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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 4 mai 1999

• 1540

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue à tout le monde cet après-midi. Comme nous le savons tous, selon son ordre du jour, le comité, conformément à l'article 108(2) du Règlement, étudie la question de la productivité.

Je dois dire à notre groupe de témoins que cette question est pleine de surprises. Nous avons déjà organisé quelques tables rondes et je comprends maintenant pourquoi cette question est si difficile à traiter. Effectivement, les problèmes de définition et de mesure ainsi que les différentes positions adoptées par les intervenants sur la question excitent en fait les esprits au sein du comité, comme on a pu le voir ce matin.

Nous commencerons par M. Thomas d'Aquino, qui représente le Conseil canadien des chefs d'entreprises.

M. Thomas d'Aquino (président et directeur général, Conseil canadien des chefs d'entreprises): Bonjour, monsieur le président. Nous sommes heureux de nous présenter devant vous ce matin. Je vous rappelle que le Conseil des chefs d'entreprises regroupe les dirigeants de nos 150 plus grosses entreprises et que les membres du CCCE oeuvrent dans tous les secteurs de l'économie, de sorte que la question de la productivité revêt une extrême importance pour nous, et cela depuis que je suis associé à cette organisation.

Laissez-moi vous dire tout d'abord que je suis particulièrement heureux d'être accompagné par mes collègues. À mes côtés, j'ai David Stewart-Patterson, qui est notre vice-président principal chargé de la politique et des communications, et Sam Boutziouvis, notre vice-président chargé de la compétitivité et de l'économie au plan mondial. Je les ai invités à participer avec moi à la discussion qui va suivre parce que tous deux sont depuis longtemps, tout comme moi, très étroitement impliqués dans les questions de productivité et de compétitivité.

Vous avez demandé au Conseil des chefs d'entreprises d'aborder la question de la productivité, et laissez-moi vous dire dès le départ, monsieur le président, que si ce débat au sujet de la productivité a son importance, j'ai peur que l'on fasse l'erreur de trop parler des symptômes en oubliant de traiter la maladie.

Le médecin qui examine un patient prend normalement sa température, mais ce n'est pas le thermomètre à lui seul qui permet de poser un diagnostic fiable. Il en va de même de la santé économique. La productivité et son rythme de croissance ne sont qu'une des façons d'évaluer la santé de l'économie d'un pays. C'est un critère de mesure important mais il n'est ni parfait, ni le seul qui compte vraiment.

Qu'est-ce que l'on entend donc par productivité? D'un point de vue économique, c'est la valeur des biens et des services produits en fonction du temps, de l'argent et des ressources consacrés à sa production. Voilà en quelques mots la définition de la productivité la plus juste et la plus honnête que l'on puisse vous donner. Sur un plan plus humain, on peut le dire encore plus simplement: le rendement du Canada en terme de productivité va déterminer combien un Canadien va gagner après une journée de travail.

Il est indéniable qu'une productivité plus forte procure une vie meilleure à tous les Canadiens. Cela signifie que les consommateurs vont obtenir de meilleurs produits à un meilleur prix. Cela signifie que les employés obtiendront une augmentation de leur revenu et une amélioration de leurs conditions de travail. Cela signifie que les entreprises pourront faire plus de bénéfices tout en vendant moins cher. Cela signifie que l'économie canadienne procurera davantage d'emplois et permettra à chacun de ses citoyens de bénéficier d'une meilleure qualité de vie. Toutefois, monsieur le président, il ne faut pas se leurrer: l'amélioration du niveau et de la qualité de notre vie dépend de notre capacité à être plus productif, ce n'est pas le contraire qui est vrai.

Selon ce que rapporte les médias ce matin, le premier ministre a déclaré hier soir que notre niveau de vie et notre productivité dépendent avant tout de la qualité de notre régime de soins de santé. Je suis fermement convaincu que le régime de soins de santé du Canada est un avantage compétitif, mais que même si les Canadiens en santé sont susceptibles d'être plus productifs, ce n'est pas notre régime de soins de santé qui alimente la croissance de la productivité. Au contraire, c'est l'augmentation de notre productivité qui doit alimenter notre désir de bénéficier de meilleurs soins de santé.

• 1545

Ne nous faisons donc pas d'illusions. Étant donné le vieillissement de notre population, les soins de santé vont être considérablement plus onéreux dans les années à venir. Le coût des soins de santé va augmenter en chiffres absolus et du point de vue du fardeau que devra supporter chacun des Canadiens qui travaille. Des Canadiens qui travaillent en moins grand nombre ne pourront défrayer des soins de santé de qualité au bénéfice d'un plus grand nombre de personnes à la retraite si ceux qui travaillent perçoivent des revenus nettement plus élevés ou paient bien plus d'impôt sur le revenu. Au sein d'une économie mondialisée, les Canadiens ne pourront gagner bien plus pour chaque journée de travail que s'ils réussissent à être bien plus productifs qu'ils ne le sont aujourd'hui. Simplement pour maintenir à son niveau actuel la qualité des soins de santé, il nous faudra augmenter considérablement notre productivité.

Comme vous l'ont appris les audiences que vous avez tenues jusqu'à présent, il est très difficile de mesurer la productivité. Il nous faut interpréter les résultats avec précaution et surtout uniquement à long terme et nous souvenir que les mesures dont nous disposons ne sont que des estimations et ne sont pas des vérités d'évangile.

Les problèmes de mesure sont particulièrement épineux dans le secteur des services, qui est aussi la principale source de croissance de l'emploi. Quelle est la valeur supplémentaire, par exemple, d'une possibilité d'accès 24 heures sur 24 à des guichets automatiques plutôt que d'avoir à s'adresser à la banque pendant les heures ouvrables? En tant que client, notre productivité est évidemment améliorée par cette possibilité pratique, mais de combien? De la même manière, les entreprises ont largement investi dans les nouvelles technologies. Le bon sens nous fait dire que les entreprises ont dû y gagner en améliorant leur compétitivité. Toutefois, monsieur le président, les statistiques s'appliquant à la productivité témoignent peu de cette amélioration. Il nous reste encore beaucoup à faire avant de pouvoir mesurer utilement la productivité.

Il est important, à mon avis, de ne pas se laisser obnubiler par les détails. Notre but doit être d'adopter des politiques nous menant à une plus forte croissance économique, à l'augmentation de notre niveau de vie et à l'amélioration de la qualité de vie de tous les Canadiens. Quels que soient les critères de mesure, il est nécessaire d'augmenter notre productivité pour atteindre cet objectif mais, lorsqu'on cherche comment y parvenir, on se heurte à un problème aux multiples dimensions.

Parmi ces dimensions, il y a la situation macroéconomique générale. Le Canada se caractérise aujourd'hui par une faible inflation et de faibles taux d'intérêt, des budgets équilibrés ou excédentaires et des frontières ouvertes au commerce et aux investissements. Tout cela joue un rôle essentiel en créant des conditions adaptées à une forte croissance des investissements et de la productivité, mais il est clair que la situation macroéconomique ne peut pas à elle seule entraîner une croissance suffisante de la productivité pour favoriser une augmentation du niveau de vie. Nous devons aussi trouver les moyens d'influer sur le comportement des institutions et des individus aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Qu'est-ce qui fait qu'une entreprise investit dans de nouvelles technologies, se lance dans la recherche à long terme ou prend le risque d'adopter des modes de fonctionnement novateurs? Qu'est-ce qui détermine que ce nouveau projet de recherche va être situé ici plutôt qu'à un autre endroit où l'entreprise exerce ses activités? Qu'est-ce qui va amener une personne à choisir ou non d'investir dans l'amélioration de ses qualifications?

Monsieur le président, voici quelques-unes des questions que le CCCE va aborder au cours de l'année prochaine dans le cadre d'une initiative visant à placer le Canada en pointe dans le monde, initiative très ambitieuse et très intéressante. Nous cherchons à imaginer ce que l'on peut faire pour que le Canada abrite des entreprises qui croissent avec succès au sein de l'économie mondiale et une population canadienne ayant retrouvé la confiance et en mesure d'améliorer ses conditions de vie et celles de ses enfants.

Certains éléments de la solution sont évidents. Si l'on veut que les gens qui prennent des risques en innovant et qui investissent davantage dans la production soient plus nombreux, il faut récompenser davantage le succès. La meilleure façon d'y parvenir est de baisser les impôts pour les particuliers comme pour les entreprises.

Toutefois, monsieur le président, il faudra bien davantage que des baisses d'impôt pour que nous puissions atteindre nos objectifs. Je vais vous parler très franchement. On a dit que pour enrayer la fuite des cerveaux, il fallait ramener les impôts canadiens au niveau de ceux des États-Unis. Excusez-moi, mais ce n'est pas suffisant. Si l'on veut que le Canada puisse attirer les investissements aussi bien que les États-Unis, il nous faut faire mieux que les Américains.

• 1550

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il nous faut imiter les politiques et le régime fiscal américains en faisant du Canada une copie américaine dotée d'une conscience. Il nous faut faire mieux d'une façon spécifiquement canadienne.

Je ne pense pas que nous puissions réussir sans procéder à des réductions importantes d'impôt, mais notre recherche de solutions doit être plus vaste que cela. Plus particulièrement, il nous faut trouver de meilleurs moyens de former et de conserver notre capital humain, la matière grise qui est à la base de l'économie fondée sur la connaissance. Nous devons nous pencher sur l'efficacité de nos écoles et de nos établissements postsecondaires. Nous devons trouver les moyens d'améliorer l'accès à la formation permanente pendant la vie active et au-delà.

Nous devons améliorer le cadre de la recherche fondamentale et le renforcement des liens avec le marché, et nous devons rechercher sans cesse des moyens de rendre les Canadiens et leurs employeurs plus novateurs, plus entreprenants et effectivement plus productifs.

Si le Canada réussit dans sa démarche, monsieur le président, nous aurons une croissance rapide, des revenus réels plus élevés et une qualité de vie améliorée, et par la même occasion nous enregistrerons une plus grande productivité, c'est indéniable. Toutefois, les défis que pose l'économie mondiale sont incessants tout comme les débouchés sont vastes, et si nous échouons, la baisse de la productivité sera le moindre de nos soucis.

Avant de conclure, si vous me le permettez, monsieur le président, je sais que votre comité a déjà entendu des économistes et d'autres intervenants au sujet de la productivité, et laissez- moi vous dire qu'au début des années 80 j'ai été l'un des membres fondateurs, en compagnie du président de ce qui était alors le Congrès du travail du Canada, d'une organisation appelée Centre canadien du marché du travail et de la productivité. J'ai été coprésident pendant cinq ans du Centre canadien du marché du travail et de la productivité. Je dois vous dire que bien des études ont été lancées. Nous avons examiné la question de la productivité sous toutes ses coutures et nous n'avons pas réussi à en arriver à des conclusions définitives.

Je veux donc que vous sachiez que là où vous mettez éventuellement le pied pour la première fois, aux yeux du gouvernement et de bien des gens, il y a un chemin qui a déjà été tracé par bien d'autres avant vous. Ce que je vous conseille, comme je vous l'ai dit dans mon exposé, c'est effectivement de vous pencher sur la productivité mais de ne pas vous imaginer que le mot productivité, que la question productivité, que la mesure de la productivité, vont suffire à résoudre nos problèmes et paver la voie en fait à de nouvelles politiques publiques. Nous devons aller bien plus loin.

Je conclurai donc en essayant de répondre en deux minutes environ à une question qui, je le sais, a déjà été posée à votre comité et qui, j'imagine, laisse perplexe un grand nombre de gens qui débattent de la question de la productivité. Cette question, en supposant qu'il y ait une certaine parité sur le plan de l'analyse et des objectifs de mesure de la productivité entre notre pays et les États-Unis, est de savoir pour quelle raison le Canada a eu une performance si inférieure à celle des États-Unis. Laissez-moi vous faire part de notre réflexion à ce sujet après nous être penchés pendant dix ans sur la compétitivité du Canada au niveau mondial et plus particulièrement par rapport aux États-Unis.

Tout d'abord, on peut soutenir de manière très crédible que notre performance macroéconomique au cours des années 80 et 90, caractérisée par des déficits, un endettement, des taux d'intérêt et une inflation élevée ainsi que par une croissance économique ralentie, a largement contribué à notre manque de productivité. Dans notre esprit, cela ne fait absolument aucun doute. Nous ne pouvons pas vous dire quelle est la part de chacun de ces facteurs et il n'y a aucun économiste qui puisse être en mesure de le faire, mais une chose est sûre, c'est que ces facteurs ont contribué à ce manque de productivité.

En second lieu, la composition des deux économies est différente. Vous savez certes que le Canada dépend aujourd'hui bien moins des matières premières qu'auparavant, mais comme par le passé nous en dépendions très étroitement, nous sommes sujets à des cycles d'expansion et de récession qui ont bien évidemment des incidences sur notre rendement en matière de productivité. Pour ce qui est des différences concernant la taille des entreprises et les niveaux relatifs de productivité dans le secteur privé, mes collègues du CCCE n'aiment pas du tout que l'on dise que la productivité du secteur privé canadien n'est pas très bonne. Ils signalent un certain nombre de secteurs dans lesquels en fait notre productivité est l'une des meilleures au monde et d'autres où elle est moins bonne. Il est donc important de ne pas mettre tout le monde à la même enseigne.

• 1555

Il y a un taux d'investissement inférieur dans les machines, l'équipement et les nouvelles installations productrices. Vous le savez, le Canada a enregistré un excellent niveau d'investissement dans les usines et les machines par rapport aux autres pays de l'OCDE, mais nos résultats sont loin d'avoir été aussi bons que ceux des États-Unis. Même si nous ne connaissons pas le chiffre à la virgule près, nous savons bien que les investissements dans les usines et les machines revêtent une extrême importance lorsqu'il s'agit d'améliorer la productivité. C'est l'une des choses qui est ressortie des études auxquelles j'ai participé au cours des années 80.

Il y a des différences en matière de dépenses consacrées à la recherche et au développement. Je suis sûr que certains de nos collègues, notamment ceux de l'industrie aérospatiale, en souligneront l'importance pour la productivité.

Il y a notre capacité à adapter et à commercialiser la R-D pour l'intégrer à des méthodes et à des produits novateurs, ce qui est très important. Le manque de personnel professionnel et technique qualifié est là encore un critère de mesure qui compte beaucoup. Notre capacité d'innovation relativement faible par rapport aux États-Unis joue là aussi un rôle important.

Monsieur le président, voici quels sont les autres facteurs: une monnaie qui s'est dépréciée au cours des 20 dernières années, ce qui a permis aux fabricants de se cacher derrière le dollar au lieu de perfectionner leurs méthodes et améliorer ainsi la productivité, c'est ce que l'on appelle la thèse du laisser-aller des fabricants; une lourde réglementation; des impôts élevés; un manque persistant d'ambition à l'exportation chez les petites et moyennes entreprises du Canada en dépit du fait que les grosses entreprises ont considérablement progressé dans ce secteur; certaines différences au niveau des méthodes de gestion; la nature de la propriété; la qualité de l'organisation de nos entreprises; enfin, le manque de capitaux dans certains types d'activités des entreprises, ainsi le capital de risque destiné aux entreprises privées qui démarrent.

Bien sûr, nous pourrions probablement rajouter dix autres facteurs, monsieur le président, mais je viens de vous donner une longue liste de ceux qui, à notre avis, ont contribué à affaiblir notre productivité comparativement aux États-Unis.

Si toutefois vous demandiez au CCCE et à une centaine d'économistes de débattre pendant les 100 jours qui viennent de l'incidence relative de ces différents facteurs sur notre soi- disant manque de productivité, nous perdrions notre temps. Ce qui est utile, c'est de comprendre et de reconnaître qu'il s'agit dans chaque cas d'un problème auquel il convient de remédier en se montrant très déterminé.

Dans notre initiative pour le leadership mondial du Canada, nous proposons non seulement que le Canada rattrape les États-Unis, mais aussi qu'il fasse mieux. Si nous y parvenons, nous réussirons à conserver nos entreprises multinationales et à attirer les investissements étrangers directs. Nous attirerons et conserverons chez nous les meilleurs cerveaux du monde et nous ne perdrons pas nos meilleurs éléments au profit des États-Unis. En outre, nous établirons dans notre pays un climat bien plus productif et bien plus favorable à l'innovation qu'à l'heure actuelle.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur d'Aquino.

Nous allons maintenant entendre le représentant de l'Association des industries aérospatiales du Canada, M. Peter Smith. Soyez le bienvenu.

M. Peter Smith (président-directeur général, Association des industries aérospatiales du Canada): Merci, monsieur le président.

J'avais peur que vous soyez appelés à voter et j'allais simplement vous dire de consigner dans votre procès-verbal «voir ce qui précède» étant donné que M. d'Aquino a bien déblayé le terrain et que je suis tout à fait persuadé que nombre des observations que je vais faire aujourd'hui complètent ce qu'il vient de nous dire sur cette question de la productivité.

Je suis ravi de représenter aujourd'hui l'industrie aérospatiale à cette table ronde sur la productivité.

Il est indéniable que la productivité est un thème complexe, souvent incompris. Si vous décomposez la productivité en ses éléments, il devient plus évident que non seulement la question est essentielle pour le Canada aujourd'hui, mais qu'elle constitue en outre notre plus grand défi économique. C'est le niveau de vie des Canadiens qui est en jeu, à l'aube d'un nouveau millénaire.

Je vous félicite d'accorder la priorité qui s'impose à ce problème et de favoriser, grâce à cette table ronde, un débat qui doit être ouvert, objectif et fructueux, au Parlement et dans l'ensemble du pays. Il importe de faire participer tous les Canadiens à ce débat.

Malheureusement, la question de la productivité est mal comprise par les Canadiens qui, pour la plupart, ne perçoivent pas le lien immédiat qui s'établit entre productivité et niveau de vie. Sans cette compréhension de base, de nombreux Canadiens sont incapables de reconnaître les défis que la productivité pose au Canada aujourd'hui. On constate donc une inertie troublante qui, si elle n'est pas corrigée, ne cessera de miner le niveau de vie des Canadiens. Nous laisserons échapper les perspectives économiques qu'ouvre le nouveau millénaire, et les conséquences de cette négligence pour l'industrie et les citoyens du Canada pourraient être irréparables car les nations concurrentes en profiteront pour assurer leur position au sein de l'économie mondiale et elles ne nous laisseront pas les rejoindre simplement parce que nous sommes gentils.

• 1600

Ces derniers mois, le débat sur la productivité a été compliqué par la publication successive d'études qui nous ont présenté une foule de statistiques et de mesures apparemment contradictoires. Certaines concluaient que nous avons un problème en matière de productivité, mais d'autres arrivaient à la conclusion opposée. Nous admettons tous qu'il n'est pas facile de définir ou de mesurer la productivité.

Néanmoins, une réalité indéniable illustre bien la mauvaise tenue de la productivité du Canada. Le revenu familial moyen, avant impôt, stagne depuis environ deux décennies au Canada et il a fléchi relativement à celui de nos principaux partenaires commerciaux. Les Canadiens sont restés du mauvais côté d'un fossé qui ne cesse de se creuser, en particulier avec les États-Unis.

Les augmentations de revenu doivent refléter des hausses de la productivité et c'est là que le bas blesse au Canada. Trop souvent, les gens croient que la productivité se ramène à la capacité de faire plus avec moins. La productivité devient alors synonyme de perte d'emploi à la suite de fusions, de compression d'effectifs, de licenciements.

