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NRGO Rapport du Comité

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CHAPITRE 1 : ÉTAT DE LA SITUATION

A. L’importance de l’industrie forestière au Canada

Avec 10 p. 100 des forêts du monde, le Canada s’avère l’un des principaux fiduciaires du patrimoine forestier mondial. De fait, les forêts couvrent 45 p. 100 (417,6 millions d’hectares) de la superficie du pays. En 1995, près de 8 p. 100 du territoire forestier était protégé par législation. Environ 28 p. 100 (119 millions d’hectares) des terres forestières sont exploitées à des fins commerciales, même si 56 p. 100 (235 millions d’hectares) de l’ensemble des terres sont considérées exploitables commercialement. Chaque année, l’industrie forestière canadienne exploite un peu moins de 0,5 p. 100 de la zone dite commerciale, soit une superficie d’environ 1 million d’hectares et près de 190 millions de mètres cubes de bois selon les données de 1997. Une autre façon de donner une idée de la récolte de bois, c’est de préciser que la superficie totale des forêts récoltées chaque année est inférieure à la superficie perdue en raison de divers incidents naturels (incendies, insectes et maladies).

Encore en l’an 2000, la forêt demeure au coeur de l’activité industrielle et économique du Canada. À preuve, la contribution du secteur forestier au PIB a été de 2,4 p. 100 en 1998. Les livraisons de produits forestiers ont dépassé les 70 milliards de dollars et le total des emplois (directs et indirects) a atteint 877 000, soit 1 emploi sur 16 au Canada. Les traitements et salaires pour les emplois directs ont été estimés à quelque 12 milliards de dollars. Les nouveaux investissements en immobilisation se sont élevés à 3,7 milliards de dollars. Comme le mentionnait le ministre des Ressources naturelles devant le Comité, il ne faut surtout pas oublier qu’au Canada l’industrie forestière touche plus de collectivités et plus de gens que toute autre industrie. On estime en effet qu’environ 350 collectivités du pays dépendent principalement du secteur forestier.

Le Canada demeure aussi le plus grand exportateur de produits forestiers au monde, avec 19 p. 100 de l’ensemble des exportations. La valeur totale des exportations de produits forestiers a atteint 39,7 milliards de dollars en 1998, ainsi répartis : Colombie–Britannique, 13,2 milliards de dollars; Québec, 10,8 milliards de dollars; Ontario, 8,1 milliards de dollars et les autres provinces, 7,6 milliards de dollars. Au chapitre de la balance commerciale, le secteur forestier a contribué à un excédent de 31,7 milliards de dollars. Environ 79 p. 100 des exportations canadiennes de produits forestiers sont à destination des États–Unis. L’Union européenne et le Japon reçoivent respectivement 8 p. 100 et 7 p. 100 des produits forestiers en provenance du Canada.

Nul doute, donc, que le maintien de la santé écologique de la forêt et de la vitalité économique du secteur forestier reste crucial pour l’avenir des Canadiens. Or, la dynamique économique change à un rythme effarant, auquel tous doivent rapidement réagir et s’adapter. La mondialisation de l’économie pose à la fois de nouveaux défis et de nouvelles contraintes. Avec près de 20 p. 100 de l’ensemble des exportations mondiales de produits forestiers, le Canada s’avère particulièrement vulnérable face à l’émergence de nouveaux concurrents sur les marchés internationaux, à la présence de barrières tarifaires et, surtout à la montée de l’utilisation de barrières non tarifaires. De même, comme le soulignait le ministre des Ressources naturelles devant le Comité, l’évolution des valeurs sociétales et l’avènement du consumérisme vert sont autant de réalités fondamentales avec lesquelles le Canada doit composer à titre d’intervenant de premier plan dans le commerce mondial des produits forestiers. C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que le Comité estime que les préoccupations qui animent son intervention vont bien au–delà des considérations environnementales découlant des pratiques forestières utilisées au pays, mais s’inscrivent aussi dans le contexte général de l’accès aux marchés.

