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INDU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mai 2000

• 0909

[Traduction]

Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): La séance est ouverte. Conformément au mandat que confère le paragraphe 108(2) du Règlement à notre comité, nous examinons la Loi sur la concurrence.

Michael Trebilcock devrait être ici d'un instant à l'autre; son avion a pris du retard. Pour être justes envers M. Winter qui est déjà là, nous allons commencer par lui et lui donner l'occasion de faire son exposé et d'échanger avec nous.

Monsieur Winter, je vous remercie d'être venu. Vous avez la parole.

M. Ralph Winter (professeur, Université de Toronto): Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.

On m'a informé que nous disposerions d'une dizaine de minutes chacun et, étant donné nos domaines d'expertise respectifs, j'ai pensé que je devrais me contenter de deux minutes et laisser à M. Trebilcock les 18 minutes qui restent. Évidemment, je n'en ferai rien et je ne l'aurais pas fait vraiment même s'il était ici.

• 0910

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant votre comité. La modification de la Loi sur la concurrence revêt une importance capitale pour l'économie canadienne, et je suis ravi de pouvoir contribuer à cette tâche en vous faisant part de mon point de vue.

Je suis un spécialiste de la théorie et de la pratique économiques dans le contexte, de la politique de la concurrence. Je suis professeur d'économie politique à l'Université de Toronto, où j'enseigne des cours allant de la théorie économique, au département d'économie politique, à la politique de la concurrence, à la Faculté de droit. M. Trebilcock et moi-même enseignons périodiquement le cours de la politique de la concurrence. De plus, je suis très occupé à titre de conseiller auprès du Bureau de la concurrence, du Département de la justice des États-Unis ainsi qu'auprès de clients du secteur privé. Cela me donne une bonne idée des ramifications de la Loi sur la concurrence sur le plan pratique.

J'essaierai de faire en sorte que mes opinions ne soient pas aux antipodes de celles de M. Trebilcock, mais je suis sûr que vous savez que quand on invite plus d'un économiste à prendre la parole, on risque fort bien d'entendre des opinions contradictoires.

On m'a demandé de mettre l'accent, dans mon exposé sur la politique de la concurrence, sur certaines pratiques relatives à l'établissement des prix, notamment les prix imposés, les prix d'éviction et la discrimination par les prix. On m'a également invité à dire ce que je pense du rapport VanDuzer.

Je consacrerai quelques minutes à l'aspect économique des prix imposés, puis des prix d'éviction. Sur le plan pratique, les cas de discrimination par les prix sont relativement moins importants. Dans mon exposé, je veux accentuer deux pratiques en particulier. Michael et d'autres témoins mettront en évidence d'autres aspects de la question qui nous intéresse. Permettez-moi de faire ressortir certains points d'entrée de jeu.

Premièrement, j'approuve la recommandation principale du rapport VanDuzer, qui est de soustraire ces pratiques des dispositions de la Loi sur la concurrence se rapportant aux infractions criminelles et de les inclure dans les dispositions se rapportant aux pratiques révisables. J'ajouterais qu'il faudrait faire preuve de plus de fermeté que ne l'a fait le rapport en ajoutant une condition supplémentaires aux conditions interdisant ces pratiques, c'est-à-dire une condition se rapportant à une politique de vente visant à «sensiblement réduire la concurrence»—c'est une condition bien connue des spécialistes de la concurrence.

Les pratiques que j'ai évoquées—les prix d'éviction, les prix imposés et la discrimination par les prix—sont toutes des pratiques où il est difficile de faire la différence entre une utilisation anticoncurrentielle et une utilisation proconcurrentielle. Je m'expliquerai là-dessus plus tard.

Le fait d'inclure les pratiques relatives à l'établissement des prix dans les dispositions criminelles de la loi signifie qu'il faudra recourir aux tribunaux pour faire la distinction entre des pratiques anticoncurrentielles et des pratiques proconcurrentielles. Pour faire cette évaluation difficile, il nous faudra tout simplement mettre sur pied un tribunal spécialisé. En outre, rien ne justifie d'inclure une pratique comme l'imposition des prix, qui n'est pas illégale en soi, dans les dispositions criminelles de la loi.

Deuxièmement, je reconnais que le fait d'inclure d'autres pratiques dans le cadre du processus de révision drainera les ressources du Bureau de la concurrence, qui en manque déjà. Mais ce serait une erreur que de substituer des règles criminelles à une analyse économique dont on a tellement besoin. L'analyse économique faite au sein du Bureau de la concurrence est d'une qualité supérieure, notamment quand on pense aux ressources dont ils disposent, mais les ressources économiques ne sont tout simplement pas suffisantes. À titre d'exemple, le Bureau emploie six ou sept docteurs en économie politique, alors que les agences américaines antitrust en emploient environ 200.

L'application de la Loi sur la concurrence exige un savoir-faire économique considérable, notamment quand on sait que les industries canadiennes deviennent de plus en plus habiles et que la nouvelle technologie évolue très rapidement. La politique de la concurrence est fondamentalement de l'économie appliquée et, comme dans le cas de la réglementation économique, on ne peut réussir si on n'a pas les connaissances nécessaires de la théorie économique et des techniques de mesure. Les délais que le processus de révision des fusions impose déjà aux particuliers sont trop longs. Le Bureau n'a tout simplement pas les ressources nécessaires—et je présume que je ne suis pas le premier à le dire devant le comité.

Le troisième et dernier point que je voulais soulever est que l'élimination des pratiques relatives à l'établissement des prix des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence enlèverait aux parties le droit de contester ces pratiques. Seules les pratiques prévues dans les dispositions criminelles de la loi peuvent être contestées directement par les particuliers. D'où la nécessité d'étendre les droits des simples particuliers à recourir directement à un tribunal, ce dont M. Trebilcock vous parlera.

• 0915

Je reviens maintenant aux pratiques comme telles, et je commencerai par les prix imposés. L'article 60 de la Loi sur la concurrence interdit les prix imposés. En vertu de cette pratique, les fabricants établissent un prix minimum auquel les détaillants peuvent vendre leurs produits. Un fournisseur de jeans, par exemple, peut dire à ses détaillants qu'ils ne peuvent vendre son produit que s'ils acceptent de ne pas le vendre en deçà de 30 $. Cette pratique laisse les économistes perplexes car à partir du moment où le fabricant a établi un prix de vente en gros, en dégageant 10 $ de profit par unité, le fabricant en question devrait, en principe, préférer que le prix de vente au détail de son produit soit peu élevé pour que celui-ci se vende mieux.

Cette pratique peut être anticoncurrentielle. À titre d'exemple, autrefois, les pharmacies obligeaient les fabricants dont ils vendaient les produits à imposer un prix de vente au détail. Cette pratique a retardé sinon bloqué l'arrivée sur le marché des pharmacies à prix réduits. Le même phénomène s'est produit dans le secteur de l'épicerie en Europe.

Cette pratique peut également favoriser la création d'un cartel de fabricants. Si les fabricants ont de la difficulté à s'entendre sur un prix de vente en gros, ils peuvent alors, grâce à leur cartel, imposer un prix de vente au détail. Cette pratique d'imposition des prix de vente peut faciliter la création de ce genre de cartel, car elle permet aux fabricants de surveiller plus facilement les prix des concurrents. Or, on constate dans la plupart des cas que cette pratique est utilisée par les fabricants agissant seuls, ni dans le cadre d'un cartel ni par suite de pressions exercées par de puissants détaillants.

L'imposition des prix de vente est souvent utilisée comme façon d'encourager les services de toutes sortes au niveau de la vente au détail. Les services peuvent prendre différentes formes; il peut s'agir de conseiller les consommateurs, de prévoir suffisamment d'employés pour que les clients n'aient pas à attendre longtemps devant la caisse, d'organiser les stocks ou même d'être enthousiastes. En somme, les services peuvent comprendre tout ce qu'un détaillant peut faire, à l'exception de l'établissement des prix.

En quoi les prix imposés encouragent-ils ces services? Les prix imposés protègent la marge de vente au détail, c'est-à-dire la différence entre le prix de vente au détail et le prix de vente en gros, prix auquel le détaillant achète le produit. Les prix imposés protègent donc cette marge contre la baisse des prix de vente au détail en raison de la concurrence, de même qu'ils encouragent la prestation de services, car le détaillant peut ainsi accroître le profit par unité en attirant davantage de consommateurs. Cette pratique empêchant les détaillants de se livrer une concurrence en matière de prix, ils rivalisent sur le plan de la prestation de services.

Pourquoi est-ce qu'un fabricant voudrait perturber le genre de concurrence que les détaillants qui vendent ses produits veulent se livrer? Selon la théorie économique, dans les conditions assez typiques des marchés de la vente au détail, les détaillants sont portés à se livrer une guerre des prix plutôt qu'à une guerre pour la prestation de services, du moins du point de vue du fabricant. La pratique d'imposition des prix est une tentative de corriger cette situation; on essaie d'accroître les services offerts, quitte à pratiquer des prix plus élevés.

Du point de vue du consommateur, l'imposition des prix se traduit par une augmentation des services, ce qui est à son avantage, contrairement à l'augmentation des prix. Si un fabricant veut intervenir dans la concurrence au niveau de la vente au détail pour amener les concurrents à offrir de meilleurs services quitte à pratiquer des prix élevés, c'est que la plupart des consommateurs préfèrent généralement de meilleurs services.

Dans l'ensemble, je dirais que la décision que l'on prend sur la façon de commercialiser un produit, de concevoir un système de distribution devrait être laissée au fabricant. Interdire de fixer le prix de revente en invoquant une règle de l'illégalité en soi revient en fait à réglementer les décisions du fabricant quant à l'optimisation de la vente de ses produits. Nous n'interdisons pas de faire beaucoup de publicité, même lorsque la publicité pousse les prix à la hausse, et nous ne devrions pas interdire en vertu d'une règle de l'illégalité en soi les prix imposés.

À tout le moins, sortir les prix imposés du domaine criminel permettrait au Bureau et au tribunal d'évaluer dans un cas particulier la raison pour laquelle ils ont été imposés. Il n'y a aucune raison de considérer cela comme un crime en vertu de la règle de l'illégalité en soi.

Je passe maintenant à la deuxième pratique, les prix d'éviction. C'est la vente d'un produit à un prix très faible dans le but d'obliger quelqu'un à sortir du marché pour que l'on puisse ensuite imposer un prix de monopole. C'est interdit aux termes de l'alinéa 50(1)c) de la loi.

• 0920

Je vais vous citer le passage en question. Commet un acte criminel toute personne qui:

    c) se livre à une politique de vente de produits à des prix déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou tendance de sensiblement réduire la concurrence ou éliminer un concurrent, en étant destinée à avoir un semblable effet.

L'établissement d'un prix d'éviction est rare et très difficile à repérer parce que les bas prix sont le secret de la concurrence. Qu'est-ce qui distingue un prix déraisonnablement bas au sens de la l'alinéa 50(1)c) d'un prix compétitif?

Une bonne façon de mesurer l'établissement d'un prix d'éviction est d'établir les coûts. Le professeur VanDuzer déclare que les économistes conviennent en général que les prix inférieurs au coût marginal imposé par une firme dominante tendent à être abusifs. La lecture des lignes directrices sur l'établissement d'un prix abusif semble confirmer cela. Je pense que c'est faux. Je dirais qu'il y a des exemples d'établissement de prix abusifs mais que ce genre de condition, la question du prix inférieur aux coûts marginaux, ne suffit pas, même si une firme a une position dominante.

Prenez un exemple, Amazon.com. Cette société a été fondée en 1995 et n'a encore jamais établi un prix supérieur à ses coûts. Elle est toutefois cotée à la Bourse à plus de 20 milliards de dollars. Les prix sont donc inférieurs aux coûts mais on ne considère pas cela comme l'établissement de prix abusifs. Grâce à ses faibles prix, elle investit dans une part de marché future sous le couvert de l'avant-gardisme.

La difficulté quand on veut déterminer s'il y a ou non établissement de prix d'éviction, c'est que la décision devrait être prise par un tribunal spécialisé et non pas par un simple tribunal.

Dernier point à ce sujet. Si je peux vous laisser une impression, j'espère que ce sera la suivante. Qu'il serait nécessaire d'éliminer quatre mots dans cet article. Ces quatre mots sont: «ou éliminer un concurrent». La politique concernant la concurrence doit protéger la concurrence et non pas protéger les entreprises contre la concurrence.

Le fait qu'Amazon.com se trouve maintenant en face de concurrents tels que Barnes & Noble.com et Chapters.ca n'impose pas et ne devrait pas imposer tout d'un coup à cette société l'obligation de fixer un prix suffisamment élevé pour assurer le succès de ses rivales. Aucune société ne devrait être obligée de vendre à un prix suffisamment élevé pour protéger ses rivaux. La limitation de sensiblement réduire la concurrence est suffisante. La protection des sociétés rivales ne devrait pas être un critère. C'est en fait pourtant ce que représente «ou éliminer un concurrent».

À la lecture de cet article de la loi, les entreprises qui n'ont pas réussi à faire face à la concurrence sont portées à croire qu'elles peuvent prétendre qu'il y a là un exemple valide d'établissement de prix d'éviction. Cela mène à des causes frivoles du point de vue économique qui seront finalement rejetées parce que les tribunaux ont—du moins dans la loi américaine—de bons exemples d'établissement de prix d'éviction. Le libellé de la loi est très trompeur et je suggérerais qu'il a coûté très cher en incitant les sociétés à porter plainte.

Voilà ce que j'avais à dire. Je voulais insister sur ces deux pratiques que sont les prix imposés et l'établissement de prix d'éviction mais je serais évidemment prêt à discuter de toute autre chose avec vous.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Winter.

Nous allons commencer par M. Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Monsieur Winter, cette question de l'établissement de prix d'éviction que vous nous avez décrite me rappelle un petit peu une autre loi que nous avons au Canada et qui est la loi sur le dumping. C'est à mon avis le même problème; il faut faire attention à ne pas protéger des entreprises non rentables à l'aide d'une loi.

Je sais que dans la réglementation sur le dumping, non seulement il faut montrer qu'il y a eu un cas de dumping, c'est-à-dire que l'on a vendu à un prix moindre que le coût de production ou que le coût sur son propre marché, mais également qu'il y aurait des dommages pour les personnes concernées—pas seulement des dommages pour la société en question, parce qu'il peut s'agir d'une société qui n'est absolument pas rentable et qui ne peut de toute façon faire face au marché. Existe-t-il des dispositions semblables dans le cas de l'établissement de prix d'éviction ou est-ce ce que vous voulez dire lorsque vous dites qu'il faut protéger la concurrence et non pas les concurrents?

• 0925

M. Ralph Winter: Je dis en fait que dans l'article sur l'établissement de prix d'éviction, on prévoit des dommages et intérêts contre un concurrent mais que l'on ajoute aussi «éliminer un concurrent». Il n'est pas nécessaire d'ajouter cela à «sensiblement réduire la concurrence». Le libellé actuel de la loi fait que cette condition, dommages à un concurrent, et le critère de sensiblement réduire la concurrence sont mis en parallèle. Je dirais que ce ne devrait pas être le cas.

L'établissement de prix d'éviction devrait être illégal uniquement lorsque c'est mauvais pour les clients. Autrement on se retrouve exactement dans la même situation que vous décrivez. La loi protège des rivaux inefficaces aux dépens de la rentabilité et de l'économie et le résultat est finalement des prix plus élevés pour les clients.

Je dis cela sachant que lorsque ce genre de plaintes arrivent devant les tribunaux, la common law en matière d'établissement de prix d'éviction est suffisamment développée pour que les plaintes sans fondement soient rejetées au Canada. Si je dis que le libellé de la loi fait défaut, c'est parce que je trouve que cela encourage des sociétés à porter plainte alors qu'elles n'ont aucune chance de réussir. Si la loi signifiait vraiment ce que stipule l'article, ce serait néfaste et inefficace.

M. Charlie Penson: Je pousserais un peu plus loin car il me semble que ce doit être un domaine extrêmement complexe même pour un groupe d'experts, comme vous l'avez décrit, sans parler d'un tribunal ordinaire, parce que très souvent une société se trouve dans une situation qui l'oblige à vendre à un prix inférieur à ses coûts pour essayer de recouvrer au moins certains coûts fixes pendant une période de ralentissement et qu'ainsi on pourrait considérer cela comme abusif.

La distinction n'est-elle pas très difficile à faire? Cette société veut au moins sauver les meubles lorsqu'elle traverse une telle situation. Elle essaie simplement de traverser une période difficile.

M. Ralph Winter: Absolument. La distinction entre prix d'éviction et prix proconcurrentiels est très difficile à faire. Cela oscille; cela diffère d'un économiste à l'autre. Les économistes ont souvent des opinions différentes. La question des prix d'éviction est un domaine qui suscite des réactions assez différentes.

Depuis le début des années 90, qu'il s'agisse de droit ou de théorie économique, on insiste moins sur les coûts que sur le recouvrement, la condition de recouvrement.

M. Charlie Penson: Pourriez-vous expliquer cela?

M. Ralph Winter: Oui. Pour ce qui est du droit, cela vient d'affaires jugées aux États-Unis, l'une qui est l'affaire du groupe Brooke, une autre que l'on appelle l'affaire Matsushite. On parle de recouvrement lorsqu'une firme fixe des prix bas non seulement parce qu'elle essaie de couvrir des coûts fixes mais aussi parce qu'elle essaie de recouvrer son investissement dans des prix bas en imposant un prix de monopole lorsque la concurrence aura été éliminée.

La définition de recouvrement comporte deux aspects importants. Le premier est l'aspect temporel: on fixe les prix à un niveau faible, mais c'est dans l'intention de les faire remonter ultérieurement, de telle sorte que ces bas prix sont contraires aux intérêts des clients. En second lieu, il doit y avoir un lien de causalité entre l'éviction éventuelle du rival et la capacité d'augmenter les prix.

Un prix d'éviction est un prix qui rapporte, mais seulement parce qu'on s'attend à ce que le concurrent quitte le marché.

M. Charlie Penson: Monsieur Winter, j'aimerais revenir à l'autre loi sur la concurrence, ou à la loi sur le commerce, celle qui porte sur le dumping et les droits compensateurs. À cet égard, je sais qu'au Canada, des entreprises des États-Unis ont bel et bien fait du dumping. En conséquence, Revenu Canada se rendra à Atlanta effectuer une vérification comptable une fois par mois, ce qui représente des coûts assez lourds pour certaines de ces entreprises.

• 0930

Étant donné que le marché canadien ne représente qu'une fraction assez modeste du chiffre d'affaires de ces compagnies, certaines d'entre elles vont tout simplement décider de le laisser tomber, ce qui laisse donc le marché en entier à des entreprises canadiennes parfois très inefficaces. Cela me préoccupe, et je me demande si cette question des prix abusifs nous mène dans cette direction ou risque de créer de telles circonstances.

Ce qui importe pour moi ici, c'est l'intérêt du consommateur. Or ce dernier tient certainement à acquérir des produits à des prix raisonnables, et nous ne devrions pas maintenir des prix à un niveau artificiellement élevé par des moyens qui favorisent l'inefficacité. C'est là où je veux en venir.

M. Ralph Winter: Oui. À mon avis, la politique économique en matière de dumping est une erreur, et il serait désastreux que les prix abusifs nous mènent dans cette direction. Je ne le pense pas, mais ce serait catastrophique.

