Passer au contenu
Début du contenu

SRID Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 6 mai 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.))
V          M. Marcus Pistor (Chargé de recherche auprès du comité)
V         Le président
V         L'hon. Denis Paradis (secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique) (Francophonie))

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550

¹ 1555
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne)
V         M. Denis Paradis

º 1600
V         M. Marc-André Brault (envoyé spécial pour le Congo et la région des Grands Lacs, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international)

º 1605
V         Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ)
V         M. Marc-André Brault

º 1610
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde

º 1615
V         M. Denis Paradis

º 1620
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Denis Paradis
V         M. Marc-André Brault
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Marc-André Brault

º 1625
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Marc-André Brault

º 1635
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Marc-André Brault
V         M. Denis Paradis
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Denis Paradis
V         Le président
V         Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.)

º 1640
V         M. Denis Paradis

º 1645
V         Le président
V         M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC)
V         M. Denis Paradis
V         M. Bill Casey
V         M. Denis Paradis

º 1650
V         M. Bill Casey
V         M. Denis Paradis
V         M. Marc-André Brault
V         Le président
V         M. Marc-André Brault
V         M. Bill Casey
V         M. Marc-André Brault

º 1655
V         M. Bill Casey
V         M. Marc-André Brault
V         M. Bill Casey
V         M. Marc-André Brault
V         M. Bill Casey
V         M. Marc-André Brault
V         M. Bill Casey
V         M. Marc-André Brault
V         M. Bill Casey
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)

» 1700
V         M. Denis Paradis
V         M. André Harvey
V         M. Denis Paradis

» 1705
V         Le président
V         Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.)
V         M. Denis Paradis

» 1710
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         Mme Beth Phinney
V         M. Denis Paradis
V         M. Robert Peck (directeur général, Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international)

» 1715
V         Mme Beth Phinney
V         M. Marc-André Brault
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président
V         M. Marc-André Brault

» 1720
V         Le président
V         M. Marc-André Brault
V         Le président
V         M. Denis Paradis
V         Le président
V          M. Marcus Pistor
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président

» 1725
V         Mme Beth Phinney
V         M. Deepak Obhrai
V         Mme Beth Phinney
V         Le président
V         Mme Beth Phinney
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président
V         Mme Beth Phinney
V         Le président
V         Mme Beth Phinney
V         M. Deepak Obhrai
V         Mme Beth Phinney
V         Le président
V         Mme Beth Phinney
V         M. Deepak Obhrai
V         Mme Beth Phinney
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         Le président
V         Mme Francine Lalonde
V         M. Deepak Obhrai
V         Le président










CANADA

Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 007 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 6 mai 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Français]

+

    Le président (M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.)): Je voudrais souhaiter une chaleureuse bienvenue à l'honorable Denis Paradis, secrétaire d'État pour l'Amérique latine et l'Afrique et pour la Francophonie, ainsi qu'à nos témoins d'aujourd'hui, M. Marc-André Brault, qui est l'envoyé spécial pour le Congo et la région des Grands Lacs, et à M. Robert Peck, directeur général pour l'Afrique centrale et occidentale.

[Traduction]

    Je tiens à indiquer qu'il s'agit de la dernière réunion du sous-comité des droits de la personne sur la question de la catastrophe humanitaire en Afrique. Nous passerons ensuite au Soudan, mais il s'agira de notre dernière réunion de la série d'audiences relative à la catastrophe humanitaire en Afrique. Je tenais à vous le préciser.

[Français]

que les recherchistes pourraient bénéficier de nos conseils quant au contenu du rapport et aux recommandations.

[Traduction]

    Nous allons préparer un rapport contenant nos recommandations. Il sera rédigé par Marcus Pistor. Nous en parlerons lors de notre réunion du mercredi 28 mai et je vous invite donc à communiquer vos recommandations à Marcus dans les plus brefs délais afin de lui donner le plus de temps possible pour rédiger ce rapport et de lui permettre de faire état de vos préoccupations et recommandations.

    Marc, vous vouliez dire quelque chose?

+-

     M. Marcus Pistor (Chargé de recherche auprès du comité): Ça va!

[Français]

+-

    Le président: D'accord. Je donne maintenant la parole au ministre, l'honorable Denis Paradis.

+-

    L'hon. Denis Paradis (secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique) (Francophonie)): Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de m'offrir l'occasion de venir ici traiter de catastrophes humanitaires dans plusieurs États africains. Des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et de l'Agence canadienne de développement international vous ont exposé le mois dernier le progrès réalisé ces dernières années dans la résolution de conflits en Afrique, tout en soulignant qu'il reste encore malheureusement plusieurs désastres humanitaires à résoudre.

    Je suis particulièrement heureux d'être avec vous aujourd'hui et je me rappelle avec joie les beaux jours que j'ai passés au Comité permanent des affaires étrangères. Je me présente devant vous avec un souci de partager l'information, bien sûr, mais aussi d'obtenir votre point de vue et vos suggestions, parce que je crois beaucoup à une participation encore plus grande et plus active des parlementaires à la politique étrangère du Canada.

    Vous avez manifesté un intérêt particulier pour la plus importante crise politique et humanitaire en Afrique, la guerre en République démocratique du Congo. J'ai donc cru bon de me concentrer aujourd'hui sur ce terrible événement.

    À cet égard, j'ai invité M. Marc-André Brault, notre envoyé spécial pour la République démocratique du Congo et pour les Grands Lacs africains, à m'accompagner. Entre autres, M. Brault a été à deux reprises sous-ministre adjoint pour l'Afrique au ministère et ambassadeur en Afrique du Sud lors des toutes premières élections démocratiques de ce pays. M. Robert Peck, directeur général du Bureau de l'Afrique au ministère, se joint aussi à nous. Nous répondrons volontiers à toutes vos questions sur les Grands Lacs africains et sur d'autres sujets relatifs à l'Afrique après l'exposé que je vais vous faire.

    Tout d'abord, parlons des conflits dans la région des Grands Lacs africains. La situation conflictuelle dans la région des Grands Lacs et en République démocratique du Congo est assez complexe. Il s'agit de plusieurs conflits qui sont tous en partie reliés les uns aux autres. On a apporté une carte et plus tard, s'il y a des questions, on pourra se référer à cette carte pour avoir une meilleure idée de l'ensemble de la région.

    La guerre civile en Ouganda, qui a vu le président Museveni renverser le brutal dictateur Obote, la guerre civile au Soudan, qui a éventuellement amené la guerre entre le Soudan et l'Ouganda, le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda et les suites de cette catastrophe, la guerre civile qui sévit toujours au Burundi, celle de l'Angola entre Savimbi et le gouvernement MPLA de Luanda, les guerres civiles au Congo-Brazzaville et en République centrafricaine, tous ces conflits ont une forte coloration congolaise.

    Leurs principales caractéristiques sont d'abord que ces conflits se sont presque tous déroulés en partie sur le territoire congolais ou avec des acteurs congolais, cela parce que le Zaïre de l'époque, qui est maintenant le Congo, était et est toujours un pays qui a échoué, un failed state comme on dit en anglais. Chacun pouvait y venir et agir à sa guise.

    La deuxième caractéristique est que ces guerres ont causé des crises humanitaires atroces dans le pays même et ont aussi dévasté des populations sur toute la longueur de la frontière congolaise, pour finalement s'étendre à tout le territoire congolais.

    La grande guerre du Congo a débuté, elle, au milieu des années 1990. Le Rwanda et l'Ouganda faisaient face à un problème insoutenable: des rebelles et génocidaires se cachaient dans la jungle congolaise et attaquaient quotidiennement leurs villages frontaliers. Pour régler le problème, les présidents Kagame du Rwanda et Museveni de l'Ouganda décidèrent de recruter un certain Laurent Désiré Kabila qui, depuis 20 ans, voulait renverser Mobutu. En regardant la carte, on comprendra mieux ce qui s'est passé.

¹  +-(1540)  

    Kabila devait partir de son repaire du sud-est du Zaïre et remonter vers le nord face au Burundi et face au Rwanda, jusqu'à la limite de l'Ouganda, éliminant les rebelles et les génocidaires en chemin. Il commença le boulot convenu, mais changea d'idée en route et décida plutôt de marcher vers Kisangani. Il se rendit ensuite à Kinshasa. Deux semaines plus tard, il renversait Mobutu et se déclarait président à sa place.

    En 1998, s'alliant à deux importants groupes rebelles congolais qui voulaient renverser Kabila, le Rwanda et l'Ouganda envahirent le Congo pour éliminer les génocidaires. En quelques semaines, ces quatre armées étaient aux portes de Kinshasa. Kabila, passablement agité, demanda l'aide de ses amis. Des armées du Zimbabwe, de la Namibie, du Tchad et de l'Angola arrivèrent à sa rescousse. Pour mettre toutes les chances de son côté, Kabila recruta même les fameux génocidaires comme mercenaires, et c'est avec l'aide de tous ces gens que Kabila sauva son régime. Il y avait donc en tout au Congo: six armées étrangères, deux grandes armées rebelles, l'armée gouvernementale, deux armées de génocidaires et plusieurs petits groupes rebelles et nationalistes. C'était une situation assez compliquée. Les 13 principaux belligérants étant alors en situation d'équilibre, les batailles continuèrent, mais en intensité moindre. Le désastre humanitaire, lui, durait toujours.

    L'Organisation de l'unité africaine profita d'une accalmie et négocia en 1999 l'Accord de Lusaka qui, par son volet militaire, établissait un cessez-le-feu et organisait le retrait de toutes les forces étrangères du Congo. Par son volet politique, il instituait un dialogue entre tous les Congolais afin d'amener les rebelles, le gouvernement, la société civile et les politiciens à s'asseoir pour organiser une transition et éventuellement des élections au Congo.

    Six mois plus tard, Laurent Désiré Kabila était assassiné dans son bureau. Son fils, Joseph, lui succéda quelques jours plus tard. La Namibie et le Tchad retirèrent leurs troupes tel que convenu par l'Accord de Lusaka. Mais les Rwandais dirent qu'ils ne se retireraient que lorsque le dernier génocidaire au Congo aurait été éliminé. L'Ouganda disait la même chose quant à ses rebelles. Il était inconcevable pour eux de retourner dans leur pays sans avoir réglé le problème qui les avait amenés au Congo. L'Angola et le Zimbabwe se dirent, en conséquence, obligés de rester sur place. La communauté internationale était profondément divisée à ce moment-là. Le Royaume-Uni appuyait le Rwanda et l'Ouganda et demandait à Kabila de cesser de soutenir les responsables du génocide en lui promettant qu'une fois cela fait, on demanderait à Kagame et Museveni de retirer leurs troupes du Congo. La France estimait au contraire que le Rwanda et l'Ouganda avaient illégalement envahi le Congo et qu'ils devaient d'abord se retirer, et que l'on s'occuperait des génocidaires et des rebelles plus tard.

    C'est à ce moment-là que M. Brault fut nommé envoyé spécial du Canada. Il avait comme mandat de travailler avec les représentants d'une demi-douzaine de puissances étrangères à trouver des solutions qui mèneraient le Congo à une paix durable. En passant, je félicite M. Brault pour l'excellent travail qu'il a fait. Il estima alors que le Canada pourrait aider à résoudre ce conflit en s'assurant qu'il y ait une meilleure coordination au sein de la communauté internationale. M. Brault visita ses collègues à Washington, en Europe et à New York. À l'instigation du Canada, les Nations Unies organisèrent, à l'été 2002, une réunion spéciale d'experts afin d'en arriver à une approche internationale plus coordonnée. Quelques semaines plus tard, le secrétaire général des Nations Unies et le président Thabo Mbeki de l'Afrique du Sud invitèrent Kabila et Kagame autour d'une table et négocièrent un accord selon lequel le Rwanda s'engageait à retirer ses troupes dans les 90 jours suivants, alors que Kabila s'engageait à cesser de soutenir les responsables du génocide.

    Un mois plus tard, un accord du même genre était conclu par les présidents Kabila et Museveni, selon lequel l'Ouganda s'engageait à retirer la presque totalité de ses troupes du Congo. Avec le retrait des troupes du Rwanda et de l'Ouganda, le Zimbabwe et l'Angola n'avaient plus de raison d'être au Congo et retirèrent aussi leurs troupes. Enfin, le Congo était débarrassé des troupes étrangères.

    À l'automne 2001, le premier ministre Chrétien décida d'impliquer plus substantiellement le Canada dans le Dialogue intercongolais. Le Canada fournirait des ressources financières importantes aux facilitateurs du Dialogue, monterait un bureau pour ses gens à Kinshasa, aiderait divers groupes de Congolais à se définir des positions et paierait les frais de transport pour qu'on se rende à diverses réunions du Dialogue.

¹  +-(1545)  

    En février 2002, le Dialogue intercongolais se réunit en réunion plénière en Afrique du Sud. Les Congolais devaient s'entendre sur une constitution, sur des institutions de transition et se partager le pouvoir. La réunion fut un succès, car on y a conclu 37 accords, mais on ne parvint pas à s'entendre sur deux points essentiels: la formation d'une armée intégrée et la division du pouvoir, chacun voulant une trop grande part du gâteau.