B. Les campagnes de dénigrement à l’endroit des produits forestiers canadiens

1. Pressions continues en Colombie–Britannique

Depuis le début des années 1990, la gestion des forêts de la Colombie–Britannique a été la cible de points de vue divergents de la part de l’industrie et de certains groupes environnementaux. Les premières campagnes ont principalement porté sur les vieilles forêts humides de l’île de Vancouver, où les préservationnistes voulaient assurer la protection de certaines forêts encore intactes. Après plusieurs initiatives gouvernementales qui ont permis de mettre en réserve quelques–unes d’entre elles pour fin de conservation, le débat s’est davantage étendu et concerne maintenant l’ensemble des forêts, soit autant les forêts de l’intérieur que de la côte.

Certaines organisations environnementales, principalement associées à Greenpeace International, ont été particulièrement actives ces dernières années en Europe de l’Ouest où elles ont critiqué les pratiques canadiennes de gestion des forêts. Elles ont obtenu beaucoup de succès en Allemagne et au Royaume–Uni lorsqu’elles ont protesté contre l’exploitation des vieilles forêts pluviales de Colombie–Britannique. L’approche privilégiée par Greenpeace a été de faire pression sur les distributeurs et détaillants de produits forestiers afin qu’ils cessent d’acheter des produits provenant des forêts pluviales de la côte de Colombie–Britannique.

Dès mars 1998, certains quotidiens de l’Ouest du Canada ont fait état des actions menées par Greenpeace auprès de trois acheteurs importants de produits forestiers de Colombie–Britannique — Magnet, Jewson, et Harcos — les priant de trouver de nouveaux fournisseurs. De ceux–là, Magnet avait confirmé qu’elle n’allait plus acheter de produits forestiers provenant de la Great Bear Rainforest de Colombie–Britannique, comme l’appelle les préservationnistes. Des démonstrations d’envergure ont eu lieu dans le port écossais de Greenoch et à une usine de la compagnie Clariant, un important acheteur européen de pâte de la compagnie Western Forest Products. Le gouvernement canadien, par l’entremise de son Haut–Commissariat à Londres, avait alors dénoncé ces pratiques auprès du gouvernement britannique. Le marché du Royaume–Uni est le plus important d’Europe pour les produits forestiers de Colombie–Britannique, dont la valeur des importations atteint 230 millions de dollars par année.

La campagne des groupes environnementaux ne se limite pas au marché européen; de fait, ils font maintenant campagne aux États–Unis et demeurent très actifs au Canada même, particulièrement en Colombie–Britannique. En décembre 1998, la Coastal Rainforest Coalition, une coalition de groupes formée de Greenpeace, du Natural Resources Defense Council et du Rainforest Action Network, a fait paraître dans le New York Times une annonce pleine page sur laquelle figurait une liste d’entreprises que la coalition recommandait aux consommateurs d’éviter parce que les produits du bois de celles–ci proviennent des forêts anciennes de la Colombie–Britannique.

D’autre manifestations ont directement visé le géant de la rénovation et de la quincaillerie Home Depot, dont le siège social se trouve à Atlanta et qui est l’un des principaux clients des fournisseurs de bois d’oeuvre de la Colombie–Britannique et du Nouveau–Brunswick. L’annonce du New York Times affichait d’ailleurs le nom de compagnies qui refusent de se procurer des produits forestiers provenant de peuplements mûrs. Au cours de ses audiences, le Comité a pu constater à quel point les décisions prises en matière de certification par la compagnie Home Depot dans la foulée de ces campagnes ont contribué à la notoriété qu’obtient aujourd’hui la norme FSC. Quoi qu’en disent les représentants de la grande chaîne américaine, les pressions des préservationnistes ne semblent pas du tout étrangères à l’évolution de cet enjeu d’importance pour l’industrie canadienne des produits forestiers.