Les politiques antidumping me paraissent malavisées parce que les clients ont le droit d'acquérir des biens aux prix les plus faibles possible. Par conséquent, si une entreprise étrangère souhaite vendre un produit au Canada à de faibles prix, alors tant mieux pour elle si c'est à l'avantage du client. La seule exception à cela est le dumping avec prix abusifs, c'est-à-dire une circonstance où l'entreprise pratique des prix de dumping dans le seul but d'évincer une compagnie canadienne et ensuite de faire remonter ses prix.

Cela n'est cependant pas représentatif du dumping en général. Dans les cas courants de dumping, les droits des consommateurs ont été opposés directement à ceux des entreprises, et ce sont ces dernières qui l'ont emporté. Les politiques antidumping constituent en effet une subvention accordée aux entreprises aux dépens de la clientèle. La plupart des économistes conviendront sans doute que le dumping est une bonne chose pour l'économie canadienne.

M. Charlie Penson: Sur la plan des principes, est-ce qu'il ne s'agit pas de la même chose, qu'on vende à des prix inférieurs au coût de production ou qu'on pratique des prix abusifs?

M. Ralph Winter: Si on vend à des prix inférieurs au coût de production, oui, mais la loi andidumping exige seulement que votre prix de vente soit inférieur à celui de votre marché d'origine, et cela n'a pas grand-chose à voir avec des prix abusifs. Pour y voir clair, que l'on se reporte aux dispositions visant le recouvrement, ce qui est bien plus efficace qu'une comparaison des coûts. Cela dit, vous et moi conviendrons sans doute qu'une entreprise qui pratique le dumping et donc des prix faibles aujourd'hui, le fait dans le seul but d'obtenir un monopole demain est une entreprise qui ne se livre à des pratiques inefficaces. Cependant, si les prix sont faibles aujourd'hui tout simplement parce que la demande au Canada est plus élastique que dans le marché du pays de l'entreprise, alors cela est avantageux à la fois pour les consommateurs et l'économie à mon avis.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Penson.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vous réclame encore du temps, et je m'en excuse, monsieur le président. La générosité dont vous avez fait preuve à mon endroit la dernière fois devrait m'inciter à bien utiliser mon temps de parole.

J'espère avoir la bonne question, monsieur Winter.

J'ai relevé, pour des raisons évidentes, vos observations au sujet de l'établissement de prix abusifs et du fait qu'on n'y consacre qu'un tout petit paragraphe alors qu'ailleurs on y consacre des chapitres entiers. Compte tenu de la victoire récente, avec l'arrêt Jackson, aux États-Unis, en matière d'établissement de prix abusifs, il est intéressant de constater que pour sa part, le Canada ne semble pas parvenir à mettre de l'ordre dans ses affaires. Souvent, des cas qui sont considérés tout à fait illégaux aux États-Unis sont jugés parfaitement acceptables au Canada. Cela donne un tout autre éclairage aux propos que tiennent ceux qui ont des intérêts ici et qui laissent entendre que le Canada devrait accepter des activités qui risquent d'être considérées illégales ailleurs, et cela parce que nous voulons éviter de refroidir l'enthousiasme du secteur des affaires. Je pense qu'au contraire, l'aboutissement logique de cela, c'est que nous acceptons ici au Canada des choses qui pourraient être considérées comme tout à fait illégales ailleurs.

Je voulais parler de l'établissement de prix abusifs et vous donner un exemple de lacunes que je perçois dans la loi actuelle. Vous y verrez peut-être un lien avec vos observations sur l'établissement des prix. Je constate que M. Trebilcock est parmi nous, et j'ai lu beaucoup de ses écrits sur la question, notamment en ce qui concerne la collusion.

• 0935

Actuellement, à Toronto, l'essence se vend environ 71c. le litre, comme ici à Ottawa. Il y a deux ans, des représentants du secteur pétrolier sont venus dans notre région nous dire que pour les détaillants, la marge bénéficiaire pouvait n'être que de 2c. le litre parce qu'ils vendent beaucoup d'autres produits. On nous avait aussi dit que la marge bénéficiaire des raffineurs était de 4 ou 5c. le litre. C'était en 1997 ou 1998. Nous constatons maintenant que plusieurs grands détaillants quittent le marché. Nous voyons maintenant qu'il y a des marges bénéficiaires de l'ordre de 10c. le litre pour les raffineurs et d'environ 7c. le litre pour les détaillants. Nous savons que quatre sociétés verticalement intégrées accaparent maintenant 90 p. 100 du marché de l'essence vendue dans la grande région de Toronto.

Je crains que la loi, ainsi que votre proposition d'y apporter des modifications pour qu'il puisse y avoir révision au civil et, je pense, pour supprimer trois ou quatre mots concernant... Je pense que l'expression que vous avez employée était «pour éliminer un concurrent». Est-ce bien cela?

M. Ralph Winter: Oui.

M. Dan McTeague: Croyez-vous que la Loi sur la concurrence, surtout en ce qui concerne l'établissement de prix abusifs, permettrait de déceler... ou même de mettre en place un régime qui ferait que les consommateurs ne soient pas lésés, comme c'est si manifestement le cas à Toronto et sans doute aussi dans tout le reste du pays?

M. Ralph Winter: Permettez-moi d'abord de dire que la suppression de l'expression «ou éliminer un concurrent» à l'alinéa 50(1)c) n'amoindrirait pas le pouvoir conféré par cet article de détecter les cas véritables d'établissement de prix abusifs, parce que subsisterait la condition de «sensiblement réduire la concurrence».

Deuxièmement, pour répondre à votre question, je pense que la question des prix de détail de l'essence est plus étroitement liée à celle de la collusion que de l'établissement de prix abusifs. C'est la pratique ou la disposition que j'examinerais pour évaluer les données recueillies concernant le marché de la vente au détail de l'essence à Toronto.

Troisièmement, je dirais que je n'ai pas personnellement étudié ce marché en détail, mais je sais bien que le Tribunal de la concurrence a fait une étude sur une période précise de flambée des prix de l'essence en juillet 1999, et a conclu que rien ne permettait de conclure qu'il y avait complot. Je ne l'affirmerais pas aussi catégoriquement, mais on n'a pas trouvé de preuve de collusion pour hausser les prix de l'essence.

J'aimerais ajouter un quatrième point, si vous le permettez, pour attirer l'attention en quelque sorte sur les limites de la politique de la concurrence. Parfois, sur les marchés, les prix sont bas, et parfois ils sont élevés. Ils peuvent être élevés en raison de ce que les économistes appellent la collusion tacite, ou la reconnaissance du fait que des rivaux pourraient réagir à l'abaissement des prix, et même l'espoir, l'anticipation, que les entreprises concurrentes vont accepter une hausse des prix.

La collusion tacite est souvent insaisissable. Il est très difficile de la détecter au moyen de la politique sur la concurrence. En fait, cette politique n'a pas permis de contrer cette pratique au Canada ni aux États-Unis. Sans reconnaître qu'il existe une collusion tacite pour fixer le prix de détail de l'essence, je dirais que si tel est le cas, c'est regrettable, mais c'est là un secteur où la réglementation gouvernementale ne va pas améliorer la situation du marché.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Dernière question.

M. Dan McTeague: Merci, monsieur le président.

Monsieur Winter, un bon nombre d'entre nous de ce côté-ci ont pris l'initiative d'examiner en particulier le secteur de l'essence, mais nous avons aussi porté notre attention sur d'autres secteurs pour montrer qu'à partir du moment où deux ou trois intervenants réunissent ce qui est bien plus qu'un contrôle substantiel du marché, comme on le voit dans le secteur de l'essence et des marchés d'alimentation, et comme nous le voyons maintenant dans différentes autres industries, il leur est très facile d'utiliser leur pouvoir sur le marché de gros ou leur puissance de fournisseurs verticalement intégrés pour assujettir les détaillants, alors qu'ailleurs il existe une ligne de démarcation, une cloison très nette entre la vente au détail et la vente en gros d'un produit. Cette distinction semble avoir totalement disparu au Canada pour différentes raisons et elle est souvent et commodément oubliée par la plupart, sauf par les membres de ce côté-ci de la table du comité.

• 0940

Pour ce qui est de l'essence, par exemple, il y en a trois qui contrôlent la vente du produit. Il n'est pas nécessaire de comploter si on a un prix de gros qui est fixé par un des meneurs dans la région un beau matin et que les autres ne font qu'emboîter le pas. Différentes autres sociétés en témoignent, disant: «Ce n'est jamais nous qui fixons les prix; nous suivons toujours la tendance.» Sunoco est un bon exemple.

Voici ce qui m'inquiète. Est-ce que dans tout cela nous avons tenu compte du fait que le Canada est un tel oligopole, pour ne pas dire un oligopsone dans le cas du secteur des marchés de l'alimentation, que nous avons tout simplement oublié et supposé que nous vivons dans un monde où l'on se dit: «Il y a beaucoup de concurrence, et nous ne voulons pas qu'elle disparaisse»? Ou avons vraiment tenu compte de la réalité de notre économie, soit qu'elle est fort peu concurrentielle, que le marché est fortement concentré et qu'il y a trois ou quatre intervenants qui peuvent dominer des secteurs clés de l'économie? Voilà, ce sont là mes inquiétudes.

M. Ralph Winter: Je vais répondre à la question sur le plan général de façon quasi théorique, aussi.

Je ne suis pas de ces économistes exagérément optimistes qui croient que les marchés sont parfaitement concurrentiels et que la situation actuelle est idéale. Je suis de ceux qui reconnaissent qu'elle est marquée par des perturbations et des inefficacités que la réglementation gouvernementale ne peut tout simplement pas corriger. Nous vivons dans un monde imparfait, qui n'est pas idéal.

Les règles courantes du droit en matière de complot montrent qu'il est difficile de cerner ce qui constitue et ce qui ne constitue pas de la collusion tacite. Il est difficile de dire à des entreprises: «Ne vous occupez pas de ce que font vos concurrents. Vous devez agir indépendamment.» On ne peut se contenter d'inscrire cette règle dans la loi et espérer qu'elle donne des résultats.

Je dirais donc que, malheureusement, en raison de la faible densité de population au Canada et des économies d'échelle des divers marchés, on a tendance à avoir davantage d'oligopoles qu'aux États-Unis, mais il faut bien s'en accommoder.

M. Dan McTeague: Je le reconnais.

Merci, monsieur le président.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.

Nous allons maintenant donner la parole à M. Trebilcock et entendre son exposé.

Merci pour votre patience.

M. Michael Trebilcock (Université de Toronto): Merci beaucoup. Veuillez m'excuser pour ce retard, je n'y pouvais rien; à Toronto, ce matin, les vols étaient retardés. Je dispose de combien de temps, monsieur le président?

Le vice-président (Walt Lastewka): De dix à douze minutes.

M. Michael Trebilcock: Merci beaucoup.

Ce matin, je vais parler de l'application au civil des lois sur la concurrence. Plus particulièrement, je vais essayer de faire valoir l'intérêt qu'il y a à accorder aux simples particuliers un accès direct au Tribunal de la concurrence dans les cas de pratiques sujettes à révision.

Actuellement, selon la Loi sur la concurrence, les particuliers peuvent intenter des poursuites relativement à des délits criminels qui concernent principalement l'établissement de prix mais aussi certains autres délits concernant la fixation des prix, devant les tribunaux civils ordinaires. Mais les simples particuliers n'ont pas le droit d'intenter des procédures devant le Tribunal de la concurrence relativement à un vaste ensemble de pratiques justiciables, comme les accords d'exclusivité, les ventes liées, l'abus de position dominante, le refus de faire le commerce, et ainsi de suite.

Je soutiens, bien simplement, que les particuliers devraient pouvoir entamer des poursuites devant le Tribunal de la concurrence relativement à toutes ces pratiques justiciables, à l'exception peut-être des fusions, qui souvent comportent un délai critique.

Voici mon raisonnement. Tout d'abord, le rôle de l'application au civil de la Loi sur la concurrence date d'il y a longtemps. En fait, il remonte à la toute première loi adoptée en common law sur les monopoles, la loi anglaise de 1623 sur les monopoles, qui accordait aux particuliers le droit d'intenter des poursuites au civil et de réclamer des dommages-intérêts au triple pour délimitation déraisonnable du commerce. Pendant plusieurs siècles, c'est la principale loi qu'on a appliquée dans ce domaine.

• 0945

En outre, la common law sur les restrictions commerciales qui s'est développée à partir du Moyen-Âge permettait aux particuliers de contester des accords restrictifs déraisonnables, comme les restrictions commerciales dans les contrats d'embauche, dans la vente d'entreprise, et eu égard à diverses guildes, à des syndicats et à des organismes autoréglementés. Encore là, les particuliers, selon la common law applicable aux restrictions commerciales, avaient le droit de contester ces restrictions déraisonnables devant les tribunaux.

Rétrospectivement, l'action au civil a donc toujours constitué un élément important dans ce secteur du droit. Toutefois, je tiens à souligner qu'en vertu de la Loi sur la concurrence en vigueur au Canada, à l'exception de l'article 36 portant sur les poursuites au civil relatives aux délits criminels, les particuliers n'ont actuellement aucun droit d'intenter des actions. D'ailleurs l'article 36 n'a été adopté qu'en 1976, si bien que pour la plus grande partie de l'histoire de la Loi sur la concurrence du Canada, les particuliers n'ont eu aucun droit d'intenter des poursuites. L'histoire nous montre donc qu'il y a de bonnes raisons d'accorder un rôle important aux droits des particuliers d'intenter des poursuites au civil.

Deuxièmement, il y a de bonnes raisons aussi d'un point de vue comparatif pour accorder un tel rôle. Le rapport Robert commandé pour le Bureau de la concurrence examine l'expérience d'autres grands pays, et je pense que partout sauf dans un cas, c'est-à-dire au Royaume-Uni, on accorde un rôle important et très vaste aux droits des particuliers de poursuivre au civil. Si bien qu'en comparaison de ces différentes expériences, il ressort que le Canada est un cas aberrant du fait qu'il accord un rôle limité aux droits des particuliers d'intenter des poursuites.

Un troisième facteur justifiant de tels droits dans le cas des pratiques justiciables devant le Tribunal de la concurrence, c'est le nombre relativement peu élevé de poursuites intentées par les pouvoirs publics dans ce domaine. De 1976 à 1986, soit sur une période de 10 ans, seulement deux cas ont été soumis à l'entité qui existait avant le Tribunal de la concurrence, une affaire de vente liée et une affaire d'accord d'exclusivité—deux cas en dix ans. De 1986 à 2000, l'année en cours, le Bureau a saisi le Tribunal de neuf litiges—neuf cas en quinze ans. On ne peut pas dire que les pouvoirs publics se sont évertués à appliquer la loi. Ils l'ont fait onze fois en 25 ans pour des affaires de débats autres que criminels—c'est-à-dire, des restrictions verticales, des fusions, des abus de position dominante et d'autres cas encore.

On peut invoquer—et je l'ai déjà fait dans des écrits antérieurs—des arguments pour ou contre l'attribution d'un rôle important aux particuliers dans l'application de la loi. Je ne sais pas s'il serait utile de présenter à nouveau ces arguments en détail ici, mais pour moi l'essentiel c'est que le but même des règles de droit en matière de concurrence et de la Loi sur la concurrence est bien sûr de remédier aux maux que présentent les monopoles privés. Il me semble tout à fait incongru dans ce contexte d'accorder un monopole public à une agence gouvernementale pour remplir cette fonction.

Accorder aux simples particuliers le droit d'accès direct au Tribunal de la concurrence et la possibilité d'intenter directement des poursuites devant celui-ci est une façon de tenir les agences publiques—en l'occurrence le Bureau—responsables de l'exercice de leur pouvoir de mise en application. C'est aussi un moyen pour le Bureau, sous la pression de particuliers dans le cas d'affaires ou de plaintes que le Bureau pourrait juger frivoles, d'être en mesure de dire: «Si vous n'aimez pas notre décision de ne pas donner suite à cette affaire, chargez-vous en vous-mêmes.» C'est une possibilité que le Bureau et le commissaire n'ont pas pour l'instant.

Selon moi, il convient d'accorder aux particuliers le droit d'intenter des poursuites devant le tribunal relativement à toutes les pratiques justiciables, à l'exception peut-être des fusions.

• 0950

Quels recours devraient avoir les particuliers dans ces poursuites? Eh bien, ils devraient, d'abord, avoir les mêmes types de recours spécifiques—les injonctions, les ordonnances de cesser et de s'abstenir, les mesures de redressement provisoires—que ceux que peut invoquer le commissaire. Ces recours devraient être accessibles aux particuliers, mais je dirais en outre, et je reconnais que c'est contesté, que les particuliers devraient pouvoir toucher des dommages-intérêts à titre d'indemnisation—c'est-à-dire, une simple réparation—si le tribunal conclut qu'un défendeur ou un intimé a violé l'une ou l'autre des dispositions de la loi portant sur les pratiques justiciables.

Je sais que le secteur des affaires et certains juristes s'opposent à cette proposition, mais je ne parviens absolument pas à comprendre pourquoi des demandeurs dont les plaintes ont été jugées fondées par le tribunal et qui ont subi des pertes devraient avoir à absorber ces pertes passées et se contenter d'une réparation future. Il y a eu perte, quelqu'un l'a subie, soit l'intimé ou le plaignant. Pourquoi le plaignant, dans les cas où l'on a reconnu le bien-fondé de sa plainte, devrait-il avoir à absorber ces pertes?

Je reconnais qu'il y a un certain risque d'abus du droit des particuliers d'intenter des poursuites et qu'il faut utiliser stratégiquement de ce droit, que c'est un avantage accordé aux particuliers qui peut ne pas cadrer avec les objectifs de politiques d'intérêt public de la loi—par exemple, des entreprises faisant face à des offres publiques d'achat hostiles pourraient par divers moyens stratégiques se servir du processus juridique pour écarter des entreprises, et ainsi de suite, soit des choses qui n'ont rien à voir avec des questions de politique de la concurrence. Mais je pense que l'abus du processus par des plaignants peu scrupuleux peut être rigoureusement contrôlé. Le commissaire peut se voir confier le droit d'intervenir et de présenter son avis sur le bien-fondé de l'affaire au tribunal. Il y a un intervenant désintéressé, et le commissaire peut donc présenter son avis au tribunal dans les affaires privées. Je pense qu'il devrait y avoir une procédure obligatoire de jugement sommaire afin que les demandes frivoles ou vexatoires puissent être décelées rapidement. Il devrait y avoir des règles appropriées en ce qui concerne les frais afin que les cas non fondés qui sont déboutés entraînent des coûts punitifs pour les plaignants qui les ont présentés.

Avec un peu de bonne foi et de réflexion pour raffiner ces protections en matière de procédures, nous devrions réclamer avec enthousiasme qu'on permette aux particuliers d'intenter des procédures directement devant le tribunal.

