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Table des matières


CHAPITRE 2 - PRINCIPES DIRECTEURS

UN SYSTÈME DE JUSTICE DISTINCT POUR LES JEUNES

L'un des points au sujet desquels le Comité a demandé des commentaires lors de son examen, en juin 1995, était la «raison d'être d'un système de justice pour les jeunes». Derrière cette question laconique se cachait un certain nombre d'interrogations. Faut-il maintenir un système de justice distinct pour les jeunes? Ce système doit-il traiter de tous les jeunes contrevenants et des délits qu'ils commettent? Qu'entend-on par «jeune contrevenant»? Le système de justice pénale est-il le meilleur moyen d'intervenir dans la vie, le comportement et les actes d'un jeune? Quel rôle, s'il en est, le système de justice pénale pour adultes devrait-il jouer par rapport aux actes commis par de jeunes contrevenants? Dans quels cas le recours au système de justice pénale pour adultes est-il justifié et constitue-t-il la meilleure forme d'intervention?

Le reste du présent rapport porte notamment sur ces importantes questions. Nous devons tout d'abord établir s'il faudrait maintenir un système de justice distinct pour les jeunes. Ensuite, nous aborderons les objectifs et les paramètres du système et présenterons des recommandations.

Le système de justice pour les jeunes n'est pas nouveau dans notre pays. Certains éléments de ce système datent d'avant la Confédération. La première mesure législative canadienne visant expressément les jeunes contrevenants a été adoptée en 1857 et portait sur leur jugement rapide et l'imposition de peines. Cette mesure, tout comme celles que le Parlement a adoptées en 1869 et en 1886, a été incorporée dans le premier Code criminel du Canada en 1892. Ces dispositions faisaient en sorte que le procès d'un jeune de moins de 16 ans se déroule séparément des procès d'adultes accusés d'actes criminels. Le jeune qui était trouvé coupable devait être gardé en prison à l'écart des détenus adultes.

Ce n'est qu'en 1908 que le Parlement a adopté une loi exhaustive visant les jeunes contrevenants, la Loi sur les jeunes délinquants. Cette mesure législative était le fruit, notamment, de la mobilisation des efforts de travailleurs sociaux et de travailleurs des services à l'enfance, de juges et d'autres personnes favorables à l'établissement d'un système de justice pour les jeunes qui fournirait aide et conseils aux jeunes ayant des démêlés avec la justice. Même si des modifications mineures y ont été apportées à plusieurs reprises, la Loi sur les jeunes délinquants est demeurée fondamentalement la même jusqu'à l'adoption par le Parlement, en 1982, de la Loi sur les jeunes contrevenants, qui est entrée en vigueur en 1984 et en 1985. Cette Loi a depuis été modifiée trois fois par le Parlement mais a conservé intacts ses éléments de base.

D'après cet examen sommaire de la Loi et de son évolution, on peut constater que presque toutes les personnes qui se sont penchées sur le traitement accordé aux jeunes contrevenants reconnaissent la nécessité de prévoir un système de justice distinct pour les jeunes et de faire adopter par le Parlement les lois pénales nécessaires pour qu'il en soit ainsi. Le but d'un tel système est de faire en sorte que les jeunes contrevenants reçoivent un traitement différent de celui accordé aux contrevenants adultes.

Le Comité estime qu'un système de justice distinct pour les jeunes devrait continuer d'exister et reposer sur une loi pénale adoptée par le Parlement. Les jeunes contrevenants sont différents des contrevenants adultes. Ils n'ont pas fini de se développer et d'acquérir de la maturité. Leurs comportements et leurs actes s'expliquent souvent par un certain nombre de facteurs de risque criminogènes qui ne sont pas valables dans le cas des contrevenants adultes. Leurs besoins en matière de traitements et d'aide ressemblent davantage à ceux d'adolescents qu'à ceux de personnes d'âge mur. Les jeunes contrevenants sont souvent plus dépendants et plus vulnérables que les contrevenants plus âgés.