Au Canada, les préservationnistes ont habituellement axé leurs campagnes sur les opérations forestières comme telles, mais ils ont récemment concentré leur action sur des campagnes de boycottage menées auprès des consommateurs. Plusieurs initiatives récentes indiquent que les préservationnistes diversifient leurs actions. À vrai dire, ici comme ailleurs, les campagnes se médiatisent de plus en plus. Ainsi, la David Susuki Foundation, Greenpeace et le Sierra Club of British Columbia ont uni leurs efforts pour lancer la campagne « Trees2K » sur tous les fronts, à savoir les médias écrits, la télévision et Internet.

Après avoir surtout ciblé les forêts de l’Île de Vancouver au début des années 1990, une coalition à laquelle participent Greenpeace et plusieurs organisations concentre maintenant ses efforts sur une vaste région de la côte centrale de la Colombie–Britannique. Cette région consiste en une immense zone forestière de quelque 3,2 millions d’hectares, enclavée entre les hauts sommets alpins et l’Océan pacifique le long de la côte centrale de la Colombie–Britannique. Aux dires des préservationnistes, il s’agit de l’une des dernières grandes étendues de forêts pluviales non encore exploitées.

Les préservationnistes prétendent principalement que le rythme de récolte forestière dépasse la capacité à long terme de la forêt et que presque toutes les vallées intactes feront l’objet de coupe d’ici 2020. Ils considèrent aussi que l’exploitation forestière sur la moyenne côte génère trop peu d’emplois. Ces organisations préconisent une réorientation de l’industrie forestière, même par voie réglementaire si nécessaire, vers une production à valeur ajoutée plus intensive en main d’oeuvre et ciblée sur les collectivités. Elles s’opposent vivement à la coupe à blanc partout dans les forêts côtières et proposent plutôt des pratiques de récoltes issues de l’écoforesterie, assurant du même coup une utilisation plus diversifiée de l’environnement côtier, en l’occurrence pour la pêche, le tourisme et les activités récréatives. En définitive, les groupes comme Greenpeace, le Sierra Legal Defence Fund et le Sierra Club demandent que le gouvernement de Colombie–Britannique adopte une vision de conservation à grande échelle permettant de garder intacts certains bassins versants et les corridors de liaison entre les bassins pour assurer le maintien des populations de grizzlys, de saumon et de la faune en général.

Les représentants de l’industrie forestière de la Colombie–Britannique s’inquiètent grandement de ces demandes, qu’ils jugent d’ailleurs excessives. Le Council of Forest Industries (COFI) s’interrogent sur les répercussions qu’un tel scénario pourrait avoir sur l’ensemble du secteur forestier de la province et sur les nombreuses collectivités qui en dépendent. Le Council a formulé des propositions au gouvernement provincial afin d’accroître le rendement de l’industrie. Ces propositions concernent, entre autres, des améliorations à l’allocation de la ressource et à la fixation des prix du bois, la modernisation des exigences à l’égard des pratiques forestières, ainsi que le perfectionnement du mode de tenure forestière. À leur tour, les instigateurs de la campagne « Trees2K » décrient les demandes du COFI, déraisonnables à leurs yeux.

Pourtant, les parties en opposition ont tenté ensemble de trouver des solutions à leur différend sur la gestion des forêts publiques de la Colombie–Britannique. Ainsi, six grandes compagnies forestières de Colombie–Britannique — Interfor, Fletcher Challenge Canada Ltd., West Fraser Timber Co. Ltd., Western Forest Products, Weyerhaueser Canada Ltd. and Canfor Corp. — et trois organisations environnementales — Greenpeace, Sierra Club of B.C. et la Coastal Rainforest Coalition — ont convenu d’une trêve en mettant sur pied la Coast Forestry Conservation Initiative (CFCI) en début d’année. En échange, l’industrie s’engageait à ne pas récolter de bois pendant 18 mois dans la région de la côte centrale, pendant que les préservationnistes suspendaient leurs campagnes médiatiques sur les marchés intérieurs et étrangers. Interfor et West Fraser Timber ont quitté l’initiative et les Premières nations, les collectivités et les représentants des travailleurs se plaignent d’être laissés–pour–compte. Les préservationnistes demandent aux détaillants de produits forestiers de ne plus acheter de bois de la compagnie Interfor en raison de son retrait. Au moment où le présent rapport a été rédigé, la survie de la CFCI semblait incertaine.