Je termine par ce dernier point. Je remarque—je ne sais pas si cela se trouve dans des projets de loi d'initiative parlementaire ou dans les propositions du commissaire—que l'on propose que l'accès des particuliers au tribunal soit accordé seulement en ce qui concerne l'article 75, les refus de faire le commerce, et l'article 77, les accords d'exclusivité et les dispositions de vente liée. À mon avis, on ne va pas assez loin ainsi. Dans toutes les affaires relatives à l'article 77 qui ont été présentées dans les dernières années, on a en revanche invoqué les dispositions concernant l'abus de position dominante. C'est-à- dire que dans toute affaire d'accord d'exclusivité ou de vente liée—NutraSweet, Neilson, Télé-Direct—, le bureau a plutôt invoqué l'abus.

J'exhorte le comité à recommander que les dispositions d'abus soient assujetties à ce régime. Pour ce qui est des dispositions sur l'abus de position dominante, je serais d'accord pour ne pas inclure les dispositions sur les fusions.

Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous allons maintenant revenir aux questions.

Monsieur Dubé.

[Français]

M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Avant de poser une question à M. Trebilcock, j'aimerais, comme vient de le faire le professeur, vous poser une question, monsieur Winter. Vous dites que les condamnations sont rares. Êtes-vous en mesure de nous dire à peu près le nombre de causes qui ont pu être signalées au cours des années?

• 0955

[Traduction]

M. Michael Trebilcock: Laissez-moi essayer de répondre à cette question.

Je crois que le bureau a reçu plusieurs centaines de plaintes sur la pratique des prix d'éviction au cours des dix ou quinze dernières années. Que je me souvienne, seules trois ou quatre ont donné lieu à des poursuites. Il y a peut-être eu une condamnation au criminel, dans l'affaire Hoffmann-La Roche, et peut-être qu'il y a en eu d'autres dont je ne me souviens pas. Mais vous parlez de centaines de plaintes, et de seulement une ou deux condamnations.

M. Dan McTeague: Il y a l'affaire de l'école de conduite.

M. Michael Trebilcock: Ah, l'affaire de l'école de conduite. C'était une question de complot, non?

M. Dan McTeague: Une question de pratique de prix d'éviction.

[Français]

C'est une enquête qui a eu lieu et qui a mené à la condamnation d'une compagnie qui donnait des cours de conduite automobile.

M. Antoine Dubé: Vous parlez de la fameuse école. D'accord. Donc, les condamnations sont très rares, alors qu'il y a eu, dites-vous, des centaines de plaintes. Est-ce que l'accès direct au tribunal aurait pu changer quelque chose?

[Traduction]

M. Michael Trebilcock: Actuellement, évidemment, ce que les particuliers font, c'est qu'ils se plaignent au bureau, et si ce dernier ne donne pas suite à leur doléance, il n'y a rien qu'ils puissent faire.

Ce n'est pas tout à fait exact. Les particuliers pourraient intenter des poursuites conformément à l'article 36 et à l'alinéa 50(1)c). Cependant, il faut alors démontrer qu'il y a eu infraction criminelle. Il faut se tourner vers les tribunaux civils. Mais le fardeau de la preuve est assez lourd.

Je dirais que souvent dans les affaires de pratique de prix d'éviction, les particuliers se plaignent du fait que cette pratique fait partie d'un problème beaucoup plus général de mesures limitatives ou disciplinaires. La disposition sur l'abus de position dominante permet justement aux particuliers de parler de la fixation des prix, ainsi que de toute une gamme d'autres pratiques—je crois que l'affaire NutraSweet serait un bon exemple, ou même Laidlaw, ou Microsoft—et les particuliers à ce moment-là n'utilisent pas un seul exemple pour démontrer qu'il y a eu des pratiques de prix d'éviction, mais peuvent démontrer qu'il y a eu des agissements au niveau des contrats et d'autres choses qui ensemble démontrent qu'il y a eu abus de position domaine. Je crois que cette disposition sur l'abus de position dominante serait une façon plus efface de donner suite à ces doléances que la disposition qui précise qu'il faut démontrer que les pratiques de prix d'éviction représentent une infraction criminelle.

[Français]

M. Antoine Dubé: D'une façon générale, lorsqu'on parle des mesures du Code criminel, ça semble plus sévère. Mais en même temps, est-ce qu'il n'y a pas un effet pervers qui fait en sorte que puisque c'est difficile à prouver, c'est finalement moins efficace que des poursuites au civil?

[Traduction]

M. Michael Trebilcock: Je crois que la jurisprudence qui entoure la Loi sur la concurrence le démontre aujourd'hui. Les députés se souviendront que jusqu'en 1976, tout relevait du code pénal—les fusions, les monopoles. Toute la loi était fondée sur le droit pénal. Nous savons que même si les fusions et les monopoles anticoncurrentiels pouvaient être visés par des sanctions criminelles, en 70 ou 80 ans, il n'y a eu qu'une poignée de poursuites et encore moins de condamnations. La criminalisation d'un secteur comme celui-là ne veut pas dire que la force de dissuasion sera plus grande. Nous avons constaté, en étudiant l'application de la loi, que lorsqu'il y a des lois criminelles interdisant les fusions et les monopoles, ces lois deviennent en fait lettre morte. Soit que l'on ne les appliquait pas ou qu'elles étaient impossibles à appliquer.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Dubé.

Madame Jennings.

• 1000

Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais vous remercier, messieurs, de vos exposés.

Comme vous le savez sans aucun doute, le Comité permanent des transports étudie actuellement le projet de loi C-26, qui modifie la Loi sur les transports et la Loi sur la concurrence. Une des modifications proposées à la Loi sur la concurrence permettrait au commissaire de rendre une ordonnance provisoire de cesser et de s'abstenir. Cette proposition a provoqué la colère de nombres de témoins qui s'adressent au Comité des transports et qui disent que cela va l'encontre de la Constitution; que cela va à l'encontre d'un arrêt de la Cour suprême du Canada sur les protections accordées par la Charte des droits et libertés en matière de saisie et de perquisition; et que l'on créait ainsi un poste de commissaire qui serait à la fois procureur et juge; et j'en passe du genre. À mon avis, on exagère énormément la situation.

Le commissaire à la concurrence, quant à lui, a dit publiquement non seulement qu'il était en faveur de cette proposition, mais qu'il voudrait qu'une modification semblable visant à élargir son autorité à cet égard, qui n'est prévue pour l'instant que pour le secteur du transport aérien, soit adoptée afin de lui permettre de rendre des ordonnances temporaires de cesser et de s'abstenir pour d'autres secteurs d'activité.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Michael Trebilcock: J'ai bien peur que vous serez déçu, parce que je partage nombre des préoccupations dont vous venez de faire état. Ma collègue Margaret Sanderson, qui attend pour comparaître devant le comité, vous parlera plus précisément des opinions que nous partageons sur la question. Nous avons préparé des mémoires conjoints que nous avons présentés à l'autre comité, et enfin un bref article sur la question.

Je crois qu'il y a de graves préoccupations en ce qui a trait aux recours possibles associés à cette façon de procéder. Au risque qu'on me reproche de reprendre la même rengaine, j'accorderais aux particuliers qui s'inquiètent de la pratique de prix d'éviction de la part de lignes aériennes ou des magasins d'épiceries, ou d'autres types de pratiques abusives de la part de ceux qui sont dans une position dominante, un accès direct au tribunal, ainsi qu'un redressement accéléré comme c'est déjà prévu pour le commissaire dans les cas de fusions. Selon l'article 100, le commissaire peut s'adresser aujourd'hui au tribunal. Il s'agit de modifications qui ont été adoptées il y a environ un an.

Mme Marlene Jennings: Monsieur Trebilcock, en pratique actuellement, combien faut-il de temps lorsque le commissaire s'adresse...

M. Michael Trebilcock: Il peut obtenir une injonction interlocutoire en deux ou trois jours.

Mme Marlene Jennings: Vous croyez donc que des mesures pourraient être adoptées pour accélérer le processus et le rendre plus efficace, de sorte qu'il protège les droits des divers secteurs.

M. Michael Trebilcock: C'est exact. Je ferais ce que le Parlement a fait il y a deux ans en ce qui a trait aux fusions, et je ferais de sorte que le commissaire dispose d'un processus accéléré pour obtenir une injonction intérimaire du tribunal. Mais je ne le laisserais pas rendre cette ordonnance.

Mme Marlene Jennings: Très bien.

M. Michael Trebilcock: J'aimerais bien que le processus accéléré ne soit pas limité aux lignes aériennes mais s'applique à toutes sortes de pratiques justiciables. De plus, je ne limiterais pas cela au commissaire; je permettrais également aux particuliers de...

Mme Marlene Jennings: D'avoir également accès à ce redressement.

M. Michael Trebilcock: ... s'adresser au tribunal et d'obtenir un redressement provisoire.

Mme Marlene Jennings: C'est justement ce que vous dites, que l'application au civil ne devrait pas être limitée à une disposition particulière de la Loi sur la concurrence mais devrait plutôt être généralisée.

M. Michael Trebilcock: C'est exact.

Mme Marlene Jennings: Très bien. Cela veut dire qu'il y aura donc beaucoup plus d'études de cas et...

M. Michael Trebilcock: Une application plus rigoureuse.

Mme Marlene Jennings: C'est vrai.

M. Michael Trebilcock: Je voudrais également qu'on donne aux particuliers un redressement provisoire.

Mme Marlene Jennings: Vous n'appuyez donc pas le projet de loi C-26.

M. Michael Trebilcock: C'est exact.

Mme Marlene Jennings: Vous diriez en fait que la décision appartient aux particuliers.

M. Michael Trebilcock: Non, je permettrais aux particuliers, ou au commissaire, de s'adresser au tribunal et de dire: «Nous avons une situation urgente, j'ai besoin d'une injonction interlocutoire ou d'une injonction provisoire.»

Nous avons déjà d'ailleurs déjà renforcé la loi à cet égard il y a un an ou deux en ce qui a trait aux fusions en modifiant l'article 100. Personne, à ma connaissance, ne s'oppose aux modifications apportées à ce moment-là. Je dis simplement...

Mme Marlene Jennings: Servez-vous de ces modifications.

M. Michael Trebilcock: ... servez-vous de ces modifications dans toutes les circonstances.

• 1005

Stanley Wong, le témoin suivant, et Margaret Sanderson peuvent tous deux vous en dire un peu plus long sur cette suggestion, parce que je crois qu'ils appuient tous les deux cette proposition.

Mme Marlene Jennings: Merci beaucoup.

Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Winter?

M. Ralph Winter: Non, je partage les opinions de M. Trebilcock à cet égard, des opinions qu'il a mieux exprimées que je n'aurais pu le faire.

Mme Marlene Jennings: Abstraction faite de la question des recours, selon les pouvoirs actuels du commissaire à la concurrence, les modifications proposées dans le projet C-26 assurerait non seulement la concurrence, mais permettraient aussi de protéger un concurrent. Si j'ai bien compris les modifications proposées, il me semble que c'est l'objectif visé. Il ne s'agit pas simplement d'assurer une saine concurrence dans un secteur particulier—dans le cas qui nous occupe il s'agit du secteur du transport aérien—mais en fait de protéger un concurrent en particulier.

M. Ralph Winter: Je dirais que c'est le cas. Je crois que M. Trebilcock et Margaret Sanderson ont rédigé un document sur la question.

Je conviens parfaitement que l'on devrait limiter le concept de la pratique des prix d'éviction à la protection de la concurrence, et non à la protection des concurrents, qu'il s'agisse de lignes aériennes ou d'autres industries. Je suis d'accord avec M. Trebilcock; en effet, il serait approprié que le commissaire et d'autres parties demandent des injonctions provisoires, comme cela s'est fait pour les fusions et comme ça se fait pour divers domaines de la loi.

Mme Marlene Jennings: Merci beaucoup.

M. Michael Trebilcock: Margaret Sanderson peut vous dire quelques mots sur la question que vous venez de soulever en ce qui a trait au projet de loi.

Mme Marlene Jennings: Je lui poserai donc ces questions tout à l'heure.

M. Michael Trebilcock: Très bien. Elle le sait maintenant.

Mme Marlene Jennings: Vous aurez été prévenu.

Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, madame Jennings.

Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Monsieur Trebilcock, vous avez dit en réponse à une question de Mme Jennings que vous ne croyez pas que le commissaire devrait pouvoir rendre une ordonnance de cesser et de s'abstenir mais plutôt devrait s'adresser au tribunal; est-ce que vous êtes de cet avis parce que vous croyez qu'il devrait y avoir une séparation pour que le commissaire ne soit pas juge et jury? Ai-je bien compris?

M. Michael Trebilcock: Oui, c'est en fait la raison. C'est la façon dont nous avons organisé l'application des règlements et de la loi dans ce domaine depuis ses débuts. En fonction des poursuites, l'enquête et l'application des règlements relèvent d'une entité et la fonction juridictionnelle relève soit des tribunaux—depuis 1976—pour les questions d'ordre criminel, ou du tribunal administratif pour ce qui est des pratiques justiciables.

Cette évolution a été longue et compliquée, mais je crois qu'elle est bien logique. Je sais que vous pouvez trouver des exceptions. La Federal Trade Commission des États-Unis cumule différentes fonctions. La commission européenne DG04 fait tout: elle enquête, poursuit et décide. Mais je crois que cela va à l'encontre de la tradition juridique au Canada. Il n'y a pas de raisons de procéder de cette façon. Si nous modifions l'article 104 de la loi comme nous avons modifié l'article 100, pour ce qui est des fusions, le commissaire pourrait s'adresser dans les 24 heures au tribunal et obtenir une injonction interlocutoire.

Je crois que les avocats estiment simplement que ce n'est pas approprié. Par exemple, dans d'autre secteurs du Code criminel, nous ne pourrions pas accepter qu'un procureur de la Couronne soit l'enquêteur, le procureur et l'arbitre. Nous ne pourrions pas accepter cette notion. On estimerait plutôt qu'il s'agit de quelque chose qu'on trouverait en Russie, un type de justice stalinienne, qui chargerait un fonctionnaire de l'enquête, de la poursuite et du jugement. C'est un peu comme le goulag.

Je ne dis pas qu'il faudrait voir les choses de cette façon, parce que je sais que ces fonctions ont été intégrées dans les régimes juridiques visant la concurrence. Nous avons décidé de ne pas le faire au Canada, cela fait partie de notre histoire. Nous avons séparé ces fonctions et je crois qu'il y a de très bonnes raisons de le faire. Il n'y a pas de bonne raison de changer cette tradition juridique, parce que nous pouvons répondre à ce besoin en matière de redressement accéléré tout en maintenant la séparation des fonctions en apportant des modifications à la loi comme je l'ai signalé tout à l'heure, en élargissant l'application des modifications apportées à l'article 100 à d'autres secteurs, en donnant aux particuliers un accès direct au tribunal pour déposer des plaintes et enfin en donnant aux particuliers le même accès à cette forme de redressement intérimaire accéléré qui est déjà offerte au commissaire.

• 1010

M. Charlie Penson: Je crois que c'est un bon conseil à offrir au comité, et je vous en remercie.

M. Dubé vous a posé une question sur les pratiques de prix d'éviction, il vous a demandé combien de poursuites avaient été intentées au cours des dernières années et combien il y avait eu de condamnations. Je crains qu'en autorisant des poursuites au civil—je crois que vous en avez déjà parlé tout à l'heure, mais j'aimerais avoir de plus amples détails—, on pourrait se retrouver avec des milliers de plaintes, plutôt que quelques centaines seulement. Vous laissez entendre qu'on pourrait prévoir certains mécanismes de protection. Par exemple, si des poursuites frivoles sont intentées, le particulier devra assumer les coûts. Si j'ai bien compris, vous croyez qu'on peut régler le problème en prévoyant des mesures de protection particulières. Ai-je bien saisi?

M. Michael Trebilcock: Des mesures de protection au niveau de la procédure, c'est une bonne chose. J'ai peine à croire qu'on pourrait passer d'une, deux ou trois affaires au cours des dix ou quinze dernières années à des centaines. Après tout, ce chiffre passerait peut-être de trois à vingt. J'ai choisi le chiffre 20 au hasard, mais nous ne parlons pas de changements spectaculaires, peu importe les règles de procédure, car celles-ci peuvent être plus ou moins restrictives.

Vous pourriez avoir des règlements très stricts sur les coûts, stipulant que le plaignant, s'il n'a pas gain de cause à l'étape du jugement sommaire ou lors de la dernière audience, doit assumer tous les coûts de l'autre partie. Vous pourriez également donner au commissaire le droit d'intervenir et de surseoir à l'instance. Cela serait bien limitatif. Ainsi, le commissaire pourrait dire: «À mon avis, cette intervention n'est pas fondée; je demande de surseoir à l'instance pour les raisons qui suivent.» Je n'appuierais pas un règlement aussi restrictif, parce que je ne crois pas que ce genre de catastrophe ou d'augmentation spectaculaire du nombre de plaintes se produira.

M. Charlie Penson: Est-ce parce que la jurisprudence fixerait des balises, de manière à éliminer les poursuites frivoles?

M. Michael Trebilcock: J'ai enseigné avec mon collègue M. Winter le droit de la concurrence, et je suis coauteur avec lui d'un ouvrage sur la question. Je dois donc dire que je partage son interprétation des facteurs économiques entourant la question. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment beaucoup de cas de pratique de prix d'éviction.

J'accepte et j'appuie ces préoccupations à l'égard du libellé de l'article 50 où on utilise le terme «éliminer un concurrent». Nous éliminons des centaines de concurrents tous les jours dans tous les secteurs de l'économie, et nous faisons cela depuis toujours. C'est ce que les marchés font. Ce qui nous inquiète, c'est non pas l'élimination des concurrents mais de la concurrence.

Je crois qu'en établissant un critère approprié—qui serait le même dans le contexte criminel que dans le contexte civil, que les poursuites soient entamées par le commissaire ou par un particulier—, si des personnes compétences sont nommées au tribunal, comme c'est le cas, on ne verra pas de décisions farfelues. Les gens sauront, les particuliers sauront, que s'ils formulent des plaintes non fondées, ils n'auront pas gain de cause et ils finiront par assumer toutes sortes de coûts directs et indirects.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Penson.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: Monsieur Trebilcock, je m'inquiète également de l'objectif que vous avez mentionné, soit d'assurer que les concurrents ne sont pas éliminés. Vous vous attaquez directement aux dispositions de cesser et de s'abstenir qui figurent dans mon projet de loi, le C-472. Vous laissez entendre que l'article 100 modifié pourrait être un bon exemple d'une façon d'obtenir des injonctions provisoires si le Bureau à la concurrence jugeait que cela était nécessaire.

C'est bien joli de dire tout cela, mais évidemment dans les circonstances actuelles, vous le savez tout aussi bien que moi, et je crois que les avocats dans cette salle le savent, de telles ordonnances et de telles mesures de redressement ne peuvent être assurées qu'une fois que le commissaire a procédé à une enquête et à déposer une demande auprès du tribunal. Il ne s'agit pas de 24 heures, il s'agit plutôt de trois mois, peut-être six mois et peut-être même deux ans.

Peu importe, cela va à l'encontre de l'objectif que vous vous êtes fixé. Et je dois dire que pendant cette période d'enquête, il est fort possible—et je l'ai vu directement dans bien des secteurs d'activité—que le plaignant aura été évincé du marché.