Un certain nombre de personnes qui ont présenté des mémoires au Comité reconnaissent la nécessité de maintenir un système de justice distinct pour les jeunes. Selon la Commission des services juridiques :

Comme l'approche relative au système de justice pour les jeunes est différente de celle du système de justice pénale pour adultes, il est important que le cadre de travail dans lequel évoluent les avocats, les juges, les travailleurs sociaux et les autres travailleurs du système de justice pour les jeunes soit séparé de celui du système pour adultes.
Dans son mémoire, le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes a fait la déclaration suivante :

Le système de justice pour les jeunes se fonde sur deux principes de base : a) les possibilités de réadapter un contrevenant sont plus grandes lorsqu'il s'agit d'un adolescent; et b) les jeunes contrevenants ne sont pas des adultes et ne possèdent donc pas l'expérience et les connaissances dont bénéficient ces derniers.
L'Association des centres jeunesse du Québec a fait le commentaire suivant :

Un système de justice particulier pour les jeunes contrevenants garantit le respect de leurs droits, tout comme le système pour adultes garantit celui des contrevenants majeurs, et permet d'appliquer les mesures qui répondent le mieux aux besoins des adolescents qui n'ont pas fini de se développer et d'acquérir de la maturité.
Enfin, dans son mémoire, le Nouveau-Brunswick a fait la recommandation suivante :

Nous croyons qu'il est important de maintenir un système de justice différent pour les jeunes. Ces derniers n'examinent pas toujours les répercussions à long terme de leurs actes et, en raison de leur comportement instable, les infractions qu'ils commettent sont souvent isolées. Le système de justice indépendant pour les jeunes bénéficie d'une souplesse qui lui permet de collaborer avec d'autres fournisseurs de services pour mettre sur pied des stratégies de prévention et d'intervention destinées aux adolescents antisociaux.
Même si la nécessité de se doter d'un système de justice pour les jeunes a toujours été largement reconnue, on n'arrive pas encore à s'entendre sur la façon dont ce système devrait fonctionner, sur la définition de «jeune contrevenant», sur les infractions que ce système devrait traiter et sur le rôle, si rôle il y a, que le système de justice pénale ordinaire, pour adultes, devrait jouer. Le reste du rapport portera, en grande partie, sur ces questions.

RECOMMANDATION 1

Le Comité recommande qu'un système de justice distinct pour les jeunes soit maintenu et que le Parlement, tout en songeant à l'importance de consulter sans cesse les provinces et les territoires, continue d'exercer les pouvoirs qui relèvent de sa compétence en droit pénal afin de fournir une orientation sur la façon d'utiliser les éléments fondamentaux de ce système.

BUT ET PRINCIPES DIRECTEURS

Au cours du Forum national du Comité en novembre 1996, le criminologue Anthony Doob, de l'Université de Toronto, a lancé le défi suivant :

La deuxième chose importante pour moi est d'inviter le Comité à discuter et à examiner les principes sur lesquels repose la justice pour les jeunes, et les objectifs que nous cherchons réellement à atteindre avec le système de justice pour les jeunes et la Loi sur les jeunes contrevenants. [. . .] L'énorme contribution que ce Comité pourrait faire serait de se pencher sur les vrais problèmes avec rigueur sans choisir la solution de facilité consistant à apporter des modifications cosmétiques, inutiles et injustifiées à la Loi sur les jeunes contrevenants. (79:16) N.B. Témoignages, (Les renvois aux témoignages enregistrés devant le Comité seront indiqués ci-après sous cette forme abrégée).
C'est également ce qu'a déclaré à ce même Forum Thomas Gove, juge de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique :

On s'est demandé comment le Comité pourrait aider à réaliser le processus de prévention, ce qui semble faire tout à fait l'objet d'un consensus au sein de ce groupe. Je suis d'accord avec la recommandation selon laquelle vous pourriez envisager de faire une déclaration de principes. Il est peut-être nécessaire de replâtrer la loi, mais j'oserais dire qu'une déclaration de principes peut aller beaucoup plus loin. (79:47)
Le Comité a pris note du défi évoqué dans ces déclarations. Même si des déclarations d'intention législative sous forme d'énoncés de but et de principes sont importantes, les modifications législatives, que certains qualifient de «replâtrage», ne devraient pas être négligées. Il s'agit d'un exercice raisonné de pouvoir législatif qui doit être encouragé. En établissant les valeurs sur lesquelles repose la mesure législative qu'il adopte, le Parlement indique au gouvernement et à l'appareil judiciaire comment il voudrait que les lois qu'il adopte soient interprétées et appliquées. C'est dans ce contexte que cette partie du rapport du Comité a été conçue et élaborée.