2. L’Erreur boréale, un an plus tard

Lorsque le Comité conduisait la première phase de son étude sur la situation en Colombie–Britannique, le Québec connaissait un débat majeur sur la gestion de ses forêts suite à la diffusion du film L’Erreur boréale. Ce film, faisant état des pratiques forestières dans les forêts publiques de la zone boréale, a suscité beaucoup de discussions et de controverses dans les médias et les milieux avisés du Québec. La diffusion du film a coïncidé avec le lancement d’une campagne visant la protection des forêts vierges nordiques par la Coalition sur les forêts vierges nordiques regroupant 12 organismes issus des milieux environnemental, social et syndical. La Coalition s’inquiète de la « progression effarante, très rapide des coupes vers le nord ». Selon elle, la forêt située entre le 50e et le 52e degré de latitude nord environ, en partant de la frontière ontarienne, en passant au nord du lac Saint–Jean et en allant jusqu’aux environs de Sept–Îles sur la rive nord du Saint–Laurent, fournit les deux tiers de tout l’approvisionnement de l’industrie forestière québécoise.

La Coalition a adressé une série de revendications au gouvernement du Québec, gestionnaire de 90 p. 100 du territoire forestier de la province. Elle demande en premier lieu une révision en profondeur de la politique forestière québécoise, et pour y arriver, de procéder à une enquête publique indépendante afin d’examiner l’approche de la gestion forestière, les conditions de travail en forêt, les pratiques forestières et les hypothèses qui sont à la base des calculs de possibilité. Des revendications plus spécifiques concernent le travail en forêt, le mode de vie des Autochtones, l’imposition d’un moratoire sur l’octroi de nouveaux Contrats d’aménagement et d’approvisionnement forestiers (CAAF) ainsi que sur l’augmentation des volumes attribués dans les CAAF existants et la création de parcs ou d’aires protégées représentatifs des forêts boréales.

Certes, le débat qui a court au Québec relativement à la gestion de la forêt boréale publique n’a pas pris des proportions semblables à ce que le Comité a été à même d’observer en Colombie–Britannique. Il n’en demeure pas moins que les autorités gouvernementales, le ministre québécois des Ressources naturelles en tête, ont manifesté la crainte que le film L’Erreur boréale soit utilisé sur les marchés commerciaux au détriment de l’industrie forestière du Québec. Lors de la première phase de son étude, le Comité avait été informé de l’utilisation du film par des concurrents européens. Depuis, il y a toute apparence que le film se soit aussi retrouvé à Washington dans le cadre des représentations qui y ont été faites par le Grand conseil des cris, et dans le contexte des travaux du World Resources Institute (WRI) de Washington et de sa campagne Global Forest Watch. Quoi qu’il en soit, les discussions qui ont eu lieu dans divers forums et médias suite à la diffusion du film ont sans doute amené une réflexion constructive, susceptible d’alimenter la révision en cours du régime forestier québécois.

