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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 035 
l
1re SESSION 
l
44e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 31 octobre 2022

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

    Soyez les bienvenus à la réunion no 35 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
    Conformément à l'article 108 du Règlement et à la motion adoptée le 22 septembre, le Comité se réunit pour commencer l'étude de l'objet du projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
    Conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022, la réunion épouse la formule hybride: des membres sont présents en personne dans la salle et d'autres participent à distance grâce à l'application Zoom.
    Voici quelques conseils à l'intention des témoins et des membres.
    Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous l'aie nommément accordée. En visio, pour activer son microphone, on clique sur son icône. Prière de désactiver le micro entre les prises de parole. Sur Zoom, on a le choix, pour entendre l'interprétation, entre le parquet, l'anglais ou le français. Ceux qui sont présents sur place peuvent se servir de l'écouteur et choisir le canal voulu.
    Adressez toutes vos observations à la présidence. Aux membres présents sur place qui veulent prendre la parole, il est demandé de bien vouloir lever la main. Sur Zoom, on emploie la fonction « Lever la main ». Le greffier et moi ferons de notre mieux pour bien vous inscrire sur la liste des intervenants.
    Sachez que le matériel des témoins a satisfait à tous les tests de qualité sonore.
    J'emploie deux cartons pour vous faire signe. Quand il vous restera 30 secondes de parole, que vous soyez témoin ou membre, je montrerai celui‑ci. Quand votre temps sera écoulé, je montrerai le rouge. Veuillez vous le rappeler, ce qui m'évitera de vous faire perdre le fil. Veuillez commencer à conclure quand je montrerai le premier.
    Accueillons nos premiers témoins. Il s'agit d'abord, en visioconférence, de la directrice des programmes d'Action Now Atlantic, Mme Holly Foxall; en visioconférence également, du professeur Hugues Parent, de l'Université de Montréal; ainsi que des représentants du Service des poursuites du Manitoba: sa directrice Michele Jules et M. Ami Kotler.
    Chaque organisme dispose de cinq minutes.
    Entendons d'abord le Service des poursuites du Manitoba.
    Bonjour. Je remercie les membres du Comité de leur invitation.
    Le ministre de la Justice du Manitoba Kelvin Goertzen s'est engagé à fond sur cette question. Après l'abrogation de l'article 33.1, il a instamment réclamé une mesure législative. Il a offert son aide, sous toutes les formes possibles. Nous voici donc, dans l'espoir de vous assister dans vos délibérations sur cette question complexe.
    Je suis accompagnée d'Ami Kotler, avocat général de notre unité d'appel, qui a représenté le Manitoba à la Cour suprême dans l'affaire Brown ainsi que dans Chan et Sullivan.
    Jusqu'ici, pendant vos travaux, il a été affirmé un certain nombre de fois que les cas d'intoxication extrême sont rares. En notre qualité de représentants du bureau chargé des poursuites au pénal au Manitoba, nous convenons que, par rapport à l'ensemble des infractions, ces cas sont rares, mais ça ne signifie pas qu'ils soient rarement soulevés ou que leurs répercussions dans nos communautés soient négligeables. Actuellement, les tribunaux du Manitoba doivent en juger plusieurs.
    Dans une affaire jugée pas plus tard que la semaine dernière, l'accusé avait tiré un coup de fusil de chasse dans la porte d'entrée d'une maison prise au hasard, ratant de peu un enfant. Il avait consommé de la « crystal meth » et il était complètement incohérent. Des agents l'ont vu manger ses propres excréments dans la salle d'interrogatoire, après son arrestation.
    Dans une affaire jugée l'année dernière, l'accusé avait sauté dans le véhicule d'une étrangère prise au hasard et il l'avait poignardée à mort. Il était torse nu, nu‑pieds et il a été décrit comme s'exprimant en diverses langues. Le juge de première instance a remarqué qu'il avait pris plusieurs drogues, notamment, encore, de la « crystal meth », et que son comportement montrait qu'il se trouvait dans une réalité différente, qu'il était détaché de la nôtre.
    En mai dernier, pour une troisième affaire pour laquelle on avait décidé d'une accusation d'homicide, le juge chargé de déterminer la peine a invité l'accusé à retirer son plaidoyer de culpabilité, dans le sillage de l'arrêt Brown. L'accusé ayant accepté, l'affaire attend d'être jugée en septembre 2023. D'autres affaires semblables sont en instance. Nous plaiderons dans celle dont nous venons de parler.
    Je cite ces exemples pour souligner l'importance d'une disposition comme l'article 33.1. Ils montrent que le système de justice peut réagir à la menace posée par de puissants stupéfiants qui font commettre d'extraordinaires violences contre, souvent, des victimes de rencontre. Un ensemble bien établi de faits médicaux corrèle des drogues très répandues comme la « crystal meth » à la psychose toxique, aux illusions paranoïdes et à des comportements agressifs et violents. Ces drogues induisent souvent des tendances au suicide, à l'homicide, une psychose et un comportement ainsi que des gestes anormaux.
    Le système de justice doit pouvoir réagir à cette violence qui, non seulement met en péril la vie et la sûreté des membres de la communauté au service de laquelle nous sommes, mais qui mine également la confiance du public dans l'administration de la justice et la primauté du droit.
    Dans le même temps, il importe que la loi reconnaisse les réalités des toxicomanies, particulièrement dans les communautés marginalisées, qui sont aux prises avec les conséquences intergénérationnelles de la colonisation. Si nous sommes vraiment déterminés à favoriser la réconciliation, nos lois doivent criminaliser les comportements moralement répréhensibles, mais non les toxicomanies ni la pauvreté. Voilà pourquoi nous croyons que la réponse ne se trouve pas dans la création d'une infraction d'intoxication extrême. Nous appuyons la décision de lier la responsabilité à la négligence et, particulièrement, de prendre en considération les mesures prises par l'accusé toxicomane pour éviter de mettre en danger autrui, quand on veut déterminer s'il y a eu écart marqué par rapport au critère de la personne raisonnable.
    Cette position équilibrée reconnaît les difficultés qu'affrontent beaucoup de membres de notre profession tout en continuant d'insister pour que, en toutes circonstances, il faille toujours prendre des mesures raisonnables pour protéger autrui contre les conséquences de ses propres actions dangereuses. Nous reconnaissons que certains peuvent estimer que la loi s'en trouve affaiblie. Respectueusement, nous sommes d'avis que l'arrêt Brown rend assez évident le besoin de cette marche à suivre. Au fond, une loi n'est pas affaiblie en devenant humaine, équilibrée et équitable. Pour notre part, nous estimons qu'elle en ressort plus forte et, évidemment, plus susceptible de résister à un examen constitutionnel.
    Pour répondre à la question puis ensuite conclure, nous discuterons brièvement de la stratégie que nous proposons pour obtenir des condamnations sous le régime du nouvel article.

  (1110)  

    Dans presque tous les cas où l'intoxication de l'accusé frise l'état extraordinaire envisagé par le projet de loi, il a consommé au moins une drogue dangereuse dont les effets, on peut raisonnablement s'y attendre, englobent dissociation, psychose et violence.
    Si, évidemment, chaque jugement se fonde sur les faits et les preuves qu'on aura pu convoquer, nous estimons qu'il est possible de démontrer qu'un accusé qui consomme ces substances dangereuses, particulièrement avec excès ou longtemps, en même temps que d'autres substances dangereuses ou qui en absorbe, inconnues et de provenance inconnue, flirte de ce fait avec un risque prévisible de perdre violemment la maîtrise de soi et de causer un préjudice à autrui.
    Espérons que nous pourrons, par nos questions, obtenir plus de renseignements de vous.
    J'y compte bien.
    Entendons maintenant Mme Holly Foxall, la directrice des programmes d'Action Now Atlantic.
    Vous disposez de cinq minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup également de votre invitation. Je me nomme Holly Foxall, et je m'adresse à vous depuis le Mi'kma'ki, le territoire ancestral et non cédé du peuple micmac.
    Je suis la directrice des programmes d'Action Now Atlantic, une initiative et une campagne visant à mettre fin à la violence sexuelle et à la violence sexiste dans les universités de la région du Canada atlantique, grâce à la sensibilisation, à l'action militante et à l'engagement dans la communauté. Pour lancer ce projet, nous avons eu assez de chance, puisque nous avons reçu du financement du ministère des Femmes et de l'Égalité des genres.
    Notre mission est de promouvoir une culture du consentement sur les campus grâce à des ateliers en virtuel, à la création de matériels et de ressources didactiques et à notre propre réseau d'action militante auprès des jeunes. Une grande partie de notre travail consiste à prendre contact avec d'autres organismes et des individus, de collaborer avec eux et d'adopter une démarche transprovinciale pour résoudre le problème de la violence sexuelle sur les campus du Canada atlantique.
    Cette initiative m'a été inspirée par l'irritation que m'ont fait ressentir mes expériences et celles de mes amis et condisciples, pendant mes études postsecondaires, que j'ai terminées à l'université Queen's. Je me souviens de m'être sentie plongée dans une culture où, tant sur le campus qu'à l'extérieur, la violence sexuelle était normalisée et la notion de consentement, peu comprise ou peu respectée. De retour chez moi, en Nouvelle-Écosse, après mon diplôme, je me souviens d'avoir vu des reportages sur l'existence de cultures et d'attitudes semblables sur les campus d'ici. Souvent, les universités géraient mal les nombreux cas de violence sexuelle signalés sur leur campus, au point de même causer de plus graves préjudices aux victimes.
    Malheureusement, la violence sexuelle reste répandue chez les étudiants. Nous savons qu'une femme sur quatre est sexuellement agressée dans son établissement d'études postsecondaires et que 71 % des étudiants canadiens ont été témoins ou victimes de comportements sexualisés non désirés dans ces établissements.
    Après la rentrée, le premier semestre de l'année universitaire est censé être excitant pour les étudiants, mais il se distingue par la violence sexuelle commise sur le campus. Pendant les huit premières semaines, les « semaines rouges », il se commet la moitié de toutes les agressions sexuelles sur le campus. Loin de leur foyer pour la première fois et privés de leur système habituel de soutien, de nombreux nouveaux sont alors plus vulnérables. Il est indispensable que tous les membres de notre société comprennent bien l'information sur la violence sexuelle et les lois touchant l'intoxication et l'agression, mais ce l'est particulièrement pour ceux qu'attirent le sexe, les drogues et l'alcool.
    À l'annonce de l'arrêt de la Cour suprême sur l'intoxication extrême, beaucoup se sont inquiétés de ses conséquences pour les étudiants et les victimes de violence sexuelle et sexiste. Dans notre société, l'intoxication est souvent un prétexte pour les malfaisants et une façon de délégitimer les dénonciations des victimes.
    Comme tant de Canadiens, je me suis d'abord posé de nombreuses questions sur l'arrêt. Protégerait‑il davantage les agresseurs et multiplierait‑il les obstacles pour les victimes qui les dénonceraient? Limiterait‑il la capacité et la volonté des victimes de signaler des violences sexuelles? Les agresseurs savent‑ils que l'état d'ébriété à lui seul n'est pas une défense contre une accusation d'agression sexuelle?
    Pendant que l'arrêt défrayait l'actualité, le projet de loi C‑28 et ses analyses intéressaient et occupaient beaucoup moins les médias. La compréhension des lois peut influer puissamment sur les comportements et les cultures à l'intérieur de nos communautés. Il importe donc de disposer sur elles de renseignements clairs et faciles à comprendre. On augmente ainsi la confiance dans nos gouvernements et nos institutions juridiques.
    N'étant pas juriste, je ne m'attarderai pas aux détails techniques de l'arrêt et du projet de loi ni à son analyse juridique, mais j'espère apporter le point de vue d'une jeune dans vos discussions. Je suis en mesure d'expliquer pourquoi de nombreuses victimes survivantes ne font pas confiance aux institutions juridiques et pourquoi le taux de dénonciation des cas de violence sexuelle est si bas. Je peux également décrire la réaction initiale sur les campus et l'influence que cet arrêt peut avoir sur les cultures des campus, même après l'adoption du projet de loi C‑28.
    Très soucieuse de la sécurité et du mieux-être des jeunes, particulièrement des victimes de violence sexuelle, je suis convaincue qu'il faut réfléchir de manière critique à tout ce qui risque de favoriser les torts et les préjudices et d'ériger d'autres barrières contre les victimes. La façon par laquelle nos institutions juridiques et nos gouvernements communiquent cette information au grand public est importante pour la sécurité commune et pour la confiance générale envers nos institutions.
    Merci de votre temps.