• 1015

Je sais que lors de ce processus, si le tribunal a pris une décision, la personne visée par l'ordonnance peut également présenter une demande au tribunal pour sa modification ou sa levée. Je crois également que le Bureau de la concurrence n'est pas en mesure d'agir comme un goulag, comme nous l'avons vu en Union soviétique, mais applique simplement une loi. J'ai du mal à accepter votre objectif qui est d'assurer que les concurrents efficaces restent en affaires car vous semblez écarter du revers de la main l'importance de l'ordonnance de cesser et de s'abstenir.

Je ne suis pas convaincu que l'article 7... Le Barreau va certainement s'assurer que si cette disposition est adoptée, elle sera portée devant les tribunaux, et à la lumière des réserves que je viens d'énumérer, je ne suis pas persuadé que le tribunal rejetterait cette requête.

M Michael Trebilcock: Je comprends votre point de vue et vos motifs. J'essaie de parvenir aux mêmes fins; c'est-à-dire, dans de nombreuses circonstances, j'estime que l'on doit disposer d'un redressement accéléré. Je pense que les traditions politiques et juridiques au Canada dans ce domaine depuis 1889 veulent que l'on confie à un organisme donné les fonctions de faire enquête et d'appliquer la loi et à un autre la fonction juridictionnelle. C'est ainsi que nous procédons depuis 100 ans et il ne faudrait pas oublier complètement pourquoi nous avons procédé ainsi, ce dont je ne vous accuse pas.

Je pense que vous et moi partageons le même objectif: il doit exister une procédure efficace de redressement accéléré, non seulement dans le cas des prix d'éviction mais dans toute une gamme d'autres domaines. Il s'agit simplement de déterminer d'où viendra le redressement. Celui-ci viendra-t-il du tribunal ou du commissaire lui-même qui émettra une ordonnance provisoire?

Vous dites que le commissaire ne peut invoquer l'article 100, qui à l'heure actuelle ne vise que les fusions, mais j'y inclurais les autres domaines de la loi comme je l'ai déjà fait valoir et comme Mme Sanderson et M. Wong vont également le faire valoir. Vous prétendez qu'il doit d'abord faire enquête, mais cela ne me semble pas à justifier. D'émettre une ordonnance intérimaire tout simplement parce qu'un matin il se réveille... Ce matin, il a été retardé sur le vol d'Ottawa—Toronto. S'il émet une ordonnance simplement pour exprimer sa frustration, sans faire enquête, cela me semblerait...

M. Dan McTeague: Monsieur le professeur, je pense qu'il y a lieu de craindre que c'est arbitraire et que le bureau pourrait exercer ce pouvoir de façon plutôt désinvolte. Ce qu'il faut vraiment noter ici, malgré ce que diront ceux qui défendent le statu quo, c'est qu'en fait, une enquête peut s'éterniser.

Je crains que d'une part vous souhaitiez aller plus loin que mon projet de loi. Je ne vous le reproche pas. En fait, je vous ai cité à de nombreuses reprises en ce qui concerne les requêtes devant le tribunal. Mais si je ne peux m'adresser au bureau qui a les pouvoirs, il est tout à fait concevable—en fait, à toute fin utile, c'est le cas, sauf dans le cas de ceux qui ont des droits acquis et qui agissent pour le compte de grands clients corporatifs—qu'à titre personnel, il n'y a pas grand-chose à faire.

Presque tous les économistes qui ont comparu devant nous nous ont dit que les dommages-intérêts sont trop peu et trop tard. Il y a peut-être lieu de se préoccuper des ordonnances de cesser de s'abstenir, mais depuis l'affaire City National Leasing, la loi a évolué du criminel au civil. Personne ne contesterait je pense que nous vivons un processus de métamorphose en profondeur, comparativement à d'autres juridictions.

Vous venez de citer et de consigner au procès-verbal ce qui se passe dans plusieurs autres juridictions qui ne s'inquiètent pas des ordonnances de cesser et de s'abstenir. À cause de la tradition de droit que nous avons au Canada, nous devons nous assurer de protéger de tels recours. Comme parlementaires, nous écrivons les lois et nous devons nous assurer qu'elles sont efficaces. Si certains se préoccupent du chevauchement entre le jugement et la poursuite, il y a peut-être lieu de s'inquiéter. Mais la fin justifie-t-elle les moyens? Si certains y perdent et les concurrents y perdent, pourquoi qualifier cette loi de loi sur la concurrence? Sans ce genre de pouvoir, c'est une farce.

M. Michael Trebilcock: Nous devrons accepter vous et moi que chacun reste sur ses positions à ce sujet. Je ne veux pas vous laisser l'impression que je suis timoré sur ces questions. J'ai subi beaucoup de pression ces dernières années à cause de propositions de poursuite au civil, de la part des mêmes personnes qui critiquent vos propositions. Elles estiment en effet que vous allez beaucoup trop loin en envisageant une approche plus vigoureuse et agressive à l'application de la loi.

• 1020

M. Dan McTeague: Mais nous savons pourquoi elles le font, monsieur le professeur. Nous savons d'où viennent ces critiques. C'est le système qui le permet.

M. Michael Trebilcock: Je voulais simplement m'assurer que vous ne me placiez pas dans la même catégorie à cause des préoccupations que je partage avec ces personnes sur ces dispositions précises de cesser et de s'abstenir.

Je pense que le redressement interlocutoire accéléré du genre prévu par le Parlement... C'était la meilleure décision du Parlement dans le contexte des fusions aux termes de l'article 100: des pratiques généralisées passibles de révision plus l'accès des particuliers au tribunal, non seulement pour obtenir des ordonnances de cesser et de s'abstenir, mais également pour obtenir un redressement intérimaire, et dans mon cas, des dommages et intérêts. Vous dites qu'il n'y a rien à faire lorsque les dommages sont déjà faits. Je dirais que ces particuliers doivent avoir accès à des dommages et intérêts. Commencez la pratique pour l'avenir jusqu'au moment où les dommages sont survenus et ensuite indemnisez.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.

Nous allons maintenant passer à Mme Jennings.

Mme Marlene Jennings: J'aimerais revenir à la question de la proposition d'ordonnance de cesser et de s'abstenir aux termes des amendements au projet de loi C-26 et de ce que M. McTeague propose dans son projet de loi d'initiative privée.

On prétend notamment qu'au Canada, la tradition veut que l'on distingue entre la fonction de faire enquête et la fonction juridictionnelle. Ce n'est pas tout à fait le cas. Nous avons également la tradition des commissions dans divers secteurs, des organismes administratifs qui allient les pouvoirs de réglementation, et les pouvoirs d'enquête et les pouvoirs décisionnels. C'est à la fin des années 60 que l'on a créé les premières commissions administratives. Elles possédaient ces trois fonctions et donc cette tradition existe aussi. Je tenais simplement à le souligner.

Merci.

M. Michael Trebilcock: Voulez-vous mes observations là-dessus?

Mme Marlene Jennings: Si vous le souhaitez.

M. Michael Trebilcock: Je pense que vous avez raison. Dans divers autres secteurs du droit administratif et de la réglementation, nous constatons au Canada ce mariage des fonctions. J'ai reconnu plus tôt que dans le domaine des pratiques restrictives dans d'autres juridictions, nous constatons ce même mariage des fonctions. Mon argument a pourtant une portée plus limitée: la tradition juridique au Canada dans le droit des pratiques restrictives ou le droit de la concurrence depuis 100 ans c'est de ne pas fusionner ces fonctions. Je pense qu'il y a d'excellentes raisons de maintenir ces fonctions distinctes.

Par exemple, Mme Sanderson et moi-même nous sommes rendus récemment en Thaïlande à la demande de la Banque mondiale pour conseiller le gouvernement thaïlandais sur la mise en place de son premier régime visant à limiter les pratiques restrictives. Je me suis inquiété de ce que j'ai constaté qu'on avait réuni en un seul organisme toutes ces fonctions: l'enquête, l'application et la décision. Cet organisme compte des membres clés de l'équipe ministérielle thaïlandaise, des sous-ministres principaux, des représentants de la Chambre de commerce et des diverses associations professionnelles et des spécialistes que l'on prétend indépendants. Il y a 15 politiciens, fonctionnaires, lobbyistes et spécialistes techniques qui exécutent toutes ces fonctions. Ce n'est pas une façon raisonnable de concevoir un organisme. Il faut réfléchir. Quelle est la division appropriée du travail dans ce cas?

Le tribunal a très peu de travail. J'en ai fait partie pendant deux ans et au cours des deux ou trois premières années, nous n'avons été saisis d'aucun dossier. Je peux vous donner les statistiques; il y a un dossier par année. Si nous confions au tribunal la responsabilité d'accorder un redressement provisoire, je ne pense pas qu'on nous réponde: «Nous sommes complètement débordés, nous sommes à bout de souffle.» Le tribunal peut facilement accepter que l'on augmente ses responsabilités.

• 1025

Mme Marlene Jennings: Merci.

M. McTeague est revenu sur votre suggestion d'élargir tout simplement les pouvoirs du commissaire à la concurrence en ce qui concerne les fusions afin d'y inclure le processus accéléré et les injonctions interlocutoires. Il a noté que le processus actuel prévoit que le commissaire doive d'abord terminer une enquête avant d'avoir le pouvoir d'ordonner un redressement accéléré.

Êtes-vous du même avis? En effet, la modification qu'il propose au moyen de ce projet de loi d'initiative parlementaire tente de trouver une solution à ce problème, ou de mettre fin à d'éventuels dommages afin de permettre au commissaire de terminer son enquête et de rendre une décision finale. Pensez-vous que le commissaire devrait pouvoir ordonner cette procédure avant d'avoir mené ou terminé une enquête?

M. Michael Trebilcock: Je dois dire, comme je l'ai mentionné à M. McTeague, que cela m'inquiète.

Mme Marlene Jennings: N'avez-vous pas confiance que...? Le tribunal, comme vous l'avez dit, n'a pas beaucoup à faire et je présume, si les membres qui y siègent actuellement ou qui y siégeront à l'avenir ne sont pas à la hauteur—et je n'essaie pas simplement de me faire bien voir—que si le commissaire à la concurrence demandait un redressement avant d'avoir terminé une enquête approfondie, il y aurait au moins des motifs prima facie de... Il lui faudrait au moins démontrer, prima facie, que les accusations sont solides, et qu'à première vue, la demande présentée semble fondée afin d'empêcher que ces dommages n'aient lieu et pour lui donner le temps de faire enquête.

M. Michael Trebilcock: Je pense que c'est une suggestion intéressante, qu'il demande au tribunal d'accorder un redressement provisoire avant de terminer l'enquête. On peut supposer qu'il devra démontrer quelque chose...

Mme Marlene Jennings: Oui.

M. Michael Trebilcock: ... une preuve prima facie qu'il y a infraction et préjudice irréparable.

M. Wong, je pense, est peut-être mieux placé pour répondre à cette question. Il est un avocat en exercice et il a participé à plusieurs affaires importantes dans le domaine de la concurrence. Qu'il estime ou non qu'il soit possible de structurer une procédure de redressement intérimaire au tribunal avant que l'enquête ne soit terminée, c'est-à-dire ce qui vous préoccupe, sous réserve d'une démonstration d'infraction prima facie, c'est je pense, une suggestion intéressante.

Mme Marlene Jennings: Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, madame Jennings.

Je vais demander aux témoins s'ils veulent faire quelques remarques avant que nous mettions fin à cette partie de la séance.

Monsieur Winter.

M. Ralph Winter: Non, je pense avoir bien présenté tous les arguments que j'avais.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monseur Trebilcock.

M. Michael Trebilcock: Je n'ai rien à ajouter.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Dans ce cas, merci beaucoup de votre présence ici aujourd'hui.

Nous allons prendre une courte pause et ensuite nous passerons à la partie suivante de la réunion.

• 1028




• 1034

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous reprenons nos travaux

J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Margaret Sanderson, vice-présidente de Charles River Associates, et à M. Stanley Wong de Davis & Company.

Je vais demander à Mme Sanderson de commencer.

Mme Margaret F. Sanderson (vice-présidente, Charles River Associates Canada Limited): Merci.

J'aimerais commencer par remercier les membres du comité de l'invitation de vous adresser la parole ici ce matin. C'est toujours un plaisir pour moi de revenir à Ottawa où j'ai vécu pendant 11 ans. C'est un plaisir tout particulier de témoigner pour parler d'un sujet qui m'est cher, la politique en matière de concurrence.

En guise d'introduction à toutes mes remarques, j'aimerais dire que j'ai énormément de respect pour le travail du personnel du Bureau de la concurrence que j'apprécie beaucoup. Je pense que le personnel fait un travail extraordinaire dans des circonstances souvent très difficiles. Si j'exprime des inquiétudes au sujet de certaines propositions, je ne voudrais pas donner l'impression que mes préoccupations découlent de la capacité du personnel du bureau d'exécuter ses fonctions de façon très professionnelle.

• 1035

Permettez-moi de vous donner un bref aperçu de mes propres antécédents. Je suis actuellement vice-présidente de Charles River Associates. Nous sommes une entreprise de consultation dans le domaine économique qui comprend environ 300 personnes et dont les bureaux se trouvent surtout aux États-Unis. Je dirige le bureau de Toronto de cette entreprise de consultation. Une grande partie de notre travail se fait dans le domaine de la concurrence, englobant toute la gamme des diverses activités commerciales.

Auparavant, j'étais au Bureau de la concurrence où j'ai travaillé pendant 10 ans. Avant cela encore, j'étais au ministère des Finances. Lorsque j'étais au Bureau de la concurrence, je m'occupais surtout des dossiers économiques et des fusions. Lorsque j'ai quitté le bureau, il y a un peu plus d'un an et demi, je dirigeais la division de l'application, de l'économie et des politiques, le groupe responsable de donner des avis économiques à l'interne sur les dossiers, les interventions réglementaires et la formulation de politiques du Bureau de la concurrence.

On m'a demandé de parler tout particulièrement ce matin des fusions, ce que je vais faire. Vers la fin de mes propos, je parlerai des propositions qui portent sur le redressement intérimaire, ou le projet de loi C-472.

En ce qui concerne les fusions, je suppose que ce n'est pas là un aspect qui se trouve vraiment dans le projet de loi d'initiative parlementaire, mais qu'il y a un peu d'activité sur le front des fusions à l'initiative jusqu'à un certain point du Bureau de la concurrence.

Brièvement, le critère de corroboration utilisé au Canada dans l'examen des fusions a très bonne réputation. Sur le plan économique, c'est bien fondé. Cela permet de confirmer que si l'on bloque ou même si l'on empêche une fusion, c'est essentiellement parce qu'elle réduirait sensiblement la concurrence et non pour protéger les intérêts de concurrents particuliers.

La question des économies provoque une polémique. Le libellé de la loi est assez flou et se prête à plusieurs interprétations différentes. Le commissaire à la concurrence peut certainement interpréter différemment la politique sur la façon dont il souhaite aborder l'examen des économies et des fusions. Et s'il décide de modifier son approche, il n'a qu'à l'annoncer. Le milieu des affaires peut certainement s'adapter.

Sur le plan de la procédure, il existe plusieurs propositions de modifications à la Loi sur le tribunal de la concurrence qui seront très utiles en vue d'améliorer le processus d'examen des fusions—plus particulièrement, en améliorant le rôle que joue le Tribunal de la concurrence.

Une des leçons que nous avons apprises au cours des 10 dernières années dans l'application des nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence concernant les fusions, c'est que le tribunal a joué un rôle tout à fait minime dans le processus. Comme l'a dit précédemment le professeur Trebilcock, très peu de transactions de fusion ont été portées devant le Tribunal de la concurrence, soit pour être contestées, ou acceptées. Je pense que cela est malheureux.

Il y a lieu peut-être de se demander pourquoi il en a été ainsi. Cela dépend sans doute des trois parties intéressées qui pourraient porter des dossiers de fusion devant le tribunal, c'est-à-dire le barreau, le bureau, et le tribunal lui-même. Il y a eu devant le Tribunal de la concurrence plusieurs contestations procédurales en vue de provoquer des retards, ce qui est très coûteux pour chacune des parties.

Je pense que M. le juge McKeown ainsi que le commissaire et d'autres travaillent à rationaliser la procédure du Tribunal de la concurrence. Les frais de certaines audiences devant le tribunal peuvent être très élevés.

Le commissaire a récemment commandé un rapport sur le coût réel pour le bureau de l'ancienne procédure devant le tribunal. Je pense que le coût moyen pour le gouvernement est d'environ 1 million de dollars. Les particuliers dépenseraient typiquement beaucoup plus, essentiellement parce que le gouvernement est en mesure de retenir les services de conseillers juridiques et de spécialistes à des tarifs réduits comparativement à ce que doit payer le secteur privé. C'est donc une procédure très coûteuse.

• 1040

Cela pourrait se passer différemment. À ce titre, il est très intéressant de regarder ce qui s'est passé récemment aux États-Unis dans l'affaire Microsoft. On pourrait faire valoir que cela n'aura pas d'incidence profonde sur nos vies quotidiennes. Le juge qui préside dans ce cas a été très direct avec les parties et a limité le nombre des témoins. Chaque partie a été limitée à 12 témoins. Dans l'affaire récente du gaz propane, le commissaire a convoqué plus de 80 témoins devant le tribunal. Il doit certainement y avoir un juste milieu et nous pourrions nous éloigner des chicanes procédurales coûteuses accompagnées d'un grand nombre de témoins, afin d'adopter une procédure beaucoup plus simple.

M. Trebilcock et moi-même avons discuté de l'incroyable ironie qu'il y a dans le fait que le Barreau et d'autres parties qui vont devant le Tribunal de la concurrence et qui insistent sur une application régulière de la loi n'obtiennent pas en bout de ligne le résultat souhaité. Ce qui se produit, c'est qu'ils découragent les entreprises qui veulent poursuivre leurs activités de s'adresser au Tribunal de la concurrence et ils découragent donc le recours à un processus qui serait plus ouvert et plus transparent. Or, c'est le Tribunal de la concurrence qui se prononce sur la pertinence de la vaste majorité des fusions.

Si le Bureau de la concurrence se conforme aux directives qui lui ont été données par le Parlement dans la Loi sur la concurrence, il n'existe cependant aucune règle quant à la procédure qu'il doit suivre lorsqu'il mène une enquête. En fait, je suis sûre qu'on soutiendrait qu'il serait difficile pour le Bureau de s'en tenir à une procédure fixe et que cela pourrait même prolonger de beaucoup l'examen des fusions, ce qu'aucune partie ne souhaite.

Parce qu'elles ont tant insisté pour que le Tribunal de la concurrence suive une procédure établie, on peut attribuer à ces parties le fait que le Bureau met maintenant beaucoup plus de temps à étudier la plupart des fusions, sans que cela change quoi que ce soit à leurs droits. Le commissaire veut que le processus soit transparent et prévisible, mais si ce n'est pas le cas, les simples particuliers n'ont aucun recours s'il s'opposent à la décision qu'il a rendue.

À cet égard, j'irais même plus loin que M. Trebilcock l'a fait ce matin lorsqu'il a répondu à la question portant sur les droits d'accès des particuliers en cas de fusion. Bon nombre de témoins soutiendront, et certains l'ont sans doute déjà fait, que l'accès ne peut jamais être accordé aux simples particuliers dans le contexte des fusions. Ces personnes soutiennent que cela ne peut donner lieu qu'à des poursuites futiles et vexatoires. En fait, si l'on examine ce qui se passe dans les pays où l'accès des simples particuliers est permis en ce qui touche les fusions et dont les coûts sont semblables au Canada—je pense aux actions collectives pour lesquelles le régime d'honoraires conditionnels constitue une partie essentielle des dommages accordés et où les dommages au montant triplé n'existent pas, donc en Australie et en Nouvelle-Zélande, nous constatons que les particuliers jouissent de droits intégraux d'accès en cas de fusion.