Au coeur du propos du film L’Erreur boréale, ne serait–ce qu’en raison de la situation géographique, se trouve la problématique de l’exploitation forestière sur le territoire des Cris de la baie James. Le Comité des ressources naturelles et des opérations gouvernementales a entendu les doléances de la Nation crie à l’endroit de l’expansion rapide des activités forestières dans la partie nord de la forêt boréale où se situent leurs territoires de piégeage, de chasse et de pêche. Leurs représentants ont notamment fait savoir qu’en à peine plus de cinq ans, la récolte forestière dans la région de la baie James était passée d’environ 5 millions à 8 millions de mètres cubes de bois par an, sur plus de 800 kilomètres carrés de terres. Comme la présente étude porte sur le commerce international, le Comité s’inquiète des répercussions possibles des représentations des Cris à l’étranger, en particulier à Washington.

3. De la forêt côtière à la forêt boréale

Depuis que le Comité a entrepris cette étude, plusieurs des témoins entendus ont dit craindre que les campagnes ciblant les forêts de la Colombie–Britannique ne représentent que la pointe de l’iceberg et qu’elles ne visent rapidement l’ensemble des forêts canadiennes, plus particulièrement la vaste forêt boréale. De fait, le Comité a pu constater que la campagne des groupes environnementaux relativement à la forêt pluviale de la côte Ouest s’insère dans un contexte plus global et prend appui, pour l’essentiel, sur un rapport du WRI The Last Frontier Forests et traitant des grandes forêts naturelles du monde qui sont encore dans un état relativement intact. Selon les auteurs de ce rapport, 50 p. 100 du couvert forestier original de la planète a disparu. Ils estiment qu’une grande partie des forêts restantes a déjà subi les impacts des activités humaines et que seulement 22 p. 100 de la forêt originale est suffisamment naturelle et vaste pour supporter toute la biodiversité présente. La majorité de ces forêts intactes sont situées au Brésil, en Russie et au Canada.

Le rapport du WRI considère que la forêt pluviale tempérée s’avère le plus menacé des écosystèmes forestiers puisqu’elle représente seulement 3 p. 100 des forêts primaires du monde. Lors de la première phase de l’étude, Greenpeace a rapporté au Comité que la Colombie–Britannique possédait à l’origine 353 vallées de forêt pluviale de plus de 5 000 ha. et, qu’aujourd’hui, 69 d’entre elles étaient encore intactes.

Dans le contexte global de la conservation des forêts primaires, le Canada s’avère une cible de choix pour les préservationnistes puisque qu’il serait le fiduciaire de 35 p. 100 des forêts boréales et de 20 p. 100 des forêts pluviales tempérées du monde; de plus, la majeure partie de l’exploitation forestière s’y déroule encore dans les forêts de première venue. Il est sans doute plus difficile de cibler des pays d’Europe de l’Ouest ou du Nord, par exemple les pays scandinaves, où les forêts primaires ont disparu depuis fort longtemps pour céder la place à d’autres vocations territoriales ou à des forêts plus jeunes, bien souvent des plantations beaucoup moins diversifiées au plan biologique.

Ce que les membres du Comité craignent, c’est que les campagnes menées en Europe et, maintenant, à partir de Washington ne se concentrent désormais sur la forêt boréale du Canada pour la simple raison qu’il possède 10 p. 100 des forêts du monde, dont une grande proportion est encore naturelle. Déjà, le rapport de 1997 du World Resources Institute (The Last Frontier Forests) accorde une grande importance à la protection de la vaste étendue que représente la forêt boréale au Canada. Mais voilà que le WRI a, depuis, lancé une vaste campagne intitulée Global Forest Watch (GFW) et qu’il décrit comme une alliance d’organisations non gouvernementales et de leaders locaux des pays forestiers à travers le monde. Pour l’essentiel, la campagne GFW intègre l’imagerie satellitaire et les analyses sur le terrain par des groupes locaux pour produire une information sur les menaces envers les grandes forêts mondiales. Le fil conducteur du GFW s’avère l’urgence de protéger les derniers 20 p. 100 des forêts primaires du monde, qui sont principalement situées en Amazonie, en Afrique centrale, au Canada, en Asie du Sud–Est et en Russie. La campagne GFW précise que transparence et imputabilité permettront d’offrir à tous une meilleure information et, par le fait même, une meilleure prise de décision quant à l’aménagement et à l’utilisation de la forêt.

