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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 6 mai 1999

• 1534

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): J'aimerais ouvrir la séance et souhaiter la bienvenue à tous cet après-midi. Comme vous le savez, il ne fait aucun doute que la tâche que le comité s'est fixée, l'étude de la productivité, en est une très ardue. Nous sommes impatients d'entendre le témoignage d'experts, lesquels devraient nous faciliter l'étude de ce sujet très important.

• 1535

Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui sept panélistes. Je vais donner leur nom rapidement. Nous avons John Baldwin, directeur des Études et analyses micro-économiques, de Statistique Canada; Serge Nadeau, économiste à Industrie Canada; Jim Frank, vice-président et économiste en chef du Conference Board du Canada; Fred Bienefeld, associé de recherche, Centre canadien de politiques alternatives; Andrew Sharpe, directeur exécutif du Centre d'études des niveaux de vie; Daniel Trefler, économiste à l'Université de Toronto; enfin, Daniel Schwanen, économiste à l'Institut C.D. Howe.

Bienvenue à tous. Certains d'entre vous ont déjà participé à des tables rondes et vous savez donc comment cela fonctionne. Vous disposez d'environ cinq à dix minutes pour faire un tour d'horizon, ensuite de quoi nous aurons une période de questions.

À l'occasion des tables rondes antérieures, j'ai encouragé les témoins à réagir aux points de vue exprimés par les autres panélistes, de façon à voir où se situent les points de divergence sur les questions dont nous traitons ici.

Nous allons donc commencer avec John Baldwin, de Statistique Canada.

Bienvenue, monsieur Baldwin.

M. John Baldwin (directeur, Études et analyses micro-économiques, Statistique Canada): Merci beaucoup. Puisque j'ai déjà comparu la semaine dernière, je n'ai pas besoin de revenir sur les éléments que j'ai couverts alors, à savoir la manière dont nous mesurons la productivité de la main-d'oeuvre et la productivité multifactorielle.

On m'a demandé aujourd'hui de passer en revue brièvement les résultats de la récente publication de Statistique Canada portant sur nos résultats en matière de productivité, et je le ferai dans un contexte international. Je comparerai nos chiffres de croissance de productivité à ceux des États-Unis. Les chiffres américains ne sont pas exactement comparables aux nôtres, mais représentent des estimations officielles. Ce sont là les données que la grande majorité des gens tendent à utiliser lorsqu'ils comparent la croissance de la productivité du Canada à celle des États-Unis.

Je vous renvoie à la chemise bleue que j'ai distribuée. Elle contient un ensemble de graphiques auxquels je vais me référer, au lieu de projeter des diapositives. Les graphiques en français sont d'un côté de la chemise et les graphiques en anglais de l'autre.

Comme je l'ai dit la semaine dernière, l'indice de productivité multifactorielle est celui qui retient l'attention du plus grand nombre. Ce n'est évidemment pas le seul indicateur. Il existe aussi des mesures de productivité de la main-d'oeuvre mais, vu le manque de temps, je vais me limiter aujourd'hui à un seul indicateur. Peut-être les autres membres du panel feront-ils de même.

L'indice de productivité multifactorielle représente simplement la différence entre le taux de croissance des intrants et le taux de croissance des extrants. Donc, si vous avez une augmentation de 6 p. 100 de la production une année, et qu'il a fallu pour l'obtenir une augmentation de 5 p. 100 des intrants, la différence entre les 6 p. 100 et les 5 p. 100 est ce que nous appelons la croissance de productivité multifactorielle. Comme quelqu'un l'a dit lors du dernier panel, cet écart représente le déjeuner gratuit.

Il n'est pas gratuit. Il résulte de toutes sortes d'intrants réels. La R-D, une main-d'oeuvre hautement qualifiée et les améliorations de gestion dans les usines. Or, les statistiques ne saisissons pas ces différences d'intrants. Donc, la différence entre le taux de croissance des extrants et le taux de croissance des intrants représente la croissance de productivité multifactorielle.

Sur le premier graphique que je vous ai remis, je vous montre les résultats du secteur des entreprises canadiennes calculés par Statistique Canada avant et après les révisions.

Je vous ai expliqué la dernière fois ce qui a motivé les révisions de Statistique Canada. Je n'ai pas besoin de répéter cela.

Vous pouvez voir que le secteur privé canadien et le secteur privé américain affichaient des taux de croissance à peu près similaires selon les anciennes estimations.

Je vous ai dit la dernière fois que nous avons révisé nos chiffres et qu'il apparaît que le secteur privé connaît des taux de croissance de la productivité légèrement supérieurs.

Le deuxième graphique vous montre la comparaison entre le Canada et les États-Unis après les révisions. Le graphique intitulé productivité multifactorielle de l'ensemble des entreprises: nouvelles données du Canada et nouvelles données des États-Unis indique en bleu les chiffres du Canada et en rouge la courbe des États-Unis. La courbe bleue montre que le Canada a connu un taux de croissance de la productivité légèrement supérieur, surtout depuis 1985.

Ce ne sont pas des écarts énormes, et lorsque je parle d'une différence «légère», cette différence modifie considérablement l'écart. La différence, en moyenne, n'est que d'environ 0,3 p. 100. Nous sommes bien à l'intérieur de la marge d'erreur normale qu'il faut tolérer avec ces chiffres, étant donné la difficulté de les estimer avec précision.

• 1540

Dans les graphiques suivants j'ai indiqué les intrants qui déterminent les chiffres de productivité, pour vous donner une idée de ce qui se passe dans les deux économies. Les taux de croissance de la productivité multifactorielle ne sont que la somme de ces différences. Il s'agit de voir ce qui se passe dans ces économies du point de vue de leurs extrants et intrants. Donc, pour votre gouverne, j'ai dressé le premier graphique, qui montre que les deux économies avaient une courbe de valeur ajoutée pratiquement parallèle tout au long de la période. La valeur ajoutée est une mesure de la croissance du PIB.

Dans le graphique suivant je vous montre ce qui s'est passé sur le plan de la croissance de la main-d'oeuvre au cours de la période. Encore une fois, jusqu'à tout récemment, vous pouvez voir que la productivité de la main-d'oeuvre canadienne augmentait plus rapidement que celle des États-Unis, les courbes restant néanmoins très parallèles.

Dans le graphique suivant, qui est la figure 23, nous voyons ce qui se passe au niveau des services du capital, qui sont l'un des indicateurs de la productivité multifactorielle. Encore une fois, on constate un parallélisme très étroit dans les deux économies.

Nous avons donc une croissance très voisine de la productivité multifactorielle pendant presque toute la période. Et la tendance est la même pour tous les autres intrants servant à calculer la productivité multifactorielle: croissance de la production, croissance de la main-d'oeuvre et croissance du capital, sauf pour la période la plus récente où la croissance de la main-d'oeuvre ralentit très substantiellement. J'ai fait allusion à cela la dernière fois lorsque j'ai indiqué que la croissance du PIB per capita avait chuté par rapport à la productivité de la main-d'oeuvre au cours de la période la plus récente.

Si vous passez au graphique suivant, la figure 24, il s'agit cette fois du secteur de la fabrication, car on s'intéresse à ce qui se passe non seulement dans le secteur privé dans son ensemble mais plus particulièrement dans le secteur de la fabrication. Je vais brièvement expliquer les changements intervenus dans les chiffres par suite de nos révisions.

Si vous prenez le premier graphique, intitulé «Depuis le milieu des années 80, les anciennes données montraient que les manufacturiers américains avaient connu une meilleure performance que leurs homologues canadiens...», il montre ce que nous pensions être la réalité avant d'avoir effectué les révisions. Vous pouvez voir que les anciens chiffres américains sont sensiblement supérieurs aux chiffres canadiens représentés par les triangles bleus. L'écart est devenu très important.

Dans le graphique suivant, intitulé «D'importantes révisions ont été apportées à la productivité multifactorielle des industries manufacturières aux États-Unis...»—et je n'en ai pas parlé la dernière fois—vous pouvez voir que les Américains révisent également périodiquement leurs chiffres. Ils le font pour les mêmes raisons que nous. Ils doivent refaire les bases qu'ils utilisent pour calculer les taux de croissance réels. Ils doivent modifier leur pondération pour tenir compte des modifications de la structure industrielle.

Lorsque les Américains ont actualisé leurs chiffres, et en l'occurrence c'était jusqu'en 1991, vous pouvez voir qu'ils ont révisé très considérablement à la baisse leurs chiffres de productivité. De fait, presque les deux tiers du changement et de la différence entre le Canada et les États-Unis proviennent de cette énorme révision à la baisse des chiffres américains. J'ai expliqué la dernière fois la légère révision à la hausse que nous avons produite au Canada.

Ensemble, ces révisions engendrent l'avant-dernier graphique que je vous ai remis, dont le titre dit que depuis le milieu des années 80, les estimations révisées des industries manufacturières indiquent toujours une divergence de croissance, mais plus faible, entre le Canada et les États-Unis. Donc, dans le secteur de la fabrication, contrairement aux chiffres pour l'ensemble du secteur privé, il subsiste toujours un écart sensible.

Le tout dernier diagramme montre les différences par secteurs industriels. Au lieu de considérer le secteur de la fabrication d'ensemble, nous avons calculé le taux annuel de croissance de la productivité multifactorielle dans 17 industries différentes, de 1990 à 1995, depuis le matériel de transport jusqu'à l'alimentation et les boissons.

Ce diagramme appelle trois grandes remarques. Vous voyez que les taux de croissance américains sont représentés par la barre rouge et les taux de croissance canadiens par la barre bleue. Deux industries aux États-Unis, celle des produits électriques et électroniques et celle des machines commerciales et industrielles, ont enregistré des taux de croissance phénoménaux de la productivité multifactorielle. On constate le même phénomène pour ce qui est de la croissance de la productivité de la main-d'oeuvre.

Le taux de croissance dans ces deux industries domine absolument tous les autres secteurs américains dans la période actuelle. Il l'emporte aussi largement sur la croissance dans ces deux mêmes secteurs au Canada. Donc, la plus grande part de l'écart dans la période récente provient du taux de croissance très rapide dans un secteur américain informatique très étroit. Nous n'avons pas une croissance aussi rapide dans le secteur informatique canadien; de fait, nous avons une structure industrielle sensiblement différente dans ces secteurs. Nous ne possédons pas de grosses usines de puces électroniques, nous n'avons que de petites installations d'assemblage.

• 1545

Dans les autres secteurs, tous les autres secteurs hormis les secteurs informatiques ou les industries dominées par ces nouvelles usines de fabrication d'ordinateurs, parfois le Canada gagne, parfois il perd. C'est à peu près partagé également.

Cela vous donne un bref aperçu des différences entre le Canada et les États-Unis au niveau agrégé. Je dois quand même vous avertir que les deux pays utilisent des méthodes légèrement différentes. Effectivement, dès que vous cherchez à comparer la productivité entre un grand nombre de pays, vous vous heurtez à différents problèmes.

Comme je l'ai déjà indiqué, la productivité doit être calculée comme étant la différence entre les taux de changement des extrants moins les taux de changement des intrants. Différentes études utilisent différents intrants. Dans certains pays, par exemple, on tend à utiliser comme taux de changement de la participation de main-d'oeuvre le nombre de personnes effectivement employées. Au Canada, nous employons le taux de changement des heures travaillées. Si les chiffres d'emploi augmentent parce que vous avez un nombre substantiel de travailleurs à temps partiel, alors votre taux de croissance de l'emploi va augmenter beaucoup plus rapidement que le taux de croissance des heures travaillées, et vous aurez des écarts entre pays.

Lorsque vous cherchez à comparer des pays entre eux, vous devez vous inquiéter également de savoir si des corrections sont apportées ou non à la mesure des intrants en fonction de la qualité de la main-d'oeuvre. Dans certains calculs américains, une telle correction est faite. Pour le secteur privé dans son ensemble, ils opèrent effectivement une correction pour la qualité, ce qui tend à réduire le taux de croissance de leurs chiffres, comparé à la manière dont nous le calculons. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai dit qu'il n'y a guère de différence entre le Canada et les États-Unis pour ce qui est du secteur privé dans son ensemble. De fait, si j'exclus de leurs chiffres la correction en fonction de la qualité, nos deux taux de croissance dans le secteur privé d'ensemble sont exactement identiques.

Dans d'autres pays, par exemple à l'OCDE, on tend à utiliser les chiffres d'emploi plutôt que les heures travaillées. Lorsqu'on utilise les chiffres d'emploi, le taux de croissance de la productivité, du moins dans le cas du Canada, est déformé à la baisse parce que chez nous l'emploi à temps partiel a cru plus rapidement que l'emploi à temps plein.

Vous rencontrez également des problèmes lorsqu'il s'agit de mesurer le stock de capital. Après tout, le stock de capital n'est que la somme de tous les investissements effectués dans le passé. Aussi, pour mesurer le stock de capital, il faut connaître la durée de l'investissement et la rapidité de sa dépréciation. Ce sont des éléments très difficiles à déterminer. Nous procédons à une enquête spéciale pour établir ces chiffres. D'autres pays ne le font pas et s'en remettent à des postulats arbitraires, si bien que la manière dont ils calculent leur stock de capital et les taux de croissance des stocks de capital donnera des résultats très différents des nôtres.

Enfin, lorsque vous faites ces comparaisons entre pays, vous devez être très prudent quant au degré de désagrégation. Vous pouvez obtenir des chiffres sensiblement différents si vous commencez à un niveau très agrégé, au lieu de commencer à un niveau désagrégé et de travailler en montant.

En conclusion, lorsqu'on effectue ces comparaisons internationales, il faut le faire avec beaucoup de prudence et tenir compte de ces différences dans toute la mesure du possible. Ce n'est pas chose facile.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Baldwin.

Nous allons maintenant entendre M. Andrew Sharpe, directeur exécutif du Centre d'études des niveaux de vie. Bienvenue.

M. Andrew Sharpe (directeur exécutif, Centre d'études des niveaux de vie): Merci beaucoup. C'est un plaisir d'être de nouveau parmi vous.

Mes remarques seront en réponse aux quatre questions qui nous ont été posées. Premièrement, j'aimerais formuler plusieurs observations sur les comparaisons internationales de productivité.

La première observation est que, selon la perspective internationale, le Canada a connu une très piètre croissance de la productivité au cours de, mettons, les quatre dernières décennies. Entre 1960 et aujourd'hui, nous avons affiché le taux le plus bas de croissance de la productivité de la main-d'oeuvre, défini comme la production par personne employée, de tous les pays de l'OCDE, exceptés la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Ce sont là les chiffres de l'OCDE. Nous ne sommes pas tout à fait certains de la qualité des données de l'OCDE, mais c'est en tout cas ce que montrent ces chiffres actuels.

Cette croissance plus faible de la productivité signifie que notre niveau de productivité relatif a considérablement reculé. J'entends par là que dans la période immédiate de l'après-guerre, nous avions le deuxième niveau de productivité derrière les États-Unis au sein de l'OCDE, et maintenant, vu que d'autres pays ont enregistré une croissance plus rapide que la nôtre, ils ont surpassé notre niveau de productivité. Actuellement, en sus des États-Unis, la France, l'Italie et l'Allemagne ont une production par employé supérieure à la nôtre. Néanmoins, nous sommes toujours devant le Royaume-Uni et l'Allemagne au sein du G-7, mais nous avons reculé relativement à nos grands concurrents pour ce qui est de notre niveau de productivité.

• 1550

Ma troisième remarque est que notre croissance de productivité plus lente reflète largement le rattrapage des autres pays qui se rapprochent du leader technologique. Le leader au cours de la période d'après-guerre était les États-Unis. Ce pays avait de loin le niveau de productivité le plus élevé. Des pays comme le Japon, et beaucoup de pays européens, avaient une très faible productivité juste après la guerre, mais ils présentaient un énorme potentiel de rattrapage du niveau américain, et nombre d'entre eux y sont très bien parvenus. Ils n'ont pas dépassé le niveau américain, mais ils ont certainement rattrapé le retard.

Nous avons rattrapé également pendant la période de l'après-guerre immédiate, mais au cours des deux dernières décennies, nous n'avons pas du tout rattrapé les États-Unis. Nous en sommes restés à environ 80 p. 100 de production par employé comparé aux États-Unis, et nous n'avons pas amélioré notre position relative.

Ma quatrième remarque, et cela souligne un point que John Baldwin vient de faire valoir, est que les comparaisons internationales de productivité sont généralement fondées sur la production par travailleur. Cependant, la production par heure de travail est une meilleure base de comparaison car les heures effectives varient selon les pays, en fonction de la proportion d'employés à temps partiel, du nombre de semaines de congé et de jours fériés par an, du recours aux heures supplémentaires et du nombre d'heures de travail normales dans une semaine. Et si l'on pondère les chiffres selon les heures, notre niveau de productivité augmente de 2 p. 100 par rapport aux États-Unis. En d'autres termes, le nombre d'heures que les Canadiens travaillent par an est inférieur de 2 p. 100 environ à celui des Américains.

La différence est encore plus importante dans les pays européens. Par exemple, les Français font 10 p. 100 d'heures de moins par an que les Américains, les Allemands 14 p. 100, les Suédois 15 p. 100 et les Norvégiens 23 p. 100 d'heures en moins par an comparé aux Américains. Cela signifie que leur production par heure augmente dans une proportion équivalente, comparée aux États-Unis.

La dernière observation que je ferai avant de passer aux quatre questions intéresse le secteur de la fabrication, qui est essentiel à notre compétitivité internationale. J'ai indiqué que notre croissance de productivité d'ensemble au cours de la période d'après-guerre a été moins bonne... Cela s'applique également à la fabrication. De fait, c'est même encore pire. Nous avons à tout le moins eu une croissance parallèle à celle des États-Unis pour ce qui est du secteur privé d'ensemble, mais dans le secteur de la fabrication, du moins au cours des 20 dernières années, nous avons eu un taux de croissance de la production par heure plus faible que les États-Unis et cela a fait passer notre taux de productivité de fabrication d'environ 90 p. 100 du niveau américain en 1977 à environ 74 p. 100 en 1997.

Notre secteur de la fabrication semble poser un problème, qui peut être dû à divers facteurs, et je crois que les autres membres du panel parleront de certains facteurs qui peuvent expliquer la différence.

Je vais maintenant passer aux quatre questions posées par le Comité des finances.

La première est de savoir quel est l'effet des taux de change sur les comparaisons de productivité. Premièrement, je dirais que pour effectuer des comparaisons de productivité—c'est-à-dire des comparaisons de niveau—il est tout à fait inapproprié d'utiliser le taux de change. Le taux de change fluctue sans cesse, pour diverses raisons, et si vous utilisez le taux de change, par exemple pour comparer la productivité canadienne à l'américaine, vous verrez un recul massif de la productivité canadienne par rapport à la productivité américaine, ce qui n'est pas vrai du tout. Le taux de change déforme tous les chiffres.

Par conséquent, il faut utiliser ce que l'on appelle les taux de change à parité des pouvoirs d'achat, c'est-à-dire les taux de change qui reflètent un pouvoir d'achat égal d'un panier de biens dans les deux pays. Selon l'OCDE notre taux de change à parité des pouvoirs d'achat avec les États-Unis est d'environ 85c., et les chiffres que j'ai donnés, qui placent notre niveau de productivité à 80 p. 100 de celui des États-Unis, sont fondés sur un taux de change de 85c.