    Notre envoyé spécial demanda aux Congolais, à ses collègues et aux Nations Unies de faire un effort supplémentaire pour régler ces deux points afin d'en arriver à un accord global. Avec l'aide des États-Unis, il obtint que le secrétaire général fasse de l'ex-premier ministre du Sénégal, Moustapha Niasse, son super envoyé spécial. Niasse fit reprendre les négociations et le 2 avril dernier, un accord global a été entériné, mettant ainsi fin au Dialogue intercongolais.

    Le président Kabila proclama la constitution de transition le 4 avril dernier--vous voyez que c'est assez récent--et prêta lui-même serment le 7 avril. Le gouvernement de transition devrait être en place d'ici quelques semaines. Mais il reste beaucoup à faire.

    Premièrement, il faut faire cesser toutes les hostilités, désarmer les bandits et les groupes armés. Il y a encore plusieurs conflits dans l'est du pays, des conflits entre groupes ethniques ou entre divers mouvements rebelles. On se bat parce qu'il y a toujours des génocidaires au Congo que le Rwanda veut éliminer. On se bat parce qu'il y a une rivalité entre l'Ouganda et le Rwanda. On se bat aussi parce qu'on veut exploiter illégalement davantage de richesses naturelles. On sait que le Congo est très riche en richesses naturelles.

    Deuxièmement, il faut continuer à aider la population. Selon les Nations Unies, la guerre a coûté, depuis 1996, la vie à environ trois millions de Congolais. C'est un véritable désastre humanitaire, et nous sommes toujours face à ce gigantesque désastre humanitaire. Il n'y a pas d'hôpitaux, pas de dispensaires, pas de médicaments, pas de vivres, pas d'eau propre, et cela dure depuis 1998. Dans certaines régions, plus de 50 p. 100 des enfants de moins de cinq ans sont morts faute de soins. Et je ne parle même pas de tous les Congolais et Congolaises qui ont été torturés, battus, volés, violés et à qui on a transmis le sida.

    Troisièmement, il faut aussi rebâtir le Congo. Il n'y a plus rien. Il n'y a plus de routes, plus de ponts, plus de téléphones, plus d'électricité dans la plus grande partie du pays. Il n'y a plus d'écoles, d'hôpitaux ou de ministères qui fonctionnent. Il n'y a plus de police, plus d'armée nationale. Il n'y a absolument plus rien.

    Quatrièmement, il faudra que le gouvernement de transition décide de ses priorités, que l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent des douzaines de lois, et que l'on mette tout cela en branle. Il faudra créer des ministères et une fonction publique, et former et engager des fonctionnaires pour appliquer ces lois.

    Cinquièmement, il va falloir trouver de l'argent, beaucoup d'argent. Bien que le Congo soit un pays riche, l'argent n'est pas encore en banque. Il a des dettes énormes, et ce que je viens d'expliquer coûtera plusieurs dizaines de milliards de dollars. Il n'y a aucun doute qu'il pourra éventuellement avoir suffisamment de revenus fiscaux pour subvenir à ses besoins, mais il faudra plusieurs années pour en arriver là.

    Sixièmement, il faudra organiser des élections libres et démocratiques d'ici 30 mois. Cela aussi constituera tout un défi. Le Congo est le deuxième pays le plus populeux d'Afrique, immédiatement après le Nigeria. C'est un immense pays d'une cinquantaine de millions d'habitants couvert aux deux tiers par la jungle et, comme je l'ai mentionné, sans routes, sans téléphone et surtout sans véritable expérience électorale. Organiser des élections est donc tout un défi.

¹  +-(1550)  

[Traduction]

    Je vais essayer de parler un peu du rôle du Canada.

    La participation du Canada à la résolution du conflit congolais obéissait à plusieurs considérations. Il y a eu, bien sûr, des considérations liées à la politique étrangère, notamment pour ce qui est du potentiel économique à moyen et à long terme ainsi que de la sécurité internationale. Il s'agissait surtout de facteurs humanitaires. Nous devons essayer d'alléger les souffrances du peuple congolais et, par le truchement des Nations Unies, de promouvoir des mesures visant à améliorer la sécurité des Congolais et des Congolaises.

    Le Canada dispose de la compétence et des moyens voulus pour contribuer à résoudre ce type de conflit. M. Brault travaille à cet objectif depuis 18 mois maintenant. Il fait jouer l'influence du Canada auprès de la communauté internationale, notamment dans le cadre de nos relations avec les Européens, les Américains et les Africains. Il a su rassembler des ministères et des organisations non gouvernementales canadiennes qui sont tous présents au Congo.

    Notre petite mission de Kinshasa applique une politique de communication ouverte avec les Congolais. Le Canada fait bénéficier de sa compétence au Congo pour l'aider à se reconstruire et à devenir l'une des principales forces économiques en Afrique.

    L'Agence canadienne de développement internationale, l'ACDI, a déjà beaucoup investi dans le nouveau Congo. Depuis 1998, l'ACDI a dépensé près 80 millions de dollars, surtout en aide humanitaire. Bien que cette aide soit principalement ciblée sur la partie orientale du pays, elle a aussi permis d'appuyer certains projets bien précis, comme l'initiative de règlement des problèmes politiques, dans le cadre du dialogue intercongolais et le projet d'assistance dans les domaines de l'économie et de la santé. Avec le retour annoncé - d'ici deux semaines, c'est-à-dire dans peu de temps - à la paix et à l'instauration d'un gouvernement légitime, la ministre de la Coopération internationale a récemment demandé à ses fonctionnaires d'étudier la façon la plus efficace possible d'aider les Congolais, en travaillant de concert avec eux et avec les pays bailleurs de fonds à la reconstruction du Congo.

    Je tiens aussi à rappeler l'engagement du Canada envers le continent africain en général. Après le sommet de Kananaskis, le Canada a commencé à mettre en oeuvre le plan d'action pour l'Afrique, arrêté par le G-8 en réponse au NEPAD, soit le nouveau partenariat pour le développement en Afrique. Le premier ministre a annoncé qu'il était déterminé à faire tout ce que nous pourrons pour que les événements internationaux n'éclipsent pas les besoins de l'Afrique. À Kananaskis, nous avons promis aux Africains de les aider à régler certains conflits, dont la crise actuelle au Congo. Nous leur avons dit que nous aiderions ceux qui sont prêts à s'aider eux-mêmes.

    Grâce au succès remporté par le dialogue intercongolais, les Congolais ont prouvé au reste du monde qu'ils en ont assez de la guerre et des violations des droits de la personne, et qu'ils veulent reconstruire un pays qui fonctionnera pour eux, doté d'institutions démocratiques et dirigé par un gouvernement non corrompu.

[Français]

    C'est dans cet esprit que nous voulons aider les Congolais à résoudre rapidement leur crise humanitaire et que nous voulons aider tous les pays de la région à se développer dans un environnement politique et économique favorable. Je vous remercie beaucoup de votre attention.

¹  +-(1555)  

+-

    Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre analyse, de vos observations et de vos recommandations pour notre comité

[Traduction]

de même que de vos propos au sujet du rôle du Canada dans le conflit congolais.

    Nous allons passer aux questions. Je vais demander à mon collègue, Deepak Obhrai, de commencer la série.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Monsieur, monsieur le ministre.

    Pourriez-vous nous dire très brièvement qui contrôle actuellement le commerce du diamant au Congo? Je crois savoir que ce sont des Zimbabwéens, mais qui le contrôle en arrière? S'agit-il des rebelles? Les diamants du sang sont un des éléments qui alimente la guerre là-bas.

    Deuxièmement, vous avez soutenu que la plupart des armées étrangères se sont retirées du Congo, mais je continue de recevoir des rapports indiquant que les armées du Rwanda et de l'Ouganda sont encore présentes au Congo et qu'elles n'en sont pas parties. Voilà un des problèmes dont il faut parler.

    Vous avez beaucoup parlé du Congo et des mesures qui ont déjà été prises là-bas. Le Congo constitue un grave problème et je ne nie pas la terrible crise qui y sévit actuellement. Cependant, je crois que nous sommes en train d'appliquer la feuille de route pour la paix au Congo et j'espère que nous allons aboutir. Il arrivera bien un moment où nous devrons nous intéresser à l'autre élément du problème, c'est-à-dire le Zimbabwe. Si nous n'y prenons pas garde, nous allons nous retrouver avec une crise humanitaire sur les bras qui sera beaucoup plus importante que celle qui sévit au Zimbabwe.

    Pouvez-vous nous communiquer les dernières informations dont vous disposez, en marge de celles qu'on peut lire dans les journaux? Qu'est-ce qui s'est passé et quels progrès les présidents d'Afrique du Sud, du Nigeria et du Malawi ont-ils réalisé dans leur mission de paix au Zimbabwe? Pourriez-vous, très brièvement, nous communiquer les dernières informations sur la façon dont le problème est en train de se régler dans la région?

+-

    M. Denis Paradis: Je commencerai par quelques remarques sur le Zimbabwe, après quoi je laisserai le soin à Marc-André Brault de répondre à vos deux autres questions. Il revient du Congo où il a passé 18 mois.

    Comme vous le disiez, il y a eu une réunion, au Zimbabwe, avec des représentants de l'Afrique du Sud, du Malawi et du Nigeria. Cette réunion a permis d'asseoir à la même table le président Robert Mugabe et le leader de l'opposition. Le comité international, représenté par ces trois pays, a essayé d'instaurer le dialogue entre l'opposition et le régime de Mugabe. À ce que nous sachions, les discussions ont été bonnes et la réunion s'est bien déroulée.

    La communauté internationale suit de près ce qui se passe au Zimbabwe et elle assiste, comme vous l'avez indiqué, à la détérioration de l'économie et du pays tout entier. Nous devons donc trouver un moyen... Une réunion du GAMC aura lieu au Zimbabwe, en décembre prochain. Comme vous le savez peut-être, jusqu'à ce moment-là, nous allons poursuivre les politiques du Commonwealth relativement au Zimbabwe, jusqu'au moment où nous réévaluerons la situation. D'ici là, nous nous réjouissons de la présence du président M'Beki et du président Obasanjo ainsi que du président du Malawi qui cherchent à arranger les choses au Zimbabwe. Cependant, il faudra voir comment la situation évolue, si elle s'améliore d'ici décembre. Vous avez raison, nous devons agir rapidement, parce que la situation se détériore très vite là-bas.

    Pour ce qui est des deux autres aspects, c'est-à-dire les diamants et de la présence de l'armée ougandaise au Congo, je vais inviter M. Brault à vous répondre, s'il le veut bien.

º  +-(1600)  

[Français]

+-

    M. Marc-André Brault (envoyé spécial pour le Congo et la région des Grands Lacs, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

    Pour commencer par la question des diamants, sachez qu'un groupe d'experts de l'ONU a rédigé un excellent rapport au sujet de l'exportation illégale de ressources naturelles au Congo, rapport qu'il a déposé au Conseil de sécurité le 16 octobre 2002. On y parle de tout - de l'or, des diamants, de la colombo-tantalite et du bois - et c'est une excellente lecture. J'invite tous ceux et toutes celles qui s'intéressent à l'Afrique et au pillage de ses ressources à lire cet excellent rapport.

    Sur certains points, en revanche, le rapport n'est pas très clair et il y a bien des compagnies qui ont été accusées de ceci ou de cela mais qui ont prétendu ne pas avoir eu la chance de se défendre. Le Conseil de sécurité a donc accordé six autres mois au groupe d'experts pour tirer les choses au clair et déposer de nouvelles conclusions. Le rapport traite en détail de la question des diamants.

    Regardez la carte... je vais vous montrer où se trouvent les principales régions diamantaires du pays. Il y en a une près de la frontière avec l'Ouganda, une au Sud et une dans ce coin-ci. En fait, il y a trois grandes régions... Celle-ci est contrôlée par un groupe de rebelles qui est installé en Ouganda. Il y a un autre groupe de rebelles, les RCD, du Rwanda et, ici, il s'agit du gouvernement zimbabwéen, dans une certaine mesure. Le Zimbabwe est mêlé de très près au trafic de diamants.

    Quand le Zimbabwe est venu en aide à Laurent Désiré Khabila, l'opération lui a coûté très cher. À l'époque, Désiré Khabila a signé des ententes avec le Zimbabwe dans lesquelles il concédait à ce pays un accès à des régions minières très productives ainsi qu'à des mines déjà en exploitation, ce qui a permis au Zimbabwe de mettre la main sur énormément de diamants en échange de cette aide.

    Le mieux serait sans doute de consulter le rapport, qui est tout de même long et très détaillé. Il y a sans doute des groupes où s'entremêlent politiciens étrangers, généraux, rebelles et autres, qui ont accès à ces diamants. Pour ces gens-là, l'argent est le nerf de la guerre au plein sens du terme et, comme d'habitude, diamants, or et autres ressources naturelles servent bien les fins de ces groupes.

    Aucun groupe criminel, aucun général en particulier n'exerce de contrôle direct. On recense trois groupes d'influence. L'un est légitime - puisque il constitue à présent le gouvernement - bien que certains disent que le gouvernement n'est pas légitime parce que, même si Laurent Désiré Khabila est venu à Kinshasa avant les autres, il demeure le chef d'un groupe rebelle comme les autres. Tous ces groupes ont détourné le diamant à leur profit, d'une façon ou d'une autre.

