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FAAE Rapport du Comité

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OPINION COMPLÉMENTAIRE DU PARTI CONSERVATEUR DU CANADA, DU BLOC QUÉBÉCOIS ET DU NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE DU CANADA

Les députés conservateurs, du Bloc Québécois et du NPD du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international sont heureux de soumettre les témoignages et les recommandations qui suivent pour le rapport du Comité : Deuxième volet d’une étude sur les contrecoups de la pandémie de la COVID-19 — Combattre la crise des droits de l’enfant et ranimer l’espoir.

Situation

En 1209, lors de la bataille de Béziers entre les catholiques et les cathares, quelque 20 000 personnes ont été tuées. Beaucoup de gens qui n’embrassaient pas nécessairement la foi cathare ont été massacrés sans distinction, soi-disant pour éviter que de possibles hérétiques puissent vivre. Selon la légende, le commandant catholique Arnaud Amaury aurait dit : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. » La décision a été prise de condamner à mort une grande partie de la population de Béziers, même des catholiques.

L’idée qu’il vaut mieux tuer des innocents que d’admettre la possibilité d’épargner des coupables est profondément contraire aux valeurs de tout système de justice digne de ce nom. C’est une disposition complètement horrible. Pourtant, la réponse du gouvernement fédéral à la détention de citoyens canadiens dans des camps dans le nord de la Syrie apparaît semblable à cette logique — permettre la détention de jeunes enfants innocents dans des conditions intolérables simplement en raison de la complexité de départager les coupables et les innocents.

Dans le cadre de son étude sur les contrecoups de la pandémie de la COVID-19 sur les enfants, le comité a entendu de nombreux témoignages de groupes de défense des droits de la personne et d’autres personnes au sujet de la situation des enfants canadiens détenus dans le nord de la Syrie. En choisissant d’inclure le volet des enfants dans l’étude plutôt que de l’examiner dans une étude distincte, le comité a décidé délibérément de recevoir cette information et d’en faire rapport. Le présent rapport supplémentaire porte exclusivement sur cette question.

Avant de communiquer ce que nous avons entendu ou d’indiquer nos points de vue sur cette situation, il est important de signaler que trois partis, dont les députés représentent la majorité des membres du comité, ont signé le rapport supplémentaire. C’est évidemment inhabituel, puisque les conclusions de la majorité des députés membres du comité devraient être reflétées dans l’ensemble du rapport plutôt que dans une opinion supplémentaire. Les règles à suivre par les comités confèrent beaucoup de latitude même à une minorité de députés d’un comité pour retarder les travaux du comité et même l’empêcher de faire rapport sur une question. Tout en reconnaissant l’importance de permettre au comité de faire rapport plus exhaustivement sur cette question, même de manière imparfaite, la majorité des membres du comité a décidé de commenter la question dans le document supplémentaire.

Comme le souligne en partie le rapport principal du comité, plusieurs pays, dont le Canada, sont confrontés à une situation tragique et complexe dans le nord de la Syrie. Après la défaite de l’État islamique/Daesh, beaucoup de personnes ont été arrêtées, dont des combattants terroristes membres ou sympathisants de l’État islamique/Daesh (y compris des combattants terroristes de l’étranger), ainsi que leurs conjointes et leurs enfants. Distinguer les innocents et les coupables dans cette situation est complexe. Ceux qui sont partis du Canada avec l’intention de se joindre à une organisation terroriste et de se battre pour elle sont manifestement responsables de leurs actes et doivent en rendre compte. À l’inverse, leurs enfants ne doivent manifestement pas être tenus responsables des gestes posés par leurs parents. Les conjointes des combattants de l’État islamique/Daesh peuvent avoir été influencées ou contraintes d’accompagner leurs conjoints et peuvent également être victimes de violences sexuelles ou autres, mais elles peuvent également avoir été volontairement complices d’atrocités ou d’autres actes de violence.

Les députés qui ont préparé le rapport ne sont pas naïfs quant à la complexité des différentes situations où des innocents et des coupables font partie de la même famille. Toutefois, nous maintenons que le gouvernement a la responsabilité de mettre en place des mécanismes pour protéger les droits de la personne d’enfants innocents et d’autres Canadiens innocents qui peuvent se trouver dans ces camps, tout en punissant les coupables. Le Canada ne peut pas tolérer la détention indéfinie de ces enfants simplement en raison des crimes commis par l’un de leurs parents ou les deux. Le gouvernement dispose de diverses options stratégiques pour répondre à cette situation. Il est essentiel que toute mesure prise ait pour effet de défendre les droits et la dignité des enfants innocents, plutôt que de les punir pour les crimes de leurs parents. « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » n’est pas une façon appropriée de répondre à la complexité de la situation.

Les témoignages

Nous aimerions attirer l’attention de la Chambre sur certaines des observations faites au comité au sujet de la situation actuelle en lien avec les droits des enfants canadiens, en plus de ce qui figure dans le corps principal du rapport. Beaucoup de témoins ont souligné les conditions désastreuses dans lesquelles se trouvent ces enfants innocents, ainsi que la grande volonté des autorités kurdes de faciliter leur rapatriement.