La campagne GFW comporte une composante canadienne, Global Forest Watch Canada, qui est à l’origine d’un tout récent rapport sur les forêts canadiennes. GFW Canada dispose maintenant de chapitres en Colombie–Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et au Québec, et reçoit une aide financière et technique du GFW International.

Le Comité constate que ce nouveau rapport, préparé sous les auspices du World Resources Institute, comporte une information très détaillée et, vraisemblablement, de qualité sur la situation de la gestion des forêts au Canada. Il a aussi remarqué et se réjouit du fait que le Service canadien des forêts a déjà réagi à la publication du rapport et rétabli certains faits auprès du WRI et du GFW. Le Comité se rend à l’évidence que la mondialisation va bien au–delà des échanges commerciaux et affecte tout autant la diffusion de l’information et de la connaissance. Ce qui demeure préoccupant, toutefois, c’est l’utilisation, par qui et à quelles fins que l’ont fait de cette information au bout du compte.

4. Proposition de résolution devant le Conseil de l’Europe : mise à jour

Les campagnes de dénigrement à l’endroit de la gestion des forêts du Canada ont aussi trouvé écho au Conseil de l’Europe. Ainsi, une proposition de résolution a été présentée, en mai 1998, devant la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe. En résumé, la résolution proposée stipulait que ce qui reste aujourd’hui des forêts pluviales tempérées et des espèces sauvages qu’elles renferment représentent un héritage qui doit être protégé. Elle soutenait aussi que le profit commercial immédiat généré par l’exploitation de ces forêts importe moins que la richesse écologique et culturelle qu’elles renferment. La résolution demandait d’une part que le Canada cesse les opérations forestières jugées non durables dans les forêts côtières humides de la Colombie–Britannique, et d’autre part que les sociétés européennes annulent tout contrat avec des producteurs utilisant du bois provenant de telles exploitations.

Jusqu’à maintenant, la proposition de résolution a été discutée à Paris le 14 janvier 1999 et l’a été à nouveau, et de façon plus approfondie, le 21 mai 1999 dans le cadre d’une rencontre où une délégation de Canadiens ont pu faire valoir la position du Canada sur cette question. La délégation canadienne, qui comprenait des représentants de Ressources naturelles Canada, des provinces de la Colombie–Britannique et du Québec, de la Coalition pour la stratégie nationale sur les forêts, de l’Association nationale autochtone de foresterie et des membres du Comité permanent des ressources naturelles et des opérations gouvernementales, a réitéré l’importance de l’industrie forestière canadienne et l’attachement du Canada aux principes de l’aménagement forestier durable. Tout en rappelant que l’aménagement forestier est de juridiction provinciale, la délégation a insisté sur le fait que la législation, les politiques et les pratiques qui en résultent reflètent les valeurs changeantes du public et du marché; l’aménagement forestier au Canada était à l’origine basé essentiellement sur des principes économiques, mais il englobe maintenant les valeurs écologiques et sociales liées aux forêts. Lors de sa visite, la délégation canadienne a appris que la Commission du Conseil de l’Europe avait l’intention d’élargir la portée de ses rapports de manière à inclure l’ensemble de l’aménagement des forêts au Canada et une coopération accrue entre le Canada et l’Europe.

Une délégation de parlementaires européens intéressés par cette motion ont visité le Canada en septembre 1999 pour examiner les pratiques forestières canadiennes. Le Comité croit savoir que cette proposition de résolution est encore pendante devant la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe et qu’elle pourrait être débattue à nouveau dans les prochains mois. Le ministre Goodale a confirmé que le Canada poursuit ses efforts, dans le cadre du Programme international de partenariats en foresterie, pour faire en sorte que toute décision à cet égard soit prise sur la base d’une information adéquate. Le Comité réitère qu’il s’agit là d’une responsabilité première du gouvernement fédéral de veiller à bien informer la communauté internationale des politiques et pratiques forestières en vigueur au Canada et de faire valoir l’intérêt des Canadiens envers l’aménagement forestier durable.

