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CHAPITRE 13 :
INVESTISSEMENT
[Un] mécanisme qui a été source de tensions dans
le domaine budgétaire est l'intensification de la surenchère
à laquelle se livrent les gouvernements nationaux et infranationaux
pour ce qui est des subventions et des incitatifs sur le plan de la fiscalité
et de la réglementation aux investisseurs transnationaux. Cela a
également accru les pressions en faveur d'une réduction des
dépenses sociales. [Bruce Campbell, 27:1555]
Évolution des investissements étrangers directs
Au cours des 10 dernières années, les investissements
internationaux, en particulier l'investissement direct, ont connu une croissance
spectaculaire; le stock mondial d'investissements étrangers directs
(IED) a par voie de conséquence augmenté, passant de 1 000
milliards de dollars américains en 1987 à 3 500 milliards
de dollars en 1997. Cette évolution a touché essentiellement
quelque 53 000 multinationales et près de 450 000 sociétés
affiliées. Cet essor ayant été considérablement
plus fort que celui du produit mondial brut et du commerce mondial, le
ratio des stocks d'IED à l'intérieur du pays et à
l'étranger au produit mondial brut se situe désormais à
21 p. 100, et les exportations des sociétés affiliées
étrangères représentent un tiers des exportations
mondiales.
Ces statistiques sont très éloquentes : en règle
générale, les entreprises des pays développés
ont internationalisé leurs activités, tissant un réseau
dense qui s'étend à l'ensemble de la planète dans
l'espoir de devenir plus compétitives. L'amélioration de
la compétitivité proviendrait des avantages des points de
vue de la localisation et de la production qu'offre le pays d'accueil,
et tant ce dernier que le pays d'origine sont gagnants :
Les investissements directs en provenance ou à destination de
l'étranger procurent des avantages économiques substantiels
au pays d'accueil comme au pays d'origine. Ces avantages tiennent à
l'accroissement de la spécialisation et aux gains de productivité
qui en résultent, à la propagation plus rapide des nouvelles
technologies dans les pays d'accueil, aux effets salutaires de l'augmentation
de la concurrence sur les entreprises nationales et à l'aptitude
des petites entreprises à augmenter leur taille et leur envergure.
[Steven Globerman, mémoire, p. 2]
Ces nouvelles stratégies mondiales ont des répercussions
économiques qui vont au-delà de la compétitivité
des entreprises. Elles ont radicalement transformé le paysage commercial
international, et ce, à deux égards. Tout d'abord, il faut
rappeler qu'à l'économie des années d'après-guerre,
caractérisée essentiellement par des opérations internationales
sur biens et services entre entreprises non liées ou entre résidents
de différents pays, a succédé une économie
marquée par une intégration beaucoup plus forte du commerce.
De plus en plus sont échangées d'un pays à l'autre,
entre des personnes morales avec lien de dépendance, des pièces
et des composantes de produits complexes destinées à être
assemblées plus près de leur lieu de consommation. Ensuite,
le commerce et l'investissement, que l'on considérait comme deux
moyens distincts d'accéder aux marchés étrangers -
le second étant un moyen de contourner les barrières commerciales
- se sont révélés complémentaires, maintenant
que ces barrières ont été éliminées.
La performance commerciale d'un pays dépend donc de plus en plus
du dynamisme de son IED.
Le Canada n'est pas étranger à cette évolution.
De fait, l'IED revêt une importance toujours plus grande pour lui,
en tant que pays d'accueil certes, mais surtout en tant qu'investisseur
à l'étranger. Le stock d'investissements directs du Canada
à l'étranger a quintuplé, passant de 22,6 milliards
de dollars américains en 1980 à 137,7 milliards en 1997,
tandis que son stock d'investissements à l'intérieur du pays
a progressé de plus de deux fois et demie, passant de 54,2 milliards
à 137,1 milliards de dollars au cours de la même période.