En Australie, des mesures de redressement provisoires ont été accordées et ensuite retirées à plusieurs reprises aux particuliers. Ils ont droit à des mesures de redressement lorsqu'ils doivent vendre certains actifs. En Nouvelle-Zélande, seules les mesures de redressement provisoires existent. Peu d'affaires portant sur les fusions ont été portées devant les tribunaux dans ces pays.

Le Bureau de la concurrence a commandé un important rapport à M. Jack Roberts portant sur une comparaison internationale des droits d'accès accordés aux simples particuliers. Je vous renvoie aux parties de ce rapport portant sur l'expérience à cet égard de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Vous constaterez que dans le cas de l'Australie, je pense que deux affaires seulement portant sur les fusions ont été portées devant les tribunaux alors que le nombre de plaintes présentées sur une période de cinq ans pour toutes les questions d'accès de simples particuliers s'élève à un peu plus d'une centaine. Très peu d'affaires ont été aussi portées devant les tribunaux en Nouvelle-Zélande.

• 1045

Je suis donc fortement en faveur du projet de loi d'initiative parlementaire visant à élargir l'accès des particuliers au Tribunal de la concurrence et j'incite le comité à élargir cet accès comme le recommande M. Trebilcock. Cet accès devrait être prévu en ce qui touche un plus grand nombre d'articles de la loi et peut-être même en ce qui touche les fusions.

Je reconnais la force politique des avocats de la défense et des avocats des entreprises lorsqu'ils réclament des modifications à la Loi sur la concurrence. Ils ont obtenu gain de cause à cet égard dans le passé et je suis sûre qu'ils pourraient présenter des arguments convaincants cette fois-ci également. Je pense cependant que cette solution mérite d'être étudiée. Si le comité ne l'étudie pas ou si le commissaire ne le fait pas, je doute que la Chambre de commerce propose une solution semblable.

Je pense également comme M. Trebilcock que les simples particuliers devraient avoir pleinement accès à des mesures de redressement provisoire qu'ils devraient avoir le droit de réclamer des dommages-intérêts compensatoires ou simple réparation. Elles peuvent actuellement le faire en vertu de l'article 36 lors de poursuites criminelles, mais je ne comprends pas pourquoi ils n'auraient pas les mêmes droits lors de poursuites civiles, en particulier si les pratiques en matière d'établissement des prix finissent par relever du domaine civil plutôt que du domaine criminel, un changement que j'appuie.

Si l'intention est de faire en sorte que ce soit désormais les dispositions du droit civil plutôt que celles du droit pénal qui s'appliquent en cas de prix abusif et d'autres types de discrimination par les prix, je vois mal pourquoi on priverait ce faisant les simples particuliers d'un droit d'accès complet. Ce sera cependant l'un des résultats de ce changement.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Pourriez-vous conclure, je vous prie?

Mme Margaret Sanderson: Je terminerai en disant qu'il est malheureux que le rôle du Tribunal ait été atténué en ce qui touche l'examen des fusions. Je m'oppose à toute mesure qui atténuerait encore davantage le rôle du Tribunal. Je n'en dirai pas plus à ce sujet, car je pense qu'on me posera des questions là-dessus.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Wong.

M. Stanley Wong (témoignage à titre personnel): Je vous remercie, monsieur le président.

Je remercie le comité de m'avoir invité à comparaître devant lui. À titre de simple citoyen, je me réjouis du fait que le Comité de l'industrie se penche sur un texte de loi qui revêt beaucoup d'importance pour notre pays.

Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de mes antécédents. J'ai enseigné l'économie pendant onze ans à l'université Carleton avant de faire des études de droit. Je pratique maintenant le droit depuis seize ans. On me dit que M. Shaw étudiait à Carleton lorsque j'y enseignais. Heureusement pour lui et pour moi, je ne lui ai pas enseigné.

Des voix: Oh, oh!

M. Dan McTeague: Nous en sommes heureux aussi.

Des voix: Oh, oh!

M. Stanley Wong: Je rencontre cependant souvent des fonctionnaires du Bureau de la concurrence à qui j'ai déjà enseigné.

Au cours des seize dernières années, j'ai surtout exercé le droit dans le domaine de la concurrence, d'abord à Toronto, et maintenant au sein du cabinet Davis & Company à Vancouver. Au cours de ces années, j'ai plaidé devant le Bureau et j'ai aussi conseillé des entreprises sur les fusions et sur diverses autres pratiques commerciales.

Je devrais faire d'entrée jeu quelques mises en garde. Étant donné que je touche à trop de choses, je devrais d'abord préciser que je parle strictement en mon nom personnel. J'ai non seulement défendu les intérêts de certaines entreprises privées et, comme certains d'entre vous le savent, j'ai aussi travaillé pour le gouvernement. Pendant huit ans, j'ai conseillé le directeur des enquêtes et de la recherche sur l'affaire mettant en cause la chaîne de journaux Southam. Je suis sûr que nous en reparlerons. J'ai aussi conseillé le directeur au sujet des fusions du National Post et de Sun Media. Je pense qu'il s'agit là de toutes les fusions qui ont eu lieu dans le domaine des journaux bien qu'il y en ait d'autres qui se profilent à l'horizon.

Je suis membre du Comité directeur de la Section sur le droit de la concurrence du Barreau canadien. Je ne comparais cependant pas à ce titre.

Enfin, je siège au Comité de liaison Barreau/Tribunal dont le rôle est de proposer des réformes au mode de fonctionnement du Tribunal. Je vous parlerai un peu des travaux de ce comité. Les vues que j'exposerai sont cependant les miennes et pas nécessairement celles du comité.

Va pour les mises en garde.

• 1050

On vous a distribué copie de mes notes. Je vous signale que je ne les suivrai pas fidèlement. J'espère que vous aurez le temps de lire les parties plus détaillées de mon mémoire. Je répondrai volontiers à vos questions aujourd'hui.

Dans le domaine du droit des fusions, il n'y a eu que trois litiges: L'affaire mettant en cause la chaîne de journaux Southam dont je vous parlerai, l'affaire Hillsdown et l'affaire qui est actuellement devant le Tribunal et qui met en cause Superior Propane.

L'examen des fusions pose de sérieuses difficultés. Je pense que le comité est conscient du fait que lorsqu'on examine une fusion, c'est un peu comme si l'on regardait dans une boule de cristal. On essaie d'établir quelles seront les conséquences probables de la fusion. Cela étant dit, il est normal que le Bureau de la concurrence hésite à intervenir dans le cas des fusions pour cette raison même.

Je vous rappelle que le commissaire dispose d'un délai de trois ans pour contester une fusion qu'il n'a pas approuvée aux termes des dispositions sur les décisions anticipées.

En résumé, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de modifier les lois concernant les fusions. À mon avis, lorsqu'on modifie de fond en comble une loi, cela crée beaucoup d'incertitude et cela donne lieu à diverses interprétations des articles. Les avocats sont formés pour étudier ce genre de chose. À mon sens, il n'y a donc pas de raison de modifier les lois sur les fusions.

Pour ce qui est du Tribunal de la concurrence, ce tribunal, contrairement aux tribunaux civils, a toujours essayé de gérer ses dossiers même s'il n'entend que quelques rares cas. Mme le juge Reed de la division de première instance de la Cour fédérale, qui a été la première présidente du Tribunal, a tenu dès le départ à ce que le Tribunal respecte son calendrier. Pour ceux qui connaissent les tribunaux civils, lorsque les deux parties s'entendent pour que le procès ait lieu ou qu'il soit ajourné, c'est ce qui se produit. Le Tribunal, lui, ne permettra pas que les deux parties s'entendent. Les avocats qui ne connaissent pas bien le mode de fonctionnement du Tribunal ont été parfois terriblement surpris lorsqu'ils se sont rendu compte que le Tribunal ne permettrait pas l'ajournement de l'affaire.

Contrairement aux tribunaux civils, le Tribunal de la concurrence s'efforce donc de gérer sa charge de travail. J'y reviendrai dans un instant.

J'estime—et je ne suis peut-être pas le seul—qu'il conviendrait de modifier sensiblement les droits d'appel prévus dans la Loi sur le Tribunal de la concurrence. Je dis cela ayant été conseiller juridique du directeur du Tribunal dans l'affaire Southam qui est allée jusque devant la Cour suprême du Canada.

Très brièvement, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Southam, a statué que lorsqu'un tribunal spécialisé comme le Tribunal de la concurrence a rendu une décision, la cour devant laquelle ces décisions sont portées en appel devrait s'en remettre à la compétence du Tribunal. C'est essentiellement ce que la cour a dit dans cet arrêt-clé du droit administratif.

Si nous respectons l'arrêt rendu par la Cour suprême, je crois qu'il importe de se demander pourquoi il convient de modifier le droit d'appel automatique qui est prévu dans la loi. Le paragraphe 13(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence que je cite à la page 2 de mon mémoire prévoit essentiellement que les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait peuvent être automatiquement portées en appel devant la Cour fédérale d'appel. Une autorisation est requise dans le cas des questions de fait. Un avocat expérimenté peut cependant transformer presque n'importe quelle question en question de droit et en question mixte de fait et de droit. On ne peut pas leur reprocher de le faire. C'est ce que prévoit la loi.

Pour revenir à l'affaire Southam, il y a des aspects de cette décision qui suscitent ma fierté et d'autres pas. La fusion des journaux a eu lieu en mai 1990. Aucun préavis n'avait été donné parce que la fusion a découlé d'une série de petites transactions. L'affaire a été portée devant le Bureau de la concurrence en novembre 1990. Comme elle soulevait des questions constitutionnelles, elle a d'abord été portée devant la division de première instance de la Cour fédérale et ensuite devant la Cour d'appel fédérale. À ce moment-là, le Tribunal a demandé un délai de six mois. Les audiences ont commencé en septembre 1991. L'audition des témoins a duré 40 jours.

En résumé, la plupart des arguments du Bureau de la concurrence ont été rejetés, bien qu'un petit nombre d'entre eux aient été accueillis. Nous avons porté la décision en appel devant la Cour d'appel fédérale et nous avons alors obtenu gain de cause sur tous les points. Nous avons porté l'affaire devant la Cour suprême du Canada qui a renversé la décision rendue par la Cour d'appel fédérale et a confirmé la décision initiale du Tribunal. Le tout a pris sept ans. Cela ne met pas fin à l'histoire. Après sept ans, d'aucuns ont soutenu qu'il fallait revenir sur cette affaire parce que les circonstances avaient évolué depuis le début de l'affaire. Il y a donc eu une autre série d'audiences. Enfin, le gouvernement n'a plus eu besoin de mes services après huit ans.

Nous connaissons tous le montant des honoraires que le gouvernement verse aux avocats et je ne dirais donc pas que ce dossier a été très lucratif pour moi, mais il a été très intéressant. Je suis très fier d'avoir travaillé sur ce dossier.

• 1055

Ce que je veux faire ressortir en vous racontant tout cela, c'est que le processus est très long. Je vous ai donné un exemple à l'article 15. Le Bureau met couramment six mois pour mener une enquête et pour rendre une décision. Ce n'est pas un délai déraisonnable. La règle est donc que le Tribunal entendra votre affaire dans un délai de six mois. Cela revient à 12 mois. L'audition de l'affaire prend deux ou trois mois. Cela nous amène à 14 mois. Le Tribunal se donne en moyenne six mois pour rendre une décision. Cela fait 20 mois. On ne peut pas suspendre une fusion pendant 20 mois. Voilà le problème qui se pose. Il y a quelque chose qui ne va pas.

Je sais que M. Trebilcock et certains de ses collègues préconisent l'adoption d'un système comme celui qui existe en Europe, mais après l'avoir brièvement étudié, je crois pouvoir dire que ce régime comporte davantage de formalités administratives et est beaucoup moins transparent que le nôtre. Je ne pense pas qu'on puisse donc dire que le système européen est beaucoup plus rapide que le nôtre. Justice et rapidité ne vont pas nécessairement de pair.

Pour ce qui est de la simplification des procédures du Tribunal, le Tribunal lui-même s'est penché sur la question par l'intermédiaire du comité de liaison avec le Barreau. Je vous ai fait le point sur cette question à l'article 16. Je n'en dirai pas plus. Ce paragraphe porte sur les affaires qui ne concernent pas des fusions. L'idée est de contraindre le directeur à présenter ses arguments dès le départ.

J'inciterais le comité à appuyer les efforts déployés par le Tribunal pour simplifier ses procédures. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire à cet égard d'adopter une loi. Il devrait suffire de prendre un règlement. Je crois que les membres du Barreau et les membres du Tribunal qui siègent au comité appuient de façon générale l'idée de simplifier les procédures du Tribunal. Un avocat peut vouloir porter l'affaire de son client devant le Tribunal, mais il n'est pas prêt à lui recommander d'engager des poursuites qui dureront 20 mois.

Il a été proposé dans certains projets d'initiative parlementaire—je ne sais pas ce qu'il en est du vôtre, madame Jennings—qu'on établisse une jurisprudence. Je pense qu'on accélérerait le processus. La jurisprudence n'est pas assez étoffée au Canada. Le règlement de trop d'affaires est laissé au commissaire et aux parties privées. Nous devons étoffer la jurisprudence. L'une des raisons pour lesquelles il y a si peu d'avocats spécialisés dans le droit de la concurrence est que nous avons toute la jurisprudence dans nos têtes. Nous ne pouvons pas dire à un collègue: «Reportez-vous à ces affaires». Il n'y en a pas. Tout est issu de nos rapports avec le Bureau de la concurrence. À bien des égards, on peut dire que les avocats spécialisés dans le droit de la concurrence constituent un oligopole parce qu'il y a très peu de gens qui savent comment s'y prendre avec le Bureau.

M. Dan McTeague: Vous avez raison. Bravo, bravo!

Des voix: Oh, oh!

M. Stanley Wong: Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet des ordonnances provisoires. Du côté criminel, il y a l'article 33. En vertu de l'article 33 qui porte sur les ordonnances provisoires, le commissaire peut, s'il estime que quelqu'un est sur le point de commettre un acte qui constitue une infraction, demander à une cour supérieure de délivrer une ordonnance provisoire. J'ai dû m'occuper de certaines ordonnances de ce genre pour un client. Elles ne sont pas inhabituelles. Je n'ai rien à redire à ce processus.

Je crois que M. Trebilcock propose quelque chose de semblable en ce qui touche les questions pouvant faire l'objet d'un examen et je suis d'accord avec lui. Nous avons actuellement l'article 104. Après qu'une demande a été présentée—et nous l'avons fait pour Southam et je sais donc comment cela fonctionne—l'article 100 ne s'applique qu'aux fusions. On a eu recours à cet article une seule fois, c'est-à-dire avant la modification de la loi l'an dernier.

Ce qui est arrivé quand le commissaire a porté l'affaire devant les tribunaux m'a bien étonné parce que l'enquête avait duré huit ou neuf mois, qu'on avait demandé une ordonnance provisoire et qu'il a fallu moins d'une semaine pour que l'affaire soit entendue. Les arguments ont été rejetés, mais on a tout de suite demandé une ordonnance provisoire, le lendemain ou la semaine suivante. La loi a été modifiée parce que le libellé laissait nettement à désirer. Je comprends que le Bureau de la concurrence soit frustré par le manque d'efficacité de cette disposition.

Absolument rien n'empêche le gouvernement de rédiger une disposition provisoire s'appliquant à toutes les questions visées par l'article 8. Selon moi, cela résoudrait tous les problèmes. Les tribunaux ont l'habitude des injonctions. Dans les cas de propriété intellectuelle, que je connais très bien, on peut obtenir une injonction provisoire du Tribunal dans l'espace de quelques heures ou de quelques jours.

Je ne comprends vraiment pas le motif dans le cas de l'industrie aérienne. J'ai jeté un coup d'oeil à la lettre de M. von Finckenstein au ministre Collenette datée du 22 octobre 1999 dans laquelle il proposait cette solution. Le Comité des transports était d'accord et le ministre avait dit que l'on devrait procéder de cette façon si tout le monde était d'accord. Je ne vois cependant toujours pas pourquoi on l'a fait. J'ai examiné le règlement établi par le ministre à propos de la définition d'une mesure anticoncurrentielle, par exemple si quelqu'un fournit un service à un prix inférieur aux coûts évitables. Peut-il créer une telle définition de toutes pièces. Il doit entreprendre des études quelconques.

Le ministre examine déjà la question. Si une compagnie réduit ses prix, on ne peut pas immédiatement conclure que c'est une tactique d'éviction. Il faut tenir compte du contexte et se servir de son jugement.

• 1100

À mon avis, on devrait faire preuve de jugement et renvoyer la question au Tribunal. Sinon, cette disposition va causer bien des problèmes aux tribunaux.

Je vais m'arrêter là, monsieur le président.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Wong.

Je vais d'abord donner la parole à M. Penson pour les questions.

M. Charlie Penson: J'essaie de comprendre quelque chose. Relativement aux fusions, pourquoi ne pas dire que les compagnies pourront se fusionner si elles le veulent, mais qu'on pourra prendre des mesures disciplinaires à leur endroit si elles ont un comportement anticoncurrentiel? On attendrait de voir les résultats au lieu de juger d'avance.

M. Stanley Wong: Voulez-vous que je réponde ou que ce soit Margaret?

Le vice-président (M. Walt Lastewka): L'un ou l'autre ou les deux peuvent répondre.

Mme Margaret Sanderson: Selon la loi actuelle, les compagnies qui se fusionnent risquent de ne pas pouvoir clore la transaction lorsqu'elles le veulent. Elles seront peut-être obligées de donner un préavis pour voir si certaines conditions sont respectées et devront ensuite attendre pendant un certain temps et fournir certains renseignements. S'il s'agit d'une transaction importante, on prolonge d'habitude la période de préavis au-delà de ce que prévoit la loi pour que le Bureau puisse terminer son enquête.

Supposons qu'une fusion réduise sensiblement la concurrence et que nous voulions revenir en arrière. Nous pouvons maintenant le faire. Le commissaire a essayé de le faire. C'est là-dessus que portait l'affaire Hillsdown. Les parties en cause avaient conclu leur entente. Dans la récente affaire Superior Propane, le marché avait été conclu, mais si le Tribunal décide que quelque chose ne va pas, on devra revenir en arrière et annuler le marché.

C'est très difficile à faire. Même si l'on a des ententes distinctes, il y aura inévitablement... Si l'on a des ententes distinctes, les parties en cause doivent garder leurs actifs séparés et un certain nombre de restrictions sur la façon dont une partie peut influer sur le comportement de l'autre s'appliquent.

Comme le disait Stan, il s'agit d'un délai assez long. Si l'on a une période de 20 mois pendant laquelle le régime réglementaire empêche une partie de faire affaire avec une autre, l'accord va certainement se détériorer à la longue. Une fois les oeufs brouillés, c'est très difficile de les séparer pour appliquer une solution efficace.

