmaceutique nous ont parlé ce matin de la loi de protection de la propriété intellectuelle qui est en vigueur au Canada. Éprouvez-vous beaucoup de problèmes face à l'entente qui a été signée en janvier 1995, qui établissait des normes minimales au niveau de la propriété intellectuelle, l'accord sur les ADPIC qui faisait suite aux conventions de Paris, de Berne, etc.? Est-ce que cela vous pose des problèmes particuliers?

De plus, si je comprends bien, vous avez énormément de réserves par rapport à C-91, qui est la loi sur les brevets pharmaceutiques au Canada. C'est une question que je vous pose.

Les pages 44 et 45 sont très intéressantes. Vous y faites de très bons commentaires. Je ne suis pas nécessairement d'accord sur tout ça, mais on y soulève beaucoup de questions que les parlementaires se posent depuis quelques jours. C'est très bien fait.

À la page 44, par exemple, on dit:

    Enjoindre les titulaires de brevets pharmaceutiques d'accorder obligatoirement des licences aux fabricants de médicaments génériques.

On dit qu'on pourrait garder C-91, mais y prévoir une licence. Les fabricants de médicaments génériques ne pourraient pas entrer librement sur le marché; ils auraient besoin d'une licence. Les médicaments génériques se vendent moins cher. Cela dépend des pharmacies et des médecins, monsieur Patry.

Le président: Tel est le débat.

Qui veut commencer? Monsieur Bakvis.

M. Peter Bakvis: En effet, l'exemption culturelle n'est pas mentionnée comme telle. Je prends vos commentaires comme une suggestion pour la révision du texte que nous sommes en train d'effectuer. Nous en traitons de façon un peu générale dans le chapitre sur le rôle de l'État, le chapitre 8.

On y mentionne de façon assez large que, pour des questions d'identité, les pays devraient avoir le droit de réserver certains secteurs de la propriété nationale ou de mettre certains obstacles à la protection extérieure. C'est ce qui se rapproche le plus de cette exemption culturelle. Alors que l'exemption culturelle préoccupe fortement le Canada, elle n'est pas traitée du tout de la même façon par les Mexicains ou d'autres.

M. André Bachand: Je soulevais cette question parce qu'on en a beaucoup parlé dans nos rencontres précédentes. Hier, les gens de la SOCAN et de l'ADISQ disaient qu'on avait besoin d'alliés. Ici, au niveau des discussions de la Zone de libre-échange des Amériques, avec des clauses comme celle-là, on pourrait avoir des ennemis en Amérique, mais cela aiderait sûrement le Canada à protéger son industrie, ses services et son identité culturelle, surtout au Québec, bien sûr.

M. Peter Bakvis: Encore une fois, j'insiste sur ce qu'on vous a dit, à savoir qu'il s'agit d'une oeuvre collective de plusieurs réseaux, mais c'est sûrement une chose dont on pourrait parler plus explicitement lors de la révision.

Pour ce qui est de toute la question de la propriété intellectuelle et des brevets, il y a effectivement une critique assez explicite de ce qui a été mis en place pour les brevets pharmaceutiques, qui s'applique maintenant au Mexique et au Canada et qui, quant à nous, a eu quelques résultats plutôt négatifs. Qu'on pense aux prix des médicaments, par exemple. On craint que cela puisse créer un précédent dans d'autres domaines. Une préoccupation très forte, particulièrement dans le Sud, est la question du brevetage des formes de vie.

• 1125

M. Patrice Laquerre: Il y a certaines compagnies qui ont des brevets sur des gènes humains ou des gènes végétaux. Ce ne sont pas nécessairement des formes qui sont créées. Ce sont des formes qui existent dans la nature, et les compagnies s'approprient des brevets sur ces formes de vie.

M. Bernard Patry: Merci.

Mme Maud Debien: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Patrice Laquerre: Non, ce sont des produits qui existent à l'état naturel. Par exemple, quand une compagnie qui fait de la recherche dans la forêt amazonienne trouve une plante ayant une propriété médicinale intéressante, elle peut s'approprier le droit de propriété de cette plante.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: J'ai plusieurs questions à vous poser. La première porte sur la société civile, mais il y a déjà des éléments de réponse qui ont été apportés. Il y a aussi les ONG qui travaillent dans les pays. Je vais peut-être aborder cela de façon différente.

En ce qui concerne l'importance des ONG, il y a évidemment des ONG qui viennent des pays occidentaux—je dis bien occidentaux et non pas développés—qui sont forts, organisés, structurés, etc. Il y a aussi un certain nombre d'ONG qui viennent de pays en voie de développement et qui sont faibles et peu organisés. Vous avez dit tout à l'heure qu'il serait bon de leur apporter une aide financière. Je me demande s'il y aurait d'autres choses qu'on pourrait faire, compte tenu du fait que, parce que les ONG des pays développés sont plus présents, cela tend à déséquilibrer l'influence que les pays occidentaux peuvent avoir sur les négociations. C'est ma première question.

Deuxièmement, pour la première fois, je vois enfin que quelqu'un s'est attardé sur le rôle des mouvements de population, c'est-à-dire l'immigration. Comme il se trouve que l'immigration est un sujet qui m'intéresse au plus haut point, j'aimerais vous entendre dire quelque chose sur l'immigration du point de vue canadien. Les huit points que vous avez présentés aux pages 29 et 30 me semblent refléter le point de vue des pays d'Amérique latine, qui regardent les États-Unis, mais je trouve que le rôle du Canada, sa présence et sa façon de faire par rapport à l'immigration sont plutôt absents dans ces huit points. J'aimerais que vous puissiez élaborer un peu là-dessus. Merci.

M. Yves Lanctôt: En ce qui concerne les ONG, il faut dire que les groupes qui ont le moins de moyens dépensent une énergie absolument incroyable uniquement à tenter de se faire entendre. Déjà, le fait d'avoir une place où il peut être entendu donne à un ONG une certaine quantité d'énergie pour l'élaboration de certains dossiers. C'est un rôle qui doit être joué par toutes les parties. Par exemple, c'est un rôle que notre réseau peut jouer pour aider certains groupes québécois qui ont plus de difficulté. C'est aussi un rôle que jouent les réseaux semblables dans d'autres pays pour venir en aide à leurs associés qui sont moins fortunés. C'est un rôle qui doit aussi être joué par les gouvernements afin de faciliter leur participation. Les gouvernements doivent aussi leur apporter une aide financière.

Je vais laisser Peter poursuivre.

M. Peter Bakvis: Les ONG varient beaucoup de pays en pays. Nos différents organismes font du travail de coopération avec les pays d'Amérique latine. Mon organisme bénéficie d'ailleurs de subventions de l'ACDI pour le faire, et je pense que c'est aussi le cas du réseau des environnementalistes de Patrice.

Dans certains pays, la communauté des ONG, y compris les syndicats si on veut aller jusque-là, est très forte. Dans un pays comme le Brésil, qui est fort et structuré, on a des besoins financiers, mais on peut se faire entendre sur le plan national. Dans d'autres pays, la communauté est forte et exerce beaucoup d'activités et a peut-être besoin d'appui financier, mais elle n'est pas considérée comme un interlocuteur légitime. L'exemple classique qu'on peut donner est celui du Mexique, où on refuse de consulter les groupes qui ne font pas partie de l'appareil du parti. On sait que jusqu'à il y a quelques années, il y avait un parti unique.

• 1130

Il y a une troisième catégorie de pays, surtout les plus petits pays, où on manque de tout. C'est là que les efforts de coopération sont importants au niveau de l'aide financière, mais aussi au niveau des conseils et de la coopération technique de toutes sortes. C'est le cas de toute la région de l'Amérique centrale, par exemple. Quand on parle de syndicats, d'organisations de femmes ou d'ONG de toutes sortes, on constate qu'il y a vraiment une absence. Là-bas, il faut aider les gens à bâtir des ONG avant qu'ils puissent s'impliquer dans le processus d'élaboration d'un document comme celui-ci, par exemple.

Sur la question de l'immigration, vous avez tout à fait raison de dire que les préoccupations exprimées ici sont surtout des préoccupations d'autres pays. Ce chapitre a été une production mexicaine et il a été écrit du point de vue des immigrants latino-américains aux États-Unis, qui font de plus en plus face à différentes sortes de discrimination. Le point de vue spécifiquement canadien n'est peut-être pas aussi apparent qu'on le souhaiterait. Par contre, je crois qu'on peut souscrire à tous les principes. Dans certains cas, ils sont déjà appliqués au Canada.

Mme Raymonde Folco: Le point 5 en particulier. Qu'en est-il de la participation des ONG à la politique?

M. Peter Bakvis: Déjà, on répond très bien à cette question. Dans certains cas, on mentionne certains problèmes au niveau du... Au point, 2 notamment, je pense qu'il y a de la place pour le Canada. C'est le problème de l'obtention du visa afin de pouvoir circuler. Pour les gens du Sud, il est très difficile de circuler actuellement vers les États-Unis et vers le Canada, cela pour toutes sortes de raisons. Il faut se conformer à des critères de sélection très stricts. Bien sûr, les gens du Sud voudraient qu'il y ait un certain assouplissement de ce côté-là. Cela touche autant le Canada que les États-Unis.

Mme Raymonde Folco: Je voudrais ajouter une phrase, si vous me le permettez, monsieur le président.

Le président: Une seule phrase.

Mme Raymonde Folco: Compte tenu des remarques que vous venez de faire, n'y aurait-il pas lieu de donner un aperçu canadien dans ce chapitre sur l'immigration? Merci.

Le président: Monsieur Patry.

M. Bernard Patry: Merci, madame et messieurs.

J'aimerais faire un simple commentaire. Je ne sais pas si vous allez vouloir répondre à ce commentaire, qui porte sur la propriété intellectuelle relativement aux brevets pharmaceutiques dont il est question à la page 44.

Vous nous dites au deuxième paragraphe sous le titre «Objectifs spécifiques»:

    L'octroi obligatoire de licences ne vient pas abolir les droits conférés au brevet...

Cela veut dire que vous êtes d'accord sur la propriété intellectuelle des brevets pharmaceutiques telle qu'elle existe actuellement. Elle a une vie de 20 ans à partir du dépôt de la molécule. Vous êtes d'accord sur cela.

Vous dites:

    Enjoindre les titulaires de brevets pharmaceutiques d'accorder obligatoirement des licences aux fabricants de médicaments génériques.

Mon point de vue à cet égard est très simple. Avec la Loi C-91 qui existe actuellement au Canada, les compagnies de médicaments génériques ont le droit de commencer leur recherche bien avant la fin des 20 ans du brevet et de faire le magasinage du produit pour le mettre sur le marché six mois avant. Donc, le jour où le brevet se termine, elles vont sur le marché. C'est ce qui existe actuellement.

Si la compagnie d'origine devait octroyer une licence et percevoir des redevances, les gens qui seraient contre cela ne seraient pas ceux des compagnies d'origine, mais bien ceux des compagnies génériques, parce qu'il est beaucoup moins coûteux pour une compagnie générique de faire sa propre recherche et d'arriver sur le marché à la même date que de payer des redevances à la compagnie d'origine.

• 1135

Pour moi, ce sont des voeux pieux. Dans la réalité, ce sont les compagnies génériques qui vont s'opposer à cela, et non les compagnies d'origine.

J'aimerais aussi vous dire qu'il y a une chose grave ici, dans le pays. Les compagnies génériques vendent des médicaments au Québec et à toutes les provinces du Canada deux ou trois fois plus cher qu'elles les vendent à l'extérieur. C'est une chose contre laquelle on essaie de se battre parce qu'il n'y a pas de concurrence entre les compagnies génériques. La seule province où il y a un peu de concurrence est l'Ontario, en ce sens que la première compagnie de produits génériques qui arrive sur le marché après l'expiration du brevet de 20 ans peut le vendre à 75 p. 100, la deuxième à 65 p. 100, et ainsi de suite. Le pourcentage décroît de 10 p. 100 par compagnie.

Je pense donc qu'il est utopique de penser que les compagnies génériques accepteront cela. Je comprends très bien le but visé. C'est qu'il y ait des médicaments moins chers pour la population. On est tous d'accord sur cela, mais de la façon dont c'est libellé, on ne pourrait pas atteindre ce but. C'était mon commentaire.

Le président: Vous pourrez peut-être prendre cela en considération lorsque vous réviserez le document.

M. Peter Bakvis: [Note de la rédaction: Inaudible].

Le président: J'aimerais vous poser quelques questions avant qu'on termine.

Vous avez fait mention de la société civile. On nous a dit que beaucoup de gouvernements de pays de l'Amérique latine résistaient à l'inclusion de la société civile. Le Mexique en est un, et il y résiste beaucoup. C'est le Canada qui pousse. Est-ce que vos consultations avec les ONG indiquent que les ONG de ces pays vont pousser leurs gouvernants à adopter des positions plus affirmatives vis-à-vis de la société civile?

M. Patrice Laquerre: Oui, certainement. On ne l'a pas mentionné, mais actuellement, il y a un processus d'organisation de la société civile. On est en train de constituer ce qu'on appelle une alliance sociale continentale. La semaine dernière, il y avait une réunion au Costa Rica à ce sujet, pour faire le suivi du Sommet de Santiago où on avait lancé cette idée. On est en train de constituer, au niveau continental, un mouvement de société civile doté d'une structure organisationnelle assez bien rodée.

Il y a un consensus pour faire avancer, dans tous les pays, le processus de consultation, de transparence et d'information. Tous les groupes, autant les réseaux nationaux que les groupes d'intérêts dans différents secteurs, vont essayer de faire avancer ces choses-là.

Le président: En parlant de société civile, monsieur Bakvis, vous avez répondu à la question de M. Sauvageau au sujet de la COPA. Pensez-vous qu'une association parlementaire des Amériques tout entière, par exemple associée à l'OEA, serait une bonne chose pour la société civile? Ce serait un peu comme l'association de parlementaires autour de l'OMC dont on parlait plus tôt. L'OEA est l'organe qui est jusqu'à un certain point chargé de l'Amérique. Les Canadiens devraient-ils insister pour qu'il y ait une association parlementaire associée à l'OEA?

M. Peter Bakvis: Une telle structure existe, du moins à certains niveaux. Après la tenue de la conférence des parlementaires à Québec, en septembre 1997, il y a eu un comité de suivi.

En principe, il devrait y avoir une autre conférence quelque part au Brésil. Je pense que ce sont des Brésiliens qui prennent cela en charge, mais je ne saurais vous dire à quel niveau. Je sais qu'il y a toujours des contacts avec le Président de l'Assemblée nationale du québec, qui était l'hôte de la conférence de Québec, en septembre 1997.

Je ne sais pas quel est le niveau d'association officielle avec l'OEA, mais je crois que ce qui est important, c'est la constitution de ce réseau. Je constate qu'il existe et qu'un minimum de secrétariat demeure en place.

Quant à nous, cela fait tout à fait partie de la société civile. D'ailleurs, au sommet parallèle que nos organisations ont contribué à organiser à Santiago, il y a presque un an, il y avait 12 forums sectoriels ou thématiques. L'un de ces forums était le forum des parlementaires. Il n'y avait pas beaucoup de parlementaires, mais il y en avait quand même une trentaine de différents pays, qui ont formulé des revendications qui étaient sensiblement dans la lignée de celles qui avaient été exprimées à la COPA au mois de septembre 1997. Quant à nous, cela fait partie de la société civile.

• 1140

Le président: Nous trouvons qu'il est très difficile d'engager les Américains dans les associations parlementaires. Est-il important que les Américains y participent? J'aimerais essayer d'encourager cela par le biais de notre association parlementaire États-Unis-Canada. Il faudrait trouver un moyen d'obtenir la participation des Américains à une association, n'est-ce pas?

M. Peter Bakvis: Oui, la participation des Américains est importante. À Québec, un ou deux parlementaires de quelques États étaient venus. Il n'y avait aucun représentant des deux Chambres, du Congrès américain.

Oui, leur participation est importante, mais est-ce qu'on devrait ne pas aller de l'avant parce qu'ils ne sont pas là? Je pense que ce serait une erreur. Ce serait comme leur donner un droit de veto. Comme je le disais plus tôt, les Européens ont été sages de ne pas donner un droit de veto à Mme Thatcher. Ils sont allés de l'avant, il y a eu un changement de gouvernement et...

Le président: Il faut trouver un moyen de rectifier cela.

M. Peter Bakvis: Entre nous, les États-Unis sont tout de même le pays le plus important des Amériques en termes de population. Nous avons impliqué les Américains dans nos travaux. Nos contacts avec nos vis-à-vis environnementaux ou syndicaux aux États-Unis ont été très fructueux pour nous.

Le président: Je vais vous poser une dernière question, et M. Sauvageau aura ensuite le dernier mot.

M. Benoît Sauvageau: C'est correct.

Le président: C'est une question un peu technique. Dans le chapitre sur l'environnement, je n'ai pu saisir que quelques éléments, par exemple les éléments 9, 10 et 11:

    9. Il faut interdire les pratiques de dumping social et écologique.

Il faut rendre possible pour chaque État l'affirmation du développement durable, etc.

Est-ce que vous envisagez dans le système, surtout dans votre chapitre sur les règlement des différends et l'application des sanctions, une sorte de système international pour contrôler l'application de ces concepts complexes et difficiles?