Comme l'indique le tableau 2.1, ces investissements visent essentiellement
les Amériques, les États-Unis prenant la part du lion. L'investissement
forme ainsi dans l'hémisphère un réseau en forme de
roue dont les États-Unis sont le noyau central et le Canada, le
noyau secondaire pour ce qui est de l'exportation de capitaux vers l'Amérique
latine et les Caraïbes.
Accord sur l'investissement dans la ZLEA
Comme l'a démontré le projet d'Accord multilatéral
sur l'investissement (AMI) de l'Organisation de coopération et de
développement économiques, les investisseurs des pays développés
cherchent à obtenir une plus grande protection institutionnelle
pour leurs actifs à l'étranger - protection qui devrait aller
au-delà de celle que leur garantissent l'Accord sur les mesures
concernant les investissements et liés au commerce (AMIC) et l'Accord
général sur le commerce des services (AGCS); deux accords
qui sont appliqués par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
En sa qualité d'exportateur net d'IED, le Canada souhaiterait également
que de nouvelles règles en matière d'investissement - des
règles justes et équitables et consenties mutuellement -
viennent compléter les règles qui existent déjà
en matière de commerce.
Dans le contexte des Amériques, le Canada devrait chercher logiquement
à rationaliser les accords de protection des investissements étrangers
(APIE) qu'il a conclus avec divers pays de la région et à
en étendre la portée à des pays avec lesquels il n'a
pas signé de traité de ce type. L'encadré 13.1 indique
les divers mécanismes de protection que le Canada recherche.
Pour évaluer la protection supplémentaire que ces mécanismes
assureraient aux investisseurs étrangers au Canada, le Comité
s'est servi de l'étude menée par la Banque interaméricaine
de développement sur les lois et les politiques en matière
d'investissement étranger dans la région. Pour résumer,
disons que la quasi-totalité des pays sont dotés de constitutions
qui garantissent le droit à la propriété privée,
le respect de la libre entreprise et le traitement égal des nationaux
et des étrangers. Tous les pays imposent des restrictions au droit
à la propriété, mais surtout ils ont précisé
les motifs d'expropriation, notamment la nécessité publique,
l'utilité publique, la vocation sociale de la propriété,
la promotion des réformes agraires et la sécurité
nationale. Les réglementations en matière d'indemnisation,
en cas d'expropriation, présentent des différences considérables,
mais, en règle générale, l'indemnisation est fonction
de la valeur marchande ou des pertes subies, lesquelles sont établies
par voie judiciaire, faute d'accord en la matière, ou par des mécanismes
administratifs; les notions de valeur marchande et de pertes subies sont
bien entendu assez floues. Dans certains cas, par souci de justice, il
n'y a pas d'indemnisation. L'indemnisation intervient généralement
avant la prise de possession.
Dans presque tous les pays, la législation sur les investissements
étrangers a été modifiée depuis 1990 et il
y a un organisme d'État responsable de son application. La majeure
partie des États n'imposent aucune restriction sur les remises,
mais en appliquent dans des cas exceptionnels sur le rapatriement des capitaux.
Les transferts de capitaux de placements étrangers peuvent prendre
diverses formes : devises librement convertibles, transferts de biens tangibles
ou de technologies, prêts associés à des investissements
étrangers, transferts de biens intangibles et capitalisation des
crédits ou des profits. Dans tous les pays, certains secteurs de
l'économie sont la chasse gardée de l'État et les
étrangers ne peuvent y pénétrer; si l'on considère
l'ensemble de l'hémisphère, la liste de ces secteurs est
longue.

Il n'y a généralement pas de prescriptions de résultats
pour les investisseurs étrangers, sauf dans des circonstances particulières,
lesquelles varient considérablement d'une partie de la région
à l'autre. Les entreprises nationales et étrangères
sont imposées au même taux, le taux d'imposition des profits
le plus bas étant de 25 p. 100. Les investissements étrangers
ne font l'objet de taxes spéciales que dans certains cas : zone
de libre-échange, programme de conversion de la dette extérieure,
etc. Le Canada a conclu des traités de double imposition avec l'Argentine,
la Barbade, le Brésil, la République dominicaine, le Guyana,
la Jamaïque, le Mexique, Trinité-et-Tobago et les États-Unis.