Même s'il n'est pas courant, le recours par le Parlement à des préambules, à des énoncés d'objet et à des déclarations de principes pour exposer ses intentions législatives n'est pas tout à fait nouveau. Une déclaration de principes figure à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants qui a été modifiée récemment par le projet de loi C-37 - il en est d'ailleurs question dans les paragraphes suivants. Des énoncés d'objet et des déclarations de principes figurent également dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition3 et dans le projet de loi C-41, présenté en 1995, qui modifie les peines prévues par le Code criminel4.

Même s'il ne renfermait pas d'énoncé clair de l'objet ou des principes, l'article 38 de la Loi sur les jeunes délinquants indiquait de la façon suivante les intentions législatives du Parlement :

La présente Loi doit être libéralement interprétée afin que son objet puisse être atteint, savoir : que le soin, la surveillance et la discipline d'un jeune délinquant ressemblent autant que possible à ceux qui lui seraient donnés par ses père et mère, et que, autant qu'il est praticable, chaque jeune délinquant soit traité, non comme un criminel, mais comme un enfant mal dirigé, ayant besoin d'aide, d'encouragement et de secours.
Voici certains des principes directeurs énoncés à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants :

Le Parlement a énoncé d'autres principes directeurs aux articles 16 et 24 de la Loi. L'article 16 renferme les principes dont le tribunal de la jeunesse doit tenir compte pour savoir s'il doit renvoyer un adolescent à la juridiction normalement compétente, et il indique comment soupeser les différentes valeurs. Le paragraphe 24(1.1) de la Loi (ajouté par le projet de loi C-37), qui porte sur l'imposition d'un placement sous garde par un tribunal pour adolescents, souligne la nécessité de faire preuve de modération dans le recours au placement sous garde, cette mesure ne devant pas se substituer à des services de santé ou d'aide à la jeunesse ou encore à d'autres mesures sociales plus appropriées. Un autre principe directeur figure à l'article 4 de la Loi, qui porte sur des mesures de rechange.

L'approche suivie pour l'établissement de principes tels que ceux qui sont énoncés à l'article 3 de la Loi a été à la fois appuyée et critiquée. La Loi expose en détail les principes qui doivent régir son interprétation et son application sans indiquer l'ordre d'importance ou de priorité. Les partisans de cette approche estiment qu'elle reflète le manque de consensus social dans notre pays sur la philosophie qui devrait guider le système de justice pour les jeunes. À leur avis, cette approche montre bien ce qu'est le système de justice pour les jeunes et confirme qu'une série de principes ne peut s'appliquer à toutes les situations et que le mieux à faire est d'énoncer les principes directeurs sans indiquer de priorité afin que les décideurs puissent décider de ce qui convient le mieux dans chaque cas.

Les personnes qui n'approuvent pas l'approche préconisée à l'article 3 soutiennent que le fait de ne pas indiquer la philosophie générale de la Loi mène à la disparité, à l'injustice et à l'incertitude dans l'interprétation et l'application de ses dispositions à toutes les étapes et dans tous les aspects du système de justice pour les jeunes. Elles exhortent donc le Parlement à clarifier l'orientation qu'il entend donner au système de justice pour les jeunes en incluant des directives dans la Loi. À leur avis, le conflit dans les principes directeurs, à l'article 3 de la Loi, est plus apparent que réel, les principes étant complémentaires plutôt que conflictuels.