Si vous dites que chaque État doit faire telle chose pour l'environnement et le développement durable, on entre un peu dans le problème dont on a entendu parler dans nos débats: est-ce que vous créez toute une série de nouvelles formes d'entraves au commerce, de protectionnisme déguisé, etc.?

Pour qu'il fonctionne, le système doit être neutre, international et pratique. Il ne doit pas être trop lourd. Comment va-t-on résoudre cela avec des concepts aussi socialement chargés que celui du développement durable? On sait qu'il n'y a pas consensus sur le contenu de cette notion. À mon avis, c'est le problème que poserait le système que vous proposez.

M. Patrice Laquerre: Des efforts importants devront certainement être faits au niveau de l'harmonisation entre les pays. S'il n'y a pas, au niveau environnemental, de normes internationales qui soient applicables dans chaque pays, il doit au moins y avoir un effort d'harmonisation qui tienne compte des différences. Certaines normes ou certains concepts devraient être applicables. Il va falloir établir des définitions.

On est en train de faire ce travail au sein des groupes environnementaux avec nos partenaires des autres pays, et nous sommes capables de nous entendre sur le développement durable, Par exemple, on a ici des suggestions de pratiques durables au niveau minier. On est capable d'appliquer ces pratiques au niveau international.

Le président: Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Peter Bakvis: J'aimerais ajouter un petit commentaire. Qu'on parle du chapitre sur l'environnement ou d'autres chapitres, il y a deux lignes de force dans ce document.

• 1145

D'une part, nous essayons d'identifier des secteurs où nous pensons qu'il est légitime pour l'État de définir des normes nationales et d'établir une limite pour éviter que ces normes deviennent des mesures protectionnistes. Qu'on parle de culture, comme tout à l'heure, ou de mesures de protection contre des produits toxiques, il est tout à fait légitime pour un État d'ériger des standards nationaux, mais il faut baliser ces standards afin qu'ils ne deviennent pas des mesures protectionnistes. Cette question nous préoccupe. Quand on faisait l'exercice, les gens du Sud nous disaient souvent que ce que les États-Unis appellent des mesures pour protéger leur bien-être était pour eux du protectionnisme déguisé. C'est le premier élément.

Le deuxième, comme Patrice l'a dit, est l'élaboration de normes internationales dans un certain nombre de domaines. On pense que la souveraineté est limitée et de plus en plus réduite. Si on pense qu'il est important, pour répéter la discussion d'hier, qu'il y ait certaines règles internationales au niveau du travail, il faut les définir au niveau international. Ce n'est pas chaque pays qui peut le faire. Les pays seront de moins en moins capables d'appliquer leurs propres règles si on ouvre complètement les frontières au flux de biens, de capitaux et de services.

Le président: Vous avez soulevé un excellent argument. Les Américains vont profiter de toute occasion pour ériger un nouveau protectionnisme contre les importations de ces pays avec lesquels on aimerait faire du commerce pour élever leur standard de vie. Il est très important de garder ces deux choses à l'esprit.

Merci beaucoup de votre mémoire. Nous avons bien noté vos observations concernant la consultation. Nous allons lire votre mémoire. Si nous avons des questions, nous allons entrer en contact avec vous. J'espère que nous aurons d'autres occasions de vous rencontrer, parce que vous avez fait énormément de travail.

Je crois pouvoir dire que tous les membres du comité apprécient énormément ce que vous avez fait. Merci beaucoup.

La séance est levée jusqu'à 13 h 40.

• 1147




• 1345

Le président: Nous recevons quatre témoins. Si vous preniez 10 minutes chacun, nous aurions 20 minutes pour une période de questions. Et si vous pouviez prendre moins de 10 minutes, nous aurions encore plus de temps pour les questions.

Le mémoire de Mme Campbell est un peu long, mais je suis certain qu'elle ne va pas le lire au complet. Si vous pouviez nous en donner juste un petit aperçu, nous aurions plus de temps pour les questions.

Madame Campbell.

Mme Bonnie Campbell (professeur à l'Université du Québec à Montréal; témoigne à titre personnel): Bonjour. Tout d'abord, je tiens à féliciter le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de son initiative de tenir ces audiences sur l'OMC et je remercie vivement le comité de son invitation à comparaître.

Je voudrais aborder les défis qui se posent pour l'OMC. Il s'agit de concilier la libéralisation du commerce et des investissements, le respect des droits de la personne et les objectifs de développement social et économique, que certains appellent droits au développement, qui, à mon avis, sont un préalable au respect des droits de la personne dans le but d'apporter des éléments de réponse à la question contenue dans le mandat du comité pour ces audiences: comment préserver les intérêts du Canada et ceux des pays les plus petits et les plus pauvres tout en conciliant la libéralisation du commerce et les objectifs importants tenant à des valeurs, cultures, environnements et droits.

Mon argumentation est la suivante. Les politiques de libéralisation du commerce et des investissements que le Canada propose et appuie dans le cadre de l'OMC affectent de manière déterminante et décisive les pays plus petits, les pays plus faibles, qu'on appelle souvent pays en développement. Plus spécifiquement, le processus de libéralisation en cours, qui entraîne dans de nombreux pays des politiques de privatisation, de déréglementation et de retrait sélectif de l'État, risque fort de priver les pays dits en développement d'instruments politiques et économiques, compromettant ainsi leurs objectifs de développement économique et social. En l'absence de normes minimales et d'instruments publics pour faire respecter les normes de travail et environnementales sur les ressources non renouvelables, ce processus risque de contribuer au non-respect des droits de la personne et à la marginalisation croissante de certaines régions du monde.

Historiquement, le Canada a créé sa place dans le marché mondial en ayant recours à des mesures de politique publique: tarifs douaniers, Commission canadienne du blé, tarifs d'électricité subventionnés, protection des industries culturelles, etc.

C'est précisément de ce type d'avantages d'incitation stratégique qu'on prive les pays dits en développement en introduisant des mesures de libéralisation du commerce et des investissements, de déréglementation, etc., notamment en ce qui concerne le domaine de la protection des ressources non renouvelables. Cette dissymétrie n'est pas une chose passée, mais très actuelle.

D'une part, on nie aux pays en développement la possibilité d'avoir recours à des instruments de politique. D'autre part, le Canada continue à promouvoir activement ses propres intérêts économiques et commerciaux dans ces mêmes régions du monde.

Plus spécifiquement, voici le paradoxe. D'un côté, les pays d'Afrique—je parlerai des pays de l'Afrique en particulier et des pays endettés de façon plus générale—se voient pressés par les institutions de financement multilatéral, soit la Banque mondiale et le FMI, politique qu'appuie le Canada, d'ouvrir leurs économies aux investissements et au commerce étrangers. De notre côté, c'est justement grâce au soutien des institutions publiques—aide canadienne au développement, l'APD, aux investissements et aux intérêts privés canadiens, cadre réglementaire favorable, politiques de l'ACDI, politiques du ministère des Affaires étrangères et Société pour l'expansion des exportations—que les sociétés canadiennes dans les secteurs clés de notre économie se trouvent dans une position favorisée au niveau international.

J'ai essayé d'illustrer cette situation à partir des activités minières canadiennes en Afrique dans le texte que je vous ai soumis: Canadian Mining Interests and Human Rights in Africa in the Context of Globalization. Cette situation risque, à mon avis, de contribuer à une intégration de plus en plus asymétrique de certaines régions du monde et, ainsi, à leur marginalisation croissante, à leur appauvrissement et, potentiellement, à leur déstabilisation sociale et politique.

Ce que j'essaie de présenter ne concerne pas seulement la question de la protection des droits. Si on continue d'agir de manière à ouvrir les économies...

Le président: Excusez-moi, mais vous parlez un peu trop vite pour notre traductrice. Considérez-nous comme vos étudiants.

Mme Bonnie Campbell: Mais je n'ai que 10 minutes.

Le président: Je sais que les étudiants sont forcés d'apprendre vite.

Mme Bonnie Campbell: D'accord.

Donc, je ne soulève pas seulement les questions essentielles d'application des droits de la personne et de libéralisation du commerce, mais aussi les implications importantes de ces questions par rapport à cette déstabilisation sociale et économique qui fera perdre au Canada des partenaires commerciaux éventuels. Ceci m'amène à formuler deux recommandations à la fin de ma présentation, mais je vais d'abord résumer mon argumentation de la façon suivante.

Premièrement, quand on travaille de façon concrète aux stratégies des vecteurs principaux de la mondialisation, que ce soit les firmes, les agences bilatérales ou les organisations multilatérales de financement, on se rend compte que le processus de mondialisation est construit et institutionnalisé par des acteurs précis et identifiables qui en portent la responsabilité. La mondialisation implique des négociations et un rapport d'influence et de force. Il s'agit donc d'un processus éminemment politique autant qu'économique. Ces acteurs en portent la responsabilité, d'où l'importance du travail de ce comité et de ses audiences, car l'impact de l'OMC n'est pas prédéterminé. L'impact que cet organisme aura sur les pays en développement sera une construction.

En Afrique, la libéralisation économique s'est accompagnée d'une redéfinition programmée de l'État, qui s'est retiré de certains secteurs, notamment de la planification des réformes sociales, et qui a réorienté ses interventions dans d'autres domaines. Que fait-il? Il favorise un type bien précis de stratégie de croissance fondée sur la promotion des intérêts privés, notamment ceux voués à l'exportation.

Ce processus a entraîné une délégitimisation et une fragilisation des États, qui étaient, en plus, pris avec des crises financières. L'expérience africaine pour ce qui est du retrait de l'État n'est pas propre à ce continent, mais elle a pris là des formes particulièrement significatives pour ce qui concerne la possibilité de mettre en oeuvre des stratégies de développement destinées à protéger les droits et à atteindre des objectifs de développement économique et social.

L'impact des différentes formes que prend la mondialisation sur les droits varie en fonction de toute une série de facteurs, mais ce qui me semble important et qui n'est pas assez mis de l'avant, c'est la nature des régimes politiques. On peut actuellement tracer tout un continuum de situations de fragilisation et de démantèlement des États, avec des impacts spécifiques sur les droits de la personne et les possibilités de relance économique et sociale. On peut parler de situations de déréglementation. Les codes miniers déréglementent les protections dans le secteur des ressources non renouvelables. On peut aussi parler de situations de délégitimisation ou de court-circuitage des États, de situations d'expropriation de sections entières—je pense au Zaïre—ou de situations ressemblant à des mises en tutelle, où l'État semble tirer sa légitimité non pas de sa propre population, mais plutôt du soutien financier, politique et militaire que lui offrent les grandes sociétés multinationales.

Plus un pays regorge de ressources naturelles dans les mines, dans le pétrole et nécessite de gros investissements, plus dans le contexte de la fragilisation des États il semble y avoir des situations semblables à des contextes de mise en tutelle, qui présentent des problèmes extrêmement graves pour la question de la protection des droits.

Voici donc un défi de taille qui se pose à l'OMC: concilier les règles du commerce et les droits au développement. Ce défi existe au niveau multilatéral, mais interpelle aussi le Canada au niveau national. Ceci peut être illustré en parlant des tensions qui existent entre les différents objectifs poursuivis par nos politiques étrangères. J'illustrerai cela à partir de l'exemple des intérêts miniers canadiens en Afrique.

• 1350

Il y a en ce moment un boum minier en Afrique. Le Canada est à l'avant-garde de ce boum. Je vous épargne les chiffres qu'on trouve dans le rapport au sujet de l'augmentation du financement de l'exploration ou du développement des activités. Ceci est intéressant parce que, dans les documents du ministère des Ressources naturelles, c'est expliqué par le fait que le Canada fournit un cadre réglementaire, des règles fiscales, bref une série d'incitations publiques dans le cadre des missions commerciales d'Équipe Canada, des accords commerciaux, de l'ACDI, du ministère des Affaires étrangères, de la SEE, etc., initiatives qui traduisent la volonté de notre gouvernement de promouvoir et de faciliter l'expansion de nos sociétés ailleurs.

Du côté des pays receveurs de ces investissements, il y a une ouverture à ces investissements à la suite des ajustements structurels. Dans le pays le plus important sur le plan du nombre de propriétés minières canadiennes, le Ghana, où il y a en ce moment plus de 100 propriétés canadiennes dans le secteur de l'or, il est intéressant de voir l'impact de cette situation sur le pays.

Évidemment, les impacts sont multiples, et j'attirerai votre attention sur certaines conséquences négatives de l'exploration de l'or. Les zones minières coïncident avec les principales zones agricoles et forestières et ont entraîné des perturbations et des expropriations. L'ONG canadien Inter Pares d'Ottawa nous raconte qu'en 1996, dans la région ouest du Ghana, la population locale a exprimé son opposition à l'expansion des activités minières en s'installant sur les rochers qu'on allait faire exploser. La police a été appelée, on a tiré et certains des manifestants ont été tués. Les recherches permettent de démontrer que des compagnies canadiennes ainsi que sud-africaines sont actives sur ce site.

En fait, je cherche à illustrer le fait que les formes que prend actuellement la mondialisation, à travers la libéralisation du commerce et des investissements, sont en train de redéfinir les frontières entre les droits sociaux et les droits privés. Nous sommes témoins de ce processus.

Regardons encore une fois ce qui se passe du côté du Ghana dans le domaine des activités de l'or. Les attaques à la santé, à l'environnement, aux nappes d'eau souterraines, etc. sont extrêmement importantes, comme le démontrent des études australiennes que nous avons citées dans un article qui vient d'être publié en Suède sur ce cas.

Une vingtaine de communautés minières se sont regroupées pour essayer de faire connaître à l'opinion mondiale ce qui est en train de se passer dans le domaine minier. Le titre de leur journal est assez éloquent: Gold Is Killing Us. On doit prendre conscience des implications sociales de ce type de politique de libéralisation et on doit réagir en fonction de ces implications. On est au courant. Il ne faut pas fermer l'oeil sur ce qui est en train de se passer.

Des défis se posent à l'OMC, soit de concilier les règles du commerce et les règles des droits de la personne et du développement, et ces défis se posent autant au niveau canadien.

Je termine par deux recommandations.

Premièrement, nous recommandons au gouvernement du Canada de procéder à un réexamen général en profondeur de ses politiques en matière de commerce, d'investissement et d'aide en vue d'examiner trois objectifs: premièrement, les retombées de nos politiques en matière de commerce et d'investissement à l'échelle internationale, non seulement sur le plan de leurs effets sur les normes fondamentales du travail ainsi que sur les droits sociaux, politiques et économiques, mais surtout—ce que l'on ne dit pas souvent—en regard de la capacité des pays en développement d'adopter des mesures et des programmes sur des questions comme la gestion des ressources renouvelables, la protection sociale et la protection de l'environnement.

Un deuxième élément de cet examen doit concerner les normes actuelles qui régissent les pratiques des entreprises canadiennes de manière à exiger des lignes directrices à l'intention des intérêts économiques et commerciaux canadiens afin qu'ils soient au moins alignés sur les normes minimales du travail établies par l'OIT. À ce propos, on a beaucoup parlé des codes de conduite, et je voudrais déposer à ce comité une copie du rapport qui a été adopté par le Parlement européen en décembre 1998, qui est intitulé: Report on EU Standards for European Enterprises Operating in the Developing Countries: Towards a European Code of Conduct.

Enfin, pour ce qui concerne le Canada, cet examen devrait inclure les programmes d'aide actuels de manière à déterminer les conditions dans lesquelles la promotion des intérêts économiques et commerciaux canadiens peut avoir des conséquences nuisibles sur les droits économiques, sociaux et politiques et recommander des politiques d'aide et des politiques commerciales qui encouragent le respect de ces droits.

• 1355

La deuxième recommandation s'adresse au Canada dans son rôle à l'OMC et comprend quatre parties:

- Que le Canada propose la création d'un groupe de travail dans le cadre de l'OMC pour étudier les répercussions des ententes de cet organisme sur les droits de la personne et le droit au développement des pays plus petits et plus faibles, ainsi que la conformité de ces ententes avec les différentes chartes de droits, et notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1976;

- Que ce groupe de travail accorde une attention particulière aux implications des mesures de libéralisation (déréglementation, privatisation, etc.) pour le respect et la protection des droits de la personne et du droit au développement;

- Que ce groupe étudie la possibilité d'introduire des clauses d'exception et des clauses de sauvegarde par rapport au mouvement généralisé de libéralisation afin d'assurer le respect de ces droits;

- Enfin, que ce groupe ait le mandat d'étudier également l'impact de l'évolution du niveau des prix des matières premières exportées pour des produits précis sur la question du respect des droits de la personne et du droit au développement du ou des pays exportateurs concernés.

Merci.

Le président: Merci, madame Campbell.

Professeur Gagné.

M. Gilbert Gagné (professeur, chargé de cours en sciences politiques, Université Concordia et Université d'Ottawa; témoigne à titre personnel): J'aimerais cibler mon intervention autour d'une question en particulier, c'est-à-dire comment assurer au mieux les intérêts du Canada dans le régime commercial international de même que, dans une moindre mesure, dans la création de la Zone de libre-échange des Amériques face à ce qu'on appelle l'unilatéralisme des États-Unis en matière de subventions et de recours commerciaux et en matière de culture.

Quand on traite de subventions et de droits compensateurs, la langue de Shakespeare convient mieux. En effet, je vais faire référence le plus souvent à la législation commerciale américaine.