  (1115)  

    Merci, madame Foxall.
    Entendons maintenant le Pr Hugues Parent, de l'Université de Montréal.
    Vous disposez de cinq minutes.

[Français]

    Tout d'abord, j'aimerais vous informer que j'ai présentement la COVID‑19 et qu'il se peut que je doive interrompre à quelques reprises ma présentation pour reprendre mon souffle. Je m'en excuse. Sans plus tarder, je vais commencer ma présentation.
    En droit, une intoxication extrême peut se manifester essentiellement de deux façons.
    Tout d'abord, il arrive parfois, mais rarement, que l'intoxication extrême perturbe la conscience du sujet au point où ce dernier n'est plus capable d'agir consciemment. Dans ce cas, la personne peut bouger, mais n'est pas consciente de ses actes. En fait, elle est comme un robot. On parlera alors d'une intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme. Le délirium induit par une substance est un exemple d'intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme. Il s'agit exactement du diagnostic retenu par la Cour suprême dans l'arrêt Brown.
    La seconde manifestation de l'intoxication extrême se produit lorsque la personne se trouve sous l'emprise d'idées délirantes ou d'hallucinations prononcées à la suite de sa consommation volontaire de drogues. Dans ce cas, la personne demeure consciente de ses actes sur le plan physique, mais est incapable, en raison de son épisode psychotique, de juger de la nature et de la qualité de ses actes, ou de savoir que ses actes étaient mauvais. C'est ce qu'on appelle l'intoxication extrême voisine de l'aliénation mentale.
    Pour bien comprendre la distinction entre les deux types d'intoxication extrême, prenons l'exemple suivant. Un homme prend de la cocaïne et développe des idées délirantes de persécution. L'homme est persuadé, en raison de ses idées délirantes, que son voisin est membre d'une organisation criminelle qui souhaite le supprimer. L'homme, pour éviter de se faire tuer, prend une arme, se rend chez son voisin et fait feu en sa direction. Ici, l'accusé n'est pas dans un état d'automatisme. Au contraire, cet homme est pleinement conscient de ses actes, dans la mesure où il sait qu'il a une arme dans les mains, qu'il a le doigt sur la gâchette et qu'il fait feu en direction de la victime. Loin d'être inconscient, l'acte commis par cet homme s'inscrit directement dans la poursuite du but que lui imposent ses idées délirantes, c'est-à-dire sauver sa vie en tuant son agresseur. Bien qu'il soit capable de contrôler consciemment sa conduite, l'accusé n'est pas capable, en raison de ses idées délirantes et de sa psychose, de savoir que ses actes sont mauvais, d'où la présence d'une intoxication extrême voisine de l'aliénation mentale.
    Je vais maintenant vous parler de l'intoxication extrême en médecine.
    La présence d'épisodes psychotiques sans perturbation de la conscience est une manifestation bien connue d'une intoxication aux drogues. Discutant des symptômes associés à une intoxication aigüe et de l'importance de tenir compte des épisodes psychotiques sans perturbation de la conscience, la Dre Marie‑Frédérique Allard, une éminente psychiatre en matière légale, écrit ceci: « En tant que psychiatre légiste depuis plusieurs années, régulièrement j'évalue des personnes ayant présent[é] une intoxication sévère lors de la commission d'un délit. Il peut y avoir une altération de l'état de conscience dans des situations très spécifiques (p. ex. : intoxication alcoolique sévère ou aux benzodiazépines, délirium, etc.) mais ce n'est pas la généralité. »
    Dans le cas de l'arrêt Brown, il s'agit de délirium, mais ces situations sont plutôt rares, en effet.
    Lorsqu'il y a une intoxication aigüe par des drogues telles les amphétamines et la cocaïne, substances souvent reliées à des troubles de comportements [que l'on voit en droit criminel], l'état de conscience [de l'individu] n'est pas altéré. Au contraire, les psychostimulants ont la propriété de stimuler la vigilance. Ces substances ont aussi un potentiel élevé d'induire des symptômes psychotiques pouvant même perdurer bien au-delà de la période d'intoxication.
    D'ailleurs, la première intervenante l'a très bien souligné, il y a quelques minutes: « Lorsque les individus souffrent d'un trouble psychotique induit par les stimulants, le cannabis, ou d'autres substances, ils demeurent généralement en mesure de contrôler leurs gestes et conscient[s] de leurs comportements. La perte de contact avec la réalité induite par les substances affecte [donc] principalement leur capacité de savoir que les actes étaient mauvais dans les circonstances. »
    C'est ce qui explique toute l'importance d'ajouter l'intoxication extrême au seuil de l'aliénation mentale à celui de l'automatisme.
    Je vais maintenant vous parler du problème que pose l'article 33.1 du Code criminel tel qu'il est rédigé présentement.
    En limitant la définition de l'intoxication extrême aux cas s'apparentant à l'automatisme, le gouvernement s'attarde à une seule manifestation de l'intoxication extrême: l'automatisme. Il laisse de côté les cas d'intoxication qui n'affectent pas la capacité de l'accusé de maîtriser consciemment sa conduite, mais qui l'empêchent de savoir que son acte est mauvais.
    Malheureusement, je n'aurai pas le temps de faire toute ma présentation. C'est dommage, parce que j'ai pris le temps d'écrire tout cela et c'est extrêmement important.

  (1120)  

    En d'autres termes, ce qui arrivera, c'est que la personne qui se retrouvera dans un état d'intoxication extrême au seuil de l'aliénation mentale sera capable de plaider l'intoxication extrême, parce que l'article 33.1 ne s'attarde qu'aux états d'intoxication extrême au seuil de l'automatisme. À partir de ce moment, une décision sera rendue, et c'est sûr et certain que cela ira devant les tribunaux. L'article 33.1 subira exactement le même sort que l'ancienne mouture.
    Je vous ai donné un rapport à ce sujet, mais je ne peux pas m'exprimer. À partir de là, faites ce que vous voulez.

[Traduction]