Le Comité juge important de clarifier l'objet et les principes directeurs du système de justice pour les jeunes et de la Loi sur les jeunes contrevenants. Bon nombre des approches traditionnelles de la justice pénale face aux jeunes contrevenants ont perdu de leur efficacité. Il est temps de redéfinir et de moderniser le système de justice pour les jeunes. Un bon point de départ serait d'exposer les intentions législatives du Parlement dans le cadre d'un énoncé de l'objet et des principes directeurs. Le Comité a été déçu de constater que le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice pour les jeunes n'avait pas formulé de recommandations concernant les buts et les principes du système judiciaire pour les jeunes, même s'il avait recommandé un examen approfondi de la question et proposé des points à examiner.

Le Comité estime que certaines des approches face aux jeunes contrevenants et au système de justice pour les jeunes font généralement l'unanimité chez les personnes qui interviennent aux diverses étapes du système et chez bon nombre de Canadiens. Il en est question ailleurs dans le présent rapport. La Loi sur les jeunes contrevenants et, en particulier, les modifications apportées aux articles 3, 16 et 24 par le projet de loi C-37, renferment déjà une partie de l'objet et des principes sur lesquels, de l'avis du Comité, le Parlement devrait mettre davantage l'accent.

Dans bon nombre de débats et de discussions sur la justice pour les jeunes, on établit à tort une dichotomie entre la réadaptation et la sécurité du public. Le Comité croit que la collectivité est mieux protégée si les efforts de réadaptation sont efficaces et pertinents. C'est d'ailleurs ce qu'a soutenu le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. M. (J.J.) :

L'objectif consiste à protéger la société tout en offrant au jeune contrevenant les conseils et l'assistance nécessaires dont il ou elle ne bénéficie peut-être pas à la maison. Ces fins ne sont pas nécessairement inconciliables. À long terme, la société est mieux protégée par la rééducation et la réadaptation d'un jeune contrevenant. Pour leur part, les jeunes contrevenants sont mieux servis quand ils reçoivent les conseils et l'assistance nécessaires pour acquérir les aptitudes dont ils ont besoin pour devenir des membres pleinement intégrés et utiles à la société5.
Au cours du Forum national du Comité, le Dr Alan Leschied, du London Family Court Clinic, a fait la déclaration suivante :

Je pense souvent que les discussions et les débats portent sur la nécessité de choisir entre la réadaptation des jeunes et la protection de la société. Je pense que le Comité surmonterait un obstacle important s'il soulignait l'importance de considérer que ces deux objectifs coïncident. Il ne faut pas avoir à choisir entre la réadaptation et la protection. Quand on fait une chose, on fait également l'autre. Je pense que c'est un principe extrêmement important auquel le Comité devrait souscrire. (79:39)
Comme il en est fait mention ailleurs dans le présent rapport, le Comité a approuvé certaines des approches préconisées pour réduire à long terme la perpétration d'infractions chez les jeunes et la victimisation qui en découle. La plupart de ces approches reçoivent l'appui des divers intervenants du système de justice pour les jeunes que le Comité a rencontrés au cours de ses visites et de ses audiences dans tout le pays. Bon nombre de ces approches étaient également recommandées par des personnes ayant présenté un mémoire oralement et par écrit.

L'intervention précoce dans la vie des jeunes a été perçue comme indispensable pour réduire la perpétration d'infractions à long terme. Il faut toutefois que cette intervention soit pertinente et efficace, qu'elle trouve son fondement dans la communauté et qu'elle jouisse de l'appui des parents, de la famille proche et de la famille élargie. En cas d'infraction, l'intervention doit être opportune et adéquate. Elle n'a pas nécessairement à être liée à la justice pénale. Il ne faut recourir à la police et à la justice que dans les cas où cela est vraiment indiqué. Tout comportement déplacé d'un jeune doit être traité de manière opportune et efficace, mais sans obligatoirement passer par le système de justice pénale. Enfin, on a reconnu en général que seuls les cas les plus graves justifient le recours à toute la panoplie du système de justice pénale, dont l'ordonnance de placement sous garde et le renvoi devant la juridiction compétente ou le tribunal pour adultes.