[Traduction]

Passons maintenant à l'accord sur les subventions et les droits compensateurs qui est issu de l'Uruguay Round: Le Canada devrait concentrer ses efforts au sein de l'OMC en vue d'améliorer et de clarifier les dispositions existantes sur la définition de la notion de subventions et sur les conditions qui permettent d'imposer des sanctions commerciales.

L'accord sur les subventions de l'OMC définit une subvention comme étant une contribution financière qui confère un avantage. La contribution peut évidemment prendre plusieurs formes, c'est-à-dire qu'il peut s'agir d'une subvention, d'un prêt ou de concession fiscale, mais j'y reviendrai dans quelques instants. Pour faire l'objet de mesures compensatoires ou être assujettie à des sanctions commerciales, la subvention doit être versée en regard d'un produit spécifique. Autrement dit, elle doit être limitée à certaines entreprises ou industries sur le territoire de celui qui octroie la subvention. Cette précision a son importance, car nous devrions la considérer comme étant imposée à l'ensemble du territoire d'un pays.

À la fin de l'Uruguay Round, la formule utilisée aura eu pour conséquence que les subventions d'ordre général octroyées par les provinces canadiennes auraient pu faire l'objet de droits compensateurs car elles auraient été considérées comme étant spécifiques. Voilà pourquoi, lorsque l'on dit que cela doit être sur le territoire de l'instance qui octroie la subvention, cela implique que le Québec ou l'Ontario pourrait octroyer des subventions d'ordre général sans craindre des représailles commerciales. Il va sans dire que cette disposition devra être maintenue.

Au cours de l'Uruguay Round, on a vu que cette disposition a résulté des pressions exercées par l'Union européenne en vue de contrer les subventions américaines accordées par l'État, mais nous parlons ici d'une exception. Les États-Unis étant une fédération, le Canada pouvait s'attendre à ce que les États-Unis l'appuient lorsqu'il affirme que l'on ne devrait pas empêcher les fédérations de laisser les provinces utiliser des subventions.

Pour déterminer si une subvention est ou non spécifique—c'est d'ailleurs la question que l'on s'est posée lors du fameux différend entre le Canada et les États-Unis sur le bois d'oeuvre—il faut comprendre que la disposition pertinente de l'accord mentionne quatre facteurs dont on peut tenir compte. En effet, pour faire cette détermination, il faut se demander si une subvention se limite à un certain nombre d'entreprises ou d'industries, si une industrie ou un groupe est l'utilisateur principal de la subvention, si une quantité disproportionnée de subventions vont à certains groupes ou entreprises, ou si le gouvernement accorde la subvention de façon discrétionnaire.

• 1400

Il est intéressant de remarquer que la Loi de mise en oeuvre américaine découlant de l'Uruguay Round précise qu'un seul des quatre facteurs suffi pour déterminer la spécificité de la subvention. Le Canada devrait donc tenter, au sein de l'OMC, de préciser le libellé de la disposition pour faire en sorte que l'on tienne compte des quatre facteurs pour pouvoir déterminer la spécificité. Je vous rappelle que cela remonte au différend sur le bois d'oeuvre et que cette nouvelle interprétation de la disposition et cette nouvelle façon d'appliquer les lois commerciales américaines avait pour but de renverser la décision de la commission sur les subventions lors du différend sur le bois d'oeuvre.

Autre problème: L'effet que peut avoir la subvention. Dans ce que l'on appelle le test des effets dans l'accord sur les subventions de l'OMC, on ne tient pas compte des effets que peuvent avoir les subventions. Il ne faut pas se surprendre que les lois commerciales américaines spécifient désormais qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte des effets des subventions pour envisager d'imposer des droits compensateurs. L'accord de l'OMC sur les subventions mentionne qu'une subvention doit conférer un avantage au bénéficiaire, mais les États-Unis ont choisi de prendre pour acquis au départ qu'une subvention confère un avantage, sans qu'ils se sentent pour autant obligés de faire enquête pour savoir si un avantage est ou non conféré. Cela rappellera sans doute à certains d'entre vous le fameux différend sur le bois d'oeuvre.

Mais rappelez-vous aussi que cette méthode américaine pour déterminer la spécificité en se fondant uniquement sur un seul facteur et le test des effets était censé annuler les décisions des groupes spéciaux de l'ALENA dans le cadre du différend sur le bois d'oeuvre. On peut se demander si des dispositions de ce genre auraient incité le Canada à adhérer à l'accord sur le bois d'oeuvre de 1996 avec les États-Unis, accord qui nous lie les mains dans nos exportations. Il est essentiel que le Canada fasse préciser ces dispositions, de façon à empêcher que les États-Unis ne puissent unilatéralement interpréter et mettre en oeuvre des mesures aussi souvent qu'ils le font.

De plus, avant qu'un pays ne puisse imposer des recours commerciaux, l'OMC précise dans son accord qu'il faut établir au préalable qu'il y a un lien étroit entre la subvention et le préjudice causé à une des industries du pays en question. Or, les États-Unis n'ont jamais appliqué correctement les normes dites de causalité. L'accord sur les subventions de l'OMC précise que les préjudices doivent avoir été encourus parce qu'une subvention a été octroyée, Or, cela ne figure pas dans les lois commerciales américaines.

Autrement dit, même si les États-Unis, lorsqu'ils oeuvraient au sein du groupe de travail de l'ALENA sur les recours commerciaux, avaient accepté l'obligation d'établir un lien causal suffisant entre les subventions et les préjudices, ils n'ont rien fait pour traduire cette obligation dans leurs lois. Encore une fois, le Canada devrait faire en sorte que chaque fois que les États-Unis invoqueront le préjudice, ce préjudice devra avoir été subi parce qu'une subvention a été octroyée et non pas parce que une industrie américaine est incapable de résister à la concurrence.

Un des éléments particulièrement troublants de l'accord de l'OMC sur les subventions, c'est que les États-Unis peuvent se tourner vers l'OMC et vers l'ALENA pour contester les subventions canadiennes. Il faudrait que cela cesse, car cela nuit considérablement aux intérêts canadiens. En effet, les États-Unis peuvent aujourd'hui formuler une contestation contre le Canada devant l'OMC puis—ou en même temps—en vertu de l'ALENA. Il ne faudrait plus que les États-Unis aient ainsi la possibilité de harceler aussi facilement nos exportateurs.

Enfin, du côté des subventions, il faudrait obliger les États-Unis à obtenir des arguments plus probants avant qu'ils soient autorisés à ouvrir une enquête en vue d'instaurer des droits compensateurs. Mais plus important encore, il faudrait les empêcher d'ouvrir une autre enquête, s'ils n'ont pas eu de nouveaux éléments de preuve. C'est, en effet, ce que font les Américains pour harceler nos exportateurs. Même si une enquête conclut qu'il n'y a eu ni subvention ni préjudice, les mêmes hommes d'affaires américains peuvent tout de même demander peu après l'ouverture d'une deuxième enquête, demande qui risque d'être acceptée même si aucune nouvelle preuve n'a été fournie au dossier. Plus souvent qu'autrement, les hommes d'affaires canadiens optent pour les compromis et tentent de s'entendre avec les hommes d'affaires américains.

• 1405

Nos recommandations visent à faire en sorte que les pressions protectionnistes américaines ne pourront plus, en dépit de l'ALENA, nuire aux intérêts commerciaux canadiens. Au cours des dernières années, nous n'avons pas eu beaucoup de difficultés avec les droits compensateurs, mais les Américains pourraient renverser la vapeur, particulièrement si leur situation économique se détériore. Voilà pourquoi nous devons obtenir des garanties supplémentaires de l'OMC au sujet de ces lois commerciales.

[Français]

Je vais maintenant parler brièvement de la culture. On en parle beaucoup dans le cadre du différend avec les États-Unis sur les périodiques. Au sein de l'OMC, on n'a pas encore déterminé si la culture était un bien ou un service. Eh bien, il faudrait arriver, au cours des prochaines négociations multilatérales, à une définition plus claire du concept de culture.

On sait que l'Accord général sur le commerce des services suppose un réexamen cette année, entre autres des exemptions. On ne sera pas surpris de voir les États-Unis exiger davantage de libéralisation.

Le Canada doit exiger que la culture, à l'instar des ressources naturelles épuisables ou des trésors nationaux, fasse l'objet d'une exception générale. Des exceptions générales sont déjà prévues à l'article XX du GATT, de même qu'à l'article XIV de l'Accord général sur le commerce des services.

Si cela n'était pas possible, parce que ce n'est pas la première fois qu'on essaie de faire reconnaître une exemption générale pour la culture sur le plan multilatéral, le Canada devrait à tout le moins obtenir une reconnaissance du caractère spécifique de la culture. C'est ce qui a manqué dans le différend sur les périodiques.

On peut se poser des questions sur une exemption complète des industries culturelles, comme dans le cas de l'ALENA. Cette exemption dite complète n'a pas garanti les intérêts du Canada dans le domaine culturel, parce que les États-Unis sont à même d'imposer des sanctions commerciales quand ils le veulent et dans les conditions qu'ils veulent. Le plus souvent, le Canada a dû reculer lorsqu'une mesure culturelle ne faisait pas l'affaire des États-Unis.

Donc, à mon sens, une reconnaissance du caractère spécifique de la culture, en contrepartie de concessions de la part du Canada dans le domaine culturel, qui pourraient toucher les domaines des communications, des télécommunications et de l'Internet, pourrait à tout le moins permettre d'en arriver à des ententes qui pourraient faire en sorte, notamment, que des mesures visant la survie—le mot est fort—de certaines industries culturelles ne pourraient être l'objet de sanctions commerciales de la part des États-Unis, cela en vertu de la reconnaissance de la spécificité de la culture, qui est tout à fait indispensable.

Bien sûr, pour rendre possible un tel résultat face aux positions américaines, le Canada doit s'assurer de développer un consensus. J'ai déjà lu que vous, monsieur Graham, aviez déjà mentionné l'importance de développer un consensus avec l'Europe sur cette question, et en particulier avec la France. C'est sûrement possible. Il suffit d'éviter que la majorité des États subissent les pressions américaines. C'est d'autant plus difficile à comprendre que la plupart des États de l'OMC sont réticents face à des concessions commerciales qui pourraient mettre en cause la survie de leurs industries culturelles.

Finalement, en ce qui concerne la Zone de libre-échange des Amériques, étant donné que le Canada assume la présidence des négociations qui pourraient éventuellement mener à une telle zone de libre-échange, les recommandations que je viens de vous soumettre en ce qui concerne les subventions et le domaine culturel peuvent aussi s'appliquer dans le cadre régional de l'éventuelle Zone de libre-échange des Amériques.

J'aimerais terminer là-dessus, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le professeur Gagné.

Professeure Gendreau.

• 1410

Mme Ysolde Gendreau (professeure à la Faculté de droit de l'Université de Montréal; témoigne à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le président, et j'aimerais remercier le comité de m'avoir invitée à venir lui faire part de mes opinions sur les négociations du prochain accord dans le cadre de l'OMC.

Quand on m'a téléphoné, j'ai prévenu M. Dupuis que mon intervention ne porterait pas sur l'ensemble des négociations, mais plutôt sur l'aspect de la propriété intellectuelle. J'ai donc ici quelques idées à vous soumettre sur deux aspects particuliers de la propriété intellectuelle, à savoir le droit d'auteur et les brevets.

J'aimerais avant tout parler du cadre dans lequel s'inscrit la propriété intellectuelle pour de telles négociations. On sait que dans le cadre des négociations commerciales internationales, la propriété intellectuelle est, après tout, une nouvelle venue. Ce n'est que lors des négociations de l'Uruguay Round que l'on a introduit le domaine de la propriété intellectuelle. Auparavant, il n'en était pas question. Mais on s'aperçoit que, de plus en plus, les discussions en matière de propriété intellectuelle sont toujours partie intégrante des accords commerciaux. Les pays se sont réveillés, si on peut dire, quant à l'importance des droits de propriété intellectuelle. On a donc inscrit l'accord des ADPIC, le TRIPS agreement, dans l'accord de l'OMC, et on retrouve aussi dans les accords commerciaux de la même époque des dispositions sur la propriété intellectuelle, par exemple dans l'ALENA.

Par ailleurs, on pourrait dire que la Communauté européenne est de plus en plus active dans le domaine de l'harmonisation des droits de propriété intellectuelle, justement parce que ces droits sont considérés comme des bases extrêmement importantes pour les échanges de marchandises et de services entre les pays et que l'harmonisation de ces droits favorise les échanges.

Une des raisons pour lesquelles la propriété intellectuelle est une nouvelle venue dans les accords commerciaux internationaux, c'est qu'il existe une quantité vraiment importante d'accords internationaux en matière de propriété intellectuelle, dans lesquels on retrouve l'essence des droits de propriété intellectuelle, et que ces accords traditionnels, si on peut les appeler ainsi, sont extrêmement difficiles à mettre en oeuvre. Il est extrêmement difficile de contraindre les pays à mettre en oeuvre les dispositions de ces accords, et les sanctions de représailles et d'arbitrage que l'on retrouve dans le contexte de l'OMC permettent de donner plus de force aux règles qu'on trouve dans les traités internationaux.

On constate aussi que les règles de propriété intellectuelle que l'on voit dans l'accord de l'OMC fonctionnent par processus d'intégration, si je puis dire. L'accord de l'OMC, au lieu de tout refaire à partir de zéro, cherche plutôt à dire: nous demandons que les pays se conforment à tel accord international et nous en faisons plus. La difficulté tient au fait qu'il faut l'unanimité pour modifier les accords internationaux et que cette unanimité devient de plus en plus difficile à obtenir du fait qu'il y a de plus en plus de pays qui participent.

Donc, l'accord de propriété intellectuelle que l'on retrouve dans le cadre de l'OMC constitue un véritable minimum, et ce minimum ne peut pas aller beaucoup plus loin que les autres traités internationaux parce qu'il existe un jeu de diplomatie entre les différents organes internationaux—je pense à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et à l'OMPI ou WIPO comme on dit en anglais—et qu'on doit permettre à ces organes de jouer leur rôle sur la scène internationale.

Donc, la grande réussite de l'OMC est de pouvoir assortir les règles de sanctions aux règles minimales des accords internationaux et pousser un tout petit peu plus loin ce qui se trouve dans les accords internationaux.

• 1415

Cela n'empêche évidemment pas l'OMC de faire preuve d'un certain dirigisme, puisque c'est l'occasion de faire valoir des règles qui sont difficiles à faire passer dans un autre contexte, mais qui deviennent plus intéressantes parce qu'il y a la menace des sanctions de l'OMC.

On voit donc que la propriété intellectuelle demeure importante dans les accords internationaux. Quand on lit les document, on voit que ce sera un autre sujet pour la prochaine ronde de négociations. Cela fait partie des sujets identifiés pour les accords de la ZLEA. Depuis l'accord de l'OMC, il y a eu des développements qui devront être intégrés dans les prochains accords. Ces développements se situent surtout dans le domaine du droit d'auteur, mais on retrouve également des questions en matière de brevets.

J'aimerais d'abord parler des questions de droit d'auteur. Depuis l'accord de l'OMC, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle a adopté deux traités qui permettent de hausser le niveau de protection en matière de droit d'auteur. L'un concerne véritablement la protection du droit d'auteur et le second a trait à la protection des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes. Ces traités ont été conclus en 1996. Le Canada est en train d'examiner la façon de les mettre en oeuvre, de même que d'autres pays.

À l'occasion de ces négociations, était également soumis un projet de traité sur les bases de données. On voit bien ce qui est derrière tout cela: c'est la numérisation et l'Internet. Il est donc normal de s'attendre à ce que dans les négociations de la prochaine ronde, on parle des problèmes de propriété intellectuelle, de droit d'auteur en fonction des règles Internet et de la problématique Internet. De ce point de vue, le Canada a toujours été considéré comme un pays d'avant-garde. On a une industrie des télécommunications qui est vraiment bien développée, et la position que l'on pourra faire valoir sera donc extrêmement attendue, je crois.

Par ailleurs, il y a ici une certaine dichotomie. On parle d'Internet, donc de quelque chose de très technique. On sait qu'il y a d'importants intérêts économiques derrière la protection du droit d'auteur et la protection de tous ces intervenants dans le monde de l'Internet, mais s'il y a une chose qui est extrêmement importante et qui rejoint les préoccupations des deux témoins qui ont présenté juste avant moi, c'est la protection de la culture et de la personne.

Si on ne met pas l'accent sur la protection de l'auteur, du créateur, de l'artiste-interprète, on risque de faire valoir un système de protection qui soit uniquement fondé sur des intérêts industriels. Ces intérêts industriels, comme on le sait, varient d'année en année, ainsi que d'État en État. Il est beaucoup plus difficile de faire passer le message d'une protection de la propriété intellectuelle si le seul message qui est derrière cela en est un de protection d'intérêts économiques et industriels. En ciblant l'importance des créateurs, que ce soit les auteurs ou les artistes-interprètes, on fait valoir la personne humaine, l'élément culturel, l'élément personnel du régime. Du point de vue de l'acceptation par le public en général, il est certainement beaucoup plus facile de faire comprendre que ces règles sont nécessaires parce qu'en bout de piste, elles permettent de protéger des individus créateurs que de faire valoir qu'elles protègent de gros intérêts économiques anonymes.