Par contre, si nous définissions la productivité en fonction de la valeur du dollar canadien, des investissements en capitaux, de la compétitivité internationale, de la mondialisation, du niveau de scolarisation, des perspectives d'emploi, du niveau de vie et de la qualité de la vie, les Canadiens comprendraient mieux qu'à défaut de bien performer à tous ces égards, nous risquons d'accuser un sérieux retard en matière de productivité face à d'autres nations.

Notre industrie—l'AIAC représente plus de 200 entreprises qui ont, ensemble, un chiffre d'affaires de 15 milliards de dollars et 67 000 employés—, s'inquiète profondément de l'indifférence croissante que suscite la productivité au Canada. Trop souvent, les Canadiens se satisfont de parler uniquement des réalisations et des bonnes nouvelles, ils refusent de voir les signes avant-coureurs de problèmes en matière de productivité. Il est plus facile de fanfaronner au sujet des bonnes nouvelles que de communiquer les mauvaises. Le leadership n'est pas une sinécure.

Le Canada a beaucoup fait, et je félicite le gouvernement de ses efforts pour éliminer le déficit. Il est tout à fait justifié de se réjouir de l'excellence du Canada dans les études de l'ONU sur la qualité de la vie et de vouloir continuer dans cette voie, par exemple. Mais ne nous laissons pas aveugler par le succès et ne nous berçons pas d'illusions—il ne faut pas croire que tout va bien, qu'il n'y a lieu de s'inquiéter de rien. L'autosatisfaction est dangereuse.

Le cabinet KPMG a récemment publié avec force publicité les résultats d'une étude sur les coûts des activités commerciales, étude qui illustre bien cette autosatisfaction. Les nouvelles sont- elles bonnes? Oui, en partie. Mais la compétitivité canadienne face aux États-Unis s'explique essentiellement par la faible valeur du dollar canadien et le bas niveau des salaires. De fait, notre faible dollar masque notre problème de productivité.

Notre compétitivité mondiale et notre excellente tenue au titre des exportations ont été, ces dernières années, en grande partie attribuables au recul de notre monnaie. À mesure que la productivité du Canada diminuait par rapport à celle de nos concurrents étrangers, en particulier celle des États-Unis, l'effet de cette baisse était compensé par notre faible dollar. Il convient de déplorer cette évolution. À long terme, nous devons nous inquiéter de la faiblesse du dollar. Une légère hausse de la valeur de notre dollar effacera notre avantage concurrentiel et fera encore plus de tort à l'économie et au revenu canadiens. Une compétitivité véritable et durable au sein de l'économie mondiale contemporaine—et donc des niveaux de vie plus élevés—repose sur l'amélioration de la productivité et non pas sur la dévaluation de notre devise.

Dans le secteur de l'aérospatiale, nous sommes douloureusement conscients des défis que présente la compétitivité mondiale. Quatre-vingt pour cent de notre production est destinée aux marchés étrangers—cela représentait 12 milliards de dollars d'exportations en 1998, en grande partie vers les États-Unis—et nous ne pouvons pas nous permettre de voir notre compétitivité s'éroder. La nécessité absolue de maintenir notre compétitivité à l'échelle mondiale est un des grands facteurs influant sur les niveaux élevés d'investissement en R-D dans le domaine de l'aérospatiale ainsi que sur la recherche constante d'amélioration des procédés, les initiatives axées sur la qualité comme le programme six sigma, et des changements radicaux de nos procédés de conception, d'élaboration, de construction et de soutien de nos aéronefs et de nos autres produits aérospatiaux. Tous ces aspects traduisent un besoin fondamental d'accroître la productivité et de pousser notre avantage concurrentiel sur le marché mondial.

Quel est le fil conducteur dans tout cela, et quelles sont les principales incidences de la productivité sur l'ensemble de l'économie canadienne? Les industries de pointe comme l'aérospatiale ne peuvent pas se démarquer plus encore par rapport à la concurrence—elles ne peuvent pas devenir plus rentables—et les pays industrialisés comme le Canada ne peuvent accroître la productivité et ne peuvent améliorer le niveau de vie de leurs citoyens sans innovation. L'innovation et la productivité sont inextricablement liées, elles entretiennent un rapport de cause à effet.

L'industrie aérospatiale illustre bien l'effet de l'innovation sur la productivité et sur la compétitivité mondiale. Ce secteur de technologie de pointe est l'un des principaux investisseurs en R-D au Canada. Au cours des cinq dernières années, les ventes de l'industrie ont augmenté trois fois plus rapidement que le PIB du Canada en étant propulsé par des exportations qui représentent maintenant 80 p. 100 des ventes. Cependant, malgré ce rendement impressionnant nous sommes confrontés à une productivité et à une compétitivité accrue sur la scène internationale, car nos concurrents étrangers investissent encore plus que nous dans la R-D et l'innovation.

• 1605

Ce défi se manifeste dans la décroissance du contenu canadien de nos produits aérospatiaux, qui est passé de 66 p. 100 à 54 p. 100 depuis 1994, parce que les maîtres d'oeuvre canadiens se tournent vers des fournisseurs étrangers et en particulier américains pour sous-traiter la fabrication de systèmes, de composants et d'équipement. Le programme de promotion de la productivité canadienne devrait reposer sur l'innovation—il devrait s'agir d'un programme dynamique qui instaurera un climat particulièrement favorable à l'innovation au Canada et donnera un nouvel essor à la technologie—un programme qui sera mené avec la même détermination que la lutte contre le déficit.

Je parle pour l'industrie aérospatiale, mais ce programme doit aller au-delà. Il nous faut rassembler tous ceux qui interviennent dans une économie axée sur le savoir; des secteurs comme les télécommunications, la technologie de l'information, la biotechnologie, la technologie environnementale, etc. Un leadership fort s'impose pour créer un climat favorable à l'innovation. Nous ne pouvons pas laisser les critiques et les contestataires nous détourner de notre objectif. Le Canada a la capacité d'être un leader mondial. Il l'a déjà prouvé dans des domaines comme l'aérospatiale.

Je n'ai pas de recettes miracles à vous prescrire, mais de toute évidence le Canada doit stimuler l'investissement, en particulier dans la R-D et dans la machinerie et l'équipement nécessaires à l'augmentation de la productivité. Le Canada tire de l'arrière par rapport à ses concurrents dans ce secteur d'investissement. La part de l'investissement direct étranger au Canada décroît constamment depuis 15 ans. La technologie a besoin d'énormes investissements, et c'est là que se trouve l'avenir économique du Canada.

Les impôts sont en grande partie à l'origine du problème. Il nous faut récompenser l'innovation et la prise de risques, et cela signifie accorder des récompenses financières tant aux entreprises qu'aux particuliers. Les crédits d'impôt et les allégements fiscaux sont essentiels. Il faut corriger le déséquilibre fiscal entre le Canada et les États-Unis pour pouvoir garder nos cerveaux; les leaders de l'innovation.

Mais le problème ne se ramène pas à une question fiscale. Il faut aussi faciliter l'accès au capital à long terme dont l'innovation a besoin pour s'épanouir. Pour créer un climat propice à l'innovation, il faut aussi continuer à appuyer les institutions, par exemple le Conseil national de recherches du Canada, et les instruments d'étalement du risque, dont Partenariats technologiques Canada.

Les partenariats sont un autre élément essentiel de l'innovation. Dans le secteur de l'aérospatiale, nous en sommes venus à reconnaître la valeur et l'utilité des efforts menés en collaboration dans le domaine de l'innovation. Les partenariats entre des entreprises du secteur privé et entre le secteur privé, les universités et les organismes de recherche gouvernementaux comme le CNRC sont indispensables. Nous avons reconnu ce fait et nous avons récemment lancé un programme commun avec le CNRC, pour encourager ce type de partenariat dans le secteur de l'aérospatiale. Nous espérons faire école.

Il faut mettre plus nettement l'accent sur la stimulation et l'élimination des obstacles structuraux aux partenariats dans l'ensemble de notre économie. Nous ne pouvons pas nous permettre de négliger cet aspect. Nous voulons aussi resserrer le lien entre universités et industrie, accroître l'innovation, multiplier le nombre de nouveaux produits, accroître les ventes et les recettes et créer plus d'emplois pour nos jeunes les plus talentueux, ceux qui arriveront bientôt sur le marché du travail.

Nous devons aussi éliminer une grande partie des obstacles à l'innovation, notamment les règlements inutiles, les lourds processus d'approbation et l'indécision, tout ce qui freine l'innovation. Les obstacles au commerce interprovincial en sont un bon exemple. Pourquoi est-il souvent plus facile de commercer avec une entreprise étrangère qu'avec une entreprise d'une autre province canadienne?

Enfin, et c'est peut-être à long terme ce qui compte le plus, ce programme d'innovation doit faire naître une culture de l'innovation. Il faut commencer dans les écoles et continuer au sein de nos entreprises et de notre main-d'oeuvre.

Voilà donc ce qui me paraît être les éléments essentiels de ce programme de productivité. Cependant, le véritable défi aujourd'hui consiste à bien faire comprendre aux Canadiens que le Canada a un problème de productivité—et qu'il faut s'attaquer à cette autosatisfaction dangereuse. Ce n'est qu'alors que nous commencerons à élaborer et à mettre en oeuvre des solutions valables.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de contribuer au débat. Je peux vous assurer que le secteur de l'aérospatiale est fier de ses réalisations mais conscient des défis qui l'attendent, et qu'il est prêt à collaborer avec le gouvernement pour trouver les solutions à ce problème. Il faudra prendre des décisions difficiles. Nous aurons besoin de leadership, de détermination, d'esprit de décision et d'initiative. Nous sommes convaincus qu'il revient au gouvernement de montrer la voie. Le soutien de l'industrie, des médias et des contribuables suivra. Les Canadiens ont manifesté leur bonne volonté et leur endurance face aux difficultés du combat qui a permis d'éliminer le déficit, et nous sommes pleinement confiants qu'un leadership fort encouragera les Canadiens à en faire autant pour appuyer un programme s'attaquant énergiquement aux défis de la productivité.

• 1610

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Smith.

Nous allons maintenant entendre la vice-présidente principale de l'Association des universités et collèges du Canada, Mme Sally Brown. Je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Mme Sally Brown (première vice-présidente, Association des universités et collèges du Canada): Bonjour, mesdames et messieurs. Je voudrais d'abord vous remercier d'avoir invité l'AUCC à discuter d'une question qui intéresse les universités canadiennes au plus haut point, soit celle de notre productivité nationale et, plus précisément, des mesures que pourrait prendre l'État pour favoriser sa croissance.

[Traduction]

Comme on vous l'a déjà dit, il s'agit d'améliorer la qualité de vie de tous les Canadiens, mais l'accroissement de la productivité n'est qu'une façon d'y parvenir. Nombre de Canadiens, vous le savez, n'aiment pas trop que l'on mette l'accent sur la productivité parce qu'ils savent qu'il n'y a pas de lien automatique entre les moyens et la finalité. Les marées montantes ne soulèvent pas automatiquement tous les bateaux. De plus, une augmentation de la productivité est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour améliorer le bien-être social. Il manque un maillon de la chaîne, à notre avis, lorsqu'on cherche à trouver des politiques de soutien devant fournir aux Canadiens les qualifications et les compétences devant leur permettre de tirer parti d'une augmentation de la productivité.

Tout au long de la semaine dernière, des spécialistes et des analystes de l'industrie ont comparu devant votre comité pour vous proposer différents moyens d'augmenter la productivité nationale. Les divergences d'opinions et les différentes solutions proposées pour remédier à nos insuffisances apportent encore de l'eau au moulin du ministre des Finances, qui considère qu'il n'existe pas une seule politique susceptible d'améliorer à l'avenir notre performance en matière de productivité. Les solutions doivent être multiples parce qu'il nous faut aborder les nombreuses dimensions du problème.

Dans l'économie actuelle fondée sur la connaissance, les gains de productivité ne s'obtiennent pas en travaillant davantage. Ils s'obtiennent en travaillant plus intelligemment, en tirant parti de l'innovation.

Par conséquent, Peter, je n'aurais pas mis «voir ce qui précède» au bas de vos observations, mais je pense que notre orientation est la même que la vôtre: il faut que le programme canadien en matière de productivité soit axé sur l'innovation.

À notre avis, l'innovation est l'élément clé de la santé sociale et économique d'un pays et le principal moteur de la croissance de la productivité. Lorsqu'elles innovent, les entreprises deviennent plus productives, plus rentables et plus compétitives. On en retire ici des dividendes sociaux sous la forme de la croissance de l'emploi, d'une plus grande richesse collective et d'une amélioration de la qualité de la vie, à condition encore que des politiques de soutien sont mises en place pour que tout le monde en profite.

Le ministre des Finances Paul Martin l'a bien résumé dans son budget de 1999 lorsqu'il a déclaré:

    [...] Notre grand défi économique se résume en deux mots—connaissance et innovation. Ce sont les deux nouvelles matières premières de l'économie du XXIe siècle.

Une grande part des débats menés au sujet de l'innovation tourne autour de la technologie et de la production industrielle. Cette orientation est compréhensible et de toute évidence cruciale, mais à notre avis l'analyse est trop restreinte. Pour qu'il y ait progrès social, l'innovation doit avoir lieu dans tous les secteurs et sur tous les plans de la société.

C'est grâce à l'innovation dans la fourniture des services sociaux que la qualité de la santé, et donc la qualité de la vie, peuvent être améliorées pour les citoyens. C'est grâce à l'innovation que l'organisation sociale du travail s'adapte aux nouveaux besoins et aux nouveaux défis. C'est grâce à l'innovation que l'on peut élargir la participation à tous les secteurs de la société pour renforcer notre économie sociale. C'est grâce à l'innovation que l'on peut élaborer des systèmes pour aider les individus à participer plus efficacement à l'administration de leur ville et de leur pays.

À l'ère de l'animation informatique, les frontières entre les domaines technologiques et socioculturels sont de plus en plus imprécises. Les efforts que font les Canadiens sur le plan technologie doivent donc s'accompagner d'un effort comparable sur le plan social, organisationnel et politique. C'est ainsi que les Canadiens pourront tirer parti des avantages offerts par les changements technologiques et organisationnels.

Nous réclamons donc une définition plus large de l'innovation.

[Français]

La création, l'adoption et l'adaptation de technologies nouvelles, le développement de produits nouveaux, la mise au point de nouveaux procédés de production et de nouvelles structures organisationnelles et l'élaboration de politiques nouvelles, bref toutes ces innovations exigent un personnel hautement qualifié et une infrastructure de connaissances modernes à la fine pointe.

• 1615

Ces deux éléments clés, le savoir et les personnes, ne sont pas seulement la matière première de l'innovation. Ils sont au coeur même de ce qui constitue une université: réaliser des recherches à la fine pointe des connaissances, former des personnes hautement qualifiées, éduquer des citoyens et innover.

Pour que le Canada soit en mesure de devenir plus innovateur et, par là, plus productif, en somme afin de devenir une société axée sur le savoir, il devra miser sur toutes ses forces vives, faire preuve d'une volonté ferme et être visionnaire.

[Traduction]

Nous voulons proposer aujourd'hui quatre grandes orientations. Tout d'abord, il faut continuer à se doter d'un cadre de connaissances solide et dynamique. La qualité de la science et de la recherche revêt une importance particulière pour les secteurs de l'économie dont nous avons entendu parler aujourd'hui—les technologies de l'information, l'aérospatiale et la biotechnologie—qui dépendent fortement des sciences de pointe. Toutefois, il est par ailleurs fondamental de soutenir nos industries axées sur les ressources. On a beaucoup fait récemment pour renforcer la qualité de la recherche dans notre pays. Davantage de crédits sont consacrés à l'heure actuelle à l'infrastructure de recherche, à la recherche sponsorisée et à la collaboration. C'est un bon point de départ. Toutefois, ce n'est pas suffisant. Le financement reste inférieur à celui de nos concurrents internationaux et le fossé s'élargit. Il reste donc encore beaucoup à faire dans ce domaine.

En second lieu, nous devons nous efforcer de mieux coordonner les activités des gouvernements, du secteur privé et des universités dans le but d'intensifier les transferts de connaissances, faisant ainsi de la recherche un moteur de l'innovation avec les avantages économiques et sociaux qui en résultent. Ces dernières années, les collaborations entre les universités et le secteur privé se sont multipliées. Les chercheurs appartenant à ces deux secteurs collaborent plus que jamais et le financement privé de la recherche a progressé régulièrement au cours des 20 dernières années. Le gouvernement a joué un rôle clé en la matière. En concédant des avantages fiscaux généreux, en finançant des programmes à frais partagés et en modifiant le cadre juridique, le gouvernement a largement appuyé la recherche universitaire. De leur côté, les universités se sont dotées de bureaux de liaison avec l'industrie pour aider les chercheurs à trouver des partenaires industriels et mettre en place des mécanismes permettant de répertorier les résultats prometteurs et de commercialiser les inventions provenant des universités.

Les universités canadiennes sont désormais pleinement engagées dans la procédure de commercialisation de leurs connaissances. Nous devons nous appuyer sur ces succès de différentes manières.

En troisième lieu, nous devons renforcer et dynamiser le secteur privé. Les économies modernes sont axées sur la connaissance. Pour réussir, les entreprises axées sur la connaissance doivent concevoir et appuyer des recherches de qualité et être en mesure de transformer les découvertes scientifiques en produits commerciaux qui ont du succès. Un secteur privé fort et dynamique sait reconnaître l'innovation, est concurrentiel au plan international et est prêt à coopérer en matière de recherche.

Cela m'amène à ma quatrième et dernière orientation; celle des gens. Le gouvernement doit apporter la preuve qu'il est prêt à créer les conditions qui sous-tendent une économie moderne, l'investissement dans la formation du personnel, car ce sont les gens qui innovent. L'innovation ne tient pas tant à la disponibilité du capital qu'à la qualité du personnel. Dans les entreprises axées sur la connaissance, différentes qualifications sont exigées pour tirer parti des connaissances spécialisées. L'expatrié Michael Gibbons et ses collègues l'ont exprimé en ces termes:

    Il faut savoir résoudre les problèmes et en particulier être en mesure de rassembler les différents éléments d'une manière originale, qu'il s'agisse de molécules, de puces de semi- conducteurs, de nouveaux alliages, de codes de logiciel, de scénarios de films, de portefeuilles de retraite ou de plans de vacances.

On apprend aux étudiants de l'université à se montrer créateurs, à résoudre les problèmes et, par conséquent, à faire preuve d'innovation et à être productifs. Dans la mesure où la progression des revenus est le reflet de la croissance de la productivité, la mesure de l'évolution des revenus démontre que la productivité des étudiants de l'université augmente avec le temps.

Nous avons annexé à notre mémoire un graphique qui témoigne de l'augmentation de revenus pour chaque palier d'instruction atteint. Ce tableau nous démontre clairement que les revenus des personnes les plus instruites continuent à augmenter tout au long de leur vie. Les taux de chômage confirment cette corrélation. Ils diminuent à mesure qu'augmente le niveau d'instruction. Ainsi, le taux de chômage des diplômés de l'université qui se situent au milieu de leur carrière est de 4 p. 100 contre 7,7 p. 100 pour les diplômés de l'école secondaire et plus de 14 p. 100 pour ceux qui n'ont pas terminé leurs études secondaires.