Une approche aux questions de justice pour les jeunes qui serait fondée sur ces éléments de consensus et qui serait définie dans un énoncé d'objet et une déclaration de principes aurait deux effets à long terme. Elle se traduirait par des interventions plus préventives, plus opportunes et plus efficaces, ce qui aboutirait à une diminution de la victimisation et des récidives. Elle entraînerait également une meilleure attribution des ressources financières limitées et l'utilisation des ressources les plus dispendieuses uniquement dans les cas où ces ressources sont requises, c'est-à-dire pour les infractions plus graves.

Le Comité estime que l'énoncé de l'objet et des principes directeurs doit être clair et guider les personnes qui oeuvrent dans le système de justice pour les jeunes. Il doit également déterminer la priorité à accorder à des principes qui pourraient être conflictuels par rapport à l'objet de la Loi énoncé par le Parlement. L'un des problèmes que pose actuellement la déclaration de principes qui figure à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est qu'elle n'établit pas les obligations qui échoient aux différentes composantes du système de justice pour les jeunes. Dans ses commentaires au sujet d'une affaire antérieure, l'affaire R. c. T.(V.), madame la juge L'Heureux-Dubé, de la Cour suprême du Canada, avait fait la déclaration suivante :

. . . aucune obligation de cette nature ne découle du texte de l'alinéa 3(1)d) et, par conséquent, aucune ne saurait être attribuée aux autorités6.
Pour rédiger un énoncé de l'objet et des principes directeurs, on peut s'inspirer du style législatif des dispositions sur l'objet et les principes qui figurent dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et des mesures sur l'imposition de la peine que le projet de loi C-41 a ajoutées au Code criminel. Ces dispositions servent de guide aux personnes qui oeuvrent dans le système de justice pénale et font valoir à la fois la primauté des intentions législatives du Parlement et la hiérarchie des valeurs à respecter. Le système de justice pour les jeunes a besoin du même genre d'énoncé clair de philosophie et d'intention du Parlement.

Les éléments d'un énoncé d'objet figurent déjà dans la Loi sur les jeunes contrevenants. Les alinéas 3a) et c.1) ont été ajoutés à la Déclaration de principes actuelle quand le Parlement a adopté le projet de loi C-37. Ces dispositions se lisent comme suit :

a) la prévention du crime est essentielle pour protéger la société à long terme et exige que l'on s'attaque aux causes sous-jacentes de la criminalité des adolescents et que l'on élabore un cadre d'action multidisciplinaire permettant à la fois de déterminer quels sont les adolescents et les enfants susceptibles de commettre des actes délictueux et d'agir en conséquence;
c.1) la protection de la société, qui est l'un des buts premiers du droit pénal applicable aux jeunes, est mieux servie par la réinsertion sociale du jeune contrevenant, chaque fois que cela est possible, et le meilleur moyen d'y parvenir est de tenir compte des besoins et des circonstances pouvant expliquer son comportement;
Le Comité estime que ces deux alinéas devraient constituer le but fondamental de la Loi sur les jeunes contrevenants et du système de justice pour les jeunes. La protection de la société est l'objectif premier du droit criminel et du système de justice pénale applicable aux jeunes. Cet objectif peut être réalisé grâce à des stratégies efficaces de prévention du crime et de réadaptation, comme il en est fait mention ailleurs dans le présent document. Ces objectifs et ces stratégies sont non pas inconciliables, mais complémentaires. Cela ne signifie pas que des stratégies plus restrictives ne devraient pas être prévues si la prévention du crime et la réadaptation ne fonctionnent pas, mais qu'il ne faudrait recourir à des mesures punitives que lorsque ces autres approches n'ont pas fonctionné.

Le Comité estime que les alinéas 3a) et c.1) devraient servir de point de départ pour l'adoption, par le Parlement, d'un énoncé de ses intentions législatives relativement à la Loi et au système de justice pour les jeunes. Cette disposition accorderait la primauté à la teneur de l'alinéa c.1) et établirait que la protection de la société, la prévention du crime et la réadaptation sont des éléments complémentaires de la philosophie sous-jacente à la justice pénale. L'énoncé de l'objet doit être soutenu par une déclaration de principes prévoyant des directives pour sa réalisation dans le système de justice pour les jeunes.