Certains pensent que notre parité de pouvoir d'achat avec les États-Unis est à environ 90c., selon le tableau PENN. Si nous acceptions ce taux, au lieu d'avoir un différentiel de 80 p. 100 avec les États-Unis, nous nous situerions plutôt autour de 85 p. 100.

Le fait qu'il faut estimer le taux de change à parité des pouvoirs d'achat signifie que le niveau de productivité s'accompagne de beaucoup d'incertitude. Si l'on prend une PPP élevée, alors l'écart devient moindre. Si l'on considère que la PPP est plus faible, l'écart est plus grand.

• 1555

Par ailleurs, il y a tout un débat aujourd'hui sur l'opportunité de prendre en compte l'effet comportemental du taux de change sur la productivité. Est-ce que les modifications du taux de change se répercutent sur le comportement et cela a-t-il un effet sur la productivité? En théorie, cet effet pourrait peser dans un sens ou dans l'autre. Par exemple, on pourrait arguer qu'une dépréciation entraîne une demande agrégée accrue, ce qui se traduirait par des exportations supérieures et de plus grandes économies d'échelle, et donc un effet positif sur la productivité. Ou bien on peut arguer que la dépréciation encourage la paresse des fabricants. En effet, il devient plus facile de vendre à l'étranger, et l'on est donc moins poussé à réduire ses coûts, on devient paresseux et la productivité croît plus lentement.

Donc, ces deux effets sont théoriquement possibles. De la même façon, une valorisation, disent certains, est une bonne chose pour la productivité parce qu'elle amène à contrôler mieux les coûts. À l'inverse, pourrait-on arguer, cette valorisation est mauvaise pour la croissance de la productivité car elle entraîne une baisse de la demande globale.

À mon avis, c'est une question empirique et nous ne savons pas réellement lequel de ces deux effets l'emporte sur l'autre, mais j'ai l'impression que l'effet sur la demande joue probablement plus que cette hypothèse du laissez-aller.

Tout compte fait, je considère qu'il y a des facteurs de productivité plus importants que le taux de change, et je ne pense donc pas que celui-ci soit une variable clé pour notre performance d'ensemble, surtout à long terme.

Pour ce qui est de la deuxième question, soit l'effet des politiques financières sur la productivité, encore une fois il y a des définitions différentes de la politique financière. Si on la définit comme simplement la politique financière générale, je pense que son effet sur la productivité passe par le biais de la demande agrégée, celle-ci se répercutant sur la productivité par le biais d'une croissance plus rapide de la demande. Il en résulte une croissance plus rapide de la production, ce qui signifie des économies d'échelle, l'apprentissage sur le tas, de meilleurs rendements à l'échelle, un effet très positif sur la productivité.

Que s'est-il passé ces dernières années? Comme nous le savons tous, le Canada a pratiqué une politique financière extrêmement restrictive. Je regardais les chiffres dans la perspective économique la plus récente et je n'en croyais pas mes yeux. Si l'on regarde le solde primaire, qui est essentiellement le solde à l'exclusion des paiements d'intérêts, en 1998 notre solde primaire était de 6,9 p. 100 du PIB, en dollars nominaux. C'est donc le solde primaire général du gouvernement. C'est le solde primaire le plus élevé de tous les pays de l'OCDE en 1989, et de plus, c'est le solde le plus élevé jamais enregistré par tous les pays au cours des 20 dernières années. Cela remonte probablement encore plus en arrière que cela, mais les données dans la publication ne remontaient qu'à 1982.

En outre, nous avions un solde primaire négatif de 2,6 p. 100 en 1993, ce qui signifie qu'entre 1993 et 1998, notre solde primaire a connu un renversement de presque 10 p. 100 du PIB, soit un renversement complet de notre situation financière. Bien entendu, cela a été un facteur négatif pour la croissance économique et explique pourquoi notre chiffre de croissance a été si faible en 1994-1996. Depuis, il y a eu une stabilisation et la croissance économique a repris.

Donc, du point de vue de la politique financière, bien entendu on pourrait arguer que ces changements étaient nécessaires pour maîtriser le déficit, mais c'est là un sujet différent de celui qui nous occupe aujourd'hui. Mais pour ce qui est de notre chiffre de productivité d'ensemble, cela n'a certainement pas été un facteur positif.

Si l'on considère la politique financière sous l'angle des dépenses, on pourrait s'enliser dans un débat sur la question de savoir quel type de dépenses gouvernementales contribuent le plus à la productivité—la R-D, les dépenses d'infrastructure, etc. C'est une vaste question et je ne pense réellement pas que nous ayons le temps d'en traiter aujourd'hui.

Si la politique financière englobe également la politique fiscale, sujet qui intéresse beaucoup le comité, me semble-t-il, là encore c'est une question très complexe. Je n'ai réellement pas le temps d'entrer dans les détails aujourd'hui, mais je considère qu'il n'y a pas un lien très fort entre l'imposition des particuliers et la productivité, pour diverses raisons.

Premièrement, si l'on réduisait les impôts des particuliers, par exemple, les gens pourraient être amenés à travailler moins. S'ils ont un revenu cible, ils travailleront moins, ou bien s'ils font davantage d'heures parce que le taux d'imposition marginal est plus faible, cela n'aura pas d'effet sur la productivité calculé sur une base horaire.

On pourrait arguer que si nous ne réduisons pas les impôts, les gens vont déménager aux États-Unis. Là encore, si ceux qui partent aux États-Unis ont la productivité moyenne de tous les Canadiens, il n'y a pas d'effet sur la productivité; et leur production et leur travail partent à l'étranger, et en ce sens il n'y aura pas d'effet sur la productivité.

Je pense qu'il y a un lien plus étroit entre l'imposition des sociétés et la productivité par le biais des profits, car une imposition moindre des sociétés augmenterait les profits et ces profits seraient réinvestis, et l'on sait que l'investissement est le déterminant principal de la productivité. Toutefois, ce lien n'est pas toujours présent et il y a des déterminants beaucoup plus importants de l'investissement, tels que la profitabilité, les taux d'intérêt et les attentes. Donc, encore une fois, je ne pense pas que ce lien soit particulièrement fort.

• 1600

Pour passer rapidement à la troisième question, l'effet de la composition sectorielle relative de l'économie sur la productivité, que cela signifie-t-il lorsque nous disons qu'une industrie est productive ou non? Lorsque nous disons qu'un secteur est productif, normalement nous entendons par là qu'il y a une forte valeur ajoutée par travailleur. Cette forte valeur ajoutée signifie que les salaires et profits dans un secteur sont élevés, alors qu'une faible valeur ajoutée par travailleur donne juste l'inverse, soit de faibles salaires et de faibles profits.

Toutefois, s'agissant de la croissance de la productivité dans le temps, nous utilisons un concept plus physique, soit une forte croissance de la quantité physique de production. Je prendrai l'exemple de l'agriculture. Selon les chiffres, l'agriculture n'est pas un secteur productif parce que la valeur ajoutée par travailleur est extrêmement faible. En revanche, au fil des années, l'agriculture a affiché des gains de productivité massifs, par suite du progrès technologique. Mais il y a aussi eu une baisse massive du prix relatif des produits agricoles, si bien que les salaires dans l'agriculture sont très bas.

En revanche, les industries de services, où il est extrêmement difficile d'augmenter la production par travailleur, peuvent avoir des niveaux de productivité extrêmement élevés en raison des forts salaires, de situations de monopole ou tout ce que vous voudrez.

En ce qui concerne la structure sectorielle, nous avons cherché à déplacer les travailleurs des secteurs à faible productivité, en termes de niveau, vers les secteurs à forte productivité, et c'est effectivement ce qui s'est produit. Une source majeure de croissance de productivité a été le transfert de ressources de l'agriculture à faible niveau de productivité vers la fabrication à haut niveau de productivité tout au long des années 50 et 60. Parallèlement à cela, comme on l'a vu dans les années 70 et dans une mesure moindre dans les années 80, la plupart des emplois nouveaux ont été créés dans les industries de services à faible niveau de productivité et cela a eu un effet négatif sur la croissance de la productivité globale. Donc, ces redéploiements intersectoriels de la main-d'oeuvre sont un élément très important de l'équation de la productivité globale.

Enfin, très rapidement, pour ce qui est de l'effet des accords commerciaux sur la productivité, je pense que, dans l'ensemble, les échanges commerciaux ont eu un effet très positif sur la productivité, encore une fois par le biais de la demande, des économies d'échelle, des séries de production plus longues et, surtout, de la plus forte concurrence à l'intérieur d'un pays. La concurrence internationale peut pousser les coûts à la baisse et gonfler la productivité. De fait, les accords du GATT dans la période après-guerre ont fortement accru le commerce international et contribué à la croissance de la productivité. Il en est de même du Pacte automobile dans les années 60. Je dirais que l'Accord de libre-échange a également contribué, en principe, à la croissance de la productivité. Nous n'avons pas vu une accélération de la productivité dans le secteur de la fabrication au cours des années 90, après l'ALE, mais il s'est produit en même temps un grand nombre de facteurs qui ont compensé les effets positifs éventuels de l'ALENA.

Une dernière remarque sur les traités commerciaux. Il importe de distinguer entre le détournement d'échanges et la création d'échanges commerciaux. Si nous avons des traités commerciaux à l'intérieur, mettons, de l'Amérique du Nord et qu'il en résulte une intensification des échanges à l'intérieur de l'Amérique du Nord mais moins d'échanges avec les autres économies, cet accord commercial peut ne pas avoir d'effets positifs sur notre productivité d'ensemble parce qu'il ne fait que détourner les échanges au lieu d'en créer de nouveaux. C'est pourquoi je pense qu'une approche multilatérale des accords commerciaux est préférable du point de vue de la productivité, plutôt qu'une approche bilatérale.

Désolé, j'ai pris quelques minutes de plus que je n'aurais dû.

Le président: Vous vous êtes bien débrouillé. Je vous remercie.

Nous allons maintenant entendre Serge Nadeau, un économiste d'Industrie Canada. Bienvenue.

[Français]

M. Serge Nadeau (témoigne à titre personnel): Bon après-midi et merci, monsieur le président.

Au cours des dix prochaines minutes, je vais vous entretenir de la productivité et comparerai tout particulièrement la productivité au Canada et aux États-Unis. Contrairement aux personnes qui m'ont précédé, je vais mettre l'accent sur les niveaux de productivité plutôt que sur les taux de croissance de la productivité.

Mon exposé est basé sur le document L'amélioration du niveau de vie passe par l'augmentation de la productivité,

[Traduction]

L'amélioration du niveau de vie passe par l'augmentation de la productivité, qui vous a été distribué. J'ai choisi quelques diapositives de cette présentation, qui apparaissent en ce moment sur l'écran de télévision.

Commençons d'abord par la définition de la productivité. Qu'est-ce que la productivité? Une définition très générale est la suivante. La productivité est une mesure de l'efficience avec laquelle les hommes, le capital, les ressources et les idées sont combinés dans l'économie. On peut parler de productivité multifactorielle et de productivité de la main-d'oeuvre mais, en gros, toute mesure de la productivité tente de mesurer l'efficience avec laquelle certains intrants du processus de production, tels que la main-d'oeuvre et le capital, sont utilisés.

• 1605

Cette définition souligne l'efficience pour une très bonne raison. Pour reprendre une expression qui est devenue un cliché entre économistes, la productivité n'est pas—je répète, n'est pas—une mesure de la quantité de travail que font les gens. Elle est une mesure de l'intelligence avec laquelle les gens travaillent, c'est-à-dire de l'efficience.

Pourquoi nous intéressons-nous à la productivité? La réponse à cette question est très simple, et la plupart des économistes s'accordent sur la réponse. La productivité est le principal facteur qui détermine à long terme le niveau de vie d'un pays. Plus la productivité est élevée, et plus grand est le gâteau économique. Une productivité supérieure nous donne davantage de choix. Une productivité supérieure permet d'investir dans d'autres éléments de la qualité de vie, autres que le revenu. Une productivité supérieure permet d'investir davantage dans l'éducation et la santé. Comme ce diagramme le montre, il y a une relation très étroite entre la productivité de la main-d'oeuvre et les salaires. Au fur et à mesure que la productivité de la main-d'oeuvre dans notre pays augmente, les salaires suivent.

Où se situe le Canada? Comparé aux autres pays, la productivité canadienne est assez élevée, tout comme le sont les salaires canadiens. Le problème est que nous pourrions et devons faire mieux. De fait, nous pouvons faire mieux si nous nous comparons plus particulièrement avec les États-Unis.

Mais avant d'aller plus loin, pourquoi utiliser les États-Unis comme étalon? Il y a à cela plusieurs raisons. Ce pays, bien entendu, est notre plus proche voisin et il est celui, peut-on dire sans risques, avec lequel la plupart des Canadiens se comparent. Il est également notre principal concurrent et sans doute l'économie la plus dynamique du monde.

Nous comparer aux États-Unis ne signifie pas que nous devons faire tout ce que font les États-Unis. Toutefois, cela nous montre de combien notre gâteau économique pourrait être plus gros. Selon les chiffres ici, dont Andrew a fait état, le gâteau économique pourrait être beaucoup plus gros. De fait, selon le chiffre de parité des pouvoirs d'achat que l'on utilise, soit celui de Statistique Canada soit celui du Conference Board, ce dernier étant de 83c., le revenu per capita aux États-Unis est supérieur de 25 à 30 p. 100 à celui du Canada. Cela représente entre 7 500 $ et 9 000 $ per capita.

Que cela signifie-t-il sur un plan plus concret? Cela se répercute, bien entendu, sur ce que les Américains peuvent s'offrir comparé à ce que les Canadiens peuvent s'offrir. La voiture la plus vendue au Canada est la Honda Civic, avec un prix d'environ 15 700 $, alors qu'aux États-Unis c'est la Toyota Camry, dont le prix est d'environ 21 000 $. J'ai choisi des voitures comme exemple, mais j'aurais pu choisir des maisons. Les maisons sont plus grandes aux États-Unis qu'au Canada. J'aurais pu choisir la proportion de propriétaires de maison. Elle est plus élevée aux États-Unis qu'au Canada. Ici, j'utilise le revenu per capita. J'aurais aussi bien pu prendre le revenu disponible per capita.

Ce que je veux montrer avec cette diapositive, c'est que le niveau de vie aux États-Unis est beaucoup plus élevé qu'au Canada, ou bien vous pourriez dire que le revenu per capita est beaucoup plus élevé aux États-Unis qu'au Canada.

En outre, cet écart de revenu n'a pas diminué du tout au cours des 40 dernières années. Au contraire, il s'est élargi au cours des 20 dernières années et surtout au cours des dix dernières. Ainsi qu'on l'a déjà dit ici, l'élargissement de l'écart de revenu au cours des dix dernières années est dû à la moindre croissance de l'emploi au Canada comparé aux États-Unis. Ce diagramme montre que nous avions un écart d'environ 25 p. 100 en 1961 et qu'il est toujours d'environ 25 p. 100 en 1998.

Quelles en sont les raisons? Il y a en gros deux raisons seulement à l'écart de revenu entre le Canada et les États-Unis. L'un est le taux d'emploi plus faible au Canada. Selon nos études, le taux d'emploi plus faible au Canada explique environ 4 p. 100 de l'écart de revenu avec les États-Unis au cours des dix dernières années. Le reste, soit 96 p. 100, s'explique par la plus faible productivité de la main-d'oeuvre au Canada.

• 1610

Que cela signifie-t-il concrètement? Cela signifie qu'en moyenne, au cours des dix dernières années, si le Canada avait eu la même productivité que les États-Unis, chaque Canadien aurait reçu, en espèces ou sous forme de services, 5 600 $ de plus par an. C'est un chiffre moyen, année après année.

En 1998, nous savons que la situation était sensiblement différente. En particulier, nous savons que la situation de l'emploi aux États-Unis est bien meilleure qu'au Canada. Le taux de chômage aux États-Unis est tombé à un niveau record. Par conséquent, le taux d'emploi plus faible au Canada explique une plus forte portion de l'écart de revenu entre le Canada et les États-Unis. De fait, il explique 17 p. 100 de l'écart, mais le reste, soit 83 p. 100, un pourcentage toujours très important, s'explique par la plus faible productivité canadienne.

Cela m'indique que même si notre marché du travail était aussi brûlant qu'aux États-Unis, nous aurions quand même un écart de revenu d'environ 6 000 $. En d'autres termes, bien que le problème de l'emploi soit majeur, il n'est rien comparé au problème de productivité.

Comme Andrew l'a mentionné, notre niveau de productivité pour l'économie d'ensemble est sensiblement inférieur à celui des États-Unis. L'écart est d'environ 15 à 20 p. 100 au cours de la période 1980 à 1998. De même, comme Andrew l'a indiqué, la situation est encore pire dans le secteur manufacturier, où l'écart est passé, d'après mes chiffres, de 15 p. 100 en 1990 à environ 25 p. 100 en 1997.

Que se passe-t-il à l'échelle régionale?

[Français]

On constate aussi notre faible rendement en termes de productivité par rapport aux États-Unis à l'échelle régionale. L'Alberta et l'Ontario affichent la productivité la plus élevée parmi les provinces canadiennes. La productivité de l'Alberta est d'environ 20 p. 100 plus élevée que celle des provinces Atlantiques.

Les provinces les plus performantes se retrouvent avec une productivité inférieure à la moyenne américaine et accusent une diminution d'environ 10 p. 100.

Jim Frank parlera probablement du fait que notre faible productivité a nui à notre concurrence au niveau international. Si on utilise comme mesure de concurrence les coûts unitaires, on peut dire qu'on a connu au cours de la dernière décennie un gain d'environ 12,7 p. 100. Malheureusement, ce gain est entièrement dû à la dépréciation du dollar canadien. Si le dollar canadien était resté au niveau où il était en 1990, notre compétitivité aurait décru d'environ 4,4 p. 100.

Quoique la croissance de notre rémunération, qui s'établit à 20,5 p. 100, ait été moins élevée qu'aux États-Unis et qu'elle ait été faible historiquement, elle a été beaucoup plus élevée que la croissance de la productivité du travail. C'est une situation qu'on ne pourra maintenir à long terme.

[Traduction]

Quel message retirer de tout cela? Je peux conclure, sur la base de ce qui précède, que la productivité, la compétitivité durable et le niveau de vie vont de pair.

Il y a eu récemment un débat sur les chiffres de croissance de la productivité, et je crois qu'il a peut-être occulté le véritable problème. Le véritable problème, à notre sens, est celui-ci. Le niveau de productivité d'un pays est un facteur fondamental déterminant son niveau de vie. Le niveau de productivité du Canada est considérablement inférieur à celui des États-Unis, et cela explique la plus grande partie de l'écart important entre les niveaux de vie au Canada et aux États-Unis. À notre sens, nous pouvons et nous devons faire mieux.

Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Nadeau.

Nous allons maintenant entendre Daniel Trefler, un économiste de l'Université de Toronto.