Tout le monde sera d'accord pour dire qu'un taux de chômage plus faible et des revenus plus élevés dans une population est une conséquence bénéfique d'un meilleur niveau d'instruction dans cette même population, et par conséquent nous savons combien il est important d'investir dans l'enseignement pour améliorer notre niveau de vie.

• 1620

Cela dit, les universités continuent à souffrir d'un manque d'investissement dans certains secteurs clés qui les empêche de bien s'acquitter de leur mandat, de dispenser un enseignement accessible et de qualité—et j'ajouterais ici, à un nombre croissant de Canadiens, si c'est là notre objectif—et de réaliser pleinement leur potentiel en matière de recherche. Cela est dû à la baisse du financement de base des universités et à l'appui relativement faible qui est accordé compte tenu du coût global de la recherche.

Les réductions des budgets de base des établissements postsecondaires ont été calquées sur la diminution des paiements de transfert fédéraux aux provinces à l'appui de l'enseignement post- secondaire. Sur ce point aussi, nous avons fait figurer un graphique qui rapproche les investissements publics dans l'enseignement universitaire au Canada et de ceux des États-Unis. Il semble que les comparaisons se fassent toujours avec les États- Unis. Ce qui est particulièrement inquiétant au sujet de ce graphique, c'est que le fossé entre le financement de base au Canada et aux États-Unis s'élargit. Et il s'agit là encore, je le répète, d'investissements publics.

Lorsqu'on consulte par ailleurs le graphique qui établit une comparaison entre le soutien direct apporté à la recherche universitaire, on peut commencer à comprendre pour quelle raison les universités canadiennes éprouvent des difficultés à attirer et à conserver du personnel universitaire de niveau international.

[Français]

Monsieur le président, les progrès scientifiques que réalisent actuellement des chercheurs dans des laboratoires à travers le monde vont transformer nos vies au cours du prochain siècle. C'est aujourd'hui que nous déterminons le XXIe siècle. Les sciences de l'information, des nouveaux matériaux et la biologie moléculaire sont encore des sciences émergentes et vont vraisemblablement exercer une influence profonde sur nos vies. Le savoir et l'innovation ne sont cependant pas gratuits.

[Traduction]

Comme l'a écrit récemment John Polanyi:

    Il semble que tout le monde puisse librement disposer de la connaissance—ce n'est qu'une impression, en réalité, seuls disposent de la connaissance ceux qui en comprennent le sens et qui en apprécient la valeur.

Si nous voulons pouvoir profiter de ces révolutions scientifiques autant que nous le devrions, nous devons nous assurer non seulement que nos chercheurs scientifiques sont bien financés mais aussi que l'on puisse compter sur un monde des affaires réceptif et sur une population instruite.

Il est demandé aux membres du comité de prendre le pouls des différentes stratégies et propositions qui ont été présentées pour améliorer la productivité du Canada et, en fin de compte, notre niveau et notre qualité de vie. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire ici qu'il nous faut adopter des solutions multiples devant donner les moyens à la population canadienne de se réaliser dans une société mondialisée et axée sur la connaissance.

Pour notre part, il est évident que nous mettons l'accent sur les activités et les programmes qui favorisent la connaissance et l'innovation. Nous serions heureux de pouvoir discuter avec vous cet automne des mesures concrètes allant dans le sens des quatre orientations clés que je viens de vous exposer.

À titre de rappel, voici le cadre d'analyse qui nous paraît fondamental: la productivité est tributaire de l'innovation; l'innovation s'appuie, pas uniquement mais dans une large mesure, sur l'éducation et la recherche; enfin, nous sommes convaincus qu'il nous faut reconsidérer tous ensemble nos stratégies devant nous permettre d'augmenter nos investissements dans l'éducation et dans nos universités.

Merci, monsieur le président, de nous avoir donné l'occasion de comparaître et d'engager ce débat avec vous.

Le président: Merci, madame Brown.

Nous allons maintenant entendre le président du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, M. Thomas Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski (président, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada): Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, et merci de nous avoir invités à nous joindre à cette très intéressante discussion. Je dois admettre, monsieur le président, que j'ai été soulagé lorsque j'ai reçu votre lettre d'invitation. N'étant pas économiste, je me demandais ce que je pourrais bien apporter à cette discussion très érudite sur la productivité. Toutefois, lorsque j'ai vu les questions qui figuraient dans votre lettre, je me suis rendu compte que vous cherchiez à comprendre les mêmes choses que moi. Si vous me le permettez, je vous présenterai éventuellement cet après-midi le cadre d'analyse—compte tenu évidemment de ce que fait le CRSNGC, soit pour appuyer la recherche universitaire dans les sciences et le génie—qui me permet de comprendre les liens qui existent entre l'économie mondiale, l'économie fondée sur la connaissance, la productivité, l'innovation et la R-D. Mes notes se présentent sous la forme d'une liste de différents points, j'espère que ça ne vous gêne pas. Les différents points qui ressortent sont peut-être plus faciles ainsi à souligner; du moins c'est mon impression.

Je commencerai par définir la productivité comme l'a fait M. d'Aquino en commençant son exposé, parce que je considère que c'est la meilleure façon d'aborder la question. Exprimée de manière très simple, la productivité est la valeur de ce qui est produit divisée par le coût de production.

[Français]

En termes clairs, la productivité est égale à la valeur de ce qui est produit divisée par ce qu'il en coûte pour le produire.

• 1625

[Traduction]

Nous avons donc une fraction ici, la valeur de ce qui est produit divisée par le coût de la production. On peut augmenter la productivité d'une ou de deux manières. Considérons-les séparément: on peut faire augmenter le dénominateur de cette fraction en diminuant le coût de production, ou faire augmenter le numérateur de cette fraction en augmentant la valeur de ce qui est produit.

[Français]

Cela veut dire qu'on peut augmenter la productivité en diminuant l'équipe de production ou en augmentant la valeur de ce qui est produit, c'est-à-dire en diminuant le dénominateur de la fraction ou en augmentant son numérateur.

[Traduction]

Nous avons déjà entendu dire, et bien entendu nous l'avons vu dans les médias—et cela dès que le terme de «productivité» a commencé à apparaître assez fréquemment dans le discours public—qu'il y a une réaction négative dans le public, telle que l'a décrite M. Smith. Bien des gens réagissent lorsqu'on leur parle de productivité. Ils pensent à l'automatisation qui remplace le personnel, aux compressions d'effectifs des entreprises, aux fermetures d'usines, aux gens qui sont mis à pied, etc. Toutefois—et je soutiens que cette solution est bien supérieure—il serait bien préférable d'augmenter la productivité en faisant progresser le numérateur, en augmentant la valeur de ce que produisent les Canadiens, de ce qu'ils offrent sur les marchés mondiaux.

Bien sûr, va-t-on nous rétorquer, mais comment contrôler la valeur de ce que nous produisons? La réponse, à mon avis, c'est qu'il faut savoir nous comporter intelligemment sur le marché. Pensons aux matières premières—et dans une large mesure nous dépendons toujours des matières premières, et dans une plus large mesure encore c'est ainsi qu'on nous perçoit—les matières premières sont essentiellement des produits que l'on ne peut distinguer entre eux et que de nombreux producteurs vendent dans le monde entier. Certaines d'entre elles possèdent une valeur ajoutée, mais aucune ne présente des caractéristiques exceptionnelles. Le prix des matières premières est faible et nous avons vu qu'il baisse à mesure que le temps passe sans que nous puissions y faire grand-chose. En fait, nous devons accepter le prix que nous offre le marché.

Cela signifie que si l'on veut que les producteurs canadiens de matières premières restent rentables, continuent à être productifs et le soient de plus en plus à l'avenir, on n'a pas vraiment le choix. Ces derniers ne peuvent que réduire les coûts de production. Ils ne peuvent que faire baisser le dénominateur de la fraction. Toutefois, nous n'exportons pas que des matières premières. Nous exportons aussi des innovations, qui sont des biens et des services nouveaux que nous mettons sur le marché; là où nous arrivons les premiers, où nous pouvons fixer les prix. Nous savons très bien, et je suis sûr que vous l'avez entendu dire, monsieur le président, par les représentants des différents secteurs, que dans certains domaines l'innovation est commercialisée et devient très rapidement un produit, de sorte qu'il faut agir rapidement.

Toutefois, les innovations sont des biens et des services nouveaux qui sont mis sur le marché. Il y a des innovations sur les produits ou sur les procédés. Il peut s'agir d'une amélioration partielle d'un produit, elle peut être aussi totale. Elle peut porter sur des produits entièrement nouveaux. Il y a aussi, bien entendu, des innovations portant sur la commercialisation et sur les institutions, et j'espère que nous serons capables de combiner toutes ces innovations dans un portefeuille au sein duquel elles se renforcent mutuellement.

Il n'en reste pas moins que j'insiste ici avant tout sur le fait, monsieur le président, que lorsque les producteurs canadiens innovent sur le marché mondial, ils sont en mesure de fixer leurs prix. Ils peuvent l'établir à un niveau suffisamment élevé pour pouvoir faire d'excellents bénéfices, payer le coût de la R-D à l'origine de l'innovation précédente et avoir suffisamment d'argent pour investir dans la R-D qui mènera aux prochaines innovations.

Je pense que nous pouvons contrôler la valeur de ce que nous produisons grâce à l'innovation—et c'est un mot que vous avez entendu prononcer tout au long de cet après-midi—et que si l'industrie canadienne obtient de bons résultats en matière d'innovation, elle pourra augmenter sa productivité en faisant augmenter le numérateur de l'équation, en augmentant la valeur de ce que produisent les Canadiens. Je pense que c'est très supérieur à la solution qui consiste à faire baisser le dénominateur. Dans une économie fondée sur la connaissance, les innovations qui réussissent font appel à de nouveau usage de la connaissance, qui dépendent en grand nombre des progrès réalisés dans la science et la technologie. Je les qualifierai d'innovations fondées sur la recherche.

L'OCDE a déclaré que le Canada souffrait d'un manque d'innovation, que nous n'en faisions pas assez dans ce domaine comparativement à nos partenaires commerciaux. Il y a à cela de nombreuses raisons et je ne pense pas qu'il nous faille les répéter. Vous avez entendu mentionner certaines d'entre elles tout à l'heure. Notre manque d'innovation vient entre autres du fait que nous n'investissons que 1,62 p. 100 de notre PIB dans la R- D—secteur public et secteur privé mis ensemble—ce qui est bien moins que dans les pays concurrents. Ce qui est positif, par contre, c'est que les dépenses en R-D consacrées par l'industrie augmentent rapidement dans notre pays.

• 1630

Toutefois, pour ce qui est de la capacité à innover, du nombre de personnes qui se consacrent à cette tâche et de la capacité des institutions, il y a un domaine dans lequel notre situation est comparable à celle des autres pays concurrents, c'est celui des universités. Nos inscriptions sont nombreuses, nos rapports entre le nombre d'élèves et d'enseignants sont comparables, notre quantité d'enseignants est comparable et la qualité de notre travail correspond aux normes internationales.

La recherche universitaire revêt donc de plus en plus d'importance pour promouvoir l'innovation sur deux plans: en transférant la technologie aux entreprises existantes grâce à une collaboration, à des partenariats et à la recherche—et c'est à bon droit que l'on a fait l'éloge cet après-midi du partenariat—et en établissant de nouvelles entreprises chargées de commercialiser les découvertes et les inventions découlant de la recherche—et bien souvent de la recherche fondamentale—qui sont susceptibles d'avoir du succès sur le marché. J'ajouterai, monsieur le président, que le CRSNGC a désormais répertorié 155 entreprises qui démarrent et dont les activités peuvent être rapprochées directement des investissements faits dans la recherche fondamentale il y a 10, 20 et même 30 ans.

Monsieur le président, je résumerai en disant qu'il est possible d'augmenter notre productivité et de le faire d'une manière qu'approuvera résolument à mon avis l'opinion publique canadienne qu'elle encouragera dans son ensemble, en l'occurrence en augmentant la valeur de ce que le Canada produit et vend sur les marchés mondiaux en recourant à l'innovation. Bien évidemment, l'innovation est tirée de nombreuses sources, mais je prétends que l'une des sources importantes est la recherche universitaire.

Je m'arrêterai là-dessus, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Brzustowski.

Nous allons maintenant passer aux questions. Je tiens à dire aux membres du groupe de témoins qu'ils sont libres d'intervenir s'ils veulent commenter les déclarations faites par les autres membres.

Monsieur Harris.

M. Richard M. Harris (Prince George—Bulkley Valley, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je remercie les témoins de nous avoir présenté ces exposés très instructifs.

Je vais poser une question à M. d'Aquino et à M. Smith. Elle a trait aux dépenses gouvernementales. Nous pouvons nous demander quel rôle jouent les gouvernements lorsqu'ils interviennent pour encourager la productivité et s'il faut juger que les dépenses des gouvernements relèvent de la consommation ou de l'investissement. La consommation, bien entendu, se fait au détriment de la productivité et l'investissement l'encourage. Comment déterminer quelles sont les dépenses du gouvernement qui obèrent la productivité et celles qui la rehaussent? Où se trouve la ligne de démarcation?

Le président: Vous pourriez peut-être commencer, monsieur Smith.

M. Peter Smith: Laissez-moi me référer au secteur de l'aérospatiale, je suis convaincu d'ailleurs que M. d'Aquino se chargera de couvrir les autres secteurs. Je prendrai l'exemple du programme canadien de partenariats technologiques qui, vous le savez tous, a bénéficié d'une augmentation de crédit de 300 millions de dollars dans le dernier budget. Il n'est pas uniquement consacré à l'aérospatiale, mais les deux tiers environ le sont.

Je suis prêt à affirmer que le programme canadien de partenariats technologiques permet d'investir utilement dans l'innovation lorsqu'on tient compte de l'effet de levier. Au bout de deux ans, 62 projets ont été créés avec des crédits se montant au total, sur plusieurs années, à 563 millions de dollars. Ces projets vont entraîner, par l'effet de levier, de nouveaux investissements du secteur privé de 2,3 milliards de dollars—il s'agit de crédits combinés du gouvernement et du secteur privé, la majorité provenant du secteur privé—et l'on prévoit de créer et de maintenir en place 13 300 emplois avec des salaires se situant en moyenne à 42 000 $. On prévoit que la vente des produits qui en découlera se montera à 63 milliards de dollars effectuée par 42 petites et moyennes entreprises. La presse a parlé surtout des grosses sommes d'argent versées à des entreprises comme Bombardier, Pratt & Whitney, CAE, etc.

• 1635

Notre préoccupation, c'est la concurrence qui existe aujourd'hui dans l'industrie aérospatiale. Nous sommes les cinquièmes au monde dans ce secteur. Nous devons faire face aux gros investissements consentis par d'autres pays qui ont pris conscience des avantages de l'innovation lorsqu'il s'agit de créer des produits et de faire des ventes. Notre crainte, c'est que si notre effort n'est pas soutenu et même accentué, comme l'ont indiqué un certain nombre des membres de ce groupe de témoins cet après-midi, nous allons perdre le bénéfice de la dynamique que nous avons déjà lancée. Je considère que nous avons bien fait la preuve qu'un petit pays comme le nôtre avait suffisamment de matière grise et de capacité pour procurer un rendement sur les investissements faits par le Canada. Le défi qu'il nous faut collectivement relever, c'est à mon avis de parler à ceux qui nous soutiennent, qu'il s'agisse des contribuables, des actionnaires ou d'autres parties prenantes, pour les convaincre à la base qu'il leur faut conférer un effet de levier à ces crédits pour que ce ne soit pas de simples dépenses. Je vous remercie.

Le président: Monsieur d'Aquino.

M. Thomas d'Aquino: Merci beaucoup. Monsieur le président, je suis heureux que M. Harris ait posé cette question. Je crois qu'il faut revenir aux principes fondamentaux et reconnaître que la façon la plus inutile et la plus nuisible de dépenser de l'argent, c'est de dépenser l'argent que l'on n'a pas. L'exemple classique que l'on peut donner pour notre pays est que nous sommes en train de dépenser près de 40 milliards de dollars par an pour le service de la dette nationale. Il n'y a pas un seul député qui ne serait pas prêt à admettre que c'est là un investissement qui ne risque pas d'améliorer notre productivité. Cela n'aide pas beaucoup notre productivité. En fait, cela représente un fardeau terrible. Je crois que le principe fondamental en matière de dépenses est qu'il ne faut dépenser que ce que l'on peut se permettre.

Il y a également une deuxième règle, et c'est la question des choix. Il faut faire des choix en tenant compte des fonds disponibles. En d'autres termes, si les gouvernements n'avaient pas fait preuve d'irresponsabilité sur le plan financier depuis 20 ans, nous ne serions pas en train de parler aujourd'hui de ces questions. Lorsque le ministre de la Défense se voit demander des véhicules mieux adaptés, des vêtements pour les soldats, et d'augmenter la solde de nos militaires, il ne serait pas obligé de répondre: «Je ne peux vous donner que 137 millions de dollars parce que c'est tout ce qu'il y a.» Lorsque la population demande, ce qui est tout à fait légitime, que l'on fasse quelque chose pour les enfants, en termes de programme national de garderie, nous ne serions pas obligés de répondre: «Désolés, mais nous n'avons pas d'argent.» Et je pourrais continuer longtemps.

Je dirais que pour les domaines où l'on peut se fier au bon sens, nous savons tous quelles sont les meilleures façons de dépenser de l'argent, ou nous pourrions nous entendre rapidement sur les façons de le faire, et ce serait bien évidemment pour l'infrastructure, les écoles, l'éducation, la recherche et le développement. Vous avez entendu aujourd'hui trois conférenciers particulièrement éloquents vous donner des exemples de secteurs où les investissements sont productifs.

Qu'est-ce qu'une mauvaise façon de dépenser de l'argent? Tout d'abord, c'est dépenser de l'argent que l'on n'a pas et deuxièmement, c'est dépenser de l'argent inutilement. Je n'ai pas besoin d'expliquer aux honorables députés que nous pourrions sans doute dresser une liste assez longue des dépenses inutiles que nous avons faites depuis 20 ans. Si ce n'était pas le cas, nous n'aurions pas à payer aujourd'hui quelque 40 milliards de dollars d'intérêt par an pour notre dette.

Monsieur le président, cela nous ramène à la question de la productivité. Il ne s'agit pas tant de savoir ce qu'est la productivité ou comment on la mesure. La véritable question est celle de savoir quels sont les secteurs dans lesquels nous devrions investir nos ressources et nos talents. Je crois que tout le monde s'entendrait pour choisir les écoles, l'infrastructure, la santé, l'éducation, la recherche et le développement, l'innovation, tous ces domaines. Mais lorsqu'on s'éloigne un peu de ces secteurs et que le ministre des Finances dit, monsieur le président, je n'ai que tant de dollars à dépenser et je vais donc être obligé de choisir entre les enfants et les réductions d'impôt ou choisir entre la recherche et le développement et la réduction de la dette. C'est là que se posent les vrais problèmes et je n'ai pas besoin de vous le dire parce que ce sont là les questions dont vous parlez tous les jours. C'est sur cet aspect que devrait, d'après moi, porter le débat parce que ce sont là les vrais problèmes. Nous ne pouvons pas réduire les impôts et créer un déficit. Nous ne pouvons pas dépenser tout notre argent uniquement pour la défense.

• 1640

C'est donc en fait une question de choix et c'est là que la discussion devient pour moi stimulante et que, grâce aux audiences que vous avez tenues sur la productivité, vous allez certainement réussir à fournir des réponses.