    Prenez les statistiques de production du diamant au Rwanda, par exemple. La production est infime. Il demeure que, toujours selon ces statistiques, des quantités considérables de diamants ont quitté le Rwanda. La République centre-africaine, l'Ouganda... beaucoup de diamants sortent ainsi. Dans le passé, les diamants étaient en partie échangés à . Il y a eu une lutte très importante entre l'Ouganda et le Rwanda pour contrôler Kisangani, parce que c'était la plaque tournante du commerce de diamants. C'est finalement le Rwanda qui a réussi à faire main basse sur Kisangani, mais pas sans avoir détruit la route du diamant, si bien que le commerce de la pierre précieuse se fait maintenant, dans une certaine mesure, avec la République centre-africaine.

    Tant qu'il y a une situation de guerre, il est difficile de contrôler les diamants. Même aujourd'hui où la guerre est presque terminée, avec l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, il faut savoir que tant que celui-ci a une police nationale et une armée nationale et que tout le monde est d'accord pour respecter les règles du jeu et conserver au Congo les diamants du Congo, plutôt que de les faire passer à l'étranger pour les vendre, en prélevant un bon profit au passage, tout cela se poursuivra éternellement.

    Il incombe aux Congolais de trouver la solution à ce trafic de diamants et d'or, à l'exportation et au commerce illégaux. Ils devront le faire par la voix de leurs institutions et par l'application de véritables codes d'exploitation minière et de bonnes règles de commerce.

    Je ne sais pas si cela répond à vos questions.

    Une voix: Cela nous donne une bonne idée.

    Une voix: Il fallait aussi parler de l'armée.

    M. Marc-André Brault: Ah oui, les armées.

    Commençons par le Rwanda. Ce pays est en train de poursuivre les génocidaires. Ils sont...

º  +-(1605)  

+-

    Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): C'est le gouvernement qui le prétend.

+-

    M. Marc-André Brault: Effectivement. Je ne peux le corriger. Il demeure que la principale raison pour laquelle un conflit a éclaté en 1996 puis en 1998, c'est que la population s'en est pris aux génocidaires. Tous n'ont pas été agressés, et il y en a qui se sont enfuit dans la jungle. Comme les génocidaires se sont retrouvés là, que le gouvernement à Kinshasa ne voulait ou ne pouvait pas faire grand chose pour eux et qu'ils n'avaient pas de véritable gouvernement vers qui se tourner, ils sont restés sur place.

    Dans un accord conclu avec le Rwanda, l'Accord de Proteria signé en 2002, il est prévu que ce pays va retirer ses troupes du Congo à condition que le gouvernement Khabila à Kinshasa arrête de soutenir les génocidaires que Laurent Désiré Khabila, ne l'oublions pas, a utilisés comme mercenaires pour se défendre à Kinshasa. Depuis lors, le gouvernement de Kinshasa a toujours appuyé les génocidaires. Dans cet accord le gouvernement de Kinshasa a, pour la première fois, accepté publiquement de suspendre son appui aux génocidaires, ce qui confirme que c'est ce qu'il a fait pendant un certain temps.

    Le Rwanda a retiré la totalité de ses troupes du pays. Khabila a remis au tribunal international deux responsables des génocidaires, mais il n'a fait guère plus. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire, parce que même s'il en avait vraiment envie, il n'est pas en moyen de faire davantage car les génocidaires se trouvent en territoire détenu par les rebelles. Pour mettre la main sur ces gens-là, il lui faudrait écraser les rebelles, ce qui complique pas mal les choses.

    Depuis ces événements, la population dit qu'il y a encore des problèmes sur place et l'on entend toujours parler de Rwandais qui sont encore là. Les Rwandais se sont officiellement retirés, mais ils auraient renvoyé discrètement des troupes et des civils. La mission de l'ONU au Congo, la MONUC, n'a jamais conclu à la véracité de cette information. Par ailleurs, les représentants d'Afrique du Sud, dans le cadre de l'Accord de Prétoria conclu avec l'ONU, qui vise à observer et à contrôler ce qui se passe, n'ont pas confirmé la présence de troupes rwandaises sur place.

    Cela ne revient pas à dire qu'il n'y a pas de Rwandais au Congo. Je suis personnellement convaincu, bien que je ne puisse pas le prouver, que les Rwandais présents au Congo appliquent une stratégie visant à veiller à ce que les génocidaires - qui, soit dit en passant, ont affirmé qu'il leur faudrait 50 ans avant de rentrer au Rwanda et de finir le travail... Le Rwanda veut donc veiller à ce que les génocidaires ne s'approchent pas trop de ses frontières. Comme je le disais, je soupçonne que des gens du RCD, les rebelles congolais, soient alliés aux Rwandais qui sont sur place pour savoir exactement ce qu'il advient des génocidaires. Des troupes rwandaises seraient donc présentes en sol congolais et elles pourraient avoir des gens stratégiquement répartis sur le terrain.

    Passons maintenant à l'Ouganda. Dans l'Accord de Luanda, conclu deux mois après celui de Prétoria, l'Ouganda a accepté de retirer ses troupes du Congo. Cela concernait surtout le Nord-Est où se déroulaient toutes sortes de conflits, ethniques et autres, notamment au sujet du pillage des ressources naturelles.

    À l'époque de la signature de l'accord avec l'Ouganda, Khabila a demandé que toutes les troupes ougandaises se retirent mais en proposant - à moins que cette offre ne soit venue des Ougandais - de laisser des gens sur place, quelques bataillons, parce qu'il s'agissait d'un territoire non contrôlé où se trouvaient d'importants stocks d'armes et de munitions qui avaient été envoyées à toutes les parties. Certains ont dit que c'était un peu comme si l'on avait fait renter le loup dans la bergerie.

    Des troupes ougandaises étaient présentes. Les gens ont dit que les généraux ougandais se remplissaient les poches. Si les choses étaient trop calmes, ils occasionnaient quelques remous ici ou là en donnant plus d'armes à un côté qu'à l'autre. Cela remettait le feu aux poudres ce qui leur permettait d'affirmer: «Nous devons rester sur place, regardez ce qui se passe.» Ainsi, l'Ouganda était présente au Congo.

    Au bout d'un certain temps, la communauté internationale a décrété que c'en était assez. Nous nous sommes entretenus avec l'Ouganda. Nous avons parlé avec Kinshasa et déclaré que les choses ne pouvaient être pires et qu'il convenait donc de demander gentiment à l'Ouganda de se retirer.

    Nous avons dit à ces gens-là, même si vous êtes en paix, n'oubliez pas que vous êtes pris entre deux feux, que vous avez, d'un côté, le groupe rebelle MLC et, de l'autre, Kinshasa. Pour accéder à la région des troubles, il faut traverser le territoire rebelle. Grâce à l'Accord, des groupes rebelles font maintenant partie du gouvernement. Nous avons précisé à nos interlocuteurs qu'ils pouvaient maintenant, dès qu'ils le voulaient, envoyer des policiers, des militaires ou autres. Il leur était possible d'envoyer des gens sur place pour essayer de ramener l'ordre.

º  +-(1610)  

    Nous pensions est que l'Ouganda retirerait tout le monde et que Kinshasa enverrait des policiers sur place. Puis, l'UNOC, la mission des Nations Unies au Congo, pourrait envoyer plus de gens sur place.

    L'Uruguay a accepté de dépêcher 500 hommes et l'Afrique du Sud fera sans doute la même chose. Ainsi, les forces uruguayennes et sud-africaines, auxquelles viennent s'ajouter des policiers de Kinshasa, vont patrouiller les routes pour s'assurer que tout...

    Nous pensions ainsi pouvoir donner l'occasion aux Ougandais de se retirer. Je crois que, la semaine dernière, l'Ouganda a retiré un bataillon et demi. Il lui reste encore beaucoup à faire. Le mouvement est très lent, parce qu'il est vrai que les Ougandais ont mené là-bas une opération très rentable, qui leur rapporte beaucoup. Il leur faudra donc sans doute deux semaines voire un mois de plus avant d'avoir complètement quitté le pays. Pendant ce temps-là, les cas de violations des droits de la personne abondent.

    La situation redeviendra-t-elle au calme quand les Rwandais seront partis? Non! Pendant des années encore, des luttes tribales et ethniques se poursuivront. Il faudra des années pour y mettre un terme, mais tout ce que nous voulons, c'est de parvenir à calmer un peu le jeu. Un jour, grâce au gouvernement central à Kinshasa, représentatif de tous les segments de la population, nous pourrons nous tourner vers ces deux zones de conflit, l'une à Kivu et l'autre dans le Nord-Est.

    Pour répondre à votre question, il reste bien quelques officiers stratégiques rwandais sur place et quelques troupes ougandaises, mais l'essentiel des troupes se retire du pays. Pour ce qui est du Rwanda, maintenant qu'il y a un gouvernement central au Congo, je pense que les Rwandais vont prendre grand soin à ne laisser personne derrière, à ne laisser aucune trace. Je crois donc que cette situation se résoudra d'elle-même.

+-

    M. Deepak Obhrai: Excellent. Merci.

+-

    Le président: Madame Lalonde.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Merci. Mon collègue Yves Rocheleau devait être ici, mais il est dans un autre pays d'Afrique où il travaille à faire en sorte que les problèmes ne s'enveniment pas. Il est en Côte d'Ivoire.

    Dans le rapport que vous nous avez lu, monsieur le ministre, je décèle une contradiction. M. Brault, qui a été envoyé spécial, va certainement pouvoir nous éclairer. Je connais bien l'excellent rapport des Nations Unies dont il a été question et je m'en suis servi notamment lors de nos travaux sur le projet de loi sur les diamants. Ce rapport vaut vraiment la peine d'être lu.

    Je dis qu'il y a une contradiction parce que dans le rapport des Nations Unies, quand on parle de la zone contrôlée par le Rwanda, on dit ceci, par exemple:

Le Rwanda a justifié la présence continue de ses forces armées par des raisons de sécurité alors que leur objectif réel à long terme consiste, pour reprendre les termes employés par le Bureau Congo de l'APR, à «se procurer des biens». Les dirigeants rwandais ont réussi à convaincre la communauté internationale que leur présence militaire dans l'est de la République démocratique du Congo a pour objet de protéger le pays contre des groupes hostiles qui se trouvent en République démocratique du Congo et qui, selon eux, se préparent activement à envahir le Rwanda.

Le Groupe d'experts a de nombreuses preuves du contraire.

    On ajoute un peu plus loin: «La contribution du Bureau Congo aux dépenses militaires du Rwanda aurait donc été de l'ordre de 320 millions de dollars», alors que le budget officiel du Rwanda lui-même fournissait 80 millions de dollars, donc 20 p. 100 des dépenses militaires. C'est juste une idée. Je continue: La «zone contrôlée par l'Ouganda»...

    Excusez-moi, mais vous donnez une explication que je trouve un peu simpliste des génocidaires et des autres, alors qu'on voit que la présence au Congo était largement motivée. Dans l'introduction, on dit même:

Le départ de leurs forces ne réduira guère le contrôle économique qu'ils exercent ou les moyens dont ils disposent pour exercer ce contrôle, l'utilisation des armées nationales n'étant qu'un des multiples outils auxquels ils ont recours.

    Il me semble que le rapport devrait être plus nuancé. Si on veut régler des problèmes, monsieur Brault, il faut que les causes soient bien identifiées, comme vous le savez . Vous auriez pu souligner que Kagame, lorsqu'il a envahi le Rwanda ou qu'il a décidé de revenir, est parti de l'Ouganda aussi. L'histoire, vous l'avez bien souligné au début, est très entremêlée.

    Je trouve donc qu'il y a une contradiction. Vous dites dans votre rapport, monsieur le ministre, qu'il y a deux thèses, celle de la Grande-Bretagne et des États-Unis et celle de la France et d'autres. Il me semble que vous optez, sans nuances, pour la thèse américaine, mais sans l'enrichir de ce qu'il y a dans le rapport des Nations Unies. C'est une chose qui me préoccupe parce que l'histoire dure longtemps. Mon premier métier était l'histoire.

    Deuxièmement, il y a l'importance de la reconstruction, si je peux m'exprimer ainsi. Celle-ci va se dérouler dans un contexte de troubles internes, et vous l'avez dit. On espère qu'enfin, ce plan va tenir--on se croise les doigts--malgré l'importance des forces à l'intérieur qui ont intérêt à ce qu'il échoue et qu'on leur laisse la capacité de continuer comme avant. Parmi ces forces, il y a sans doute les compagnies canadiennes que l'on nomme. Si vous avez des nouvelles là-dessus, vous nous les donnerez. C'est préoccupant, car plus de 3 millions de personnes seraient mortes dans les conditions les plus affreuses parce que, comme vous l'avez souligné, il n'y a rien.

    Dans ces circonstances, j'aimerais savoir quelle portion du montant de 500 millions de dollars que le Canada a annoncé ira à la reconstruction du Congo.

º  +-(1615)  

+-

    M. Denis Paradis: Avant de laisser la parole à M. Brault, j'aimerais faire quelques commentaires d'ordre général. Il faudrait d'abord faire une mise en contexte plus globale. Dans cette région, les richesses naturelles sont extrêmement abondantes; c'est incroyable. Même si on dit qu'il y a 50 millions de personnes et qu'il n'y a rien, il y a quand même beaucoup de richesses naturelles. Il y en a tellement que tout le monde se jette dessus pour en tirer le maximum et se mettre de l'argent dans les poches. Ce serait la première mise en contexte que je voudrais faire.