Pour ce qui est du règlement des différends, les investisseurs
étrangers ne disposent généralement pas de recours
supplémentaire à celui assuré aux ressortissants nationaux,
sauf ce que prévoit l'Accord de libre-échange nord-américain
(ALENA).
Il n'y a donc rien d'original à déclarer que la réduction
des risques politiques que prennent des investisseurs étrangers
devrait les amener à être moins exigeants pour ce qui est
du rendement de leurs investissements, ce qui devrait stimuler les flux
de capitaux transfrontaliers. Ce qui est plus nouveau, c'est que les pays
d'Amérique latine ont, à la faveur des accords de libre-échange
et des ententes d'union douanière, accru les flux d'IED depuis qu'ils
se sont débarrassés de leur stratégie de remplacement
des importations. Certains pays ont même adopté des mesures
encourageant l'investissement afin d'attirer davantage de capitaux étrangers.
Les responsables latino-américains établissent de façon
répétée un lien entre l'existence d'accords commerciaux
- ceux qui visent, par exemple, les zones de libre-échange, les
unions douanières et les marchés communs - [...] et l'apport
d'investissements étrangers directs dans une région donnée.
Ainsi, pour la Communauté andine, l'un des éléments
inscrits parmi les résultats est [...] et je cite : « L'augmentation
considérable des IED, qui ont été multipliés
par plus de 8, passant de 1,14 milliard de dollars américains en
1990 à 9,792 milliards en 1997 [...] » On trouve un autre
exemple dans un document rédigé par un ambassadeur brésilien,
José Artur Denot Medeiros, et destiné à l'ALADI [...]
dans lequel celui-ci affirme que « la capacité accrue d'attirer
les IED [...] et la progression du mouvement des investissements entre
les pays latino-américains » se conjuguent aux accords commerciaux
comme « facteurs d'intégration ». De toute évidence,
l'opinion dominante veut que ces accords fassent croître à
la fois les échanges commerciaux et les investissements. [Annette
Hester, 31:1610]
Il faut se garder ici d'aller trop loin dans la course aux incitatifs
destinés aux investisseurs étrangers, le plus souvent sous
forme de subventions et d'exonérations fiscales. Si l'on devait
perdre le contrôle de la situation et qu'une surenchère se
produisait, des pressions croissantes pourraient s'exercer pour que les
dépenses sociales soient comprimées.
Comme une zone de libre-échange signifierait que les investisseurs
d'autres pays signataires bénéficieraient de nouveaux droits
et que ces derniers s'accompagneraient dans une certaine mesure d'une perte
de souveraineté nationale, il est important, estiment les membres
du Comité, d'en arriver à un équilibre bien pensé
entre les intérêts des multinationales et les intérêts
de l'État. Le public a conseillé au Comité à
de multiples reprises, comme au moment des délibérations
relatives à l'AMI et au Cycle du millénaire de l'OMC, de
veiller à ne pas faire d'un accord sur l'investissement une «
charte des droits des entreprises ».
À bien des égards, ces changements donnent plus de pouvoirs
aux entreprises. D'ailleurs, à bien des égards également,
ce sont elles qui ont conçu les règles, qui donnent plus
de pouvoirs aux investisseurs. Ces règles leur permettent de contester
les gouvernements démocratiques, voire de miner l'influence de ceux
qui défendent l'intérêt public. [Bob White, 122:1025]
Il y a là deux enjeux. Tout d'abord, d'après certains,
l'adoption d'un mécanisme de règlement des différends
entre les investisseurs et l'État, comme ce que prévoit le
chapitre 11 de l'ALENA, fournit aux investisseurs étrangers un autre
outil juridique dont ne disposent pas les investisseurs nationaux. D'autre
part, d'aucuns estiment qu'un tel mécanisme sape la capacité
des gouvernements de maintenir hors du circuit commercial des services
d'utilité publique, tels que les soins de santé, la protection
de l'environnement ou encore l'hygiène et la sécurité.