    Merci, monsieur Parent.
    Entamons la période de questions. Monsieur Caputo, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie toutes les personnes présentes.
    Pour commencer, monsieur Parent, je suis désolé pour votre santé et je vous souhaite un très prompt rétablissement.
    Madame Foxall, je tiens très rapidement à vous féliciter pour votre travail. En fait, mon épouse fait à peu près le même travail que vous. Elle vient d'assister à un séminaire sur le thème de « Non, c'est non ». En fait, je pense que nous devrions plutôt dire, comme vous, « Seulement oui signifie oui ». J'aime vraiment votre travail et je tenais à ce que tous le sachent.
    Je remercie les représentants des Services des poursuites du Manitoba d'être ici. Il arrive si souvent, dans nos débats théoriques, de ne pas entendre les vraies personnes directement touchées. J'encourage notre comité et tous les autres à convoquer du personnel de terrain, parce que son point de vue, qui est unique en son genre, risque d'être le seul que nous ayons des personnes qui, pour la poursuite, se battent dans les tranchées. J'en suis vraiment reconnaissant.
    Monsieur Kotler, je commencerai par vous. Visiblement, vous êtes un avocat plaidant distingué pour les appelants. Quelle chance, pour nous, de vous accueillir, vous et madame Jules, laquelle est au sommet de votre organisation. Merci.
    J'ai pour vous une question pour des premiers de classe, sur la distinction entre prévisibilité du préjudice et prévisibilité de la perte de maîtrise. Vous risquez d'avoir prévu que nous irions sur ce terrain. Ce sont deux notions très différentes. Je me demande si l'un de vous peut faire des observations sur cette distinction.
    Je n'ai pas le projet de loi sous les yeux. Si je me souviens bien, il renvoie à la prévisibilité du préjudice. Une personne raisonnable doit raisonnablement prévoir que l'intoxication volontaire causera un préjudice. Pouvez-vous faire des observations sur cette distinction et préciser si elle est pertinente?
    Certainement. Je dirais d'abord que le projet de loi renvoie aux deux. Le paragraphe 33.1(2) se lit comme suit: « Pour décider si la personne s'est écartée de façon marquée de la norme de diligence, le tribunal prend en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême et amener la personne à causer un préjudice à autrui. » La disposition fait allusion à la perte de maîtrise et mentionne le préjudice.
    Selon notre interprétation de la décision de la Cour suprême, l'élément de faute de l'infraction doit découler de l'élément physique; ainsi, la négligence doit être liée à un risque de perte de maîtrise de soi violente et non à un simple risque de perte de maîtrise de soi. Plusieurs paragraphes de l'arrêt Brown semblent indiquer que le tribunal a pris une position semblable.
    Cela dit, nous ne voulons pas trop insister sur ce critère — et je pense que vous devriez suivre notre exemple —, car dans de nombreux cas, se mettre dans une situation où l'on perd la maîtrise de soi entraîne nécessairement un risque élevé de violence. Quand on perd la maîtrise de soi, tout devient possible, y compris, par enchaînement logique, la perpétration d'actes de violence. Une personne qui lâche le volant d'une voiture en mouvement ne peut pas être surprise lorsque son véhicule percute autrui. Je crois que M. Fortin a présenté des observations de la même nature durant des séances précédentes.
    Toutefois, c'est possible d'imaginer des affaires où la situation serait différente. Prenez l'exemple d'un défendeur qui aurait ingéré une drogue comme la méthamphétamine en cristaux dans un site de consommation supervisée. Le risque de perte de maîtrise de soi serait prévisible puisque c'est un des effets de cette drogue. Cependant, la personne se serait raisonnablement attendue à être surveillée et tenue à l'écart des autres. Par conséquent, il n'y aurait pas de risque prévisible de causer un préjudice à autrui. Dans une affaire pareille, selon les faits, il ne serait peut-être pas juste de conclure qu'il y aurait eu négligence de la part du défendeur et qu'il serait donc responsable de ses actes, par exemple s'il y avait eu un manque de surveillance ou si la porte n'avait pas été verrouillée.
    Pour terminer, je dirais qu'à mon avis, le libellé actuel du projet de loi met inutilement l'accent sur la prévisibilité de la violence en faisant un critère à part entière. En règle générale, au moment d'interpréter les lois, les juges considèrent le terme « et » comme une indication claire que les éléments sont indépendants; ils ne voient pas une telle formulation simplement comme une façon de décrire le type de pertes de maîtrise de soi sur lequel porte la mesure législative.
    Cela pourrait poser problème, par exemple si un juge déterminait qu'aux termes de la loi, il faut prouver que telle dose de telle substance rend les gens violents, puisque la Couronne dispose rarement de renseignements toxicologiques précis sur les substances consommées par l'accusé. En outre, les drogues illicites sont imprévisibles. Elles évoluent constamment. Ipso facto, il est difficile d'obtenir des témoignages d'experts même dans les cas où ces renseignements sont disponibles.
    Par conséquent, si vous cherchez à modifier le projet de loi, vous pourriez considérer la possibilité d'ajouter un énoncé comme « la prévisibilité du risque de perte de maîtrise de soi violente ». Dans l'arrêt Brown, au paragraphe 119, le juge Kasirer parle du « choix [de consommer] volontairement des substances intoxicantes, lorsque ce choix risque de donner lieu à un crime violent »; il n'est pas question de faire de la perte de maîtrise et du préjudice deux critères indépendants devant être prouvés tous les deux hors de tout doute raisonnable.

  (1125)  

    Je vous remercie. C'est très clair.
    Merci, monsieur Caputo.
    C'est tout?
    D'accord, je vous remercie.
    Madame Diab, vous disposez de six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les témoins et je leur souhaite la bienvenue.
    Nous avons déjà tenu quelques réunions depuis le début de notre étude. Les témoins que nous avons reçus jusqu'à maintenant ont beaucoup parlé de la nature technique de la loi, surtout en ce qui concerne les dispositions relatives au droit pénal, ainsi que de ses répercussions sur les individus. Merci beaucoup de nous aider à réfléchir à la portée du projet de loi.
    Madame Jules, j'aimerais reprendre là où vous vous êtes arrêtée. Au début de votre déclaration, vous avez dit que le Manitoba recommandait instamment au gouvernement d'agir. De fait, le temps presse puisque la décision rendue par la Cour suprême du Canada a créé une lacune. Ensuite, vous avez admis — ce que j'ai trouvé très bien — qu'au moment d'élaborer des politiques et de créer des lois, il faut toujours trouver un équilibre entre l'importance pour le système de justice de réagir et la nécessité de reconnaître certaines réalités au sein de notre société.
    Si je ne m'abuse, vous vous êtes arrêtée juste avant d'expliquer comment vous croyez ou comment le Manitoba croit toujours pouvoir obtenir des condamnations. Vous n'avez pas pu terminer votre déclaration. Pouvez-vous reprendre là où vous vous êtes arrêtée, s'il vous plaît?

  (1130)  

    Certainement.
    Je crois que nous avons déjà dit que nous pensons pouvoir nous servir de la dangerosité inhérente de certaines drogues comme élément de preuve, car tout le monde connaît les effets de ces drogues et peut raisonnablement s'attendre à ce que leur consommation entraîne une perte de maîtrise de soi et une perte de maîtrise de soi violente. Nous prévoyons pouvoir faire appel à des témoignages d'experts dans de nombreuses affaires.
    De plus, beaucoup des individus en question ont des antécédents connus qui ont déjà été présentés au tribunal. Souvent, pour expliquer le comportement de leur client à la cour, les avocats de la défense présentent des observations qui rendent compte du dédoublement de personnalité observé chez l'accusé lorsqu'il consomme une drogue dangereuse. Il est fort probable que nous puissions invoquer des antécédents pour démontrer qu'il était prévisible que la personne en question agisse de manière violente après avoir consommé de la drogue au point de se trouver dans un état d'intoxication extrême.
    Ainsi, nous sommes d'avis qu'il s'agit souvent d'un risque prévisible et que nous aurons des éléments de preuve à soumettre au tribunal pour montrer que la personne a fait preuve de négligence par rapport à une personne raisonnable. Nous sommes convaincus de pouvoir faire valoir cet argument auprès des juges et des jurys, et que la mesure législative permettra de tenir responsables les personnes qui menacent la sécurité des autres membres de la collectivité par leur négligence.
    J'aimerais redemander une précision qui se rapporte à l'argument de Mme Foxall et à une question que j'ai posée la dernière fois que j'ai eu l'occasion de prendre la parole durant une réunion du Comité. Elle concerne la nécessité de faire preuve de clarté et de concision. Beaucoup de fausses informations circulent à ce sujet, surtout depuis quelque temps. En particulier, la quantité de fausses informations publiées en ligne pour les jeunes femmes est énorme.
    Il faut absolument être très clair et éviter le jargon juridique. Il faut utiliser un langage simple dans la loi, peu importe la loi, mais surtout dans des cas comme celui‑ci. Pouvez-vous répéter, pour le compte rendu... Soyons très clairs: un individu qui cause un préjudice à autrui ne doit pas croire qu'il échappera à une condamnation parce qu'il se trouvait, volontairement et par négligence, dans un état dangereux menant à une perte de maîtrise de ses actes. Comprenez-vous ce que je veux dire?
    Oui, je crois comprendre ce que vous voulez dire.
    Je le répète, nous ne pouvons pas garantir qu'il y aura suffisamment d'éléments de preuve dans chaque affaire, mais à notre avis, la mesure législative nous permettra d'obtenir des condamnations.
    Après avoir écouté Mme Foxall, je recommanderais aussi la mise en place d'une stratégie de communication visant à informer la population sur les risques qu'elle court et sur l'attente relative à la prévisibilité dans de telles circonstances. Moi aussi, j'avais des enfants d'âge adulte qui fréquentaient l'université quand la décision a été rendue publique, et en moins de 24 heures, ils ont communiqué avec moi pour me demander: « Maman, est‑ce que c'est vrai qu'il suffit de s'enivrer suffisamment pour pouvoir commettre une agression sexuelle? »
    Je comprends parfaitement ce qu'a dit Mme Foxall et j'appuie la nécessité de faire preuve de clarté. En ma qualité de procureure, il ne m'appartient peut-être pas de faire une telle recommandation, mais d'après moi, il faudrait mettre en place une stratégie de communication afin que la loi soit claire pour les personnes qui pourraient courir ce risque.

  (1135)  