    Deuxièmement, vous avez soulevé le sujet de la position des États-Unis par rapport à celle de la France. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, on a vu que les positions étaient différentes et on n'a pas pris parti. M. Brault a été nommé envoyé spécial et il a recommandé qu'on essaie d'unir l'ensemble de la communauté internationale pour éviter que les gens ne se campent dans des positions opposées. C'est un peu le rôle de M. Brault, qui a été amené à travailler avec une demi-douzaine de pays, comme je le disais tout à l'heure, que de faire en sorte qu'on puisse en arriver à une solution là-bas. Comme je l'ai mentionné, à un moment donné, il a fait des pressions auprès du secrétaire général des Nations Unies pour qu'il y ait un envoyé spécial avec un statut particulier, parce qu'il restait deux points à régler dans cet accord. Je pense que M. Brault a fait un excellent boulot.

    Il y a aussi la question de la reconstruction. Je vais traiter les trois points rapidement et ensuite, je vais laisser M. Brault compléter. C'est vrai qu'il y a eu 3 millions de morts, et c'est abominable. On parlait des coûts de la reconstruction, qui pourraient s'élever à des dizaines de milliards de dollars. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, on n'aura jamais assez d'argent. Et où va-t-on prendre cet argent? Je reviendrai dans quelques secondes sur le montant de 500 millions de dollars, mais on aura besoin de milliards et de milliards de dollars.

    Je pense à des situations comme celle du Congo où on a besoin d'hôpitaux, de routes, de téléphones, d'eau, de systèmes d'épuration, etc. Si on veut rebâtir l'Afrique, on aura besoin de tout ça. L'Ouganda est un exemple, mais il y a d'autres pays d'Afrique qui ont d'immenses besoins aussi. Il y en a également un plus près de chez nous que je ne peux m'empêcher de mentionner, et c'est Haïti, qui a besoin d'énormément de ressources pour se rebâtir.

    Je pense que, globalement, il faudra faire un exercice pour trouver de nouvelles méthodes. Même si la communauté internationale essayait de réunir tout l'argent possible, il en manquerait encore. Je reviens sur le montant de 500 millions de dollars que nous, parlementaires, avons voté ici il y a un an. Il y a en Afrique, au sud du Sahara, 700 millions de citoyens dont la moitié ne gagnent même pas un dollar par jour. Vous allez comprendre qu'avec 500 millions de dollars, on ne peut pas aller bien loin. On peut bien leur donner un dollar pour une journée mais après, on n'aura plus d'argent, et cela n'aura été qu'une journée.

    Il faudra absolument se creuser les méninges. Il y a beaucoup plus d'innovation et de créativité quand il s'agit de financer la guerre que quand il s'agit de financer la paix, ou des reconstructions, ou des luttes anti-pauvreté. Dans ce sens-là, je pense qu'on devrait adopter une espèce d'approche globale pour essayer de trouver de nouvelles méthodes. Permettez-moi une dernière parenthèse. Quand on a eu à financer la Seconde Guerre mondiale, à laquelle on voulait participer mais sans avoir d'argent, des gens ont inventé les «obligations de la Victoire», méthode nouvelle à l'époque.

    Je m'arrête là pour vous permettre de parler, et M. Brault voudra peut-être ensuite compléter cette réponse.

º  +-(1620)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Je voudrais ajouter un élément. J'ai parlé des compagnies canadiennes dont les façons de fonctionner sont vertement dénoncées. J'ai demandé au ministre Axworthy, et ensuite aux deux autres ministres qui lui ont succédé, aussi bien à John Manley qu'à Bill Graham, s'ils avaient l'intention d'amender la Loi sur les mesures économiques spéciales pour chercher à avoir un certain levier par rapport à ces compagnies, qui nuisent très certainement à la réputation du Canada. Ce qu'on a vu là-dessus est clair. J'aimerais savoir si vous avez considéré des mesures à ce sujet.

+-

    M. Denis Paradis: Bien sûr, comme on l'a vu au Soudan et ailleurs, on incite les compagnies canadiennes à adhérer au code d'éthique international des compagnies canadiennes. On les y incite fortement. Vous suggérez qu'on aille plus loin, mais si on va plus loin, on doit le faire de concert avec l'ensemble de la communauté internationale. Si le Canada agit seul à un endroit, cela n'aura pas l'impact nécessaire. Si vous enlevez une compagnie canadienne parce que vous êtes plus sévère qu'un autre, il y en aura une autre qui arrivera par la porte de derrière. Ce sont donc des choses qu'il faut faire de concert avec l'ensemble de la communauté internationale.

    Peut-être que M. Brault aimerait compléter cette réponse.

+-

    M. Marc-André Brault: Monsieur le président, il s'agit de trois sujets pertinents.

    On a parlé de contradiction et dit que la présence de Rwandais au Congo avait pour but d'exploiter illégalement les ressources du pays.

+-

    Mme Francine Lalonde: C'est ce que dit le rapport.

+-

    M. Marc-André Brault: Le Rwanda, bien sûr, dit que c'est faux, et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le groupe d'experts a eu une autre période de six mois pour prouver ses allégations. C'est très difficile à faire, mais le panel a affirmé que le Rwanda avait fait la guerre pour voler des ressources du Congo. Ce n'est pas aussi simple que ça. Il faut bien comprendre le contexte. Mettez-vous à la place des Rwandais. Les Hutus ont tué 800 000 Tutsis en deux semaines. Les Tutsis ont ensuite pris le contrôle de la situation et poursuivi les Hutus. Ceux-ci se sont cachés dans la jungle, de l'autre côté de la frontière, et ont promis de se réorganiser et de revenir, en précisant que le travail n'était pas terminé et qu'ils reviendraient le faire.

    Tous les soirs, ils ont attaqué les petits villages rwandais le long de la frontière. Il est sûr que le gouvernement rwandais ne pouvait pas laisser faire cela. Il a essayé toutes sortes de choses. On a parlé de Laurent Désiré Kabila. Cela n'a pas été dit, mais le gouvernement rwandais, voyant que Laurent Désiré Kabila ne ferait pas ce qu'il avait promis, a essayé de renverser ce dernier et de le tuer à Kinshasa pour pouvoir nommer quelqu'un qui irait régler le problème des génocidaires. Laurent Désiré Kabila a appris qu'un coup d'État se préparait contre lui. Il a donc chassé beaucoup de gens de Kinshasa pour assurer sa sécurité, et deux semaines plus tard, le Rwanda décidait, avec l'Ouganda, de pénétrer au Congo pour régler le problème des génocidaires, d'autant plus qu'ils avaient demandé aux Nations Unies de régler le problème. Aux Nations Unies, personne n'avait répondu à leur demande, ni le Canada, ni les États-Unis, ni l'Europe. Personne n'était intéressé à envoyer des troupes dans la jungle du Congo pour se battre avec les génocidaires. Il n'y a vraiment aucun doute que le but des Rwandais, en faisant la guerre de 1998 au Congo, était de poursuivre les génocidaires. Pour l'Ouganda, c'est une autre histoire.

    Le rapport des Nations Unies dit qu'ils en ont profité pour piller les ressources naturelles du Congo. Le Rwanda est un petit pays pauvre, qui n'a presque pas d'argent. Tout le monde sait ce que cela coûte pour faire fonctionner une armée hors de son pays. Il est difficile de savoir s'il y avait 30 000 ou 50 000 soldats rwandais au Congo. Il fallait, de toute façon, trouver de l'argent quelque part. Les Rwandais et les rebelles qui contrôlaient cette région en ont donc profité pour ramasser tout ce qu'ils pouvaient. Ils ont vidé les tablettes de toutes les compagnies minières d'or, de diamants, etc. et quand il n'y en a plus eu, ils ont pillé les machines à gauche et à droite, ont continué à creuser et ont forcé les Congolais qui vivaient près des mines à bêcher pour trouver d'autres diamants parce qu'il fallait financer leurs troupes.

    La question est pertinente. S'il n'y avait pas eu de ressources naturelles, les Rwandais seraient-ils restés là aussi longtemps? Il est évident que non. Ils n'auraient pas pu, car ils n'avaient pas les moyens de le faire. Bien sûr, l'exploitation illégale des ressources naturelles du Congo a fait en sorte que le conflit a duré et perduré. Ce fut la même chose dans le cas de l'Ouganda et ce fut la même chose dans le cas du gouvernement de Kinshasa. Ce dernier se servait des Zimbabwéens, des Angolais aussi, mais à un moindre niveau, pour se défendre. Il leur disait de se servir des ressources naturelles pour se payer, spécifiant qu'il y en avait pour tout le monde de toute façon.

    Le panel prétend que le but premier poursuivi par le Rwanda était le pillage des ressources, mais certainement pas au départ. Il y est encore présent. Aurait-il pu partir avant? Probablement que oui. De toute façon, si on visait vraiment les ressources en premier lieu, pourquoi avoir utilisé tant de militaires, d'autant plus qu'on dit qu'ils peuvent obtenir le même résultat par d'autres moyens? Un de ces autres moyens serait de faire comme toutes les compagnies, c'est-à-dire signer des accords avec le gouvernement en place à Kinshasa, payer des royautés et des taxes. Ils auraient ainsi toujours accès aux ressources, mais légalement.

    Je pourrais continuer, mais je m'arrête, car je pense que vous saisissez bien. Comme l'a souligné le ministre, la reconstruction est extrêmement importante. La ministre responsable de l'ACDI a demandé à ses fonctionnaires de voir quel rôle le Canada pourrait jouer. Ce sera une opération gigantesque, non seulement pour le Canada, mais pour tous les pays de l'OCDE. Nous allons tous y participer. Qu'est-ce que le Canada peut faire mieux et plus efficacement que d'autres? Quelle est la meilleure façon de dépenser notre petit peu d'argent? Tous les pays vont devoir répondre à la même question. Certains pays sont meilleurs au niveau des soins de santé, d'autres au niveau de l'éducation, d'autres en téléphonie, etc. Chacun aidera les Congolais dans un domaine.

º  +-(1625)  

    Le tout sera probablement coordonné par le Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD, ainsi que par la Banque mondiale et tous les autres donateurs et cela, bien sûr, de concert avec les Congolais en place.

    Dans le rapport du groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources au Congo, on dit, à l'annexe 3, que certaines compagnies sont en violation des principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales. Or, ces principes directeurs sont volontaires. On n'est pas obligé de les mettre en pratique; on le fait si on le veut.

    Les compagnies qui sont en violation de ces principes directeurs n'exploitent pas illégalement les ressources au Congo. Rien dans le rapport n'indique qu'elles le font, mais ce qui est malheureux, c'est qu'il s'agit là d'un rapport qui traite d'exploitation illégale de ressources naturelles. À la fin de celui-ci, on a ajouté une annexe dans laquelle sont indiquées les compagnies qui sont en violation des principes directeurs de l'OCDE.

    Bien sûr, la première chose que le gouvernement nous a demandé de faire lorsque ce rapport a été émis, a été d'entrer en communication avec les compagnies canadiennes pour savoir de quoi il en retournait. Non seulement il ne s'agissait pas d'actions illégales, mais en plus, la plupart d'entre elles n'avaient rien fait de mal.

    On a énuméré des compagnies qui ont exploité les ressources naturelles à compter de 1998 au Congo. Or, certaines d'entre elles ne s'y trouvaient même pas. Elles y avaient eu des concessions jusqu'en 1996 ou 1998, mais la guerre ayant commencé, leurs concessions ont été volées parce qu'elles se trouvaient dans des zones occupées par des rebelles. À d'autres, on a demandé de l'argent, et elles ont refusé. Certaines de ces compagnies n'ont même plus d'activités au Congo.

    Par exemple, on a expliqué à une des compagnies que des fonds étaient passés aux mains du gouvernement à un moment donné, mais même dans ce cas, le groupe d'experts n'a pas conclu que cette compagnie avait fait quelque chose d'illégal. Il a inclus cette dernière dans l'annexe 3 des compagnies qui n'ont pas suivi les principes directeurs de l'OCDE.

    Selon nous, ces compagnies n'ont rien fait de répréhensible. Nous avons demandé au groupe d'experts s'ils avaient parlé avec ces gens-là. Ils ont répondu par l'affirmative, mais de façon vague. Nous leur avons demandé s'ils avaient porté des accusations et, le cas échéant, s'ils avaient permis aux compagnies accusées de se défendre. Nous leur avons aussi demandé s'ils avaient demandé à ces compagnies leur version des faits; la réponse a été évasive, à la fois affirmative et négative.

    Pour ces motifs, nous--et presque tous les pays qui ont des compagnies impliquées dans cette affaire--avons demandé aux Nations Unies que le groupe d'experts réétudie la liste et que, dans le cas où ils voudraient porter des accusations ou révéler des preuves, ils donnent aux compagnies la possibilité de se défendre. C'est ce qui se passe actuellement. Sur les sept compagnies, cinq sont allées rencontrer le groupe d'experts. Je ne connais pas les résultats. Je ne sais pas ce qui s'est passé ou ce qui s'est dit, mais au moins, il est clair que cinq des sept compagnies étaient suffisamment certaines de leurs faits pour aller rencontrer le groupe d'experts et expliquer leur cas. Une d'entre elles, qui est en activité, a démontré que non seulement elle respectait les principes directeurs, mais qu'elle les surpassait même largement.