M. Richard Harris: Il existe pas mal d'éléments qui démontrent l'existence d'un lien direct entre une fiscalité légère et une économie dynamique. Lorsque les gens ont de l'argent à dépenser, les entreprises font des bénéfices et on ne paie pas beaucoup d'impôt, cela est bon pour l'économie. Il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis. Il suffit de regarder ce qui se passe en Ontario, qui connaît une période de prospérité économique à l'heure actuelle, et il y a beaucoup de gens qui l'explique par le fait que le gouvernement de cette province a réduit les impôts.

Lorsque je travaillais dans le secteur privé, j'ai constaté une chose fondamentale, la productivité de mes activités dépendait de la rentabilité de mon entreprise. Cette rentabilité me permettait d'améliorer les conditions de travail de mes employés, de leur fournir de meilleurs véhicules. Je pouvais élargir ma gamme de produits parce que j'avais l'argent pour le faire. Je pouvais dépenser davantage en publicité. La rentabilité de mon entreprise influençait la productivité de l'entreprise pour l'année suivante.

Les éléments qui nuisaient à cette productivité étaient l'impôt sur les sociétés et les charges sociales, la réglementation qui ne semblait pas servir à grand-chose, sinon à me faire dépenser de l'argent, les droits et les frais de permis qu'il fallait constamment verser au gouvernement, et évidemment la valeur du dollar; dans mon cas, j'importais beaucoup des États-Unis, et chaque fois que notre dollar baissait, mon prix de revient augmentait et me rendait moins concurrentiel. On pourrait également parler des taux d'intérêt et de l'inflation.

Les aspects dont je vous parle semblent, d'après ce que me disent les chefs d'entreprise d'aujourd'hui, influencer encore le fonctionnement de leurs entreprises et peuvent nuire énormément à la réalisation de leurs objectifs en matière de productivité.

J'aimerais simplement connaître vos réactions. Que pouvons- nous faire pour augmenter la productivité du point de vue des entreprises? Le gouvernement va certainement être obligé d'examiner très sérieusement les aspects que je viens de mentionner. Êtes-vous d'accord avec cela?

Le président: Des commentaires?

M. Smith, et ensuite M. d'Aquino.

M. Peter Smith: Il est certain que, lorsque le secteur aérospatial a été consulté au sujet des budgets, nous avons formulé des recommandations qui allaient tout à fait dans le sens que vient d'indiquer M. d'Aquino, sur la question des choix. Notre pays se trouvait dans une situation très grave et il faut féliciter le gouvernement de s'être attaqué au déficit.

Au sujet de ce qu'il conviendrait de faire en cas d'excédent... nous avons proposé, d'une part, d'augmenter les dépenses ayant pour effet de stimuler la R-D, tout en prenant des mesures agressives pour remédier à nos problèmes fiscaux.

Dans l'industrie aérospatiale, près de 60 p. 100 des entreprises sont sous contrôle étranger, pour la plupart américain. Nous constatons effectivement tous les jours que cela entrave la libre circulation des employés et des cadres entre les sociétés mères et les filiales. Pour amener un Américain à travailler au Canada, il faut d'abord parler du taux de change; deuxièmement, des différences en matière de taux d'imposition; et troisièmement, si l'Américain vient de la Californie, du fait qu'il va devoir acheter des choses qu'il ne porte pas habituellement en Californie. Voilà les problèmes concrets auxquels nous faisons face quotidiennement.

• 1645

Le contraire est également vrai. Je mentionne simplement qu'en tant qu'homme d'affaires, vous comprenez certainement que tous les jours nous devons résoudre ce genre de difficultés. Comparée à la société Bombardier de Montréal, la société Boeing de Seattle offre beaucoup d'attraits pour les membres de notre personnel. Le travail est à peu près le même dans les deux entreprises mais à Seattle, il y a beaucoup plus d'avantages, dont deux principaux. Le premier est celui du salaire net, parce qu'on y paie moins d'impôt, et ensuite, il y a le taux de change.

Je suis donc d'accord avec vous dans le sens que je pense que ce sont là des aspects qui touchent de très près la productivité et qu'il faut donc leur apporter des solutions. Comme cela a été dit plus tôt, ces aspects font partie des choix à faire. Nous aurions certainement préféré que le gouvernement investisse davantage dans le programme de partenariat en technologie, par exemple, dont nous aurions pu profiter mais nous étions tout à fait disposés à examiner ce qui pouvait être fait, comment cela pouvait l'être, et à nous attaquer aux aspects qui ont un effet important sur les affaires.

Le président: Merci, monsieur Smith.

Monsieur d'Aquino.

M. Thomas d'Aquino: Monsieur le président, pour ce qui est de la fiscalité, un aspect qui est très présent de nos jours, je serais bref mais j'inviterais le comité à agir très rapidement dans ce domaine. D'après les journaux de ce matin, le premier ministre aurait déclaré que la réforme de la fiscalité n'allait pas nous conduire jusqu'à la terre promise. Nous sommes tout à fait d'accord avec lui. Ce n'est pas en réduisant les impôts et en s'en remettant uniquement aux mesures fiscales que nous allons améliorer la situation du Canada et notre niveau de vie. Il faudra faire davantage. C'est pourquoi nous avons lancé l'initiative pour le leadership mondial du Canada qui va nous amener à être compétitifs pour les capitaux, compétitifs pour le personnel, compétitifs pour l'innovation, compétitifs pour les parts de marché mondial et les façons d'influencer le marché mondial, et compétitifs pour les gouvernements modernes.

Cela dit, permettez-moi d'ajouter ceci. Les dirigeants des grandes entreprises qui ont parlé la semaine dernière de l'exode des cerveaux ont suscité certaines réactions négatives. Je suis vraiment très déçu, monsieur le président, quand j'entends des représentants du gouvernement et d'autres dire que la fuite des cerveaux est peut-être une invention; en effet, ceux que nous perdons sont remplacés par des immigrants spécialisés qui arrivent au pays. Cela me rend triste d'entendre cela, parce que cela revient à dire ceci: on nous vole tous les jours notre lait ou notre whisky, cela dépend des goûts, mais cela n'est pas grave parce que nous remplaçons automatiquement ce qu'on nous vole. Il faudrait plutôt dire que nous devrions retenir ces personnes, nous devrions renforcer cette ressource, nous devrions développer cette force, et ne pas nous contenter de dire eh bien, nous récupérons tout ce que nous perdons.

Mais la question de l'exode vers les États-Unis est une question très réelle et très importante. Si vous avez encore des doutes à ce sujet, parlez-en donc à vos électeurs; parlez aux pères et aux mères de la plupart des étudiants qui sortent de Waterloo et qui sont séduits par les offres de Bill Gates. Examinez tout cela et vous constaterez que nous perdons nos meilleurs étudiants.

Il est donc important de faire quelque chose au sujet de l'impôt sur le revenu.

Le ministre des Finances aurait déclaré il n'y a pas très longtemps: «Eh bien, il nous a fallu 20 ans pour avoir une fiscalité aussi lourde au Canada et il faudra bien 20 ans pour l'alléger. Je crains que cela ne suffise pas. Nous n'avons pas 20 ans pour le faire, monsieur le président. Nous pensons, et je vais être très direct ici, que nous avons lancé l'initiative pour le leadership mondial du Canada parce que nous estimons qu'au cours des cinq prochaines années, nous allons perdre une bonne partie de notre compétitivité de pointe, les multinationales vont déménager aux États-Unis et nous allons perdre les meilleurs. La situation de l'économie canadienne va se détériorer considérablement si nous ne faisons rien. La fiscalité n'est pas la seule chose mais placez-la tout de même très haut dans votre liste de priorités.

Je dirais en terminant qu'il n'est pas du tout antilibéral ou antisocial de réduire les impôts pour les personnes à faible revenu, ce qui a déjà été fait, et en particulier pour les personnes qui gagnent entre 35 000 $ et 150 000 $ par an. Cela reviendrait, pour nous, et je crois, pour tous les Canadiens, à accorder une réduction d'impôt à une classe moyenne définie largement, et j'ai du mal à imaginer une mesure qui pourrait à l'heure actuelle mieux servir le Canada ou être plus populaire.

• 1650

Le président: Merci, monsieur d'Aquino. Je suis sûr que vous savez que c'est en fait une des recommandations que nous avons présentées au ministre des Finances dans notre dernier rapport de consultation prébudgétaire, à savoir supprimer la surtaxe et augmenter les exemptions personnelles de base, notamment.

Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président, et merci à vous tous pour vos interventions d'aujourd'hui. En fait, vos interventions comportent beaucoup d'aspects communs. Il y en a qui essaient de monter les uns contre les autres. Par exemple, un groupe qui demande que l'on investisse davantage pour l'éducation supérieure s'opposerait à ceux qui veulent réduire les impôts.

La question à laquelle j'aimerais avoir votre réponse lie ces deux aspects parce que M. d'Aquino a reparlé de l'exode des cerveaux et Mme Brown, de connaissance et d'innovation et de ce qu'a déclaré le ministre au moment de la présentation du budget. Cela ne va guère améliorer la productivité des Canadiens, en particulier lorsqu'on sait que la connaissance et l'innovation sont des éléments très importants, et que nous perdons tous ces spécialistes. Nous en entendons parler constamment. Nortel perd tous les ans entre 400 et 500 ingénieurs qui sont embauchés par ses concurrents américains; près de la moitié des diplômés en informatique de l'Université de Waterloo s'en vont aux États-Unis.

Une partie de ce problème vient, comme je crois M. d'Aquino l'a mentionné, des taux d'imposition marginaux, en particulier du taux marginal supérieur. Il y avait dans le dernier numéro de Maclean's un article sur les diplômés d'universités au Canada qui mentionnait que le salaire moyen de départ pour un étudiant diplômé en commerce au Canada était de 72 000 $ dans le secteur bancaire. C'est le salaire moyen de départ, ce qui veut dire que ces étudiants sont imposés dès le début au taux marginal maximum, et qu'ils sont donc imposés comme s'ils étaient riches, alors qu'ils doivent peut-être rembourser des prêts étudiants d'un montant comparable.

Je ne pense pas que nous soyons obligés de choisir entre investir dans l'éducation supérieure et réduire les impôts mais si nous ne réduisons pas les impôts, si nous ne nous attaquons pas à cette cause importante de l'exode des cerveaux, nous allons perdre tout ce que nous investissons dans l'éducation supérieure et dans l'infrastructure sociale parce que nous allons simplement favoriser le départ de nos étudiants vers les États-Unis. C'est ce qui va se produire, si nous ne faisons rien sur le plan fiscal et si nous nous contentons de nous attaquer à l'aspect social.

Mme Sally Brown: Je vais vous répondre en disant qu'il me semble exister un certain consensus autour de la table. Nous ne disons pas qu'il ne faut pas réduire les impôts; nous disons qu'il faut également investir dans d'autres domaines. Pour ce qui est du secteur universitaire, il y a deux problèmes. Les universités ont d'un côté de plus en plus de mal à embaucher les meilleurs professeurs et de l'autre, elles perdent leurs meilleurs étudiants qui s'en vont aux États-Unis. Il se fait beaucoup de recherche, et nous en faisons une partie, sur les causes de ces départs; elles semblent être multiples.

Oui, la rémunération est un facteur, tout comme les impôts. Le facteur qui vient au second rang est le financement de la recherche. Ces étudiants vont souvent aux États-Unis, même si 40 p. 100 d'entre eux vont travailler ailleurs; il n'y a donc pas que les États-Unis qui offrent un milieu de recherche beaucoup plus stimulant. Le facteur qui vient au second rang est l'accès à des fonds pour la recherche. Ces diplômés travaillent avec d'excellents chercheurs d'origines très diverses et la qualité de la recherche et le milieu dans lequel elle se fait sont également des facteurs.

La réponse est donc multiple. Oui, il est probable qu'en réformant la fiscalité, certains professeurs resteraient au Canada mais cela ne suffirait pas, parce qu'ils ont déclaré que ce n'était pas la seule raison pour laquelle ils partaient. Ils quittent également le Canada parce que le milieu de la recherche n'est pas perçu comme étant très accueillant et qu'il l'est beaucoup plus ailleurs.

Pour ce qui est des étudiants qui quittent le Canada après avoir obtenu leur diplôme et qui vont offrir à d'autres ce qu'ils ont appris, je crois qu'il faut tout d'abord reconnaître que, si le nombre des étudiants qui vont à l'étranger pour parfaire leur éducation a augmenté depuis une dizaine d'années, c'est surtout au début de cette décennie que cette augmentation s'est fait sentir et qu'à l'heure actuelle, on ne peut parler d'exode massif.

• 1655

Pour ce qui est du départ des diplômés, je crois que c'est effectivement un problème dans le domaine de l'informatique. Cela s'explique en partie par le fait que, croyez-le ou non, les universités américaines ont décidé de ne pas développer leurs programmes d'informatique. Elles sont en fait en train de les réduire. On peut se demander pourquoi elles ont choisi une telle stratégie mais nous n'avons pas toutes les réponses. Ce sont des programmes très coûteux; c'est peut-être une partie de la réponse. Les universités américaines ne réussissent pas à alimenter leurs propres entreprises de haute technologie, et celles-ci sont donc amenées à prospecter au Canada.

Il ne suffira pas d'augmenter le nombre des diplômés en informatique au Canada. Nous devrions élaborer une stratégie qui aurait pour objectif de convaincre les diplômés en informatique de demeurer au Canada. Il faudrait également que cette stratégie prévoie que la spécialisation après les études universitaires pourra se faire dans le secteur privé et que les étudiants qui sont moins spécialisés pourront également travailler dans les entreprises de haute technologie et occuper des postes intéressants. Il n'y a pas de solution simple, elles sont toutes complexes.

Le président: M. d'Aquino ou M. Patterson.

M. David Stewart-Patterson (vice-président principal, Politiques et communications, Conseil canadien des chefs d'entreprises): Je veux poursuivre les sujets qu'a abordés Sally Brown, parce que le problème est complexe et qu'il faut donc lui apporter une solution complexe.

L'un des aspects de l'exode des cerveaux, qu'il s'agisse de l'exode des cerveaux des entreprises ou des universités, c'est qu'il ne faut pas se fier aux chiffres absolus mais plutôt à la qualité des personnes qui quittent le Canada. Patrick Monahan de Osgoode Hall Law School a donné un bon exemple dont il a parlé, je crois, il y a quelques semaines, dans le Globe and Mail. Les cabinets d'avocats de New York ont découvert l'existence de cette faculté de droit et ils ont commencé à y faire du recrutement. Je crois qu'il a déclaré que cette année, sur une promotion de 300 étudiants, il y en a eu 14 qui ont été embauchés par des cabinets d'avocats américains. On pourrait dire, eh bien 14 sur 300, cela représente moins de 5 p. 100, le problème n'est donc pas très grave. Ces 14 étudiants représentent la moitié de tous ceux qui ont obtenu leur diplôme avec la note A.

Voilà la situation à laquelle nous devons faire face. Bien évidemment, cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter de former d'excellents diplômés; ce serait plutôt le contraire. Il faut tout de même nous demander ce que nous faisons avec tous ces fonds publics si ces diplômés nous quittent et que nous ne réussissons pas à les faire demeurer ici. Si nous voulons augmenter les investissements dans les activités axées sur la connaissance ici au Canada, nous avons besoin d'un bassin d'étudiantes et d'étudiants spécialisés et brillants.

C'est un avantage compétitif que nous avons à l'heure actuelle. Il y a beaucoup d'étudiants qui font des études supérieures mais nous devons faire davantage pour les retenir au Canada. Cela nous amène à la question de savoir pourquoi les jeunes diplômés s'expatrient. Il faut le répéter, il n'y a pas d'explication unique. Oui, je pense que notre régime fiscal joue un rôle mais il y a aussi les salaires offerts, et aussi les options d'achat d'actions, ainsi que le traitement fiscal de ces options.

La principale raison n'est peut-être pas de nature financière, ce serait plutôt la possibilité de travailler avec les meilleurs. C'est la possibilité de progresser et de travailler là où ça bouge. Cela nous ramène non pas à la question de savoir pourquoi les salaires de nos meilleurs diplômés sont imposés au taux marginal le plus élevé alors qu'ils ont encore des prêts à rembourser, mais pourquoi ces étudiants considèrent-ils que les meilleures possibilités sont ailleurs. Pourquoi est-ce que les meilleurs au monde, quelle que soit la discipline, droit, médecine, recherche scientifique, informatique, semblent toujours travailler à l'étranger? Là encore, ce n'est pas une simple question de fiscalité. Ce n'est pas une simple question de rémunération. Dans le cas de la recherche scientifique, cela est lié au financement des universités, à l'infrastructure de recherche, et aux liens qui existent entre les universités et les entreprises, toute la théorie des grappes industrielles. Tout cela est très complexe. Il y a toutefois des aspects du problème qui sont évidents et pour lesquels nous pouvons faire quelque chose.

M. Scott Brison: Monsieur le président, si je pouvais simplement...

Le président: Nous allons laisser M. Smith...

M. Scott Brison: Permettez-moi d'ajouter quelque chose, et je vous prie de m'excuser, cela ne prendra qu'un moment.

Vous avez dit que l'exode des cerveaux ne s'expliquait pas uniquement par la fiscalité et vous avez raison. Ce n'est pas une simple question d'impôt personnel. C'est une question de rémunération. Une question d'option d'achat d'actions. Je voulais simplement signaler que l'on ne pourra pas endiguer l'exode des cerveaux en réduisant l'impôt personnel. Il faut regarder également l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le capital et sur le revenu des capitaux, aspect particulièrement pernicieux parce que cela constitue une sorte de double imposition. J'apprécie vos commentaires et j'aimerais également connaître vos réactions à ce que je viens de dire, parce que je pense...

• 1700

M. David Stewart-Patterson: Je voudrais ajouter rapidement quelque chose à ce sujet en particulier. Lorsque nous parlons de rémunération, nous pouvons examiner l'effet qu'ont les impôts sur les particuliers. Cela touche la rémunération nette. Mais la rémunération de base, avant impôt, est influencée par la rentabilité des entreprises.

M. Scott Brison: C'est exact.

M. David Stewart-Patterson: Pourquoi les entreprises canadiennes ne réussissent-elles pas à demeurer compétitives tout en offrant à nos diplômés le genre de salaires qu'on leur offre aux États-Unis? Quels sont les obstacles qu'elles rencontrent? Que pouvons-nous faire pour que les entreprises canadiennes puissent être davantage concurrentielles sur le plan du talent, pour qu'elles puissent offrir le genre de choses que Peter Smith a mentionnées, puisqu'il s'agit d'attirer au Canada les meilleurs cerveaux, s'ils n'y sont pas déjà?

Le président: M. Smith, et ensuite, M. Brzustowski.

M. Peter Smith: Je voulais simplement ajouter une remarque positive. Nous aimerions bien sûr que le gouvernement réduise l'impôt des particuliers et celui des sociétés. Mais avant de nous décourager, j'aimerais signaler qu'il existe des retombées positives. Je veux revenir sur les commentaires que mes collègues, tant ceux des universités et du CRSNGC, et moi ont formulés.

Dans le secteur de l'aérospatiale, nous avons appris que ce n'est pas toujours le dollar tout puissant qui attire les gens là- bas. Pour retenir tout ce talent ici, il est certain que le genre de projet, son caractère novateur, le fait de travailler sur des projets de pointe sont importants. Nous l'avons vérifié.