Bienvenue.

• 1615

M. Daniel Trefler (économiste, Institute for Policy Analysis, Université de Toronto): Je vous remercie. Avez-vous mon texte?

Le président: Oui.

M. Daniel Trefler: Cette table ronde est pour moi une chose inhabituelle. Je n'ai pas l'habitude de venir à Ottawa. Je n'ai pas l'habitude de me trouver sous les auspices du Comité des finances et je n'ai certainement pas l'habitude d'être d'accord avec tous les économistes qui m'entourent.

Permettez-moi donc de souligner la qualité du travail effectué par les économistes d'Industrie Canada, ceux de Statistique Canada, et par John Baldwin.

Nous avons un problème de productivité, tant du point de vue du niveau que de la croissance. Je vais vous montrer juste un dernier ensemble de chiffres. Vous devez commencer à prendre des maux de tête avec tous ces chiffres. Les miens sont assez faciles à comprendre.

Ils ne font que confirmer encore davantage un élément déjà mis en lumière. Si vous considérez le salaire hebdomadaire moyen au cours des 15 dernières années, vous verrez encore un autre indicateur de l'insuffisance de nos résultats. C'est une profession de foi chez les économistes que la productivité détermine la croissance des revenus. Le salaire hebdomadaire moyen dans le secteur manufacturier, selon des données d'enquête tout à fait indépendantes des statistiques utilisées pour analyser la productivité, font apparaître également une piètre croissance, d'environ 0,25 p. 100 par an au cours des 15 dernières années.

Si l'on regarde les bordereaux T-4 du fisc—ils sont relativement fiables, j'espère, sinon quelqu'un triche—les revenus d'emploi déclarés au Canada sont caractérisés par une piètre croissance.

Prenez les jeunes. Je suis heureux d'être une vieil homme. Le tableau est très décevant, surtout si vous êtes jeune.

Vu tout ce qui a déjà été dit, arrêtez-moi si je vous entraîne sur un chemin que vous ne voulez pas suivre. J'hésite beaucoup, car le message est très clair: nous avons un problème.

Je ne sais pas si vous allez me comprendre. Mon ordonnance ne guérira peut-être pas le mal, mais elle ne coûte pas cher. J'aimerais vous faire part de quelques idées sur les causes du problème et les remèdes que nous pouvons appliquer.

La première question est donc de savoir pourquoi il y a un écart. Tellement de raisons sont avancées. J'ai placé dans mon texte des petites cases vides. Vous pourriez peut-être les cocher ou non, selon que vous considérez que ce facteur est une cause de l'écart de productivité.

Est-ce la propriété étrangère? John Baldwin a fait ressortir très clairement dans certains de ses autres travaux de recherche, que la cause n'est pas la propriété étrangère. Les entreprises canadiennes appartenant à des Américains sont merveilleusement productives, meilleures que leurs homologues canadiennes.

Est-ce dû au fait que les entreprises canadiennes tendent à être de plus petite taille que les américaines? Nous savons que les petites entreprises ne sont pas très productives et nous savons que les États-Unis se dirigent vers le modèle du «plus c'est grand, plus c'est beau» et que le Canada s'oriente vers le travail indépendant. Nous nous dirigeons donc vers la partie inférieure de l'éventail de la productivité, les Américains vers la partie supérieure. Cela pourrait-il expliquer l'écart? Non. Il ne semble pas que ce soit un gros facteur.

La cause est-elle le sous-investissement dans les usines et le matériel? Nous savons que les entreprises américaines adoptent à beaucoup plus grande échelle l'informatique et d'autres technologies novatrices que les Canadiens. Cela pourrait-il être un problème? C'est possible. Il est certainement vrai que les États-Unis s'équipent beaucoup. La tendance n'est pas claire. En gros, on peut dire que l'adoption de la technologie sur le lieu de travail est plus lente chez nous qu'aux États-Unis.

L'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis suscite une interrogation. J'ai l'impression que c'est pour cela qu'on m'a invité à prendre la parole ici, car c'est ma spécialité. Le débat public sur l'écart de productivité a été en grande partie suscité, à mon avis, par Jeff Rubin, l'économiste en chef de CIBC Wood Gundy, lorsqu'il a déclaré que l'Accord de libre-échange est très décevant. Il n'aurait pas amélioré la productivité au Canada.

• 1620

Étant jeune, je me suis dit, bon, quelle étude plus fracassante pourrais-je publier que de prouver aux spécialistes que le libre-échange n'apporte rien. J'ai donc fait mon enquête et j'ai petit à petit constaté que Jeff Rubin et les économistes de son espèce se fourrent le doigt dans l'oeil, malheureusement.

Voici donc la conclusion. Si vous comparez les industries à hauts tarifs douaniers et à faibles tarifs douaniers, vous devez vous demander si la productivité a augmenté plus rapidement dans celles dont les tarifs douaniers ont été réduits après 1988 que dans celles qui n'ont pas été touchées par l'accord. La réponse est un oui catégorique. Et non seulement leur productivité a-t-elle augmenté, elle a augmenté de beaucoup, d'environ 0,5 p. 100 de plus par an. Un demi pour cent est un chiffre étonnamment élevé.

Songez donc que la différence dans le taux de croissance de la productivité des États-Unis et du Royaume-Uni, après la Seconde Guerre mondiale, a été d'environ 0,25 p. 100 par an. Et en 1980, l'Angleterre était devenu le moribond de l'Europe et les États-Unis étaient champions du monde. Donc, un gain de 0,5 p. 100 par an sous l'effet de l'Accord de libre-échange est un succès remarquable, à mon sens.

Voyons donc quelle politique nous pourrions suivre. Il importe de savoir ce qui cause l'écart si nous voulons y remédier, car il y a toutes sortes d'idées farfelues qui circulent et dont la validité est démentie par les données détaillées dont nous disposons. Toutes n'ont pas été présentées ici aujourd'hui, mais des gens comme Serge Nadeau et John Baldwin sont tout à fait capables de vous aligner des chiffres beaucoup plus détaillés que ce que nous présentons aujourd'hui.

Donc, que nous disent ces chiffres détaillés? Devrions-nous paniquer au sujet de l'investissement étranger direct? Ces gredins américains achètent notre économie pour une bouchée de pain. Certainement pas. Ils tendent à être plus productifs que les Canadiens; qu'ils nous rachètent si cela va augmenter notre productivité. Certes, cela soulève quantités d'autres questions sociales, mais du point de vue étroit de la productivité, ce n'est pas un problème.

Qu'en est-il de la R-D? Un élément important de ce que John Baldwin vous a montré est que la croissance américaine est alimentée par les secteurs innovateurs de l'informatique et de la biotechnologie. Les États-Unis sont une machine à innover et l'ont toujours été. Nous nous fixons là un étalon très ambitieux. C'est un étalon que même des pays comme l'Allemagne et le Japon n'ont pu égaler qu'à leur époque de gloire. Généralement parlant, la plupart des pays ne peuvent concurrencer les États-Unis sur ce plan, tellement ce pays est une machine à innover.

La question qui se pose est donc de savoir si nous pouvons faire quelque chose pour promouvoir l'innovation chez nous. Je pense que nous le pouvons. Nous avons déjà en place quelques politiques, mais je veux mettre en garde contre toute décision irréfléchie d'injecter des fonds dans la R-D au Canada au moyen de programmes universels.

Nous ne pouvons laisser les bureaucrates décider qui sont les gagnants futurs probables des courses de R-D. Ce n'est pas ce que les bureaucrates savent faire. Moi-même, je ne suis pas compétent, c'est sûr. Il faut laisser cette tâche au marché boursier et aux spécialistes. Ne nous lançons pas à-tout-va dans le jeu de la R-D, où les gens de la Colline parlementaire deviendraient les experts en R-D, ceux qui prétendent savoir qui sera le prochain Microsoft.

Dans la dernière [Note de la rédaction: Inaudible]... ne faites pas cela. Qu'en est-il des réductions d'impôt proposées? Ce sont là les fondamentaux évidents. Nous avons une très grosse dette. Plus lourde est la dette que le Canada porte, et plus les taux d'intérêt sont élevés. Plus les taux d'intérêt sont élevés, plus l'investissement est étranglé. Plus l'investissement est étranglé, et moins le Canada est en mesure de concurrencer les États-Unis sur le plan de la haute technologie.

Aujourd'hui, la conjoncture est toute rose. Nous avons de faibles taux d'intérêt, une faible inflation, pas de grande crise à l'horizon. Mais supposons qu'il y ait une possibilité réelle de crise au cours des cinq prochaines années. Si la dette reste lourde lorsque cette crise surviendra, les taux d'intérêt vont grimper, nous allons étouffer l'investissement, nous allons étouffer la croissance de la productivité. Gardons la tête froide. Ne parlons pas de baisses d'impôt.

Que devrions-nous donc faire? Il est facile de dire ce qu'il ne faut pas faire. Si l'innovation est la clé, il faut impérativement conserver les politiques commerciales qui nous relient aux économies les plus novatrices. Il y a quantité de raisons de souhaiter un accord de libre-échange avec, mettons, le Chili. Très bien. Mais si la productivité nous intéresse, il nous faut une intégration avec l'Europe, avec les Allemagnes, les Italies, les Japons, les États-Unis, non pas une intégration complète, mais une intégration qui nous aide, à toutes fins pratiques, à voler leurs innovations et à en profiter gratuitement.

• 1625

L'enjeu qui ne cesse de revenir dans les conversations est la fuite des cerveaux. Encore une fois, gardons la tête froide. Nous parlons là d'un très petit nombre de personnes dans quelques métiers, et ce n'est pas tout le métier qui menace de partir, ce sont les plus jeunes dans ce métier. Ne commençons donc pas à parler de grosses coupures d'impôt pour prétendument fixer des milliers et des milliers de PDG dans ce pays.

Lorsque je regarde autour de la salle, il y a ici beaucoup de gens qui pourraient doubler leur salaire en s'exilant. Ils pourraient prendre le téléphone demain et doubler leur salaire et partir. Le font-ils? Non, ils ne le font pas, parce qu'ils sont installés, ils ont des racines ici.

Si nous voulons arrêter la fuite des cerveaux, faisons-le pour un groupe restreint de gens, les jeunes diplômés des instituts professionnels qui forment des programmeurs, des ingénieurs et des scientifiques. C'est un programme peu coûteux. Nous pourrions déverser des tonnes d'argent sur ces gens-là sans qu'il y ait d'effet perceptible sur le déficit budgétaire. Donnez à ces gens-là 50 000 $ par an exonérés d'impôt, et ils resteront.

Combien cela va-t-il nous coûter? Réfléchissez-y. Combien de personnes cherchons-nous à retenir ici, 5 000 ou 10 000? Ce n'est pas beaucoup plus. Combien cette politique va-t-elle nous coûter? Un demi-milliard de dollars, au maximum. Or, on parle de baisses d'impôt pour fixer ces personnes ici qui coûteront des milliards et des milliards. Canalisons l'argent directement vers ceux que nous voulons retenir, et ne parlons pas d'un programme universel qui va profiter à un vaste éventail de gens très riches. Agissez très prudemment à cet égard.

Encore une fois, les subventions à la R-D doivent être soigneusement conçues, sinon vous allez déverser beaucoup d'argent sur des compagnies qui auraient réussi de toute façon, qui sauront très bien expliquer pourquoi elles devraient bénéficier d'une aide publique, et qui réussiront encore plus brillamment, sur notre dos. Soyons prudents avec cela.

Les dernières propositions visent à inscrire la productivité dans un contexte plus large. Tous les problèmes de productivité dont nous avons parlé ici sont très étroitement focalisés sur une conception de chaîne de montage, sur la manière dont on peut réduire les coûts sur la chaîne de montage. Mais il faut épouser une conception plus large de la productivité, et réfléchir au fait que le chômage des jeunes est incroyablement élevé, et que même s'ils trouvent un emploi, leur salaire n'augmente pas du tout. Or, ce sont précisément les jeunes qui sont l'avenir de la productivité canadienne, pas aujourd'hui, mais dans 20 ans, lorsqu'ils seront dans la fleur de l'âge productif. Notre économie est en train de les marginaliser. Ils ne seront pas productifs dans 20 ans. La productivité canadienne s'enlisera dans 20 ans. Nous devons nous soucier de ces jeunes.

Voici justement une belle occasion où les politiques gouvernementales peuvent réellement agir. Il faut former ces jeunes afin qu'ils puissent produire dans 20 ans. Il faut renforcer le système éducatif, surtout pour les jeunes.

Lorsqu'on se demande comment faire pour fixer les gens au Canada, ce qui va réellement les convaincre de rester, c'est ce que nous offrons déjà. C'est ce pourquoi les gens autour de cette table restent au Canada: une qualité de vie remarquable.

Je voyage aux États-Unis et l'idée m'est venue quelques fois de déménager, mais la première chose qui me vient à l'esprit lorsque je prends l'avion pour les États-Unis, c'est où diable vais-je trouver une bonne école publique pour mes enfants, où diable vais-je trouver la sécurité physique, à moins de m'installer à la cambrousse?

Nous offrons, dans notre pays, des villes incroyablement attrayantes, qui préviennent la fuite des cerveaux. Nous devrions continuer à faire en sorte—et le gouvernement fédéral s'est retiré de ce domaine—que la qualité de vie dans nos villes reste suffisamment bonne pour que les gens veuillent y rester. Qu'ils y trouvent un bon enseignement public, qu'ils s'y sentent en sécurité, et ils pourront dire, voilà où je veux m'enraciner; je ne gagne peut-être pas autant que je le ferais aux États-Unis, mais j'aurai une vie de meilleure qualité. Voilà sur quoi nous devrions nous concentrer.

Nous aurons un peu de temps pour dialoguer tout à l'heure. Mais j'aime bien cette blague. Les commandements de Dieu, première ébauche: Tu ne feras rien de mal; tu seras gentil avec ton prochain. La réponse de Moïse: «C'est bien, j'aime ça; mais je connais ces gens et ils vont vouloir des détails».

• 1630

Merci.

Le président: Je vous remercie, monsieur Trefler.

Nous allons maintenant entendre M. Fred Bienefeld, associé de recherche au Centre canadien de politiques alternatives.

M. Fred Bienefeld (associé de recherche, Centre canadien de politiques alternatives): Merci, monsieur le président.

C'est un privilège de succéder à un orateur aussi divertissant. J'ai aussi un petit problème, en ce sens que je suis plutôt en désaccord avec lui sur la première moitié de son discours et totalement d'accord avec la deuxième moitié.

Mes propos vont viser une dimension légèrement différente, et je dois dire, pour commencer, que je comprends très bien la difficulté qu'éprouvent les décideurs face à cette cacophonie de conseils et de faits et chiffres contradictoires.

Le débat sur la productivité est particulièrement problématique et particulièrement intense parce qu'il fait apparaître au grand jour certains des problèmes les plus fondamentaux de l'analyse économique.

L'analyse économique doit commencer avec une définition claire et, faut-il espérer, concrète de l'efficience. Or, en dépit des faux-semblants des économistes de l'école traditionnelle, une telle définition n'existe pas. La définition que la plupart des analystes emploient souvent implicitement, parfois explicitement, en est une assise sur l'équilibre concurrentiel, ce qui est une définition à peu près indéfendable, comme la théorie économique et les débats théoriques le reconnaissent.

Les économistes ont tenté d'échapper à ce dilemme en optant pour ce qu'ils appellent «l'économie positive». Cette pratique veut contourner le dilemme en disant que sa fiabilité dépend de ce que ses hypothèses résistent ou non à l'épreuve des faits. Ainsi, le fait que la théorie ayant engendré ces hypothèses repose sur des postulats plutôt irréalistes n'importe plus; ce n'est plus une objection fondamentale. L'enjeu devient de savoir si l'on peut éprouver ces hypothèses d'une manière falsifiable à la lumière des faits. En théorie, c'est une issue au dilemme; malheureusement, dans la pratique, cela ne fonctionne et n'est possible que si une telle épreuve falsifiable est effectivement possible.

Lorsqu'on considère la productivité, on constate que les problèmes de mesure sont énormes. Le genre de problème dont nous avons parlé ici relativement à la mesure de la productivité, les différences énormes entre les façons de mesurer les intrants et les extrants, le fait qu'il faille prendre en compte le prix des extrants, tout cela appelle en soi une interprétation. Andrew l'a bien montré avec les taux de change. On peut dire la même chose au sujet des prix dans toute économie donnée. Les prix fluctuent. Pendant le boom immobilier au Canada, les distorsions de prix dans cette conjoncture étaient énormes, et cela retentit sur nos mesures.

Nous manions constamment des quantités que nous mesurons d'une manière qui est profondément problématique et une fois que l'on comprend... et j'imagine, étant donné ce que vous avez entendu ce matin et que vous travaillez là-dessus depuis quelque temps déjà, que vous commencez à être pas mal familiers de cette réalité. Je trouve que ces discussions et certains des exposés précédents étaient très précieux, mais je crois aussi qu'en fin de compte il faut bien admettre que cette question ne peut et ne sera pas résolue à ce niveau. Il n'y a pas de solution juste et les opinions vont considérablement diverger et souvent être intensément défendues.

Richard Harris, l'un de nos économistes néo-classiques réputés, a récemment qualifié un indicateur particulier de la productivité établi par l'OCDE de, et je cite, «tas de merde», ce qui montre bien la profondeur des désaccords qui se font jour dans ce domaine.

Deborah Stone, dans un merveilleux ouvrage sur la politique publique intitulé Policy Paradox, nous dit que les statistiques sont comme la poésie. Elle a cette phrase merveilleuse où elle dit: «Nul chiffre n'est innocent», et dans le débat sur la productivité cela apparaît avec une clarté extrême.

Si la solution ne va pas résider dans une amélioration de nos mesures détaillées de la productivité, et si nous réalisons que finalement des affirmations comme «la productivité est le fondement de notre niveau de vie» ne sont que des tautologies qui ne nous apprennent réellement rien...

• 1035

Il était très intéressant que Daniel, à la fin de son exposé, ait soudainement parlé des États-Unis et de ses choix en disant que, lorsqu'il se rendait là-bas, son impression était que le niveau de vie, du moins pour lui, ne serait pas meilleur. Autrement dit, les chiffres qui donnent à penser que l'écart est si énorme mentent, ou bien ils disent vrai mais ne décrivent qu'une partie de la réalité.

Il nous faut donc regarder d'un peu plus près ce processus. Comme le diraient les économistes, nous devons nous placer sur des terrains méthodologiques différents. Ce sont des gens hautement respectables: Douglass North, Oliver Williamson, les nouveaux économistes institutionnels, l'école autrichienne. Ils ont toujours centré leurs débats sur des comparaisons historiques, considérant les systèmes sociaux et économiques comme un ensemble, plutôt que sur des chiffres particuliers auxquels nous accordons un poids absurde, pour constater ensuite qu'ils ne sont pas fiables et que d'autres chiffres peignent un tableau complètement différent.