    Le prochain rapport du groupe d'experts sera définitif; il sera probablement présenté vers le milieu ou la fin de juillet. C'est leur responsabilité de blanchir le nom des compagnies qui n'auraient pas dû figurer dans leur rapport.

    Entre-temps, on est en communication avec les compagnies canadiennes, non seulement au Congo mais un peu partout à travers le pays pour s'assurer que les principes directeurs de l'OCDE, qui indiquent comment les compagnies multinationales devraient se comporter dans une région de conflit, soient mieux diffusés et que plus de compagnies canadiennes les adoptent.

    Au Canada, nous avons déjà un système qui se rapproche passablement de ces principes directeurs. Les compagnies canadiennes, dans l'ensemble, se conduisent assez bien à l'étranger. Je sais qu'au Congo, pour y être et pour avoir parlé à nombre de personnes, on ne nous montre pas du doigt.

+-

    Mme Francine Lalonde: Contrairement à Talisman.

+-

    M. Marc-André Brault: En effet. Supposons que vous êtes une société qui exploite une mine dans un pays en conflit, où il y a une guerre civile, des rebelles et ainsi de suite, comme c'est le cas au Congo. Vous exploitez les ressources, vous donnez de l'emploi aux gens des environs et vous avez une entente avec le gouvernement central; vous lui payez des taxes ou des royautés et il utilise cet argent pour acheter des armes, pour payer ses employés ou pour faire autre chose.

    Parce qu'il y a conflit, faut-il que toute activité économique s'arrête et que la population souffre encore plus? C'est un problème moral extrêmement difficile à trancher.

º  +-(1635)  

+-

    Mme Francine Lalonde: Il reste que M. Axworthy a eu beaucoup de difficulté avec Talisman; il a été établi par son conseiller que la compagnie avait fait en sorte que la guerre reprenne en finançant...

+-

    M. Marc-André Brault: Je ne parle pas de Talisman en particulier mais de la situation de façon générale.Tous, y compris l'OCDE et les Nations Unies, en sont à se demander si dans les zones de conflit, les sociétés multinationales qui ont les moyens d'investir et d'embaucher beaucoup de gens sur place devraient cesser toute activité dès qu'un conflit commence ou si, au contraire, elles devraient poursuivre leurs activités selon les principes directeurs, le plus proprement possible, en s'assurant que la communauté locale ne souffre pas davantage de la situation.

+-

    M. Denis Paradis: J'aimerais ajouter, au sujet de Talisman, que d'après ce que je sais, les activités continuent mais Talisman n'est plus là. Cela confirme l'exemple que je donnais plus tôt, à savoir que lorsque l'un se retire, un autre le remplace.

+-

    Mme Francine Lalonde: Oui, mais quand même...

+-

    M. Denis Paradis: Oui, je sais bien.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Kraft Sloan.

+-

    Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Monsieur le ministre, j'ai jeté un coup d'oeil sur la liste des défis que vous avez mentionnés et je la trouve plutôt impressionnante. Comme je suis nouvelle à ce comité et que j'aborde ce domaine, je dois vous avouer que les déclarations des témoins m'ont bouleversée, surtout qu'il est question de tout le continent.

    Vous avez fait état de plusieurs solutions possibles et je vous félicite pour le travail que vous-même et votre gouvernement avez fait dans ce sens. Toutefois, à l'analyse de ces solutions, je crains que nous ne reproduisions des modèles d'antan qui ont conduit à certaines crises que nous-mêmes et les Africains essayons de régler.

    Dans votre exposé, vous avez notamment parlé des coûts énormes que cela implique. Il existe d'énormes problèmes qui s'entrechoquent à la surface de la planète et les demandes sont en concurrence, surtout au sein de votre portefeuille. Comment parviendra-t-on à disposer des moyens de s'attaquer à certains de ces problèmes?

    Vous avez parlé de partenariat et du fait que vous voulez être créatif. J'ai toujours loué ceux et celles qui veulent faire preuve de créativité dans la résolution des problèmes. Toutefois, comme je le disais, je crains que nous ne reproduisions certains modèles du passé. Je crois savoir que le secteur privé devra participer davantage au règlement des problèmes humanitaires fondamentaux, mais je ne suis pas très à l'aise d'entendre dire que des entreprises privées contrôlent la distribution des biens appartenant au secteur public, notamment de l'eau et d'autres genres d'infrastructure semblable.

    Monsieur le président, je pense à l'étude que nous avons entreprise ces dernières semaines, parce qu'il y a déjà plusieurs semaines que nous y sommes. J'essaie d'envisager les recommandations que devrait contenir notre rapport sur certaines de ces horribles crises humanitaires dont nous avons été saisis et j'essaie de voir le genre de vision à long terme que nous pourrions adopter pour régler ces problèmes.

    Je pense notamment au concept ou au principe de justice environnementale. Mes remarques sont un peu maladroites, parce que j'essaie de comprendre ce que nous allons faire du rapport que nous allons bientôt avoir à rédiger, même si vous avez traité de certaines préoccupations bien particulières.

    D'un côté, vous êtes confronté à ces problèmes insurmontables pour lesquels vous cherchez des solutions novatrices. Vous vous tournerez vers le secteur privé pour l'associer à cette entreprise. Ce qui m'inquiète, c'est que, chaque fois où le secteur privé a été appelé à intervenir, surtout à l'époque du colonialisme et tout de suite après, les locaux ne tiraient souvent aucun avantage économique de l'exploitation des ressources naturelles, ce qui est une grande préoccupation en matière de justice environnementale. Cela étant posé, vous devriez encourager une répartition plus équitable des retombées économiques. Il faut savoir que les locaux doivent assumer des risques et des dangers environnementaux qui sont disproportionnés par rapport aux autres joueurs.

    Ce sont toutes ces choses qui conduisent à la famine. Nous parlons de certaines conditions qui favorisent la propagation du VIH/sida et d'autres maladies. Il ne faut donc pas prendre le mot environnement au sens étroit du terme, comme le font certains, et se dire que nous allons là-bas pour sauver deux ou trois arbres. Il est beaucoup plus question de relations fondamentales entre les êtres humains et le milieu naturel, parce que je suis convaincue qu'un grand nombre de problèmes en Afrique doit être perçu selon cette dimension. Et puis, il y a bien d'autres choses, comme les conflits et les interventions militaires avec lesquels vous devez composer maintenant.

º  +-(1640)  

    Je suis désolée pour cette question plutôt floue, mais est-ce que dans votre analyse à long terme, vous vous êtes dit que la notion de justice environnementale pourrait venir à l'appui du travail que vous effectuez là-bas? Cette justice environnementale constitue-t-elle le fondement de votre intervention en Afrique et surtout au Congo?

+-

    M. Denis Paradis: Merci beaucoup de votre question.

    Tout d'abord, je vais vous parler un peu du NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement en Afrique. L'Afrique est le continent le plus pauvre du monde; la pauvreté ne cesse de progresser et l'espérance de vie diminue d'année en année, puisqu'elle n'est plus que de 39 ans maintenant. Il est possible de faire quelque chose, et c'est pour cela que les Africains eux-mêmes ont proposé un plan qu'il sont baptisé NEPAD, Nouveau partenariat pour le développement en Afrique.

    Il est bien stipulé dans ce plan que, peu importe l'assistance qui viendra du reste du monde, il ne sera jamais possible de sortir le continent africain de sa misère à moins que l'on y investisse lourdement. Tout à l'heure, je parlais de 500 millions de dollars, mais cette somme est ridicule lorsqu'on songe que l'Afrique sub-saharienne compte 700 millions d'habitants qui meurent de faim. Il faut donc investir. Or, pour qu'il y ait investissement en Afrique, il va falloir apporter des améliorations sur trois plans. D'abord, la démocratie, et l'on voit que le Congo s'en sort relativement bien à cet égard, comme M. Brault vous l'a expliqué. Deuxièmement, les droits de la personne et, troisièmement, la bonne gouvernance. S'agissant de bonne gouvernance, il y a un mot qui me vient à l'esprit: corruption. Il devrait être possible d'obtenir des autorisations et des permis divers autrement qu'en versant des dessous de table aux différents paliers de gouvernement. Les Africains eux-mêmes disent que, pour se sortir de la misère, il leur faudra des investissements et que pour obtenir ces investissements, il leur faudra apporter des améliorations sur les trois plans que j'ai cités.

    J'estime donc que les Africains ont pris une mesure fantastique avec le NEPAD, mais il est certain que rien ne se fera du jour au lendemain. Ce plan couvre d'ailleurs une période de 10 à 15 ans.

    Comme je le disais, il y a environ un an, nous avons décidé de débloquer un crédit de 500 millions de dollars pour aider l'Afrique. Aujourd'hui, je crois qu'il va nous falloir attribuer cette somme d'une façon un peu différente. Laissez-moi vous donner un exemple. La première tranche de 100 millions de dollars sera destinée aux projets de partenariat. Ainsi, nous allons réserver 100 millions de dollars sur les 500 millions prévus et nous allons demander au secteur privé d'investir 100 millions de son côté. Nous aurons donc un portefeuille de 200 millions de dollars à ce chapitre et nous pourrons utiliser ce fonds pour instaurer un partenariat entre des entreprises canadiennes et des entreprises de différents pays africains. Je songe ici beaucoup plus aux petites et moyennes entreprises. Jusqu'ici, les entreprises qui travaillent en Afrique s'intéressent exclusivement aux diamants, au pétrole et à l'or. Mais les besoins vont bien au-delà de la simple extraction de ressources naturelles.

    En ce qui nous concerne, je crois pouvoir dire que le fonds spécial du gouvernement du Canada de 200 millions de dollars devrait être débloqué, ou plus exactement que les règles de déblocage de cette somme devraient être connues d'ici décembre à peu près, pour que les gens puissent en faire la demande.

    Par ailleurs, ce sont les Africains eux-mêmes qui ont désigné ceux qui allaient obtenir ces fonds spéciaux. Les Africains ont décidé de répartir ce montant d'après une évaluation effectuée par des pairs. Ainsi, ce sont les pays africains qui, tous ensemble, désigneront les pays ayant réalisé le plus de progrès au chapitre de la démocratie, des droits de la personne et de la bonne gouvernance. Pour avoir vu les facteurs utilisés pour la sélection des pays qui répondent le mieux aux critères énoncés, je dois dire que nous n'aurions pas fait mieux. C'est donc une bonne chose, sans aucun doute.

º  +-(1645)  

    Vous parliez du VIH/sida. Il se trouve que je suis allé en Éthiopie il y a quelques mois et je vais vous parler de ce qui j'y ai vu. Nous avons visité une compagnie de camionnage éthiopienne qui emploie des milliers de camionneurs. Il y a une route entre l'Éthiopie et Djibouti qui est fréquentée tous les jours par les camions qui vont livrer des marchandises au port et on dénombre je ne sais combien de prostituées le long de cette route.

    Nous avons lancé un petit projet là-bas avec l'ACDI. J'ai rencontré des camionneurs et l'ACDI a indiqué qu'elle administrait un projet sur place pour informer ces gens-là de l'existence d'une maladie qui s'appelle le VIH/sida, maladie dangereuse susceptible de les tuer, et pour leur indiquer aussi qu'il existe des méthodes de protection. Ce sont là les deux cibles de communication de l'ACDI.

    Le programme a merveilleusement fonctionné et il n'a pas coûté très cher. Nous devrions lancer davantage de projets de ce genre. Toutefois, ce n'est pas facile, parce que les camionneurs ne savent pas lire et ce n'est certes pas une bonne idée de leur remettre des dépliants. Fort de ce constat, l'ACDI essaie différentes méthodes pour les amener à comprendre l'importance de ce problème.

    Par ailleurs, j'ai visité d'autres pays en compagnie de M. Chrétien, tandis que nous préparions le Sommet de Kananaskis. À un moment donné, le président du Botswana est venu me voir pour me dire : «Monsieur Paradis, pourriez-nous aider? J'ai un taux de VIH/sida au Botswana qui est de 25 p. 100. J'ai des hôpitaux et de l'équipement, mais je n'ai plus de médecins, je n'ai plus de personnel infirmier. S'il vous plaît, aidez-moi.»

    Il y a beaucoup à faire, surtout sur un continent de 800 millions d'habitants dont 700 millions résident au sud du Sahara et vivent avec moins d'un dollar par jour. Il y a donc beaucoup à faire.

    C'est pour cela que je me dis qu'il faudrait trouver de nouvelles façons de faire - je ne sais pas lesquelles - qui feraient appel à la contribution de tout le monde... L'argent liquide ne suffit pas pour l'instant. Il faut investir tout l'argent que nous pouvons, mais cela ne suffira pas, tous les fonds que nous débloquerons ne suffiront pas.

+-

    Le président: Monsieur Casey.

+-

    M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC): Merci beaucoup.