Il est vrai que ces créateurs ont besoin des intérêts économiques pour faire passer leurs créations, mais il ne faut pas oublier leur place ici. Elle est essentielle dans le processus de ces industries et elle est également importante pour la légitimité de la protection de la propriété intellectuelle.

• 1420

Un autre aspect Internet sera certainement soulevé dans le cadre de ces négociations. Si vous lisez les journaux, vous savez qu'on parle beaucoup de MP3, de diffusion de musique, de diffusion de films, etc., mais on parle également de propagande haineuse, de pornographie infantile, etc. On sait que tout cela passe par les mêmes circuits. Donc, les personnes qui interviennent dans la diffusion des oeuvres sont aussi celles qui sont appelées à diffuser la propagande haineuse et d'autres choses non savoureuses.

Donc, de ce point de vue, il faudra une harmonisation des responsabilités qui tienne compte non seulement des préoccupations en matière de propriété intellectuelle, mais également de ces règles plus générales de responsabilité civile ou de responsabilité pénale. C'est pourquoi il faut actuellement du temps pour parvenir à une certaine position, même nationale, sur la question. Il faut être conscient que ce même exercice devra être fait à l'échelle internationale. Donc, nos efforts nationaux à cet égard pourront également servir.

En ce qui concerne le droit des brevets, vous avez reçu ce matin le représentant de l'Association canadienne de l'industrie du médicament. On sait que le Canada fait actuellement l'objet d'une plainte dans le contexte de l'OMC pour ses règles spéciales concernant les exceptions de brevets de médicaments. On ne sait pas quel en sera le résultat. Je sais que dans les ministères, on travaille très fort pour faire valoir le point de vue du Canada. C'est vraiment très incertain. Il n'est pas impossible que lors de la prochaine ronde, on parle de ce qu'on appelle le certificat de protection complémentaire, le patent term restoration, pour donner une longévité un peu plus réelle à la protection des brevets pharmaceutiques. Je crois que dans le domaine des brevets, cela risque d'être le sujet chaud.

À l'échelle internationale, en matière de brevets, on parle également beaucoup de tout ce qui concerne à la fois les médicaments et la matière vivante. Je crois que dans le cadre de la ZLEA, d'après les documents que j'ai pu examiner, ce sujet-là est particulièrement chaud à cause de l'importance des peuples autochtones en Amérique latine. Encore une fois, je ne sais pas si, à l'OMC, on parviendra au même degré de détail dans ces questions de protection de la matière vivante, de protection des ressources biologiques, de retour des redevances à des peuplades autochtones pour l'utilisation de leur ADN ou des matières végétales de leur environnement. Peut-être que cette question fera l'objet d'un accord plus précis dans la ZLEA, comme on a vu dans l'ALENA, pour permettre quelque chose de beaucoup plus général à l'échelle internationale avec l'OMC.

Donc, on risque de voir développer des règles en parallèle par l'OMC, lors de sa prochaine ronde de négociations, et par la ZLEA, tout comme on l'avait vu dans le cas des règles de l'OMC de 1993 et des règles de l'ALENA. Il y aura cette même sorte d'imbrication des systèmes, et on se penchera fort probablement sur des questions sur lesquelles le consensus est un peu plus facile à obtenir dans la ZLEA pour conserver des règles plus générales à l'OMC.

C'est sur ces propos que je termine mon intervention. Je vous remercie.

Le président: Merci, professeure Gendreau.

C'est maintenant au professeur Loungnarath.

M. Vilaysoun Loungnarath (professeur de droit et avocat, Faculté de droit de l'Université de Montréal; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Madame, messieurs les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, permettez-moi d'abord de remercier le comité de me donner l'occasion de m'exprimer sur les intérêts du Canada, d'une part, dans la prochaine ronde de négociations de l'Organisation mondiale du commerce et, d'autre part, dans la négociation d'une Zone de libre-échange des Amériques.

Dans le cadre de cette courte présentation, je voudrais formuler des commentaires sur quatre thèmes: premièrement, le système de règlement des différends de l'OMC; deuxièmement, l'exception culturelle de l'ALENA; troisièmement, la mise en place d'un cadre multilatéral sur l'investissement étranger; et, finalement, l'harmonisation du régime antidumping avec les lois nationales relatives à la concurrence.

• 1425

S'agissant du système de règlement des différends de l'OMC, il faut, d'entrée de jeu, saluer les améliorations notables qui ont été apportées au mécanisme multilatéral de règlement des différends par les Accords de Marrakech. Par rapport au système du GATT de 1947, nous avons en effet aujourd'hui une procédure de règlement des différends plus rapide, plus fiable, plus efficace. Surtout, elle est davantage juridictionnelle et moins sensible aux rapports de force politique.

Cela étant dit, il reste qu'une faiblesse subsiste à la sortie de la procédure de règlement des différends de l'OMC. Dans l'ensemble, les groupes spéciaux et l'organe d'appel permanent parviennent assez efficacement à diagnostiquer qu'une mesure nationale contrevient à une norme du système GATT-OMC. Cependant, les rapports de ces instances fournissent très peu de données sur l'étendue de la marge de manoeuvre dont dispose l'État qui succombe pour adopter des mesures alternatives susceptibles de poursuivre les finalités des programmes invalidés, finalités qui peuvent être, au demeurant, tout à fait légitimes et louables sur le plan de la politique publique.

À mon humble avis, un des objectifs qui devraient être poursuivis lors de la prochaine ronde des négociations de l'OMC consiste à atténuer cette faiblesse, puissamment révélée dans deux affaires récentes, soit le différend États-Unis-Union européenne sur les bananes et le différend Canada-États-Unis sur les périodiques. Dans les deux affaires, les Américains ont eu gain de cause devant l'OMC. À tort ou à raison, ils estiment que l'on cherche à court-circuiter les recommandations des groupes spéciaux et de l'organe d'appel permanent en mettant en place des mesures alternatives qui, à leur avis, heurtent l'esprit de ces rapports.

Loin de moi l'idée de me prononcer sur le fond de ces affaires et sur les enjeux de politique publique qu'elles mettent en cause. Ce que je constate avec un peu de recul, c'est qu'il y a des lacunes à la sortie de la procédure de règlement des différends, que les Américains en ont été victimes à au moins deux reprises, qu'ils ne s'en réjouissent pas, que ces péripéties vont vraisemblablement alimenter le scepticisme d'un segment important de leur classe politique et de leur opinion publique à l'égard du système multilatéral tout en donnant des munitions ou des justifications à l'approche unilatérale. Cela devrait nous préoccuper tous car, comme le disait plus tôt mon collègue, s'il y a une menace qui pèse sur le cadre dans lequel évolue présentement le commerce international, c'est bien les velléités unilatéralistes de la première puissance politique et économique du monde.

Sur l'exception culturelle contenue à l'article 2106 et à l'annexe 2106 de l'ALENA, je veux simplement dire que, de mon point de vue, la récente défaite du Canada devant l'OMC dans l'affaire des périodiques a mis en évidence que le Canada s'est fait magistralement flouer avec l'exception culturelle de l'ALENA. L'exception culturelle, c'est un peu la ligne Maginot de l'ALENA: il suffit de passer par l'OMC pour la contourner.

Je crois sincèrement que s'il y a des négociations qui s'ouvrent sur une Zone de libre-échange des Amériques, le Canada devrait profiter de cette occasion pour demander une remaniement de l'exception culturelle de l'ALENA de manière à ce que l'on ne puisse plus la contourner en utilisant le cadre de l'OMC. On pourrait ainsi envisager, pour les matières culturelles, un mécanisme similaire à celui des paragraphes 2005(3) et 2005(4) de l'ALENA, lequel mécanisme concerne des mesures que l'on cherche à justifier par des considérations liées à l'environnement, à la conservation, aux mesures sanitaires et phytosanitaires de même qu'aux mesures normatives.

L'échec des négociations de l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, sous l'égide de l'OCDE invite à la prudence quant à l'intégration de négociations d'une telle nature à la prochaine ronde de l'OMC. Je suis d'avis que si des négociations sur l'investissement étranger sont engagées lors de la prochaine ronde de négociations, elles devront rester modestes dans leurs ambitions et plus équilibrées sur le plan idéologique que celles de l'OCDE.

• 1430

J'estime également que l'on devrait se garder de proposer comme modèle sur la scène multilatérale les règles sur l'investissement que l'on retrouve dans l'ALENA, au chapitre 11. Si l'on fait abstraction du cadre supranational européen, les règles du chapitre 11 de l'ALENA représentent à l'heure actuelle les normes internationales sur l'investissement les plus contraignantes à l'égard de l'exercice de la souveraineté nationale et sans doute celles qui sont le plus fortement inspirées par l'idéologie du libéralisme.

Le chapitre 11 de l'ALENA est un modèle à examiner avec beaucoup de circonspection, notamment parce qu'il permet à un investisseur étranger de poursuivre l'État et de réclamer des indemnités pour des actions législatives et réglementaires engagées par l'État. L'État est poursuivi parce qu'il légifère, ce qui est exorbitant et inédit. Le droit interne canadien ne reconnaît pas, en principe, une telle faculté à l'entreprise privée; le mécanisme de règlement des différends de l'OMC ne force pas l'État qui a succombé à verser une indemnité à l'État plaignant. Mais voilà qu'en vertu du chapitre 11 de l'ALENA, une multinationale américaine peut forcer l'État canadien à lui verser des dommages-intérêts parce que l'État canadien exerce la faculté de légiférer ou de réglementer. C'est excessif: à cet égard, nous sommes descendus trop loin sur la pente du kafkaïsme juridique.

Au sujet de l'harmonisation du régime antidumping et des lois sur la concurrence, je veux d'abord faire ressortir le fait que les règles antidumping et les dispositions des législations nationales sur la concurrence relatives aux pratiques de prix déraisonnablement bas poursuivent un objectif commun, soit le maintien de conditions de concurrence loyale. Aussi peut-on s'interroger sur la logique et la pertinence sur le plan de la politique publique de maintenir deux régimes juridiques distincts, l'un s'appliquant aux producteurs étrangers et centré sur l'administration des droits antidumping, l'autre qui police les opérateurs oeuvrant sur le marché interne et qui vise à contrer les politiques de prix prédatrices.

Une telle dualité de régimes m'apparaît artificielle; il m'apparaît difficile de cerner sa rationalité. Je pense donc que lors de la prochaine ronde de négociations de l'OMC, le Canada devrait s'efforcer de promouvoir la convergence du régime antidumping, d'une part, et des règles sur la concurrence concernant les pratiques de prix déraisonnablement bas, d'autre part.

C'était les commentaires que je souhaitais formuler. Je remercie les membres du comité pour leur bienveillante attention.

Le président: Merci, monsieur le professeur. Je vous remercie tous d'avoir limité vos commentaires à 15 minutes. Nous avons donc une heure pour la période de questions.

Je donne la parole à M. Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci à tous les témoins qui ont abordé divers sujets. J'aimerais bien poser des questions à chacun d'entre vous, mais nous resterions ici indéfiniment et notre président n'aurait pas droit à sa sieste. Comme mes collègues vous poseront des questions, j'espère avoir plus tard l'occasion de reprendre plusieurs de vos commentaires et les questions fort intéressantes que vous avez soulevées.

Je m'en tiendrai pour l'instant à Mme Bonnie Campbell et à son exposé.

Madame Campbell, j'ai accompagné récemment le gouverneur général lors de la visite officielle qu'il effectuait en Afrique, et c'est pourquoi je connais très bien la situation que vous nous avez décrite: J'ai donc quelques questions à votre intention, de même que certaines observations à faire.

J'ai moi-même grandi en Tanzanie, à une époque où le pays avait opté pour la voie du développement.

Au cours de cette visite officielle, nous nous sommes rendus en Afrique de l'Ouest, dans bon nombre des pays dont vous nous avez parlé, ainsi qu'en Tanzanie. À bord de l'avion, nous étions accompagnés par les dirigeants des compagnies minières, et une bonne partie des contrats qui ont été signés l'ont été par ces mêmes dirigeants, ce qui illustre tout à fait ce que vous avez expliqué. Je me réjouis de la coïncidence de ces deux événements.

Laissez-moi vous dire que j'ai eu des discussions avec le président Nyerere—et vous avez parlé de la privatisation et de l'évolution de la structure politique en Afrique, qui ne vous semble pas, de votre point de vue, bénéfique. Or, le président Nyerere m'a dit d'une façon directe qu'il avait retiré le pouvoir aux entreprises privées qui existaient dans son pays et qu'il les avait mises sous la tutelle de l'État. Autrement dit, comme il me l'expliquait, il leur avait substitué le pouvoir.

• 1435

Toutes ces entreprises ont aujourd'hui fait faillite. Pourquoi? Parce que l'intervention de l'État ne donne aucun résultat, comme j'en ai été témoin. Votre mémoire parle de l'intervention de l'État. Bien sûr, le président a admis que les États s'étaient affaiblis du point de vue économique et qu'ils n'avaient pas de pouvoir. Mais le pouvoir qu'ils détenaient, ils ont réussi à le détruire en le retirant aux entreprises privées, ce qui a signé son arrêt de mort.

Je souscris à un de vos arguments, à savoir qu'il n'y a plus de classe d'entrepreneurs dans ce pays-là, comme l'a admis lui-même le président. Si elle a disparu, c'est qu'elle a été boutée hors du pays, le jour où le président s'est approprié l'économie. Aujourd'hui, le président admet qu'il lui faudrait 30 à 40 ans pour recréer cette classe d'entrepreneurs. Mais qui a le temps d'attendre si longtemps? J'ai vu les conditions économiques des pauvres se détériorer encore plus, depuis l'époque où j'y vivais. Vous avez raison de dire que le seul espoir de ce pays, tout ce qui lui reste, c'est de laisser les compagnies étrangères s'installer chez lui. C'est un énorme prix à payer!

Vous avez aussi parlé du Congo et de l'évolution de la pensée politique, en expliquant qu'il y avait une certaine évolution dans certains pays d'Afrique. Toutefois, dans d'autres pays d'Afrique, l'évolution politique est au point mort. Il y a quand même un certain espoir—comme j'ai pu le constater moi-même au cours de la visite officielle—au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Tanzanie et au Maroc. Vous savez que le Maroc est une monarchie, mais que celui qui est aujourd'hui premier ministre a passé les 20 dernières années en prison.

Je crois qu'il y a une lueur d'espoir pour ces pays-là, dans la mesure où ils peuvent séparer les différents pouvoirs et créer des institutions indépendantes. C'est essentiel pour leur avenir. Vous avez peut-être raison dans ce que vous dites, mais c'est la seule façon pour ces pays de s'en sortir, à cause de leur mauvaise manoeuvre qui a engendré encore plus de pauvreté.

Mais en rétrospective, j'avoue que faire confiance à l'élite de ces pays, c'est une toute autre paire de manches. Les différentes élites—parfois en collaboration avec les multinationales—font souvent ce que vous avez mentionné. Mais le Canada devrait exiger l'imputabilité et la transparence, plutôt que d'empêcher les investissements. En fait, nous pourrions avoir une certaine influence économique à l'intérieur de ce pays—et je suis ravi de le dire, étant donné que j'étais assis de l'autre côté—et nous pourrions créer le changement voulu et instaurer les conditions nécessaires à la préservation des droits de la personne, comme vous l'avez exigé. Nous pouvons agir en étant présent là-bas.

Mme Bonnie Campbell: Puis-je réagir?

Le président: Bien sûr. Considérez que c'est une question ou même un commentaire.

Mme Bonnie Campbell: Cela pourrait durer longtemps.

M. Deepak Obhrai: Tout à fait.

Mme Bonnie Campbell: Ce sont des questions très importantes, mais qui ne sont pas simples.

Je ne tenterai même pas d'aborder la question de l'État et du pouvoir en Afrique. Mais j'essaie de vous faire comprendre qu'il faut faire la distinction entre, d'une part, certains types autoritaires de régimes corrompus et, d'autre part, ce que l'on constate actuellement, à savoir une redéfinition du rôle et des prérogatives de l'État, et cette réflexion va totalement à l'encontre de l'histoire de l'Asie ou de l'Amérique du Nord.

L'État a été un agent de développement, et l'Asie ne serait pas industrialisée aujourd'hui si l'État n'était pas intervenu. Les États ont joué un rôle important dans la protection des ressources. J'ai étudié la différence qui existait entre deux codes d'exploitation minière en Guinée. Le plus récent des codes, celui de juin 1995, oblitère systématiquement tout renvoi à la protection de l'environnement. Ce qui m'inquiète, lorsque l'on parle d'ouvrir ces pays, c'est que nous ne leur permettons pas d'instaurer les conditions favorables aux types de stratégies de développement dont ils ont besoin. Je ne nie pas qu'à très court terme, il y a de véritables problèmes politiques à résoudre, mais il ne faudrait certainement pas ouvrir les pays au point de laisser leur pouvoir se disperser entre les mains de grandes compagnies internationales.

• 1440

Vous dites que la Côte d'Ivoire est un exemple qu'il faudrait suivre. Sachez que la Côte d'Ivoire vient de privatiser toute son industrie de coton. Or, la même compagnie qui a acheté la production de coton contrôle également les routes vers la côte ainsi que le fret maritime. On nage en plein jeu de Monopoly! Comment un pays peut-il négocier de façon appropriée le prix de ces matières brutes s'il ne fait affaire qu'avec un seul acheteur, s'il n'y a qu'une route vers la côte et qu'il n'existe aucune concurrence? On a l'impression, à tort, que le marché est compétitif.