    Je vous remercie.
    Madame Foxall, pour terminer...
    Je suis désolé, madame Diab.
    D'accord.
    Madame Foxall, je vous remercie de vous être jointe à nous virtuellement depuis la Nouvelle-Écosse. Peut-être que quelqu'un d'autre posera la question que j'allais vous poser.
    Merci, madame Diab.
    Nous passons maintenant à M. Fortin, pour six minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Madame Jules, monsieur Kotler, madame Foxall et monsieur Parent, je vous remercie tous de votre présence ce matin.
    Monsieur Parent, je comprends que vous avez été un peu brusqué par la fin précipitée de votre présentation. Nous sommes malheureusement toujours pris avec le problème de la gestion du temps. J'aurais cependant envie de vous entendre davantage, ce matin. Alors, si vous êtes d'accord, j'aimerais vous laisser quelques minutes de mon temps de parole pour que vous complétiez votre présentation.
    Nous sommes prêts à écouter ce que vous vouliez nous dire dans la suite de votre présentation, monsieur Parent.
    Ce que je dis, essentiellement, c'est qu'en se limitant à la définition d'une intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme, l'article 33.1 du Code criminel laisse de côté les manifestations les plus graves et, surtout, les plus fréquentes de l'intoxication extrême, à savoir tous les états psychotiques qui ne diminuent pas la conscience de l'individu. C'est sûr et certain que l'article 33.1, tel qu'il est formulé présentement, laisse de côté tous ces états.
    Je vais vous lire un passage de l'arrêt Brown. Le juge Kasirer est de l'avis suivant:
[...] il convient de signaler que l'intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme est un moyen de défense exigeant, qui oblige l'accusé à démontrer que sa conscience était diminuée à un point tel qu'il n'avait aucun contrôle volontaire de ses actes. Ce n'est pas [...] la même chose qu'un épisode psychotique où le caractère volontaire au sens physique demeure intact.
    L'article 33.1 se limite essentiellement à ce type d'intoxication extrême. Or, dans la majorité des cas d'intoxication extrême, soit 95 %, les personnes ont pris de la drogue, et ce sont des situations où il n'y a pas de diminution de la conscience ni d'état d'automatisme. Par exemple, si une personne prend de la cocaïne, développe des idées délirantes de persécution et tue quelqu'un d'autre par la suite, ce n'est pas un cas d'automatisme. Cela n'a aucun rapport. Donc, l'article 33.1 ne s'appliquerait pas à cette personne. Dans ce cas, la personne pourrait plaider une intoxication extrême au seuil de l'aliénation mentale et elle serait libérée, tout simplement.
    L'article 33.1 se limite à une seule facette de l'intoxication extrême, soit celle qui a été énoncée par la Cour suprême dans l'arrêt Brown, parce que c'était une question de délirium. C'est la manifestation la plus rare d'une intoxication extrême. On parle ici de cas où l'intoxication entraîne un état d'automatisme et où la personne devient comme un robot. C'est extrêmement rare. L'Association des médecins psychiatres du Québec ainsi que l'Association des psychiatres du Canada vous le diront, lorsqu'on parle d'intoxication extrême, dans 95 à 98 % des cas, il s'agit d'une personne qui développe des idées délirantes ou des hallucinations à la suite de la consommation de drogues. Or, ce type de manifestation n'est visé d'aucune façon par l'article 33.1.
    Aux termes de l'article 33.1, l'interdiction de plaider l'intoxication extrême pour défense ne s'applique que dans les cas où « l'intoxication [...] rend une personne incapable de se maîtriser consciemment ou d'avoir conscience de sa conduite ». Cela a pour effet de laisser de côté les manifestations les plus graves et, surtout, les plus fréquentes associées à une intoxication volontaire, c'est-à-dire les épisodes psychotiques où la conscience de la personne n'est pas diminuée ou oblitérée. Puisqu'une personne qui se trouve dans un état psychotique n'est généralement pas en mesure de savoir que son acte est mauvais, sa condamnation viole autant les principes de justice fondamentale que celle d'une personne qui commet le même acte en état d'automatisme.
    C'est certain que ce sera contesté devant les tribunaux et que l'article 33.1, dont le libellé actuel limite l'intoxication extrême à une défense d'automatisme, sera déclaré inconstitutionnel. Je ne vais pas dire autre chose; c'est la réalité.
    Monsieur Parent, quels changements apporteriez-vous au libellé actuel de l'article 33.1? Quels passages modifieriez-vous, plus précisément?
    Si ma mémoire est bonne, c'est au paragraphe 33.1(4) que se trouve la définition de l'intoxication extrême. La solution n'est pas compliquée: à cet endroit, on devrait définir l'intoxication extrême comme une intoxication s'apparentant à l'automatisme ou à l'aliénation mentale. Cela aurait pour effet de couvrir toutes les manifestations d'une intoxication extrême aux drogues. En fait, on reprendrait tout simplement les termes utilisés par la Cour suprême dans l'arrêt Daviault, où l'on parlait justement d'une intoxication extrême au seuil de l'automatisme ou de l'aliénation mentale. On n'aurait qu'à ajouter la notion d'intoxication extrême au seuil de l'aliénation mentale à la définition prévue au paragraphe 33.1(4). On couvrirait ainsi toutes les facettes de l'intoxication extrême, même les cas les plus rares, comme celui dont il est question dans l'arrêt Brown, où la personne tombe dans un état d'automatisme et devient comme un robot. Dans cette affaire, la personne est devenue dans un état de délirium à la suite d'une intoxication induite par une substance, ce qui est vraiment très rare. Je n'ai vu que deux cas de ce genre pendant toute ma carrière. J'ai parlé avec des psychiatres et ils disent exactement la même chose.
    Cet ajout à la définition couvrirait également les cas de psychose. Après avoir consommé des drogues, certaines personnes développent des idées délirantes de persécution ou des hallucinations. Les cas dont a parlé plus tôt Mme Jules sont des cas de psychose.
    Si l'on parlait d'intoxication extrême s'apparentant à l'automatisme ou à l'aliénation mentale, on couvrirait toutes les facettes de l'intoxication extrême. Il n'y aurait alors plus aucun problème, c'est sûr et certain.

  (1140)  

    Monsieur Parent, il ne me reste que quelques secondes.
    Au paragraphe 33.1(4), on parle d'« une personne incapable de se maîtriser consciemment ». Cela, nous comprenons tous ce que cela veut dire. Par contre, lorsqu'on précise que la personne est incapable « d'avoir conscience de sa conduite », cela ne couvre-t-il pas les cas que vous craignez voir exclus de l'article 33.1?
    Absolument pas. C'est d'ailleurs ce que souligne le juge Kasirer, au paragraphe 50 de l'arrêt Brown:
Ce n’est pas [...] la même chose qu’un épisode psychotique où le caractère volontaire au sens physique demeure intact.
    Selon lui, une intoxication extrême qui s'apparente à l'automatisme et qui affecte la conscience de l'individu, c'est-à-dire la conscience de ses actes, ne couvre pas les cas de psychose sans diminution de la conscience. C'est écrit noir sur blanc au paragraphe 50.

[Traduction]

    Merci, monsieur Parent, monsieur Fortin.
    Nous passons maintenant à M. Garrison, pour six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence.
    Nous avons beaucoup discuté de deux questions, à savoir si les modifications apportées à la loi sont suffisantes et s'il est nécessaire de prendre de telles mesures. Je remercie particulièrement Mme Foxall de sa présence et du travail accompli par son groupe.
    Ma question vous semblera peut-être évidente, mais je pense qu'il vaut la peine de vous accorder du temps pour en parler. Quels sont les obstacles que vous affrontez dans vos efforts de sensibiliser les populations étudiantes au consentement?
    De façon générale, les organismes de prévention de la violence sexuelle œuvrant dans le milieu postsecondaire manquent cruellement de ressources et de soutien. La plupart des établissements comptent un seul conseiller en matière de prévention de la violence sexuelle; cette personne reçoit les rapports, elle fait de la sensibilisation et elle accomplit une foule d'autres tâches. Ce sont des personnes extraordinaires qui font du travail important, mais c'est trop leur demander. Parmi nos objectifs, nous cherchons à mener des discussions réunissant toutes les provinces.
    Lorsque la décision a été rendue publique, sa signification a semé la panique et provoqué de grandes inquiétudes. Quand je l'ai lue pour la première fois, j'ai cru qu'elle voulait dire qu'une personne pouvait s'enivrer et agresser autrui. Les gens ne comprenaient pas le terme « intoxication extrême ». Les fausses informations ont suscité beaucoup de peur. Selon moi, il serait très utile de fournir une interprétation en langage simple de tels documents et de mettre en place une stratégie de communication, comme quelqu'un d'autre l'a suggéré, car le jargon juridique est très dur à comprendre.
     Par ailleurs, je crois aussi que ce ne sont pas les gens qui essaient de bien comprendre la loi qui causeront des préjudices. Les personnes qui causent des préjudices lisent les manchettes et se disent que dorénavant, elles peuvent commettre certains actes en toute impunité.

  (1145)  

    Ayant enseigné la justice pénale pendant 20 ans, je sais qu'on a parfois tendance à travailler en silos et à dire: « Tel groupe fait déjà telle chose. »
    Dans le cadre du travail que vous faites sur les campus, comment établissez-vous des relations avec les autres groupes et comment faites-vous pour trouver du soutien afin de les aider à transmettre votre message à leurs membres?
    Il y a tant d'organismes et de personnes remarquables qui travaillent dans ce secteur depuis si longtemps. Nous leur sommes très reconnaissants pour tout ce qu'ils ont accompli au fil des années.
    C'est surtout une question de nouer des liens et de collaborer avec eux. Nous tenons des réunions bimensuelles avec les conseillers en matière de prévention de la violence sexuelle de chaque université au Canada atlantique. Nous nous réunissons pour parler des défis et des problèmes auxquels nous faisons face. Nous nouons de réelles relations et nous tentons de mettre en place des pratiques exemplaires dans l'ensemble des établissements parce que tant de travail important est accompli.
    C'est une question de transmettre notre message à différentes personnes et de faire en sorte que nous disposions des fonds et des ressources nécessaires pour offrir nos programmes de qualité.
    Merci beaucoup.
    Maintenant, je vais m'adresser à Mme Jules ou à M. Kotler, du Service des poursuites du Manitoba.
    Je tiens à ce que ce soit très clair pour le Comité. Vous dites qu'à votre avis, les modifications apportées par le projet de loi C‑28 comblent la lacune et que vous pourrez avoir recours à cette mesure pour mener à bien des poursuites.
    Je vous remercie pour la question.
    Comme Mme Jules l'a dit tout à l'heure, c'est impossible de garantir l'issue d'une affaire criminelle. Il ne faut jamais oublier le fardeau qui incombe toujours à la Couronne de prouver le fondement de la poursuite hors de tout doute raisonnable. Cela étant dit, il y a de nombreuses raisons d'avoir une vision optimiste de l'application de cette mesure législative. Mme Jules en a donné quelques-unes.
    D'abord, les termes du paragraphe 33.1(2) proposé sont inclusifs. Le seul critère est la prévisibilité du risque que la consommation entraîne une perte de maîtrise de soi. La jurisprudence reconnaît que plus la gravité du risque augmente, plus la population est menacée, même si le risque réel de préjudice est faible. Selon moi, il est probable que les procureurs fassent valoir des arguments de cette nature dans des affaires de la sorte.
    Par ailleurs, le critère est objectif et non subjectif. Ainsi, même si l'accusé affirme qu'il ignorait totalement ce qui se passerait, l'analyse ne se terminera pas là. Nous aurons d'autres moyens de déterminer si une personne raisonnable aurait anticipé le risque.
    Finalement, dans l'arrêt Brown, le tribunal semble reconnaître qu'il existe des formes d'intoxication volontaire intrinsèquement risquées. Le juge Kasirer cite explicitement le fait de mélanger de l'alcool avec des drogues illicites et il laisse entendre qu'en soi, cette activité peut entraîner un préjudice raisonnablement prévisible.
    C'est comme je l'ai dit tout à l'heure: puisque certaines activités sont intrinsèquement risquées, une personne raisonnable se dirait: « Avant de faire cela, je dois absolument réfléchir aux mesures que je vais prendre pour éviter à tout prix de blesser quelqu'un dans le cas où les choses tourneraient mal. »
    Merci, monsieur Kotler.
    Selon vous, l'exigence du projet de loi C‑28 selon laquelle l'accusé doit présenter une preuve d'expert quant à son état d'intoxication extrême a‑t‑elle pour effet d'élever le seuil pour établir, dans ce cas précis, qu'il s'agit bien d'une intoxication extrême?
    Veuillez donner une réponse brève, monsieur Kotler.
    Merci, monsieur le président.
    Comme vous le savez, l'arrêt Daviault, il y a une trentaine d'années, relevait déjà le fardeau de la défense qui incombe à l'accusé. Je précise que cela s'appliquait à la défense pour tous les crimes d'intention générale, et pas seulement à la défense pour les crimes violents d'intention générale.
    Je pense que le paragraphe 33.1(2) proposé a pour effet, dans ce cas, de fournir une orientation utile aux juges de première instance sur les facteurs à prendre en considération que vous avez à l'esprit.
    Merci, monsieur Garrison.
    Pour la prochaine série, nous passons à M. Brock, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd'hui et de leurs témoignages, jusqu'à maintenant, qui ont été très instructifs et très importants pour le Comité.
    Je vais passer à vous, madame Jules.
    Je me souviens très bien qu'on vous a coupé la parole à la fin de votre exposé. Vous mentionniez alors à quel point, en tant que membre du Service des poursuites du Manitoba, vous vous inscrivez en faux contre certains commentaires de juristes selon lesquels il serait extrêmement difficile pour les procureurs de la Couronne du pays d'atteindre le seuil élevé. Vous avez présenté quelques étapes. Je crois que vous étiez rendue à la première étape, puis votre temps était écoulé.
    Je vous donne maintenant l'occasion de terminer vos commentaires.