C. La gestion des ressources forestières dans les différentes juridictions

Le Comité demeure tout à fait conscient des juridictions et des responsabilités qui incombent à chacun des paliers de gouvernement en matière d’aménagement durable de la ressource forestière. Comme la présente étude concerne avant tout l’accès de l’industrie forestière canadienne aux marchés internationaux, le Comité a été amené à conclure que le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle proactif et important face aux campagnes menées par certains à l’endroit des pratiques forestières utilisées au Canada. De toute évidence, ces campagnes débordent des frontières provinciales et affectent l’industrie dans son ensemble et, par le fait même, tous les Canadiens qui en sont tributaires. Le Comité insiste cependant pour que le gouvernement fédéral assume toutes ses responsabilités en ce domaine en agissant en étroite collaboration avec ses partenaires des provinces et territoires, ainsi qu’avec l’industrie.

En matière de gestion des forêts, le Comité a pu constater à quel point la situation évolue rapidement et comment les autorités des provinces ont agi avec diligence pour mettre en oeuvre des politiques axées sur l’aménagement forestier durable. Le rapide survol qui suit en est une illustration.

Au printemps de 1999, plusieurs membres du Comité ont pu constater de visu certains aspects des pratiques forestières en vigueur sur la côte centrale et à l’intérieur de la Colombie–Britannique. Ils ont été à même de voir que les exigences gouvernementales à l’égard de toutes les étapes de la planification et de l’aménagement forestier sont de plus en plus strictes et en constante mutation. Ces changements sont apparents depuis les travaux menés par le Comité permanent des ressources naturelles en 1994, suite à la mise en oeuvre du nouveau Code de pratiques forestières, qui a force de loi depuis 1995. Comme l’avait fait remarquer foi la présentation du Council of Forest Industries (COFI) devant le Comité, des progrès importants ont été réalisés à tous les niveaux, de la planification du territoire et l’intégration des activités de récolte dans le paysage environnant jusqu’à la renaturalisation des chemins forestiers après la récolte.

Il importe aussi de souligner que la Colombie–Britannique a mis en place au cours des années 90 des processus de planification de l’utilisation des terres dans le cadre desquels les intervenants cherchaient à établir un consensus sur un plan visant à concilier les préoccupations des Premières nations, des collectivités, des travailleurs et des groupes environnementaux. Cette approche a encouragé les collectivités autochtones et rurales à participer directement à la planification de l’utilisation des terres.

Au Québec, la politique forestière semble aussi évoluée rapidement. Elle a été amendée voilà quatres ans pour, entre autres, réduire la superficie des parterres de coupe et rendre obligatoire l’utilisation de la « coupe avec la protection de la régénération et des sols ». Le ministère des Ressources naturelles du Québec procède actuellement à la mise à jour du régime forestier québécois. Des consultations publiques ont été menées à l’automne 1998 et le processus doit se poursuivre jusqu’à l’adoption du projet de loi 136 modifiant la Loi sur les forêts et d’autres dispositions législatives (déposé le 30 mai 2000). Dans ce projet de loi, le gouvernement du Québec introduit des propositions concrètes, notamment sur la participation du public à la gestion forestière, l’octroi des droits forestiers, l’aménagement forestier, le contrôle et le suivi des travaux forestiers et la protection du milieu forestier. Il introduit aussi des objectifs de rendement accru pour certaines parties bien définies du territoire grâce à l’intensification de l’aménagement forestier.