Si l'on prend le temps de regarder qui sont les véritables acteurs de ce processus de libéralisation, on constate qu'il n'y a aucun équilibre dans la concurrence. Or, il faudrait que l'on vise un certain équilibre des pouvoirs. À mon avis, la responsabilité du Canada ce serait de vérifier que nos compagnies qui font affaire dans les pays tels que le Ghana, la Tanzanie et la Zambie, sont en mesure de travailler avec la population locale qui assurera, pour sa part, le suivi, de façon que nous ne cherchions pas, comme Canadiens, à exporter nos façons de faire.

M. Deepak Obhrai: Je comprends, mais nous devons également tenir compte de l'ensemble du monde dans le contexte des négociations de l'OMC. Nous devons établir des règles mondiales. Vous, vous préférez monter en épingle une petite zone de problèmes dans ce continent qui exigent une solution spécifique dans cette région du monde. Mais on ne peut pas utiliser l'OMC dans un contexte de libéralisation mondiale et de commerce mondial pour l'appliquer de façon étroite aux problèmes que vous avez signalés et qui, comme nous l'avons tous deux dit, pourraient exiger une intervention spécifique et locale, voire des initiatives locales. L'OMC n'est pas la tribune privilégiée pour soulever ce problème. Pour ce qui est de cette industrie du coton dont vous avez parlé, je répète que ce pays n'a pas le choix et qu'il faut qu'il s'industrialise à long terme.

Je vois que nous ne sommes pas du même avis, mais sachez que l'OMC a une optique mondiale sur la question. Mais nous pourrons étudier votre mémoire, et je comprends vos préoccupations.

Mme Bonnie Campbell: Puis-je réagir? On décrit toujours le continent africain comme étant extrêmement pauvre, et il évoque des images de pauvreté. Or, le continent africain produit 30 p. 100 de tout l'or du monde et a 54 p. 100 des réserves mondiales d'or. Le continent africain compte le plus grand nombre de mines de diamants. Du côté des minéraux, sachez que 48 p. 100 de la bauxite que consomment les États-Unis provient de la Guinée. Ce sont des chiffres officiels. L'Afrique est extrêmement riche en matière brute. Or, où se trouvent actuellement les zones de conflit armé? En Angola, où le conflit est financé par les diamants; au Sierra Leone, où le conflit est financé par les diamants; au Zaïre... Regardez ce que cela donne.

J'essaie de vous faire comprendre qu'il y a un lien direct entre, d'une part, le respect des droits d'une population de contrôler ses propres stratégies de développement et, d'autre part, les négociations entourant les accords commerciaux. Les deux sont intimement liés. Or, ce n'est pas ce qui se passe là-bas. C'est une façon de segmenter... Les échanges commerciaux et les droits de la personne sont intimement liés...

M. Deepak Obhrai: Madame, je suis né et j'ai grandi en Tanzanie. J'y ai étudié et j'y ai travaillé. J'y ai passé la moitié de ma vie, et ce pays est ma terre natale.

[Français]

Le président: Madame Debien.

Mme Maud Debien: Bon après-midi mesdames, messieurs.

J'aimerais poser ma première question à M. Gagné, mais je voudrais auparavant dire à Mme Campbell que je partage ses préoccupations et que je suis loin de celles de mon collègue Obhrai.

Monsieur Gagné, vous avez parlé de la culture, de l'exemption culturelle ou de l'exception culturelle. Certains témoins sont venus nous parler de la création d'un nouvel instrument à l'OMC pour protéger la culture, alors que d'autres intervenants ont insisté davantage sur le maintien de l'exception culturelle qui existe actuellement.

Dans votre cas, vous n'avez pas parlé d'exception culturelle proprement dite, mais de la reconnaissance du caractère spécifique de la culture. Est-ce que ce terme que vous avez utilisé fait appel à la création d'un nouvel instrument ou s'il s'insère vraiment dans le cadre de l'exemption ou de l'exception culturelle générale qui existe actuellement? Cette question s'adresse à M. Gagné.

• 1445

Voici maintenant une question qui s'adresse à Vilaysoun. Bonjour. Dans la dernière partie de votre document, vous avez parlé de l'harmonisation du régime antidumping et des lois sur la concurrence. On sait que, pour la première fois à l'OMC, la concurrence doit être inscrite à l'ordre du jour. Jugez-vous que toute la question des mesures antidumping devrait être examinée dans le contexte de la question de la concurrence?

Ce sont mes deux questions pour le moment.

M. Gilbert Gagné: Madame Debien, vous avez raison. Les termes «exemption» et «exception» sont souvent utilisés comme synonymes. Je partage tout à fait les vues de mon collègue, qui a parlé de l'exemption culturelle dans l'ALENA. Cela ne marche pas parce que les États-Unis ont un pouvoir de représailles.

Plus de 80 p. 100 des exportations du Canada vers les États-Unis. Dans le cas des périodiques, qui font l'objet d'un différend très sérieux avec les États-Unis, les Américains nous menacent de sanctions beaucoup plus importantes que le préjudice qu'ils subiraient du fait de la protection de nos industries culturelles. Ils nous menacent dans des secteurs névralgiques, ceux du bois d'oeuvre et de l'acier pour faire pression sur le Canada. Donc, c'est une exemption qui n'en est pas une parce qu'à chaque fois que vous voulez protéger votre culture, les États-Unis peuvent adopter des mesures de représailles. Autrement dit, si la culture avait fait partie de l'Accord de libre-échange, on aurait été probablement mieux en mesure de protéger nos intérêts. C'est dans ce sens-là que je parlais d'une exception, exception qui suppose une reconnaissance du caractère spécifique. Si vous vous entendez pour reconnaître qu'un secteur d'activités doit faire l'objet d'un traitement spécifique, vous lui reconnaissez un caractère exceptionnel: il doit faire l'objet de certaines exceptions.

Normalement, la culture devrait faire l'objet d'une exception en ce sens qu'un État pourrait, dans le meilleur des mondes, adopter des mesures pour préserver sa culture sans être l'objet de sanctions commerciales. Je ne pense pas que ce soit réaliste, compte tenu des États-Unis d'Amérique et compte tenu aussi du fait que dans le cadre du processus de mondialisation, il pourrait être dans l'intérêt du Canada de pouvoir exporter certains aspects de sa culture ailleurs sans se voir soumis à certaines restrictions.

C'est curieux à dire, mais PolyGram, la deuxième maison de distribution d'enregistrements et de disques dans le monde, appartient à Seagram, qui est basé à Montréal. Donc, peut-être que le Canada aurait avantage à ce qu'il y ait une certaine mondialisation.

Je ne crois pas qu'un nouvel instrument au sein de l'OMC pourrait être vraiment utile. Je pense qu'il faut reconnaître le caractère spécifique de la culture. Dans le différend sur les périodiques, il n'y a pas longtemps, le problème était que la culture était reconnue comme n'importe quel autre domaine, comme une marchandise. C'est ce que les États-Unis veulent, mais c'est ce que la plupart des autres pays ne veulent pas.

Une reconnaissance du caractère spécifique de la culture permettrait à des États comme le Canada de préserver leur culture, surtout quand il s'agit de survie culturelle. On sait que 83 p. 100 des périodiques distribués au Canada sont étrangers. On ne parle pas de préserver une situation de monopole de l'industrie canadienne des périodiques. On parle simplement de lui garder une petit aire pour qu'il y ait un espace culturel typiquement canadien. Je crois qu'une reconnaissance de la spécificité culturelle dans des accords suffirait pour assurer une certaine marge de manoeuvre aux États pour préserver leur culture.

Je ne suis pas un institutionnaliste et je n'ai jamais entendu parler d'un nouvel instrument, mais je pense qu'il faudrait une reconnaissance du caractère spécifique de la culture. Pour cela, il va falloir qu'il y ait un consensus et un front commun des États industrialisés, de beaucoup d'autres États du monde face aux États-Unis.

Ce qui me sidère dans le domaine culturel, c'est de voir que la plupart des États industrialisés et des États en développement s'opposent à des concessions en matière culturelle, mais qu'il n'y a que le Canada et la France pour faire face aux États-Unis. Les autres États sont passifs. Ou bien ils ne tiennent pas vraiment à leur culture, ou bien je m'explique mal pourquoi ils demeurent passifs s'ils tiennent vraiment à la préserver. Apparemment, ils sont opposés à des concessions dans le domaine culturel.

• 1450

Peut-être que le Canada et la France n'ont pas été en mesure de vraiment unir leurs intérêts et de faire front commun. Si le Canada et la France pouvaient conclure une alliance très forte et faire front commun face aux États-Unis lors de la prochaine ronde de négociations de l'OMC, peut-être pourrions-nous finalement avoir la reconnaissance de ce caractère spécifique, quitte à ce que plus tard, au cours des négociations subséquentes, on améliore des éléments qui se seront révélés déficients, par exemple en ce qui concerne le règlement des différends dans l'OMC. À mon avis, on pourrait y aller par étape, mais ce qui est vraiment fondamental, c'est de reconnaître le caractère spécifique de la culture. La culture n'est pas une marchandise. Tant qu'on n'aura pas obtenu cela, les intérêts culturels au sein du régime commercial international seront nettement en danger.

Mme Maud Debien: Merci.

M. Vilaysoun Loungnarath: Si vous me le permettez, madame la députée et monsieur le président, j'aimerais enchaîner sur ce que disait mon collègue avant de répondre à votre deuxième question.

Je suis d'accord, du moins en partie, sur ce que vous avez dit. Je crois qu'il faut partir d'un constat. La clause d'exception culturelle de l'ALENA, parce qu'il n'y en a pas dans le système multilatéral, ne fonctionne pas. Elle ne fonctionne pas pour au moins deux bonnes raisons.

La première, c'est qu'on a constaté qu'on pouvait la contourner facilement avec l'OMC. La deuxième raison est ce que soulevait mon collègue, c'est-à-dire ce fameux mécanisme de sanctions que les Américains peuvent exercer de façon unilatérale. Cette possibilité qu'ont les Américains de se compenser eux-mêmes par l'entremise de sanctions n'est à peu près pas contrôlée. On l'a vu dans le cas des périodiques, où ils ont voulu jouer sur l'acier de Mme Copps. Ce sont deux faiblesses assez fondamentales, assez structurelles qui font qu'on arrive à la conclusion que cela ne fonctionne pas.

Là où je diverge d'avis avec mon collègue, c'est que je crois que les Québécois et les Canadiens auraient beaucoup plus de chances de gagner des points au niveau multilatéral. Pourquoi? Parce qu'on a des appuis. On peut compter sur des appuis potentiels de taille au niveau multilatéral, notamment celui de la France et celui de l'Union européenne. Dans l'ALENA, il y a le Mexique, bien sûr, mais le Mexique n'a pas d'exception culturelle. Le Mexique ne s'est pas battu pour l'exception culturelle. L'exception culturelle ne s'applique pas aux rapports Mexique-États-Unis. Alors, à mon sens, on aurait bien plus de chances de gagner des points au niveau multilatéral.

Quelle forme pourrait revêtir cet instrument-là? Si vous visez trop large ou si vous visez trop grand, d'une part, vous risquez de vous faire opposer une fin de non-recevoir du côté des Américains et, d'autre part, vous devrez faire des concessions. On aurait peut-être intérêt à avoir quelque chose ayant un champ d'application moins vaste que la clause actuelle, mais plus hermétique. Ce qui me dérange plus particulièrement, c'est cette possibilité de sanctions unilatérales. Je pense qu'il va falloir faire preuve d'imagination à ce niveau-là. Nos négociateurs devront faire preuve d'imagination, mais de mon point de vue, calquer la clause de l'ALENA constituerait une erreur.

Pour ce qui est de votre deuxième question, oui, à la limite, c'est ça. À la limite, si on réussit à développer un régime assez étoffé au niveau de la concurrence, ce qui m'apparaît peu réaliste pour le moyen terme, dois-je dire, on pourra alors se poser la question de l'opportunité et de la pertinence de maintenir les régimes antidumping. Les régimes antidumping et les dispositions des lois sur la concurrence concernant les politiques de prix prédatrices poursuivent les mêmes finalités. Les logiques sont différentes. On se retrouve avec une dualité de régime, avec deux jeux de règles qui obéissent à des logiques différentes, et cela produit des résultats souvent absurdes et parfois injustes.

Dans un monde idéal où il n'y aurait que des idées et des idéaux, on tendrait à un régime unique qui serait dominé par la logique du droit de la concurrence plutôt que par la logique particulière des régimes antidumping, mais il faut aussi tenir compte des réalités et des intérêts en présence. Je pense qu'à moyen terme, il sera difficile de déplacer complètement les régimes antidumping.

Mme Maud Debien: Merci.

Le président: Monsieur Bachand.

• 1455

M. André Bachand: C'est très intéressant de vous entendre. Vous apportez tous un élément particulier à des sujets sur lesquels on a lu ou dont on entend parler depuis un petit bout de temps, mais force est de constater que, selon les groupes, on parle d'une primauté ou d'une prépondérance différente. On parle, par exemple, du droit de légiférer, de la prépondérance ou de la primauté de l'environnement, de la prépondérance ou de la primauté de la personne. Le professeur Gagné parlait d'une certaine primauté exceptionnelle au niveau de la culture. Lorsque plusieurs éléments ont la primauté, il n'y plus de véritable primauté ou prépondérance qui existe.

C'était un simple commentaire. Je suis loin d'être un spécialiste des ententes internationales, mais nous devrons présenter au gouvernement un rapport dans lequel nous tenterons de canaliser les souhaits de l'ensemble des gens à la veille d'une importante ronde de négociations. Donc, on a un problème de mise en place des primautés ou des prépondérances. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Deuxièmement, depuis quelques années, l'OMC est une structure très importante. Lorsqu'il y a des conflits dans le cadre d'autres ententes internationales, notamment dans le cadre de l'accord sur les ADPIC si je ne me trompe pas, c'est l'OMC qui les règle. On renvoie à l'OMC le règlement des conflits dans le cadre de l'accord sur les ADPIC. Il y a des centaines et peut-être même des milliers d'ententes internationales qui existent. Il y a en quelque sorte un constat d'échec. C'est une question que je vous pose parce que je ne suis pas un spécialiste. On semble dire que la majorité des ententes qu'on a signées posent un problème d'application parce qu'il y a une superstructure qui existe, qui s'appelle l'OMC. C'est un peu comme l'ONU qui est maintenant remplacée par l'OTAN. On dit que l'ONU n'a pas de dents et que l'OTAN en a, et qu'on va régler donc nos différends à l'OTAN. L'accord sur les ADPIC, la culture, l'OIT, etc., tout ça ne marche pas. On veut aussi inclure le droit du travail dans les primautés de l'OMC parce que l'OMC a des dents.

J'aimerais vous entendre là-dessus. On semble vouloir donner énormément de pouvoir à un nouvel organisme international, parce que cet organisme n'a plus rien à voir avec ce qui existait en 1947. On ne parle plus du GATT. Tout cela a été changé. On se rend compte que l'OMC va devenir l'OTAN du commerce international. C'est une base de négociations complètement différente de celle qui existait avant.

J'aimerais que vous nous éclairiez un petit peu, ou en tout cas que vous m'éclairiez.

Mme Ysolde Gendreau: Monsieur le président, puis-je faire un commentaire? Effectivement, cela a été un des problèmes de la propriété intellectuelle, du droit d'auteur. En conséquence, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui gère les traités, s'est réveillée d'une certaine manière. Je ne peux pas dire qu'elle était endormie parce qu'elle a beaucoup de travail à faire et en fait beaucoup, mais cela l'a vraiment conscientisée des problèmes de règlement des différends. Je crois que c'est à cause de cela qu'elle a été plus active dans la mise sur pied les deux autres traités. Elle a aussi établi un centre d'arbitrage, un traité sur l'arbitrage des différends en matière de propriété intellectuelle.

Ce phénomène que vous signalez appelle des réactions de la part des autres organismes. Si on constate qu'on ne peut pas tout faire faire par l'OMC, il appartient peut-être toujours aux pays et au milieu concerné, par exemple le milieu du travail si on veut parler de l'OIT, de dire: vous êtes en train de voir le pouvoir vous passer entre les doigts parce qu'on est en train de tout donner à l'OMC; votre organisme est en train de perdre sa raison d'être, sa crédibilité, son statut, son importance, et vous devez faire quelque chose.

• 1500

Je pense donc qu'on peut vivre avec une communauté de ressources de règlement des différends, mais c'est au milieu même à dire: «C'est vrai que l'OMC apporte des avantages et on pourra y aller, mais n'oublions pas qu'il y a d'autres solutions.» Si cela a été fait dans le domaine de la propriété intellectuelle—je donne cet exemple parce que je le connais bien—, peut-être que cela peut se faire ailleurs, mais il faut que le mouvement vienne de ces milieux-là.

Le président: Monsieur Loungnarath.

