La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 5. La procédure parlementaire - Contenu et introduction

5. La procédure parlementaire

Photo de haut-relief intitulé “Chambre des communes” de la Série Acte de l’Amérique du Nord britannique de la Collection Patrimoine dans la salle de la Chambre des communes.

 

 

 

 

 

 

L’autorité du Président n’est pas plus considérable que ne le veulent les députés. Lorsque les règles sont claires et régissent parfaitement les décisions du Président, son autorité est absolue et incontestée, car elle représente la volonté de la Chambre. Par ailleurs, lorsque rien ne le guide, le Président s’impose la plus grande prudence. Tout au plus, il est autorisé à renvoyer le problème à la Chambre pour que la Chambre elle‑même crée le nouveau précédent.

Président Jeanne Sauvé

(Débats, 18 mars 1982, p. 15556)

La procédure parlementaire a été décrite comme étant une « méthode qui permet de décider quand et comment le pouvoir doit être exercé[1] ». En vertu d’une telle définition, la procédure apparaît d’emblée comme le « moyen » servant à circonscrire l’usage du pouvoir, en même temps qu’un « processus » qui légitimise l’exercice du pouvoir et sa contestation. On a aussi dit qu’elle était « une combinaison de deux éléments, le traditionnel et le démocratique[2] ». Autrement dit, la procédure parlementaire fondée sur le modèle britannique non seulement dérive d’une compréhension et d’une acceptation de la façon dont les choses se sont déroulées par le passé, mais s’inscrit dans une culture particulière qui évolue selon des principes démocratiques. Ces principes, qui forment le « droit parlementaire[3] », ont été résumés de la manière suivante par John George Bourinot, un expert en procédure parlementaire et Greffier de la Chambre des communes du Canada de 1880 à 1902 :

Les grands principes qui sont à la base du droit parlementaire anglais n’ont jamais été perdus de vue par les assemblées législatives canadiennes. Ce sont : protéger la minorité et restreindre l’imprévoyance et la tyrannie de la majorité, régler les affaires d’intérêt public de manière convenable et ordonnée, donner à chaque parlementaire la possibilité d’exprimer son avis dans les limites du décorum et éviter les pertes de temps inutiles, accorder la latitude voulue pour l’examen de chaque mesure et faire en sorte qu’aucune décision législative ne soit prise à la légère ou sur une impulsion soudaine[4].

Des analystes de l’histoire parlementaire canadienne ont fait observer que l’idéal de « protéger la minorité » a nécessité une adaptation aux impératifs d’efficacité d’un corps législatif dans le monde moderne[5]. Depuis l’adoption de règles touchant la clôture et l’attribution de temps, en 1913 et 1969 respectivement, ainsi que d’autres règles décrétées par la Chambre, la majorité au pouvoir est mieux en mesure de faire avancer son programme législatif malgré les objections de la minorité. Il demeure que la procédure parlementaire vise à établir un équilibre entre la volonté du gouvernement de faire approuver ses mesures par la Chambre, et la responsabilité de l’opposition d’en débattre sans paralyser complètement le déroulement des travaux[6]. Bref, le débat à la Chambre est nécessaire, mais il doit conduire à une décision dans un délai raisonnable.

Les délibérations de la Chambre des communes sont régies par un vaste ensemble de règles et d’usages parlementaires — les usages (ou pratiques) représentent la partie de la procédure qui s’est imposée spontanément et qui est devenue la manière normale d’agir, bien qu’elle ne soit pas inscrite dans les règles officielles (le Règlement)[7]. Comme on l’indique au chapitre 1, bon nombre de ces règles et usages prirent naissance au Royaume‑Uni, tandis que d’autres trouvèrent leur origine dans les assemblées législatives antérieures à la Confédération[8] et furent adoptés par la suite au Canada. D’après May, certains de ces usages virent sans doute le jour au Parlement lui‑même, mais d’autres peuvent être rattachés à des pratiques analogues dans les cours de justice médiévales et les conseils de l’Église[9]. Certaines règles sont demeurées pratiquement les mêmes pendant les quatre cents dernières années[10], tandis que d’autres ont évolué pour devenir, avec le temps, l’usage normal. Enfin, l’origine de certaines pratiques parmi les plus anciennes se perd dans la nuit des temps[11].

Comme on le verra dans le présent chapitre, les procédures et usages de la Chambre des communes se fondent sur la Constitution et les lois, le Règlement et la pratique de la Chambre ainsi que sur les décisions des Présidents.



[1] Franks, C.E.S., The Parliament of Canada, Toronto : University of Toronto Press, 1987, p. 116.

[2] Wilding, N. et Laundy, P., An Encyclopaedia of Parliament, 4e éd., Londres : Cassell & Company Ltd., 1972, p. 605.

[3] Black, H.C., Black’s Law Dictionary, 8e éd., sous la direction de B.A. Garner, St. Paul (Minnesota) : Thomson West, 2004, p. 1148, définit le droit parlementaire comme étant « l’ensemble de règles et de précédents qui régissent les délibérations des organes législatifs et autres assemblées délibérantes ».

[4] Bourinot, J.G., Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 2éd., rev. et augm., Montréal : Dawson Brothers, Publishers, 1892, p. 258‑259.

[5] Selon C.E.S. Franks, trois réalités modernes ont engendré un système de règles plus rigides : le volume toujours plus grand d’affaires soumises à la Chambre, la transformation des fonctions de députés en travail à plein temps, et l’empressement toujours plus grand de l’opposition à utiliser des tactiques dilatoires (Franks, p. 128‑129).

[6] En 2007, à la 39e législature minoritaire (2006‑2008), le Président Milliken a déclaré : « […] ni la réalité politique du moment ni la seule force du nombre ne devraient nous obliger à mettre de côté les valeurs inhérentes aux conventions et aux procédures parlementaires qui régissent nos travaux » (Débats, 29 mars 2007, p. 8136).

[7] May, T.E., Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd., sous la direction de sir W. McKay, Londres : LexisNexis UK, 2004, p. 3‑4.

[8] En témoignage de la validité des expériences antérieures à la Confédération, on nomma, dès les premiers jours de la 1re législature, un comité spécial chargé d’aider le Président à préparer des règles et règlements permanents pour la Chambre; dans ses délibérations, ce comité devait étudier les « règles et ordres permanents de la Chambre des communes impériale, de l’Assemblée législative de la ci‑devant Province du Canada et des chambres d’assemblée des provinces de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau‑Brunswick » (Journaux, 15 novembre 1867, p. 16).

[9] May, T.E., Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 22e éd., sous la direction de sir D. Limon et W.R. McKay, Londres : Butterworths, 1997, p. 4.

[10] Voir l’ouvrage « De Republica Anglorum », rédigé par sir Thomas Smith aux environs de 1560, qui contient une liste impressionnante de règles et pratiques ayant à peine changé après plus de 430 ans. L’ouvrage est cité dans Redlich, J., The Procedure of the House of Commons: A Study of its History and Present Form, vol. I, traduction de A.E. Steinthal, New York : AMS Press, 1969 (réimpression de l’éd. de 1908), p. 26‑51.

[11] Griffith, J.A.G. et Ryle, M., Parliament: Functions, Practice and Procedures, 2e éd., sous la direction de R. Blackburn et A. Kennon avec sir M. Wheeler‑Booth, Londres : Sweet & Maxwell, 2003, p. 252.

Haut de page