Certains principes à l'appui d'un énoncé de l'objet figurent déjà à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants et dans d'autres dispositions de cette Loi. D'autres sont implicites dans la Loi telle qu'elle est actuellement libellée. D'autres encore sont généralement acceptés dans le système de justice pour les jeunes et par de nombreux Canadiens. Le Comité ne fournira pas de version provisoire des principes directeurs qu'il estime que le Parlement devrait adopter mais présentera plutôt, en termes généraux, l'orientation qu'ils devraient prendre et mentionnera des modèles dont ils pourraient s'inspirer.

Comme il en est fait mention ailleurs dans le présent rapport, le Comité prend comme point de départ l'importance d'une intervention précoce dans la prévention du crime. Il faut soutenir les collectivités, les familles et les parents dans leurs efforts pour traiter les jeunes contrevenants. Il est important que les interventions se fassent tôt et à un moment opportun, et il n'est pas nécessaire qu'elles soient officielles. Les interventions les plus efficaces sont souvent celles qui sont faites en dehors du cadre du système de justice pour les jeunes. Il faudrait faire preuve de modération dans le recours au système de justice pénale pour les jeunes, à toute la panoplie d'éléments qui vont jusqu'au placement sous garde, et au renvoi devant la juridiction normalement compétente et le tribunal pour adultes dans les cas les plus graves. La déclaration des principes directeurs qui sera adoptée par le Parlement devrait tenir compte de ces conclusions du Comité.

Aux fins de l'élaboration de ces principes directeurs, il pourrait être utile de regarder ce qui s'est fait dans d'autres pays. M. Heino Lilles, juge de la Cour territoriale du Yukon, qui a rencontré le Comité lors de ses audiences à Whitehorse et qui a participé au Forum national, a exposé récemment dans un article (qui était également le mémoire qu'il a présenté au Comité) les principes figurant dans la loi néo-zélandaise sur les enfants et leur famille :

aucune poursuite pénale ne devrait être intentée là où il existe une autre façon de régler la question;
aucune poursuite pénale ne doit être intentée pour assurer une assistance sociale à l'enfant ou à sa famille;
les mesures choisies devraient être conçues pour renforcer la famille, la famille élargie, le clan, la tribu ou le groupe familial de l'adolescent, et pour les encourager à trouver leurs propres façons de traiter avec l'adolescent;
l'adolescent devrait, dans la mesure du possible, demeurer au sein de la collectivité;
l'âge de l'adolescent est un facteur atténuant quand il s'agit de déterminer s'il faut imposer une sanction et, le cas échéant, la nature de la sanction;
la sanction doit toujours être le moins restrictive possible et servir à promouvoir l'épanouissement de l'adolescent au sein de sa famille, de sa famille élargie, de son clan ou de sa tribu;
il faut tenir dûment compte des intérêts de la victime;
la vulnérabilité des adolescents étant un fait reconnu, ceux-ci ont droit à une protection spéciale au cours de l'enquête visant l'infraction commise7.
Le juge Lilles estime que les principes sous-tendant la loi néo-zélandaise sont clairs et cohérents et qu'ils fournissent des directives à toutes les parties du système de justice pour les jeunes dont la police, le juge qui prononce la peine et les autres. Ces principes, qui sont inscrits à la partie IV de la Loi, appuient un ensemble d'«objectifs généraux», de «principes généraux» et d'autres «principes» qui figurent ailleurs dans la Loi et qui s'appliquent aussi bien aux jeunes contrevenants qu'aux enfants ayant besoin de protection.