Pour ce qui est de l'investissement étranger direct - il n'y
a là rien de bien nouveau, le mécanisme de règlement
des différends prévu par l'ALENA (au chapitre 11) a posé
un certain nombre de problèmes, qui, à mon avis, découlent
de l'application des règles en matière d'arbitrage commercial
des questions de politique publique, ce qui n'est peut-être pas la
meilleure façon de trancher ce genre de questions. Je ne condamne
pas nécessairement l'intervention directe d'intervenants non gouvernementaux
dans le règlement des différends, mais suggère plutôt
qu'on examine de plus près certains aspects du processus, comme
la transparence. [Julie Solowan, 122:950]
D'autres encore croient fermement que ces scénarios de compressions
forcenées des dépenses de programmes sociaux pour des raisons
de règlement des différends entre les investisseurs et l'État
ne sont pas fondés. Si le chapitre 11 de l'ALENA fait actuellement
l'objet de plusieurs contestations, rien n'a encore été tranché.
Le Comité rappelle à ceux qui ont cité le cas opposant
la société Ethyl et le gouvernement du Canada que l'interdiction
d'utiliser le MMT violait les ententes interprovinciales et, par voie de
conséquence, la question reste en suspens. De plus, les groupes
représentant les intérêts des entreprises ne sont pas
en total désaccord avec l'objectif visé par un mécanisme
de règlement des différends entre les investisseurs et l'État.
Ils ont toujours soutenu le point de vue qu'un tel mécanisme ne
devrait pas paralyser l'État en ce qui concerne les questions d'intérêt
public importantes.
Le concept fondamental d'expropriation des investissements étrangers
dont le corollaire est un mécanisme de règlement des différends
exécutoire devrait être mieux défini. Il faudrait exclure
de l'accord les domaines légitimes de réglementation et de
législation par les gouvernements, lorsque aucun bien n'est effectivement
exproprié. Il faut également se pencher sur les autres aspects
des modalités relatives aux différends entre les investisseurs
et l'État, notamment les questions de secret et de manque de transparence
du processus, qui existent dans les règles actuelles de l'ALENA.
[Jayson Myers, mémoire]
Le Comité convient de ce qui précède et recommande
:
25. À la lumière des préoccupations suscitées
par l'interprétation du terme « expropriation » dans
les modalités de l'Accord de libre-échange nord-américain
concernant les investisseurs et l'État (chapitre 11), que le gouvernement
du Canada fasse en sorte que soit défini de façon très
précise ce même terme lors des négociations relatives
à un accord sur la Zone de libre-échange des Amériques
qui porteront sur les investissements.
Étant donné l'essor phénoménal qu'a connu
l'IED au cours des 20 dernières années, il serait bon de
remettre en question la nécessité d'obtenir une meilleure
protection que celle fournie par les APIE canadiens. Il faut auparavant
chercher à établir les avantages nets d'une telle démarche.
Par ailleurs, comme le gros de cet essor s'est produit entre les pays développés
et qu'une ZLEA concernerait essentiellement des pays en développement,
le Comité estime qu'une telle zone constituerait une bonne occasion
d'étendre les accords de protection des investissements actuels,
comme les APIE du Canada, à l'ensemble des Amériques, et
donc au-delà des sept pays où ils sont actuellement en vigueur.
Le Comité recommande :
26. Que le gouvernement du Canada cherche à mettre en place
un accord sur la Zone de libre-échange des Amériques qui
incorpore des dispositions relatives à l'investissement inspirées
des accords de protection des investissements étrangers que le Canada
a conclus avec certains pays d'Amérique latine et des Caraïbes.