Mme Farida Deif, directrice canadienne de Human Rights Watch, a parlé de la situation de ces enfants dans son témoignage. Elle a dit au comité que le Canada « n’a même pas aidé à vérifier la citoyenneté des 20 enfants et plus nés en Syrie de parents canadiens, les laissant ainsi sans nationalité officiellement reconnue. » Lorsqu’on lui a demandé quelle note elle donnerait au Canada pour le respect des droits de la personne en lien avec ses citoyens dans le Nord-Est de la Syrie, Mme Deif a dit « Je ne lui donnerais pas la note de passage puisque le gouvernement n'a pas rapatrié d'urgence ses ressortissants. Aucun groupe de travail n'a été créé pour étudier cette question. J'ignore si le premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères reçoivent régulièrement des comptes rendus sur la santé et le bien-être de ces Canadiens. » 

Un autre témoin, Mathieu Paiement, a également dit au comité à ce sujet que :  « Dans ce contexte d'urgence, l'Allemagne et la Finlande ont rapatrié 23 enfants juste avant Noël, et, au début de 2021, la France est allée y chercher sept enfants, en évoquant des raisons humanitaires et de santé. À ce rythme, en quelques semaines, tous les enfants canadiens prisonniers dans les camps du nord-est de la Syrie auraient pu être rapatriés. »

Mme Fionnuala D. Ní Aoláin, rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a également abordé cette question et a réclamé des mesures appropriées de toute urgence. Elle a dit qu’ « Il existe une solution, et nous voyons de nombreux États la mettre en place en rapatriant leurs ressortissants. » De plus, elle a exprimé des préoccupations à l’égard des efforts actuels du Canada sur ce front et elle a exhorté « instamment au gouvernement et à votre comité parlementaire de s'attarder immédiatement au problème. Ainsi, le Canada sera un chef de file en la matière plutôt que de figurer sur une liste honteuse parce qu'il refuse de rapatrier ses femmes et ses enfants. »

Paul Champ (avocat chez Champ and Associates) a soutenu que le gouvernement canadien est tenu de rapatrier les détenus canadiens en vertu de ses propres lois. Voici ce qu’il a déclaré au comité : « Les représentants du gouvernement canadien ne seront pas d’accord avec mon avis juridique voulant que le Canada a le devoir d’agir. Ils diront que la Charte [des droits et libertés] ne s’étend pas à l’étranger et n’oblige pas le gouvernement à intervenir pour aider les Canadiens dans leurs efforts pour quitter un pays étranger. Dans la plupart des contextes, je serais d’accord avec eux, mais j’ai participé à des causes où j’ai réussi à contraindre le gouvernement canadien à rapatrier des citoyens canadiens au Canada lorsqu’ils risquaient de subir de graves violations des droits de la personne. C’est là toute la différence. Lorsque le Canada sait qu’un citoyen à l’étranger risque de subir une grave violation des droits de la personne, comme la torture ou la mort, il peut prendre des mesures. S’il est en son pouvoir de diminuer ou d’atténuer ce risque, la Charte des droits et libertés s’applique. » M. Champ a ajouté : « Lorsque les forces de défense syriennes déclarent qu’elles ne libéreront les enfants canadiens que si le Canada accepte de les rapatrier, c’est le Canada qui détient les clés de ces camps de prisonniers. »

Dans son témoignage, Mme Farida Deif a souligné ce qui semble expliquer la désinvolture du Canada dans cette affaire, et a suggéré une voie possible à suivre. « Je pense que le véritable obstacle, dans ce cas-ci, c'est que le gouvernement ne souhaite pas rapatrier les adultes. En effet, en rapatriant un orphelin, il n'a pas besoin de rapatrier les adultes qui l'accompagnent… De toute évidence, le Canada dispose d'un système judiciaire solide dans lequel on peut poursuivre ici, au Canada, les personnes susceptibles d'avoir commis des crimes. Comme l'a dit le rapporteur spécial, il n'y a manifestement aucun moyen de faire cela dans le Nord-Est de la Syrie actuellement. Nous demandons donc que tous les Canadiens soient rapatriés, et pas seulement les enfants. Nous demandons que les enfants ne soient certainement pas séparés de leurs parents ou de leur tuteur, à moins que ce soit dans l'intérêt supérieur de l'enfant, que toutes ces personnes soient rapatriées, réintégrées et réinstallées au Canada, et que toute personne ayant pu commettre des crimes soit poursuivie en justice. C'est essentiellement ce que nous demandons. »

Dans son rapport exhaustif Ramenez-moi au Canada, Human Rights Watch décrit la situation dans les camps de détention : « Dans les camps fermés pour femmes, jeunes filles et jeunes garçons, les tentes s’effondrent sous les vents violents, ou sont inondées par les fortes pluies ou les eaux usées. Certaines femmes, dont au moins une Canadienne, disent être sur une « liste de personnes à éliminer » dressée par l’État islamique/Daesh à propos de celles qui ont refusé de soutenir le groupe. Quand elle ne manque pas, l’eau potable est souvent contaminée. Les latrines débordent, les chiens abandonnés fouillent dans les ordures qui jonchent le sol et les maladies sont fréquentes, notamment les infections virales. Les soins médicaux sont totalement inadaptés. À Al-Hol — le plus important des deux camps pour femmes et enfants avec environ 65 000 détenus, le Croissant-Rouge kurde a indiqué qu’au moins 517 personnes, dont 371 enfants, étaient mortes en 2019 — la plupart des suites de maladies évitables. »