M. Vilaysoun Loungnarath: Je crois qu'il y a effectivement un danger potentiel d'hégémonie de l'OMC. Potentiel? Cela s'est manifesté en propriété intellectuelle, comme le signalait ma collègue, et ça pourrait aussi se manifester dans le domaine de l'environnement si on parvenait à intégrer dans l'OMC des normes sur l'environnement. Cela ne se manifeste pas, mais cela pourrait se manifester à moyen terme dans le domaine du travail si on parvenait à intégrer des normes significatives en matière de droit du travail dans l'OMC, ce qu'on n'a pas réussi à faire de façon convaincante jusqu'à maintenant. Cela pourrait aussi se manifester au chapitre de la concurrence si on parvenait à intégrer des normes en matière de concurrence.

Maintenant, est-ce souhaitable? Je crois qu'il y a deux volets dans votre question. D'une part, on doit constater l'existence d'une réalité dans le cas de la propriété intellectuelle et l'existence d'une potentialité dans le cas des domaines que j'ai fait ressortir. Il faut maintenant se demander si c'est souhaitable.

À mon sens, il faut faire ressortir deux forces du mécanisme de l'OMC, qui a ses faiblesses ou ses failles, je suis d'accord avec vous, mais qui a aussi ses forces. La première, c'est le nombre de pays membres: 130 membres. Ce ne sont pas toutes les organisations internationales qui ont 130 membres. Et on se bat pour devenir membre de l'OMC; on fait la queue. La deuxième grande force de l'OMC est son mécanisme de règlement des différends. Je pense qu'on a à l'heure actuelle le mécanisme international multilatéral le plus poussé au niveau—excusez le mot—de sa juridictionnalité.

Le professeur Graham a enseigné le droit international avant de siéger à la Chambre des communes. Dans le droit international, il y a autant de politique que de droit, ce qui fait que cette matière est très intéressante pour certains alors qu'elle est complètement kafkaïenne pour d'autres. Donc, le règlement des différends se fait tant sur la gamme politique que sur la gamme juridique, ce qui n'est pas nécessairement à l'avantage des petits pays.

Quand c'est le rapport de force politique ou le rapport de force diplomatique qui détermine le résultat, ce qui compte, c'est le muscle, la force politique, la force économique, le poids des diplomates ou des militaires du pays. Lorsque vous êtes dans une instance juridictionnelle, devant un juge, ce qui compte, c'est la valeur de vos arguments en droit. Je crois que dans les traités multilatéraux, le mécanisme de règlement des différends qui est le plus poussé sur le plan juridictionnel, le plus sophistiqué et le plus efficace, malgré toutes ses imperfections, est celui de l'OMC. Si on peut le faire jouer dans le domaine de la propriété intellectuelle, dans le domaine de la concurrence, dans le domaine de l'environnement et dans le domaine du droit du travail, ce sera un avancement pour la règle de droit et un gain pour les petits pays, y compris les pays en voie de développement et un pays comme le Canada, qui est peut-être très vaste sur le plan du territoire mais qui est quand même relativement modeste en termes de poids politique et économique.

M. André Bachand: Je vais vous arrêter, professeur, parce que mon temps est compté.

Le problème est de savoir si c'est souhaitable. Nous allons devoir nous pencher là-dessus. Si on donne tout à l'OMC et qu'elle devient l'OTAN du commerce, de l'investissement et de tout, il faudra changer sa structure. Si ce n'est pas souhaitable et qu'on crée d'autres organisations, encore là, il y aura une question de primauté, de prépondérance.

Vous avez très bien parlé de l'ALENA. Le tribunal n'est pas choisi. Pourquoi? Parce qu'il vaut bien mieux aller à l'OMC. On arrive tout de suite en Cour suprême. Avant de comparaître en Cour supérieure et en Cour provinciale, on veut aller tout de suite en Cour suprême. Le danger, c'est que si on garde les structures de l'OIT et de l'accord sur les ADPIC et toutes les autres structures semblables, il va falloir qu'il y ait dans l'accord de l'OMC des dispositions qui disent à l'OMC de ne pas toucher à telle ou telle chose.

• 1505

Imaginez-vous la difficulté que cela pourrait poser. Je soulève un commentaire sur la propriété intellectuelle. On parle de la propriété intellectuelle, mais c'est très vaste, la propriété intellectuelle. On parle aussi de la pharmacologie. La pharmacologie se situe au niveau de développements qui touchent l'environnement, les normes du travail, les mesures sanitaires et phytosanitaires, enfin tout ce que j'ai du mal à comprendre.

Il y a une question, non plus de droit, mais de primauté ou de prépondérance d'organisations internationales.

M. Vilaysoun Loungnarath: Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je pense qu'un monopole, ce n'est jamais bon. Je vous dirai de prime abord qu'un monopole OMC qui bouffe tous les os, qui cannibalise toutes les organisations internationales, ce n'est pas bon, même si c'est la matière que j'enseigne et que c'est mon gagne-pain.

Maintenant, il faut voir la jurisprudence ou les décisions rendues par les groupes spéciaux. Les groupes spéciaux ont tendance à ne pas faire d'excès sur le plan de la délimitation de leurs compétences. Ce n'est pas comme les tribunaux de droit interne, où on a tendance à dire: «Oui, bien sûr, nous avons compétence, nous avons juridiction.» Ils font preuve de beaucoup de retenue et de circonspection à cet égard.

Je vais énoncer un troisième élément et ensuite céder la parole à d'autres personnes, parce que je suis conscient que je parle beaucoup. Une des faiblesses des groupes spéciaux qui rendent les décisions est qu'ils sont unidimensionnels. Ce qui préoccupe ces gens, et cela tient peut-être à leur formation ou au milieu d'où ils proviennent, c'est la libéralisation du commerce. C'est cela qui les intéresse.

Quand on leur parle de considérations environnementales, comme dans l'affaire du thon et dans l'affaire des crevettes, ils ont tendance à dire que ce n'est pas le bon forum et que ce qui les intéresse, c'est le commerce. Je ne sais pas dans quelle mesure on est sur la même longueur d'onde ici, mais je pense qu'une des faiblesses des groupes spéciaux est qu'ils adoptent des approches unidimensionnelles, toujours fondées sur la libéralisation du commerce, et évacuent ou marginalisent les autres valeurs qui, à mon sens, font partie du portrait. Je pense que c'est une faiblesse du système GATT-OMC.

M. André Bachand: Merci de vos commentaires, monsieur. C'était extrêmement intéressant. On aurait pu tomber, non pas dans des questions phytosanitaires—ne vous en faites pas, je ne tomberai pas là-dedans—, mais plutôt dans des questions de barrières non tarifaires. Cela devient absolument...

Le président: C'était très intéressant. Je suis tout à fait d'accord.

Mme Ysolde Gendreau: J'aimerais dire deux mots. En propriété intellectuelle, les négociations du GATT ont été très mal vécues à l'origine, dans le milieu du droit d'auteur. C'était perçu comme un conflit entre deux institutions internationales, dont l'une allait avoir tout l'appui des États-Unis et allait bouffer l'OMPI. L'OMPI allait n'être rien finalement, parce qu'elle n'avait pas vraiment de force. Cela a été très mal vécu. Au tout début de l'accord sur les ADPIC, sous l'OMC, on voyait les représentants américains arriver avec leurs grosses bottes, et c'était extrêmement insultant. Je me souviens d'avoir entendu certaines personnes. C'était épouvantable. Mais tranquillement, ils se sont calmés et ont donné une marge de manoeuvre à l'OMPI, qui a aussi réagi, pour essayer d'arriver à un certain équilibre.

Ce que vous décrivez doit se produire dans un tas de domaines, mais j'ai l'impression qu'à l'OMPI, on a réussi à se tailler une place au soleil très rapidement parce qu'on avait vu la menace dès le début des négociations.

Le président: C'est un exemple fort intéressant. C'est le seul exemple qu'on ait entendu jusqu'à maintenant dans nos délibérations pour résoudre un peu ce problème d'enchevêtrement et d'empiétement d'institutions internationales l'une sur l'autre et de primauté. Ceux qui viennent devant nous ont chacun leur propre intérêt. On veut que telle chose ou telle autre chose ait la primauté, etc. Il est très difficile de savoir où on est dans tout cela.

Docteur Patry.

M. Bernard Patry: Je retourne à l'école avec des professeurs d'université, et c'est très bien. Merci, mesdames et messieurs. J'ai des commentaires à adresser à chacun de nos invités et j'aurai ensuite une question.

• 1510

Je commence par Mme Campbell. Vous nous avez parlé de règles de commerce de concert avec le droit au développement, les droits sociaux et les droits privés. Ma question est très simple et très précise. D'après vous, quel sera l'impact de l'entrée très probable de la Chine ou de la Russie sur les droits de la personne, non seulement pour la Russie et la Chine, mais aussi pour les droits de la personne humaine sur toute la planète? C'est ma première question.

Je m'adresse maintenant à M. Gagné. Monsieur Gagné, dans votre exposé, vous faisiez beaucoup d'efforts pour qu'on vous comprenne. Pour ce qui est des subventions, j'étais un peu perdu. Je vais donc revenir au domaine culturel.

M. Gilbert Gagné: Je sais, mais je n'ai pas pu faire 30 copies, comme on me l'avait demandé.

M. Bernard Patry: Eh bien, vous me donnerez une copie, parce que c'est un peu plus difficile à digérer.

M. Gilbert Gagné: Je suis d'accord.

M. Bernard Patry: Je vais revenir à la culture et aux biens et services. Vous avez très bien cerné le problème auquel on fait face ici, au Canada. M. Loungnarath en a aussi parlé. Lors d'une table ronde à Ottawa, des témoins nous ont dit que tout ce qu'on pourrait faire pour essayer d'avoir des exemptions était voué à l'échec. Ils nous ont dit clairement que c'était voué à l'échec. Donc, il faudra adopter une position plus proactive.

Il y a un comité qui a fait rapport sur les industries culturelles dans le cadre de la politique commerciale dans le secteur culturel. Comme Mme Debien l'a dit, ils veulent créer un nouvel instrument. M. Pilon de l'ADISQ, un des cosignataires de ce rapport, est venu devant nous hier et nous a dit que telle était la façon dont on devrait fonctionner. Il faut aller de l'avant. Je voudrais savoir si vous êtes d'accord sur cela.

Madame Gendreau, vous nous avez parlé des brevets pharmaceutiques, qui sont un peu mon dada, et du fait que l'Union européenne avait déposé une plainte contre le Canada devant l'OMC relativement aux deux exemptions prévues dans le projet de loi C-91, à savoir le fait que les compagnies génériques peuvent commencer à étudier les médicaments et à les fabriquer avant l'expiration du brevet, et aussi le fait qu'elles peuvent l'emmagasiner dans les six mois précédant la date d'expiration du brevet. On ne sait pas comment cela va fonctionner. Le panel n'a pas encore été formé et on devrait s'attendre à ce qu'une décision soit rendue d'ici neuf mois, je pense.

Vous nous avez parlé de mesures de restauration de la durée des brevets au-delà de 20 ans. Êtes-vous d'accord sur cette restauration de la durée des brevets au-delà de 20 ans?

Ensuite, vous avez éveillé ma curiosité relativement aux matières vivantes. On a appris beaucoup de choses. On a parlé notamment des organismes génétiquement modifiés et nous avons appris beaucoup de choses cette semaine. Je voudrais en savoir un peu plus là-dessus. Je voudrais savoir s'il est dans notre intérêt qu'il y ait des règles parallèles à celles de l'OMC dans ce domaine, dans la ZLEA, ou si ce ne serait pas bon.

Notre dernier témoin, M. Loungnarath, a terminé en disant qu'une des forces de l'OMC était son mécanisme de règlement des différends, mais à la page 2 de son mémoire, il nous dit qu'il y a des lacunes à la sortie de la procédure de règlement des différends et que les États-Unis en ont été victimes. Monsieur Loungnarath, que proposez-vous pour pallier ces lacunes? Je suis d'accord avec vous que le mécanisme des différends est quand même excellent.

C'est tout, monsieur le président.

Mme Maud Debien: Vous avez posé cinq questions.

M. Bernard Patry: Oui, mais je suis tout seul de mon côté.

M. André Bachand: Vous avez fait cinq commentaires et posé une question.

M. Bernard Patry: On apprend.

Le président: Il y a cinq questions et sept minutes pour y répondre. Vous voulez résoudre tous les problèmes du monde, si j'ai bien compris, mais en deux minutes seulement.

Madame Campbell.

Mme Bonnie Campbell: Je ne suis pas payée pour faire de la prospection, mais pour ce qui est de l'impact éventuel, je voudrais vous rappeler une anecdote.

Le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique a organisé avec le Conseil canadien des chefs d'entreprise, en 1996, je crois, une rencontre où il y avait des représentants des gens d'affaires et des représentants des organismes de droits, dont un militant des droits très connu de la Chine, qui disait que la condition d'admission de la Chine à l'OMC devait être un engagement de la part du pays à respecter les droits fondamentaux du travail de l'OIT. L'OIT a une très bonne convention, mais n'a pas les moyens de la faire respecter.

Pourquoi est-ce qu'on est en train de parler de l'OTAN, qui a remplacé l'ONU? C'est parce qu'il y a des rapports de force. Les rapports de force vont jouer à l'intérieur de l'OMC, et ce sera extrêmement intéressant. On peut deviner ce qui va se passer. Ce n'est pas joué d'avance. Je crois que ce sera un test extrêmement intéressant par rapport aux enjeux fondamentaux. J'espère que le Canada adoptera une position allant dans le sens de celle du militant chinois.

M. Bernard Patry: Merci.

M. Gilbert Gagné: Monsieur Patry, pour répondre à votre question par rapport à la culture, je vais répondre indirectement à la remarque de M. Bachand quant à la primauté des institutions.

• 1515

Certaines personnes impliquées dans le domaine des industries culturelles sont persuadées qu'au sein de l'OMC, on ne pourra pas en arriver à faire reconnaître le caractère spécifique de la culture. Ces personnes font un constat d'échec au sein de l'OMC et préconisent la création d'une autre institution. À ce moment-là, le problème qui va se poser sera celui de la primauté de l'institution par rapport à l'OMC. On va avoir créé un autre problème de primauté.

Si le Canada, la France et d'autres pays pouvaient faire front commun contre les États-Unis pour faire reconnaître le caractère spécifique de la culture, je pense que cela pourrait réussir. Le principal problème jusqu'à présent, c'est qu'il n'y avait pas de front commun. Il faudrait créer ce front commun. Ce ne sera pas facile de créer un front commun, mais il faut en créer un. Je ne pense pas qu'on puisse régler le problème en quittant l'OMC et en créant un autre organisme à côté. Je ne pense absolument pas que ce pourrait être une solution vraiment viable.

Mme Maud Debien: Ce n'est pas cela, la création d'un nouvel instrument. Je vous invite à vous procurer le rapport du Groupe consultatif sur le secteur culturel, où on explique très bien la nature de ce nouvel instrument international. Je peux même vous en donner une copie.

M. Gilbert Gagné: Vous parlez d'un nouvel instrument à l'intérieur de l'OMC?

Mme Maud Debien: À l'intérieur.

M. Gilbert Gagné: Oui, si c'est au sein de l'OMC, il vaut bien sûr la peine de vérifier.

Mme Maud Debien: On ne parle pas d'une structure indépendante.

M. Gilbert Gagné: Bien sûr, si ce n'est pas une structure indépendante, je suis d'accord. Nous étions d'accord sans le savoir. Je suis absolument d'accord, pour autant qu'on ne crée pas une autre structure indépendante de l'OMC pour traiter des questions de culture.

Le président: Madame Gendreau.

Mme Ysolde Gendreau: D'après moi, la réponse à la première question devrait être assez rapide. Je suis membre du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés et je crois qu'à ce titre, je ne peux pas émettre d'opinion personnelle sur le patent term restoration, sur le certificat de protection complémentaire. J'ai une opinion, mais étant donné mon statut dans ce conseil, je crois préférable de ne pas l'émettre.

Le président: Vous voulez la partager avec le docteur après la réunion?

Mme Ysolde Gendreau: [Note de la rédaction: Inaudible].

En ce qui concerne la matière vivante, c'est un sujet qui est récent en matière de brevets. Les pays qui sont le plus concernés par cela sont les pays d'Amérique latine. Il y a également l'Inde et l'Australie, à cause des peuplades aborigènes qu'il y a là.

Le véritable laboratoire de discussion sera la ZLEA. À l'OMC, on aura le minimum poli du point de vue international. Je crois que le véritable échange de points de vue aura lieu dans la ZLEA étant donné la présence des pays d'Amérique latine. Il y a tout un jeu diplomatique, évidemment, parce que les États-Unis sont là. Est-ce que la présence de l'Inde pourra faciliter les discussions à cet égard à l'échelle de l'OMC pour faire un contrepoids plus important d'un point de vue international? Ce sont des questions diplomatiques qui sont extrêmement difficiles à évaluer.

Donc, je pense qu'en matière de recherche de solutions, la masse critique va se trouver dans le cadre de la ZLEA.

M. Vilaysoun Loungnarath: Tout d'abord, je n'ai pas dit que le mécanisme était parfait. C'est probablement le moins mauvais dans le portrait actuel et le plus poussé sur le plan juridictionnel.

Maintenant, pour répondre à votre excellente question, j'aurais envie de vous dire que je n'en ai aucune idée. D'une part, on constate une faiblesse à la sortie, et je ne suis pas le seul à le dire. Je crois que cela a été largement commenté dans la littérature spécialisée et dans la presse internationale. On pourrait dire qu'il s'agirait tout simplement que le groupe spécial ou l'organisme d'appel soit plus précis et délimite mieux le cadre, un peu comme le fait la Cour suprême en matière de droits de la personne lorsqu'on attaque une loi fédérale ou provinciale sur la base de la Charte. Le problème, c'est qu'on reproche à la Cour suprême d'usurper les fonctions du législateur. Je crois que les premiers à être concernés et outrés par cela sont les législateurs.