Selon moi, le régime actuel est efficace dans la mesure où il y a un préavis. Il y a une période d'attente. Le commissaire a le temps de mener une enquête et il a en même temps trois ans pour prendre des mesures après la conclusion de la transaction.

M. Stanley Wong: Je pense que vous demandiez autre chose. Je pense que vous vouliez savoir pourquoi nous voulons empêcher les gens de créer des monopoles et pourquoi ne nous occupons-nous pas uniquement des conséquences des monopoles. Je pense que c'est une partie du problème.

Les lois sur la concurrence de tous les pays industrialisés ont un double problème, c'est-à-dire qu'elles prévoient un mécanisme pour empêcher la création d'un monopole et un autre mécanisme pour défaire les monopoles qui existent déjà ou qui se créent. C'est le cas de Microsoft et des lois américaines sur les monopoles.

Selon moi, le problème de l'hypothèse de base dans les lois sur les fusions, c'est que si l'on donne à quelqu'un des pouvoirs monopolistiques, si l'on permet aux gens de créer un monopole, ils le feront. C'est logique. Ils veulent maximiser leurs bénéfices. Si l'on considère que les gens raisonnables vont se servir du pouvoir du marché dans ces conditions, cela veut dire que le Bureau de la concurrence devra examiner des milliers de cas d'abus de pouvoir monopolistique s'il n'existe pas un régime d'examen des fusions.

N'oublions pas ce processus d'examen. Il n'y a eu que trois cas retenus jusqu'ici, il y a eu un certain nombre d'ordonnances sur consentement. Il arrive souvent que le Bureau signale aux parties à une fusion que la transaction sera contestée, après quoi les parties décident de ne pas aller de l'avant ou de restructurer la transaction pour satisfaire aux conditions.

Je ne pense donc pas qu'on doive critiquer le Bureau de la concurrence parce qu'il faut tenir compte de tout le travail qu'il fait. On peut penser que le Bureau n'est pas suffisamment dynamique, mais il y a bien des transactions qui sont restructurées.

M. Charlie Penson: Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur Wong, mais le processus prévu par la Loi sur la concurrence n'est pas parfait non plus lorsqu'on veut examiner des projets de fusion.

• 1105

Prenons le cas d'Air Canada et de Canadien International. Selon la Loi canadienne sur les transports, le ministre des Transports a essentiellement demandé au commissaire d'examiner le projet de fusion de façon très stricte et cela a causé bien des retombées. Qu'est-ce qui vaut mieux?

M. Stanley Wong: Tout ce que j'ai fait relativement à la fusion d'Air Canada et de Canadien International, c'est d'examiner ce qui se passait. Je pense que je suis bien renseigné, mais je n'étais même pas au courant de l'existence de l'article 47 de la Loi sur les transports au Canada. Cela m'a vraiment étonné de voir comment on l'a appliqué à cette fusion. Ce sont des choses qui existent au Canada, mais cela n'a rien à voir avec la faiblesse de la Loi sur la concurrence. Nous avons décidé de fixer des limites à la propriété étrangère de nos lignes aériennes, un point c'est tout.

M. Charlie Penson: Ce que je vous dirai, c'est qu'il y a bien des façons de favoriser la concurrence. Les membres du comité savent ce que j'en pense.

Il me semble que la moins bonne façon de procéder est d'avoir une loi sur la concurrence. Il est de beaucoup préférable d'avoir un climat commercial approprié pour susciter la concurrence. Si on ne peut pas le faire, on peut, en dernier recours, avoir une loi sur la concurrence qui...

M. Stanley Wong: Au contraire, dans le cas d'Air Canada, le problème vient du fait que nous avons causé la situation et que nous devons maintenant prévoir toutes sortes d'exemptions. C'est de là que vient le problème. Il y a des exemptions pour les banques pour des raisons historiques. Il y a maintenant une exemption pour les lignes aériennes. Cela ne m'étonnerait pas qu'on prévoie des exemptions pour presque toutes les industries.

M. Charlie Penson: Je pense que cela fait partie de l'environnement propice au commerce. Cela ne favorise pas les exemptions en ce qui concerne le plafond des investissements à l'étranger, par exemple. Si cela n'existait pas, on disposerait de plus d'options plutôt que d'avoir à recourir à la lourdeur du droit par le biais de la Loi sur la concurrence.

M. Stanley Wong: Mme Sanderson veut répondre à cette question.

Mme Margaret Sanderson: Il y a de nombreuses façons de favoriser une plus grande concurrence. Vous avez tout à fait raison en ce sens que souvent le gouvernement adopte un certain nombre de restrictions réglementaires pour différentes raisons. L'un des résultats, qu'il soit délibéré ou non, c'est de restreindre la concurrence.

Cela dit, il n'en reste pas moins que nous avons besoin d'une loi solide sur la concurrence dans ce pays parce qu'elle assure un cadre législatif en vertu duquel doit fonctionner l'entreprise.

Je ne crois pas que les Canadiens puissent prétendre que le contexte commercial aux États-Unis n'est pas extrêmement concurrentiel. Il est très concurrentiel. En fonction du taux de change en vigueur, les Canadiens ont pris l'habitude d'aller aux États-Unis pour faire leurs achats. Pourquoi? Parce que les prix sont moins élevés, et que le choix est plus vaste.

Les États-Unis ont aussi probablement les mesures antitrust les plus vigoureuses au monde, ce qui n'est pas nécessairement incompatible avec cet autre aspect.

M. Charlie Penson: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je considère que la Loi sur la concurrence ne peut pas se substituer à un climat propice aux affaires, car il me semble que c'est ce qui est le plus souhaitable. C'est une bonne chose d'avoir une loi solide sur la concurrence qui permet d'indiquer ce qui se produira si elle n'est pas respectée, mais il me semble que l'absence de réglementation... Il serait préférable de laisser une certaine marge de manoeuvre aux entreprises.

Mme Margaret Sanderson: Je pense que ces deux aspects se complètent, et c'est ainsi que nous devrions les envisager. Ils vont de pair. Vous avez tout à fait raison. Si le Canada avait une politique différente en matière de cabotage ou si nous n'avions pas les mêmes restrictions interprovinciales sur les quotas de lait de transformation, alors il serait plus facile de composer avec des fusions dans l'industrie laitière ou l'industrie du transport aérien. Cependant, ces politiques ne se substitueront pas toujours complètement à la Loi sur la concurrence.

M. Charlie Penson: Ce sont des choix que doit faire le gouvernement. Les opinions diffèrent à ce sujet, évidemment.

Mme Margaret Sanderson: Oui, il existe différents types de politique.

M. Charlie Penson: Puis-je vous poser une question à propos d'un aspect du document que vous nous avez remis concernant l'industrie du transport aérien? Il s'agit de la disposition relative à l'ordonnance provisoire. Vous laissez entendre ici qu'il ne s'agit probablement pas d'une bonne méthode à utiliser, qu'elle entraînerait une augmentation des prix. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

Mme Margaret Sanderson: Oui. Je ne suis pas avocate, je suis économiste. Je partage certaines des préoccupations exprimées par certains à propos de l'application régulière de la loi, par exemple, mais ce n'est pas mon domaine d'expertise.

• 1110

Ce qui me préoccupe à propos de la disposition concernant l'industrie du transport aérien, c'est le critère qui permettrait au commissaire de rendre une ordonnance. J'aimerais simplement vous citer la disposition en question. Dans le projet de loi C-472, ils s'agit de l'alinéa 104.1b). Il s'agit du critère permettant au commissaire de rendre une ordonnance provisoire. Ce critère, qui est identique à celui utilisé dans l'industrie du transport aérien, se lit comme suit:

    (i) soit la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier;

    (ii) soit un compétiteur sera vraisemblablement éliminé ou une personne subira vraisemblablement une réduction importante de sa part de marché, une perte importante de revenu ou des dommages auxquels le Tribunal ne pourra adéquatement remédier.

Toutes les circonstances énoncées au sous-alinéa 104.1b)(ii) sont des conséquences naturelles de la concurrence. Si vous et moi sommes en concurrence dans un environnement tout à fait juste et ouvert, nos prix sont supérieurs à nos coûts et nous prenons toutes les mesures que nous devons prendre et ce de façon assez vigoureuse; dans le cas de Coke et Pepsi ou de Labatt et Molson, les profits de l'un se font aux dépens de l'autre.

M. Charlie Penson: C'est une conséquence naturelle des affaires.

Mme Margaret Sanderson: Tout à fait. L'un d'entre nous perd une part de marché au profit de l'autre. Donc, ce qui me préoccupe, c'est la façon dont ce critère est libellé. Étant donné qu'on a utilisé le terme «soit» au lieu de «et», cette disposition pourrait être utilisée pour protéger les concurrents des conséquences naturelles de la concurrence.

Vous pouvez vous demander comment cela peut déboucher sur une augmentation des prix. Eh bien, cela risquera d'entraîner une augmentation des prix tout simplement en atténuant la vigueur avec laquelle nous décidons d'exercer une concurrence au niveau des prix. Nous pouvons décider de ne pas exercer une concurrence aussi acharnée au niveau des prix. Si je crains qu'en agissant ainsi le commissaire m'indique que mes prix ne sont pas valables, s'il m'est impossible d'établir ce genre de prix pendant 20 jours, puis qu'il y a une prolongation possible de 30 jours supplémentaires suivie de 30 jours de plus, je peux décider d'exercer ma concurrence à un autre niveau. Nous pouvons décider de garder de part et d'autre nos prix relativement équivalents, et par conséquent j'exercerai une concurrence au niveau de la publicité ou d'une autre façon qui n'est pas aussi vigoureuse.

Tout le monde le saura et au bout du compte, la concurrence sera moins acharnée au niveau des prix, ce qui est tout à fait le contraire de l'objectif visé par le reste du projet de loi sur l'industrie du transport aérien. Bien entendu, les autres dispositions du projet de loi C-26 tâchent de protéger les consommateurs contre des prix trop élevés.

Le président: Je vous remercie, monsieur Penson.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: Simplement pour enchaîner, madame Sanderson, disons que j'arrive à diminuer mon prix pour qu'il soit inférieur à celui de mon concurrent. Dans le pire des cas, j'approvisionne aussi ce concurrent, mais je fais en sorte que mon prix au détail est inférieur à mon prix de gros et j'élimine un concurrent, comme nous avons pu le constater dans l'industrie pétrolière et gazière dans diverses régions. Vous êtes de Toronto et je suis de Toronto. Nous savons que les seules forces du marché ne peuvent pas justifier les prix.

Pourquoi voudriez-vous réclamer une cessation temporaire qui permettrait au Bureau de la concurrence de choisir entre deux mesures? Tout d'abord, cela lui permettrait de s'occuper de façon opportune d'une situation qui pourrait évoluer très rapidement. Plusieurs témoins qui ont comparu devant nous au sujet du projet de loi C-235 l'année dernière ont dit—j'ai été éliminé sur une période de temps—mort attribuable à un millier de coupures. Deuxièmement, cela permettrait aux spécialistes de s'assurer qu'aucun tort important n'a été causé aux concurrents, ce qui finirait par entraîner une augmentation des prix. Si ce genre d'ordonnance n'existait pas, si le Bureau de la concurrence ne disposait pas de cette disposition qui est assortie d'une justification—il est très clair que cette justification existe—comment pouvez-vous prétendre que l'absence de ces dispositions entraînerait des coûts plus élevés?

Au Canada, le meilleur exemple a toujours été qu'une fois que les auteurs de ces pratiques abusives sont arrivés à leurs fins, les prix ont augmenté de façon soutenue et le choix a diminué. Comment défendez-vous cela?

• 1115

Mme Margaret Sanderson: Lorsque j'ai exprimé cette préoccupation à propos du libellé de ces dispositions, je ne voulais pas dire qu'une ordonnance provisoire ne peut pas jouer de rôle dans le contexte d'enquêtes sur des pratiques abusives. Permettez-moi de ne pas partager l'opinion du commissaire lorsqu'il indique ce qui est nécessaire en vertu des diverses dispositions, quant aux circonstances dans lesquelles il peut en fait prendre une ordonnance provisoire. En vertu de l'article 100 révisé en ce qui concerne les fusions, il n'a pas besoin d'avoir terminé son enquête. L'objectif de cette disposition relative à la prise d'une ordonnance provisoire est exactement conforme à ce que Mme Jennings a indiqué: l'objectif visé est de lui permettre de terminer son enquête.

De plus, le commissaire a récemment utilisé avec un certain succès les nouvelles dispositions relatives au redressement provisoire qui ont été adoptées par le Parlement dans le contexte de la publicité trompeuse. La publicité trompeuse est très semblable à la pratique prédatoire. Si vous êtes mon concurrent, cette annonce vous cause beaucoup de tort et rapidement. Qu'est-ce que je veux au bout du compte? Je veux que cette annonce disparaisse le plus rapidement possible.

On craignait que le commissaire, en vertu de la loi précédente, n'arrive pas à obtenir un redressement temporaire à cet égard de façon rapide et opportune. Des modifications ont été apportées, et nous avons maintenant ces dispositions révisées, je crois, en vertu du paragraphe 33(1), qui permettent de s'occuper de cette question. Plus tôt cette année, le commissaire a publié un communiqué de presse très positif indiquant à quel point ces dispositions avaient été utilisées de façon efficace et rapide.

Ce qui me préoccupe, c'est ce libellé en particulier. Si cette disposition telle qu'elle est libellée disait que la concurrence était susceptible de diminuer considérablement, je n'y aurais aucune objection. Ce qui me préoccupe, c'est que selon le libellé actuel, cette disposition pourrait très facilement être utilisée par les concurrents de façon à se protéger contre la concurrence tout à fait légitime et équitable.

M. Dan McTeague: Madame Sanderson, je ne crois pas qu'il y ait de disposition ici qui traite de cette préoccupation dominante à propos de la possibilité que quelqu'un puisse s'en servir lui-même. Il s'agit du pouvoir du tribunal et non du particulier. Nous ne parlons pas d'accès par un tiers ici ce que proposent d'ailleurs plusieurs d'entre vous.

Je crois que le projet de loi C-472 mentionne clairement «une personne», et par conséquent cela signifie qu'une personne qui exerce une concurrence et qui fait l'objet d'une perte importante peut avoir l'option, ou plutôt le commissaire peut avoir l'option d'étudier son cas, entre-temps, dans une circonstance très temporaire.

Mme Margaret Sanderson: Vous avez tout à fait raison. Lorsque je dis qu'une personne peut se servir de ces dispositions, en fait elles se servent du commissaire et du processus de plainte devant le commissaire pour que le commissaire s'occupe de leur cas. Toute plainte adressée au Bureau de la concurrence dans des cas de pratiques abusives émane d'un concurrent. C'est toujours une histoire terrible; quelqu'un qui est sur le point de faire faillite.

Lorsque le Bureau examine ces centaines de plaintes, comme le professeur VanDuzer et le professeur Paquet l'ont indiqué, dans chacun de ces cas, quelqu'un est en train de se plaindre d'une faillite imminente. Cela ne causera pas nécessairement de tort aux consommateurs, et je crois que c'est là la question. J'ignore comment on définira ce qui constitue une perte ou une réduction importante, mais par exemple, la Colombie-Britannique a été saisie d'un certain nombre de plaintes, concernant la bière et l'antidumping par des compagnies de bière. Quels ont été les arguments présentés par Labatt et Molson en ce qui concerne l'importation de bière? Ces deux compagnies ont soutenu qu'elles avaient subi une perte importante de leur part de marché, une perte importante de revenu, par rapport à Pabst, indépendamment du fait qu'ensemble ces deux compagnies occupaient plus de 90 p. 100 du marché.

M. Dan McTeague: Oui, ce n'est pas la question de perdre de l'argent. Il faut que certains agissements anticoncurrentiels déclenchent la perte d'argent. Nous ne sommes pas simplement en train de parler de perdre de l'argent. Assurément, vous ne croyez pas que ce que je propose dans le projet de loi C-472 équivaut simplement à dire «J'ai perdu de l'argent, par conséquent le Bureau devrait prendre une ordonnance de cessation.» Il faut qu'un agissement, au sens de la Loi sur la concurrence, déclenche cette perte d'argent qui aura pour effet d'éliminer quelqu'un qui autrement aurait été bel et bien un concurrent.

• 1120

En fait, nous avons vu des centaines d'exemples du contraire. Pendant que nous sommes ici en train de débattre de ce que le Bureau devrait ou ne devrait pas faire, la réalité pour le grand public au-delà des intérêts acquis, c'est que la Loi sur la concurrence est inefficace, et que contrairement aux analogies qui ont été faites par certains, il s'agit d'une loi sur la concurrence et d'un tribunal qui n'ont pas le pouvoir d'exécution. C'est-à-dire qu'en cas d'agissements graves, le Tribunal n'a pas le pouvoir de mettre fin à la situation du moins temporairement jusqu'à ce que nous allions devant les tribunaux. Donc pourquoi sommes-nous en train de débattre de ce point alors que tout ce que nous sommes en train de dire, c'est que nous nous raccrochons à une certaine tradition juridique?

Écoutez, le monde des affaires évolue rapidement, et je crois que vous le comprenez tout aussi bien que moi. Ne convenez-vous pas que le Canada devrait arriver à sa propre détermination, se faire sa propre idée, non seulement sur le plan économique mais aussi en ce qui concerne son propre examen juridique de l'industrie en général, plutôt que de se préoccuper du libellé de certaines dispositions qui pourraient donner lieu à une contestation de la part des tribunaux. Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir l'audace de créer notre propre Loi sur la concurrence qui soit pertinente tant pour les grosses entreprises que pour les petites, ce qui au bout du compte est dans l'intérêt des consommateurs?

Mme Margaret Sanderson: Je crois que nous pouvons être audacieux. Le commissaire peut instituer plus d'actions. Je pense que le commissaire aurait pu essayer d'intenter une action en vertu des pouvoirs existants de redressement provisoire lorsqu'il s'agit de pratiques prédatoires, ce qu'il n'a jamais fait.

Dans le contexte d'un agissement qui déclencherait ce mécanisme, vous avez tout à fait raison. Je crains que l'agissement qui déclencherait le mécanisme, c'est le bas prix de la bière chez Pabst: Venez à mon magasin car la bière y est bon marché. À moins que les autres concurrents prennent des mesures équivalentes, la conséquence c'est qu'ils vont perdre une part de marché; ils vont perdre de l'argent. Comment pouvons-nous définir une perte importante? Dans le contexte des audiences sur le commerce, la définition de perte importante ne correspondait pas à un chiffre très élevé.

M. Dan McTeague: Mais pas au Canada.

Mme Margaret Sanderson: Au Canada.

M. Dan McTeague: Mais nous avons vu des exemples où on utilise des superlatifs comme «excessive», «considérable» et bien entendu l'adjectif «importante». Tous ces superlatifs ont toujours joué en faveur de l'intimé.

Ma préoccupation générale ici, c'est qu'effectivement, le libellé est extrêmement important lorsqu'on veut apporter des changements si les changements sont effectivement nécessaires, mais nous n'avons pas tenu compte... Pour utiliser votre exemple de la compagnie Pabst, que se passerait-il si Pabst contrôlait tout le houblon dans ce pays ou partout dans le monde et pouvait établir un prix, comme je l'ai indiqué au début de ma question, qui lui permettrait de vendre un produit qu'elle fournit à ses concurrents au détail, à un prix inférieur au prix de gros—c'est-à-dire le pouvoir d'un fournisseur à intégration verticale?