Lorsqu'on regarde les systèmes sociaux et les résultats réels de ces économies, je considère qu'il est simplement impossible de qualifier, par exemple, les États-Unis de merveilleuse réussite qui montre la voie au reste du monde. Les États-Unis, au cours des 30 dernières années et pour la première fois de leur histoire, ont traversé une période où une croissance substantielle du PIB s'accompagnait d'une baisse régulière des salaires réels et du revenu familial moyen de la vaste majorité de la population. La sécurité de la vie de la population s'est clairement détériorée, la précarité économique s'est clairement aggravée, et les conditions dans lesquelles la plupart des gens travaillent se sont clairement détériorées.

Donc, la définition réelle de l'efficience que nous, et vous en tant que responsables politiques, devons rechercher est une définition qui demande comment l'effort humain peut être concrétisé par l'économie sous forme d'un niveau de vie meilleur? Comment cette transformation peut-elle intervenir de manière plus efficiente? Elle n'est pas très efficiente ni aux États-Unis ni au Canada.

Cela nous conduit à un terrain méthodologique différent, où les modèles comptent pour beaucoup moins et l'histoire pour beaucoup plus, où nous commençons à comparer des types d'économies différents et différentes trajectoires empruntées sur de longues périodes.

Je voudrais ici mentionner très brièvement quelques études qui font cela de manière très instructive et dont il importe que les responsables des politiques tiennent compte. Il s'agit d'une étude de Paul Romer, un éminent théoricien américain de la nouvelle croissance, publiée dans le compte rendu de la conférence annuelle de 1992 sur l'économie du développement de la Banque mondiale. Il y distingue entre deux modèles de développement.

Un modèle est axé sur la capacité, selon ses termes, à utiliser des idées. Il prend l'Île Maurice comme exemple. Il explique que, dans un tel modèle on crée, en substance, des conditions qui attirent le capital, et un tel modèle peut engendrer une certaine réussite. Il a apporté un certain type de réussite à l'Île Maurice.

Malheureusement, explique-t-il de manière très convaincante, cette réussite est très limitée. L'Île Maurice est prise dans le piège d'une économie à bas salaires. Son succès économique et son avenir économique dépendent de sa capacité à offrir de la main-d'oeuvre à des conditions plus avantageuses que ses concurrents. Romer conclut que non seulement ses salaires réels seront probablement bloqués, mais vont probablement devoir même baisser, par rapport à un niveau déjà très bas, avec l'arrivée sur le marché de pays connaissant de gros excédents de main-d'oeuvre.

Il oppose à ce modèle le modèle taiwanais, comme il l'appelle. C'est un modèle qui vise la création d'idées. Pour reprendre l'idée de Daniel, je pourrais traduire cela comme la capacité de générer et de s'approprier des rentes technologiques. Développer la capacité de générer et de s'approprier—cela signifie que les facteurs de production nationaux doivent être mis en mesure de dégager les bénéfices de cette productivité supérieure.

C'est là qu'il est très instructif de considérer l'économie mondiale au cours des 40 dernières années car on s'aperçoit que le plus intéressant dans ces pays de l'Est asiatique qui connaissent aujourd'hui de si graves difficultés est qu'ils ont réussi une transformation virtuellement sans précédent dans l'histoire. Mais la vraie importance de cet exemple réside non pas dans le fait qu'ils sont parvenus à une croissance relativement rapide, mais dans le fait qu'ils ont réussi cette transformation et cette croissance dans un contexte où les salaires réels ont augmenté de façon spectaculaire tout au long de la période, et qu'ils ont réussi à préserver leur compétitivité en dépit de ces hausses salariales.

• 1640

Si nous voulons réellement étudier la question de la productivité selon cette acception plus large, il nous faut absorber et apprendre les leçons enseignées par ces sociétés. Nos sociétés, dans le passé récent, ont évolué d'une manière qui amène à s'interroger très sérieusement sur la signification de l'efficience, et même de la croissance, dans notre contexte.

Le président: Merci beaucoup, professeur Bienefeld.

Nous allons maintenant entendre Jim Frank, le vice-président et économiste en chef du Conference Board of Canada. Bienvenue.

M. Jim Frank (vice-président, économiste en chef, Conference Board of Canada): Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité. Nous sommes très heureux d'avoir cette occasion aujourd'hui de faire part de nos vues sur la question de la productivité. Certains de mes propos aujourd'hui seront proches de ce que mes collègues ont déjà dit. Ils sont fondés en partie sur une étude qui a été publiée seulement hier, et dont vous avez peut-être entendu parler dans les journaux.

Le Conference Board insiste sur l'importance d'une amélioration de la productivité depuis que nous avons publié en 1996 notre rapport sur la performance et le potentiel du Canada. Nous y disions que notre productivité est un facteur fondamental qui sous-tend notre haute qualité de vie. Nous y disions que notre position privilégiée parmi les pays du monde n'est pas garantie au XXIe siècle.

Depuis 1996, nous avons continué chaque année, dans notre rapport sur la performance et le potentiel du Canada, à comparer, mesurer la productivité et à réfléchir à sa signification. Nous espérons que nos propos d'aujourd'hui contribueront à mieux faire comprendre le concept et amèneront les Canadiens à focaliser sur l'amélioration de notre performance, particulièrement dans le secteur manufacturier, si important pour notre commerce international.

Nous voulons aider les Canadiens à comprendre que, en tant que pays, nous ne pouvons consommer que ce que nous produisons, et ce que nous produisons dépend de notre productivité. En outre, nous voulons aider les Canadiens à comprendre que pour améliorer notre productivité nous devons envisager toute une série de changements dans ce que nous faisons et dans la manière dont nous le faisons.

Le Conference Board est fermement convaincu qu'il n'y a pas de solution unique ou simple à l'amélioration de notre productivité. Il n'y a pas de panacée. Nous sommes tout autant convaincus que les Canadiens veulent et peuvent faire mieux.

Avant d'en venir à mon propos, permettez-moi de dire quelques mots sur le Conference Board. Nous sommes un organisme de recherche privé sans but lucratif. Nous sommes financés principalement par les entreprises et les pouvoirs publics, mais aussi par d'autres organisations et associations. Notre mission est d'être le premier institut privé de recherche appliquée du Canada, avec comme objectif l'amélioration de la performance des organisations canadiennes dans l'économie mondiale. C'est ce qui explique l'intérêt que nous portons à la productivité.

Tout d'abord, permettez-moi juste de présenter un diagramme qui est assez voisin de ceux que l'on vous a montrés tout à l'heure. Il compare le PIB per capita du Canada et des États-Unis. Ce n'est là qu'une mesure de notre performance relative. C'est un indicateur de productivité parmi d'autres que l'on peut utiliser.

Vous pouvez voir que, depuis 1988, ce ratio est en baisse et nous sommes actuellement à environ 80 ou 81 p. 100 du chiffre américain de revenu par personne. Les Américains sont tout simplement plus productifs que nous et cet indicateur, bien que hautement agrégé, donne un message assez simple. Nous ne voulons pas parler des problèmes de mesure pour l'instant—nous en avons suffisamment entendu—mais un mot s'impose.

Pour obtenir cette mesure du PIB per capita, nous devons utiliser une mesure de la parité des pouvoirs d'achat pour le taux de change, pour convertir le revenu canadien en dollars US. Le taux de PPP dans ce diagramme est maintenant de 87c. Vous pourriez utiliser 83c., 84c. ou 85c.—un chiffre de cet ordre—et cela serait raisonnable. Si nous devions évaluer notre performance en utilisant le taux de change du marché, qui est celui que les journaux annoncent chaque jour, nous nous retrouverions à 62 p. 100 du niveau américain. Ce qui est à retenir ici est que nous nous situons bien en dessous des États-Unis, quel que soit le taux de conversion utilisé.

Voyons maintenant certains des enjeux relatifs à la productivité dont j'aimerais parler. Il se dégage cinq messages importants pour nous aujourd'hui, sachant que ce secteur—la fabrication—représente environ 15 p. 100 de notre production et est peut-être le plus exposé à la concurrence internationale, particulièrement celle des États-Unis.

Le premier message est que la croissance de la productivité de la main-d'oeuvre du secteur manufacturier jusqu'à la fin de 1999—et je formule là en partie une prévision—sera inférieure à celles des États-Unis pour la sixième année consécutive. Vous le voyez sur le diagramme.

• 1645

Deuxièmement, la hausse des coûts unitaires de main-d'oeuvre est disproportionnée par rapport à notre principal concurrent, et la compétitivité de ce secteur en souffre.

Le troisième message est que si la valeur de notre monnaie n'avait pas baissé, nous aurions été loin d'enregistrer nos succès commerciaux des années 90.

Le quatrième message—et c'est là où intervient le Conference Board car notre mission dans la vie est d'essayer d'aider les gens à améliorer leur performance. Nous pensons que les entreprises de tous les secteurs doivent apprendre à mesurer et à améliorer leur productivité et la comparer à celle d'autres organisations et de leurs concurrents.

Le dernier point, il vaut la peine de le répéter, est que la controverse qui entoure les chiffres de croissance de la productivité ne doit pas nous faire oublier le caractère impératif de l'amélioration de notre rendement. Je pense que tout le monde s'accorde là-dessus.

En 1996, dans son premier rapport sur la performance et le potentiel du Canada, le Conference Board mettait en lumière les carences de la productivité du secteur manufacturier. Il soulignait que la productivité est la condition de tout ce à quoi nous aspirons: un niveau de vie élevé à long terme. Nous comparions le Canada aux États-Unis et à d'autres pays et démontrions qu'il y avait lieu d'améliorer nos résultats.

Ce message a été répété dans les rapports de 1997 et 1998. Le dernier a été publié à l'automne dernier et rien n'avait réellement changé depuis 1996. Nos nouvelles estimations portant sur l'année 1999 montrent que la productivité de la main-d'oeuvre dans le secteur manufacturier accusera un retard sur les États-Unis pour la sixième année consécutive.

Mais, jusqu'à présent, le débat au Canada passe à côté du problème véritable. Nous négligeons l'interaction entre la productivité, le coût et le taux de change. Or c'est elle qui détermine notre compétitivité. C'est pourquoi la productivité n'est qu'un élément d'un ensemble très complexe.

Les autres éléments sont notre coût de production et, bien entendu, le taux de change. Ainsi, le diagramme 2 montre que nous avons affiché des résultats variables comparés aux États-Unis. Certaines années, nous étions meilleurs que les Américains sur le plan de la production par heure de travail, d'autres années nous étions inférieurs. La plupart du temps notre croissance était plus lente que celle des États-Unis, particulièrement au cours des six dernières années.

La répartition de la croissance dans le temps montre l'importance de la période visée et l'effet du cycle économique. Si vous prenez comme référence les années où la productivité a décliné—et le taux de croissance a été négative pendant deux années—ou si au contraire vous prenez des années où elle a cru rapidement, vous obtiendrez des résultats quelque peu différents.

La période 1990 à 1999 a été l'apogée du cycle économique dans les deux pays, mais sur l'ensemble nous avons été distancés par les États-Unis pendant les années 90, avec une croissance moyenne annuelle d'environ 2,2 p. 100, contre 3,1 p. 100 aux États-Unis. Il y a amplement moyen de faire mieux, si nous le voulons.

Jetons un coup d'oeil sur le côté coût de l'équation. La croissance annuelle de la rémunération par heure de travail, dans tous les secteurs et dans le secteur manufacturier, a augmenté au Canada d'environ 3,4 p. 100 par an; aux États-Unis, le chiffre est d'environ 3,8 p. 100.

Permettez-moi de combiner tout cela rapidement pour tirer les enseignements de ce diagramme. Il est complexe, et je vais vous l'expliquer.

Les barres résument les changements illustrés dans les deux premiers diagrammes. La troisième barre montre que nos coûts de main-d'oeuvre par unité d'extrant augmentent d'environ 1,2 p. 100 par an au Canada, comparé à près de 0,7 p. 100 aux États-Unis. C'est simplement la différence entre le salaire par heure de travail et la production par heure de travail dans chaque pays. Cela signifie que le coût salarial de la production de biens a augmenté plus rapidement au Canada qu'aux États-Unis et ce de manière soutenue tout au long des années 90. Nos coûts de production augmentent plus vite que notre productivité. Notre capacité de vendre à l'étranger, tout comme sur le marché intérieur face à la concurrence des importations, se détériore.

Le diagramme 4 contient un autre message important. Les Américains obtiennent une croissance de productivité plus forte et elle est relativement proche de la hausse des salaires. Les hausses de salaire y sont par conséquent plus durables. C'est moins vrai au Canada. Nous ne pouvons tirer fierté du fait que nos hausses de salaire sont presque équivalentes à celles des États-Unis. Elles sont trop rapides relativement à la croissance de notre productivité.

Ce diagramme montre également le dernier élément significatif des années 90, soit l'effet du taux de change sur le commerce et la compétitivité. Bien que notre dollar ait légèrement augmenté au début des années 90, il a chuté en moyenne d'environ 2,4 p. 100 par an depuis 1989. C'est pourquoi notre coût de main-d'oeuvre unitaire exprimé en dollars US a baissé de 1,3 p. 100 par an, alors qu'il a augmenté de 0,7 p. 100 aux États-Unis. C'est pourquoi la quatrième barre pour le Canada est située en dessous de la ligne. Il y a, en moyenne, une baisse chaque année.

• 1650

Durant les années 90, nous avons certes enregistré des résultats commerciaux remarquables qui ont engendré de nombreux emplois dans le secteur manufacturier, mais l'analyse précédente prouve que cette situation favorable ne peut pas durer car elle repose par trop sur la dévaluation de notre monnaie.

Il est également logique de conclure que cette situation cache un problème fondamental, celui de l'affaiblissement de la compétitivité de nos industries de fabrication. C'est la partie du débat sur laquelle le Conference Board se concentre.

En cette fin de décennie 1990, une évidence s'impose, à savoir que nous avons bâti notre maison sur des fondations quelque peu fragiles. La baisse de notre monnaie a permis aux fabricants canadiens de laisser déraper leurs coûts, comparativement à leur productivité. C'est indiscutable et cela se reflète dans nos coûts de main-d'oeuvre unitaires qui augmentent plus rapidement qu'aux États-Unis.

Je conclurais avec quelques remarques sur les possibilités d'amélioration, et je le fais non plus dans le contexte des chiffres, mais plutôt dans celui d'une perspective historique.

Au cours des 20 dernières années, des quantités de recherches ont été effectuées sur les sources de la croissance de productivité et sur les raisons pour lesquelles nos fabricants accusent un retard sur les Américains. Les principales conclusions sont parues dans le rapport P et P de 1996 et intéressent les phénomènes suivants.

Tout d'abord, le rythme de la restructuration industrielle a été plus lent dans notre pays qu'aux États-Unis. Nous ne nous sommes pas lancés aussi rapidement dans les industries à forte croissance de productivité que les Américains. En outre, la contribution de nos dépenses de R-D à la croissance industrielle a été plus faible au Canada qu'aux États-Unis. Nos processus d'innovation, notre structure industrielle, notre structure de propriété et le rythme de l'innovation au Canada, tous ces facteurs peuvent être améliorés. De manière générale, ils ont évolué plus lentement qu'aux États-Unis.

En outre, l'économie américaine est tout simplement plus souple en raison de sa taille, de sa diversité et de la solidité de ses liens commerciaux avec d'autres pays. L'appréciation du dollar américain ces dernières années a obligé les entreprises américaines à innover et à s'adapter rapidement.

Ces analyses sont surtout des analyses macro-économiques portant sur la structure de l'économie et sa composition sectorielle. Elles laissent de côté les facteurs micro-économiques qui déterminent la productivité des entreprises individuelles, c'est-à-dire le palier où les solutions devront être trouvées. Ces recherches sont publiées dans la littérature sur la gestion, là où l'efficacité organisationnelle et la capacité d'innovation gestionnaire sont les principaux sujets d'étude.

Dans le rapport de 1998 sur la performance et le potentiel, nous soulignions l'importance des techniques de gestion des ressources humaines qui permettent d'aligner les motivations des employés sur celles de l'organisation et contribuent à engendrer ce que nous appelons «un environnement propice à l'invention».

Les systèmes d'innovation qui encouragent la prise de risque et assurent le transfert rapide des nouvelles idées sur le marché représentent des éléments majeurs que tout fabricant moderne, de n'importe quel pays, doit mettre en place. Les organisations hautement productives sont celles capables de générer une valeur économique supplémentaire grâce à l'innovation au niveau de produits, des mécanismes et structures organisationnels et des comportements. Ce sont là des éléments de l'efficacité organisationnelle plus flous et plus difficiles à mettre en place mais qui sous-tendent l'accroissement de la productivité.

En dernière analyse, nous n'avons pas trouvé de panacée. Il est clair que de nombreux facteurs influent sur notre capacité d'ensemble à produire des biens de manière efficiente, et ils englobent l'efficacité organisationnelle tout comme le cadre politique dans lequel fonctionnent les organisations et qui est établi par les pouvoirs publics.

Je vais conclure avec trois généralisations.

Au niveau organisationnel, l'efficacité des personnes dépend de leur compétence de base. Nous parlions de cela dans nos rapports de 1996, 1997 et 1998. L'éducation, la réduction du taux d'abandon scolaire, la formation en entreprise et les programmes d'alphabétisation des adultes sont des choses qui importent au niveau organisationnel. On ne peut négliger non plus la conscience professionnelle, le fait d'effectuer une journée de travail honnête en échange d'un juste salaire.

Deuxièmement, dans le contexte de la gestion canadienne, la capacité des gestionnaires d'innover et de mettre au point de nouveaux produits représente sans doute l'élément le plus difficile à mesurer et à évaluer. Les gestionnaires doivent savoir trouver rapidement de nouveaux débouchés, changer rapidement et avoir la confiance et la capacité de s'imposer face à leurs concurrents. Il ne faut pas perdre de vue les capacités de gestion dans notre recherche de moyens pour améliorer nos résultats.

Troisièmement, et vu le lieu où nous nous trouvons, j'ai jugé utile de dire quelques mots sur les pouvoirs publics.

Les politiques gouvernementales ont évidemment un effet important, puisqu'elles façonnent le cadre dans lequel l'activité commerciale se déroule. Les gouvernements peuvent entraver l'esprit d'entreprise et le font souvent, en imposant des règlements et des contraintes juridiques qui font obstacle au changement et à l'innovation dans les entreprises de toute taille, pas seulement les grandes. Ils peuvent saper la motivation à livrer concurrence en protégeant et limitant des marchés. Ils peuvent taxer les intrants tels que la main-d'oeuvre et le matériel, et ainsi dissuader l'investissement.

• 1655

Merci de votre attention. Je terminerai avec juste un petit paragraphe de plus.

Les dirigeants canadiens, s'ils sont avisés, s'attaqueront avec la dernière énergie à l'amélioration de la productivité. Ils feront tout pour établir des indicateurs rationnels au sein de leurs organisations, des indicateurs adaptés à leur entreprise et comparables à ceux d'autres organisations. Sinon, ils risquent leur tête. C'est vrai que l'on soit dirigeant syndical, président de société ou salarié. Nous pensons que l'édification d'une culture de la productivité représente un défi énorme pour l'industrie canadienne. Pourtant, c'est le seule moyen d'atteindre notre objectif, soit un niveau de vie élevé pour le long terme.