    Dans vos remarques liminaires, vous avez indiqué que le Canada avait les moyens de contribuer à résoudre ce type de conflit. C'est à la page 5 de votre mémoire. Que voulez-vous dire par là?

+-

    M. Denis Paradis: Dans quel contexte ai-je fait cette remarque?

+-

    M. Bill Casey: Ça se trouve sous le titre «Le rôle du Canada», au second paragraphe.

+-

    M. Denis Paradis: J'ai visité de nombreux pays en Afrique. Le Canada n'est pas la France. Nous ne sommes pas non plus le Royaume-Uni. Nous n'avons colonisé personne là-bas et nous sommes relativement bien accueillis partout. Nous nous présentons dans un esprit d'ouverture, avec générosité et nous n'essayons pas d'arracher quelque chose à ces gens-là. Nous le faisons parce que c'est notre nature.

    Je vais vous donner un exemple. M. Brault est notre envoyé spécial au Congo. À un moment donné, nous nous sommes retrouvés dans une impasse et M. Brault a fait les représentations nécessaires auprès de 600 pays et aux Nations Unies pour faire en sorte que l'ONU dépêche un autre envoyé spécial pour régler les deux derniers points.

    Le Canada est très bien accepté - il est non seulement accepté, mais je dois dire qu'il est aussi apprécié, surtout en Afrique où j'ai concentré tous mes efforts depuis ma nomination. Je m'occupe aussi de l'Amérique latine et de la Francophonie; 29 pays sur 53 de la Francophonie sont africains. À un moment donné, tout se recoupe.

    Nous sommes appréciés partout et, comme nous n'avons colonisé personne - et comme, peut-être aussi, nous avons été nous-mêmes colonisés - il est certain que... Et puis, nous venons pour prêter assistance aux gens, pour leur donner de l'argent et on nous en félicite.

º  +-(1650)  

+-

    M. Bill Casey: Vous avez dit que votre objectif était de faire tenir des élections démocratiques libres et ouvertes dans 30 mois. Est-ce réaliste?

+-

    M. Denis Paradis: Je vais inviter M. Brault à vous répondre.

+-

    M. Marc-André Brault: Si vous me le permettez, monsieur le ministre, sur ce dernier aspect, j'aimerais ajouter deux choses.

+-

    Le président: Allez-y.

+-

    M. Marc-André Brault: Nous avons l'expérience et nous avons les moyens. De toute évidence, nous parlons la langue du pays, puisqu'au Congo tout le monde parle la même langue. Nous avons une bonne réputation en Afrique, auprès des gens, auprès des gouvernements et même des groupes rebelles. J'ai été dans la jungle et j'ai rencontré des groupes en compagnie de certains des homologues qui travaillent dans l'arrière-pays. Nous sommes très bien reçus et nous sommes protégés absolument partout.

    Nous ne sommes pas un pays qui vient cogner sur la table pour imposer ses vues aux ressortissants en leur disant que s'ils n'écoutent pas, ils n'auront plus nos fonds. Nous ne sommes pas comme cela, mais nous avons de l'influence. Nous faisons partie du Commonwealth, de la Francophonie, de l'ONU, de l'OCDE - nous faisons partie de toutes ces organisations, nous connaissons tout le monde et nous pouvons parler à tout le monde et nous pouvons inviter les gens à se joindre à nous pour adresser un message sympathique au président un tel de tel ou tel pays. C'est ce que nous faisons et ça fonctionne.

    Quand je dis que nous avons de l'influence, je ne veux pas dire que nous usons d'influence, mais que nous savons où sont nos amis et comment nous pouvons obtenir... Nous poursuivons de nobles objectifs. Il est facile de regrouper les gens autour d'objectifs nobles, et c'est ce que nous faisons. C'est tout ce que je voulais dire, parce que le ministre vous a dit le reste.

    Il est vrai que nous nous sommes fixés un objectif de 30 mois dans le cas du Congo. L'accord sur le dialogue stipule 24 mois. Si, pour des raisons valables, il faut rajouter six mois à cette échéance, nous le ferons, mais nous ne le ferons qu'une fois ce qui veut dire que les élections devraient se tenir d'ici 24 à 36 mois. Je m'exprime ici en mon nom personnel, mais quand on examine cet énorme pays qu'est le Congo, puisqu'il a la taille de l'Europe occidentale...

+-

    M. Bill Casey: Sur quelle distance s'étend-il du nord au sud et d'est en ouest? Combien de kilomètres?

+-

    M. Marc-André Brault: Comme je l'ai dit, sa superficie équivaut à celle de l'Europe de l'Ouest. Je dirais qu'elle est d'environ un millier de milles sur près de 2 000 milles. C'est grand, c'est énorme et il n'y a pas de routes.

    Mais en même temps, en raison de l'activité militaire, la MONUC est extrêmement bien organisée et dispose d'hélicoptères, de véhicules et de gens un peu partout. Sa présence était plutôt insuffisante dans l'est du pays, mais elle a obtenu des ressources supplémentaires pour y déployer un effectif plus important.

    Nous voudrions tous pouvoir demander au Conseil de sécurité de modifier le mandat de la MONUC afin qu'elle puisse jouer un rôle de premier plan dans les élections en envoyant par hélicoptère une équipe qui irait photographier les gens. Il est extrêmement important pour eux d'avoir leur photo, car ils n'en ont jamais eu. Ils n'ont même jamais vu de photo de leur vie. Maintenant, ils auront leur propre photo.

    Ensuite, l'équipe repartira de village en village pour inscrire le maximum de gens de cette façon. Le jour des élections elle retournera dans chacun de ces endroits avec la boîte de scrutin.

    C'est faisable. Cela pose de gros problèmes d'organisation, mais c'est faisable si les principaux pays donateurs coopèrent avec les Nations Unies. La chose est possible. Ce ne seront pas des élections parfaites, mais ce seront les premières élections démocratiques. Et même si ce n'est bon qu'à 75 p. 100, ce sera mieux, selon moi, que tout ce qui s'est passé jusqu'ici. Nous aurons donc un résultat de 75 p. 100 la première fois, de 80 p. 100 la deuxième fois, 85 p. 100 la fois suivante et au bout de quatre ou cinq élections, nous arriverons à 100 p. 100, mais il faut commencer quelque part.

    Par conséquent, même s'il reste peu de temps, nous devons tous déployer le maximum d'efforts pour que cela se réalise. Dans le cas contraire, la guerre va recommencer. Il n'y pas d'autre solution.

º  +-(1655)  

+-

    M. Bill Casey: Le président Kabila est-il d'accord?

+-

    M. Marc-André Brault: Absolument. D'ailleurs, si vous examinez la répartition des pouvoirs, le groupe du président Kabila a maintenant établi une aile politique en vue des élections et manifeste davantage d'intérêt pour les questions sociales. Les membres de son groupe veulent devenir ministres de la santé, de l'éducation, du développement, être près du peuple. Ils pensent aux élections.

    D'autres s'intéressent au poste de ministre de la défense ou de l'économie. Le président Kabila serait donc prêt à ce que les élections aient lieu dès demain, car il sait qu'il peut gagner très facilement; pour lui, le plus tôt sera le mieux.

+-

    M. Bill Casey: Jouit-il d'une grande popularité?

+-

    M. Marc-André Brault: Oui, dans les grandes villes, parce que les gens le connaissent grâce à la presse. Il y a une assez bonne presse au Congo. Mais si vous allez dans la jungle, personne ne le connaît. Les gens ne connaissent personne.

+-

    M. Bill Casey: Quel âge a-t-il?

+-

    M. Marc-André Brault: Joseph a environ 27 ou 28 ans. Disons 30 ans au maximum.

    Dans une certaine mesure, il doit sa popularité au fait qu'à son arrivée au pouvoir, pour remplacer son père, rien ne bougeait. Il a déclaré: «Nous ferons signer l'accord de Lusaka qui prévoit le retrait de toutes les forces étrangères et l'ouverture d'un dialogue entre Congolais. Ce sera ma seule priorité».

    Et contre toute attente, il a tenu son pari. Il est parvenu à ses fins. Et tout le monde pensait qu'il se ferait assassiner deux ou trois semaines plus tard, mais il a réussi et les Congolais le savent. Pour cette raison, lui et ses gens...

    D'autre part, le rapport de la Commission sur les exportations illégales de ressources naturelles mettait en cause des ministres très influents de son gouvernement, mais il les a mis à l'écart à cause de ce rapport. Comme le rapport les mettait en cause, il les a mis à l'écart. Là encore, nous nous attendions au pire, mais il ne s'est rien passé parce qu'il a, de plus en plus, le soutien de la population et pour cette raison, il serait maintenant risqué d'essayer de l'éliminer.

    Comme je l'ai dit, il a la situation bien en main. Encore une fois, en Afrique, tout peut arriver, mais je suis beaucoup plus confiant, beaucoup plus optimiste quant à l'avenir de Kabila et la tenue d'élections d'ici deux ans ou deux ans et demi que je ne l'aurais été il y a 18 mois.

+-

    M. Bill Casey: Qui sont les auteurs du génocide?

+-

    M. Marc-André Brault: Ce sont les Hutus ou vivent dans la région de même qu'au Burundi, le pays voisin. Ils n'ont pas commis de génocide là-bas, mais il y a eu une guerre civile au Burundi qui a également dressé les Hutus contre les Tutsis. Cela dure depuis des années et c'est à propos de la terre.

    La terre est extrêmement importante en Afrique. Si un groupe possède plus de terres que l'autre... D'autre part, dans une certaine mesure, les puissances coloniales ont exploité ces gens là. Les Tutsis étaient un peu plus réceptifs à l'attitude des colonisateurs et, même s'ils étaient moins nombreux, ils ont reçu une meilleure éducation, de meilleurs emplois et ainsi de suite. Quand les puissances coloniales sont parties, elles ont donné le pouvoir aux Tutsis et la majorité hutu n'a pas obtenu grand chose.

    N'oubliez pas que, dans de nombreux pays d'Afrique, il n'y a pas suffisamment de ressources pour tout le monde. Le groupe au pouvoir accapare les ressources et il ne reste rien pour les autres. Les autres peuvent mettre dix ans à s'organiser, mais un jour, ils se rebiffent. Que peuvent-ils faire? Ils font main basse sur tout et ne laissent rien aux autres. C'est un cercle vicieux. Le conflit a débuté il y a dix ans et c'est un cycle perpétuel. Il n'y a pas assez de ressources pour tout le monde.

    C'est de cela dont nous parlons dans le contexte des Grands Lacs, de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans les Grands Lacs. Nous pensons qu'il faudra 50 ans ou 75 ans pour unifier la région des Grands Lacs dans une certaine mesure, en commençant par le libre-échange en espérant parvenir à la libre circulation de la main-d'oeuvre et des personnes, la création de syndicats et peut-être une confédération sous une forme ou sous une autre. C'est le processus que nous avons entamé aux Nations Unies et l'Unité africaine y participe très activement.

    Dès que la situation sera résolue au Congo, nous essaierons de régler les problèmes du Burundi dans la mesure du possible. Quand la paix règne, on peut en profiter pour lancer ce genre d'initiatives. Ensuite, il devient possible de répartir les ressources. Le Congo a de nombreuses ressources. Il peut aider beaucoup de pays du voisinage, mais il faut que la guerre cède la place à des relations amicales.

+-

    M. Bill Casey: Merci.

+-

    Le président: Monsieur Harvey.

[Français]

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Permettez-moi de remercier le ministre, qui est venu nous rencontrer avec les fonctionnaires des Affaires étrangères et du Commerce international, qui font le maximum pour répondre à toutes nos questions et qui nous disent très clairement qu'ils ne sont pas en mesure d'avoir réponse à toutes les questions étant donné que les défis sont tellement grands.

    Il me semble que depuis quelques mois, dans le domaine de la coopération internationale, on fasse un important virage en collaboration avec les pays membres de l'OCDE. Le ministre a très bien expliqué, et cela de façon remarquable, tous les objectifs du NEPAD qui ont été établis par les gens du milieu, etc. Il est notamment question de bonne gouvernance, un paramètre important pour nous permettre de collaborer dans les pays où on parle de l'émergence du secteur privé et où on veut cibler des secteurs clés. Cela nous amène même à identifier les pays où on veut investir et collaborer davantage.

    Avec votre l'expérience et l'action de notre ministre, qui fait le maximum dans son secteur d'activités, quelle différence voyez-vous entre les interventions traditionnelles, qui me semblaient être des interventions plus ad hoc, et les actions futures que l'on souhaite faire de façon plus structurelle?

    J'aimerais que vous expliquiez ce virage sur le plan de l'aide internationale, qui s'est confirmé au Sommet de Kananaskis où, comme le ministre le soulignait, on a annoncé une somme de 500 millions de dollars consacrée exclusivement à l'Afrique--les premiers budgets ont d'ailleurs commencé à sortir--de même qu'une augmentation annuelle de 8 p. 100 du budget, ce qui nous permettra de doubler notre mise de fonds dans l'aide internationale.

    Ce n'est pas tellement le 0,7 p. 100 du produit intérieur brut qui m'intéresse; c'est qu'on ait une aide encore plus pertinente. On doit se soucier davantage de la qualité de l'aide que de son volume. Les deux ne sont pas incompatibles.