Si Home Hardware décide de concurrencer Home Depot, cela ne m'inquiète nullement. Il s'approvisionne un peu partout. Là où nous avons un réel problème, c'est lorsque Home Depot commence à approvisionner Home Hardware et devient sa seule source d'approvisionnement.

Quel est alors le critère qui nous permet de dire un instant, le Bureau de la concurrence n'a peut-être pas le savoir nécessaire pour comprendre cette industrie au même titre que celui qui en fait partie? Que pouvons-nous faire?

C'est d'ailleurs une réalité au Canada.

Mme Margaret Sanderson: En répondant aux questions, je ne parlais pas des propositions dans le contexte d'un resserrement vertical. Je parlais strictement dans le contexte de l'alinéa 104.1(1)b)ii), tel qu'il est libellé. C'est le terme «soit». S'il se lisait comme suit «la concurrence subira vraisemblablement un préjudice auquel le Tribunal ne pourra adéquatement remédier» et que nous arrêtions là, si nous n'avions pas ce petit alinéa 104.1(1)b)ii)...

M. Dan McTeague: Oui, mais cela exige un fardeau de la preuve considérable, ce qui est la raison même pour laquelle il y a si peu de jurisprudence devant les tribunaux. Si vous voulez...

Mme Margaret Sanderson: Il n'y a pas de fardeau de la preuve dans ce contexte. Il s'agit du commissaire qui fait une enquête de sa propre initiative et qui décide ensuite, pour quelque raison que ce soit, sans en avertir la partie qui fait l'objet de l'enquête, que c'est ce qui va se passer. Donc le fardeau se déplace. Si l'autre partie conteste alors la décision du commissaire devant le Tribunal, il devra alors présenter les motifs de son ordonnance. Mais...

Peut-être est-ce une mauvaise interprétation de ma part.

M. Dan McTeague: Vous et moi ne sommes peut-être pas forcément en désaccord, mais vous considérez que le terme «et» est important parce qu'il exige l'existence de deux circonstances. Il exige qu'il fasse la preuve de l'existence d'un préjudice. Il doit mener une enquête à cet effet—et vraisemblablement cela aura les conséquences suivantes...

Mme Margaret Sanderson: Sur la concurrence, un préjudice à la concurrence.

• 1125

M. Dan McTeague: Dans un contexte limité, étant donné que, comme on l'a dit plus tôt, il faut plus d'un jour pour qu'un tribunal examine un cas.

Il serait peut-être possible d'utiliser une demande ex parte. Nous pourrions procéder comme nous le faisons dans le secteur des valeurs mobilières.

Je suppose que cela nous amène vraiment à nous poser une question, qui sera ma dernière question pour l'instant, monsieur le président, et peut-être que M. Wong aimerait y répondre. Serait-il plus acceptable que le commissaire donne un avis à la partie afin de la prévenir que nous sommes sur le point d'agir de telle façon parce que nous considérons qu'il existe certains problèmes. Cela pourrait peut-être avoir un effet de dissuasion et permettrait aussi de prévenir la personne de l'existence de certaines préoccupations.

Mme Margaret Sanderson: La seule chose que je tiens à dire—et je vais laisser Stan aborder la question des avis—c'est qu'il ne faut pas oublier le résultat de tout cela. Cela a pour résultat d'augmenter les prix et non pas de les abaisser. Nous allons demander aux consommateurs de payer plus.

Pourquoi allons-nous demander aux consommateurs de payer plus? Nous leur demanderons de payer davantage pour protéger un concurrent parce que nous croyons qu'à long terme cela entraînera une baisse des prix. C'est très bien si c'est effectivement ce qui se passe, mais si cela n'a d'autre effet que de protéger un concurrent, augmenter les prix pour le consommateur, ce qui n'est pas nécessairement la chose à faire...

Disons que ce concurrent soit éliminé du marché, qu'un autre le remplace et que nous ayons de nouveau une concurrence vigoureuse en matière de prix. Je ne pense pas que les consommateurs devraient s'en trouver pénalisés.

M. Dan McTeague: Ils ne le sont pas.

Mme Margaret Sanderson: Je vais laisser M. Wong vous parler de l'avis.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Wong.

M. Stanley Wong: Pour ce qui est de l'avis dans le contexte du transport aérien, pour que ces ordonnances soient rendues, il faut que le commissaire entame une enquête. Pour faire enquête aux termes de l'article 10, il doit avoir de bonnes raisons de croire que le Tribunal rendra une ordonnance. Il doit en être convaincu avant de pouvoir commencer. C'est alors qu'il émet son ordonnance.

Pour le moment, il n'est pas tenu de consulter qui que ce soit et il n'a rien de particulier à faire. Mais en réalité, vous avez vu ce qui s'est passé dans le contexte des compagnies aériennes. Vous savez que les tarifs aériens entre Moncton et Toronto ont baissé. Vous savez que tout le monde proteste à cor et à cri. Si vous travailliez pour Air Canada—ce qui n'est pas mon cas—si cette loi était en vigueur, vous sauriez qu'une enquête va avoir lieu. On peut lire dans le National Post d'aujourd'hui qu'une enquête se déroule actuellement sur les tarifs à Moncton. À la place d'Air Canada, je demanderais sans doute à mon avocat de commencer à discuter avec le Bureau.

Le Bureau dira: «Vous avez intérêt à relever vos tarifs, car si vous les alignez sur ceux de WestJet, je vais émettre une ordonnance provisoire». Vous allez donc commencer à discuter. Vous pouvez parfois convaincre les intéressés de faire machine arrière, faute de quoi...

S'il n'y a pas d'avis c'est parce que le commissaire émet lui- même une ordonnance. Les tribunaux détestent cela et, dans notre tradition judiciaire, les demandes d'ordonnance ex parte sont très rares.

Ce qu'il faudrait faire... nous le faisons seulement pour les mandats de perquisition, et cela pour de bonnes raisons, simplement parce que vous voulez prendre les gens par surprise. Mais même pour ce qui est du pouvoir d'émettre un mandat de perquisition que prévoit la loi, un recours est possible. N'oubliez pas qu'en ce qui concerne les mandats de perquisition, les ordonnances exigeant la production de documents ou un témoignage demandent en fait de donner quelque chose que l'on a déjà. Ici, nous disons à quelqu'un: «Ne faites pas cela pendant 80 jours à moins que vous ne vouliez aller devant les tribunaux».

En réalité, si vous modifiez le système de façon à pouvoir aller devant le Tribunal en envoyant un avis, vous pouvez l'obtenir en 48 heures.

Avec l'injonction provisoire prévue à l'article 33, vous pouvez aller devant les tribunaux. J'ai eu un certain nombre de causes dans lesquelles le commissaire avait mené enquête et ce n'est pas encore terminé. Nous ne sommes pas prêts à déposer une demande ou à porter des accusations, mais je veux obtenir un redressement provisoire. Cela peut être fait. Rien ne s'y oppose. Nous le faisons constamment devant les tribunaux civils. Il n'y a aucune raison de prendre des mesures unilatérales... En réalité, si le commissaire émet une ordonnance contre mon client, je vais immédiatement demander une révision. J'en ferai la demande dès demain au tribunal. Où est l'avantage? Il devra justifier sa décision. Cela ne présente donc aucun avantage. Pourquoi changer ce régime? Il n'y a aucune raison.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings: Merci, monsieur le président.

Merci, monsieur Wong et madame Sanderson.

Je voudrais poursuivre la discussion au sujet du projet de loi C-26, qui modifie la Loi sur la concurrence de façon à conférer au commissaire le pouvoir de prendre des mesures provisoires extraordinaires et du projet de loi de M. McTeague, le projet de loi C-472, qui élargit les pouvoirs du commissaire à cet égard.

• 1130

Vous étiez là lorsque j'ai demandé à M. Trebilcock s'il serait d'accord pour que le commissaire ait le pouvoir d'adresser cette demande au Tribunal au lieu d'émettre lui-même l'ordonnance provisoire de mettre fin à la contravention. Dans le contexte des fusions, le commissaire doit avoir déjà fait enquête et être assez convaincu qu'il va faire une demande.

M. Stanley Wong: Je ne suis pas d'accord, madame Jennings.

Mme Marlene Jennings: Non?

M. Stanley Wong: Pourquoi ne pas simplement s'arrêter là?

Mme Marlene Jennings: Certainement.

M. Stanley Wong: Pour le moment, nous avons le pouvoir prévu à l'article 104 qui s'applique à toute demande, qu'elle concerne les fusions, l'abus de position dominante ou n'importe quoi d'autre. Vous pouvez faire la demande après, car vous ne voulez pas que les entreprises qui veulent se fusionner le fassent dans l'intervalle.

Mme Marlene Jennings: En effet.

M. Stanley Wong: L'article 100 ne s'applique qu'aux fusions. C'est ce dont nous parlons. Nous avons besoin de quelque chose, je suis entièrement d'accord. J'ai dit dans mon mémoire que nous avons besoin d'une mesure provisoire avant la demande.

En réalité, le commissaire doit examiner la situation, car il doit lancer une enquête officielle. Il faut bien comprendre que, dans la plupart des cas, le commissaire n'a pas à entamer une enquête officielle. Lorsque vous portez plainte, à moins qu'elle ne soit formulée par six citoyens, le Bureau va examiner la situation. Si le commissaire entame une enquête officielle de sa propre initiative, il doit avoir des motifs raisonnables de croire que cette enquête est justifiée. Il aura déjà fait quelques vérifications, n'est-ce pas?

Mme Marlene Jennings: Oui, vous avez parfaitement raison, mais son enquête ne sera peut-être pas suffisamment avancée pour qu'il puisse déterminer si elle sera suivie d'une demande.

M. Stanley Wong: C'est exact.

Mme Marlene Jennings: Ce que j'essaie de faire valoir... Prenons l'industrie du transport aérien, par exemple, où nous savons qu'il y a des tarifs saisonniers. Les tarifs fluctuent par vague. Autrement dit, si l'on a des raisons suffisantes de croire que les prix offerts peuvent faire du tort à la concurrence... Parlons seulement de la concurrence. Si le commissaire doit avoir engagé son enquête suffisamment pour pouvoir recourir à l'article 100, si cette exigence est étendue à toute la Loi sur la concurrence, nous risquons d'intervenir trop tard.

M. Stanley Wong: Je ne pense pas que l'article 100, en supposant qu'il soit généralisé...

Mme Marlene Jennings: Seriez-vous d'accord pour dire que le pouvoir extraordinaire d'émettre une ordonnance provisoire pour mettre fin à une contravention doit être élargi? Vous pourriez au moins examiner la question et me répondre plus tard. Le commissaire n'émet pas d'ordonnance. Et il doit faire une demande d'ordonnance au Tribunal, mais il peut la faire immédiatement, sans avoir entamé une enquête, car c'est une ordonnance provisoire. Il y a aussi le droit d'accès des particuliers, ce qui veut dire que, si le commissaire n'intervient pas, la demande peut être présentée par l'entreprise ou les entreprises touchées. Mais il faut qu'elles aient de bonnes raisons.

M. Stanley Wong: Je suis entièrement d'accord. Si vous examinez l'article 100...

Mme Marlene Jennings: Je ne pense pas qu'il le permet.

M. Stanley Wong: Je crois que oui. Si vous examinez l'article 100, le commissaire certifie qu'il a entamé une enquête aux termes de l'article 10, c'est-à-dire de sa propre initiative, qu'il a des raisons de croire qu'une ordonnance est justifiée, qu'il a besoin de plus de temps pour terminer son enquête—n'oubliez pas que le mot «enquête» est un terme technique—et que la concurrence va subir des torts auxquels le tribunal ne pourra remédier.

Il peut déjà le faire maintenant. Il ne l'a fait qu'une fois en vertu de l'ancien article 100. Le libellé de cet article a posé de sérieux problèmes. Voilà pourquoi il a été modifié la dernière fois.

Mme Marlene Jennings: C'est exact.

M. Stanley Wong: Je veux dire que si vous généralisez... Je suis étonné. Je l'ai dit directement au commissaire et je ne parle donc pas derrière son dos. Il faudrait s'orienter vers un pouvoir généralisé. Vous obtiendriez exactement ce que vous voulez et cela répondrait à toutes ces exigences.

Mme Margaret Sanderson: Je suis entièrement d'accord. J'ajouterais seulement une chose. J'ai travaillé au Bureau pendant assez longtemps. Quand les commissaires ont-ils des raisons suffisantes de croire qu'ils vont entamer une enquête officielle? Le seuil n'est pas nécessairement très élevé.

Mme Marlene Jennings: Il ne devrait pas l'être.

Mme Margaret Sanderson: Il n'est pas très élevé. Qu'est-ce qui constitue généralement une cause probable d'action? Il suffit d'avoir certaines preuves d'une influence sur le marché. Est-il nécessaire de se livrer à une évaluation approfondie? Non. Vous pensez que certaines personnes ont une part importante du marché et qu'il y a d'assez gros obstacles à surmonter pour entrer sur ce marché. C'est tout.

• 1135

Mme Marlene Jennings: Normalement, si la décision du commissaire se fonde sur une plainte, c'est parce qu'il aura jugé, à première vue, que cette plainte n'est ni futile ni vexatoire. Tel est le cas normalement. Le commissaire décidera alors si la situation justifie ou non une enquête approfondie.

M. Stanley Wong: Je vais vous donner un exemple.

Lorsque j'ai été l'avocat du Bureau dans le cas du National Post, à l'automne 1998, l'examen a eu lieu presque trois ou quatre semaines plus tard. Le problème était assez évident dès le départ, n'est-ce pas? Comme il n'y a qu'un nombre limité de journaux, il était assez évident qu'il y avait un problème. Une enquête officielle a été entamée parce qu'un des journaux a refusé de fournir volontairement des renseignements au Bureau.

Mme Marlene Jennings: C'est exact.

M. Stanley Wong: Nous leur avons demandé de fournir ces renseignements et finalement nous avons décidé de demander une ordonnance en vertu de l'article 11 qui prévoit une procédure similaire à celle dont nous parlons aujourd'hui. Vous devez faire enquête et pour cela il faut que vous ayez des raisons suffisantes de croire qu'elle est justifiée. Mais vous devez avoir des motifs raisonnables de croire que l'intimé possède les renseignements dont vous avez besoin pour votre enquête.

Nous avons obtenu l'ordonnance. C'était donc dès le début. Je suis d'accord avec Margaret Sanderson pour dire qu'il est facile d'avoir des motifs raisonnables. Mais vous présentez la demande très rapidement au Tribunal pour qu'elle soit examinée par une personne indépendante.

Comme je l'ai dit, je sais que la concurrence a été très déçue par certaines des décisions du Tribunal. Mais si les avocats se laissent si facilement décevoir, ils devraient changer de profession. Parfois vous gagnez et parfois vous perdez. Vous devez quand même continuer.

L'origine d'un grand nombre de ces pouvoirs... Les pouvoirs de l'article 11 n'ont pas été invoqués dans des affaires civiles avant que nous le fassions pour Southam. Ces pouvoirs existent depuis des décennies, mais nous nous disions que si nous les utilisions, nous risquions de les perdre. Je répondrai à cela que tout le monde sait alors que vous n'allez pas les utiliser. Vous ne les possédez pas vraiment si vous ne les utilisez pas.

Mme Marlene Jennings: En effet.

M. Stanley Wong: C'est pourquoi on s'en sert maintenant régulièrement. Je ne pense pas que le Bureau soit allé trop loin en exerçant les pouvoirs que prévoit la loi et en laissant les tribunaux décider.

Mme Marlene Jennings: Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Ce que je me demande c'est d'où viennent les pressions en faveur d'un élargissement de la Loi sur la concurrence.

Des gens sont venus nous dire que le commissaire à la concurrence était l'un des bureaucrates les plus puissants d'Ottawa ces jours-ci, même en l'absence des pouvoirs élargis que nous envisageons de lui accorder.

Je ne représente sans doute pas une circonscription normale car je n'entends pas parler de tous ces problèmes qui justifieraient d'aller plus loin dans cette voie. Même en ce qui concerne l'industrie du transport aérien, nous avons déjà parlé des diverses options qui s'offrent au gouvernement.

Parlons-en quelques instants

J'ai l'impression que les fusions ne sont pas la seule façon de résoudre les problèmes du marché. Canadien était certainement en difficulté, mais si on l'avait laissée faire faillite, une compagnie comme WestJet l'aurait rachetée à 20c le dollar et l'aurait rendue rentable, ce qui aurait assuré une concurrence.

Ce que je vous demanderais ce matin c'est donc si vous pensez que ces mesures sont vraiment nécessaires? Constatez-vous des pressions? Voyez-vous des signes indiquant que le marché n'est pas concurrentiel et qu'il faut élargir les pouvoirs que prévoit la loi?

M. Stanley Wong: Du point de vue juridique, je pense qu'il y a un certain nombre de questions à considérer. D'une part, le commissaire a estimé qu'en ce qui concerne la fusion d'Air Canada—et je ne dis pas que je ne suis pas d'accord—il était préférable de laisser le seul autre concurrent acheter Canadien que de laisser Canadien faire faillite. Et cela peut arriver. Il y a eu plusieurs autres cas où il a porté un jugement semblable. Telle a été sa décision.

Pour ce qui est de l'aspect politique du problème, vous ne pouvez pas mettre à pied 11 000 ou 15 000 personnes. Si cela arrivait, un grand nombre d'entre vous ne seraient pas réélus. Telle est la réalité et cela exerce des pressions. Nous avons donc créé un monopole et maintenant le commissaire dit: «Je vous ai avertis à de nombreuses reprises, monsieur Collenette, le Conseil des ministres, de ne pas créer ce monopole. Laissez les étrangers venir chez nous». Telles sont les cartes qu'il a en main. Il dit maintenant: «Si vous voulez que je protège la concurrence, voici ce que je veux faire». Et si j'ai bien compris, le Comité des transports lui dit: «Que voudriez-vous? Voudriez-vous pouvoir faire ceci ou cela?» S'il le voulait vraiment, il pourrait demander beaucoup plus de pouvoirs. Je crois qu'il fait preuve de modération.

Tels sont les domaines dans lesquels je pense qu'il faudrait modifier la loi. L'une des suggestions que M. McTeague fait dans le projet de loi C-472 consiste à rationaliser notre législation sur les complots.

• 1140

Pour le moment, le problème est très grave, car il y a de nombreux domaines où les concurrents peuvent s'entendre en toute légitimité. Il y a toutes sortes de coentreprises et d'alliances stratégiques. Elles sont très productives. Je possède une certaine propriété intellectuelle et vous en avez une autre, nous avons donc intérêt à collaborer.

Mais l'ennui, c'est que lorsque les gens viennent me consulter, ils s'inquiètent surtout de la disposition concernant la collusion. Le Bureau a émis un bulletin sur les alliances stratégiques disant qu'il ne faut pas trop s'inquiéter car ce n'est pas ainsi que cette disposition sera appliquée. Mais n'oubliez pas qu'un complot peut également faire l'objet d'une action privée, car c'est un acte criminel. Des réformes s'imposent donc dans ce domaine.