Je vous remercie de votre attention. Je suis impatient de prendre part à la discussion.

Le président: Merci, monsieur Frank.

Nous passons maintenant au représentant du C.D. Howe Institute, M. Daniel Schwanen. Bienvenue.

M. Daniel Schwanen (économiste, C.D. Howe Institute): Merci beaucoup.

Je suis ravi d'être ici. Il me sera difficile d'ajouter du nouveau à ce qui a déjà été dit par les six excellents panélistes qui m'ont précédé.

On nous a beaucoup parlé de l'importance de la productivité. Tout cela a été bien couvert. La productivité est liée—et c'est peut-être une évidence mais ce lien démontre l'effet des résultats commerciaux de notre économie. Il y a des enjeux non commerciaux dans la société et dans l'économie, mais lorsque l'on parle de salaires et de recettes fiscales, ces éléments sont inextricablement liés à notre productivité, comme on vous l'a certainement déjà expliqué.

On nous a également dit qu'il faut être prudent avec les comparaisons internationales. Néanmoins, on s'accorde à dire que sur la base des indicateurs généralement acceptés, nous sommes en retard sur les États-Unis. Par ailleurs, les États-Unis étant bien sûr notre principal débouché et concurrent, cela va sans dire, le facteur concurrence est souvent négligé.

Pour ce qui est des taux de croissance, en dépit de maintes politiques, qui visaient presque explicitement dans certains cas l'amélioration de notre productivité—par exemple, le libre-échange, la lutte contre l'inflation, même les coupures budgétaires—nous n'avons certainement pas vu d'amélioration de la performance canadienne relativement à celle des États-Unis. C'est assez évident.

Jim Frank a indiqué que le problème tient en partie à ce que l'industrie canadienne n'est peut-être pas aussi agile lorsqu'il s'agit d'occuper des créneaux à forte productivité. Nous le faisons avec peut-être moins d'agilité que l'industrie américaine. J'aimerais ajouter quelques mots à cela.

J'ai effectué... Vous pourriez appeler cela des calculs détaillés griffonnés sur le dos d'une enveloppe, et ce n'est donc pas un travail achevé. Néanmoins, j'ai pris la structure sectorielle du Canada, l'ai divisée en 61 secteurs que j'ai surimposé sur... Donc, la composition de l'industrie canadienne comparée à l'américaine—cette dernière avec un secteur automobile surdimensionné car elle vend davantage de sa production au Mexique, et la nôtre toujours avec un gros secteur automobile, par exemple, et bien sûr l'importance de notre secteur des ressources et de la transformation des ressources.

J'ai donc surimposé la structure sectorielle canadienne à celle des États-Unis pour déterminer la croissance de la productivité industrie par industrie et essayé d'entrevoir quelle partie du retard canadien est dû simplement au fait que nous n'avons pas su occuper les secteurs à forte croissance de la productivité. Si les États-Unis avaient eu la même structure sectorielle que nous, eux aussi auraient enregistré une moindre croissance de la productivité globale.

Tout cela est un travail préliminaire et suppose que tous les autres facteurs soient égaux. Mais je suis parvenu à la conclusion qu'au cours des dix dernières années nous avons perdu jusqu'à 0,4 p. 100 par an de croissance réelle de la productivité simplement parce que nous occupons les mauvais secteurs. Si l'économie américaine avait eu la même composition sectorielle que nous, elle n'aurait pas non plus enregistré d'aussi bons chiffres.

• 1700

Il n'est pas question pour nous, c'est ma conviction, de singer les États-Unis. Nous n'avons pas toujours à briller dans les mêmes secteurs qu'eux. Néanmoins, il faut se demander si nous sommes assez agiles pour occuper des créneaux connaissant des gains de productivité rapides ou, dans certains cas, une croissance de prix rapide sur le marché international, laquelle elle aussi se répercute sur le niveau de vie. À l'heure actuelle, nous semblons de nouveau coincés dans la construction automobile et les ressources naturelles, beaucoup plus que les États-Unis.

Je pense donc que c'est un facteur très important et représente peut-être un contexte dans lequel inscrire notre problème. C'est un problème fondamental de la dynamique de l'économie canadienne, à savoir avons-nous l'agilité voulue pour occuper des créneaux à forte croissance de productivité, qui peuvent être des créneaux dont nous n'avons jamais entendu parler. Comme je le disais, nous ne sommes pas obligés de copier les États-Unis.

On a évoqué un certain nombre de dimensions internationales de la productivité que j'aimerais aborder, encore une fois en espérant tout simplement ajouter du neuf à ce qui a été dit. Tout d'abord, il y a l'Accord de libre-échange, qui était censé contribuer à notre productivité dans le secteur manufacturier. Cela a-t-il été le cas? Le travail de Daniel Trefler et d'Andrew Sharpe semble donner une réponse affirmative. L'Accord de libre-échange semble avoir été un facteur positif pour notre productivité. Cela implique évidemment que d'autres facteurs nous ont retenu. On peut isoler l'ALE comme une influence positive, mais globalement nous n'avons pas vraiment bougé.

Je suis allé un peu plus loin que l'agrégat et me suis demandé si l'ALE aurait aidé le Canada à se spécialiser quelque peu dans les industries à forte croissance de productivité du marché américain. Encore une fois, c'est un travail préliminaire, mais j'ai quelques chiffres qui donnent à penser que nos exportateurs se sont spécialisés sur le marché américain, comparé à tous les autres pays, dans les domaines où il y a croissance rapide de la productivité. Donc, le libre-échange nous a effectivement aidés à percer dans des domaines tels que l'industrie alimentaire, où nous nous sommes spécialisés beaucoup plus sur le marché américain. Nous avons effectué là des percées majeures. C'est une industrie qui a enregistré une croissance rapide de productivité, plus rapide que la moyenne canadienne. La même chose est vraie pour l'industrie du papier, où nous avons percé sur le marché américain avec le carton et les papiers fins, etc., à l'exclusion de la pâte et du papier journal.

Je précise que cela n'est pas lié au dollar. J'ai utilisé l'indicateur de l'avantage comparatif révélé, qui est indépendant du dollar. Ce n'est pas non plus relié au gonflement des importations américaines. C'est réellement et véritablement une indication des secteurs dans lesquels nous nous spécialisons sur le marché américain, comparativement à celui d'autres pays.

Voilà donc un autre secteur de l'économie qui a connu une croissance de la productivité plus rapide que la moyenne.

C'est la même chose pour les textiles et les produits chimiques. Nous avons fait d'importantes percées sur le marché américain dans un secteur qui a lui aussi été libéralisé par l'accord de libre-échange. Ce sont tous des secteurs dans lesquels nous étions autrefois confrontés à des barrières tarifaires qui ne sont aujourd'hui plus. C'est également un domaine qui a connu des gains plus rapidement que la moyenne, plus rapidement que l'économie dans son ensemble. C'est la même chose pour les télécommunications de bureau, les instruments de précision et différentes catégories de matériel et d'outillage.

En attendant un examen formel de ces chiffres—encore une fois, c'est un travail en cours, et je vais certainement distribuer ceci à nombre de mes collègues ici pour recueillir leurs opinions—je pense qu'il est juste de dire que vous pouvez retracer certains effets bénéfiques sur la croissance de la productivité, pas seulement dans l'ensemble mais également secteur par secteur, et nous avons en vérité pu augmenter notre spécialisation dans ces secteurs à forte productivité grâce au libre-échange.

• 1705

La question devient alors la suivante: si le libre-échange a été utile, pourquoi continuons-nous d'être retenus en arrière? Cela est en partie dû au fait que, comme je l'ai mentionné, nous dépendons très largement de ces secteurs qui, même aux États-Unis, n'ont pas connu une forte croissance côté productivité.

Deuxièmement, il y a l'hypothèse des fabricants paresseux. Est-ce vraiment une hypothèse sérieuse que celle selon laquelle notre productivité manufacturière a souffert parce que nos fabricants ont pu se cacher derrière un dollar bon marché et qu'ils n'ont de ce fait pas vécu autant de concurrence? Ils pourraient opter pour des prix plus bas sur le marché américain au détriment des revenus canadiens, au lieu d'améliorer l'efficience de leurs opérations. C'est une hypothèse sérieuse et il y a des personnes sérieuses qui la formulent.

Un petit avertissement ici. Cela ne cadre pas vraiment avec l'observation voulant qu'il y ait des différences très marquées entre les secteurs sur le plan de leur performance comparativement aux États-Unis. Si le faible dollar avait vraiment une forte influence négative sur l'augmentation de la productivité au Canada, étant donné l'orientation exportations du gros de notre secteur manufacturier, on aurait tendance à voir cet effet d'un bout à l'autre. Au lieu de cela, notre performance sur le plan productivité ne semble traîner de l'arrière que dans quelques secteurs. Si vous croyez dans cette hypothèse, en un sens, il vous faut également croire que certains secteurs sont plus paresseux que d'autres. Je ne sais trop comment cela s'intègre dans l'ensemble, étant donné qu'il y a toujours une concurrence féroce pour une vaste gamme de produits manufacturés et que tous les secteurs auraient dû être touchés de la même façon par le faible dollar. Je simplifie un petit peu les choses ici.

Il a été évoqué la question de savoir si l'on attire trop ou pas assez d'investissement étranger direct. Dan a mentionné cela dans la perspective de savoir si nous n'avons pas trop d'investissement étranger direct. Je pense qu'il a clairement dit que non, car les sociétés étrangères au Canada ont une très bonne performance sur le plan productivité comparativement aux sociétés canadiennes. Je me retourne donc et je pose la question suivante: n'avons-nous pas suffisamment d'investissement étranger direct? Je ne le pense pas. Je ne pense pas que l'on ait de difficulté à attirer de l'investissement étranger direct. Si l'on en a, c'est sans doute un symptôme du manque de séduction de l'investissement au Canada, étant donné notre performance en matière de productivité. Mais le fait que nous n'ayons pas suffisamment d'investissement étranger direct au Canada n'est pas vraiment une cause de notre faible performance sur le plan productivité.

Tout le monde a vu les graphiques. Je vais examiner un petit peu les graphiques montrant que la part canadienne de l'investissement étranger direct total en actions a en fait reculé au cours des 20 dernières années comparativement aux États-Unis et au Mexique.

Il y a eu, pendant cette période, un important afflux en Amérique du Nord d'investissements étrangers directs en provenance d'Europe et du Japon. Très peu de ces investissements intéressent en fait de nouvelles implantations, mais une part importante a servi à l'acquisition de nouvelles sociétés, dont bon nombre sur le marché américain. Il y a 20 ans, le marché américain était sous-investi par les investisseurs étrangers. Les États-Unis avaient tendance à être un exportateur de capital et non pas un importateur, mais cela a beaucoup changé.

Je vais faire le calcul que voici: si nous avions maintenu notre part de l'investissement étranger direct sur cette période, l'investissement étranger direct au Canada serait à l'heure actuelle équivalent à bien plus que 50 p. 100 de notre PIB. Il nous faudrait donc doubler ou tripler le niveau d'investissement étranger direct que nous affichons à l'heure actuelle. Il y a donc clairement là un problème.

Lorsque nous examinons les tendances en matière d'investissement étranger direct, je pense, bien simplement, qu'un facteur est que le Canada comptait déjà beaucoup d'investissement étranger il y a 20 ans, et depuis, les investisseurs ont été davantage attirés par l'achat d'entreprises existantes, par exemple, sur le marché américain, qui était sous-investi.

Je ne pense pas qu'il nous faille accorder trop d'attention à l'explication IÉD en tant que telle, étant donné surtout que d'après les recherches faites par Don Daly et d'autres, nos grosses sociétés manufacturières et autres, comparativement aux sociétés américaines implantées au Canada, et qui ont tendance à être grosses, semblent avoir une performance beaucoup plus comparable sur le plan productivité. Par conséquent, lorsque vous comparez de grosses sociétés canadiennes à de grosses sociétés américaines, il y a beaucoup plus de comparabilité à ce niveau-là.

• 1710

Là où il ne semble pas y avoir beaucoup de comparabilité, encore une fois sur la base des travaux de recherche effectués par d'autres, est du côté des petites sociétés. Les petites sociétés américaines sont beaucoup plus dynamiques; elles bougent beaucoup plus rapidement en vue de devenir des sociétés de taille moyenne.

Nous avons ici au Canada une économie qui a beaucoup plus la forme d'un sablier. Nous avons beaucoup de petites sociétés, qui, peut-être par coïncidence, arrivent à un niveau de revenu de 200 000 $ et ne grossissent plus. Et, que ce soit parce qu'elles ont accès à un plus gros marché, que ce soit à cause d'autres facteurs comme par exemple la culture de l'esprit d'entreprise, le régime fiscal ou autre, les Américains semblent faire pousser des sociétés plus rapidement et mieux que nous.

Il y a donc des travaux de recherche selon lesquels notre problème est là, plutôt que si vous comparez une grosse usine canadienne avec une grosse usine américaine.

Permettez-moi de passer rapidement en revue un certain nombre d'autres facteurs qui ont été mentionnés. Avons-nous un problème avec ce qu'Arnold Harberger, qui est l'un des grands étudiants du processus de croissance, appelle le facteur levure? Il divise la croissance de la productivité entre les facteurs levure que sont la R-D, l'éducation, le capital social, et peut-être même l'infrastructure, et le facteur champignon. Le facteur champignon est un le fait qu'en vérité une part importante de la productivité en croissance semble passer d'un secteur à un autre même dans le cas de secteurs qui ont une intensité semblable en matière de R-D et où les employés ont une formation semblable. Ce que vous constaterez est qu'il y a des périodes au cours desquelles un secteur fait tout d'un coup un bond en avant et les autres ne semblent pas pouvoir suivre.

D'importants travaux de recherche montrent également qu'à l'intérieur de tout secteur, il est un fait que certaines sociétés avancent, peu importe qu'elles aient la même intensité sur le plan R-D et peu importe que leur capital humain soit comparable.

Certaines recherches effectuées par Pierre Tremblay chez CIRANO montrent que cela vaut même si vous comparez des fabriques de papier au Canada et des fabriques de papier en Inde. Vous aurez exactement le même schéma. Pour une même activité de R-D, pour un personnel de même formation, pour un même environnement concurrentiel, certaines sociétés se débrouilleront bien et d'autres pas. C'est ce que Harberger appelle le facteur champignon. Cela nous ramène à l'organisation des sociétés et aux facteurs qui empêchent certaines d'entre elles de faire de l'expérimentation. J'aimerais vous parler plus longuement de cela si vous voulez.

En gros, si l'on prend tout simplement les facteurs levure, je ne suis pas convaincu que nous soyons si défavorisés que cela. Bien sûr, il y a des chiffres montrant que les dépenses du Canada en matière de R-D sont inférieures à celles d'autres pays. Encore une fois, ces chiffres montrent que ce n'est pas le cas pour ce qui est des grosses sociétés. J'imagine donc, par implication, que c'est le cas pour ce qui est des petites sociétés. Encore une fois, il semble que ce soit un problème pour les sociétés petites et moyennes, et ce n'est pas nécessairement le cas que les grosses entreprises au Canada n'investissent pas beaucoup dans la R-D.

Selon certaines études, nous avons ici au Canada les incitations fiscales les plus généreuses au monde en matière de R-D, en tout cas parmi les pays membres du G-7. Il est donc clair que là où une capacité intérieure, indigène en matière de R-D lui fait défaut, le Canada a la capacité d'absorber la technologie en provenance du reste du monde, ce grâce en partie à notre ratio élevé d'investissement étranger direct. Nous pouvons ainsi parer à notre manque de R-D intérieur en adoptant des innovations de l'étranger, si c'est ce que veulent faire les entreprises ici.

Je pourrais suivre le même raisonnement, avec néanmoins un petit peu moins de certitude. Il me faut m'en remettre au travail qu'ont effectué des experts dans ces autres domaines. L'infrastructure, l'éducation, le capital social... avons-nous des manquements sur le plan de ces facteurs levure comparativement aux États-Unis? Je conclurais provisoirement que non, pas vraiment, ou en tout cas pas assez pour expliquer cet écart dans la productivité.

Cela nous ramène donc à la question de savoir comment nous pouvons modifier la composition. Comment pouvons-nous offrir aux entreprises un environnement qui leur permette de se lancer dans ces domaines à forte productivité au lieu de rester prisonnières de secteurs à faible productivité? Pourquoi ne pas examiner les facteurs qui empêchent les petites entreprises de devenir des entreprises de taille moyenne et d'être aussi productives que leurs pendants américains, car apparemment, c'est là un gros morceau du problème.

• 1715

Dan Trefler a en fait mentionné à très juste titre nos avoirs, sociaux, éducatifs et autres. Comment transformer nos avoirs en une activité productive ici au Canada et employer des Canadiens, au lieu de peut-être vendre cette belle recherche à l'étranger?

En matière de R-D, nous avons vu une amélioration de notre balance commerciale pour ce qui est des royalties, de la R-D et des brevets que nous avons envoyés à l'étranger, par opposition à ceux que nous avons achetés de l'étranger, si bien sûr nous pouvons croire les chiffres.

Je pense donc que la question fondamentale est celle de savoir comment transformer ces avoirs en une activité économique productive ici au Canada. C'est pourquoi je suis heureux de me limiter aux facteurs internationaux. Je ne pense vraiment pas que ce soit dû aux obstacles au commerce qui demeurent.

Il reste en fait d'importantes barrières commerciales entre le Canada et les États-Unis en matière d'approvisionnement, de mesures antidumping et de règles d'origine. Nous ne devrions pas oublier ces facteurs. Il est un fait qu'un grand nombre de petites sociétés préfèrent payer un tarif et s'occuper de toute la paperasse pour prouver que leurs produits sont nord-américains afin d'être admissibles au tarif zéro en vertu de l'ALENA.

Il demeure donc des barrières tarifaires entre le Canada et les États-Unis. Celles-ci empêchent des sociétés canadiennes de croître. Nous ne devrions pas oublier ces facteurs, mais je ne pense pas qu'ils soient critiques. La libéralisation qui reste à accomplir ne pèse pas trop lourd comparativement au succès que nous avons eu avec les accords de libre-échange avec les États-Unis.

Comme je l'ai déjà expliqué, je ne pense pas que le dollar soit un facteur important, mais la question plane toujours. Peut-être que notre ouverture à l'investissement étranger direct n'est pas suffisante, mais là où il reste encore des entraves au commerce, c'est parce que nous avons des raisons politiques supérieures. Nous voudrons peut-être discuter de ce que sont ces raisons politiques pour ce qui est de la culture, des télécommunications, et ainsi de suite.

De façon générale, l'ouverture du Canada à l'investissement étranger direct a augmenté au cours des dernières années, et en fait, d'autres pays, comme par exemple les États-Unis, ont eux aussi des barrières à l'investissement étranger direct. Lorsque vous comparez ces facteurs et les facteurs levure que j'ai mentionnés entre le Canada et les États-Unis, je ne suis pas convaincu que ceux-là expliquent vraiment notre mauvaise performance en matière de productivité, ou en tout cas les raisons pour lesquelles nous ne rattrapons pas notre retard. Et cela nous laisse des facteurs davantage nationaux, et je serais heureux de m'en remettre à d'autres pour ce qui est de savoir si les impôts et d'autres facteurs sont en fait les véritables obstacles à la croissance, et non pas des facteurs internationaux. Je limiterai donc mes observations aux facteurs internationaux.

