La procédure et les usages de la Chambre des communes

Deuxième édition, 2009

La procédure et les usages de la Chambre des communes - 15. Les débats spéciaux - Débats exploratoires

 

Depuis le début des années 1990, plusieurs motions invitant la Chambre ou un comité plénier à « prendre note » de certains éléments ont fait l’objet de débats[159]. Ces derniers, appelés « débats exploratoires », sollicitent l’avis des députés sur un aspect donné de la politique gouvernementale. Ils ont été initiés pour permettre aux députés de participer à la formulation de cette politique et de donner leur opinion avant que le gouvernement ne prenne une décision[160].

Certains comités permanents qui ont étudié le concept des débats exploratoires en 1993 et 1994 ont jugé qu’ils constituaient une solution de rechange intéressante aux débats d’urgence, que seul le Président peut autoriser en suivant une série de critères[161]. Étant donné que la Chambre passe la majeure partie de son temps à examiner des mesures législatives, on a jugé que les débats exploratoires donneraient aux députés l’occasion d’analyser en détail des questions de portée nationale. Toutefois, les premières propositions visant à établir une procédure pour la tenue de tels débats n’ont pas été adoptées par la Chambre[162].

Au cours des premières années, le gouvernement donnait habituellement avis d’une motion visant à prendre note d’une question et la mettait en délibération durant les Ordres émanant du gouvernement[163]. Dans d’autres cas, la Chambre adoptait un ordre spécial prévoyant la tenue d’un débat exploratoire à un moment et sur un thème déterminés[164].

En 2001, après en avoir expérimenté la formule, la Chambre adoptait un article du Règlement régissant la programmation et la tenue de débats exploratoires en comités pléniers[165]. Bien que la Chambre ait maintenant recours à cette règle pour la majorité de ses débats exploratoires, elle peut encore en tenir durant les Ordres émanant du gouvernement en examinant une motion présentée par le gouvernement[166].

Au fil du temps, les débats exploratoires ont porté sur une vaste gamme de sujets, tant domestiques qu’internationaux, des essais de missiles de croisière à l’engagement du Canada en Afghanistan, en passant par la situation de l’industrie textile au pays[167].

*   Lancement du débat

Le Règlement permet à un ministre, après consultation avec les autres partis, de présenter une motion fixant les modalités d’un débat exploratoire à venir. Le débat doit être programmé au moins 48 heures à l’avance. Immédiatement après sa présentation, la motion est mise aux voix sans débat ni amendement. À l’heure ordinaire de l’ajournement quotidien à la date fixée pour le débat, la Chambre se forme en comité plénier et le débat prévu est lancé[168].

Il est arrivé que la Chambre convienne de passer outre à la règle du préavis de 48 heures avant le début d’un débat, ainsi qu’à celle voulant qu’un ministre propose la motion établissant les modalités du débat[169]. Par ailleurs, la plupart des débats exploratoires ont l’appui de tous les partis, mais il est arrivé que l’Opposition officielle ait demandé un vote par appel nominal sur la motion visant à programmer le débat[170].

*   Règles et conclusion du débat

Les débats exploratoires tenus en comité plénier sont régis par les règles prévues par le Règlement pour ce type de comité[171]. Ainsi, le nombre d’interventions permises pour chaque député n’est pas limité[172]. Toutefois, le Règlement prévoit pour ces débats quelques exceptions aux règles habituelles. Tout d’abord, les interventions sont d’au plus dix minutes par député et elles peuvent être suivies d’une période de questions et d’observations ne dépassant pas dix minutes. Par ailleurs, la seule motion recevable durant le débat est celle visant à lever la séance. Finalement, fait exceptionnel dans le contexte des comités pléniers, le Président de la Chambre peut également présider les délibérations.

Le débat se termine quand personne ne demande à intervenir ou après quatre heures de débat, selon la première éventualité. La séance du comité est alors immédiatement levée; la Chambre ne procède pas à ses délibérations habituelles sur la motion d’ajournement, mais s’ajourne plutôt automatiquement jusqu’au jour de séance suivant. La motion étudiée par le comité, selon laquelle le comité prend note d’un thème particulier, n’est pas mise aux voix dans ce processus. Lorsque le comité lève sa séance au terme du débat, cette motion est retirée du Feuilleton.

Il est fréquent que la Chambre vienne modifier par ordre spécial les paramètres et règles de tels débats. Ainsi, elle a souvent modifié l’heure du commencement et de la fin des débats[173]. Dans certains cas, elle a étalé le débat sur plus d’un jour de séance[174]. Régulièrement, elle ordonne que la présidence ne reçoive ni demande de quorum, ni motion dilatoire, ni demande de consentement unanime pendant le débat exploratoire[175]. Finalement, pour les débats en comité plénier, elle autorise parfois les députés à partager leur temps de parole avec un autre de leurs collègues[176].