• 1520

À ce niveau, si on donne plus de leviers aux groupes spéciaux et à l'organe d'appel, c'est la souveraineté nationale qu'on atteint et qu'on restreint. Donc, ce n'est pas une question très facile et il va falloir y réfléchir. On en a le temps, je crois. On peut penser à des solutions de nature procédurale. On n'est pas obligé de reprendre une nouvelle procédure au complet. On peut prévoir une procédure accessoire de révision des réactions de l'État ou des États qui ont succombé. Je pense qu'on pourrait s'orienter vers des solutions de nature procédurale mais, chose certaine, c'est une question complexe et il va falloir méditer là-dessus.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Puis-je faire une observation sur votre observation, monsieur Gagné? Il est difficile de faire front commun vis-à-vis des États-Unis. Je voyage dans plusieurs pays et je pose le problème canadien tel que je le conçois. Soit dit en passant, je suis un peu surpris de la solidarité de nos amis québécois quant à ces questions, parce que le Canada anglais est beaucoup plus menacé par l'invasion de la télévision par les films américains. Nous n'avons pas le prophylactique de la langue contre cette invasion, comme je le dis de temps en temps à Toronto.

M. Benoît Sauvageau: Le prophylactique?

Le président: J'emploie ce mot dans son sens dialectique, et non dans l'autre sens.

Une voix: Il est temps qu'on ajourne.

Le président: Les pays de langue espagnole ne voient pas là une menace, ce qui me surprend. Lorsqu'on demande aux gens s'ils sont en faveur d'une monoculture dans le monde, ils répondent tous non. Lorsqu'on leur dit qu'il y a un problème, la plupart des gens disent qu'il n'y a pas de problème. En ce moment, dans beaucoup de pays, par exemple en Argentine, où j'étais récemment, bien qu'il y ait beaucoup d'émissions télévisées traduites de l'américain, les gens n'ont pas le sentiment d'être envahis de partout. Il faut que ça progresse un peu plus avant que les autres ne conçoivent le danger. C'est le pire danger pour nous, parce que la guerre sera perdue avant que nous ayons la chance de faire la bataille. C'est cela, le grand problème, je crois. En tout cas, il faut militer là-dessus.

Ma question s'adresse plutôt à...

M. Benoît Sauvageau: Donnerez-vous du temps à Maud?

Le président: Je donne toujours le droit de parole à Maud si elle a quelque chose à dire sur la langue française, sur la langue de Molière vis-à-vis de la langue de Shakespeare.

Mme Maud Debien: Comme je vous l'ai expliqué, Bill, ces pays ne craignent pas la culture américaine parce qu'ils ont une identité nationale très forte. Elle existe depuis des siècles. Alors, ils se sentent beaucoup moins menacés. C'est un peu la même chose pour les Québécois, mais ce n'est pas la même chose pour les Anglo-Canadiens, parce que leur sentiment identitaire n'est pas encore assez puissant.

Le président: Bon.

Mme Maud Debien: Vous êtes très près des États-Unis et vous vous sentez davantage menacés.

Le président: Vous pourrez toujours dire cela à Margaret Atwood, à John Ralston Saul et à quelques autres auteurs canadiens-anglais. Ils vont vous répondre qu'il y a dans ce pays un sens de la culture anglophone qui est assez vivant, mais qu'au niveau de la télévision, c'est...

Mme Maud Debien: On pourrait discuter de cela longuement.

Le président: En tout cas, j'aimerais poser une question au sujet de l'OMC. En matière de règlement des différends, vous dites que le processus de l'OMC est probablement le meilleur de tous les systèmes internationaux qu'on a. Je suis tout à fait d'accord, mais vous avez aussi fait mention de deux affaires récentes, celle des bananes et celle des périodiques, qui posent certains problèmes, peut-être pas quant au processus de règlement des différends lui-même, mais quant aux sanctions imposées à la fin du processus.

• 1525

Est-ce qu'on peut continuer d'avoir un système de sanctions aussi néfaste et aussi déloyal pour les innocents? Prenons le cas des bananes. Les États-Unis intentent un procès contre l'Europe. Ni les États-Unis ni l'Europe ne produisent des bananes. C'est un peu bizarre. Qui paie le prix de cette guerre? Ce sont des gens qui produisent des chemises en Écosse et du fromage en Italie, qui n'ont rien à voir avec...

M. Bernard Patry: Avec les bananes.

Le président: Vous parliez de l'affaire des périodiques entre les États-Unis et le Canada. Qui va payer la note? Ce sont les gens qui produisent de l'acier à Hamilton, etc. Ils sont choisis pour des raisons très précises par celui qui veut gagner la guerre.

Serait-il possible pour les juristes de concevoir un meilleur système, même un système de dommages-intérêts? Si on devait payer un montant d'argent, il serait partagé par les contribuables de l'État qui est responsable des dommages. Il ne faut pas qu'une industrie soit sélectionnée pour des raisons un peu surréalistes, pourrait-on dire. Pour moi, c'est une faiblesse du système. Si on avait dix affaires comme celles-là, il y aurait une révolte partout dans le monde, surtout dans les secteurs qui doivent payer la note. Ces secteurs diront qu'ils ne veulent pas de ce système du GATT s'il aussi déloyal et irrationnel.

Monsieur Gagné, êtes-vous d'accord?

M. Gilbert Gagné: J'aimerais dire que dans les deux cas, celui des périodiques et celui des bananes, les États-Unis ont eu recours à des sanctions unilatérales. Ils ont fait fi des règles de l'OMC. Ils ont tenu mordicus aux règles de l'OMC tant qu'elles ont fait leur affaire. C'est vrai qu'il y a un problème à la sortie, mais s'ils étaient aussi respectueux des règles de l'OMC qu'ils le prétendent, ils auraient attendu que certaines consultations aboutissent à des mécanismes qui auraient permis de trouver une solution dans l'OMC. Dans l'affaire des bananes, on est encore en train de déterminer si cela doit faire l'objet d'une nouvelle procédure ou s'ils ont droit à une procédure accélérée. Comme l'Europe ne veut rien savoir, les États-Unis n'ont pas voulu attendre. Ils ont dit: «Puisque vous ne voulez pas respecter les règles de l'OMC, nous n'aurons d'autre choix que d'adopter des sanctions unilatérales.» Donc, ce n'est pas l'OMC qui est à blâmer, mais plutôt un problème spécifique du mécanisme de règlement des différends à la sortie. C'est tout à fait vrai qu'il y a un problème à la sortie.

En tant que Canadien et Québécois, je suis outré de la décision de l'OMC dans le cadre de la querelle des périodiques, mais d'un autre côté, j'aurais préféré que le groupe spécial qui s'est penché sur la question examine la nouvelle politique du Canada, annoncée en juillet, pour déterminer tout de suite si elle se justifie en regard des règles internationales plutôt que d'adopter la position actuelle du gouvernement du Canada, qui est de laisser encore traîner les choses en longueur.

Le président: Monsieur Loungnarath.

M. Vilaysoun Loungnarath: Je trouve que votre piste est extrêmement intéressante. Une partie importante des problèmes à la sortie vient du fait qu'un pays peut, de façon unilatérale mais aussi dans le cadre multilatéral, adopter des sanctions dans des secteurs qui n'ont pas de rapport avec le litige. Effectivement, c'est une piste intéressante. Je crois qu'il faudrait fouiller cela. Est-ce qu'on ne pourrait pas essayer d'élaborer une solution alternative à ce mécanisme de sanctions qui, par ailleurs, faut-il dire, a été très peu utilisé dans l'histoire du GATT? Je pense qu'il a été utilisé une fois, pour un différend États-Unis-Hollande dans une affaire concernant les oeufs, je crois. Ce n'étaient pas les États-Unis qui l'avaient utilisé, mais la Hollande.

M. Gilbert Gagné: C'était une affaire de quotas de blé et de lait.

M. Vilaysoun Loungnarath: Bon, du lait.

Parlons de la culture. Ça m'angoisse beaucoup qu'on soit les seuls, avec les Français, à se préoccuper de cette question. Ce sont vraiment deux visions qui s'affrontent. Au-delà de la question de savoir si on est menacés ou non, ce sont deux visions qui s'affrontent à deux niveaux. D'une part, est-ce que la culture est quelque chose qui va plus loin que les produits culturels? Est-ce que la culture va plus loin que l'entertainment?

• 1530

C'est un débat dans lequel il y a deux positions, deux positions sincères, par ailleurs. Je pense que les Américains ont de la difficulté à imaginer ou à concevoir la culture comme quelque chose qui va au-delà des produits culturels, de l'industrie du disque, de l'industrie du cinéma, de l'industrie de la télé. Ce n'est pas ma conception. Je pense que la culture va au-delà des produits culturels. Vous connaissez le Canada anglais mieux que moi, mais je pense que le Canada anglais a parfois tendance à adopter cette approche américaine. Je regarde les périodiques. Entre vous et moi, est-ce que Sports Illustrated fait partie de la culture? Est-ce que la publicité sur les bateaux, le textile ou les vêtements fait partie de la culture? Peut-être, mais à mon sens, il y a deux visions qui s'affrontent ici. En Europe, c'est clair. En Europe, les industries culturelles ou les produits culturels sont une fraction infime de la culture, et les gens sont convaincus de cela. Ce n'est pas par snobisme s'ils disent cela. Ils sont vraiment convaincus de cela, et je ne parle pas seulement du président de la République. Discutez avec le boulanger du coin, et c'est ce qu'il va vous dire.

Donc, à mon sens, il y a ces visions qui s'affrontent. Il va falloir régler cela au niveau multilatéral et il va falloir que ça se reflète dans des instruments. On parlait d'un instrument spécifique multilatéral. Je crois que c'est une piste qu'il faut absolument explorer. Si je comprends bien, il y a actuellement un accord spécifique sur l'agriculture. Pourquoi ne pas en avoir un sur la culture? Je pense que cela rejoint un peu le sens de votre intervention, à savoir qu'il y aurait lieu d'en faire un secteur spécifique. Il faut faire quelque chose parce que, comme vous le dites, on risque de perdre la bataille avant même qu'il y ait bataille.

Le président: Je crois que M. Sauvageau était à Genève pour la réunion.

M. Bernard Patry: À Singapour.

Le président: À Genève pour l'OMC, la dernière fois. La présidente de la Commission des affaires extérieures du Parlement de la Communauté européenne, une Italienne, nous disait que la production de fromage faisait partie de la culture chez elle et qu'il fallait absolument préserver ce mode de vie et ainsi de suite. Évidemment, c'est une définition beaucoup plus large.

M. Bernard Patry: Un mode de vie.

Le président: Oui, un mode de vie. C'est une autre façon de voir les choses.

Chers collègues, nous attendons l'arrivée de notre dernier témoin. On m'a dit qu'il arriverait d'une minute à l'autre. Nous allons donc faire une pause-santé de cinq minutes, mais pas plus, parce qu'il faut absolument que nous terminions à 16 heures.

Je remercie les témoins d'être venus partager leurs opinions. C'était fort intéressant, malgré les interventions de M. Bachand au sujet de la primauté.

• 1533




• 1542

Le président: Soyez le bienvenu, monsieur Lavier. Je vous remercie de venir devant nous pour partager vos opinions sur l'OMC. Allez-y.

M. Thomas Lavier (étudiant en sciences politiques, Université McGill; témoigne à titre personnel): Monsieur le président, madame et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à m'excuser de mon retard. J'espère que cela ne vous a pas trop importunés. Je sais que M. le président s'en va bientôt, à mon grand regret. J'espère terminer avant son départ.

J'ai intitulé ma présentation d'aujourd'hui «Peut-on être justicier et exploiteur à la fois?» de manière un petit peu délibérée pour caricaturer ce qui, à mon avis, sera le plus grand défi du Canada au sein de l'OMC.

Dans ma présentation, je ne parlerai pas de la façon dont le Canada pourrait maximiser sa situation sur la scène internationale grâce à l'OMC. C'est un point de vue qui est assez diffusé et que vous avez certainement déjà entendu. Je vais plutôt mettre l'accent sur la façon dont le Canada va devoir essayer d'harmoniser plusieurs aspects de cette politique étrangère, notamment, d'une part, son engagement humanitaire et sa volonté de promouvoir des principes démocratiques et des principes d'entraide internationale et, d'autre part, sa position dominante à l'intérieur d'un système économique mondial.

Dans ma présentation, je n'aurai malheureusement pas l'occasion d'entrer dans les détails de ces engagements humanitaires. Ils sont assez évidents, à mon avis. Si vous le voulez, je serai disponible après ma présentation pour éclaircir ces principes et vous fournir quelques explications.

J'ai structuré ma présentation de la manière suivante. Premièrement, je vais mettre l'accent sur deux principes fondamentaux, qui sont les principes politiques théoriques de base sur lesquels repose ma présentation, et je vais ensuite vous parler de quelques prescriptions que je propose, de quelques initiatives que je souhaiterais que le Canada adopte au sein de l'OMC. Je serai évidemment disponible à la fin de ma présentation pour répondre à vos questions et éclaircir quelques points.

• 1545

Je commencerai par l'intérêt de la population canadienne. Je pense que cette commission-ci est en train de mesurer et d'explorer quel est l'intérêt de la population canadienne sur la scène internationale et au sein d'un organisme comme l'OMC.

J'ai une définition très simple à vous proposer. L'intérêt de la population canadienne est fondamentalement indivisible. Qu'est-ce que ça signifie? Ça veut dire qu'il existe au Canada un intérêt commun, que partagent tous les citoyens. Cet intérêt commun se distingue d'intérêts qu'on pourrait qualifier de privés, d'intérêts que des individus privés, des organismes ou des regroupements d'individus auraient.

Cet intérêt commun est servi par les politiques internationales en termes de commerce et de développement, mais aussi par les politiques intérieures, lorsque ces politiques sont au service ou au bénéfice de tous les citoyens ou d'une majorité des citoyens, dans le respect des minorités et de la Charte des droits et libertés.

L'application de ce principe signifie, en termes de prescription de politique, qu'il va falloir qu'on harmonise les différents intérêts au Canada, les différents intérêts que je qualifie de privés, afin de créer un consensus et de définir l'intérêt commun. Je reconnais que cela ne va pas sans difficultés.

Puisque vous êtes une commission parlementaire mixte, vous représentez différents intérêts politiques sur la scène fédérale. L'harmonisation des différents intérêts est un principe qu'on retrouve aussi dans le nom du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. C'est une façon de reconnaître l'intérêt d'harmoniser des objectifs ministériels. On reconnaît aujourd'hui que les affaires étrangères et le commerce doivent avoir une direction commune. C'est une illustration de mon concept d'harmonisation.

Le deuxième principe, et on va peut-être me demander beaucoup d'explications là-dessus après ma présentation, est que l'expansion du commerce international, pour le Canada, n'est pas un objectif absolu, mais un objectif plutôt secondaire ou subordonné. Je m'explique.

Je considère que la richesse n'est pas assez bien répartie au Canada pour qu'on prétende que l'argent apporté par les exportateurs bénéficie à la population en général. Je considère qu'au Canada, il n'existe pas d'effet domino qui fait que, lorsqu'un groupe économique particulier amasse beaucoup de revenus et prospère, il transmet ces revenus à l'ensemble de la population. De fait, le fossé entre les riches et les pauvres est en train de s'élargir, ce qui est une preuve du principe que j'énonce.

En vertu de la définition que je vous ai donnée de la nécessité de trouver un intérêt commun, si on considère que l'intérêt particulier ou privé des exportateurs ne correspond pas à l'intérêt commun, il faut trouver autre chose que la simple défense des intérêts des exportateurs pour créer un intérêt commun et pour défendre l'intérêt commun au Canada.

Toujours concernant le commerce comme un principe relatif plutôt qu'absolu, bien que personne ne puisse nier l'importance du commerce extérieur dans l'économie nationale, tout le monde est d'accord—c'est un débat qu'on a eu au moment de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange—qu'on ne peut pas sacrifier les principes qui nous tiennent à coeur, nous, Canadiens, au nom d'une meilleur compétitivité sur la scène internationale et au nom de meilleurs rendements d'exportation.

Pour simplifier la chose, j'ai trouvé un exemple. Si la condition pour que nous soyons plus performants en matière de commerce international est que nous devenions sud-coréens ou américains et que nous prenions les caractéristiques économiques de ces pays-là, je considère qu'il y a un problème et que nous devons alors faire l'exercice intellectuel de nous opposer à l'expansion du commerce international et de trouver des solutions alternatives.

Autrement dit, le commerce international, oui, mais pas à n'importe quel prix, surtout pas au prix de notre personne internationale, de notre rôle à jouer sur la scène internationale et de notre spécificité canadienne.

• 1550

En me fondant sur ces deux principes, j'en arrive à certains principes que j'aimerais que le Canada adopte au sein de l'OMC.

Les deux premiers principes sont assez immédiats et sont une continuation logique de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange.

