Passer au contenu

CIMM Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

OPINION SUPPLÉMENTAIRE DE
L'ALLIANCE CANADIENNE :
RÈGLEMENT SUR LES TIERS PAYS SÛRS

Diane Ablonczy, députée, Grant McNally, député, Lynne Yelich, députée
Porte-parole de l’Opposition officielle pour la Citoyenneté et l’Immigration

L’Alliance canadienne reconnaît l’obligation humanitaire faite au Canada de recevoir sa part des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies et la responsabilité qui nous incombe de remplir notre engagement. L’Alliance canadienne appuie l’entente sur les tiers pays sûrs parafée par le Canada et les États-Unis le 20 août 2002. Nous sommes d’accord pour que les États-Unis soient désignés comme tiers pays sûr dans la législation canadienne. Nous estimons nous aussi que les réfugiés devraient chercher un refuge sûr dans le premier tiers pays où ils entrent.

Cependant, contrairement à ce que prétend le rapport, l’Alliance conteste que toutes les grandes questions aient été réglées.

La protection des victimes contre la violence familiale

L’Alliance canadienne croit qu’il faut s’engager à traiter le problème de la sécurité des femmes réfugiées. Le rapport recommande une exception aux dispositions de l’entente dans le cas des femmes qui présentent une demande d’asile pour cause de violence familiale. Cependant, le règlement n’interdit pas clairement le conjoint maltraitant de présenter une demande de statut de réfugié pour cause de lien familial. Si une femme s’enfuit d’un foyer violent, la loi canadienne ne devrait pas être invoquée pour recréer le même milieu dangereux au Canada.

Des exceptions mal définies minent l’objectif de l’entente

Nous nous inscrivons en faux contre l’ensemble incohérent et trop large d’exceptions prévues par le règlement. Ces exceptions peuvent conduire à des atteintes fondamentales au droit international. Le droit international stipule clairement qu’aucun pays ne doit adopter de mesures nationales qui violent l’esprit d’une entente internationale. Les exceptions en question et le processus arbitraire de détermination des exceptions minent l’objectif de l’entente sur les tiers pays sûrs.

Outre qu’il mine l’entente, le règlement va à l’encontre des normes du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le HCR a fait du principe du tiers pays sûr une partie intégrante du processus international de détermination du statut de réfugié.

De plus, trop d’exceptions supplémentaires sont recommandées dont la portée est excessivement large. Par exemple, du fait de l’exception de la famille « de facto », il pourrait arriver, notamment dans le cas d’individus dépourvus des documents d’identité valables, qu’une connaissance du résident au Canada serve de famille « de facto ». Dans une recommandation semblable, l’octroi du « bénéfice du doute » au demandeur est trop vague. Le doute est souvent présent dans les demandes d’asile. Il faudrait y faire raisonnablement droit et ne pas l’ignorer sauf si c’est dans l’intérêt du Canada. Des exceptions trop larges et mal définies risquent de provoquer des flux de réfugiés irréguliers susceptibles de mettre à mal les ressources disponibles pour les vrais réfugiés.

Il y a aussi une incohérence fondamentale à l’article 159.6. (Les objections à cet article sont traitées séparément.) Le rapport recommande d’accorde au ministre le pouvoir arbitraire de faire des exceptions au règlement lorsqu’il y va de l’intérêt public. Cependant, lorsqu’il a témoigné devant le Comité, le ministre a laissé entendre que les exceptions prévues par l’article 159.6 étaient basées sur la jurisprudence de la Cour suprême. La recommandation 9 pourrait avoir pour effet de donner au ministre le droit de passer outre à la « règle du droit » au Canada en invoquant l’«intérêt public». Ou bien le ministre a pour cause d’« intérêt public » le dernier mot en matière de détermination des exceptions ou bien c’est la jurisprudence de la Cour suprême qui a le dernier mot.

La souveraineté et la sécurité sont compromises par l’exception relative aux auteurs d’une infraction punissable de la peine de mort

L’Alliance canadienne n’est pas d’accord avec les trois exceptions ajoutées au règlement qui ne figuraient pas dans le texte final de l’entente. Elles sont prévues à l’article 159.6. Elles visent les demandeurs qui sont accusés ou reconnus coupables d’une infraction punissable de la peine de mort dans un autre pays ou les demandeurs qui sont ressortissants ou anciens résidents apatrides d’un pays à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis aux mesures de renvoi.