  (1150)  

    Je vous remercie.
    J'en ai parlé davantage en réponse à la question de Mme Diab, mais je pense, encore une fois, que nous anticipons... Premièrement, comme M. Kotler l'a souligné, le fardeau de la preuve incombe à l'accusé. Cela dit, nous pensons que nous pouvons certainement présenter des preuves médicales et faire appel à des experts pour traiter des dangers inhérents à de nombreuses substances.
    La substance que nous voyons le plus — comme M. Parent l'a souligné — et qui entraîne des états psychotiques est la métamphétamine. Il existe une multitude de preuves que nous pourrions faire valoir quant aux risques inhérents liés à ces drogues et à la consommation de ces drogues. Ensuite, pour ce qui est des individus, il existe souvent, là encore, des éléments de preuve que nous pouvons utiliser, notamment les antécédents de l'individu et sa connaissance de ses propres comportements lorsqu'il a consommé des drogues dangereuses.
    Nous pensons pouvoir obtenir des condamnations dans de telles affaires. Nous pensons en effet que les juges et les jurés voudront entendre ces preuves et les accepter. Ils sont conscients des dangers inhérents à certaines de ces drogues. Cela témoigne de la prévisibilité des effets liés à la consommation, en particulier lorsqu'une personne consomme plusieurs drogues dangereuses, notamment en quantité excessive et sur une période prolongée. Les tribunaux accepteront qu'il soit prévisible que ces actions entraînent une perte de contrôle violente causant du tort à des personnes de la communauté.
    Oui, nous sommes convaincus que cette mesure législative nous permettra d'établir la preuve contre ceux qui, par négligence, consomment ces drogues en quantité excessive et mettent ainsi la sécurité d'autres membres de la communauté en danger, afin qu'ils soient tenus responsables de leurs actes.
    Je ne sais pas si M. Kotler a d'autres connaissances techniques précises à ajouter.
    Le deuxième point que j'aimerais aborder, dans le temps qui me reste, est l'impression générale des Canadiens et des groupes de victimes, en particulier les groupes de femmes... J'ai participé à diverses assemblées publiques. En tant qu'ancien procureur, j'ai expliqué aux gens que ce sont des défenses rarement utilisées dans les tribunaux de l'ensemble du pays, ce qui n'était guère réconfortant pour un certain nombre de personnes qui estiment qu'un seul cas est un cas de trop.
    Très franchement, malgré cela, les gens avaient toujours la conviction profonde que l'alcool seul pouvait entraîner le niveau d’intoxication requis, en fin de compte, malgré tous mes efforts pour les rassurer en indiquant que la Cour suprême du Canada a très clairement indiqué, dans cet arrêt, que la seule consommation d'alcool ne suffisait pas.
    J'ai fait des recherches et j'ai conclu qu'il y a eu au pays, entre l'adoption de la version initiale de l'article 33.1 et l'arrêt Daviault, des cas de défense réussie alors que l'alcool était la seule substance intoxicante.
    Pensez-vous — et j'aimerais avoir vos commentaires à tous les deux — que le législateur a raté l'occasion de codifier l'interdiction d’utiliser cette défense lorsqu'un accusé n'a consommé que de l'alcool?
    Je vous remercie de la question.
    Je pense que pour déterminer où l'on veut aller, il faut probablement commencer par l'arrêt de la Cour suprême, qui établit clairement qu'en l'absence de négligence... Pardon; laissez-moi revenir en arrière.
    La Cour a adopté une position ferme selon laquelle, en l'absence de faute, nous ne pouvons inscrire une déclaration de culpabilité pour des infractions criminelles. Pour toute infraction, il y a des éléments fondamentaux qui doivent être établis. Si la science démontre que la seule consommation d'alcool ait pu faire en sorte qu'un accusé n'agisse plus volontairement, ou si l'un des éléments requis pour établir qu'il y a eu une infraction est manquant, alors l'accusé ne devrait pas être déclaré coupable, à moins qu'il soit possible de démontrer qu'il y a eu négligence par rapport à la consommation.
    Je dirais que votre question s'adresse davantage à quelqu'un qui est spécialiste des effets de l'alcool, par exemple un toxicologue, un neurologue ou un médecin...

  (1155)  

    Merci, monsieur Kotler. Le temps est écoulé.
    Je ne pense pas que ce soit une question juridique. C'est plutôt une question scientifique.
    Merci, monsieur Brock.
    Nous passons maintenant à M. Naqvi, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins de comparaître aujourd'hui pour nous transmettre leur expertise et leurs connaissances.
    Je vais revenir au Service des poursuites du Manitoba. J'ai cinq minutes, et je pense que nous avons abordé une multitude de questions, mais voyons s'il m'est possible de rassembler tout cela, aux fins du compte rendu. Cela nous sera aussi utile dans nos délibérations ultérieures.
    Pouvez-vous nous donner un aperçu de l'analyse juridique ou du critère juridique qu'utilisait le service des poursuites, selon le libellé antérieur de l'article 33.1, avant l'arrêt Brown?
    Parlez-vous du fonctionnement avant l'arrêt Brown? Eh bien, c'était une analyse plutôt courte. La Couronne analysait la preuve afin de déterminer si nous pouvions établir la mens rea et l'actus reus, dans la mesure où un accusé voudrait faire valoir qu'il n'avait pas la mens rea requise en raison de l'intoxication...
    Excusez-moi si j'utilise le jargon technique d'avocat; la mens rea est simplement l'élément de faute des événements.
    Nous sommes tous des avocats ici.
    Parfait. Très bien.
    Je disais... dans la mesure où l'accusé veut invoquer l'intoxication pour démontrer qu'il n'avait pas l'un des éléments requis relativement aux événements. Dans ce cas, si c'était ce que la loi appelle une défense fondée sur l'intention spécifique, cela ne poserait pas problème. Par exemple, si vous étiez accusé de meurtre en raison d'une intoxication et que vous n'aviez pas la capacité d'établir un degré suffisant d'intention, l'accusation pourrait alors être réduite à un homicide involontaire coupable, qui est une défense d'intention générale. Cependant, pour ce qui est de la défense fondée sur l'intention générale, l'article 33.1 vous empêcherait de faire valoir que vous n'aviez pas l'intention de commettre l'infraction ou que vous avez commis l'infraction involontairement.
    Le processus était assez court, et la poursuite visait simplement à déterminer si la Couronne pouvait établir qu'il y avait infraction, et cette défense n'était pas disponible... et elle l'est maintenant.
    Qu'est‑ce qui a changé à la suite de l'arrêt Brown?
     D'accord. La Cour suprême a dit que le problème avec cette approche, c'est qu'il faut un certain degré de faute pour condamner quelqu'un. Par exemple, on ne peut pas condamner quelqu'un qui est allé voir un médecin, a obtenu une ordonnance, a pris ses médicaments, a eu un des effets totalement imprévus et a fini par faire quelque chose alors qu'il n'avait aucun contrôle.
    La loi, telle qu'elle était, n'était pas assez précise pour exclure ces personnes. La poursuite a fait valoir que la loi ne devrait pas être interprétée comme incluant ces personnes, mais plutôt comme visant uniquement les personnes qui, par négligence, ont consommé des substances dans un contexte où il y avait un risque prévisible qu'elles puissent blesser autrui par la suite. Donc, les autres personnes ne seraient pas visées.
    La Cour suprême a donc affirmé deux choses importantes. Premièrement, la Cour n'est pas d'accord avec le libellé de la loi, qu'elle considère comme trop large et de portée générale et ne ciblant pas strictement les personnes qui ont fait preuve de faute morale.
    La deuxième, qui est encore plus importante pour ce que vous cherchez à faire, est que la Cour suprême a assez clairement laissé entendre que si l'on rédigeait une loi plus précise visant les personnes qui ont fait preuve de négligence dans l'acte de consommation, nonobstant les préoccupations constitutionnelles liées à la condamnation d'une personne pour une infraction commise alors qu'elle n'avait pas le contrôle de son corps, étant donné les préoccupations très pressantes entourant la violence perpétrée en état d'intoxication, elle pourrait la laisser passer. C'est d'ailleurs ce qui vous a incité à revenir en arrière pour voir si vous pouviez élaborer une mesure législative limitant la responsabilité aux personnes qui font preuve d'un tel degré de négligence, qui consomment des substances dans des circonstances où il y a un risque prévisible de perte de maîtrise violente.

  (1200)  

    Selon vous, le Parlement a‑t‑il réussi, étant donné qu'il a rédigé et adopté cette mesure législative dans un délai relativement court, à tenir compte des préoccupations de la Cour suprême?
    À mon avis, vous semblez avoir essayé de suivre l'orientation de la Cour suprême, et bien entendu, s'il y a des façons d'améliorer la mesure législative... Maintenant que vous avez plus de temps pour y réfléchir, je suppose que c'est ce que vous envisagez.
    Du point de vue des services de poursuites, le vide que cela a laissé a‑t‑il été assez bien comblé?
    Répondez très brièvement, s'il vous plaît.
    Oui.
    Je tiens à remercier M. Naqvi.
    Je remercie tous les témoins de la première partie.
    Nous allons suspendre la séance pendant une minute, environ, pour faire les tests de son pour le deuxième groupe de témoins. Nous reprendrons tout de suite après. Merci.