[159] Les premiers essais ont eu lieu en 1992. Les Journaux de la Chambre consignaient alors ces débats sous une rubrique intitulée « Débat spécial » (Journaux, 11 mars 1992, p. 1124, 1127‑1128; 6 mai 1992, p. 1405; 7 mai 1992, p. 1418; 7 décembre 1992, p. 2291-2292, 2300). Dans le cadre des deux derniers débats, la motion principale devant la Chambre a été mise aux voix et adoptée (Journaux, 7 mai 1992, p. 1418; 8 décembre 1992, p. 2306-2308).

[160] Voir les commentaires du premier ministre à ce sujet (Débats, 25 janvier 1994, p. 261‑262). Une pratique semblable existe à la Chambre des communes britannique où un ministre peut proposer une motion demandant « Que cette Chambre s’ajourne maintenant » afin de s’engager dans un débat général sur un sujet qui n’oblige pas la Chambre à se prononcer. À la fin du débat, la motion est habituellement retirée avec le consentement de la Chambre. Voir May, T.E., Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd., sous la direction de sir W. McKay, Londres : LexisNexis UK, 2004, p. 325-326.

[161] Pour plus d’information sur ces critères, voir la section intitulée « Débats d’urgence » du présent chapitre.

[162] Voir le 81e rapport du Comité permanent de la gestion de la Chambre, p. 20-21, présenté à la Chambre le 1er avril 1993 (Journaux, p. 2774) et le 30e rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, présenté à la Chambre le 17 juin 1994 (Journaux, p. 610). Dans l’un comme dans l’autre, on recommandait de tenir un débat spécial dès que 100 députés en faisaient la demande et de ne pas y autoriser les motions dilatoires. Le rapport de 1994 énonçait une série de mesures visant à limiter la durée et le nombre de ces débats.

[163] Voir, par exemple, Journaux, 14 novembre 1994, p. 877, 879; 11 mars 1996, p. 75, 78.

[164] Les débats étaient souvent tenus en dehors des heures normales de séance. Voir, par exemple, Journaux, 28 février 1996, p. 9-10; 7 octobre 1998, p. 1132, 1135-1136.

[165] Journaux, 24 avril 2001, p. 322; 1er mai 2001, p. 351; 20 septembre 2001, p. 621; 1er octobre 2001, p. 671; 15 octobre 2001, p. 709.

[166] Voir, par exemple, Journaux, 28 octobre 2002, p. 119.

[167] Voir, par exemple, Journaux, 26 janvier 1994, p. 67 (essais de missiles de croisières); 14 décembre 2004, p. 355 (situation de l’industrie textile); 10 avril 2006, p. 42 (engagement du Canada en Afghanistan). La Chambre ou les comités pléniers peuvent aussi tenir des débats exploratoires sur des rapports émanant des comités permanents. Voir, par exemple, Journaux, 12 décembre 2006, p. 899. Par ailleurs, le quatrième rapport du Comité spécial sur la modernisation et l’amélioration de la procédure à la Chambre des communes mentionnait que, les associations parlementaires devraient être encouragées à présenter des demandes de débats exploratoires sur des questions importantes ou sur lesquelles elles avaient présenté un rapport à la Chambre. Voir par. 51 du rapport, présenté à la Chambre le 12 juin 2003 (Journaux, p. 915) et adopté le 18 septembre 2003 (Journaux, p. 995).

[168] Art. 53.1 du Règlement.

[169] Voir, par exemple, Débats, 28 janvier 2002, p. 8298; 3 février 2004, p. 71.

[170] Voir, par exemple, Débats, 12 février 2004, p. 516-517. Le leader parlementaire de l’Opposition s’opposait à ce qu’on tienne le débat un jour désigné.

[171] Art. 53.1, 100, 101, 102 et 103 du Règlement.

[172] Dans la pratique cependant, l’Occupant du fauteuil souhaite habituellement que tous les députés puissent d’abord intervenir une première fois avant de redonner la parole à ceux et celles qui sont déjà intervenus. Voir, par exemple, Débats, 3 octobre 2006, p. 3599.

[173] Journaux, 4 décembre 1995, p. 2203; 5 avril 2006, p. 23.

[174] Par exemple, un débat sur l’encéphalopathie bovine spongiforme s’est déroulé les 7 et 12 octobre 2004 (Journaux, 7 octobre 2004, p. 33-34, 58-59; 12 octobre 2004, p. 81, 83).

[175] Voir, par exemple, Journaux, 1er mai 2006, p. 113.

[176] Voir, par exemple, Journaux, 2 octobre 2006, p. 483.

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