Les témoignages démontrent bien que la vie des enfants canadiens détenus dans ces conditions est constamment en danger. M. Champ a déclaré ce qui suit à propos des enfants dans ces camps : « L’ONU a également signalé que beaucoup d’enfants sont en train de mourir. Ils meurent de malnutrition, de déshydratation, de diarrhée et d’hypoglycémie. Qui plus est, la violence qui sévit dans ces camps rend leur vie quotidienne encore plus désespérée. L’exploitation et les agressions sont monnaie courante. Des personnes sont tuées par des tirs presque quotidiennement. »

Justin Mohammed, responsable des campagnes, Lois et politiques sur les droits de la personne d’Amnistie internationale Canada a souligné que les mesures entreprises à l’égard de cette question doivent l’être de manière équitable. Il a dit au comité que le gouvernement du Canada doit s’assurer que « ces mesures ne soient pas discriminatoires sur la base du sexe, des opinions politiques ou de la religion, et qu’elles respectent les droits de l’enfant et le principe de l’unité familiale. »

Des témoins ont dit que l’affirmation du gouvernement selon laquelle il n’a pas le pouvoir de rapatrier les Canadiens détenus dans les camps d’Al-Hol et d’Al-Roj est réfutée à la fois par la capacité de nos alliés de rapatrier leurs citoyens et par le rapatriement d’une orpheline de cinq ans, Amira, à l’été 2020. M. Mathieu Paiement a déclaré « Il est question véritablement de 25 enfants. Le gouvernement a attendu d'avoir la preuve que cette enfant était orpheline. En fait, il a rapatrié l'unique orpheline, comme si elle seule, parce qu'elle n'avait pas de soutien parental, méritait d'être rapatriée. Cependant, la situation dans les camps est à ce point grave que tous les autres enfants auraient dû être rapatriés en même temps. » Les autorités kurdes veulent faciliter le rapatriement et ont travaillé en ce sens par le passé avec le Canada et d’autres alliés.

Les députés conservateurs, du Bloc Québécois et du NPD membres du comité sont reconnaissants à ces témoins pour leur travail et leurs témoignages. Le comité n’a pas entendu de témoins contredire les témoignages présentés, ou défendre de quelque manière l’échec du gouvernement à protéger les droits de ces enfants. Nous croyons, comme les témoins, que le gouvernement a renoncé à ses engagements antérieurs de toujours protéger les droits des Canadiens. Le premier ministre a déjà dit : « Un Canadien est un Canadien, un point c’est tout. » Nous soulignons en particulier à cet égard les commentaires suivants de Paul Champ :

« Je vous laisse réfléchir à ce qui suit, car on peut imaginer la situation sous un angle différent. Si la Chine disait demain qu’elle libérait les deux Michaels, mais seulement si le Canada acceptait de venir les chercher? L’un d’entre nous doute-t-il qu’un avion des Forces canadiennes décollerait pour la Chine en quelques heures? Pourtant, ces enfants attendent depuis des années. N’oublions pas que les deux Michaels sont des adultes qui se sont rendus en Chine volontairement. Ces enfants sont innocents. Ils n’ont pas fait le choix de se rendre dans une zone de guerre, et pourtant, c’est dans une zone de guerre qu’ils sont pris au piège. Ils sont complètement innocents. Le Canada a le pouvoir de les rapatrier. »

Recommandations

À la lumière de ces témoignages, nous recommandons, en tant que majorité des membres du comité, que le gouvernement du Canada agisse immédiatement pour faciliter le rapatriement rapide des enfants canadiens et de toutes les autres personnes innocentes détenus de façon arbitraire à l’étranger, en particulier dans les camps d’Al-Hol et de Al-Roj, dans le Nord-Est de la Syrie. Nous recommandons aussi que le gouvernement du Canada fournisse immédiatement des services consulaires à tous les Canadiens détenus dans le Nord-Est de la Syrie. D’après les témoignages des témoins et l’expérience de nos alliés, le comité n’a aucun doute que le gouvernement a la capacité de fournir cet appui.

La politique actuelle de laisser les enfants en détention pour une période indéterminée pour les punir des crimes d’autrui, et de se cacher derrière la complexité de départager les innocents des coupables afin de justifier de ne rien faire pour les innocents, est immorale et contraire aux valeurs canadiennes. C’est une profonde trahison de l’engagement de toutes les nations civilisées envers leurs citoyens. La vie de ces enfants est en danger chaque jour qu’ils se trouvent dans ces camps, et la vie de chaque enfant devrait être une priorité pour le gouvernement. Tous les enfants sont importants. « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » n’est pas une perspective civilisée. Il est temps de mettre fin à l’approche actuelle et de mettre en place une politique pour protéger les droits de ces enfants innocents.