  (1200)  


  (1205)  

    Nous reprenons maintenant nos travaux avec le prochain groupe de témoins.
    Nous accueillons Mme Pam Hrick, directrice exécutive et avocate générale du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, et Mme Farrah Khan, directrice exécutive de Possibility Seeds, qui comparaissent toutes deux par vidéoconférence.
    J'espère que vous avez fait un test de son et que vous avez choisi la bonne langue au bas de votre écran. Si vous voulez l'interprétation ou le son du parquet, l'option vous est offerte. J'espère que tout fonctionne bien.
    Vous avez cinq minutes chacune. Nous commençons par Mme Khan.
    J'aimerais d'abord reconnaître que je prends la parole depuis le territoire traditionnel de nombreuses nations autochtones. Je me trouve actuellement sur le territoire traditionnel de nombreuses nations, notamment la Première Nation des Mississaugas de New Credit, les Anishinabes, les Chippewas, les Haudenosaunee, les Wendats, où vivent maintenant bon nombre de membres des Premières Nations, Inuits et Métis.
    Je remercie le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes de l'invitation à comparaître à titre de témoin dans le cadre de son étude du projet de loi C‑28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
    Je tiens à remercier Mme Rebecca Akong et Mme Grace Baric de m'avoir aidée à me préparer pour la présentation d'aujourd'hui.
    Je m'appelle Farrah Khan. Je sensibilise la population à la violence sexiste, plus particulièrement à la violence sexuelle, depuis 25 ans. J'ai travaillé sur le terrain en tant que travailleuse de première ligne auprès de victimes d'agressions sexuelles, et je dirige actuellement un centre d'aide aux victimes d'agression sexuelle à l'Université métropolitaine de Toronto. C'est une question qui me tient à cœur. Les agressions sexuelles demeurent le crime le moins souvent signalé au Canada.
    Le récent jugement de la Cour suprême du Canada sur la défense d'intoxication volontaire extrême et le projet de loi C‑28 qui en découle ont été fondamentalement mal compris par le public, tant par les gens de mon domaine que par les spécialistes des politiques. Les réactions du public et du milieu communautaire s'expliquent par un manque de compréhension fondamentale de l'arrêt et de la nouvelle loi proposée. Nous pouvons faire mieux.
    Les membres du public — j'en suis — ont eu peur lorsqu'ils ont entendu l'appel, puis l'arrêt, pour la première fois. Nous craignions que cela permette d'invoquer l'intoxication volontaire extrême comme défense valable dans les cas d'agression sexuelle, donnant ainsi carte blanche aux personnes qui causent préjudice à autrui pour commettre des actes de violence sexuelle en toute impunité.
    Je sais maintenant, après avoir lu et compris le projet de loi et l'arrêt, que ce n'est pas vrai. Toutefois, étant donné le lien fréquent entre les agressions sexuelles et la consommation d'alcool, cette crainte initiale est tout à fait légitime. Dans une étude sur la violence sexiste et les comportements sexuels non désirés au Canada, environ le tiers des répondants a déclaré que la plupart des incidents de comportements sexuels non désirés dont ils ont fait l'objet étaient liés — légèrement plus souvent chez les hommes que chez les femmes — à la consommation d'alcool ou de drogue par l'agresseur. Ce point de vue porte les personnes intoxiquées à penser que perpétuer la violence sexuelle est acceptable, mais ce n'est pas le cas. Je crains que les organismes, les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle et les victimes elles-mêmes en viennent à penser que cela donne carte blanche aux agresseurs, en quelque sorte, alors que ce n'est pas le cas.
    Les victimes pourraient être moins susceptibles de signaler leur agression lorsqu'elles ont une méconnaissance de la nature de cette défense et qu'elles pensent que les personnes qui ont consommé de l'alcool ou des drogues pourront y recourir facilement. L'Enquête sociale générale de 2019 a révélé que seulement 6 % des cas de violence sexuelle étaient signalés à la police. Je crains que la désinformation au sujet de cette nouvelle défense ne réduise davantage ce pourcentage déjà faible.
    Pour comprendre pourquoi la question a été abordée de cette façon, il faut comprendre la teneur réelle des décisions et comprendre pourquoi l'article 33.1 du Code criminel a été jugé inconstitutionnel. Essentiellement, l'article 33.1, tel qu'il était, portait atteinte au droit d'un accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, ainsi qu'à la présomption d'innocence, en le tenant criminellement responsable d'actes commis alors qu'il était dans un état s'apparentant à l'automatisme, ce qui survient lorsque la communication entre l'esprit et le corps est rompue. Pensez, par exemple, au somnambulisme, une autre forme d'automatisme. Cela empêchait toute personne d'invoquer l'état s'apparentant à l'automatisme comme moyen de défense pour diverses infractions, allant de l'infraction d'intention générale aux infractions violentes, même si la personne ne pouvait raisonnablement prévoir qu'elle atteindrait un tel état lorsqu'elle choisissait délibérément de consommer une substance intoxicante.
    Cet arrêt est progressiste, en fait, car il protège le bien-être de gens qui pourraient souffrir de problèmes de dépendance, souvent issus de groupes marginalisés déjà surreprésentés et surcriminalisés dans le soi-disant système de justice pénale.
    Contrairement à ce que beaucoup de gens disent en ligne, sur TikTok et les réseaux sociaux... C'est la partie qui me préoccupe le plus, en tant qu'intervenante auprès des victimes. Je travaille avec des jeunes de 16 à 24 ans. Ces jeunes étaient terrifiés par cela et ont répandu de fausses informations. Nous devons améliorer la communication à cet égard.
    Le fait est que la Cour suprême du Canada a clairement établi qu'en soi, l'ivresse entraîne rarement un état s'apparentant à l'automatisme. Par conséquent, le nœud du problème est la mesure dans laquelle la consommation de drogues ou d'alcool empêche le consommateur d'avoir le contrôle volontaire de ses actes. Un accusé devra prouver, en s'appuyant sur l'avis d'experts, qu'il se trouvait dans un état d'intoxication extrême. Il ne lui suffira pas de démontrer qu'il avait les facultés affaiblies par la drogue ou l'alcool. Autrement dit, l'accusé devra prouver qu'il n'avait aucun véritable contrôle sur ses actions au moment de l'infraction.

  (1210)  

    Les raisons pour lesquelles il a été jugé inconstitutionnel résident dans le fait que l'ancien article 33.1 conduirait à des condamnations même lorsqu'une personne est totalement dépourvue d'intention coupable. Si l'intoxication d'une personne est extrême au point d'en arriver à un état d'automatisme, elle peut nier l'exigence à la fois du mens rea — l'intention coupable — et de l'acte fautif volontaire de l'infraction.
    Le nouvel article 33.1 permet aux individus d'invoquer une défense dans des circonstances très limitées, conformément à la décision de la Cour suprême. Bien qu'il incombe toujours à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a commis l'acte, il incombe à ce dernier d'établir la défense d'intoxication extrême et la prépondérance des probabilités à l'aide de conseils d'experts.
    La Couronne...
    Merci, madame Khan.
    Malheureusement, votre temps est écoulé, mais j'espère que vous serez en mesure de compléter votre exposé dans vos réponses aux questions.
    D'accord, pas de souci.
    Je vous cède maintenant la parole, madame Hrick. Vous disposez de cinq minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Pam Hrick, et je suis la directrice exécutive et l'avocate générale du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, aussi connu sous l'acronyme FAEJ.
    Je suis reconnaissante de comparaître devant vous aujourd'hui depuis Toronto ou Tkaronto, qui se trouve sur les terres protégées par le Pacte de la ceinture wampum Dish With One Spoon. J'aimerais remercier mes collègues Jen Gammad et Kat Owens de m'avoir aidée à me préparer pour cette comparution aujourd'hui.
    Fondé en 1985, le FAEJ est une organisation caritative nationale qui défend l'égalité réelle de toutes les femmes, filles et personnes trans et non binaires. Nous le faisons par le biais de litiges, de réformes législatives et d'une éducation juridique publique féministe et intersectionnelle.
    Le FAEJ est intervenu dans l'affaire R. c. Brown de la Cour suprême, qui a invalidé l'ancien article 33.1 du Code criminel. Nous sommes intervenus dans cette affaire pour faire valoir le droit à l'égalité des survivants de violence sexuelle et de violence entre partenaires intimes, qui sont en grande majorité des femmes. Lorsque la Cour suprême a rendu sa décision, nous avons été heureux de constater qu'elle a réaffirmé que l'intoxication seule ne constitue pas une défense dans les cas d'agression sexuelle.
    Nous avons toutefois été profondément préoccupés par la confusion et la désinformation qui ont circulé en ligne après la publication de la décision, en particulier parmi les jeunes. Les gens se demandaient si le fait de dire « j'étais ivre » constituait désormais une défense légitime dans le cas d'une agression sexuelle. La Cour suprême a clairement indiqué que ce n'était pas le cas.
    Le FAEJ a été à la pointe des efforts pour endiguer cette vague de désinformation, aux côtés d'autres défenseurs de la justice de genre comme Mme Khan. Il était extrêmement important de disposer d'informations exactes sur la signification de cette décision, tout comme sur celle du projet de loi C‑28.
    La décision de la Cour suprême a créé une toute petite lacune dans la loi, quelque chose qui ne serait pas pertinent dans la très grande majorité des cas où une personne accusée était ivre ou autrement intoxiquée au moment des faits. La Cour a énoncé des options conformes à la Constitution que le Parlement pourrait envisager s'il voulait combler cette très petite lacune. C'est ce que visait le projet de loi C‑28. Comme nous l'avons dit lorsqu'il a été déposé plus tôt cette année, le FAEJ appuie les modifications prévues dans le projet de loi C‑28. Les changements apportés au Code criminel représentent une réponse adaptée et constitutionnelle, qui est conforme aux directives de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Brown.
    Il faudra éduquer et former ceux qui exercent dans le système judiciaire pour veiller à ce que la loi soit appliquée adéquatement. Cela dit, à l'avenir, nous exhorterions les membres du Comité et tous les parlementaires à ne pas miser sur le droit pénal pour s'attaquer efficacement au problème de la violence sexospécifique, y compris pour la violence sexuelle. Il y a de la discrimination systémique dans le système de justice pénale du Canada. Il criminalise de façon disproportionnée les Noirs, les Autochtones et les personnes racisées, mais ne répond pas efficacement au problème de niveaux élevés de violence auxquels sont confrontés les membres de ces mêmes communautés.
    De plus, le système de justice pénale échoue trop souvent et traumatise à nouveau les survivants de violence sexospécifique. Il nous faut un plan d'action national intersectionnel entièrement financé de toute urgence pour mettre fin à la violence sexospécifique et à la violence envers les femmes. Dans le cadre de ce plan, nous avons besoin d'approches axées sur les survivants pour aborder et mettre fin à la violence sexospécifique et à la violence envers les femmes. Les survivants doivent avoir voix au chapitre et être libres de choisir quoi faire à chaque étape du processus.
    Il est essentiel d'étudier, de développer et de mettre en œuvre des options axées sur les survivants qui vont au‑delà des systèmes judiciaires actuels. Des options telles que les modèles de justice réparatrice et transformatrice offrent davantage de possibilités en matière de justice, de responsabilisation et de guérison. Le FAEJ s'engage à soutenir ce travail par le biais de son propre projet de mécanismes de justice alternative, qui relèvera les obstacles juridiques aux mécanismes de justice alternative en matière de violence sexuelle et proposera des mesures de réforme du droit pour les éliminer.
    L'étude actuelle du Comité est certes importante, mais je tiens à répéter que la décision de la Cour suprême précédant le projet de loi C‑28 n'a créé qu'une très petite lacune dans la loi. Le projet de loi C‑28 a mis en œuvre une réponse mineure, qui est conforme à la Constitution et qui suit les directives de la Cour suprême.
    Le plus grand enjeu porte sur ce que le Comité, le gouvernement et le Parlement doivent faire pour lutter plus efficacement contre la violence envers les femmes et la violence sexospécifique. La solution ne se trouve pas dans le renforcement du droit pénal. Il faudrait plutôt soutenir et financer adéquatement les programmes d'éducation et de prévention, les services de première ligne et les mécanismes alternatifs de responsabilisation qui répondent aux besoins des survivants tout en tentant de mettre entièrement fin à la violence sexospécifique et à la violence envers les femmes.

