La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
Édition 2000Plus d’informations …
 Recherche 
Page précédenteProchaine page
… depuis des années, voire des dizaines d’années, toute l’étude de la procédure parlementaire se ramène à la recherche du juste milieu entre le droit de parler aussi longuement qu’il semble opportun de le faire et le droit du Parlement de prendre des décisions.

Stanley Knowles, député (Winnipeg-Nord-Centre)
(Débats, 20 mai 1965, p. 1530)

L

’un des principes fondamentaux de la procédure parlementaire est que le débat à la Chambre des communes doit pouvoir aboutir librement à une décision dans un délai raisonnable [1]. Ce qui peut sembler raisonnable à un parti peut fort bien être injuste aux yeux d’un autre, mais rares sont les parlementaires qui contestent l’idée que, à un moment donné, le débat doit prendre fin [2] . La très grande majorité des travaux de la Chambre sont menés à bien sans qu’il faille recourir à des procédures spéciales pour limiter le débat ou y mettre fin, mais il existe des dispositions permettant de le restreindre lorsqu’on estime que, sans cette intervention, aucune décision ne sera prise, en tout cas pas dans des délais raisonnables. Malgré le fait que les modifications apportées au Règlement aient rendu l’obstruction systématique de la part de l’opposition moins fréquente, une solide connaissance de la procédure permet encore aux députés de prolonger considérablement le débat sur une affaire donnée.

Davantage que ne le prévoient les règles normales, les règles touchant la limitation du débat permettent à la Chambre en son entier de se prononcer sur la proposition qui vise à limiter les délibérations sur une affaire. Une distinction s’impose toutefois entre la « liberté de parole » et la possibilité donnée au député de participer au « débat ». La question de la liberté de parole du député, privilège parlementaire fondamental, ne se pose pas dans ce contexte. (Au sens parlementaire, la « liberté de parole » désigne l’immunité accordée au député, qui ne peut être poursuivi pour aucun propos tenu à la Chambre ni dans ses comités, plutôt que l’idée générale d’une possibilité illimitée de prendre la parole.) Lorsqu’on lui demande de se prononcer sur la recevabilité d’une motion tendant à limiter le débat, le Président n’a pas à juger de l’importance de l’affaire à l’étude ni du caractère « raisonnable » de la période consentie pour le débat, mais uniquement de la recevabilité de la procédure [3] . Des Présidents ont statué qu’une motion recevable tendant à limiter la participation des députés au débat sur une motion dont la Chambre est saisie ne constitue pas de prime abord une atteinte au privilège parlementaire [4] .

À l’époque de la Confédération, peu de règles permettaient de limiter le débat, mais, même alors, il était reconnu qu’un débat sans limites n’était pas possible et qu’il fallait faire preuve d’une certaine retenue ou trouver quelque arrangement pour que la Chambre puisse expédier ses travaux avec une célérité raisonnable [5] . Pendant les 45 premières années de la Confédération, le seul moyen à la disposition du gouvernement était la question préalable [6]. Non seulement n’y avait-il aucun autre moyen de mettre fin à un débat dans des délais raisonnables, mais aucune disposition formelle ne restreignait la durée des débats, et les interventions n’étaient aucunement limitées. Les relations concernant les travaux de la Chambre étaient largement fondées sur un esprit de fair-play mutuel et les arrangements officieux ou la « clôture par consentement » régissaient le déroulement des débats. Pour reprendre les propos du premier ministre Robert Borden :

… à une certaine phase du débat, lorsque, de l’avis des principaux membres de toute la députation, la discussion était rendue assez loin, il a été d’usage de s’entendre et de fixer un jour, et les députés qui ne pouvaient pas attirer l’attention de monsieur [le Président] dans le délai prescrit étaient empêchés de prendre part aux débats par les arrangements des deux partis et la question était tranchée de cette manière [7] .

Les premières règles régissant les travaux de la Chambre réservaient une bonne part des délibérations aux projets de loi d’intérêt privé et à d’autres travaux proposés par de simples députés. Comme le rôle du gouvernement dans l’économie était modeste, les affaires du gouvernement ne représentaient qu’une faible partie de la charge de travail de la Chambre [8] . Après 1900, l’évolution de la nature des affaires dont la Chambre était saisie, et notamment le volume croissant des mesures d’initiative ministérielle, ont provoqué une augmentation constante de la proportion du temps de la Chambre réservée aux Ordres émanant du gouvernement. Le temps de la Chambre est devenu une denrée précieuse, ce qui a donné lieu à des affrontements partisans parfois féroces. C’est ainsi que l’opposition a été de plus en plus portée à faire obstacle à l’adoption des projets de loi du gouvernement en retardant le débat et en recourant à des tactiques d’obstruction [9] .

Cette évolution de l’attitude des parlementaires et de la charge de travail du gouvernement a amené la Chambre à adopter des règles et des usages qui allaient, d’une part, faciliter la gestion courante de son temps [10]  et, d’autre part, limiter le débat et accélérer le cours des choses dans les cas jugés importants ou urgents. Le présent chapitre porte sur ce dernier aspect et explique comment le débat peut être limité par le recours à la question préalable, à la clôture et à l’attribution de temps, et au moyen d’une « motion pour affaire courante » proposée par un ministre pour passer outre à l’exigence du consentement unanime [11]  et d’une motion visant à suspendre l’application de certains articles du Règlement relativement à une affaire jugée urgente [12] .


Haut de la pagePage précédenteProchaine page