Des principes semblables à ceux qui sont énoncés dans la loi de la Nouvelle-Zélande sont appliqués en Irlande aux fins de la loi de 1908 sur les jeunes contrevenants. Dans un rapport préparé en décembre 1995 pour le compte du ministère de la Justice, James W. O'Reilly, un avocat d'Ottawa, décrit ces principes comme suit :

il faudrait tenir les jeunes contrevenants le plus loin possible du système de justice pénale;
l'intervention dans la vie d'un jeune contrevenant devrait, au départ, se faire sur une base volontaire avec sa collaboration;
l'intervention obligatoire dans la vie du jeune ne devrait être envisagée que lorsque l'intervention sur une base volontaire a échoué ou a été rejetée. L'intervention obligatoire devrait encore, à ce stade, faire passer le bien-être et le développement du jeune avant la protection de la société;
l'incarcération des jeunes ne devrait être envisagée que lorsque ces jeunes constituent un danger pour la société ou pour eux-mêmes ou lorsque leurs activités entravent de façon sérieuse et répétée les droits d'autrui et que toutes les possibilités autres que le placement sous garde ont été épuisées8.
L'État australien de Nouvelle-Galles du Sud a publié un livre blanc dans lequel il présentait sa politique sur le système de justice pour les jeunes. Voici quelques-uns des principes qu'on y retrouvait :

la prévention du crime chez les jeunes, le recours à un processus autre que le processus judiciaire et la réinsertion sociale devraient être les objectifs premiers de la politique de justice pour les jeunes;
les solutions de rechange à la poursuite en justice, lorsqu'elles sont possibles et indiquées, devraient être la première option dans le système de justice pour les jeunes;
les victimes de crime devraient avoir la possibilité de participer activement au système de justice pour les jeunes, lorsque cela est indiqué;
il faudrait reconnaître que la famille et la famille élargie ont une influence fondamentale sur les enfants et, pour cette raison, il faudrait les soutenir et leur donner la possibilité de participer au processus de justice pour les jeunes;
la collectivité accepte la responsabilité des jeunes; elle leur fournit un soutien et leur offre la possibilité de devenir des membres utiles de la société;
il faudrait traiter les enfants et les adolescents différemment et séparément des adultes et tenir compte de leurs besoins au niveau de leur développement9.
Ces exemples d'autres pays peuvent aider le Parlement à définir ses intentions législatives et à dresser une liste détaillée des principes directeurs à respecter pour la réalisation de l'objet énoncé.

Dans ce contexte, la British Columbia Civil Liberties Association a fait la recommandation suivante dans son mémoire au Comité :

La British Columbia Civil Liberties Association propose de donner la priorité aux objectifs de la Loi sur les jeunes contrevenants, afin de permettre au système de mieux répondre aux besoins des jeunes. Si l'on tient compte des récentes études, la diminution des infractions contre les biens passe principalement par la réadaptation des contrevenants et la prévention des comportements potentiellement déviants. La Loi sur les jeunes contrevenants doit également prévoir que d'autres objectifs doivent être fixés pour les contrevenants violents et récidivistes.
Le Comité souscrit à ce mémoire.

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande que l'on modifie la Loi sur les jeunes contrevenants en remplaçant l'actuelle déclaration de principes par un énoncé de l'objet et une formulation des principes directeurs régissant sa mise en oeuvre dans toutes les composantes du système de justice pour les jeunes. L'énoncé de l'objet devrait préciser que l'objectif premier du droit pénal est la protection de la société et que cette protection, la prévention du crime et la réadaptation sont des stratégies et des valeurs communautaires complémentaires qui peuvent être appliquées efficacement à l'égard des jeunes contrevenants.


3 L.C. 1992, ch. 20, telle que modifiée.

4 L.C. 1995, ch. 22.

5 (1993) 2 L.R.C. 421, p. 433.

6 (1992) 1 L.R.C. 749, p. 768.

7 Heino Lilles, «La réforme de la Loi sur les jeunes contrevenants : quelques perspectives étrangères» (titre original : «Canada's Young Offenders Act: Some International Perspectives for Reform»), Australian-Canadian Studies, vol. 13, no. 2, 1995, p. 73-113, aux p. 83-84. Voir également l'article 208 de la Children, Young Persons and Their Families Act, 1989, Nouvelle-Zélande (telle que modifiée).

8 James W. O'Reilly, The Treatment of Violent Young Offenders in Various Jurisdictions: An Overview, Rapport final préparé pour le ministère de la Justice le 31 décembre 1995, p. 3-4.

9 Ibid, p. 4.


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