  (1215)  

    Merci, madame Hrick.
    Nous allons maintenant passer à notre premier tour de questions. Nous allons commencer avec M. Brock, qui disposera de six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier Mme Hrick et Mme Khan d'être parmi nous aujourd'hui pour participer à cet examen important du projet de loi C‑28.
    Je vais vous faire une offre, madame Khan. Je crois que vous aviez encore beaucoup à dire dans vos remarques liminaires, alors je vais vous céder une partie de mon temps pour que vous puissiez compléter votre réflexion.
    Comme c'est gentil, merci.
    Je pense que j'aimerais surtout parler de deux éléments qui ont été relevés — par Mme Hrick, entre autres. Le ministère de la Justice doit vraiment se pencher sur l'éducation juridique du public pour lutter contre la désinformation qui circule. Je pense même à la décision de la CSC qui a été rendue vendredi. Les gens ont tellement peur... et le travail... Les survivants ont peur eux aussi. Si nous ne disposons pas d'un bon moyen de communication qui inclut les jeunes... C'est sur TikTok que l'on trouve le plus de fausses informations à ce sujet. J'ai vu des milliers de jeunes en parler et partager ces informations. Malgré cela, il n'y avait aucun plan de communication. Il faut réfléchir au plan de communication qui accompagne toute décision rendue qui aura des répercussions sur les survivants — cette décision y comprise — afin d'éviter que la population ne diffuse davantage de fausses informations qui pourraient nuire aux survivants.
    J'aimerais aussi parler des processus de justice transformatrice. Il faut investir dans ces processus au pays. Si l'on dit qu'il s'agit de justice administrative... La justice va au‑delà des murs juridiques, et il n'y a pas de financement présentement. On ne s'est intéressé qu'à une vision très étroite de la justice, et il faut faire mieux.
    Merci, madame Khan.
    Je pense que vous nous avez offert une bonne transition vers le sujet sur lequel j'aimerais me concentrer. J'ai écouté très attentivement votre exposé, et je reviens à une question que j'ai posée aux témoins précédents lors de notre première heure de séance.
    Je reconnais qu'il y a une érosion des liens de confiance au sein de notre grande nation. Lorsqu'on voit la réaction des victimes d'agressions sexuelles face au système de justice pénale, on constate qu'elles le trouvent inéquitable. Elles sont d'avis que les dés sont pipés contre elles dès le départ. Elles voient... Pensons simplement aux statistiques, au sous-signalement, ainsi qu'à la méfiance envers les enquêtes policières, les procureurs de la Couronne, le système judiciaire et le système de probation. En tant que procureurs, nous avons le privilège d'intenter une poursuite pour une petite portion de ces cas. Or, dans ceux‑ci, il peut encore être difficile d'obtenir une condamnation, pour diverses raisons. Ce n'est pas étonnant. C'est en grande partie dû au fait que des individus — les victimes — n'ont tout simplement pas l'impression d'être traités de façon équitable dans le processus.
    Revenons au projet de loi C‑28 et réfléchissons aux craintes et aux préoccupations des victimes partout au pays. J'approuve entièrement ce que vous avez dit; la désinformation mine la confiance du public. Selon moi, il incombe au gouvernement — et je crois que vous êtes toutes deux du même avis — d'éduquer la population pour rassurer les victimes d'actes criminels, et surtout de ce type de crimes, que le projet de loi C‑28 n'ouvre pas la boîte de Pandore. Je reviens à ce qu'a dit Mme Hrick. La lacune est très petite. Nous le comprenons en tant qu'avocats, parlementaires, et universitaires, mais ce n'est pas le cas de la grande majorité des Canadiens.
    Ma question s'adressera à vous deux. Qu'est‑ce que vos organisations peuvent faire de plus? Que peuvent faire de plus les autres agences de ce pays, au‑delà de la réponse gouvernementale qui consiste à éduquer le public?

  (1220)  

    D'accord, je vais commencer.
    Avant de parler de ce que nous faisons avec les ressources limitées dont nous disposons en tant qu'organisations et militants dans ce domaine, j'aimerais dire une chose. Lorsqu'on parle de violence sexuelle au sein de la société, on a tendance à se fier aux taux de condamnation et aux taux de signalement pour voir si on fait un bon travail ou non. Ce que j'aimerais vraiment vous dire aujourd'hui — et ce que nous tentons de faire passer comme message —, c'est que les taux de condamnation ne reflètent pas adéquatement la situation de la violence sexuelle. Je me base ici sur les enjeux communautaires et les expériences que nous ont transmises certains survivants.
    J'aimerais que nous examinions plus systématiquement comment les survivants se sentent par rapport à la reddition de comptes qu'ils peuvent obtenir et à la guérison qu'ils peuvent entreprendre lorsqu'ils ont subi des violences sexuelles, et que nous nous en servions comme d'un indicateur de notre efficacité, en offrant aux survivants un large éventail d'options pour obtenir ce qui leur convient en matière de justice, de reddition de comptes, de guérison et de soutien.
    Pour répondre à la question de savoir ce que nous pouvons faire de plus, je répète que je dirige une association à but non lucratif. Je sais que Mme Khan œuvre dans un milieu similaire. Nous faisons certainement de notre mieux avec les ressources dont nous disposons pour rejoindre le plus grand nombre de personnes possible. Nous avons d'ailleurs travaillé avec Mme Khan. Une fois que ces décisions ont été rendues publiques, nous sommes délibérément allés rejoindre les jeunes sur leurs plateformes, soit Instagram et TikTok dans certains cas. Nous avons essayé de transmettre l'information en tant que ressource de confiance. Je crois que c'est ce qu'est le FAEJ. Depuis 37 ans, notre organisation milite pour les droits juridiques des femmes, des filles, et maintenant des personnes trans et non binaires.
     Nous tentons de rejoindre le plus grand nombre de personnes possible dans leur élément, et je pense que c'est un aspect important et fondamental du travail de Mme Khan. Je l'inviterais à vous en parler.
    Merci, monsieur Brock.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, mesdames.
    Nous allons maintenant passer à M. Naqvi pendant six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je suis très heureux que vous soyez parmi nous, madame Khan et madame Hrick. Je vous remercie du travail incroyable que vous faites et des conseils que vous m'avez octroyés à divers égards lorsque nous nous sommes concertés sur ces mêmes enjeux. Malheureusement, j'ai l'impression que nous reprenons toujours la même discussion, ce qui m'indique qu'il y a encore beaucoup de pain sur la planche.
    Je vais d'abord m'adresser à Mme Hrick pour traiter du caractère légal de la situation, mais j'aimerais aussi revenir sur les prochaines étapes dont vous avez toutes deux parlé, parce que j'estime qu'il est important d'en discuter officiellement.
    Madame Hrick, vous avez parlé de votre intervention dans ce cas. Le FAEJ est intervenu. Je vous en remercie. Pourriez-vous nous parler de la lacune créée par l'arrêt Brown? Comment le projet de loi C‑28 comble‑t‑il cette lacune, selon vous? Aurait‑on pu en faire plus à cet égard?

  (1225)  