Je voulais simplement souligner que, par exemple, Pratt & Whitney a annoncé il y a quelques jours qu'il avait versé à l'université McMaster de Hamilton la plus forte contribution qu'il ait pratiquement jamais versée. Nous avons mis sur pied avec plusieurs universités des projets de recherche concertés. En fait, nous sommes heureux de travailler avec les facultés de génie qui offrent des programmes d'alternance.

Lorsque l'on arrive à offrir un tel milieu de travail, il est possible de retenir nos cerveaux. Ces diplômés travaillent donc sur des projets commerciaux importants, en partie grâce aux investissements du gouvernement et surtout, grâce aux investissements du secteur privé. Si l'on réussissait à les retenir dans un secteur qui serait stimulé par une réduction des impôts, voilà un autre aspect qui ne pourrait qu'améliorer la situation. C'était un des aspects que je tenais à mentionner. Merci.

Le président: Allez-y, M. Brzustowski.

M. Thomas Brzustowski: Monsieur le président, il est essentiel de retenir nos meilleurs éléments. Je ne veux pas lancer un débat avec les spécialistes de Statistique Canada pour savoir si effectivement il y a un exode des cerveaux. Il y a des leaders qui s'en vont. Par exemple, il y a les chercheurs universitaires dont nous avons non seulement financé l'éducation, mais aussi la recherche pendant dix ans et qui s'aperçoivent... pour eux, la rémunération et la fiscalité sont certainement des aspects importants mais l'aspect essentiel est la possibilité de poursuivre leurs recherches, avec des moyens accrus, dans un endroit où l'on se retrouve les meilleurs de la profession.

Il n'y a pas que les États-Unis, parce que les autres pays ont également adopté des stratégies comparables. J'aimerais vous lire quelques phrases, monsieur le président, pour que cela figure au procès-verbal, qu'ont été prononcées par un chef de gouvernement, que sera identifié dans la dernière phrase de la citation, et qui parlait de la stratégie à adopter pour attirer des cerveaux. Je vous en fais lecture:

    [...] le principal objectif de mon gouvernement est de créer des conditions favorables à l'emploi. Pour y parvenir, nous devons être réceptifs aux nouvelles idées et avoir le courage de changer notre façon de penser, parce que nous ne pourrons faire face à la concurrence internationale que grâce à l'innovation et à la croissance, en offrant des produits et des services de haute qualité, et grâce à la recherche et à l'éducation. Ce sont là les clés de notre avenir.

    Nous allons privilégier la R-D. Nous allons non seulement y consacrer grâce aux fonds publics mais nous allons également accorder à cet aspect une place plus importante dans nos débats publics. Il est vrai que les innovations techniques entraînent parfois des suppressions d'emplois mais elles en créent également grâce au développement de nouveaux produits et à l'ouverture de nouveaux marchés... Je suis donc convaincu que, pour être compétitif sur le plan international et créer des emplois à long terme, il est essentiel d'occuper une position de leader dans les technologies de pointe.

Je saute quelques phrases.

    Les hommes politiques ne peuvent à eux seuls garantir le succès de l'innovation mais c'est à eux de mettre en place les conditions qui la favorisent. C'est pourquoi le gouvernement allemand va accorder la priorité au développement de l'éducation, de la science et de la recherche. Cet engagement sera suivi d'action, les crédits affectés à ces mesures ont été augmentés de près d'un milliard de marks pour l'année 1999.

• 1705

C'est un éditorial du numéro du 16 avril du journal Science, signé par Gerhard Schroeder, le chancelier allemand. Chaque pays a adopté une stratégie.

Le président: Madame Brown.

Mme Sally Brown: Si je pouvais également ajouter quelque chose, il y a un problème qui est en train de s'aggraver. Je sais que ce n'est pas un sujet populaire mais je veux parler de la réduction des budgets de base des universités. À cause de cette réduction, la rémunération offerte aux professeurs n'est plus du tout compétitive et les universités sont obligées de remplacer les professeurs qui quittent l'enseignement par de jeunes professeurs. Elles n'ont pas les moyens de faire du recrutement auprès des professeurs d'expérience parce qu'elles ne sont pas compétitives.

Le danger est que le Canada devienne un pays qui donne une formation qui est ensuite utilisée ailleurs. Il y a là un danger réel auquel nous devons réfléchir; nous allons être obligés d'accorder des fonds à nos universités, pour qu'elles puissent retenir leurs professeurs, mettre sur pied les programmes qui vont attirer les meilleurs étudiants, donner aux meilleurs étudiants étrangers l'envie d'étudier chez nous, parce qu'éventuellement, ils rentreront dans leur pays en ayant tissé toutes sortes de liens avec le Canada.

La question de l'exode des cerveaux comporte toutes sortes d'aspects et je reconnais avec mes collègues qu'elle prend de plus en plus d'importance.

Le président: Nous vivons dans un environnement mondialisé... Si je peux faire une comparaison avec le sport, pour un joueur de soccer nord-américain, le rêve est d'aller jouer en première division en Italie. Les joueurs portugais et espagnols veulent eux aussi jouer en Italie parce que les footballeurs y sont bien payés et que cette profession y est valorisée. Ce sont les meilleurs au monde. C'est la même chose pour les joueurs de hockey. Où est-ce que les joueurs de hockey veulent jouer? Ils veulent tous jouer en Amérique du Nord parce que c'est là que ce sport est valorisé. Cela est inévitable. Il y aura toujours des régions du monde qui seront spécialisées.

Je crois que vous avez parlé de grappes. C'est un élément qui permet d'attirer certaines personnes dans des régions où elles peuvent se spécialiser et profiter du climat d'innovation et de créativité que l'on y retrouve.

Il faut en tenir compte et l'accepter parce que cela fait partie de la situation. Cela va se produire. Il y aura toujours des endroits au monde où l'on va accomplir de grandes choses. Cela dit, pour le Canada, il ne faudra rien de moins qu'un big bang, sur le plan de l'impôt des sociétés, de l'impôt personnel, de la R-D, et du reste, pour que les choses bougent. Les Canadiens semblent penser qu'il faut toujours introduire les changements de façon progressive. Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, et si la crise est aussi grave que vous le pensez, nous allons devoir agir rapidement.

Monsieur d'Aquino.

M. Thomas d'Aquino: Monsieur le président, lorsque vous avez utilisé l'expression «big bang», j'ai ressenti une bonne chaleur m'envahir, parce qu'il est très encourageant d'entendre le président du comité des finances, un homme très progressiste, utiliser les mots «big bang». Vous avez tout à fait raison; nous avons besoin d'un big bang.

Sans cela, que va-t-il se passer? Cela fait partie de la situation canadienne. Nous n'allons pas nous appauvrir du jour au lendemain. Les jeunes ne vont pas tous quitter notre pays. Nos usines ne vont pas toutes cesser leurs activités. Ce n'est pas ce qui va arriver. Il y a beaucoup de Canadiens et des politiciens, qui savent que cela n'arrivera sans doute pas.

Mais qu'est-ce qui va se produire vraiment? Je suis tout à fait convaincu que le Canada va devenir une banlieue relativement prospère d'un voisin du sud qui concentrera développement économique, productivité et capital humain. Certains diront: «Et alors, est-ce que c'est si grave que ça?» Nous le pensons. C'est pourquoi nous avons lancé l'initiative pour le leadership mondial du Canada.

Il ne faut pas oublier que nous avons réalisé des progrès importants depuis dix ans. Souvenez-vous, en 1990, nous étions au début d'une grave récession. Notre taux d'inflation était très loin de ce qu'était celui des autres membres du G-7. Nos déficits et notre dette ne faisaient que croître, tout comme nos frais d'intérêt. Nos exportations n'avaient pas la valeur ajoutée qu'elles ont aujourd'hui. Lorsque nous avons invité Michael Porter au Canada en 1990, son verdict a été que la situation était très grave.

• 1710

Regardez ce que nous avons réussi à accomplir en dix ans. Nous avons aujourd'hui un des taux d'inflation les plus bas au monde. Nous avons supprimé les déficits du secteur public. La valeur ajoutée de nos exportations a atteint un excellent niveau. D'après les derniers chiffres, notre productivité s'est beaucoup améliorée. Nous avons investi dans nos usines et nous nous sommes équipés.

Mais il y a encore des choses à faire. Notre devise n'est pas suffisamment performante, cela fait 20 ans que cela dure, notre bourse n'est pas non plus performante, il y a l'exode des cerveaux dont nous avons parlé, et le fait que nous avons une dette considérable. La comparaison que vous avez faite avec les joueurs de hockey est excellente parce que nous avons l'avantage, et non l'inconvénient, de vivre à côté d'une des sociétés et une des économies les plus dynamiques au monde, de sorte que nous ressentirons toujours ce genre de pressions.

La véritable question est la suivante: «Allons-nous nous contenter de faire ce que nous pouvons, de simplement nous en sortir et de perdre tous ces sièges sociaux, ces grappes, ces concentrations d'énergie et de compétences qui font un pays ou allons-nous les voir disparaître peu à peu? Notre argument est que, si nous laissons tout cela disparaître peu à peu, nous allons être obligés de nous poser une question très grave dans cinq ou quinze ans: Pourquoi conserver le Canada? Pourquoi ne pas en faire tout simplement une banlieue des États-Unis? C'est pourquoi nous avons besoin d'un big bang. Il faut que ce big bang se produise non pas dans 10 ou 20 ans; nous allons devoir nous regrouper et produire ce big bang cette année, l'année prochaine et l'année suivante. Il ne nous reste pas beaucoup de temps.

Le président: Y a-t-il d'autres commentaires?

Monsieur Smith.

M. Peter Smith: Il y a une petite erreur dans votre comparaison. J'aimerais vous donner un exemple qui vient du secteur de l'aérospatiale. En admettant, par exemple, que Bombardier est maintenant la troisième firme aérospatiale au monde, troisième derrière Boeing et Airbus, on pourrait penser, d'après votre comparaison, que Bombardier n'aura pas de mal à attirer des spécialistes au Canada, parce que cette entreprise, comme les deux autres, élabore un nouveau produit par an depuis cinq ans.

La production du Airbus A 3XX va démarrer l'année prochaine ou à peu près mais si vous pensez au Global Express, au Dash 8-400 et à tous les produits qui ont été conçus, sans oublier le Textron de Bell Helicopter et son aile rotative, vous constaterez que nous faisons face à un défi. Nous avons créé un environnement, comme vous dites, comparable à celui du hockey en Amérique du Nord ou au football en Europe, mais il y a tous ces autres obstacles, le régime fiscal et les autres. C'est pourquoi il faut, je crois, nuancer cette comparaison.

J'aurais tendance à accepter cette comparaison avec le sport mais il y a là une légère différence parce qu'une entreprise aussi dynamique et prospère que Bombardier n'arrive pas à recruter les meilleurs spécialistes à cause de ces obstacles.

Quelles sont les conséquences? Comme je l'ai mentionné dans mes commentaires, nous devons malheureusement constater qu'au Canada, la valeur ajoutée est passée de 66 à 54 p. 100. Cela s'explique en partie par la volonté de faciliter les ventes, ainsi que par le désir de faire faire le travail là où les conditions s'y prêtent le mieux, là où les investissements sont beaucoup plus rentables et où la main-d'oeuvre est de qualité comparable voire supérieure.

Si l'on prend, par exemple, le cas du Global Express, on n'aurait jamais imaginé il y a dix ans que l'élément le plus important d'un aéronef, l'aile, serait construit et conçu à l'étranger, en fait par Mitsubishi au Japon, et envoyé au Canada, avec le fuselage et toutes sortes de pièces. La technologie permet aujourd'hui de fabriquer des choses à l'échelle mondiale. C'est à nous de veiller à conserver l'essentiel et de répartir ailleurs, si cela n'est pas trop dangereux pour le pays, les éléments de la construction qui peuvent nous aider à conclure des ventes.

Le président: Monsieur Mustard.

Le Dr Fraser Mustard (témoignage à titre personnel): Je me trouve ici sous divers prétextes. Pour cette réponse, je porte le chapeau du président du conseil d'administration de Ballard Power Systems.

La plupart d'entre vous connaissent un peu cette entreprise. Elle est située à Vancouver. Je ne sais vraiment pas pourquoi on a implanté une nouvelle technologie à Vancouver mais ceux qui connaissent cette ville le comprendront. Nous travaillons sur la technologie de transformation de l'énergie pour le prochain millénaire. Cela se fait au Canada.

• 1715

Je ne suis pas sûr que les gouvernements canadiens comprennent toutes les répercussions de cette technologie, ni le jeu des forces économiques et politiques qui existent à l'étranger et qui vont empêcher que cette technologie se développe uniquement au Canada à moins que les gouvernements n'accordent un puissant soutien en termes d'infrastructure, notamment. Imaginez que l'on installe dans votre sous-sol un appareil utilisant les piles à combustible qui, une fois relié au réseau de gaz naturel, peut produire de l'électricité à volonté, ce qui nous débarrasserait des centrales nucléaires, des grands barrages, etc. Il n'est pas nécessaire d'être un génie pour comprendre que cette technologie offre d'énormes possibilités. L'élément essentiel est une membrane en polymère. La recherche effectuée dans les universités peut faire beaucoup de choses pour nous donner une avance dans la conception de cette membrane en polymère qui est à la base de cette technologie. C'est également une technologie écologique.

Je peux vous dire que, d'après mon expérience dans ce domaine, car j'ai dû transformer un aspect de mon entreprise, il est possible de recruter des gens. Nous avons amené à Vancouver quelqu'un de particulièrement brillant qui travaillait pour Dow et qui prendra éventuellement la direction de Ballard. Il est possible de créer des possibilités au Canada mais il faudra que se produise le big bang dont vous parlez, et que toutes les forces vives y contribuent.

Le président: Merci, monsieur Mustard.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je trouve fascinantes ces discussions sur l'exode des cerveaux et ce sujet comporte effectivement toutes sortes d'aspects. Statistique Canada nous a donné des chiffres que vous connaissez, je crois. Il y a un chiffre que j'ai trouvé particulièrement intéressant, à savoir que selon les États-Unis, seuls 15 p. 100 des Canadiens qui travaillent dans le pays gagnent plus de 50 000 $ par an. Si nos meilleurs éléments gagnent plus de 50 000 $, et c'est une lourde perte pour nous, il est possible que les autres Canadiens qui ont émigré aux États-Unis, et qui représentent 85 p. 100 de tous ces travailleurs,... cette perte est peut-être une bonne chose pour le Canada. Ils pourraient être des chômeurs ou des bénéficiaires de l'aide sociale.

Ross Perot avait une solution pour l'exode des cerveaux. Certains d'entre vous savent peut-être que, lorsqu'il a démarré EDS aux États-Unis, il a demandé à tous ses nouveaux employés de signer un billet à ordre amortissable sur cinq ans avant de leur donner une formation approfondie. Si l'employé reste pendant cinq ans et part ensuite, il ne perd rien mais s'il quitte l'entreprise avant cette échéance, il doit payer une certaine somme pour pouvoir partir, ce qui permet à Perot de récupérer le coût de la formation. C'est une idée intéressante et Ross Perot est un homme intéressant.

Taïwan a également eu une expérience intéressante avec l'exode des cerveaux. Ce pays perdait une bonne partie de ses meilleurs éléments, le même genre de situation que la nôtre, mais le gouvernement a créé des centres des sciences et de la recherche en collaboration avec le monde des affaires, l'industrie et la recherche, et il a créé des collectivités avec des centres d'achat, des centres communautaires et des hôpitaux et tout ce que les chercheurs pouvaient souhaiter; cela a donné des résultats. Les gens qui avaient quitté le pays ont commencé à revenir et aujourd'hui, Taïwan a mis au point sept produits de haute technologie, du genre de ceux de la Silicon Valley. Ils ont récupéré ces chercheurs. Voici donc une autre stratégie.

Je suis convaincu qu'il existe plusieurs façons d'y parvenir mais je dois mentionner un autre sujet. À cause de la présence de M. Mustard, je tiens à reparler de la productivité, qui est le thème central, et la raison d'être de notre discussion et vous dire que l'on retrouve dans toutes ces définitions l'élément travail, quelle que soit la façon dont on l'évalue. Je vais vous lire une déclaration du Dr Paul Steinhauer de Voices for Children. Il a déclaré que 25 p. 100 des enfants canadiens commençaient leur vie adulte en souffrant de problèmes graves de nature sociale, comportementale ou scolaire et que cela veut dire que 75 p. 100 des Canadiens vont devoir travailler pour fournir un soutien et des services à ces Canadiens, un sur quatre, qui ne sont pas capables de se débrouiller seuls ni de subvenir à leurs besoins. Que nous le sachions ou non, c'est ce qui va se produire et ce phénomène va réduire notre productivité pour la raison que nous ne pouvons en profiter intégralement parce que nous sommes obligés de la partager.

Je suis très curieux de savoir pourquoi, malgré toutes les solutions qui nous ont été présentées, personne n'a encore proposé d'investir dans notre main-d'oeuvre future.

Dr Fraser Mustard: C'est mon travail.

Voulez-vous que je vous présente mon exposé? Avez-vous des copies de ce document?

Je vais commencer par une déclaration de Paul Romer qui est importante pour tous les gouvernements.

• 1720

    Il existe une différence fondamentale entre vos notions de cycles économiques et les révolutions technologiques, ces dernières étant beaucoup plus riches de conséquences. Je crois que nous sommes en train de vivre une de ces révolutions et que, si l'on se fie au passé, nous ne sommes pas à la veille d'en sortir. Cela va nous prendre au moins 20 ans.

Selon l'article du Economist que je viens de citer, les stratégies en matière d'investissement, qu'il s'agisse d'une région ou d'une nation, doivent tenir compte de ce que veut dire un changement technologique majeur. Je crois que mes collègues parlent de «technologie polyvalente».

Je ne crois pas que nos politiques tiennent compte de ce facteur parce qu'en fin de compte, la réussite d'une société dépend de la façon dont elle a investi à long terme pour faciliter l'apparition des nouveaux créateurs de richesse. Il faut donc, d'après moi, que le gouvernement repense ses stratégies. Les documents que j'ai lus ne m'ont guère enchanté et il va falloir soigneusement examiner les politiques fiscales et la taxe sur les gains en capital, pour les entreprises comme Ballard où l'on motive le personnel en le rémunérant en partie avec des actions. Voilà le premier point. Dans cet article, on disait aussi que l'investissement dans les ressources humaines jouait un rôle crucial.

Pour revenir à la productivité, j'ai été très intéressé par des études qui ont été récemment effectuées à Ottawa mais j'ai davantage confiance en Elhanan Helpman qui est à la tête du programme de croissance économique de l'institut et de Pierre Fortin du Québec. Ils affirment que notre productivité globale n'a pas augmenté depuis 1975, et qu'elle est toujours au même niveau et c'est une technique de mesure. J'ai également lu tous les documents que l'on vous a remis sur la façon d'incorporer à l'économie un changement technologique majeur. Le graphique indique que la saturation a été atteinte en 1975. Lorsque cela s'est produit, il est difficile d'augmenter les salaires ou de redistribuer la richesse parce que la société est bloquée et qu'il est très difficile de redistribuer les ressources, sauf en adoptant, ce que Ken Boulding appelait, des tactiques de mafioso. Il n'est pas facile de débloquer une société.

L'autre comparaison qui fait ressortir ce phénomène, si cela intéresse votre comité, est celle que l'on retrouve dans l'étude de Paul David sur la transition entre la machine à vapeur et l'électricité. Cette transition s'est étalée sur 40 ans et tous les problèmes économiques qui se posent aujourd'hui sont apparus pendant cette transition.