Le président: Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à la période des questions. Nous allons commencer avec M. Epp, pour une ronde de dix minutes.

M. Ken Epp (Elk Island, Réf.): Merci beaucoup. J'ai trouvé les présentations très intéressantes. J'aurai un certain nombre de questions relativement sérieuses à poser.

J'ai l'impression que lorsque nous parlons de la productivité, la définition nous échappe quelque peu. Je sais que nous avons commencé nos réunions table ronde il y a deux semaines en essayant de définir ce qu'est la «productivité». Or, je continue de voir différents graphiques, différents chiffres déposés par différents témoins, et qui mènent à des conclusions très différentes. Peut-être que cela souligne tout simplement ce que je me souviens d'avoir lu il y a quelque temps, soit que si vous prenez 100 économistes et leur posez à tous la même question au sujet d'une quelconque politique économique importante, vous recueilleriez vraisemblablement entre 200 et 300 réponses. Peut-être que c'est là le problème.

La question que j'aimerais maintenant poser s'adresse à M. Baldwin. Il parlait de productivité multifactorielle, mais tous les graphiques parlaient de taux de croissance au lieu de la valeur absolue de la productivité, chose que personne, me semble-t-il, n'a voulu définir ici. Nous ne parlons pas de productivité. Un instant; si. C'est là le terme que nous employons, mais, invariablement, les témoins ont tous parlé des taux de croissance de la productivité. C'est là que réside le petit hic mathématique potentiel dans notre perspective, et j'entends par là non seulement celle des autres membres du comité, mais également celle des Canadiens.

Par exemple, je pourrais être dans une course automobile. Si j'augmente ma vitesse de 100 kilomètres à l'heure à 120 kilomètres à l'heure, c'est là une augmentation de 20 p. 100. Selon vos mesures, je me débrouille clairement mieux que le type qui fait 200 kilomètres à l'heure et qui n'augmente sa vitesse que de 20 kilomètres à l'heure, pour une augmentation de 10 p. 100. Je suis meilleur que lui. Je montre certainement une meilleure amélioration. Mais en valeur absolue, ma productivité et ma progression vers un objectif sont de loin derrière les siennes. Et si je prends un peu de recul et regarde où nous sommes sur la piste, je constate que, cumulativement, il a déjà 40 kilomètres d'avance sur moi. Si je donne à cela une autre tournure statistique, si je puis dire, pour montrer que je me débrouille vraiment très bien, que je me porte à merveille, cela vient embrouiller les choses.

• 1720

J'aimerais connaître vos réactions à cela, en commençant par M. Baldwin, mais j'invite tous les autres à intervenir également.

M. John Baldwin: Nous avons, dans nos graphiques, parlé du taux de croissance de la productivité car, comme je l'ai indiqué la dernière fois, nous pensons pouvoir mesurer de façon raisonnablement précise l'envergure des progrès que nous avons faits dans ce domaine. Ce sont ces chiffres que vous avez devant vous. Réalisons-nous des progrès relativement à ce que nous avons fait par le passé? Nous pouvons vraisemblablement mesurer cela de façon raisonnablement juste. Réalisons-nous des progrès relativement aux progrès faits par d'autres pays? Cela est plus difficile à déterminer, mais la plupart des personnes autour de cette table s'y sont essayés.

Comme je l'ai dit la dernière fois, cette mesure, même prise séparément, n'est qu'une des nombreuses mesures que vous voudrez utiliser pour évaluer votre situation. Vous avez entendu d'autres autour de cette table dire que nous voulons savoir, de façon absolue, comment nous nous situons relativement aux Américains. Pour reprendre votre analogie, nous voulons savoir où nous sommes sur la piste de course.

Il est en effet important de savoir si nous accusons un retard d'un tour ou de deux, mais il est également important de savoir si nous augmentons notre vitesse par rapport aux Américains. Dans la négative, nous n'allons clairement jamais les rattraper, et si nous reculons par rapport aux Américains, nous allons très certainement prendre de plus en plus de retard.

Ce sont toutes là d'importantes données à réunir, à mon avis, et il est important pour la plupart des gens de faire ces évaluations.

D'autres ont parlé ici aujourd'hui d'utiliser une plus large mesure de la productivité et des mesures qui ne sont pas aussi faciles à réunir pour des agences statistiques. Lorsque Fred et Jim parlent du système d'innovation, ils parlent de tableaux beaucoup plus exhaustifs que ne pourraient produire de simples mesures globales de productivité. Et ces tableaux exhaustifs résulteraient de plus que de simples taux de changement dans la productivité. Ils résulteront également de plus que de simples constats d'écarts de niveau entre le Canada et les États-Unis, que l'on parle de production par travailleur ou de PIB par tête d'habitant.

La profession, qu'il s'agisse d'économistes néo-classiques ou d'observateurs de l'économie, a commencé il y a 20 ans à se demander s'il n'y avait pas un tableau plus exhaustif à mettre au point en ce qui concerne le type d'activités d'innovation que l'on essaie de saisir avec les mesures de productivité. D'aucuns ont tenté d'aller au-delà des simples chiffres globaux de productivité pour comprendre la nature de la dynamique qui opère à l'intérieur des industries, et plusieurs références à ce sujet ont été citées.

Ma propre division de recherche à Statistique Canada s'est efforcée de comprendre si les petites sociétés sont un problème ou si les grosses sociétés sont des sauveurs en examinant la micro-économique du changement à l'intérieur de ces systèmes.

Le groupe de science et technologie de Sciences Canada et d'autres services statistiques ailleurs dans le monde se sont efforcés de cerner de façon plus exhaustive la situation des sociétés et de leur pays sur le plan innovation. Ils essaient de mettre ensemble les morceaux qui contribuent à déterminer ce qu'il nous faut pour assurer le progrès, à déterminer, ce dont parlait Daniel, pour quelles raisons certaines entreprises s'épanouissent et d'autres pas.

Diverses enquêtes et recherches, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des gouvernements, ont porté sur la nature des conditions qui semblent contribuer à la réussite, définie de façon large, que cette réussite soit la croissance de la société ou l'innovation. Et dans ce sens, je pense que les statistiques plus étroites en matière de productivité qui sont en train d'être utilisées sont utiles, mais seulement dans ce contexte plus large. C'est de l'innovation et de l'agilité que nous parlons généralement ici: la façon dont de nouveaux produits sont mis au point, la façon dont ils sont lancés rapidement sur le marché et la façon dont nous en tirons profit. Et cela exige une vision plus large.

• 1725

M. Ken Epp: Juste avant que les autres réponses ne soient données, je...

Le président suppléant (M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.)): Je pense que M. Frank voulait faire une brève intervention au sujet de la même question. Je pense que cela vous serait utile.

M. Jim Frank: Oui. Soucieux que je suis de ne pas prendre trop de temps, très rapidement, donc, je ne pense pas qu'il y ait de sérieux différend entre professionnels oeuvrant dans ce domaine quant à ce que nous entendons par productivité. Nous voulons dire par là la production par unité de moyens de production. Et la façon la plus simple de mesurer la production est en règle générale d'évaluer la valeur ajoutée. Cela nous dit ce qu'est produit dans une industrie, net des intrants et des extrants de cette industrie. C'est la valeur ajoutée dans une industrie manufacturière.

Les intrants que j'ai utilisés dans ce que j'ai présenté ici ce sont les heures travaillées. C'est là la formule la plus simple, bien qu'il y ait beaucoup de problèmes si nous voulons examiner la façon dont sont mesurées les heures travaillées, ainsi que la qualité, et ainsi de suite. Si l'on s'est tant inquiété, si vous voulez, au cours des derniers mois relativement à cette question, c'est que la mesure des intrants, tout particulièrement le capital, est extrêmement complexe. Et c'est encore plus complexe lorsque vous tentez de faire cela entre pays dotés de différents régimes d'amortissement, systèmes comptables, etc. C'est tout simplement un exercice très compliqué.

Je pense que ce qu'a fait Statistique Canada dans le domaine de la productivité multifactorielle est la bonne chose à faire. En d'autres termes, c'est de cette façon, en principe, que l'on veut mesurer ce genre de chose. La préoccupation que j'ai en tant qu'observateur est que tout cet exercice, dans le cadre duquel on s'efforce de comprendre ce que signifie la productivité et comment faire pour essayer d'améliorer notre performance, se perd dans la discussion au sujet des décimales.

Je suis très conscient du fait que les données sont révisées littéralement chaque mois, et non toutes les quelques années, parfois à fond et parfois de façon moins approfondie. Par ailleurs, notre compréhension de ces questions ne cesse de s'améliorer. Je pense néanmoins qu'il est généralement convenu que, dans l'ensemble, les industries canadiennes sont moins productives, nos taux de croissance ont été plus faibles que ceux enregistrés aux États-Unis ces dernières années, et nos niveaux sont inférieurs aux niveaux américains. Certaines industries se débrouillent aussi bien, voire mieux que leurs pendants américains, d'autre part.

C'est une question très complexe, semée de quantité de divergences d'opinion quant à l'importance du concept, la façon de s'y prendre pour le mesurer, et ainsi de suite. Ce que vous entendez donc aujourd'hui, ce n'est pas tant qu'il y a beaucoup de différences sur ce à quoi correspond le concept, mais qu'il y a des différences dans la façon de mesurer les différents intrants, le capital en étant le principal.

M. Ken Epp: Je reviens à votre question, et je veux reprendre ce que disait M. Baldwin, car j'aimerais une réponse de lui.

Lorsque je conduis ma voiture, je peux juger de mon accélération directement ou indirectement. Je peux noter ma vitesse et, au bout d'un certain temps, regarder de nouveau mon compteur de vitesse, prendre la différence et calculer le taux moyen d'augmentation de ma vitesse, et ce sera là mon accélération. Je peux également faire monter dans ma voiture un accéléromètre, qui fonctionne à la gravité, et de cette façon, peu importe à quelle vitesse je roule, je connaîtrai mon taux d'accélération.

J'aimerais que vous répondiez à la question suivante: jugez- vous le taux de changement de la productivité directement en examinant deux niveaux de productivité correspondant à deux moments différents, ce qui reviendrait à convenir que vous pouvez en fait mesurer la productivité, ou bien utilisez-vous une mesure indirecte?

M. John Baldwin: Je ne suis pas certain de comprendre la question.

Lorsqu'un système statistique examine les taux de croissance de la productivité, il ne compare pas un niveau à deux moments dans le temps. Il demande s'il y a ou non accélération.

Cela répond-il à votre question?

M. Ken Epp: Vous mesurez donc indirectement la chose, n'est-ce pas?

M. John Baldwin: Vous la mesurez indirectement si c'est là votre définition de ce qui est indirect.

M. Ken Epp: Très bien. Et savez-vous ce que vous mesurez?

M. John Baldwin: Nous mesurons ce que Jim et les autres ont défini comme étant les changements dans l'efficacité d'une économie dans la production de quelque chose à partir de ses intrants. Et l'on regarde les taux de changement des extrants comparativement aux taux de changement des intrants, pour répondre à votre question.

M. Ken Epp: Très bien.

• 1730

Le président suppléant (M. Paul Szabo): On aura peut-être l'occasion d'y revenir. Nous allons maintenant passer à M. Riis.

M. Nelson Riis (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président. L'après-midi a été absolument fascinante et j'aurais voulu pouvoir poser quelques questions à chacun d'entre vous.

John, j'aimerais revenir, si vous le voulez bien, à votre graphique 24. Ce qui m'a frappé, c'est que Daniel est venu l'an dernier parler des différents secteurs, de la nécessité d'examiner les blocages dans l'économie, de voir pourquoi certains secteurs sont traditionnels et très lents à adopter les technologies de pointe, etc. J'ai remarqué, John, sur votre graphique, que les Américains enregistrent une croissance relativement régulière tandis que chez les Canadiens cela monte et descend, et il y a d'importantes variations. À votre avis, comment cela s'explique-t-il? Pourquoi avons-nous connu de si grandes variations comparativement aux Américains?

M. John Baldwin: Les grandes variations sont imputables à deux facteurs, soit la relative sévérité des récessions et la façon dont les entreprises réagissent sur le plan et de leur investissements et de leurs politiques d'embauche. Si vous regardez le tableau correspondant aux débuts des années 90, ce que vous voyez est un déclin relatif du capital utilisé comparativement à la main-d'oeuvre, et ce sur une longue période de temps; c'est très semblable à la situation au début des années 80. La raison à cela est que pendant une période de temps relativement longue, les fabricants, au sortir de ces récessions, embauchent au lieu d'investir. C'est là une réponse très facile. Quant au pourquoi de cela et du fait que cela s'étire sur autant de temps, ce n'est pas clair.

M. Nelson Riis: Jim, j'ai trouvé que votre présentation a résumé un certain nombre de points que d'autres avaient évoqués. À la page 8, vous parlez des fondations précaires de notre maison qui est soutenue par notre faible dollar, qui nous donne peut-être sur le marché une confiance non justifiée. Cependant, vous poursuivez en parlant des facteurs micro-économiques qui ont une incidence sur la productivité des entreprises et de la nécessité pour nous de mettre davantage l'accent sur les différents joueurs, puis vous parlez du facteur champignon—quel était l'autre?

M. Jim Frank: Levure.

M. Nelson Riis: Les facteurs levure, etc.

Jim, vous avez identifié pour nous quelles sont, à votre avis, les questions sur lesquelles devra se pencher le pays si nous voulons augmenter notre productivité, qu'il s'agisse d'éducation, de capacité de gestion ou autre. Si vous aviez été assis à cette même table il y a six ou sept ans, mettons, et j'imagine que c'était le cas, vous auriez sans doute déposé la même liste. Ce n'est pas une liste magique; ce sont des thèmes assez ennuyeux dont on est au courant depuis longtemps. Selon vous, ou peut-être selon vos collègues, comment se fait-il que nous soyons si lents à réagir dans ce domaine? Il s'agit d'une leçon relativement simple que vous nous rappelez encore une fois. Comment se fait-il que nous ne bougeons pas plus sur les plans formation et éducation et n'investissons pas plus dans la culture de l'innovation?

M. Jim Frank: Je n'ai franchement pas de bonne réponse toute propre et nette pour vous, monsieur Riis.

M. Nelson Riis: Alors donnez m'en une qui est sale; il n'est pas nécessaire qu'elle soit toute propre et nette.

M. Jim Frank: C'est une chose à laquelle j'ai beaucoup réfléchi, car lorsque je suis arrivé au Conference Board en 1976, le premier travail de recherche auquel j'ai participé visait à mesurer la productivité du secteur manufacturier au Canada et aux États-Unis. Si je m'y suis intéressé à l'époque, c'est que nous sortions d'un programme de lutte contre l'inflation, il y avait eu une très forte inflation au Canada et aux États-Unis, notre performance était pitoyable, et tout le monde se demandait comment nous allions renverser la vapeur.

Après y avoir travaillé pendant plusieurs années et discuté avec, littéralement, des milliers de gens d'affaires, j'ai peut-être abandonné le projet, ou peut-être que je m'en suis désintéressé, parce qu'il est devenu très compliqué et difficile. Plus je travaillais avec des organisations différentes, plus il m'apparaissait clairement qu'il y a autre chose que tout simplement compter le capital, voire combien de dollars vous avez dépensés, quel genre d'éducation vous avez et quelle formation vous offrez. Il y a également la nature de l'organisation et son efficacité ainsi que la façon dont les gens travaillent ensemble et les incitations qu'ils ont à tirer dans le même sens, etc.

Au cours de ces 20 années, donc, voilà l'évolution que j'ai vécue dans ce domaine. Je pense que l'expérience accumulée, en tout cas dans mon monde, m'amène à penser que c'est beaucoup une question de leadership, de gestion et d'efficacité organisationnelle, et il vous faut examiner la question au niveau micro pour trouver les réponses.

Nous pouvons nous penser supérieurs, nous pouvons nous moquer des économistes et de la façon dont ils mesurent ces choses, nous pouvons nous moquer des consultants en gestion avec leurs livres genre «parfum du mois», mais au bout du compte, il est très difficile d'améliorer continuellement sa performance car la concurrence ne reste pas immobile.

• 1735

L'ironie de tout cet exercice est que lorsque nous avons de nouveau soulevé cela dans notre rapport P&P de 1996, j'ai été surpris par les réactions. Les gens ont recommencé à en parler, et nous voici donc ici aujourd'hui. C'est devenu, croyez-le ou non, un sujet de conversation de cocktail. C'est formidable, parce que je pense que le Canada doit trouver les moyens d'améliorer le niveau de sa performance—pour revenir sur ce qu'a dit votre collègue—ainsi que le taux de croissance.

Cela ne va pas être facile. Cela nous ramène à toutes ces questions de base, par exemple niveau d'éducation, formation sur le tas, mobilité de la main-d'oeuvre, incitatifs dans le pays pour réussir et se dépasser. Rien de tout cela n'est vraiment compliqué.

Il m'apparaît clairement que la gestion au Canada n'a pas su aussi bien que la gestion américaine changer rapidement et saisir les occasions. Je rejette absolument ce concept de gestion paresseuse, tout comme je rejette celui d'employés paresseux. Cela ne va pas nous aider à progresser relativement à cette question.

M. Nelson Riis: Permettez que je vous interrompe. Je ne sais pas si je fabule, mais il me semble me souvenir de vous avoir entendu dire ces mêmes choses ici il y a quelques années, soit que nos gestionnaires doivent être plus novateurs dans la façon dont ils mobilisent leur capital humain, qu'il nous faut plus d'investissement dans l'éducation et la formation, et bla bla bla. Alors pourquoi ne le faisons-nous pas? Pourquoi ne prenons-nous pas le taureau par les cornes? Pourquoi ne réfléchissons-nous pas à ce que Dan a souligné, soit que lorsqu'on examine différentes entreprises qui font censément les mêmes choses, certaines progressent et d'autres pas? J'aurais pensé qu'on se serait concentré sur la détermination de la matrice qui fait que telle société est novatrice par rapport à une autre.

M. Jim Frank: C'est en grande partie une question de leadership et de gestion à l'intérieur des entreprises. Je soulignerai que si vous examiniez plusieurs sociétés au Canada qui ont eu des difficultés récemment, vous constateriez qu'elles ont fait venir des gestionnaires américains pour corriger la situation. Cela est très troublant, car cela laisse entendre que quelqu'un du sud de la frontière va pouvoir s'établir au Canada pour corriger les problèmes d'une grosse société, tandis que nous, nous n'y parvenons pas. Je pense que c'est là un problème.

Pour inscrire véritablement le débat dans le long terme, pour satisfaire les amateurs d'histoire, je dirais que notre pays a depuis les années 1800 une politique nationale de protection relative de l'industrie. Nous avons encouragé l'investissement étranger ici pour servir le marché canadien. Cette politique a été poursuivie jusqu'à l'avènement de l'ALE.