Le ministre a déclaré devant le Comité que c’étaient les décisions récentes de la Cour suprême qui rendaient nécessaires les exceptions en question. Son argument dénature fondamentalement la plus récente décision de la Cour suprême sur la question connexe de l’extradition dans l’affaire États-Unis c. Burns (2001), plus communément connue sous le nom d’affaire Burns-Rafay. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que l’article 7 de la Charte obligeait le procureur général à obtenir des garanties que la peine de mort ne sera pas appliquée avant d’extrader des résidents canadiens. La Cour a déclaré : « Néanmoins, nous n’écartons pas la possibilité qu’il survienne des situations où — du fait que les objectifs du ministre sont tellement urgents et qu’il n’y a pas d’autre moyen de les réaliser qu’en extradant l’intéressé sans obtenir les assurances prévues — une telle violation puisse être justifiée. » 

Ce qu’il faut retenir, c’est que la Cour entendait que sa décision s’applique seulement aux résidents canadiens protégés par la Charte. En outre, l’entrée au Canada diffère sensiblement de l’extradition. Elles ne sont pas équivalentes. Le droit de l’extradition ne commande pas le droit d’entrée au Canada.

Les juges ont discuté longuement de la possibilité que le Canada devienne un « refuge sûr ». Ils sont arrivés à la conclusion suivante : « L’élimination du « refuge sûr » dépend de l’application vigoureuse de la loi plutôt que de l’infliction de la peine de mort une fois que le fugitif a été renvoyé hors du pays. » Le simple bon sens voudrait qu’une « application vigoureuse de la loi » consiste à ne pas laisser entrer au pays des fugitifs recherchés par la justice.

Un argument juridique encore plus fondamental contre les exceptions proposées se rapporte à l’application extraterritoriale des garanties de la Charte. Dans les affaires Kindler (1991) et Ng (1991), l’actuelle juge en chef Beverly McLachlin a déclaré qu’il ne fallait pas jeter « les filets de la Charte dans des eaux extraterritoriales ».

Le point essentiel, c’est que la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002, ne considère pas qu’un demandeur du statut de réfugié à la frontière jouit des droits de la Charte. Comme les nouvelles exceptions au règlement de l’entente sur les tiers pays sûrs ont pour effet essentiellement d’accorder les protections de la Charte aux non-résidents, elles entraînent l’application extraterritoriale de la Charte.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés stipule que la demande d’asile d’une personne reconnue coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans peut être rejetée. L’exception proposée concernant la peine de mort permettrait aux individus accusés ou déclarés coupables d’une infraction pouvant leur valoir la peine de mort de présenter une demande d’asile. En vertu de la loi en vigueur, le demandeur d’asile serait presque certainement interdit de territoire. Pourquoi alourdir le système de procès voués à l’échec?

Le concept de souveraineté comporte la capacité de décider qui entre ou n’entre pas dans un pays. L’article 159.6 du règlement enlève au ministre le droit de ne pas autoriser l’entrée au pays d’individus potentiellement nuisibles au public. L’application des exceptions accorderaient en somme l’entrée au Canada à des individus qui n’auraient le statut ni de résident ni de demandeur d’asile. En tant que criminels, ils ne pourraient pas présenter de demande d’asile, mais seraient quand même autorisés à rester au Canada. Il est remarquable que ce règlement créerait un nouveau statut de résidence au Canada fondé uniquement sur la condamnation pour infraction punissable de la peine de mort.

 L’autre partie au traité n’a-t-elle pas été consultée?

Les exceptions prévues à l’article 159.6 du règlement vont avoir un grand impact sur l’application des lois aux États-Unis. Les États-Unis ont accepté l’entente sur les tiers pays sûrs afin de renforcer leur sécurité. Les exceptions créées affaiblissent la sécurité que l’entente visait à renforcer. La politique canadienne de non-refus d’entrée va attirer des fugitifs recherchés par la justice parce qu’ils ont été accusés ou reconnus coupables d’infractions punissables de la peine de mort. Il convient de notifier et de consulter les autorités américaines en matière de justice pénale et de sécurité. S’il y a eu des consultations avec les fonctionnaires américains au sujet de l’article 159.6, il faudrait que les détails en soient rendus publics.

Recommandation : Assurer la protection des victimes de violence familiale contre les partenaires maltraitants et supprimer l’article 159.6.