Aux États-Unis, bien entendu, vous n'avez pas ce genre de distinction entre les sanctions pénales et non pénales dans ce domaine. Nous devons éliminer la véritable collusion en matière de prix. Deux concurrents qui s'entendent seulement sur les prix ne font rien de légitime. Mais toutes sortes d'autres formes de collaboration sont parfaitement légitimes et utiles pour l'économie. Nous devons rationaliser le système.

Nous avons modifié la loi. Les dispositions à cet égard sont là depuis plus d'un siècle. Cela figurait dans le Code criminel à l'article 498. Ce n'est pas nouveau. C'est l'infraction la plus grave, parce que l'amendement adopté par le Parlement en 1986 a porté l'amende à 10 millions de dollars.

Tous ces merveilleux rapports sortent du Bureau du commissaire. Soit dit en passant, aucun d'eux n'est contesté. Les gens plaident coupable et disent: «Quel montant dois-je inscrire sur le chèque, monsieur le commissaire?» D'accord?

M. Dan McTeague: Grâce aux États-Unis.

M. Stanley Wong: Oui, grâce aux États-Unis. Exactement.

Et c'est une des choses sur lesquelles je tiens à insister. Nous avons très peu de jurisprudence. Il y a bien des domaines dans lesquels il n'y a aucune jurisprudence.

La publicité trompeuse en est un bon exemple. Pendant des années, il y a eu ce qu'on appelait le bulletin sur la publicité trompeuse. On y énumérait toute une série de cas, par exemple, l'épicerie du coin qui trompait sa clientèle. Elle se voyait infliger une petite amende. Il n'y a plus de cas de ce genre.

Ce n'est pas qu'ils ont tous été réglés. C'est parce que le Bureau dit qu'il n'a pas les ressources voulues ou qu'il ne veut pas s'en occuper. En tant que spécialiste du droit de la concurrence, je n'aime pas que tout soit décidé en privé entre une partie et le commissaire. Je préférerais que l'affaire aille devant les tribunaux.

M. Charlie Penson: Mais, monsieur Wong, se pourrait-il que les fortes pressions dont vous avez parlé n'existent pas?

M. Stanley Wong: Elles existent bel et bien, monsieur Penson. Le plus grave...

M. Charlie Penson: Peut-être dans votre circonscription. Ce n'est pas ce que je constate.

M. Stanley Wong: ... ce sont les alliances stratégiques.

J'ai eu l'occasion de prendre la parole devant l'American Bar Association. Les États-Unis viennent de publier des lignes directrices sur les coentreprises et les alliances stratégiques. C'est un domaine très important dans lequel nous voulons faire en sorte que les entreprises canadiennes ne soient pas lésées. Et pour cela, nous devons rationaliser notre en loi en ce qui concerne les dispositions relatives à la collusion.

Et je suis généralement d'accord avec les principes énoncés dans le projet de loi C-472 de M. McTeague.

Je sais que mon bon ami et collègue M. Kennish est un peu embarrassé, car tout le monde l'appelle le modèle Kennish-Ross. Il ne va donc pas faire de commentaire sur cette disposition.

M. Charlie Penson: Je ne pense pas que le projet de loi ait déjà été tiré au sort, n'est-ce pas?

M. Dan McTeague: Non. Le ministre... [Note de la rédaction: Inaudible] Voilà pourquoi nous tenons ce débat ici aujourd'hui, monsieur Penson, même si les gens ne vous en ont pas parlé.

M. Stanley Wong: [Note de la rédaction: Inaudible]... projet de loi.

M. Dan McTeague: Absolument.

M. Charlie Penson: Je dis seulement que le projet de loi n'a pas encore été tiré au sort.

Je suppose donc que nous étudions les propositions du projet de loi.

M. Stanley Wong: Les propositions.

M. Dan McTeague: Monsieur le président, j'invoque le Règlement.

Le président: Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: Monsieur le président, j'invoque le Règlement car on peut dire, je crois, à ce propos, que l'étude sur la question des prix et, dans une large mesure, les autres questions concernant le ministre et les opinions du Bureau résultent d'une bonne partie du travail accompli ces deux dernières années, et particulièrement le mien. Je tenais à ce que le député le sache bien.

M. Charlie Penson: Oui. Je le sais parfaitement. Mais j'ai peur parfois que tout ce travail ne paralyse les entreprises. Vous pouvez avoir la meilleure Loi sur la concurrence qui soit, mais comme je l'ai déjà dit, l'entreprise a besoin du climat propice.

Nous n'allons pas en discuter plus longuement, mais il y a une question que je voudrais poser à nos témoins. En ce qui concerne les demandes de fusion bancaire qui ont été rejetées, j'ai l'impression que cela peut avoir parfois un effet négatif.

Si j'ai bien compris, les grandes banques canadiennes obtiennent une bonne partie de leur revenu à l'étranger et elles concurrencent d'autres banques qui se sont fusionnées dans d'autres pays. Lorsqu'on interdit des fusions bancaires, on peut constater dans les régions rurales du Canada que les banques ferment des succursales et regroupent leurs services. Le résultat est-il différent?

Le résultat est le même. Et pourtant nous imposons une restriction à nos banques canadiennes, ce qui les empêche de livrer une concurrence efficace sur le marché mondial.

Mme Margaret Sanderson: À propos des fusions de banques, il n'est pas vrai que le Bureau a affirmé—pas plus que le ministre des Finances, si je ne m'abuse—que les fusions n'étaient pas permises.

• 1145

M. Charlie Penson: On ne leur donne tout simplement pas le feu vert.

Mme Margaret Sanderson: Pour remettre les choses dans leur contexte, le commissaire a déclaré que ces transactions-là soulevaient de graves inquiétudes sur le plan de la concurrence en particulier pour ce qui est des produits et services dans des régions géographiques données, pas partout.

Le commissaire n'a pas pu avoir l'occasion de discuter véritablement de recours avec les parties, mais comme il y a eu tout un débat autour de la question, tout au moins dans le cas d'une de ces transactions, les inquiétudes auraient sans doute pu être apaisées à la satisfaction du commissaire. Toutefois, le commissaire n'a jamais eu l'occasion d'en arriver là car l'entente conclue avec le ministre des Finances—et il faut se souvenir que les banques constituent un cas à part étant donné qu'il existe des dispositions spéciales de la Loi sur la concurrence permettant au ministre d'exercer des pouvoirs que les autres ministres ne détiennent pas d'habitude quand il s'agit d'examiner un dossier de fusion—et pour certaines autres raisons, le ministre des Finances a estimé qu'il n'était pas opportun de faire intervenir les dispositions de la Loi sur les banques dans le cas de ces transactions, c'est-à-dire de permettre de les autoriser en vertu de cette loi. Ainsi, il était inutile que les parties entreprennent de négocier un genre de recours.

Je tiens à dire que je ne pense pas qu'il soit vrai que le commissaire ait affirmé qu'il allait empêcher toute fusion des banques.

M. Charlie Penson: Mais, madame Sanderson...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Ce sera votre dernière question, monsieur Penson.

M. Charlie Penson: ... la question est plus générale car si on ne permet pas les fusions, cela peut avoir une conséquence tout aussi fâcheuse que la mesure elle-même, du fait que les services en souffrent. C'est ce que j'essaie d'expliquer. Voici ce qui m'inquiète: nous risquons, en resserrant la politique, de découvrir des conséquences imprévues dans nos pratiques d'affaires. C'est là-dessus que je voulais votre opinion.

Mme Margaret Sanderson: Avec un autre commissaire, je me suis occupée de très près de la fusion d'un certain nombre de minoteries. L'affaire a suscité un grand intérêt politique une fois que le commissaire a rendu sa décision. Les mêmes inquiétudes que celles que vous soulevez ont été évoquées à l'époque, c'est-à-dire que cela empêcherait les entreprises canadiennes, etc. Cela n'a pas entraîné une augmentation des prix à la consommation. Cela n'a pas réduit les services ou leur disponibilité. On avait trouvé un recours efficace. Il y a plus d'intervenants sur le marché. Il ne s'agit plus nécessairement de propriétés britanniques, car il y a maintenant des intervenants américains. C'est un fait. La concurrence existe. Les services sont offerts. Les investisseurs étrangers sont tout à fait prêts à venir investir ici.

En outre, rien ne prouve qu'il y a eu un grand nombre de pertes d'emplois. Rappelons-nous que, s'agissant de fusion, les synergies, les gains d'efficacité, se traduisent par une production équivalente avec une moins grande quantité de ressources, en l'occurrence, moins de main-d'oeuvre. Presque invariablement, quand il y a fusion, la synergie signifie qu'on a besoin de moins de capital et de main-d'oeuvre. C'est le marché qui détermine si cela se fait grâce à une fusion ou tout simplement parce qu'on essaie par des mesures particulières de réduire les coûts.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): La parole sera à M. Wong et ensuite à M. McTeague.

M. Stanley Wong: Je pense qu'en réponse à une question de M. Penson, j'ai dit que j'étais déçu que le commissaire... Je comprends bien que dans le cas d'une éventuelle fusion, le ministre des Finances a le dernier mot. Moi aussi j'ai été déçu, même si je ne me suis pas occupé de ces fusions, que le commissaire ne se soit pas prononcé sur la façon de trouver des recours. Dans certaines lettres, il a expliqué ses inquiétudes.

Je conviens avec Mme Sanderson qu'il y a au moins un cas de fusion où les choses auraient pu s'arranger. Je le dis très respectueusement, je pense que le commissaire était trop près du processus politique. La décision a été prise finalement par le ministre des Finances. Personne ne conteste cela, car c'est la loi, mais je pense que le commissaire aurait dû faire son boulot, si vous voulez. D'habitude, quand il y a des difficultés dans le cas d'une fusion, il faut dire aux parties: «Quoi que vous fassiez, je vais empêcher cette fusion...» Le commissaire a trois possibilités qui s'offrent à lui. Il peut décréter une situation où il n'y aura aucune mesure, et cela veut dire que le dossier est en suspens pendant trois ans. Il peut dire d'autre part: «Je vais contester cette transaction, peu importe ce que vous faites.» Il peut encore dire—et c'est courant—«J'ai des inquiétudes mais si vous les apaisez, je donnerai mon approbation.» Nous n'en sommes jamais arrivés là.

Je suppose que le ministre Martin a dit: «Eh bien, le commissaire m'a dit que cette transaction entravait la concurrence.» Mais il n'a pas franchi l'étape suivante, qui est la tâche que le Bureau aurait dû entreprendre, à savoir que s'il y avait eu des rajustements dans le cas d'une des fusions, elle aurait été permise. Mais il faut tenir compte de la réalité politique, et vous êtes mieux placé que moi pour savoir ce qu'il en est.

• 1150

M. Dan McTeague: Merci.

Monsieur le président, il y a quelques axiomes dans le monde des affaires d'aujourd'hui. Il y en a qui les comprennent, d'autres pas. L'un d'entre eux est que le temps c'est de l'argent. Deuxièmement, un retard de justice est un déni de justice.

Dans bien des secteurs industriels, la réalité est que les marges bénéficiaires sont très minces—et j'entends dire cela dans le bâtiment, dans l'industrie du pétrole, celle de l'alimentation au détail, celle des livres, cela n'en finit plus—si quelqu'un a pris le temps, semble-t-il, de rédiger une loi qui peut ouvrir la voie à un comportement anticoncurrentiel, permettant de mettre au pas ou de supprimer un concurrent, le fait que les préparatifs d'une telle manoeuvre peuvent se faire très rapidement, en une semaine ou deux, rendra sans doute inutile le recours à une balise que constituerait une ordonnance du tribunal, même s'il ne fallait qu'une semaine pour l'obtenir.

Dans le secteur du pétrole et du gaz, les petits détaillants d'essence, comme ceux qui se trouvent dans la circonscription de M. Penson et ailleurs au Canada, savent pertinemment que leur marge bénéficiaire d'une semaine est tout ce sur quoi ils peuvent compter, 2,5 p. 100. Est-ce que le fait que vous ne pouvez pas stopper une telle situation n'est pas pour vous deux une source d'inquiétude?

Dans d'autres cas, si un agent de police par exemple est témoin d'un acte, il n'a pas besoin de courir chez un juge pour obtenir un mandat de perquisition afin de l'empêcher, car il a des motifs raisonnables dont il pourra apporter la preuve plus tard. Bien sûr, il ne serait peut-être pas juste d'assimiler ce genre de situation à la décision du commissaire, car le commissaire a entrepris une sorte d'enquête, mais afin d'empêcher l'aboutissement très probable, à savoir l'élimination d'un concurrent, ce qui porte préjudice à l'intérêt public, comment ne pouvez-vous pas souscrire à ce qui est écrit ici?

Monsieur Wong.

M. Stanley Wong: Dans une réponse qu'elle a donnée, Mme Sanderson a exposé les solutions possibles. Je pense que le premier critère s'appliquerait à la suppression d'un concurrent pour obtenir sa part du marché. Comme nous l'avons souvent répété, la Loi sur la concurrence vise à protéger la concurrence. Avec le jeu de la concurrence, certains seront gagnants et d'autres perdants. C'est la réalité. Je pense que ces critères peuvent être assimilés à un critère général, l'entrave à la concurrence.

M. Dan McTeague: Je vois.

M. Stanley Wong: Un crime, c'est différent. Si j'ai l'intention de frapper Mme Sanderson, oui, vous pouvez m'arrêter, parce que je n'ai pas de raison de faire cela. Mais si vous abaissez vos prix, votre objectif n'est pas évident. Ce n'est vraiment pas évident. C'est là le problème. Mon ex-collègue à Carleton, le professeur McFetridge et moi-même avons rédigé des articles sur la pratique de prix d'éviction. C'est un mal qui est très difficile à déceler.

M. Dan McTeague: Je vois. Je comprends.

M. Stanley Wong: Je pense qu'on peut obtenir une ordonnance rapidement. La réalité veut que, si on s'en tient à votre projet de loi et que le commissaire rende une ordonnance aujourd'hui, mon client va la recevoir demain, ce qui va me porter à demander immédiatement une audience au tribunal après-demain. Où est le problème?

M. Dan McTeague: Monsieur Wong, si c'était le cas, cela se serait déjà produit. Mais je peux vous donner toute une liste d'entreprises qui ont dû fermer leurs portes alors qu'elles étaient des concurrents efficaces, parce qu'elles n'ont pas pu réagir à temps. Les rouages du monde des affaires tournent beaucoup plus efficacement que ceux de nos lois.

M. Stanley Wong: Non. Monsieur McTeague, je n'ai pas entendu le commissaire dire... Si ces entreprises ont fermé leurs portes, on peut se demander pourquoi il n'a pas continué son enquête et déposé une requête au tribunal, ou porté des accusations en vertu de l'alinéa 50(1)c)? Rien n'a été fait au titre de cet article, sauf dans trois ou quatre cas. Il n'a obtenu gain de cause que dans l'affaire Hoffman-Laroche, qui remonte aux années 70, et dans le cas des écoles de conduite de Sherbrooke, qui comportait d'autres facteurs.

M. Dan McTeague: Monsieur Wong, je comprends cela.

M. Stanley Wong: Mais il a d'autres pouvoirs—excusez-moi monsieur McTeague—en vertu de l'article 33. Il aurait pu les utiliser, mais il ne l'a pas fait. C'est une disposition pénale.

M. Dan McTeague: Tout tourne autour d'une manifestation d'intention, l'intention au-delà de tout doute raisonnable. Vous le savez aussi bien que moi. J'ai soulevé cette question dans le cas du projet de loi C-235, dès le premier jour d'étude en comité.

Comme vous l'avez bien signalé, et d'autres l'ont fait aussi, il y a toute une coterie d'opposants à l'Association du Barreau canadien, à la Chambre de commerce du Canada, au sein du comité, au sein du Parti réformiste, à quelques exceptions près.

Je pense que nous comprenons qu'il y a un problème car on ne peut... Le temps de réaction... Soit. Mais si je songe à vos propres interrogations sur les fusions, parce que j'ai soulevé les autres questions sur la pratique de prix d'éviction dans le cas, par exemple, de Superior Propane... J'ai des documents qui remontent à deux ans, qui sont en train de jaunir dans mon classeur, et je me demande combien de temps cela prend.

M. Stanley Wong: Vingt mois.

M. Dan McTeague: Vous avez rappelé l'affaire Southam. L'Empire Sobey.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous n'avons plus qu'une minute car il faut quitter la salle.

M. Dan McTeague: Comme Mme Sanderson l'a signalé très clairement, une fois que les oeufs sont brouillés, ne serait-il pas prudent tout au moins de donner le bénéfice du doute aux gens qui comprennent le secteur industriel afin qu'ils aient un rôle plus pertinent à jouer, afin de garantir que nous rassemblons nos forces pour éviter qu'un concurrent soit supprimé en raison du temps qui s'écoule et des mesures nuancées prises par les autres?

• 1155

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Une courte réponse et ensuite une brève question de Mme Jennings.

Mme Margaret Sanderson: Brièvement, à quelques modifications près, ce serait une disposition très efficace pour atteindre cet objectif. Quand un concurrent porte plainte, et qu'il invoque les marges bénéficiaires minces, il faut être prudent parce qu'il y a une raison à cet état de choses. C'est parce que la concurrence est serrée que les marges bénéficiaires sont minces. Fondamentalement, nous souhaitons qu'il en soit ainsi. Cela profite aux consommateurs.

M. Dan McTeague: Sauf s'il s'agit de mettre un concurrent au pas.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Madame Jennings.

Mme Marlene Jennings: Sans vouloir revenir sur la question de savoir si le commissaire a utilisé les pouvoirs dont il dispose déjà en vertu de la Loi sur la concurrence et sans vouloir déterminer si ces dispositions-là sont tout aussi efficaces que celles qui sont proposées dans le projet de loi C-26 et dans le C-472, accepteriez-vous plus facilement l'idée que le commissaire puisse émettre une ordonnance temporaire de redressement ou une ordonnance d'interdiction? Si je pose cette question, c'est à cause de la suggestion de M. McTeague qui a rappelé qu'un agent de police peut arrêter un individu et l'écrouer, mais dans certains cas l'agent de police doit relâcher cet individu. Si l'agent de police souhaite que l'individu reste derrière les barreaux jusqu'à sa comparution devant un juge, il doit alors l'amener devant un juge dans les 24 heures. Accepteriez-vous plus facilement que le pouvoir demeure entre les mains du commissaire, mais que ce dernier soit tenu de comparaître devant le tribunal dans des délais précis afin d'obtenir confirmation...

M. Stanley Wong: Vous me posez une question et vous en connaissez la réponse. Bien sûr que cela vaudrait mieux.

Mme Marlene Jennings: Merci, monsieur Wong.

M. Stanley Wong: Vous excellez dans contre-interrogatoire. Bien entendu, cela vaudrait mieux, mais je pense que si vous reteniez ma solution, il devrait y avoir des dispositions pour les requêtes ex parte quand il y aurait véritablement urgence.

Mme Marlene Jennings: Je suis aussi de cet avis.

M. Stanley Wong: Vous pouvez insérer cela et, bien entendu, les tribunaux les accepteront s'il s'agit d'une véritable urgence.

Mme Marlene Jennings: Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, madame Jennings.

Merci, monsieur Wong et merci, madame Sanderson. Notre discussion de ce matin a été fructueuse et animée.

Merci beaucoup. La séance est levée.