Il y a d'abord le maintien de certaines exemptions sectorielles, un principe que je considère fondamental. Donc, le Canada doit à la fois continuer à protéger certains secteurs chez lui et promouvoir, au sein de l'OMC, la légitimité pour un pays de revendiquer le droit à des exemptions sectorielles. Il en découle qu'on devrait résister à des ententes du type de l'AMI dans la mesure où elles chercheraient à réduire ces exemptions. Le gouvernement canadien et le ministère des Affaires extérieures avaient l'intention, au moment de la négociation de l'AMI, de résister à certains de ces principes. J'aimerais qu'il y ait une continuation de ce combat.

Le deuxième principe est aussi un point qui a été soulevé lors de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA. Il s'agit de trouver une méthode pour résoudre les conflits qui soit équitable, en particulier pour les petites nations économiques. Il s'agirait donc de trouver une structure multilatérale, peut-être avec les deux parties concernées et un arbitre, afin de résoudre les conflits qui pourraient émerger entre deux acteurs commerciaux.

J'ajoute une condition à ce principe, Selon moi, lorsqu'un conflit émerge entre deux pays concernant un secteur du commerce ou concernant un problème commercial, on devrait toujours s'arranger pour favoriser le droit du citoyen. Je m'explique.

Prenons l'exemple du conflit qu'il y a en ce moment entre l'Union européenne et les États-Unis concernant le commerce du boeuf nourri à l'hormone de croissance. D'une part, les États-Unis revendiquent leur droit d'exporter ces produits en Europe et maintiennent que l'interdiction dont fait l'objet le boeuf américain est une forme pure et nette de protectionnisme. D'autre part, les Européens prétendent qu'il s'agit d'une question fondamentale de santé publique. La justification de l'interdiction du boeuf américain est fondée sur des inquiétudes au niveau de la santé. On pourrait aussi dire, pour être un peu plus juste dans l'analyse, que l'Europe protège bien sûr des intérêts commerciaux. Donc, il s'agit sûrement en même temps d'une forme de protectionnisme, parce que l'Europe protégerait son industrie bovine.

Pour revenir à mon principe de favoriser systématiquement le droit du citoyen, je considère que dans un cas comme celui du conflit du boeuf entre l'Europe et les États-Unis, on peut opposer, d'une part, la revendication du droit du consommateur ou du citoyen de se protéger d'un produit qui peut être néfaste ou dont il n'est pas sûr qu'il n'est pas néfaste et, d'autre part, le droit de l'exportateur d'être exempt de mesures protectionnistes. Je considère que dans un cas comme celui-ci, qui oppose le producteur et l'exportateur au consommateur, le droit du consommateur devrait primer.

• 1555

Voici une autre mesure, pour passer un petit peu du coq à l'âne. Il s'agirait d'instaurer un régime international de taxes boursières. C'est une notion qui, dans certains milieux parlementaires, devient de plus en plus populaire. Je sais que plusieurs députés italiens du Parti socialiste l'avaient suggérée dans les dernières années. Il y a même un député italien qui s'est fait assassiner par la mafia pour avoir promu une telle solution.

Il s'agirait, d'une part, d'instaurer des taxes pour tous les bénéfices boursiers, pour tout l'argent qui découle de l'activité boursière, et, d'autre part, d'harmoniser les taxes des différentes bourses, non seulement pour générer plus de revenus pour les économies nationales mais aussi pour générer des revenus dans le but particulier de créer une source de financement qui permettrait une amnistie des dettes des pays en voie de développement. D'ailleurs, le gouvernement Chrétien est sur le point d'annoncer des mesures permettant aux pays en voie de développement d'éliminer leurs dettes extérieures envers certains pays tels que le Canada. Cette source de revenus supplémentaire permettrait aussi de financer une aide internationale plus généreuse. Autrement dit, le Canada pourrait faire la promotion, au sein de l'OMC, d'un mandat d'entraide internationale, de coopération internationale.

Un autre intérêt de cette taxe généralisée sur les profits boursiers serait qu'elle permettrait de coordonner les bourses entre elles. Si on permettait différents régimes de taxes qui opéreraient de manières différentes pour différentes bourses, ça permettrait peut-être, en temps de crise boursière, de donner une certaine direction à la spéculation boursière. Je ne suis pas économiste, mais il me semble que si on favorisait la spéculation à Tokyo et que, temporairement, on taxait un peu plus les spéculations à Montréal, cela pourrait permettre une certaine coordination entre les bourses ainsi qu'une meilleure gestion en temps de crise.

J'en viens au point qui me tient le plus à coeur. Revenons à la problématique que j'ai énoncée au début, à savoir que le Canada devait harmoniser son engagement sur la scène internationale. J'aimerais que le Canada, à la fois pour lui-même, au début, et pour les autres, fasse la promotion de ce qu'on pourrait appeler un commerce international à la canadienne. J'aimerais que le Canada définisse une éthique du commerce international à la sauce canadienne.

Comment cela pourrait-il se faire? Par exemple, il s'agirait de tout simplement respecter sa propre culture politique et juridique. Ce serait un bon point de départ. Nous avons une tradition assez riche en ce qui a trait au pluralisme, au respect des minorités, au respect des droits des individus. Nous avons des documents qui font l'envie de beaucoup de pays, tels que la Charte des droits et libertés, et j'aimerais qu'on transpose ces principes sur la scène internationale. L'idée serait qu'une entreprise canadienne ou le gouvernement canadien, en transigeant avec des acteurs internationaux, le fasse comme s'il s'agissait d'un contact entre Canadiens.

Je vous donne l'exemple d'une mesure possible pour les entreprises canadiennes ou pour les succursales étrangères d'entreprises canadiennes. Il s'agirait de se conformer à des normes environnementales, de sécurité du travail et d'équité salariale qui seraient canadiennes par opposition aux normes qu'on trouve dans ces pays.

Je vais ouvrir une petite parenthèse. Concernant les normes environnementales, jusqu'à il n'y a pas si longtemps, il a été requis des entreprises canadiennes qu'elles fassent des études d'impact avant d'instaurer des projets industriels dans les pays étrangers. À l'époque, les entreprises canadiennes devaient faire des études d'impact comme s'il s'agissait de projets qui avaient lieu au Canada.

• 1600

Cette loi a été révisée par le gouvernement Chrétien. C'est à l'opposé de ce que j'aimerais voir. Je souhaiterais plutôt un renforcement des normes, des principes et des règlements qui gèrent l'activité commerciale des entreprises canadiennes à l'étranger.

Je vous donne un autre exemple. J'aimerais promouvoir un système dans lequel une employée d'une filiale étrangère d'une entreprise canadienne puisse poursuivre son patron pour harcèlement sexuel, par exemple, de la même façon qu'elle pourrait le faire au Canada, où ce droit lui est garanti. Je sais que c'est relativement utopique, que c'est idéal. Je vous en parle parce que j'aimerais que vous posiez au Parlement une question par rapport à cette utopie lorsque vous lui ferez vos recommandations quant aux principes de politique à retenir. Aujourd'hui, avec nos arrangements politiques pratiques et imparfaits, à quelle distance nous situons-nous de cet idéal de coopération internationale, d'échange de valeurs, de diffusion des valeurs canadiennes et de standards élevés en termes de droits de la personne?

Pour conclure, je vais vous dire qu'il existe a priori trois façons d'interpréter l'OMC. Plusieurs citoyens et plusieurs intervenants pourraient voir l'OMC comme un club privé d'exploiteurs. Ils pourraient voir des multinationales qui s'exprimeraient par l'entremise de leur gouvernement et qui institutionnaliseraient la domination qu'elles exercent à l'intérieur de la division internationale du travail. C'est une interprétation possible.

Pour défendre ce point de vue, que je n'endosse pas mais que je défends, je dois vous avouer que je constate que des travailleurs sont toujours maintenus au niveau de subsistance dans plusieurs pays et que le taux d'exploitation, c'est-à-dire l'écart entre le bénéfice des entreprises et le pouvoir d'achat de leurs employés, est considérable.

Le deuxième des trois points de vue possibles est que l'OMC constitue et va constituer à l'avenir un regroupement d'exportateurs. Cela impliquerait que les politiques de l'OMC ne défendraient que les droits, les privilèges et les intérêts des entreprises exportatrices.

Dans le cas idéal, le troisième cas, l'OMC pourrait constituer une espèce d'Organisation des Nations unies du commerce international. Par là, j'entends une institution supranationale dans laquelle des gouvernements nationaux représentant l'intérêt collectif, tel que je l'ai défini auparavant, représentant un consensus au sein de la population, se consulteraient entre eux pour harmoniser les intérêts des citoyens et ceux des exportateurs. Autrement dit, ils harmoniseraient la nécessité d'exporter et de s'engager dans le commerce international et des exigences minimales en termes de qualité de vie et de droits fondamentaux.

Je vais conclure en vous disant que face à ces trois possibilités, face à ces trois issues possibles pour l'OMC, je voudrais mettre au défi le gouvernement canadien de prouver qu'il s'oppose aux deux premières conceptions de l'OMC, de prouver qu'il fait une objection morale au fait que l'Organisation mondiale du commerce puisse servir à l'exploitation de populations étrangères et que l'OMC puisse servir uniquement pour représenter l'intérêt des entreprises exportatrices. J'aimerais plutôt que le Canada prouve qu'il adhère à ma troisième conception de l'OMC et s'engage à donner l'impulsion nécessaire à l'Organisation mondiale du commerce pour démocratiser autant que possible le commerce international et défendre les intérêts des citoyens à la fois du Canada et des pays partenaires.

Merci.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci beaucoup, monsieur Lavier. Merci pour votre exposé et vos prises de position. Cette semaine, on a entendu différentes personnes qui sont venues nous rencontrer. On a entendu des associations qui défendaient le point de vue de l'industrie et d'autres qui défendaient le point de vue des chambres de commerce ou des professions. On a également entendu le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. On a aussi entendu des gens du secteur de l'agriculture. Le fait d'entendre aujourd'hui un étudiant en sciences politiques est rafraîchissant pour notre comité.

• 1605

On va maintenant passer aux questions. Monsieur Obhrai.

[Traduction]

M. Deepak Obhrai: Merci de votre exposé et d'avoir pris le temps de nous faire part de votre point de vue.

Vous avez fait allusion à une société utopique et vous avez fait plusieurs demandes auxquelles personne au monde, à mon avis, ne peut s'opposer. Si on peut y arriver, tant mieux, et personne ne sera contre. Dans ce monde complexe d'intérêts d'affaires et d'intérêts politiques où nous vivons, le but ultime de toute négociation c'est finalement, en dernière analyse, de protéger les droits fondamentaux de la personne et de protéger la transparence dans les transactions commerciales internationales ou autres.

Par conséquent, lorsque l'on participe à des négociations, on doit tenir compte des droits humains fondamentaux et des équilibres de base, de même que de ce qui peut être réalisé. Ce dont vous parlez me semble être, en général, un objectif à long terme et non pas à court terme. On ne peut pas se présenter aux prochaines négociations en affirmant que le seul objectif valable, c'est ce qui peut aider les travailleurs du monde entier et tout ce qui peut être bénéfique pour la société.

Je voudrais simplement que vous concédiez que les échanges commerciaux mondiaux sont bénéfiques pour tous les pays du monde et pour toutes les populations; par conséquent, une fois que l'on aura établi cet objectif qui transcende tous les autres, alors on pourra y subordonner toutes les autres questions de droits de la personne et de lois. C'est un long combat. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre point de vue.

[Français]

M. André Bachand: Monsieur le président, puis-je faire une remarque?

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Oui.

M. André Bachand: J'aimerais m'excuser auprès de M. Lavier car je dois malheureusement quitter. Je m'en excuse fortement.

J'avais plusieurs questions, entre autres sur votre conclusion, dans laquelle vous disiez que votre choix était que l'OMC devienne semblable aux Nations unies. Tout à l'heure, on disait que l'OMC ressemblait plus à l'OTAN qu'aux Nations unies. Cependant, je dois prendre l'avion. Je m'excuse infiniment, monsieur Lavier, de devoir vous quitter.

Bonne semaine pascale.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Vous avez congé demain, monsieur. La Chambre a ajourné.

M. André Bachand: Elle a ajourné? Je n'y serais pas allé quand même.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Monsieur Sauvageau.

M. Benoît Sauvageau: Monsieur Lavier, c'est comme à l'université. Pendant les cinq dernières minutes, les élèves s'en vont. C'est votre tour.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Le président a quitté.

M. Thomas Lavier: C'est comme si les professeurs partaient avant la fin du cours et que les étudiants restaient. C'est un peu le monde à l'envers.

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais faire deux courts commentaires. Votre taxe boursière n'est pas la taxe Tobin, n'est-ce pas? Est-ce quelque chose qui diffère de la taxe Tobin?

M. Thomas Lavier: Je voulais faire un commentaire avant le début de ma présentation. Je voulais dire que c'est une présentation que j'ai préparée en 48 heures et que je fais donc allusion à des principes parfois un peu généraux. Dans ce cas, je ne saurais pas reconnaître la référence. Je dois vous dire que c'est possible que cela existe. J'ai fait une référence générale à un courant de pensée qui existe dans certains pays d'Europe, notamment en Italie, dans certains milieux politiques.

M. Benoît Sauvageau: D'accord.

M. Thomas Lavier: C'est possible que cela soit représenté ailleurs, mais je ne suis pas au courant.

M. Benoît Sauvageau: J'aimerais faire un autre court commentaire sur l'éthique du commerce international dont vous parlez. Seriez-vous favorable à ce que le gouvernement canadien mette en place un code d'éthique du commerce international?

M. Thomas Lavier: Je vais vous répondre par un exemple. Je vois cette éthique se déployer ou se mettre en application par des lois. Je vois, au contraire, l'absence d'éthique se manifester par l'annulation de certaines lois. L'autre référence que je n'ai pas pu rechercher, c'est cette fameuse loi qui, il n'y a a pas si longtemps, contraignait les entreprises canadiennes et exigeait d'elles qu'elles fassent des études d'impact environnemental sur quelque projet industriel que ce soit à l'extérieur du Canada. Cette loi n'existe plus. Si on prend cet exemple et qu'on l'inverse, on aura une idée de mon idéal d'un régime de lois qui permettrait d'instaurer une éthique du commerce international.

• 1610

M. Benoît Sauvageau: Mes derniers mots seront pour vous féliciter et vous remercier d'être ici comme étudiant, comme M. Patry l'a dit.

M. Thomas Lavier: Je vous en prie.

M. Benoît Sauvageau: Nos témoignages sont disponibles sur Internet, et je vous encourage à suivre le comité jusqu'à la fin de ses études. On va émettre un rapport vers la mi-juin. Nous serons toujours ouverts aux commentaires d'ici là. Merci d'être venu.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Madame Debien.

Mme Maud Debien: Ça va, je n'ai pas de questions.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): J'aimerais faire un ou deux commentaires relativement à ce que M. Sauvageau vient de dire.

Pour ce qui est de l'instauration d'un régime de taxes sur les gains à la bourse, cette semaine, en notre absence, puisque nous siégeons à l'extérieur d'Ottawa, le Parlement a adopté une motion pour l'étude de ce qu'on appelle communément la taxe Tobin.

Vous avez parlé d'une amnistie que le gouvernement Chrétien va bientôt annoncer. C'est vrai et on en discute énormément. Cette amnistie sera reliée aux progrès de ces pays relativement aux droits de la personne. C'est important. Ce sera peut-être fait cet après-midi.

M. Benoît Sauvageau: J'ai entendu dire que le premier ministre était à Winnipeg, cet après-midi, pour faire un discours et annoncer ça.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): C'est toujours liés aux progrès dans le domaine des droits de la personne.

M. Benoît Sauvageau: C'est ça.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Vous avez parlé du droit du consommateur par opposition au droit de l'exportateur et du problème de l'industrie bovine entre les États-Unis et l'Union européenne. Il faut faire attention. L'Union européenne s'est peut-être servi du droit du consommateur pour protéger ses marchés intérieurs. Ce n'est pas toujours tranché. Mais quand même, il est bon que vous l'ayez mentionné. Tous les membres de notre comité sont très heureux que vous soyez ici. Avez-vous un commentaire à faire?

M. Thomas Lavier: Oui, si vous me le permettez. Je verrais là l'effet pervers de deux problèmes qui se combinent. Vu que les gouvernements nationaux ont tendance à représenter les intérêts des producteurs, on peut dire, en effet, que l'Union européenne ne représente que les intérêts des producteurs et on peut attaquer l'Union européenne parce qu'elle ne fait que ça. En même temps, les intérêts du consommateur en Europe sont mal servis. Ce serait ajouter une autre injure que de dire que ces revendications ne sont pas légitimes ou ne représentent pas la position de l'Europe vu qu'elles sont mal présentées par les gouvernements. Ce que vous dites est peut-être la combinaison de deux problèmes: la sous-représentation de l'intérêt communautaire, de l'intérêt de la population, à l'intérieur des gouvernements nationaux et le problème de l'impérialisme américain, qui cherche à réduire toutes les barrières protectionnistes.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): Merci, monsieur Lavier.

Avant de clore nos débats, je voudrais remercier toute l'équipe de soutien qui a été avec nous cette semaine pour l'excellence de son travail. Je pense que c'est très important de le dire. On vous remercie beaucoup et on vous souhaite une belle fin de semaine. Merci.

M. Thomas Lavier: Merci.

Le président suppléant (M. Bernard Patry): La séance est levée.