Mon honorable collègue du CCCE a mentionné notre ami de Harvard, lorsqu'il est venu, et si l'on traduit dans le tableau qui suit, la création de la richesse en ses termes, si votre société devient la société dont parle George Soros, où l'on fait de l'argent en jouant avec l'argent, on devient une société axée sur la richesse et l'on peut recommencer à évoluer. Le problème est qu'il est plus facile de gagner de l'argent de cette façon qu'en investissant dans des technologies nouvelles à haut risque, comme les piles à combustible. Il faut veiller à ce que les incitations soient en place pour motiver les acteurs économiques et je ne pense pas que ces incitations existent à l'heure actuelle dans notre société. C'est le genre de chose qui fait ressortir mes préjugés.

Les deux rectangles qui figurent dans le tableau suivant montrent que, dans ce bon vieux Montréal, l'industrie aérospatiale est représentée dans la case qui se trouve dans le coin supérieur gauche—biens et services échangés. Dans une économie globale moderne, c'est le secteur qui produit la richesse réelle. En dessous, il y a les services dynamiques et ils ont du mal à se développer lorsque la demande est faible. Demander à Canadian Airlines ce qu'est l'industrie des services dans notre monde complexe. Le côté droit représente, selon la terminologie de Dick Lipsey, le côté consommation. La consommation dépend directement de ce que l'on place dans la case supérieure gauche. D'après moi, nous n'accordons pas suffisamment d'importance à cet aspect dans notre économie.

Si l'on regarde la performance économique, en tenant compte du fait qu'il y a eu un blocage en 1975, le taux de chômage a augmenté; cela est en train de changer. Mais surtout, pour en revenir à votre question au sujet de la citation de Paul Steinhauer, il faut regarder le graphique suivant. Il montre l'évolution du salaire annuel des travailleurs à temps plein au Canada depuis 1975. Si vous avez moins de 45 ans, vous n'avez pas eu la même chance que ceux de ma génération, qui ont été gâtés; et cela est important parce qu'il s'agit de la tranche d'âge qui élève les enfants. Cela déforme quelque peu le système, et ce n'est peut- être pas à négliger.

Le tableau suivant est celui que je présente lorsque je décris cette situation aux représentants de certains partis politiques. En 1973, le revenu des «bons citoyens», représenté par la partie située en dessous du revenu médian, provenait d'un travail, et constituait des «gains». Regardez maintenant tous ces paresseux qui en 1991 obtiennent le gros de leur revenu des paiements de transfert. Vous savez tous que cela ne fait que refléter en réalité le changement économique très complexe que connaît notre société, parce que notre économie n'a pas continué à se développer. C'est un aspect important parce que si l'on réduit les paiements de transfert, cela touche les mères et les enfants, et cela était inévitable lorsque l'on procède de cette façon.

Passons au tableau suivant, et je fais partie, bien sûr, de la génération pour qui les femmes doivent rester à la maison et s'occuper des enfants mais elles ne veulent plus le faire. Voici donc le pourcentage des femmes dans la population active. Et il faut reconnaître que la population active serait insuffisante si elles n'en faisaient pas partie.

• 1725

Lorsque vous regardez ces chiffres, qui indiquent que 77 p. 100 des mères ayant des enfants d'âge scolaire au Canada font partie de la population active et que 62 p. 100 des mères avec des enfants d'âge préscolaire, une période très critique, en font également partie, on constate que la question de Paul Steinhauer est tout à fait pertinente. Il va falloir trouver des façons de s'adapter à cette situation. Je dirais qu'il serait stupide que le ministère des Finances ne décide pas d'investir dans les enfants d'âge préscolaire et je vais maintenant parler de ce qu'il faudrait faire d'après moi.

M. Paul Szabo: Ces chiffres comprennent diverses catégories de travailleuses à temps partiel. La moitié de ces femmes travaillent à temps plein et l'autre moitié à temps partiel.

Dr Fraser Mustard: Les chiffres sont regroupés. J'ai ici le rapport de M. Harris et vous pouvez le conserver. Tout y est concernant l'Ontario. Soit dit en passant, le rapport s'intitule «Reversing the Real Brain Drain», et s'insère bien dans ce que vous dites.

Si vous regroupez sur le tableau suivant la neuroscience moderne et vos dépenses publiques, la malléabilité du cerveau—les fonctions cruciales de votre cerveau et de mon cerveau—est déjà établie dès le troisième jour suivant la conception. Oui, il est possible de remonter la pente, mais il est très difficile de le faire si les conditions ne sont pas favorables au départ. Nous dépensons pour ce que j'appelle la fonction «d'atelier de réparation» pour les enfants délinquants, ceux qui ont besoin d'aide dans le système scolaire—pour tout ce qu'il est juste de leur donner. Les problèmes de santé mentale et les maladies chroniques chez les adultes apparaissent plus tard.

Vous trouverez dans ce rapport la plupart des preuves que l'ensemble des problèmes de santé pour lesquels vous avez accru les dépenses existent déjà dès l'âge de cinq ans. Je soutiens que vous utilisez mal vos ressources. Vous auriez dû investir pendant la période préscolaire plutôt que pour la population vieillissante que je représente. Toutefois, je ne suis pas politicien. Vous voyez bien le décalage entre le développement réel du cerveau et la qualité de votre population.

Ce qui suit est important parce qu'il y a eu deux fusillades dans des écoles récemment. On a beaucoup déblatéré sur le sujet, mais personne ne prend le temps de se demander ce qui s'est passé au cours des toutes premières années qui ont marqué l'établissement du comportement de base. Cela est extrêmement important. Ce sont des données pour le Québec, et les barres ombrées sont les plus importantes de ces études réalisées il y a sept ans.

Plus de 21 p. 100 des garçons vivant à l'ouest de la rue Saint-Denis avaient un comportement antisocial à leur entrée dans le système scolaire. Une forte proportion de ces garçons deviennent des décrocheurs et environ 30 p. 100 d'entre eux seront des délinquants dès l'âge de 13 ans. Dans les régions entourant les villes de Hull et de Québec, qui sont plus prospères, cela ne se produit pas.

Nous connaissons la façon dont notre cerveau se développe, la connexion entre les milliards de neurones de notre cerveau au cours de cette période de très grande malléabilité, qui affecte le développement des émotions en même temps. Quand on élève des enfants dans des conditions où ils ne bénéficient pas d'un bon appui, on court le risque—et peu importe qu'il s'agisse de classe moyenne, supérieure ou même inférieure—d'avoir des êtres dysfonctionnels ayant un très mauvais comportement. Si véritablement vous pouviez étudier ces cas, vous constateriez qu'ils proviennent de familles dysfonctionnelles, même si les familles sont très riches. C'est le mauvais côté de la situation.

Pour M. Harris, nous avons dû dénicher certaines preuves que l'Ontario avait une façon de procéder. Le système de données du pays n'est pas fameux, mais heureusement, le gouvernement fédéral appuie l'enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, ce qui nous a permis d'obtenir des données. Le tableau montre les aptitudes verbales des enfants à l'âge de quatre et cinq ans. Cet outil de mesure est immensément prédicatif pour un ensemble de comportements subséquents pour une foule de choses, du comportement à la santé et à l'alphabétisation. Je vous fais grâce des détails, mais les arguments sont tous dans ce document.

Sur le tableau, l'ordonnée représente le pourcentage d'enfants ayant des difficultés tandis que l'abscisse représente la classe socio-économique. Permettez-moi de vous signaler que 66 p. 100 de la population canadienne se situe entre moins un et plus un. Le gros de vos enfants se situent dans ce groupe. Mme Margaret McCain, la coprésidente, serait à l'extrême droite et je serais à l'extrême gauche, dans la partie inférieure du statut socio-économique. Vous voyez ce que je veux dire.

Vous remarquerez que le pourcentage d'enfants ayant de piètres aptitudes verbales du côté pauvreté de l'équation est d'environ 32 p. 100 en Ontario, et que la même proportion est valable pour le reste du Canada. Au sommet de l'échelle, la proportion est inférieure à sept pour cent dans le reste du Canada, mais en Ontario, dix pour cent des enfants éprouvent toujours des difficultés.

La plupart d'entre vous faites partie de la classe moyenne. Certains, si vous avez de jeunes enfants, faites partie de ceux qui sont conscients qu'il y a des problèmes et qui doivent réfléchir sérieusement aux raisons de ces problèmes. Nous avons donc dit à M. Harris qu'il y a un problème en Ontario: les enfants ne réussissent pas aussi bien qu'ailleurs au Canada. Voilà un message très important à absorber pour un politicien. Il a le rapport en main et le document a été rendu public.

• 1730

Nous savons que les aptitudes verbales se rattachent au comportement subséquent, à la délinquance et à des choses semblables, mais aussi à l'alphabétisme.

Pour en revenir à votre question concernant l'alphabétisme d'une population, il s'agit du gradient de l'alphabétisation, selon le statut socio-économique, pour les provinces canadiennes. Pourtant, il y a quatre provinces pour lesquelles les résultats sont de beaucoup supérieurs à ceux de plusieurs autres provinces. Monsieur Harris, l'Ontario devrait au moins avoir un gradient dont la courbe est similaire à celle du Québec si vous voulez que les enfants soient compétitifs dans ce monde de gens alphabétisés. Vous comprenez bien cela? Il y a un lien avec la période préscolaire. Je vous fais grâce des arguments.

Quelle est la cause? Nous avons demandé aux personnes avec lesquelles nous avons travaillé à l'enquête longitudinale nationale d'essayer de déterminer quelle proportion est attribuable au revenu. S'agit-il d'une question de pauvreté? En guise de réponse, on peut dire que le revenu a une petite incidence. Vous avez là le pourcentage des enfants qui, au Canada et en Ontario, auraient des difficultés au niveau des aptitudes verbales, en mathématique et en matière de comportement pendant leur jeunesse. En Ontario, 21 p. 100 des enfants qui se situent dans le quartile supérieur pour le revenu des familles sont en difficulté et 35 p. 100 de ceux qui sont dans le quartile inférieur en ont aussi.

Il n'y a pas de seuil, ni de coupure. Il s'agit d'un problème canadien généralisé, si je puis m'exprimer aussi brutalement. Ce n'est pas quelque chose qui se corrigera tout seul à moins que vous ne soyez disposé à aborder de manière intelligente l'ensemble de la question du développement de la petite enfance.

La diapositive suivante montre la page couverture de notre rapport intitulé Reversing the Real Brain Drain. Et vous avez une mère et le petit-fils d'Eb Zeidler, qui sort avec un des chatons que nous gardons au bureau. C'est là où le rapport a été préparé. De fait, nous gardons des chatons au bureau afin que le groupe de référence apprenne comment le jeu dans les premiers stades de la vie prépare le cerveau. C'est ce que fait un chaton, au cas où vous n'auriez jamais vu de chaton, et c'est aussi ce que fait l'enfant. Voilà, c'était une remarque en passant à votre intention.

La recommandation formulée au gouvernement de l'Ontario est qu'il faut établir des centres de développement de la petite enfance et de parentage ayant les caractéristiques suivantes. Il y a des femmes sur le marché du travail; il y a une gamme d'éléments. Les centres de développement de la petite enfance et de parentage interviennent dès la conception et vont jusqu'en première année. On élimine la maternelle parce que le programme a un côté plus didactique que ludique et que les enfants apprennent en solutionnant des problèmes. Vous vous posez des questions au sujet du développement du cerveau. Les capacités de base en mathématique et pour les mathématiques avancés s'établissent entre les âges de quatre et six ans.

Quand on y pense bien, les enfants qui s'amusent avec six balles, c'est-à-dire trois dans une main et trois dans l'autre, apprivoisent leur système de perception du poids, leur système sensoriel, et la perception visuelle entre aussi en jeu parce qu'ils voient les balles pendant que quelqu'un leur parle. Quand on stimule plusieurs modes sensoriels par le jeu durant la petite enfance, on favorise un développement très complexe et très perfectionné du cerveau. Si vous ne passez pas par là, vous ne pouvez apprendre le poids cognitif des nombres. Il est absolument impossible d'enseigner les mathématiques avancés aux personnes qui n'acquièrent pas ces éléments en bas âge. Nous savons que vous pouvez intervenir pour que les choses changent.

Alors, si vous voulez atteindre un niveau d'alphabétisation élevé... Cet aspect est intéressant parce qu'en faisant la lecture à un enfant de 12 mois, on stimule quatre sens: l'odorat, le toucher, la vue et l'ouïe en plus d'établir un rapport privilégié. Tout cela s'imbrique dans le système sensoriel qui doit se développer pendant cette période très critique, et suscite des émotions. J'estime que c'est la raison pour laquelle nous savons que les adolescents qui sont des analphabètes fonctionnels sont sujets à la déficience, à cause de ces interconnexions très poussées qui s'établissent.

Nous avons donc dit à M. Harris qu'il doit stimuler le cerveau de deux façons: grâce à une interaction enfant-enfant, et par l'interaction avec les parents ou avec des prestataires non biologiques de soins. Il faut tout regrouper en un seul programme adapté à la collectivité. Pourquoi n'y aurait-il pas un lieu de travail qui emploie des femmes ayant des enfants—un centre de développement de la jeune enfance? Pourquoi pas? Pourquoi ne pas établir un crédit d'impôt pour stimuler une telle initiative? Nous l'avons essayé auprès de personnes qui exploitent de petites entreprises dans de petites municipalités, et certaines ont aimé l'idée parce qu'elles pouvaient obtenir l'appui de leurs collègues pour établir des centres de développement de la petite enfance.

Dans les entreprises, c'est un peu plus flou. Nous avons constaté que la Sûreté provinciale de l'Ontario dispose d'un centre merveilleux pour son personnel à Orillia, lequel centre est accessible à la collectivité. Tout a été très bien fait et le magazine Fortune estime que les entreprises qui seront bien vues dans le futur, celles qui auront des femmes à leur emploi parmi leur main-d'oeuvre, seront celles qui pourront établir des systèmes qui plairont aux familles, des centres de développement de la petite enfance et de parentage.

Nous avons dit aussi à M. Harris qu'il fallait s'allier au secteur privé. Selon moi, et j'en ai donné un bref aperçu, c'est le défi des pays de l'ouest. Dans son article sur le défi de l'Occident, M. Ralf Dahrendorf dit qu'il faut apprendre à le faire, mais aussi à maintenir la qualité de notre environnement social.

• 1735

Selon moi, le défi consiste à trouver des façons de s'adapter à la présence des femmes sur le marché du travail et à apporter des rajustements en profondeur, afin d'optimiser toute la structure parentale par rapport au milieu de travail.

Vous avez donc parfaitement raison. Le Canada a probablement davantage de moyens que certaines parties des États-Unis de le faire à ce moment-ci. Dans le rapport, nous précisons que les gouverneurs de 42 États sont maintenant engagés sur la voie du développement de la jeune enfance et qu'un certain nombre d'entreprises font des progrès considérables en ce sens. Par contre, nous n'avons pu relever de chiffres comparables pour l'Ontario, et je ne connais pas la situation dans le reste du Canada.

Le président: Merci beaucoup, Dr Mustard.

Vous avez obtenu une réponse et l'exposé au complet.

M. Paul Szabo: Voilà qui soulève la question de savoir s'il existe une autre approche, si chacun croit que nous disposons toujours de ressources limitées et qu'il faut toujours trouver des façons de dépenser de manière avisée pour obtenir le meilleur rendement de l'investissement. Il pourrait y avoir seulement des coûts généraux aux fins de l'impôt. On pourrait aussi investir dans les enfants, ou trouver une solution intermédiaire. Je me demande s'il y a consensus quant à la priorité, ou à tout le moins quant à la nécessité d'un investissement équilibré.

Peut-être que le comité pourrait commenter.

Le président: Monsieur d'Aquino, puis nous passerons ensuite à Mme Leung.

M. Thomas d'Aquino: Pour commencer, je tiens à féliciter mon vieil ami, le Dr Mustard, pour son excellent exposé et pour son travail, non seulement pour la préparation du rapport, mais pour ce qu'il fait depuis plusieurs années.

Je suis fort heureux que M. Fraser Mustard ait proposé une approche. Quand il m'en a parlé, il y a environ dix ans, je suis revenu à mon bureau et je me suis posé la question logique, c'est- à-dire le Dr Fraser Mustard a-t-il raison, puis je me suis dit qu'il fallait examiner comment le pays utilisait ses ressources. S'il a raison, il faut en conclure que nous sommes très mal engagés quant à la façon d'utiliser nos ressources. Cela me ramène à la question de choix que j'ai abordée plus tôt.

Au cours des 20 dernières années, notre pays a fait plusieurs choix, et nous avons fait plusieurs choix erronés. L'exemple le plus marquant que je vous ai donné est celui des 41 milliards de dollars que nous payons en intérêts. Imaginez un peu ce que M. Fraser Mustard pourrait faire de 41 milliards de dollars si nous n'avions pas à débourser ce montant pour couvrir les dépenses somptuaires du passé.

Je tiens à préciser que le débat prend de l'ampleur au pays sur la nécessité de choisir entre les enfants et les réductions d'impôt. Je crois que c'est une erreur. Je sais qu'il en est question au sein de votre caucus. Bien que je sois un ardent défenseur de ce type de discussion—très constructive—je crois que les personnes qui estiment qu'il faut prendre parti, sont dans l'erreur la plus totale. Non seulement elles n'en profiteront pas, mais elles contribueront à faire du Canada un pays du tiers monde.

Il faut faire les deux choses. Comment pouvons-nous investir dans les enfants? En examinant très sérieusement nos dépenses actuelles et en décidant de réaffecter certaines des ressources. Personne ici ne remettrait en doute le fait qu'il y a place à des correctifs importants.

Deuxièmement, si nous ne donnons pas aux gens une plus grande part de revenus disponibles—dans les poches de ceux et celles qui travaillent fort partout au pays et qui contribuent à créer la richesse—comment diable financera-t-on le programme du Dr Fraser Mustard? Il y a un lien inextricable entre les réductions d'impôt, l'innovation, l'investissement et l'utilisation intelligente de nos fonds pour construire, particulièrement pour développer le cerveau des plus jeunes.

Je me suis rangé du côté du Dr Mustard. C'est pourquoi j'ai dit publiquement—et je suis prêt à le répéter aujourd'hui—qu'il ne faut pas hésiter à investir tant d'argent et d'efforts pour nos plus jeunes. Pour y parvenir, il ne faut pas que le ministre des Finances dise «Je n'ai que des fonds limités et je dois m'occuper de bien d'autres problèmes». Nous devons faire des choix.

C'est la recommandation que nous avons formulée au Premier ministre lors des travaux préparatoires pour le dernier budget: Monsieur le premier ministre, veuillez faire certains choix. C'est pourquoi, monsieur le président, j'ai beaucoup apprécié le rapport que vous avez rédigé en prévision du dernier budget. Selon moi votre comité a fait des choix très intelligents.

Ainsi, quand vous entendez des arguments qui sont tantôt favorables, tantôt défavorables, qu'il faut choisir entre les enfants et les coupures d'impôt, je vous prie de les rejeter parce qu'il n'y a rien là de très constructif.

Le président: Merci, monsieur d'Aquino.

Passons maintenant à madame Leung.