    J'aimerais que vous donniez une appréciation de la stratégie qui se développe tranquillement dans les pays donateurs et que vous établissiez une comparaison entre la méthode traditionnelle et ce qui se dessine pour l'avenir. Si vous aviez un rêve à formuler, monsieur le ministre, quel serait ce rêve?

»  +-(1700)  

+-

    M. Denis Paradis: Les rêves nécessitent souvent beaucoup d'argent.

+-

    M. André Harvey: Pas exclusivement.

+-

    M. Denis Paradis: Vous avez entièrement raison: pas exclusivement. Permettez-moi d'ailleurs de vous féliciter pour votre travail comme secrétaire parlementaire à la Coopération internationale, ce qui me permet de revenir rapidement sur votre dernier point. En parlant de la somme 500 millions de dollars tout à l'heure, vous avez mentionné, avec raison, le 8 p. 100 additionnel. Le budget actuel de la coopération internationale, qui est de quelques milliards de dollars par année, sera augmenté de 8 p. 100 par année de façon à ce qu'il puisse être doublé--si mes études de l'intérêt composé fonctionnent--dans huit ans environ. Sur le 8 p. 100 d'augmentation par année des budgets de l'ACDI, il y a 4 p. 100 qui sera consacré à l'Afrique. Je pense que c'est important . On a en outre demandé à d'autres commanditaires, à d'autres pays, etc. de cibler davantage l'Afrique lorsqu'il y a des augmentations de budget. Le premier ministre Chrétien a été très présent pour faire en sorte que le dossier de l'Afrique soit la priorité à Kananaskis. À une époque, ce n'était jamais le temps de parler de l'Afrique. L'ordre du jour des pays du G-8 était toujours trop rempli et la question était reportée à la réunion suivante, etc., mais cette fois-ci, le premier ministre--et je lui lève mon chapeau--a dit que cette question était importante car ce continent était en train de crever littéralement et qu'on allait mettre ce dossier en tête de la liste des priorités du G-8. Cela a bien fonctionné. D'ailleurs, le président Chirac nous a assurés qu'à Évian, au début juin, le continent africain serait aussi un dossier prioritaire lors de la rencontre du G-8. J'aimerais revenir sur un point que vous avez mentionné, soit la bonne gouvernance. On a besoin d'une place, dans les trois chapitres où on parle de démocratie, de droits de la personne et de bonne gouvernance... Lors d'une réunion à laquelle participaient les chefs d'un certain nombre de pays, j'ai été moi-même surpris d'entendre le président d'un pays, que je ne nommerai pas, dire aux autres participants--je pense que c'était à huis clos--que son pays était le plus corrompu et qu'il ne savait plus quoi faire. Je n'en revenais pas. Je croyais avoir mal compris ou mal entendu. Mais il parlait bien de son pays et non d'un autre. Voici un problème. À partir du moment où un problème a été identifié et admis par les gens en place, on peut au moins essayer de trouver des solutions. Il y a un gros progrès à faire en ce sens, selon moi. On a répété partout qu'il fallait établir des règles du jeu, les règles de droit, qu'on avait besoin d'un État de droit, d'avis publics lors de soumissions, etc. Toutes sortes de moyens sont nécessaires pour contrer l'économie souterraine et la corruption. Ce n'est qu'à ce moment-là que ces pays, et c'est ce qu'ils recherchent finalement, pourront attirer l'investissement. Ils disent eux-mêmes que, pour cette raison, la bonne gouvernance doit nécessairement inclure des mesures anticorruption. C'est important, à mon avis, et c'est pourquoi je voulais soulever ce point en lien avec ce que vous avez dit tout à l'heure. Comme je le mentionnais plus tôt, il faudrait certainement avoir des approches nouvelles au lieu de s'en tenir aux méthodes traditionnelles. Je pense que l'ACDI, avec ce fonds de 500 millions de dollars, avec l'augmentation du fonds pour l'Afrique, en ciblant son aide, ayant rendu publics les noms de neuf pays où il y aura une concentration des efforts dans ce domaine... Le budget général de l'ACDI a augmenté de 8 p. 100 et la moitié de cette augmentation sera consacrée au continent africain pour l'ensemble des besoins humanitaires, tandis que le fonds de 500 millions de dollars est davantage concentré sur les pays qui auront fait des progrès en matière de démocratie, de droits de la personne et de bonne gouvernance. Donc, il y a un petit bonbon au bout. Qui pourra dire si des progrès ont été faits? Ce sera eux-mêmes, entre eux. Je pense que c'est un excellent système et j'encourage certainement la coopération internationale à faire en sorte--et c'est déjà le cas--que le Canada soit extrêmement présent partout et présent de la bonne façon. Pour reprendre les paroles de M. Brault, je dirai que nous sommes les amis de tout le monde.

»  +-(1705)  

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur le ministre, Beth Phinney va poser la dernière question. Vous avez été très généreux de votre temps et vos réponses nous ont beaucoup éclairés, ce que nous apprécions infiniment.

    Madame Phinney.

+-

    Mme Beth Phinney (Hamilton Mountain, Lib.): C'est très décourageant. La résolution de ces problèmes semble être une mission impossible. On aimerait qu'elle devienne réalité, mais par où commencer? Si vous n'avez même pas de route pour vous rendre d'un point à un autre, comment pouvez-vous faire quoi que ce soit? Si vous n'avez pas de téléphone pour communiquer d'un endroit à l'autre...

    Je voudrais savoir deux choses. Je ne comprends pas très bien comment le partenariat fonctionnera. Vous avez dit, je crois, que d'ici l'année prochaine, on sera prêt à former ces partenariats et à donner de l'argent. Est-ce pour construire des routes? Est-ce pour construire des bureaux? Ou peut-être, pour mettre en place une force policière? À quoi ces contrats sont-ils destinés? Est-ce pour construire des maisons? Qui va décider des priorités pour cette vaste région et que va-t-il se passer? Voilà ma première question.

    Pour ce qui est de la deuxième, et je me demande si M. Brault pourrait y répondre plutôt que vous-même, en tant que ministre, que souhaitez-vous le plus? Que souhaitez-vous que nous demandions à notre gouvernement en plus de donner de l'argent? Ce n'est pas assez. L'argent vous sera utile, mais que voudriez-vous que nous demandions à notre gouvernement?

+-

    M. Denis Paradis: La première question concerne les 500 millions de dollars dont j'ai parlé et dont 100 millions sont déjà affectés au partenariat. Ensuite, il y aura un peu d'argent pour la technologie, un peu pour la santé, un peu pour l'eau et pour différents secteurs d'activité. Cet argent devrait être ciblé davantage sur les pays qui ont obtenu de meilleurs résultats que les autres, selon leurs propres critères, sur le plan de la démocratie, des droits de l'homme et de la gouvernance.

    De quel genre de partenariat s'agira-t-il? Cela devrait fonctionner ainsi: pour le moment, le gouvernement est prêt à donner 100 millions sur les 500 millions dont j'ai parlé et nous demanderons au secteur privé d'investir 100 millions de plus de son côté. Normalement, cela devrait donner une somme de 200 millions de dollars.

»  +-(1710)  

+-

    Mme Beth Phinney: Alors qu'allez-vous en faire?

+-

    M. Denis Paradis: Ces 200 millions de dollars doivent être employés à créer des partenariats. Par exemple, si j'ai dans ma propre circonscription des petites et moyennes entreprises qui veulent conclure un partenariat avec un pays africain... Par exemple, au cours d'un voyage que j'ai fait au Sénégal, j'ai rencontr? des hommes d'affaires qui m'ont dit: «Si je veux investir avec une société sénégalaise, par exemple, mon gérant de banque me dira que je devrais peut-être commencer par rembourser ma marge de crédit avant d'aller investir au Sénégal». C'est toujours une question d'argent. Il n'y a pas suffisamment de capitaux de risque. Ce fonds doit aider à établir des partenariats surtout entre les PME canadiennes et les entreprises africaines.

+-

    Mme Beth Phinney: Pour faire quoi? Est-ce pour construire des maisons? Est-ce pour creuser des puits? Vais-je simplement décider arbitrairement que mon entreprise ira construire des maisons au Congo? Je ne comprends pas comment cela fonctionne.

+-

    M. Denis Paradis: Ce peut être pour construire des maisons, pour bâtir des systèmes informatiques, pour toutes sortes d'activités différentes.

+-

    Mme Beth Phinney: Y a-t-il un organisme qui fera connaître les besoins?

+-

    M. Denis Paradis: En ce moment-même, l'ACDI et les Affaires étrangères font savoir, dans le monde entier, que nous sommes à la recherche de quelqu'un pour administrer ce fonds. Apparemment, ils ont reçu de nombreux cv d'un peu partout. Cette initiative a été lancée en coopération avec la CCC, la Corporation commerciale canadienne. On est en train de constituer ce fonds et la première tâche du nouveau directeur consistera à obtenir les 100 millions de dollars du secteur privé. Quand ce sera fait, et tout le monde s'attend à ce que ce soit d'ici la fin de 2003 ou le début de 2004, nous diffuserons les critères pour la présentation des demandes. Les intéressés pourront soumettre des propositions pour établir des partenariats.

+-

    Mme Beth Phinney: Si je construis des petites maisons ou autre chose et que je suis prête à investir 100 000 $, vais-je obtenir le contrat pour construire ces maisons? Pourquoi irais-je investir 500 000 $?

+-

    M. Denis Paradis: Vous pouvez sans doute conclure un partenariat avec une entreprise africaine.

+-

    Mme Beth Phinney: Une petite entreprise va-t-elle investir si ce n'est pas elle qui obtient le contrat?

+-

    M. Denis Paradis: Je n'ai pas compris.

+-

    Mme Beth Phinney: Vous voulez un partenariat. Vous voulez que quelqu'un d'autre apporte des capitaux. Pourquoi irais-je donner mon argent si je ne suis pas certaine d'obtenir du travail ou quelque chose en retour?

+-

    M. Denis Paradis: Si vous voulez construire des maisons - le Congo n'est peut-être pas le meilleur exemple - disons au Sénégal, vous vous associez avec un entrepreneur sénégalais et vous dites: «Je suis Canadienne, j'ai un certain capital à investir, que pouvez-vous faire de votre côté?» Les deux entreprises s'associeront à part égale pour bâtir des ordinateurs, par exemple. Cela se fait déjà à petite échelle, mais pratiquement sans aucune aide gouvernementale.

    Nous estimons que nous pourrions contribuer, notamment de cette façon, à établir ces partenariats entre des entreprises canadiennes et africaines. Et ce sera surtout dans les pays qui, comme je l'ai dit, ont réalisé des progrès sur le plan de la démocratie, des droits de l'homme et de la gouvernance.

+-

    M. Robert Peck (directeur général, Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Je pourrais peut-être ajouter en ce qui concerne le Fonds d'investissement pour l'Afrique qu'avec les 100 millions de dollars du gouvernement canadien auxquels le secteur privé ajoutera 100 millions, ce fonds vise à promouvoir l'investissement du secteur privé en Afrique.

    Pour diverses raisons, l'Afrique a souvent une image très négative. La difficulté de travailler en Afrique et d'y faire des affaires est souvent un obstacle. De nombreuses entreprises qui souhaiteraient faire des affaires n'arrivent pas à obtenir les capitaux nécessaires pour assumer les risques.

    Ce fonds permettra aux entreprises canadiennes du secteur privé d'établir des partenariats avec des entreprises africaines dans les secteurs où il existe des besoins et permettra donc au secteur privé de se montrer plus ambitieux, si vous voulez, et de travailler plus facilement en Afrique.

    Tout à l'heure, en réponse à l'une des questions, nous avons souligné la nécessité d'établir des partenariats en Afrique, et je voudrais insister sur la nécessité de créer ces partenariats au niveau du secteur privé. Le ministre, M. Pettigrew, a dirigé, en novembre, la première mission commerciale du gouvernement canadien en Afrique. C'était une des missions les plus importantes étant donné qu'une centaine d'entreprises y participaient. Ce voyage de huit jours s'est traduit par des contrats et des protocoles d'entente d'une valeur de plus de 220 millions de dollars.

    Tout cela pour dire que l'Afrique suscite de l'intérêt. Souvent, les entreprises canadiennes n'ont pas vraiment les moyens de faire des affaires sur ce continent parce qu'il est difficile d'obtenir des capitaux du secteur privé. Ce fonds servira de catalyseur, si vous voulez, pour permettre au secteur privé canadien de jouer un rôle plus important sur le continent africain. C'est un instrument dont il peut se servir pour faire plus de commerce avec l'Afrique, pour y investir davantage.

    J'espère vous avoir éclairée.

»  +-(1715)  

+-

    Mme Beth Phinney: Et maintenant, qu'attendez-vous de nous?

+-

    M. Marc-André Brault: Je ne pense pas pouvoir vous suggérer des façons d'exercer des pressions sur le ministre, mais il s'agit de voir quels sont les secteurs dans lesquels nous pouvons améliorer la situation, là où nous pouvons changer les choses.

    Tout est là, tout est possible et nous ne sommes pas seuls. Les Américains, les Britanniques, les Allemands, les Hollandais, tout le monde sera là. Nous allons donc devoir négocier, et nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous le faisons avec les Congolais. Personnellement, je ne pense pas que nous devrions pousser les Congolais à faire ceci ou cela. Nous devons travailler avec eux.