Il y a eu une libéralisation significative du commerce avec le Pacte de l'automobile, et il est clair que la productivité des travailleurs de l'automobile au Canada est au moins aussi bonne, sinon meilleure, que celle des travailleurs américains. Notre avantage sur le plan coût est encore supérieur à cause, notamment, de la façon dont nous finançons les services de soins de santé.

Nous pouvons donc y arriver, cela est clair. Mais nous avons eu 100 années d'élaboration d'une culture de gestion centrée sur un petit marché. Nous avons défait ces barrières en 1989 ou 1990 avec l'ALE. J'avais pensé à l'époque qu'on allait voir une plus rapide augmentation de la productivité dans le secteur manufacturier, car c'est un secteur que l'on peut mieux contrôler que celui des banques, par exemple. Or, les chiffres qui sortent ne sont pas ceux que l'on aurait s'il y avait eu cette rapide croissance.

Il m'a fallu m'interroger là-dessus et me demander ce qui pourrait expliquer cela. Peut-être qu'il faut plus de temps qu'on ne l'avait pensé pour que le leadership d'en haut apprenne à jouer un jeu différent.

M. Nelson Riis: Il nous faudra attendre qu'un autre niveau de leadership sorte du système.

M. Jim Frank: Absolument. D'une façon ou d'une autre, vous attirez de nouveaux intervenants qui ont grandi avec une perspective différente, du genre: «Je ne vais pas tout simplement vendre mes produits de plomberie en Ontario. Je vais les vendre au Texas et en Louisiane. Il me faut donc me comporter différemment, chercher mes marchés différemment, faire une commercialisation différente, etc.»

Lorsque Canadian Tire s'est lancé aux États-Unis comme détaillant, vous souvenez-vous des résultats? Ils n'étaient pas très bons. Savez-vous qui dirige Canadian Tire aujourd'hui? C'est un Américain. Savez-vous comment Canadian Tire se porte par rapport à Wal-Mart? Il se débrouille très bien, car il a refondu tous ses systèmes de contrôle des stocks, refondu la culture dans les magasins et les systèmes avec lesquels il travaille, de sorte qu'aujourd'hui Canadian Tire est prospère.

Je ne dis pas qu'aucun cadre canadien n'aurait pu faire la même chose, mais vous commencez à vous méfier lorsque vous constatez ce genre de chose.

M. Nelson Riis: Si vous changiez le nom à American Tire, cela se vendrait peut-être mieux.

M. Jim Frank: Peut-être.

M. Nelson Riis: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Riis.

Madame Leung.

• 1740

Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'ai vraiment apprécié toutes vos présentations. Ma première question s'adresse à Daniel Trefler.

J'ai été intéressée par l'une de vos observations. Vous avez suggéré qu'on prévoie peut-être un régime spécial pour les jeunes chercheurs de talent, leur versant 50 000 $ ou autre pour les décourager de s'en aller. Vous trouvez par ailleurs qu'une réduction d'impôts générale ne bénéficierait peut-être qu'aux riches. C'est là une observation très intéressante.

Pensez-vous que le talent mi-carrière est relativement bien enraciné ici? Je me reporte à certains des propos que vous ou quelqu'un d'autre a tenus. Pensez-vous que ce serait là une incitation ou une motivation pour les jeunes scientifiques ou les jeunes chercheurs à rester? Cela suffirait-il? Les gens de la génération du baby-boom ont tendance à être plus matérialistes. Vous parliez d'incitatifs, de crédits fiscaux ou autres. Pensez-vous que ce soit là la façon de stopper le prétendu exode des cerveaux? On n'est pas sûr qu'il y en ait véritablement un, n'est-ce pas? Pourriez-vous répondre à ces questions?

M. Daniel Trefler: Cela s'inscrit dans un contexte. Je suis déchiré, comme quiconque a élevé des enfants est déchiré, entre élever des enfants égocentriques et élever des enfants qui comprennent leurs responsabilités à la maison. Mon objet immédiat avec cette proposition est le suivant: essayer de changer le ton du débat pour passer d'une réduction d'impôt universelle, qui serait extrêmement coûteuse et qui toucherait toutes sortes de personnes qui n'ont vraiment pas besoin de subventions, à une distribution d'argent de façon aussi rapide et aussi ciblée que possible pour favoriser le groupe qui nous intéresse ici. Et je pense que ce groupe est celui des jeunes chercheurs et non pas celui des chercheurs à mi-carrière. Un aspect important est tout simplement l'idée d'éviter de distribuer d'importantes sommes d'argent qui pourraient être utilisées à meilleur escient ailleurs.

Quant à la question de savoir comment amener les jeunes à être davantage sensibles aux besoins du pays, à un moment donné, je pense qu'il sera trop tard pour ce qui est de cette génération. Nous devrions commencer à réfléchir aux jeunes qui ont aujourd'hui qui trois, quatre, cinq et six ans et non plus à ceux qui en ont vingt. Les jeunes qui ont 20 ans, selon toute la documentation en matière de formation qui existe, n'ont aucune envie d'être formés, aucune envie de changer d'attitude. Ils sont détachés de ce qui les entoure. Ils ne sont pas formables. C'est ce que nous indiquent toutes les données dont nous disposons. Reconnaissons que nous avons fait des erreurs, et espérons que ces erreurs n'auront pas des conséquences trop dramatiques. Et ne répétons pas les mêmes erreurs avec le groupe suivant de jeunes qui montent dans le système. Qu'on s'attaque au problème.

Mme Sophia Leung: Merci, monsieur le président. Je suis également très étonnée par le fossé en matière de revenus par tête d'habitant. Depuis toutes ces années, il y a un énorme décalage entre les États-Unis et le Canada. Cela est vraiment très inquiétant. D'autre part, vous avez dit que la productivité inférieure de la main-d'oeuvre est un autre très gros facteur. Pensez-vous que notre système, que la structure de la main-d'oeuvre, ont amené certains de ces problèmes? Je me demande toujours pourquoi le fossé est si grand. Comment pouvons-nous le réduire?

M. Serge Nadeau: En fait, je dois dire qu'à Industrie Canada, nous n'avons pas fait de recherche là-dessus—sur la contribution des rigidités du marché du travail à la productivité inférieure de la main-d'oeuvre. Je ne sais pas, mais peut-être que d'autres membres du panel ici présents ont consacré davantage de temps à cela—Andrew, par exemple.

M. Andrew Sharpe: Pour ce qui est des rigidités du marché du travail, je pense qu'en ce qui concerne certaines industries l'on pourrait dire que les rigidités du marché du travail ont peut-être contribué à la piètre performance en matière de productivité. Par exemple, CN a récemment enregistré d'énormes gains en productivité et la société a beaucoup dégraissé ses effectifs. L'on pourrait arguer qu'il y avait dans le système des rigidités du fait de règlements ou de quantités d'autres raisons, par exemple du recrutement social... Cela a résulté en de très importants gains de productivité dans ce secteur. Il y a peut-être quelques autres secteurs dans lesquels les règlements ont débouché sur une surembauche.

• 1745

Mais, dans l'ensemble, je ne pense pas que notre système de réglementation du marché du travail soit l'une des principales causes de l'écart en matière de productivité que nous accusons par rapport aux États-Unis, ni de notre niveau de vie inférieur. Je pense que cela est davantage lié, à la base, à notre stock de capital. Nous avons en fait en moyenne moins de capital par travailleur au Canada qu'aux États-Unis, et si vous avez moins de capital par travailleur, vous allez avoir un niveau de productivité de la main-d'oeuvre inférieur. Cela est encore une fois lié à l'écart en matière d'innovation dont nous avons parlé. Cela est lié à une vaste gamme de facteurs ainsi qu'à la structure industrielle.

Je pense que nous pourrions trouver des explications de notre retard de 20 p. 100 par rapport à la productivité et au revenu américains. Cela existe depuis toujours. En fait, l'écart était encore plus grand dans l'immédiat après-guerre. Nous avons ensuite réduit l'écart jusqu'à la fin des années 70.

M. Fred Bienefeld: Pour ajouter à ce qu'Andrew vient de dire, la Banque mondiale a chargé Richard Freeman, de l'université Harvard, de faire une étude sur cette question, de résumer les preuves concernant la prétention que les rigidités du marché du travail contribuent à une perte importante d'efficience, car cela joue un rôle important dans les relations de la banque avec les pays en développement.

Freeman a écrit un article passionnant dans lequel il a plusieurs fois répété qu'en lançant l'étude, il avait pris comme donnée de départ qu'il allait trouver beaucoup de ces preuves et il se proposait de les résumer dans son rapport. Mais dans l'exécution de son étude, il a été en fin de compte incapable de trouver de preuves significatives à l'appui de cette hypothèse. Il y avait certaines preuves en ce sens, mais il y en avait d'autres selon lesquelles des relations en fait plus structurées seraient peut- être plus efficientes.

J'aimerais expliquer très brièvement quelque chose. À bien des niveaux, j'accepte nombre des choses qui ont été dites ici dans le cadre de notre discussion lorsque nous avons parlé de la façon de combiner la politique en matière d'éducation et toutes les autres politiques, et il est vrai qu'en bout de ligne, lorsqu'on y réfléchit vraiment, il s'agit ici d'une question très difficile. C'est en partie pourquoi il me semble qu'il est très important pour nous d'essayer d'apprendre en étudiant les systèmes dans leur entier, en examinant les interactions entre eux.

La Banque mondiale a commandé une autre étude sur l'efficacité de l'investissement dans l'éducation. Les auteurs de l'étude ont conclu que l'efficacité de l'investissement dans l'éducation dépend très largement de ce que fait le gouvernement concerné dans d'autres secteurs de l'économie. En d'autres termes, il n'existe pas de relation simple. À moins de former beaucoup de travailleurs de pointe, à moins de prendre des mesures pour encourager et promouvoir l'investissement dans les secteurs qui absorberont ces travailleurs, vous vous retrouverez tout simplement avec tout un tas d'ingénieurs éduqués et sans emploi. Nombre de ces choses découlent du gros bon sens et ne débouchent pas sur des conclusions évidentes, mais elles mènent à une façon différente d'envisager la question.

Je suis un petit peu mal à l'aise lorsqu'on met autant l'accent sur des comparaisons entre les États-Unis et le Canada. Je pense qu'à un certain niveau, cela est plutôt vide de sens. Les États-Unis ont une économie différente, une histoire différente et des ressources différentes. Le Koweit a une très saine économie par tête d'habitant. Je pense qu'il faut examiner notre situation et essayer de voir quelle relation il y a entre les différents aspects de notre réalité et comment nous pourrions améliorer la façon dont ils fonctionnent. Nous pouvons faire cela en examinant d'autres systèmes et la façon dont ceux-ci se sont développés.

Il y a quelques années, j'ai passé un mois au Danemark, et il me faut vous dire que je n'en suis pas revenu. Ça ne peut pas être vrai que les États-Unis affichent le plus haut niveau de vie par tête d'habitant au monde. Il vous faut aller dans un pays comme le Danemark pour voir que la qualité de vie des gens, c'est tout à fait autre chose, et ce non seulement pour les raisons qu'a évoquées Daniel, mais pour bien d'autres encore.

Je pense qu'il nous faut mieux cerner ce que nous voulons réaliser. Nous ne voulons pas battre les Américains dans certaines rubriques statistiques; nous voulons améliorer la qualité de vie des gens qui vivent au Canada. Bien sûr, ces statistiques sont des intrants importants dans le débat, mais au bout du compte, j'exhorte les gens à examiner de plus près d'autres genres de preuves et à poser la question de façon quelque peu différente, sans quoi l'on sera prisonnier de ces débats dans le cadre desquels ont dit que le Canada doit faire ceci ou cela, mais le Canada ne va pas le faire, parce que nous nous trouvons dans une situation différente.

Prenons le cas des États-Unis. Le General Accounting Office aux États-Unis a émis des statistiques au début des années 90 montrant qu'entre 1980 et 1992 la valeur nette en avoirs du secteur financier américain avait augmenté de 11,5 p. 100 par an. Pendant cette même période, toutes les entreprises non financières américaines avaient connu une croissance nominale de 0,6 p. 100 par an, ce qui signifie qu'elles étaient en train de reculer. Nous parlons ici de moyennes et d'économies qui vivent des transformations. Munies de ces chiffres, certaines personnes argueraient—et je serais de celles-là—que le secteur financier est aujourd'hui sérieusement déformé aux États-Unis, tout comme l'était notre secteur immobilier dans les années 80, et cela va avoir un impact énorme sur ces genres de mesures et de statistiques, et à moins de cerner ces choses, nous élaborerons malheureusement des politiques par rapport à des normes qui s'avéreront, je pense, en bout de ligne, être très trompeuses, et nous oublierons peut-être d'examiner les questions systémiques qui méritent vraiment notre attention.

• 1750

Le président: Si je pouvais enchaîner là-dessus...

Mme Sophia Leung: Monsieur le président, j'ai une dernière question.

Le président: Puis-je enchaîner sur votre question un instant?

Mme Sophia Leung: Bien sûr.

Le président: J'aimerais revenir un petit peu en arrière.

Je pense que les échanges quotidiens entre les deux pays se chiffrent à un milliard de dollars. Je sais que mes enfants regardent des émissions de télévision américaines. Ils lisent des revues américaines. Ils sont très influencés par les États-Unis. Leur réalité est très différente de celle que j'ai connue, moi, en grandissant, avec, par exemple, les changements technologiques qui sont intervenus, le fait qu'ils soient sur l'Internet et qu'ils puissent parler avec presque n'importe qui dans le monde.

Cela compte. La façon dont se débrouillent les États-Unis compte beaucoup pour notre réalité, en tant qu'individus. Je ne voudrais pas qu'on se lance dans une discussion au sujet de l'histoire des États-Unis versus l'histoire du Canada, car j'ai souvent dit que bien qu'il soit important de connaître notre histoire, il est également important de faire l'histoire. On fait l'histoire en livrant concurrence à d'autres, en faisant toutes sortes de choses qu'il faut faire.

Mais je ne suis pas convaincu que ce soit aussi clair que cela. Je pense que c'est un petit plus compliqué. En tant que Canadiens, il nous faut examiner ce qui se passe aux États-Unis avec beaucoup d'intérêt et d'attention, car cela nous touche dès le tout premier jour.

M. Fred Bienefeld: Je serai bref.

Je ne dis pas que nous ne devrions pas regarder ce qui se passe aux États-Unis. J'ai dit que ces statistiques sont importantes, mais je ne pense pas qu'il soit très utile de dire que les États-Unis se situent à tel niveau et qu'il nous faut donc atteindre ce même niveau et si nous n'y parvenons pas, alors ce sera un échec. Cela ignore tout simplement quantité de choses et, en plus, cela s'appuie en définitive sur une comparaison qui pose un grave problème.

Comme Daniel l'a si bien dit à la fin de sa présentation, ces statistiques ne se traduisent pas dans la qualité de vie, et c'est cela qui compte en bout de ligne. Il y a des statistiques sur la compétitivité que quelqu'un a évoquées il y a un instant et qui montrent que la façon dont vous organisez les services sociaux, et notamment les services de santé, vous donne en fait un avantage concurrentiel significatif dans certains secteurs. Ce dont nous devons toujours nous rappeler est que, oui, il nous faut faire ces comparaisons, mais voici différentes façons d'atteindre cet objectif qu'est celui de resserrer l'écart.

Je pense qu'il se déroule à l'heure actuelle une discussion très utile sur la pratique de bas salaire versus la pratique de salaires élevés sur la route de la compétitivité, et si vous examinez diverses économies dans le monde, vous pouvez apprendre des choses très importantes.

Il faut reconnaître que le Canada est assujetti à des contraintes, et d'aucuns diraient sans doute à juste titre qu'étant donné son histoire et son emplacement, le Canada est sans doute moins en mesure de poursuivre certaines stratégies plus cohérentes qui ont réussi ailleurs. Je conviens que c'est un facteur dont il faut tenir compte. Mais je pense que la question devrait être posée en ces termes-là plutôt qu'en des termes excessivement fragmentés.

Selon moi, l'histoire américaine n'est pas une grande réussite. Socialement, politiquement, et même économiquement, il suffit d'ajouter les chiffres. Que je sache, le secteur qui a connu la plus forte croissance aux États-Unis au cours des dix dernières années a été celui des prisons.

Le président: Très bien.

Madame Leung.

Mme Sophia Leung: Si vous croyez que la performance dépend de l'offre et de la demande, qui sont étroitement liées à la population, le Canada a une très petite population comparativement aux États-Unis. Cela crée-t-il un problème? Personne n'a parlé de la population. Voilà une chose.

L'autre chose est la suivante. Nous avons parlé tout à l'heure de Canadian Tire. Ne pensez-vous pas que les Canadiens ont tendance à avoir certaines attitudes et certains comportements? Il serait difficile pour moi de les définir. Je voyage beaucoup dans le monde et j'ai beaucoup de contacts dans les milieux d'affaires. À l'étranger, on a une image très stéréotypée des Canadiens, qu'on voit comme étant des personnes très douces et très gentilles. Nous sommes doux. Nous ne sommes pas suffisamment agressifs.

J'aimerais entendre ce que vous pensez de la population, de nos attitudes et de nos comportements.

M. Jim Frank: Eh bien, que puis-je dire? Nous sommes si gentils et si polis que nous pouvons avoir cette discussion ici et tout le monde est d'accord avec tout le monde.

• 1755

Quant à la question de nous comparer aux États-Unis, lorsque nous avons commencé à faire ce travail au sujet de la performance et du potentiel du Canada, nous nous sommes demandé quels pays examiner? Devons-nous examiner la Norvège? Oui, la Norvège est importante. Le Japon est important et l'Allemagne est importante, mais la quasi-totalité d'entre nous vivons à 100 milles des États-Unis. Il y a un va-et-vient constant entre les deux pays. Nous regardons ce style de vie et, oui, il y a des questions de distribution, des questions de violence et des questions de sécurité, mais à mon sens, nous ne pouvons pas être trop fiers de ce qui se passe chez nous pour nombre de ces questions.

Je pense qu'un changement structurel nous a frappés en 1990 avec l'ALE et l'ALENA, et je ne pense pas que les élaborateurs de politiques, les politiciens, comprennent vraiment jusqu'à quel point ce changement a été important.

L'une des choses dont nous parlons est l'exode des cerveaux. Sommes-nous en train de perdre nos meilleurs éléments? Qui sont-ils? S'agit-il de jeunes gens? Cela nous importe-t-il? Devrions-nous leur donner 50 000 $ pour qu'ils restent ici? Les réalités sont que le flux à travers la frontière de personnes munies de visas temporaires a sensiblement augmenté. Lorsque nous avons rapporté cela l'an dernier, nos gens des P et P ont demandé si cela comptait pour quelque chose. Les chiffres pour 1997, que nous avons obtenus l'autre jour seulement des États-Unis, étaient de 50 000. Cela se compare à 38 000 en 1996. Mesdames et messieurs, ça monte au Nord.

Pourquoi les gens partent-ils? Est-ce pour des raisons de revenus, de climat ou d'impôts? C'est en fait pour les possibilités qui s'offrent. Les gens ne vont pas aller aux États-Unis s'ils n'ont pas de travail là-bas. Il nous faut dans ce pays des emplois très rémunérateurs et il nous faut célébrer les gens qui gagnent gros, au lieu de dire imposons-leur de lourds impôts et chassons-les. Il me semble qu'on voudrait davantage de gens comme cela.