• 1740

Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je tiens à dire que vous avez fait d'excellents exposés. Premièrement, je tiens à préciser au Dr Mustard que la Colombie- Britannique est bien connue pour sa beauté naturelle et sa haute technologie. Je suis de Vancouver, et j'aimerais que vous nous rendiez visite plus souvent.

Dr Fraser Mustard: Je m'y rends fréquemment.

Mme Sophia Leung: Je sais. Je pense que nous avons aussi une forte présence du secteur de la haute technologie. C'est pourquoi je le mentionne et je ne vois pas d'inconvénient à ce que nous ayons tout cela à Vancouver.

Après toutes ces belles paroles, revenons-en à la compétitivité. Nous en avons déjà parlé et je suis d'avis que la compétitivité comme trait culturel joue un rôle très important. Je voyage beaucoup. Je rencontre beaucoup de gens de différentes parties du monde et j'ai toujours entendu dire que les Canadiens sont des personnes très gentilles, très fiables, très bonnes, mais non compétitives. Les Canadiens ne sont pas compétitifs.

Les Asiatiques qui vivent à Hong Kong ou à Taïwan sont très compétitifs. Je me demande si cela est relié au système d'éducation. Nous avons une attitude différente, je crois. Bon nombre de visiteurs disent que les Canadiens sont tellement chanceux de vivre dans un pays aussi beau où la température clémente—je parle du magnifique climat de la Colombie- Britannique—qu'ils ont un régime merveilleux, qu'ils n'ont même pas à travailler, et qu'il leur suffit de profiter de la vie.

Je me sens très insulté par ces propos. Que voulez-vous dire? Je travaille très fort. Ils me répondent, eh bien, il suffit de regarder votre système. Vous êtes née ici et, du berceau jusqu'au tombeau, on s'occupe de vous littéralement. Je ne crois pas que notre système aille aussi loin, mais je me demande si cela n'est pas le produit de notre culture. Nous sommes dans un milieu. Nous sommes dans la moyenne. Je ne parle pas de pauvreté, parce que nous avons et nous connaissons la pauvreté. Mais en tant que Canadiens moyens, nous ne sommes pas vraiment préparés pour concurrencer. Comme vous le savez, si un enfant de Hong Kong échoue à l'école, il apportera la honte sur sa famille, il se suicidera. C'est une réalité, bien qu'extrême.

Tout cela pour dire que chez nous, on dit aux gens de profiter du week-end, mais on ne nous dit jamais de travailler plus fort. Dans d'autres cultures, on dira de travailler plus fort. Je soutiens que cette compétitivité «culturelle» nous manque ici. J'aime bien vivre ici, j'y me sens bien. Mais ce n'est pas facile pour un député, comme vous le savez.

De toute façon, je voulais susciter des réactions.

Le président: Vous soulevez un point très intéressant. Il faut un changement d'attitude dans notre marché, dans notre pays. Je crois que...

Mme Sophia Leung: Oui. C'est lié au hockey et au soccer; c'est culturel.

Le président: Après que M. Smith ait envoyé les joueurs de hockey et de soccer au vestiaire.... Je n'utilise plus cette analogie.

Madame Brown.

Mme Sally Brown: J'ai un bref commentaire à faire à ce sujet. J'ai consacré la matinée à faire un exposé aux sous-ministres fédéraux et provinciaux sur l'éducation internationale. L'AUCC est membre d'une coalition de plusieurs groupes qui s'intéressent à l'éducation internationale. Nous avons dit aux fonctionnaires fédéraux et provinciaux que le Canada doit se doter d'un programme de prestige. Il faut que nous ayons notre propre version d'un programme Fulbright, d'un programme de bourses de la Fondation Cecil Rhodes afin de dire au reste du monde qu'il est très bien d'étudier au Canada, que nous avons un système de grande classe. Nous devrions être en mesure d'offrir des programmes d'études postdoctorales complets. Nous devrions être en mesure d'offrir des bourses pour des études de doctorat qui soient valables.

La réaction initiale a été de dire que nous ne pourrions le faire, que nous ne sommes pas à la hauteur des États-Unis pour ce qui est d'un programme Fulbright ou d'un autre programme. Tout cela, selon moi, fait partie du même problème. Je soutiens que nous sommes capables de le faire, que nous disposons d'un excellent système d'éducation.

Le problème est que personne à l'extérieur du pays ne le sait. Nous devons amorcer un virage culturel et faire la promotion de ce que nous faisons bien, et cela moyennant un tout petit investissement. Sortons de notre coquille et vantons-nous de ce que nous avons. Il suffit d'offrir de type de bourses pour attirer les jeunes ici et pour dire aux jeunes étudiants d'ici que nous avons un système dont ils peuvent être fiers et que peut-être ils devraient rester chez nous et étudier si nous sommes en mesure d'attirer des étudiants de qualité de l'étranger. Par conséquent, il faut un certain changement d'attitude quant à l'importance que nous accordons à la façon de nous mettre en marché.

• 1745

Le président: Quiconque a cherché à placer un enfant dans un programme enrichi en Ontario ou peut-être dans une autre province du Canada a pu constater que c'est très difficile. C'est extrêmement difficile. Après tout, je crois que l'idée de rechercher l'excellence et d'être entreprenant n'est pas si mauvaise, madame Leung.

Dr Mustard.

Dr Fraser Mustard: Voilà une question intrigante. De nous tous, je suis peut-être le plus sensible à toute cette question.

Les Canadiens ont été compétitifs, mais je pense qu'il faut bien se demander de quoi sont faits les mécanismes d'incitation. Je suis de ceux qui pensent que la structure de gains en capital n'est pas du tout appropriée. Comme je travaille pour une entreprise de haute technologie qui pourrait occuper un créneau de pointe, j'estime que la structure fiscale pour les gains en capital devrait être complètement réexaminée, du point de vue des options d'achat d'actions, que ce type d'entreprises doit utiliser. Le fait d'avoir quelques incitatifs n'a jamais nui pour faire avancer les choses.

Manifestement, le climat agréable et les qualités de pays de rêve de Vancouver ont fait en sorte qu'il n'y a eu aucun problème à recruter aux États-Unis une personne extrêmement talentueuse pour l'installer à Vancouver et la préparer à occuper un rôle de leadership. Je parle de M. Geoffrey Ballard, un Canadien qui est revenu des États-Unis et qui a démarré l'entreprise. Deux immigrants israéliens ont repris la compagnie et l'ont commercialisée à de gros intervenants comme Daimler et Ford.

Aujourd'hui, on peut dire qu'il y a des personnes concurrentielles prêtes à prendre des risques et à faire avancer les choses. Par conséquent, cela peut se faire au pays. Il faut aussi être parfaitement conscient de la structure d'incitatifs à mettre en place pour que cela se produise et reconnaître que les incitatifs pour ce genre d'initiatives doivent être différents des incitatifs pour les gains en capital et autres.

Le président: Merci, madame Leung.

Monsieur Smith.

M. Peter Smith: Je voudrais simplement ajouter qu'à très petite échelle, nous, de l'industrie aérospatiale, avons grandement profité des échanges culturels et de la question de la compétitivité. L'industrie aérospatiale au Canada a connu une progression d'environ 140 p. 100 au cours de la dernière décennie, avec des exportations dans près de 42 pays. Cela n'est guère facile, mais avec le temps, on finit par apprendre. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a un certain pourcentage de personnes qui perçoivent le Canada comme un pays très content de lui. Toutefois, j'estime que nous réussissons exceptionnellement bien. Assurément, nous pourrions faire mieux.

Personnellement, je trouve que nous rendons la vie trop facile aux jeunes enfants du Canada qui veulent décrocher. Il existe des filets de sécurité et souvent il leur est possible d'aller flâner sur une rue principale d'Ottawa ou de Vancouver. Nous parlons beaucoup aux écoliers. Peut-être qu'après avoir entendu les propos du Dr Mustard, nous voudrons nous adresser à eux quand ils seront plus jeunes qu'ils ne le sont actuellement, tout simplement parce qu'il faut investir continuellement afin de les attirer dans des disciplines comme les mathématiques, les sciences et autres, afin d'avoir des leaders pour l'avenir.

Merci.

Le président: Merci.

Monsieur Patterson.

M. David Patterson: J'aimerais revenir à un autre aspect de la question des attitudes et de ce qu'il faut envisager au Canada. M. Fraser Mustard a parlé d'une structure d'incitatifs en rapport avec l'innovation, les entrepreneurs et ainsi de suite. Selon moi, ce n'est qu'un aspect d'une attitude plus inquiétante des Canadiens, et je parle de notre attitude face au succès et aux personnes qui connaissent du succès.

Nous parlons des problèmes que nous crée la perte de nos éléments les meilleurs et les plus talentueux et des raisons qui les attirent à l'étranger. Une partie du problème est que nous ne reconnaissons pas suffisamment le succès. Je ne parle pas simplement de distribuer des récompenses. Je parle de récompenses et aussi de l'aptitude à récolter les fruits du succès. Tout cela est lié au régime fiscal. Nous disons que nous voulons des innovations, que nous voulons que les gens prennent davantage de risques, et pourtant, nous nous empressons d'appliquer des niveaux d'imposition très élevés à tous ceux qui connaissent du succès, que ce soit pour les options d'achat d'actions, le revenu, les gains en capital lors de la vente d'entreprises, et ainsi de suite. Le fait d'imposer les riches semble être une notion tout à fait canadienne, même si les riches en sont encore à rembourser leurs dettes d'études.

La véritable question selon moi concerne notre attitude—voulons-nous que les Canadiens aient la possibilité de s'enrichir? Voulons-nous de bons emplois au pays, et voulons-nous que nos enfants aient la possibilité d'occuper ces bons emplois? Voulons-nous que les compagnies créent ces bons emplois au pays?

• 1750

Il me semble que nous devons nous arrêter à notre attitude face à cette question, parce que, si nous voulons qu'il y ait des succès à reconnaître, nous devons nous assurer que les gens réussissent, qu'ils aient la volonté de réussir, qu'ils prennent des risques, qu'ils investissent de leur temps, de leur argent et de leur énergie et que ces gens qui auront réussi restent chez nous et fassent profiter leur entourage de leurs succès. Dans toute cette question d'attitude, nous devons nous regarder nous-mêmes et déterminer ce que nous valorisons réellement dans notre pays.

Le président: C'est juste.

Continuez.

M. Sam T. Boutziouvis (vice-président, Économie et compétitivité mondiale, Conseil des chefs d'entreprise): J'ajouterai que je crois que les attitudes changent un peu, car pour certains des jeunes diplômés de Waterloo qui passent aux États-Unis, les options d'achat d'actions sont quelque chose de très tentant. Aux États-Unis en particulier, ces options prennent de plus en plus d'importance, non seulement pour les cadres et pour les grandes et moyennes entreprises, mais aussi pour les employés de celles-ci. Les directions de ces entreprises se rendent naturellement compte que l'offre d'options d'achat d'actions constitue en fait un encouragement à la réussite, à l'innovation et à la créativité, ce qui profite manifestement à la société elle- même, mais aussi aux employés.

Il y a deux mois environ, quelqu'un venu de Harvard pour participer à une conférence de Statistique Canada a fait un exposé très intéressant. Il appelait cela la démocratisation du capitalisme, phénomène qui commence à faire son apparition au Canada au fur et à mesure que notre pays se trouve plus complètement intégré au marché nord-américain.

Le président: Merci, monsieur Boutziouvis.

Nous allons maintenant entendre Mme Redman, qui sera suivie par M. Brison.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président. Je me sens obligée de faire un commentaire. L'Université de Waterloo fait partie de la collectivité que je représente, et une des choses qui m'attristent est d'entendre les Canadiens se vanter du fait que Bill Gates vient chez nous recruter nos diplômés. En plus de ce que disait Mme Brown, c'est en quelque sorte une façon de légitimiser que nous devons après tout assez bien nous débrouiller puisque les Américains s'intéressent à nous, et de confirmer le fait que, pour une raison ou une autre, nous ne sommes pas capables de réussir de ce côté-ci du 49e parallèle. Je trouve cela inquiétant.

Monsieur d'Aquino, je voudrais vous poser deux questions. Dans votre exposé, vous avez dit que l'effet attendu de la croissance du secteur de la haute technologie n'est guère perceptible, et vous avez reconnu que c'est un des mystères auxquels on se heurte lorsqu'on essaye de déterminer ce qu'est notre productivité. Cela m'a vraiment surpris. Le secteur de la haute technologie se porte à merveille dans ma collectivité. En dehors du fait que cela ne semble pas avoir les effets attendus, je me demande si vous-même ou quelqu'un d'autre aurait quelque chose à ajouter à ce sujet.

Ma seconde question est la suivante: Si les impôts jouent un rôle important, les États-Unis constituent-ils vraiment l'élément de comparaison le plus pertinent? Au cours de son témoignage, un certain M. Kesselman a dit que nos niveaux de productivité étaient supérieurs à ceux des États-Unis et de l'Europe. Il a également déclaré qu'en dépit du fait que, globalement, les taux d'imposition sont comparables, la composition des recettes fiscales était tout à fait différente et que dans ces autres pays, on comptait plus sur la taxe à la valeur ajoutée que sur l'impôt foncier et sur l'impôt sur le revenu. Quelqu'un aurait-il un commentaire à faire à ce sujet?

M. Thomas d'Aquino: Je ne me souviens pas que nous ayons déclaré que le secteur de la haute technologie n'était pas performant.

Mme Karen Redman: Non, mais vous avez dit qu'il n'y avait pas eu d'effet visible sur la productivité, que cette amélioration du rendement n'avait pas eu de répercussions.

M. Thomas d'Aquino: Je vois, vous voulez parler du paradoxe de la productivité. Il n'existe pas qu'au Canada.

Dès le début des années 80, lorsque j'ai commencé à m'occuper de la question de la productivité, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi, dans certains secteurs où j'avais été personnellement témoin d'investissements importants dans les installations fixes, la technologie et l'amélioration des compétences professionnelles, cela ne se traduisait par aucune amélioration des statistiques. Notre économiste en chef sait combien de fois j'en suis arrivé à me frapper littéralement la tête contre les murs au cours des trois ou quatre dernières années. Je disais, Sam, comment se fait-il qu'on puisse prendre 50 sociétés canadiennes que nous connaissons intimement, qui ont consenti des investissements importants, qui ont amélioré leurs compétences technologiques, qui ont investi beaucoup d'argent dans leurs ressources humaines et qu'on ne constate pas le moindre effet sur la courbe de leur productivité?

Lorsque Statistique Canada a déclaré en 1997 que notre pays avait connu une poussée considérable de sa productivité et que celle-ci était en fait très supérieure à celle des États-Unis, j'ai dit, ah ah, on commence enfin à voir les résultats.

Ce que j'essayais en fait d'expliquer, c'est qu'à mon avis, ce débat sur la productivité a été stérile jusqu'à un certain point. Il a été utile en ce sens qu'il nous permet à tous de discuter de la question, de ce qu'elle est, de ce qu'elle n'est pas, et des raisons pour lesquelles d'autres méthodes de mesure sont plus importantes. Notre argument fondamental est que si l'on met uniquement l'accent sur la productivité, sur ce qu'elle est et sur les moyens de la mesurer, cela ne donne pas grand-chose. J'estime personnellement que ce qui est fructueux, c'est le genre de conversation qui se déroule autour de cette table, c'est une intervention comme celle du Dr Mustard qui vient nous expliquer qu'un investissement dans les soins post-natals aux enfants fera une énorme différence, et qui peut nous prouver que c'est vrai. Ce qui est important aussi, c'est lorsque nos amis du secteur universitaire disent que les investissements dans le domaine de la recherche et du développement et d'autres formes de technologie donneront des résultats concrets ou lorsque nous vous disons qu'une réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers permettra aux Canadiens d'avoir un revenu personnel disponible plus important, ce qui encouragera les hommes et les femmes qui dirigent de jeunes entreprises à en faire plus et à vouloir en faire encore plus—voilà ce que nous devrions examiner, au lieu de nous perdre dans de vaines discussions pour déterminer s'il y a une différence ou pas et comment nous pouvons la mesurer.

• 1755

Un des témoins devant votre comité, le professeur Harris, de la Colombie-Britannique, est passé à mon bureau le jour même ou le lendemain de son témoignage. Je lui ai dit, «Rick, vous êtes considéré comme un des plus grands spécialistes des questions de productivité de notre pays. Dites-moi, à votre avis, combien de temps faudra-t-il pour que nous parvenions à comprendre et à accepter une formule harmonisée et cohérente de comparaisons entre la productivité au Canada et aux États-Unis, sans même parler des autres pays?» Il m'a répondu, «Tom, je pense que cela prendra cinq ans.»

Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre cinq ans pendant que les universitaires continuent à discuter du sexe des anges. Ce que nous savons cependant, c'est que les questions de base dont nous avons débattu autour de cette table sont extrêmement pertinentes. Mais le véritable débat, monsieur le président, c'est le débat sur les choix.

Votre seconde question avait trait aux impôts. Lorsque nous avons lancé l'Initiative pour le leadership mondial du Canada, un certain nombre de rapports dans les médias ont conclu qu'il s'agissait d'une grande campagne nationale pour réduire les impôts. Cela, en dépit du fait que notre initiative comportait cinq éléments majeurs, que la question de l'impôt n'en était qu'un des composants et que nous répétions constamment qu'une réduction sensible de l'impôt des particuliers, de celui des sociétés et de l'impôt sur les gains en capital—ne suffirait pas à elle seule, régler les problèmes du Canada. Nous étions sincères. Malgré tout, les médias ont déclaré que c'est un vigoureux effort de plus de la part des grandes entreprises pour réduire les impôts.

Il n'en demeure pas moins vrai que les impôts sont importants, argument que j'ai fait valoir, monsieur le président, devant le ministre des Finances lorsqu'il nous a récemment rendu visite à Toronto. Si l'on considère que les personnes qui gagnent 35 000 $, ou même plus à mon avis... Il est scandaleux qu'au Canada il y ait des personnes qui gagnent entre 12 000 et 13 000 $ par an et qui sont obligées de payer des impôts. Lorsqu'il y a des gens qui, comme le faisait remarquer David, mon collègue, sont en fait imposés au taux marginal le plus élevé deux ou trois ans après avoir fini leurs études universitaires alors qu'ils n'ont pas encore fini de rembourser leur prêt étudiant... Lorsqu'on a, comme nous, un système dans lequel le taux marginal le plus élevé joue à partir de 67 000 ou 71 000 $, au lieu de 261 000 $, comme aux États-Unis, il n'y a pas besoin d'être une lumière pour voir que cela aura un effet dissuasif profond, non seulement sur les jeunes, mais sur beaucoup d'autres personnes.

Je sais que les gens disent—certains me l'ont déclaré—Tom, il faut ce qu'il faut; si les gens ne sont pas prêts à payer plus pour pouvoir vivre au Canada, la porte de sortie leur est toute grande ouverte. S'ils veulent aller aux États-Unis, ce ne sont pas de toute façon le genre de personnes que nous voulons. Je ne pense pas que ce soit là non plus une réponse très constructive.

C'est la raison pour laquelle nous avons soutenu, monsieur le président, qu'il n'était pas suffisant d'essayer de réduire l'écart avec les Américains, comme M. Manley, le ministre de l'Industrie, l'a courageusement déclaré cette semaine. Il faut aller plus loin, non seulement dans le domaine des impôts, mais aussi dans tous les autres, pour rendre le Canada plus attrayant que les États-Unis.