En ce qui a trait aux aspects les plus controversés de la gestion forestière soulevés dans la foulée de la diffusion du film L’Erreur boréale, le projet de loi introduit trois nouvelles mesures relativement au Règlement sur les normes d’intervention dans les forêts du domaine public. La première limitera l’étendue et la dispersion des aires de coupes forestières, la seconde fixera une limite nordique au–delà de laquelle toute nouvelle attribution de bois et toute augmentation des attributions déjà consenties seront interdites, alors que la troisième permettra de fixer des objectifs spécifiques de protection des écosystèmes ou de la diversité biologique pour certains territoires forestiers.

L’un des aspects dominants de l’aménagement forestier en Ontario est l’achèvement du processus Des terres pour la vie. Le gouvernement de l’Ontario a réuni ensemble des préservationnistes et des représentants de l’industrie pour discuter de l’utilisation des terres et il a rendu publique en mars 1999 la stratégie Patrimoine vital. Dans ce document, les superficies consacrées aux parcs sont augmentées de 2,4 millions d’hectares, soit un accroissement de 33 p. 100. Tant les environnementalistes que les représentants de l’industrie semblent satisfaits de cette stratégie. Comme des témoins l’ont souligné, l’achèvement du processus Des terres pour la vie a effectivement permis de désamorcer le conflit entre les groupes environnementaux et l’industrie en Ontario.

Le Comité a appris que le cadre législatif régissant l’aménagement forestier en Ontario, tel que dicté par la Loi sur la durabilité des forêts de la Couronne et la Loi sur les évaluations environnementales, force l’industrie à pratiquer la foresterie durable. La Loi sur la durabilité des forêts exige par exemple qu’un peuplement de tremble soit aménagé de manière à ce que la composition du tremble dans le peuplement soit la même au moment de la récolte que dans un peuplement mûr, ce qui permet de maintenir la biodiversité. Pour sa part, la Loi sur les évaluations environnementales comprend 57 directives obligatoires concernant la protection d’espèces fauniques comme le caribou ou le balbuzard pêcheur. Comme des témoins l’ont souligné, les pratiques d’aménagement de la forêt sont vérifiées par des fonctionnaires et par des vérificateurs indépendants.

Dans les provinces Maritimes, l’exploitation forestière s’effectue surtout en Nouvelle–Écosse et au Nouveau–Brunswick. L’un des aspects les plus frappants de l’industrie dans ces provinces est que la majeure partie des ressources forestières appartiennent au secteur privé. En Nouvelle–Écosse, 69 p. 100 des ressources forestières sont la propriété d’intérêts privés et ce chiffre est de 51 p. 100 au Nouveau–Brunswick. Dans cette dernière province, 32 p. 100 des ressources forestières appartiennent à des propriétaires de boisés. Le Comité a d’ailleurs appris que les propriétaires de boisés canadiens comblent ensemble 17 p. 100 des besoins en bois de l’industrie forestière alors qu’ils ne possèdent que 8 p. 100 des forêts.

Dans le but de reconnaître l’importance des propriétaires de boisés, le gouvernement du Nouveau–Brunswick a consacré 1,6 million de dollars au développement des terres privées en 1998–1999 dans le cadre de son programme d’aménagement des forêts. De même, le ministère néo–écossais des Ressources naturelles dispose d’un programme d’aménagement des terres privées qui aident les propriétaires fonciers à adopter de bonnes méthodes d’aménagement de la forêt grâce au fonds de mise en valeur des ressources.

Le Comité a été informé que le Nouveau–Brunswick fait actuellement face à une véritable crise de l’approvisionnement en bois et que la province est de plus en plus dépendante du bois importé pour ses installations de conversion. Le gouvernement provincial a réagi en encourageant les propriétaires de boisés à réaménager en forêt les terres agricoles en friches et peu rentables. Le Comité a appris que ces programmes visant à inciter les propriétaires de boisés à améliorer encore davantage leurs pratiques d’aménagement forestier pourraient permettre de doubler et parfois même de tripler les quantités de matières ligneuses fournies à l’industrie à partir de ces boisés.