Ce changement structurel avec l'ALENA a donc ouvert les frontières pour les Canadiens, et pas pour les vieux comme moi. Ce sont des jeunes bien éduqués, mobiles, agressifs et désireux de bâtir leur avenir qui partent. Une fois qu'ils sont partis et qu'ils ont tenté leur chance aux États-Unis, nombre d'entre eux ne reviennent pas. Peut-être que nous haussons nos épaules et disons que ce n'est pas grave, mais, pour ma part, cela m'inquiète, car je crois que si cette tendance se maintient, si l'on ne la contient pas, l'on va perdre un trop grand nombre de nos meilleurs éléments.

Je vous pose la question suivante: l'Irlande se porte-t-elle mieux ou moins bien du fait que Terry Matthews se soit installé ici à Ottawa et ait créé Newbridge, sans parler de Mitel? Posez-vous la question. Il est certain que nous voudrions que des milliers de gens comme lui viennent ici.

Je m'inquiète donc de ce marché nord-américain et de cet aimant au sud de notre frontière qui, en dépit de tous ses bobos, est très puissant auprès de beaucoup de gens.

M. Daniel Schwanen: J'aimerais ajouter, si vous permettez, que je pense que nous n'avons pas à adopter le système culturel américain, mais il nous faut vendre à ce marché. C'est notre marché le plus évident. Le marché intérieur est peut-être trop petit. Mais il existe manifestement des possibilités énormes et notre économie dépend dans une large mesure des ventes au marché américain. Si particuliers et sociétés ne peuvent pas vendre d'ici, ils vont aller là-bas, car il existe aujourd'hui de meilleures possibilités sur le plan mobilité.

La seule façon de réussir à partir d'ici, sans avoir une économie à faibles revenus, ce qui est une façon d'être concurrentiel mais dont nous ne voulons pas, est en fait d'être plus productif. C'est là, en vérité, le sens de ce débat sur la productivité.

Je conviens tout à fait qu'avec notre population, nous avions ici un petit marché, et c'est pourquoi nous avons recherché ces accords de libre-échange.

Je ne suis pas un expert en matière d'habitudes et de comportements. Je pense que nous exportons peut-être davantage de gens agressifs, et que nous importons des gens gentils, qui savent se tenir. Alors c'est peut-être là un avantage. Je ne sais pas.

Mais je pense, fondamentalement, que si vous voulez réaliser le niveau de vie auquel les Canadiens réellement aspirent, un niveau de vie croissant, il faut être compétitif sur le marché américain, grâce non pas à de faibles salaires mais à une forte productivité. Sinon, vous allez perdre des entreprises et des gens au profit de ce marché, du fait de la mobilité.

M. John Baldwin: On a mentionné tout à l'heure qu'il y a parfois des retards d'adaptation des systèmes. Jim et d'autres économistes disent avoir cherché les gains de productivité qui auraient dû résulter de l'ALENA. Nous avons tous commencé à chercher rapidement, très peu d'années après, en espérant qu'ils apparaîtraient dans les chiffres. Mais il est bon de souligner que ces comportements changent lentement, et nous avons quelques indications montrant que même cinq ans ou six ans après l'ALENA, les fabricants canadiens n'avaient toujours pas complètement modifié leurs attitudes.

• 1800

Au milieu des années 90, nous avons effectué quelques enquêtes sur l'adoption de technologies, les sortes de technologies qui sont le moteur de l'économie nouvelle, telles que les technologies informatiques, les robots et les systèmes CAO/FAO. Une enquête parallèle a été réalisée aux États-Unis. Dans les deux, les fabricants devaient indiquer les obstacles qu'ils rencontraient. Nous en revenons là à votre question antérieure. Dans les deux enquêtes, les principaux obstacles signalés par les fabricants étaient le marché du travail et la difficulté à trouver de la main-d'oeuvre qualifiée. Je précise que lorsque nous leur avons demandé, à titre de suivi, si c'est un obstacle majeur, ils ont répondu non, qu'ils ont réalisé quand même leur projet en formant du personnel. Il n'y avait pas de problème structurel en ce sens qu'ils ne trouvaient pas du tout la main-d'oeuvre. Simplement, il leur fallait davantage de main-d'oeuvre qualifiée et ces entreprises ont formé elles-mêmes le personnel dont elles avaient besoin.

Mais pour en revenir à la question démographique, les deux pays ont demandé à leurs entreprises si la dimension du marché était un obstacle majeur. C'était donc cinq ou six années après l'ALENA. Les Canadiens ont répondu oui, c'est le deuxième ou troisième obstacle par ordre d'importance. Chez les Américains, ce facteur arrivait au tout dernier rang. La dimension du marché n'était pas pour eux une considération majeure, mais c'en était une pour une proportion substantielle des fabricants canadiens. Cet obstacle se dissipe peut-être au fil du temps. Nous verrons ce qu'il en est lors des nouvelles enquêtes. Mais, en dépit de l'ALENA, la frontière semble toujours compter. Est-ce parce qu'il y a des barrières à la frontière ou simplement que les attitudes sont longues à changer, nous ne le savons pas.

M. Fred Bienefeld: J'aimerais juste signaler très rapidement un phénomène qui s'inscrit dans la perspective historique.

M. Frank a parlé tout à l'heure de la politique nationaliste. Il faut bien voir que la politique nationaliste a été introduite dans notre pays parce que, pendant les dix années précédentes, le Canada perdait de la main-d'oeuvre au profit des États-Unis. La frontière était ouverte et l'exode du Canada vers les États-Unis dépassait le nombre d'immigrants en provenance d'Europe. Donc, le Canada voyait sa population diminuer.

De ce point de vue, la politique nationaliste a été un succès phénoménal en ce sens qu'elle a édifié un pays fort et prospère, et non un pays marginal, grâce à la rente des richesses naturelles. Mais cette dernière était dispersée à travers l'économie par le biais d'un secteur de fabrication qui était quelque peu inefficient selon les normes internationales, c'est vrai. Nous avons fini par en payer le prix car, à partir des années 70, le secteur des ressources n'a plus été capable de porter à bout de bras un secteur manufacturier affligé de ces déficiences.

Nous convenons donc à peu près tous que le défi pour le Canada consiste à trouver le moyen de faire avancer le secteur manufacturier, de créer des emplois de plus haut niveau créateurs de valeur ajoutée et de développer la capacité d'appliquer les idées dans ce contexte. La question est de savoir quelle sorte de politiques et de modèles mettre en oeuvre pour cela. C'est là-dessus que tourne ce débat.

Le président: Merci.

Madame Bennett, avez-vous une dernière question?

Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Oui. Premièrement, j'aimerais vérifier les chiffres de M. Frank. Je sais que lorsque nous perdons tel grand médecin ou chercheur, cela nous dérange. Mais la semaine dernière, Statistique Canada nous a appris que seulement 15 p. 100 des Canadiens travaillant aux États-Unis gagnent plus de 50 000 $ par an. Donc, sur l'ensemble, je ne suis pas sûre que notre pire cauchemar soit vraiment confirmé par les chiffres.

Dans le cas des chercheurs, nous avons les noms et les adresses de ces personnes, et nous sommes fâchés qu'elles aient décidé de partir pour saisir une opportunité. Mais parfois il s'agit d'une subvention Howard Hughes ou autre qui leur donne 1 million de dollars sans aucune condition, et c'est évidemment très intéressant pour un scientifique du calibre d'un prix Nobel. Je ne suis pas sûre que nous pourrions leur offrir la même chose ici.

Mais je n'ai jamais entendu personne dire que son départ est motivé par la fiscalité. Aucun de mes camarades de faculté de médecine n'a dit cela. Nous avons eu les retrouvailles après 25 ans des anciens de ma faculté de médecine, et aucun des chercheurs ne m'a dit cela. Ce qu'ils veulent, c'est un environnement stable dans lequel travailler.

Un autre facteur a été cité, et j'invite quiconque à me répondre là-dessus. La semaine dernière, nous avons déjeuné avec Lemieux, le chercheur qui vient de remporter la subvention Wolf en Israël. Sa doléance était que nos banques ne savent pas comment financer la R-D, et particulièrement pas la recherche médicale, et donc l'exploitation commerciale d'une idée suppose un voyage à New York. J'aimerais donc savoir si cette déficience, sur le plan du financement est réelle ou non. Mais c'est certainement l'expérience qu'a faite le professeur Lemieux.

• 1805

En ce qui concerne la remarque de M. Sharpe sur VIA Rail, j'ai toujours épousé la notion d'une journée de travail honnête pour un salaire honnête. Si les gens sont en congé pour accident du travail, ce n'est pas très productif, mais je sais que VIA Rail a des programmes de prévention très novateur avec des exercices de musculation du dos en gymnase et d'autres choses pour prévenir les accidents et blessures. Donc, sa productivité augmente peut-être du fait de ses effectifs réduits, mais n'est-ce pas aussi parce qu'il y a moins de gens en congé d'invalidité, ou bien est-ce parce que la main-d'oeuvre est réellement plus productive?

Le dernier petit élément est toute la question de l'absentéisme. Est-ce que Statistique Canada a des chiffres sur l'absentéisme? S'agissant de la main-d'oeuvre féminine, j'ai vu des chiffres disant que 46 p. 100 des femmes prennent un congé pour s'occuper d'un parent âgé ou invalide et que cela représente un énorme fardeau. Ainsi, un programme de soins à domicile ou... Les entreprises qui reçoivent aujourd'hui des récompenses pour avoir mis en place des programmes destinés à cette génération sandwich deviennent plus productives. J'aimerais dire au témoin qui a étudié dans mon université que nous adorons entendre parler de stratégies à long terme, comme la prise en charge des enfants de 0 à 6 ans et relatives à la qualité de vie, car ce sont là des remèdes qui auront un effet durable sur la productivité de ce pays.

Quelqu'un souhaite-t-il répondre?

Le président: Qui va commencer? Monsieur Sharpe?

M. Andrew Sharpe: J'ai plusieurs remarques.

Premièrement, je parlais plutôt de CN, qui est une entité différente de VIA Rail, et je n'ai pas réellement de commentaire sur la productivité de VIA Rail. Chez CN, je pense que le problème n'est pas les congés d'invalidité. Il y a eu un grand nombre de licenciements chez CN ces dernières années et ses chiffres de productivité sont très bons; je pense donc qu'il y a un lien entre les licenciements et les chiffres de productivité.

Mme Carolyn Bennett: Mais avez-vous des chiffres sur le nombre de personnes en congé de maladie ou d'invalidité...? S'ils sont moins nombreux, vous pouvez vous en tirer avec un effectif réduit.

M. Andrew Sharpe: Je ne pense pas que ce soit un facteur majeur de la productivité de CN, car ces personnes ne sont plus employées par la compagnie. Je ne pense donc pas que ce soit un facteur majeur. Je ne connais pas les chiffres d'absentéisme au Canada, mais je pense qu'ils sont un peu en hausse parce qu'une part croissante de la main-d'oeuvre est féminine, et les femmes s'absentent plus souvent, de manière générale, pour s'occuper des enfants. Les hommes prennent moins souvent congé pour s'occuper d'enfants en bas âge malades. Il y a donc une tendance à la hausse de l'absentéisme au Canada, mais je ne pense pas que ce soit un facteur majeur expliquant notre retard de productivité.

En ce qui concerne le capital-actions des petites entreprises, vous avez raison, il y a chez nous une déficience—que beaucoup de gens signalent—sur le plan du capital-actions des petites entreprises, particulièrement dans le secteur de la haute technologie. Nous avons pris des mesures pour y remédier ces dernières années, avec des fonds de capital de risque de travailleurs qui commencent à accumuler des capitaux importants. En fait, ces fonds de capital de risque sont proportionnellement mieux dotés au Canada qu'aux États-Unis. Mais on se plaint que les fonds de capital de risque n'ont pas des stratégies de prêt suffisamment audacieuses, qu'ils sont trop timorés, etc., si bien qu'il faudra mettre encore davantage de mesures en place pour améliorer le financement par souscription d'actions.

Comme je l'ai dit, je ne suis pas convaincu qu'il y ait une déficience majeure du financement des petites entreprises. C'est possible, mais il n'est pas évident à mes yeux que ce soit un gros obstacle à l'amélioration de notre productivité.

Le président: Y a-t-il d'autres interventions? Monsieur Baldwin?

Mme Carolyn Bennett: Je pense qu'il s'agissait surtout du secteur biomédical, où il faut des connaissances pointues.

M. John Baldwin: On a demandé si Statistique Canada a des chiffres sur les pressions qui s'exercent sur les femmes employées et d'autres. L'enquête de science sociale a fait pas mal de travail sur l'utilisation du temps et la répartition des tâches. Je suis loin d'être un expert dans ce domaine, mais ayant suivi pas mal de conférences sur ce sujet, il est évident que vous avez raison lorsque vous parlez des pressions exercées sur les femmes. Les femmes qui travaillent sont mises à contribution à la fois pour s'occuper de la jeune génération et de l'ancienne génération, beaucoup plus que les hommes.

• 1810

Mme Carolyn Bennett: Est-ce que cela est jamais évoqué dans le débat sur la productivité, le fait que toutes ces femmes doivent s'absenter pour...?

Je crois que nous avons eu une présentation de Liberty Health. Ces femmes qui ne peuvent faire de voyages d'affaires, participer aux campagnes de promotion, arrivent au travail en retard, partent avant l'heure, passent trop de temps au téléphone—cela doit bien avoir des conséquences sur la productivité du pays, si nous prenons la peine de le mesurer.

M. Daniel Trefler: Oui, surtout vu le contexte, les effets épidémiologiques de ces tensions sur le rendement sont considérables. La diminution du stress de la main-d'oeuvre sera un élément d'importance énorme, quel que soit l'indicateur que l'on choisisse—santé, statut socio-économique ou revenu.

J'évoque ces stratégies à long terme parce que vous êtes le Comité des finances et ma principale crainte, d'après ce que je lis dans les journaux, est qu'en réaction à ce cauchemar de la productivité—et je le considère comme réel—Ottawa ouvre les vannes financières pour arroser abondamment les entreprises. À long terme, je pense que cet argent devrait plutôt servir à des choses qui vont améliorer la qualité de vie dans ce pays, des choses qui ont été mises en attente, à juste titre, pour éponger le déficit. Mais il faudra bien un jour réparer les dégâts dans nos villes, rétablir les montants massifs qui ont été coupés dans l'éducation. Nous allons devoir nous occuper de nos jeunes, et pas seulement de la catastrophe démographique que représente la population âgée. Ce n'est pas la seule catastrophe démographique. Il importe également de consacrer des ressources aux jeunes, tous les indicateurs le montrent.

Il ne faut surtout pas que cela devienne une excuse pour ne pas consacrer des fonds aux stratégies à long terme qui vont améliorer la qualité de vie et, par ce biais, notre productivité. Voilà ma position.

M. Fred Bienefeld: Mon cauchemar approche du vôtre, à savoir que ces pressions serviront de prétexte pour éroder encore davantage les droits syndicaux, les droits des travailleurs, dans l'intérêt de gains de productivité souvent de très courte durée.

Les problèmes que vous soulevez sont précisément la raison pour laquelle Freeman, dans son étude pour la Banque mondiale, a conclu qu'il n'y a pas de preuve systématique dans un sens ou dans un autre. Le modèle du marché flexible ne réduit pas seulement les coûts de production; il engendre aussi des coûts sur beaucoup d'autres fronts, et les modèles qui donnent de réellement bons résultats sont souvent ceux qui établissent une relation de travail beaucoup plus stable. Il y a des aspects tels que le dévouement envers l'entreprise et le perfectionnement professionnel au fil du temps. Ce sont là des facteurs énormément importants et, si nous n'y prenons garde, nous allons jeter par-dessus bord ces avantages durables au profit d'avantages qui s'avèrent souvent être de courte durée.

Quantités d'études parlent aujourd'hui des compressions d'effectifs qui ont mal tourné, où les entreprises ont découvert que les gains à court terme étaient réalisés au détriment de la substance et de la capacité de recherche à long terme.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Epp, avez-vous une question?

M. Ken Epp: Oui. J'aimerais savoir pourquoi aucun d'entre vous n'a parlé des barrières au commerce interprovincial. Vous avez beaucoup parlé de la suppression ou de l'absence de barrières entre le Canada et les États-Unis. Il me semble qu'il y a d'importantes barrières entre provinces au mouvement des biens et de la main-d'oeuvre. N'est-ce pas? Qu'en pensez-vous?

M. Daniel Trefler: Il est évident que c'est un problème important. Nous avons du mal à le suivre car nous n'avons pas d'aussi bonnes données sur les échanges interprovinciaux que sur les échanges internationaux. C'est aussi un problème beaucoup plus politique. Il y a quelques études, mais elles ne sont pas de très haut calibre, et ce n'est pas par manque d'intérêt, c'est plutôt par manque de bonnes données.

Le président: Quelqu'un d'autre souhaite-t-il répondre?

M. Daniel Schwanen: Nous avons parlé de la dimension du marché. Cela suppose, implicitement, que moins il y aura de barrières internes au Canada, et plus il sera facile aux petites entreprises canadiennes de prendre de l'expansion, car naturellement elles préfèrent le faire à l'intérieur de leur propre culture, et cela englobe la culture juridique et politique.

Si vous êtes en Ontario, il est plus facile de faire des affaires avec quelqu'un de Colombie-Britannique que, mettons, de Louisiane. Nos chiffres, d'ailleurs, prouvent qu'il est plus facile de commercer dans le sens est-ouest, à l'intérieur du Canada, que dans le sens Nord-Sud. Nous voulons améliorer l'accès Nord-Sud, mais il ne faut pas perdre de vue, comme vous dites, l'accès Est-Ouest. Et des études démontrent, je crois, que le marché naturel d'une petite entreprise qui démarre dans une province est toujours le reste du Canada.

• 1815

Le président: Y a-t-il d'autres interventions?

Merci beaucoup, monsieur Epp.

Au nom du comité, je tiens à vous exprimer à tous nos remerciements. Comme vous vous en êtes probablement rendus compte, c'est là un sujet ardu, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais le comité se penche sur un certain nombre de facteurs: les politiques financières et monétaires, la promotion du commerce, la fiscalité, la R-D et l'investissement dans les ressources humaines. Et aujourd'hui on nous a également parlé du contexte historique, que je considère également comme très important.

Mais j'aimerais vous laisser sur cette réflexion. Ce que nous cherchons à faire ici essentiellement, c'est de nous attaquer à un problème qui doit impérativement être résolu. Il est extrêmement important. Mais ce qui motive le comité, c'est que nous croyons fondamentalement que ce qui est en jeu, c'est le niveau de vie et la qualité de vie et ce que nous, en tant que législateurs, pouvons faire pour améliorer le niveau de vie et la qualité de vie des Canadiens. Voilà donc notre perspective. Nous allons publier un rapport et, bien évidemment, vos réflexions et vos idées nous faciliteront un peu la tâche. Nous vous sommes donc reconnaissants.

La séance est levée.