Je conclurai par une dernière observation. Les gens disent comment pourrions-nous faire concurrence au colosse américain? Ils me disent aussi, donnez-moi un exemple de petit pays qui a obtenu d'excellents résultats, et je leurs réponds: je vais vous en donner quatre: la Suisse, les Pays-Bas, Hong Kong et Singapour. Voilà quatre pays qui sont parmi les plus compétitifs au monde, qui constituent un des milieux d'investissement les plus attrayants de notre planète, qui sont en pleine croissance, et qui innovent.

Il n'y a pas besoin d'être grand pour être concurrentiel. Nous sommes capables de le faire au Canada, mais ce dont nous avons besoin, c'est d'une combinaison appropriée de facteurs.

• 1800

Je reviens, monsieur le président, à ce que vous avez dit. Ce qu'il faut, c'est un «big bang», et très vite.

Le président: Dr Mustard.

Dr Fraser Mustard: Je voudrais faire un commentaire sur ce que Tom vient de dire. Il est indispensable de poser un regard très critique sur la manière dont vous récompensez l'investissement par le jeu de vos politiques fiscales. Si votre système récompense l'investissement parce qu'il contribue à créer les nouvelles entreprises du monde nouveau, ce n'est pas du tout la même chose que de le récompenser pour manipuler simplement de l'argent. Michael Porter l'a très clairement montré dans sa description de ce pays. Au tout début du siècle dont nous ne sommes pas encore sortis, la Grande-Bretagne est devenue un pays purement axé sur la richesse, et il a eu énormément de difficultés à s'en sortir.

Joseph Chamberlain, le ministre conservateur, a déclaré aux banques en 1904; ce n'est pas vous qui avez créé la richesse de la nation; vous n'en êtes que les produits. Apprenez donc à investir dans la vraie économie qui est cruciale pour l'avenir.

Tom a raison. Avec des mesures d'incitation appropriées, il est possible de donner une impulsion à l'économie. À l'heure actuelle, je ne crois cependant pas que ces mesures existent.

Le président: Merci.

Nous allons maintenant entendre M. Brison, et nous reviendrons ensuite à M. Pillitteri.

M. Scott Brison: Merci, monsieur le président.

M. d'Aquino a parlé de petits pays qui constituent des exemples que nous devrions émuler. J'ajouterai à cela que l'Irlande nous offre l'exemple d'un pays qui a élaboré des politiques novatrices dans le domaine de l'enseignement supérieur et qui a combiné cela à une politique fiscale agressive à l'égard des sociétés et a ainsi réussi à assurer et à poursuivre sa croissance économique. Voilà donc un cinquième exemple.

Dr Mustard, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui. Il m'est souvent arrivé de me référer à certaines de vos études à la Chambre et à ce comité.

À propos du rendement de l'investissement, les structures sociales telles que le programme d'intervention précoce et le programme Bon départ, j'ai entendu dire que chaque dollar investi dans des situations à risque élevé rapportait environ sept dollars. Je crois qu'il fallait, pour cela, que les participants aient atteint l'âge de 25 ans environ. Certains de ces chiffres ont été élaborés après des études effectuées sur le noyau central des grandes villes. Je représente une circonscription rurale, mais les caractéristiques démographiques de la pauvreté et des situations à risque élevé dans les collectivités telles que la mienne sont très proches de celles qui existent dans les villes, notamment en ce qui concerne l'abus de stupéfiants, la grossesse chez les adolescentes, le chômage, les taux de décrochage des études secondaires, etc. Ce sont donc des questions qui m'intéressent beaucoup.

Je voudrais maintenant évoquer un des défis auxquels nous sommes confrontés en tant que politiciens. C'est une situation dont je n'étais pas vraiment au courant avant de devenir député en juin 1997, et je la trouve profondément frustrante. Nous siégeons à des comités tels que celui-ci où nous entendons évoquer ce genre d'idées, accompagnées de preuves des plus probantes sur ce que nous devrions faire et sur le genre de politiques dont les Canadiens ont besoin. Celle que vous proposez en fait partie, et je suis d'accord avec elle. Cependant, à moins que cela ne corresponde à l'attente de la population canadienne, à moins que cela soit confirmé par les sondages et les conclusions des groupes de réflexion, il est très difficile de créer sur la colline parlementaire la volonté nécessaire pour que des mesures concrètes soient prises, et je trouve cela extrêmement décourageant.

Selon un dicton français—mon français est très mauvais et je ne le vous ferai pas subir; dans un an peut-être—la pédagogie est un des éléments de la politique, dont un des rôles est d'éduquer le public, et j'estime qu'en tant que politiciens et représentants de la population, c'est ce que nous devrions faire. À mon avis, nous n'avons pas fait le nécessaire. Le gouvernement déçoit sur ce plan. Ce que nous voyons, c'est une économie inspirée par les groupes de réflexion et une politique publique inspirée par les mêmes groupes.

Je souhaiterais vivement que nous soyons capables d'élaborer des politiques analogues à celles que vous proposez au sujet d'une politique nationale sur le programme d'intervention précoce et le programme Bon départ, mais tant que les sondages ne confirmeront pas que c'est ce que veut le public, nous ne ferons rien. Cela me frustre profondément.

Je souhaiterais avoir vos commentaires à ce sujet; j'aimerais que vous nous disiez comment créer un climat politique qui encourage les intellectuels à entrer sur la scène politique et à manifester le courage nécessaire pour mettre en oeuvre le genre de politiques qui, à mon avis, étaient plus courantes lorsque le gouvernement précédent était au pouvoir, notamment en ce qui concerne le libre-échange et la TPS. Ce n'étaient certainement pas des choix politiques populaires, mais à l'époque, ils étaient nécessaires. Ils ont en fait contribué à la croissance économique. Je voudrais que vous nous disiez comment créer le climat politique propice à l'élaboration d'une meilleure politique publique.

• 1805

Dr Fraser Mustard: Je suis apolitique, et ce que je vais vous dire n'est pas l'expression de mon soutien à de prochaines élections, quelle qu'elles soient. Pour exactement la même raison que vous avez posé votre question, le Premier ministre de l'Ontario m'a demandé de venir le voir il y a plus d'un an et demi. Je savais qu'il voulait parler d'un changement de l'environnement social pour les jeunes enfants et je me suis donc préparé en conséquence, comme je l'ai fait pour vous. Je n'y suis pas allé par quatre chemins car je voulais lui asséner des vérités bien senties. Pourtant, cela n'a pas été nécessaire. Le Premier ministre a entamé la conversation en disant, «Ce dont je veux parler c'est des enfants de zéro à trois ans, et pas plus», ce qui m'a profondément étonné. Il n'y avait pas d'élections en vue.

Il a créé un ministère pour l'enfance. En avril dernier, son cabinet m'a téléphoné pour me dire que, dans le discours du Trône, il avait réservé une place pour des commentaires à propos des jeunes enfants, et il voulait que je les examine. Il s'est excusé de ne pas avoir repris contact avec moi plus tôt. Je n'avais pas la moindre idée de la raison pour laquelle il me priait de l'excuser, jusqu'au moment où, tout d'un coup, j'ai compris qu'il faisait allusion à la rencontre que nous avions eue plus tôt.

Le mandat d'une étude sur les premières années de l'enfance a suivi. Devinez un peu qui en était le président? C'était moi. Personne ne me l'avait demandé. Cependant, lorsque j'ai examiné la manière dont le cadre de référence avait été construit, je me suis rendu compte qu'ils avaient mis en plein dans le mille.

Voilà donc une manifestation de leadership politique, si je puis me permettre d'utiliser le terme, d'un premier ministre qui veut obtenir des résultats.

Il a obtenu le rapport qu'il attendait lorsqu'il m'a demandé d'assurer la coprésidence avec Margaret McCain. Cela ne correspondait pas nécessairement à son programme politique, mais c'était ce que disait le rapport. Sa réponse—je ne sais jamais si l'on peut croire les politiciens—est qu'il va prendre des mesures. Il va y avoir un discours du Trône cet après-midi. Je ne sais pas s'il contiendra quelque chose à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, le Premier ministre s'est engagé à le faire. Nous recommandons donc qu'il prenne l'initiative en Ontario et qu'il fasse comprendre à la population ce qu'est son objectif. Il devra aussi confronter les membres de son propre parti qui sont sceptiques. C'est ce que nous avons établi dans le mandat, et cela semble lui convenir pour le moment.

Voilà quelque chose que vous, qui appartenez au monde politique, pourriez faire si vous le vouliez.

La deuxième chose que vous devriez savoir c'est que, de toute façon, les choses évoluent dans le reste du monde. La Banque mondiale a un rôle important à jouer dans ce domaine. La Banque interaméricaine de développement dirigée par l'économiste qui a participé à l'Uruguay Round du GATT, a pris la défense des jeunes enfants afin d'éliminer le crime et la violence dans les villes. Selon cet économiste, les villes d'Amérique latine ne pourront pas continuer à se développer tant qu'elles ne se seront pas débarrassées de ce problème, et pour cela, il faut qu'elles investissent dans le développement des jeunes enfants. C'est une énorme responsabilité. La réunion annuelle de la Banque interaméricaine de développement s'est déroulée à Paris cette année. J'étais là pour d'autres raisons, et j'ai assisté à leur réunion sur les jeunes enfants. Le même économiste a pris la parole, et il a été suivi par Amartya Sen, prix Nobel d'économie. Le discours est remarquable, et vous devriez en avoir des copies. Sen a déclaré qu'il s'agissait d'un domaine hautement prioritaire pour les investissements. Les choses commencent donc à bouger.

Je serais heureux que certains de nos gens d'affaires adoptent la même attitude et prennent l'initiative de créer des centres de développement des jeunes enfants dans leurs entreprises. Il est scandaleux qu'ils ne le fassent pas; le magasine Fortune a d'ailleurs déclaré qu'à l'avenir, les entreprises seront classées en fonction de ce qu'elles feront dans ce domaine.

Voilà donc toute une série de choses que vous pourriez faire.

Je conclurai en évoquant ce que Mary Young a écrit pour la Banque mondiale, message qui nous vise tous:

    Comme l'apprentissage commence dès la naissance [...] la participation des familles au développement des jeunes enfants doit se faire le plus tôt possible.

    La connaissance et la compréhension des [...] programmes n'est plus la difficulté à laquelle on se heurte dans le domaine du développement des jeunes enfants. En fait, c'est le passage de la connaissance à l'action qui est le principal obstacle à la mise en oeuvre de programmes [de développement de jeunes enfants] et qui exige l'appui combiné des gouvernements, [des organisations non gouvernementales], du secteur privé et des médias. Le défi que représente les soins aux jeunes membres de la société ne doit pas être relevé par un seul pays [...] c'est un défi qui est lancé à la communauté mondiale toute entière.

Voilà ce qui est l'essentiel. Il me semble que vous devriez assurer que les responsables des finances de votre gouvernement comprennent l'importance de ce défi et sachent comment y répondre.

J'attends donc que vous en preniez l'initiative, monsieur le président.

Le président: Merci.

Merci, monsieur Brison.

Monsieur Pillitteri va poser une dernière question.

M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je suis heureux d'être homme d'affaires. Lorsque j'écoute tout cela, je me demande parfois si je ne suis plus à la page. Permettez-moi cependant de vous assurer, ainsi qu'à certains de mes collègues présents, qu'en tant qu'homme d'affaires qui dirige, une entreprise canadienne, nous sommes très compétitifs.

J'ajouterai également qu'avant 1988, je n'étais pas d'accord avec M. d'Aquino sur la question de savoir si certains segments de l'industrie auraient subi de graves préjudices, ce qui a été le cas.

Ce dont je parle en fait, c'est de la rapidité avec laquelle le secteur agroalimentaire a changé. Il a évolué à une vitesse étourdissante. Moi-même, j'en demeure profondément surpris.

Ma question s'adresse à M. d'Aquino. L'élimination de la majoration de trois pour cent a entraîné une réduction d'impôt de... Bien sûr, la majoration de cinq pour cent continue à exister. Selon certains rapports, l'élimination de la majoration d'impôt de cinq pour cent pourrait coûter 600 millions de dollars par an. C'est là qu'intervient...

Une voix: Il s'agit de 650 millions de dollars.

• 1810

M. Gary Pillitteri: En fixant le seuil à 65 000 $, cela vous amène au taux d'imposition élevé, alors que pour les Américains, le seuil est de 261 000 $, soit 400 000 $ canadiens. Expliquez-moi ceci.

Lorsque vous parlez de «big bang» pour votre dollar, combien en faudrait-il pour essayer d'atteindre cet équivalent sur le plan de l'impôt du revenu des particuliers? Nous savons que tous les autres impôts sont comparables, mais combien en faudrait-il? Avez- vous fait des études sur le montant des recettes perdues pour le gouvernement canadien?

M. Thomas d'Aquino: Monsieur Pillitteri, je vous remercie vivement de votre question. Je serai très bref, et je demanderai également à mon collègue, David Stewart-Patterson, de prendre la parole à ce sujet.

Lorsque nous parlons de «big bang»—incidemment, c'est le terme qui a été utilisé par le président, la dernière fois que je l'ai entendu, c'était à Londres—lorsque nous parlons d'un changement majeur, nous ne pensons pas aux vingt ans dans un sens et aux vingt ans dans l'autre dont parlait M. Martin. Ce dont nous parlons, c'est de changements très importants au Canada au cours des cinq prochaines années. À ceux qui disent qu'il est impossible de tout faire d'un coup, nous répondons—et c'est ce que nous avons encouragé le ministre des Finances à faire—qu'il faut s'engager à réduire les impôts au cours des cinq prochaines années. Le ministre s'est montré très réticent à ce sujet. Nous lui avons rappelé le succès obtenu par lui grâce à l'utilisation d'objectifs successifs de deux ans pour la réduction du déficit, ce qui, à mon avis, constitue le plus bel exemple de réussite du gouvernement libéral.

Ce dont nous avons vraiment besoin c'est qu'on prenne un engagement en faveur d'un programme de réduction de l'impôt sur cinq ans qui sera marginal mais important, de manière à ce que les gens puissent dire que, dans deux ans, trois ans, ou cinq ans, ils pourront constater une diminution très importante de leurs impôts. Une fois que cet engagement aura été pris et qu'il aura l'aval de l'ensemble du gouvernement, les Canadiens suivront. On ne voit pas souvent des politiciens qui demandent une augmentation des impôts.

Cette réduction devrait-elle être de cinq milliards de dollars par an au cours des cinq prochaines années, c'est-à-dire, au total, de 25 milliards de dollars? Je crois que c'est à peu près d'un tel montant que nous devrions parler. Vous serez alors obligé de répondre à une question très difficile: quel est le montant que les réduction des primes d'assurance-emploi représenteront dans tout cela? Comme vous le savez, ces primes sont bien trop élevées et il va falloir les réduire. Plus vous les réduirez, moins vous disposerez d'argent pour compenser la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers.

Comme vous le savez tous—et tout le prouve—les réductions des gains en capital seront productives, mais les libéraux ont pour principe de s'occuper d'abord de la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers bien avant de s'occuper des gains en capital. Il n'est donc pas question d'obtenir tout ce que nous voulons.

À tout le moins, monsieur Pillitteri, ce dont le gouvernement a besoin, c'est d'une stratégie sur cinq ans. En adoptant une telle stratégie, vous accroîtrez immédiatement beaucoup plus la confiance des jeunes et des gens d'affaires—vous êtes vous-même un homme d'affaires, et vous savez donc exactement ce dont je parle—que si vous vous contentiez de dire au public qu'il ferait mieux de ne pas se faire d'illusion au sujet de l'excédent car celui-ci ne sera pas très important et il n'en bénéficiera pas d'un seul coup. Ce n'est pas suffisant.

Si l'on parle donc de «big bang», cela représente, selon nous, cinq milliards de dollars par an pendant cinq ans. C'est là que les choses commencent à devenir sérieuses. Incidemment, par rapport à ce qu'ont fait certains de nos concurrents les plus importants, cela ne représente pas une réduction vraiment considérable de l'impôt, mais à mon avis, c'est suffisant pour qu'on sente la différence au Canada.

Le président: Merci beaucoup.

M. Gary Pillitteri: Préféreriez-vous que cette réduction s'applique aux bas revenus, aux revenus élevés, ou à toutes les tranches de revenu?

M. David Stewart-Patterson: Si vous me permettez de répondre à cette question, dans la stratégie que nous avons présentée dans le cadre de nos recommandations pour le dernier budget, l'automne dernier, nous proposions des réductions d'impôt à grande échelle, y compris une augmentation importante des prestations de base et des prestations au confort, toutes les choses incluses dans le dernier budget. Notre réduction des taux d'imposition visait cependant surtout la fourchette entre le salaire moyen de l'industrie, niveau correspondant à la tranche d'imposition des personnes à revenu moyen, soit de 30 000 $ environ à peu près cinq fois ce montant. Nous avons choisi le montant de 150 000 $. Nous n'avons pas parlé de 260 000 $, et encore moins de 400 000 $. Nous avons dit que c'était dans cette tranche de revenus que les gens étaient vraiment touchés. C'est à ce niveau qu'il y a un énorme écart par rapport aux États-Unis pour beaucoup de personnes hautement qualifiées.

• 1815

Il est également important de noter que les réductions d'impôt pour les revenus les plus élevés sont relativement peu coûteuses, car le nombre de Canadiens ayant un revenu vraiment important n'est pas suffisant pour qu'il en soit autrement.

Donc, lorsque vous parlez d'éliminer totalement la majoration d'impôt de cinq pour cent, cela représente un coût de 650 millions à 700 millions de dollars par an environ. C'est beaucoup, mais si vous voulez relever le seuil de 60 000 $ à 150 000 $, ce que nous avons recommandé... Cela correspondait à la recommandation du comité qui souhaitait un système progressif. Nous avons donc dit qu'il fallait commencer par la base, mais cela aurait coûté environ 400 millions de dollars par an, soit l'équivalent d'une réduction de cinq centièmes des primes d'assurance-emploi.

Voici un autre exemple: selon le ministère des Finances, si l'on réduisait de un pour cent le taux d'impôt sur les revenus moyens, qui est de 26 p. 100, cela coûterait environ 1,2 milliards de dollars par an, car il y a beaucoup plus de gens dans cette tranche de revenus.

J'estime donc que l'écart au sommet par rapport avec les États-Unis est important, mais il n'a pas un caractère décisif. C'est dans la tranche des revenus moyens à élevés que le véritable problème se pose, car c'est là que les Canadiens commencent à payer le taux marginal d'impôt le plus élevé, alors que les Américains ayant le même salaire paient encore 12 p. 100 de moins que le taux le plus élevé aux États-Unis, qui est déjà inférieur au taux canadien le plus élevé.

C'est un écart décisif lorsqu'il s'agit de décider quelle offre d'emploi accepter et où aller travailler et où s'installer avec sa famille.

Le président: Merci, monsieur Pillitteri.

Il nous faut malheureusement conclure. Le Groupe de travail sur le programme entrepreneurial pour les jeunes va venir occuper cette salle.

Je tiens à remercier tous les participants. Cette discussion sur la productivité était très intéressante.

Je voudrais terminer par une dernière observation: nous reconnaissons tous que le statu quo n'est pas une option. La mondialisation et la technologie ont vraiment redéfini le temps et l'espace dans le monde, et il incombe aux gouvernements de réagir à cette nouvelle définition du marché. C'est extrêmement important.

Dr Mustard, je vous remercie vivement de votre exposé.

La séance est levée.