    S'ils reconnaissent que nous sommes les meilleurs pour telle ou telle raison, cela veut dire que nous devons être très efficaces. Si vous n'êtes pas efficace, autant vous abstenir. Nous savons comment gérer un pays. Nous savons comment exploiter des gisements miniers, nous sommes experts dans le domaine des forêts ou dans le domaine de la santé. Nous savons faire un tas de choses. Comment pouvons-nous transmettre notre savoir-faire, nos connaissances, aux Africains qui en ont besoin?

    En même temps, il faut que quelqu'un reçoive ce savoir de l'autre côté. Il faut des gens pour le recevoir et l'utiliser. Par exemple, dans mon cas, je suis un ancien fonctionnaire et il faut une fonction publique pour pouvoir administrer les lois et les ressources que vous donnez. Nous sommes très bons dans ce domaine. Nous savons ce que sont les gouvernements provinciaux. Les Africains auront des gouvernements provinciaux. Nous savons comment interagir avec les autorités provinciales. Ce sont des choses qui requièrent un certain savoir, comme je l'ai dit.

    Nous payons des impôts au gouvernement parce que ce dernier peut utiliser cet argent à meilleur escient que nous-mêmes. Qu'est-ce que le gouvernement peut faire mieux que des citoyens canadiens au Congo? C'est ce que vous allez devoir établir. Quels sont les besoins auxquels nous pouvons répondre, où pouvons-nous être efficaces et comment pouvons-nous montrer aux Canadiens qu'avec notre aide, ils obtiendront de bien meilleurs résultats que s'ils essaient tous seuls.

    Dans certains domaines, nous pensons ne pas pouvoir être aussi efficaces qu'eux et nous allons donc nous associer à des ONG. C'est le genre de chose qu'il va falloir étudier.

    Il y a deux facteurs dont il faut tenir compte. Au Congo, nous allons devoir être très prudents en ce qui concerne la gouvernance et la corruption. Nous avons investi beaucoup d'argent dans l'ancien régime Mobutu - pas seulement le Canada, mais tous les autres pays - sans qu'il en reste quoi que ce soit étant donné que de grosses sommes d'argent ont été détournées et aussi parce que nous avons investi dans des biens physiques qui ont disparu.

    C'est aux Congolais de réfléchir à leurs besoins. Si Joseph Kabila se fait tuer, au moins trois ou quatre ans plus tard, ces gens seront toujours là. Qu'ils soient policiers, qu'ils exploitent une mine ou qu'ils appliquent la loi, ces personnes seront toujours là et remettront le pays sur ses rails au lieu d'avoir à repartir à zéro. C'est donc encourageant.

    Encore une fois, je crois que nous devons travailler avec les Congolais. N'essayons pas de faire quoi que ce soit avant que les Congolais ne disent qu'il s'agit d'une priorité. Si la communauté internationale n'est pas du tout d'accord avec leur priorité, parlons-en avec eux et expliquons-leur pourquoi. Et si nous réussissons - nous l'avons fait dans certains pays ou quand les gens n'étaient pas très raisonnables, nous avons pu leur parler, leur expliquer et nous entendre avec eux - nous pourrons aller de l'avant, mais encore une fois, il faut le faire avec les Congolais. Nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes.

+-

    Le président: Je crois que vous désirez invoquer le règlement au sujet de...

+-

    M. Deepak Obhrai: Monsieur le président, le greffier ou vous-même pourriez-vous essayer d'obtenir le rapport dont vous avez parlé et qui a été présenté aux Nations Unies sur...

+-

    Le président: L'exploitation illégale des ressources.

+-

    M. Marc-André Brault: Malheureusement, j'en ai seulement la version française. Ce rapport a été présenté au Conseil de sécurité le 15 février 2002.

    Une voix: Mais nous pouvons peut-être vous en envoyer un exemplaire.

»  +-(1720)  

+-

    Le président: Vous pouvez nous en envoyer un exemplaire.

+-

    M. Marc-André Brault: Oui. C'est sans doute la meilleure chose. Je vais le faire. Il s'agit du «Rapport final du groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo».

[Français]

+-

    Le président: Merci. Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier chaleureusement, ainsi que Mr. Marc-André Brault et Robert Peck, pour votre témoignage.

[Traduction]

    Je crois que cet échange de vues nous a beaucoup éclairés. Je sais que vous avez d'autres obligations et que vous êtes peut-être resté plus longtemps que vous n'en aviez l'intention. Nous l'apprécions vivement, monsieur le ministre, et nous vous remercions, vous et vos collègues, d'être venus nous voir.

[Français]

+-

    M. Denis Paradis: Moi aussi, je voudrais vous remercier ainsi que tous les membres du comité. Si vous voulez qu'on parle d'autres sujets en matière de droits de la personne ou autres, vous pouvez être assurés de mon entière disponibilité.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    Je voudrais que les membres du comité restent un instant.

    C'est une question importante concernant la façon dont nous allons procéder. Je voudrais que Marcus nous donne une idée du délai dans lequel nous allons devoir préparer notre rapport et de ce que nous pouvons faire pour que les préoccupations des membres du comité soient reflétées dans ce rapport.

    Marcus.

+-

     M. Marcus Pistor: La prochaine réunion du comité aura lieu le 28 mai, qui est un mercredi, dans un peu plus de trois semaines. C'est à ce moment-là que vous étudierez le rapport. Nous allons le rédiger et essayer de vous le distribuer le vendredi qui précédera la réunion.

    La semaine prochaine, le comité principal sera en voyage et il n'y aura donc pas de réunion. La semaine suivante est une semaine de congé, après quoi nous aurons la réunion du 28. Il y aura ensuite, au début de juin, une réunion à laquelle nous devons reprendre notre étude sur le Soudan.

    Il faudrait essayer d'examiner le rapport en une seule séance. J'apprécierai vivement les suggestions et les recommandations que vous auriez à faire pour que la chose soit possible.

    Le comité a tenu un nombre relativement limité d'audiences. Il s'agit notamment de souligner les problèmes immédiats qui requièrent notre attention de toute urgence, mais également certaines questions qui pourraient être à la clé d'une solution à long terme au développement de l'Afrique.

+-

    Le président: Deepak.

+-

    M. Deepak Obhrai: J'aimerais que le rapport que nous avons demandé aujourd'hui soit joint à notre rapport. C'est un des principaux problèmes compte tenu du rôle que jouent les diamants du sang. C'est ce qui alimente le conflit et crée la crise humanitaire.

    D'autre part, étant donné la situation au Zimbabwe, il faut s'attendre à une autre crise humanitaire si aucune mesure n'est prise rapidement. Nous voudrions savoir ce qui se passe actuellement en ce qui concerne les mouvements politiques et les chances de succès des dirigeants africains.

    La situation se sera peut-être dégradée avant que le rapport ne soit prêt. N'oublions pas le Zimbabwe et la complexité de cette situation qui constitue l'une des principales causes, sans oublier, étant donné que vous avez mentionné la crise humanitaire, le VIH/sida. Je pense que le VIH/sida est un problème omniprésent.

    Le Winnipeg Institute a fait un travail extraordinaire à Nairobi, au Kenya. Je crois nécessaire de le mentionner, pour voir ce qu'il est possible de faire. Je pense que nous avons abordé les trois principaux aspects de la crise humanitaire dans cette région.

+-

    Le président: Très bien. Je vais conclure en exposant très rapidement aux membres du comité ce dont je vais discuter avec Marcus. Certains thèmes devraient être abordés dans le rapport. Cela tient compte de ce qu'a dit Deepak.

    Premièrement, il y a tout le problème du conflit armé qui se déroule en Afrique et que l'on a qualifié de quatrième guerre mondiale. Le Congo en est un bon exemple.

    Deuxièmement, bien sûr, il y a la pandémie de sida dont Stephen Lewis nous a parlé et que vous avez mentionnée, Deepak. Je pense qu'elle doit être au centre de nos préoccupations en ce qui concerne la catastrophe humaine.

    Troisièmement, il y a le problème des pénuries de vivres et de la politique de la faim, qui vont de pair.

»  -(1725)  

[Français]

    Madame Lalonde, je voudrais vous dire que nous allons faire maintenant des suggestions et des recommandations à Marcus Pistor pour la préparation du rapport de ce comité.

[Traduction]

    En quatrième lieu, il y a la question des droits de l'homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance. Le ministre a souligné aujourd'hui la façon dont cela contribue au problème, ainsi que la possibilité de trouver une solution à la crise humanitaire.

    Cinquièmement, étant donné que cela a été pour nous l'élément déclencheur, il s'agira d'examiner le cas du Zimbabwe dans le contexte de ces trois problèmes soit la pandémie de sida, la politique de la faim et la crise alimentaire ainsi que la répression de l'état de droit.

    Sixièmement, il faudra aborder tous les problèmes de l'exploitation illégale des ressources naturelles. Madame Lalonde y a fait allusion. Nous en avons entendu parler aujourd'hui. Le rapport des Nations Unies est important à cet égard. Peut-être pourrions-nous nous pencher, dans ce contexte ou séparément, non seulement sur la complicité des entreprises privées, mais encore celle des entreprises canadiennes si nous pouvons en faire la preuve.

+-

    Mme Beth Phinney: Je crois que nous devrons attendre la publication du deuxième rapport au lieu de nous baser sur un rapport déjà déclaré inexact et pour la correction duquel les Nations Unies ont déjà accordé un délai supplémentaire de six mois.

+-

    M. Deepak Obhrai: Six mois de plus, c'est long.

+-

    Mme Beth Phinney: Jusqu'en juin, a-t-il dit. Ces six mois se terminent en juin, je crois, et apparemment, les entreprises citées ne sont pas responsables, n'ont pas commis les actes dont on les accusent, elles n'existent même pas et...

+-

    Le président: Voilà pourquoi j'ai ajouté: «si nous pouvons en faire la preuve». Mais je crois que le problème de la complicité des entreprises commerciales se pose. On ne cite pas de nom sans preuve. Néanmoins, pour ce qui est de l'exploitation illégale des ressources, c'est un problème qui ne fait aucun doute. La situation ne changera pas dans six mois, pas plus que la complicité des entreprises commerciales. Ce qui changera peut-être, ce sont les preuves de cette complicité.

+-

    Mme Beth Phinney: Nous n'allons donc pas citer de nom d'entreprise avant le deuxième rapport.

+-

    Le président: Nous verrons si nous obtenons des preuves. Comme je l'ai dit, ce sera une question de preuve...

+-

    M. Deepak Obhrai: Si nous nommons une entreprise sans preuve, nous pourrions être poursuivis pour diffamation.

+-

    Le président: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis seulement qu'il nous faudra d'abord des preuves. C'est tout.

+-

    Mme Beth Phinney: Monsieur le président, si vous me permettez.

+-

    Le président: Oui.

+-

    Mme Beth Phinney: Deepak a suggéré de joindre ce rapport. N'avez-vous pas suggéré de le joindre au nôtre?

+-

    M. Deepak Obhrai: Si.

+-

    Mme Beth Phinney: Vous nous demandez de joindre un rapport que quelqu'un vient de dénoncer, un rapport qui, selon les Nations Unies, contient de nombreuses erreurs qui ne seront pas corrigées avant six mois. Je pense que nous ne devrions pas annexer la partie du rapport qui désigne ces entreprises. Vous voyez ce que je veux dire?

+-

    Le président: Oui. Je n'avais pas compris que nous devions joindre ce rapport au nôtre. Je croyais qu'il voulait que le gouvernement...

+-

    Mme Beth Phinney: Je crois que c'est ce que voulait Deepak. Deepak vous a demandé d'annexer ce rapport au nôtre.

+-

    M. Deepak Obhrai: Monsieur le président, je suis d'accord avec vous. Nous enlèverons les noms.

+-

    Mme Beth Phinney: Oui, je pense qu'il faut enlever les noms en attendant le deuxième rapport.

+-

    Le président: Oui, en effet.

    Enfin, en ce qui concerne l'examen du NEPAD par les pairs et les droits de l'homme, il faudra voir dans quelle mesure il y a véritablement un examen par les pairs et une imputabilité à cet égard et si le NEPAD s'acquitte de ses responsabilités. Cela fait sept ou huit questions, sans oublier celle de la justice environnementale dont je vous ai parlé et qui a été soulevée par Karen Kraft Sloan. Nous avons donc toute une série de thèmes qui pourraient servir de base à notre rapport, tant pour les recommandations immédiates et à court terme que nous voudrons formuler pour résoudre les problèmes urgents que pour ce qui est des perspectives à plus long terme.

    Madame Lalonde.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: Excusez-moi, je discutais avec M. Brault. Quels sont les trois premiers points que vous avez notés?

+-

    Le président: Le premier point était la question des conflits africains, dont on parle comme de la  Quatrième Guerre mondiale, et du Congo comme cas d'étude; le deuxième était la question de la pandémie du sida; et le troisième était la question de la pauvreté,

[Traduction]

la politique de la faim.

[Français]

+-

    Mme Francine Lalonde: D'accord. Merci.

[Traduction]

+-

    M. Deepak Obhrai: Merci, monsieur.

-

    Le président: Très bien, merci.

    La séance est levée.