    J'en profite pour rappeler que l'arrêt Brown n'a créé qu'une toute petite lacune, et je souligne à nouveau que le simple fait d'être ivre ou intoxiqué ne constitue pas une défense contre les crimes d'intention générale, y compris les agressions sexuelles.
    La Cour suprême a annulé une disposition inconstitutionnelle qui interdisait, en toutes circonstances, d'invoquer l'intoxication extrême s'apparentant à un état d'automatisme comme moyen de défense contre des crimes d'intention générale, y compris les agressions sexuelles.
    Avec le projet de loi C‑28, on a examiné ce qu'a dit la Cour suprême dans sa décision en matière de réponses constitutionnelles potentielles, puis on a choisi de mettre en œuvre l'une de ces deux options qui seraient conformes aux droits constitutionnels, qui sont importants. Les droits de l'accusé sont importants et doivent être respectés, bien sûr.
    Je pense que la mise en œuvre des dispositions du projet de loi C‑28 établira un équilibre entre les droits des personnes accusées et le droit des femmes et des filles et de toutes les personnes qui subissent de la violence sexospécifique à ne pas subir de violence. Il offre une voie d'accès lorsque la conduite est plus répréhensible et permet également de tenir compte des circonstances individuelles dans l'adjudication de ces cas, et c'est pourquoi nous estimons qu'il s'agit d'un projet de loi adapté et constitutionnel.
    Vous a‑t‑on consultés pour ce projet de loi, madame Hrick?
    Oui, nous nous sommes entretenus avec le bureau du ministre de la Justice.
    Quels conseils avez-vous offerts lorsque vous avez été consultés pour le projet de loi C‑28?
    Nous estimions que c'était la voie à suivre si le gouvernement décidait d'aller de l'avant avec une réponse législative à l'arrêt Brown annulant l'ancien article 33.1, par opposition à une deuxième option proposée par la Cour suprême consistant à créer une infraction distincte d'intoxication extrême.
    Autrement dit, il s'agit en quelque sorte d'une version allégée de l'ancien article 33.1, qui permet d'apporter une certaine nuance et d'adapter la manière dont la disposition s'applique.
    Je vais maintenant m'adresser à vous, madame Khan. Vous avez parlé d'un gros malentendu à propos de la décision de la Cour suprême. Vous œuvrez dans ce domaine. Vous travaillez dans un milieu universitaire. Je ne peux tout simplement pas imaginer le genre de désinformation grossière que vous avez dû voir à la lumière de cette décision, qui a probablement amplifié des idées fausses déjà préexistantes sur la violence sexuelle, le comportement sexuel et leur intersection avec l'alcool et les drogues.
    Pouvez-vous nous parler de cette expérience et de la manière dont vous avez pu transmettre les bonnes informations et réfuter certaines des opinions odieuses qui peuvent circuler?
    Donc, 71 % des étudiants de niveau postsecondaire ont été assujettis à une agression sexuelle ou à du harcèlement, ou en ont été témoins. La plupart du temps, il s'agit d'agressions sexuelles facilitées par l'alcool. Lors du premier appel, et à la suite de la décision de la Cour suprême, des survivantes se sont présentées à notre bureau en larmes pendant la formation. Elles disaient qu'elles ne pouvaient pas porter plainte, parce que personne ne les croirait, et que leur agresseur allait s'en tirer. Dans le cadre de nos ateliers, elles disaient que cela ne servait à rien de signaler l'agression, parce que personne n'allait aller de l'avant, et que les agresseurs pouvaient maintenant agir sans conséquence. C'est revenu souvent. Nous avons même dû modifier notre formation.
    Je participe au projet Courage d'agir, financé par le gouvernement fédéral, qui dirige la conversation sur la violence fondée sur le sexe dans les universités et les collèges du pays. Nous travaillons avec les organisations de partout au pays qui tiennent cette même discussion. Depuis que la décision a été rendue, ces organisations reçoivent des survivantes terrifiées parce qu'elles pensent qu'elles ne peuvent plus dénoncer leurs agresseurs ou qu'ils seront innocentés en cour.
    Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le FAEJ. Nous l'avons approché et avons parlé aux représentants du ministère de la Justice pour leur faire comprendre qu'il y avait un problème et leur demander plus d'information. Il ne devrait pas être nécessaire d'avoir un diplôme en droit — parce que la plupart des survivantes n'en ont pas — pour comprendre les décisions rendues par la Cour suprême du Canada. C'est souvent le problème. Ce n'est pas parce que les gens ne sont pas intelligents ou qu'ils ne connaissent rien; ils connaissent d'autres choses. Il est très important pour nous que le message soit en langage clair et qu'il soit accessible. On peut utiliser les barres de défilement sur Instagram et parler à nos pairs, mais je crois que la situation sociale a une incidence sur le sentiment de sécurité de personnes qui veulent dénoncer leur agresseur et sur la façon dont les gens sont criminalisés.
    On parle aussi de ce qu'on pourrait faire différemment pour les gens qui ont commis une agression sexuelle facilitée par l'alcool. Je dirais qu'il faut investir dans les services de counselling en matière de responsabilisation et travailler avec les jeunes hommes qui ont commis des agressions sexuelles. Si les femmes de 16 à 24 ans représentent le plus important groupe ciblé par les agressions sexuelles, cela signifie que ces agressions sont majoritairement commises par leurs pairs. Nous ne faisons pas ce travail, et il serait important de le faire.

  (1230)  

    Merci, madame Khan. Nous n'avons malheureusement plus de temps.
    Monsieur Fortin, vous disposez de six minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Mesdames Hrick et Khan, je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui.
    Madame Khan, mon collègue M. Naqvi a un peu empiété sur la question que je voulais vous poser. Moi aussi, je m'intéresse à la façon dont les gens perçoivent le projet de loi C‑28 ainsi que la correction que le gouvernement entend faire quant à l'interprétation de ce qui peut constituer une défense contre certains crimes lorsqu'il est question d'intoxication volontaire extrême.
    Comment les gens voient-ils cela? Vous avez beaucoup parlé de TikTok. Par la réponse que vous venez de donner, je comprends qu'il y a une perception négative ou, à tout le moins, un effet négatif qui fait que les victimes de crimes sexuels sont moins souvent portées à les dénoncer, parce qu'elles craignent de ne pas être crues et que l'agresseur ne soit pas reconnu coupable. Cet aspect m'intéresse.
    J'imagine que des dames viennent vous voir pour vous parler d'un crime dont elles ont été victimes, et que vous leur expliquez la situation. Une fois que vous leur avez expliqué la portée de l'article 33.1 du Code criminel, est-ce qu'elles comprennent et reconnaissent son bien-fondé? Est-ce que, au contraire, malgré toutes les explications données, les victimes sont d'avis qu'il n'y a jamais d'excuses, si je peux dire, pour le crime dont elles ont fait l'objet? Cette réaction est certainement compréhensible. Quoi qu'il en soit, j'aimerais savoir quelle est la réalité sur le terrain, lorsque les victimes comprennent la portée de l'article 33.1.

[Traduction]

    J'adore cette question, parce qu'elle va au cœur du problème.
    Je me déplace partout au Canada et aux États-Unis également, pour parler d'agressions sexuelles et de consentement avec les jeunes. Le sujet qui donne lieu au plus grand nombre de questions, c'est l'agression sexuelle facilitée par l'alcool. La chose que les jeunes hommes disent le plus, c'est: « Donc, si j'ai bu et qu'elle a bu, est‑ce que c'est correct? » La décision initiale rendait la situation plus complexe parce que les gens n'obtenaient pas les réponses dont ils avaient besoin, ou avaient l'impression que la question ne pouvait plus être abordée.
    Nous avons intégré des volets sur le sujet à notre formation et nous avons des discussions individuelles avec les survivantes. Nous formons notre personnel et parlons de la façon d'aborder ces sujets lorsqu'ils sont évoqués. Bon nombre de victimes ont l'impression que le ciel leur tombe sur la tête et que c'est la pire chose qui leur soit arrivée.
    Les jeunes hommes, quant à eux, sont déjà confus au sujet du consentement parce que nous n'avons pas de programme exhaustif d'éducation sexuelle au Canada pour leur apprendre, à eux, aux jeunes femmes et aux personnes de tous les sexes — parce que tout le monde, sans égard au sexe, peut être victime ou auteur d'une agression sexuelle — quels sont leurs rôles et leurs responsabilités et comment comprendre la communication sexuelle. Qu'est‑ce que la masculinité? Quel est le rôle du genre dans tout cela? Il faut beaucoup de travail pour aborder tous ces sujets.
    Dans le cadre de mes consultations, je vois souvent un soulagement chez les victimes. Je ne peux vous décrire les visages que j'ai devant moi lorsqu'elles comprennent qu'elles peuvent parler à quelqu'un. Heureusement, en Ontario, nous avons un projet pilote permettant aux survivantes d'avoir accès à quatre heures de conseils juridiques indépendants gratuits, mais ce n'est pas le cas de toutes les provinces. Les victimes n'ont nulle part où aller.
    C'est une question d'accès à la justice et de vulgarisation juridique. Je vous demanderais de parler à des gens qui travaillent avec les jeunes en ce sens. Il faut investir dans les gens qui travaillent sur le terrain. Faites-nous une place. Nous voulons discuter de ces sujets avec vous.
    Je dirais que le ministère de la Justice a fait un bon travail de discussion sur le sujet, mais il doit investir plus de ressources pour mettre en place des mesures à cet égard.

  (1235)  

[Français]

     Nous avons compris tantôt que Mme Hrick avait été consultée par les représentants du ministre de la Justice avant que le projet de loi C‑28 n'entre en vigueur. Avez-vous également été consultée, madame Khan?

[Traduction]

    Oui. J'ai eu l'occasion de parler aux représentants du ministère de la Justice.

[Français]

    Êtes-vous d'avis que la mouture actuelle de l'article 33.1 du Code criminel répond aux préoccupations que vous aviez soulevées auprès du ministre?

[Traduction]

    Oui. Je crois qu'il nous permet d'aborder la situation. Donc, la réponse est oui, mais il est important de bien communiquer l'information et de veiller non seulement à ce que la population la comprenne bien, mais aussi les avocats de la défense, les procureurs de la couronne et la police.
    Les survivantes nous racontent encore et encore qu'elles ont dénoncé leurs agresseurs et que la police leur a dit qu'elle ne pouvait rien faire, ou leur a transmis des renseignements erronés. Il ne s'agit pas ici du public comme dans grand public, mais bien de personnes qui travaillent dans le système judiciaire... des juges, des avocats, des policiers, des travailleurs de première ligne, des intervenants des programmes d'aide aux victimes et aux témoins. Nous devons veiller à ce que tous ces gens comprennent bien la situation.
    Oui, j'approuve les dispositions, mais je crois qu'il faut aller plus loin. Il ne suffit pas de rédiger des dispositions. Il faut bien les mettre en oeuvre.

[Français]

    En résumé, un bon plan de communication serait important pour cet aspect.
    Je vous remercie, mesdames Khan et Hrick.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Nous allons maintenant entendre M. Garrison, qui dispose de six minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins.
    Je crois qu'il nous est très utile d'étendre la conversation au‑delà des aspects juridiques. Je crois que vous avez fait valoir un point important d'ordre général: nos dépenses révèlent parfois quelles sont nos priorités. Nous investissons beaucoup dans l'incarcération. Nous investissons beaucoup dans le système de justice pénale, mais nous n'investissons pas beaucoup dans la prévention et l'éducation.
    J'ai vu Mme Hrick acquiescer de la tête pendant l'intervention de Mme Khan. J'aimerais que vous donniez votre avis, madame Hrick, au sujet de la priorité que nous accordons à la question des agressions sexuelles.
    Avec plaisir.
    Oui, j'ai beaucoup hoché de la tête. C'est ce que je fais lorsque Mme Khan prend la parole, parce qu'elle a raison. Nous devons mieux financer la prévention et l'éducation et, lorsqu'une agression sexuelle est commise, mieux financer le soutien aux victimes. Comme l'a fait valoir Mme Khan, il faut aussi que les personnes qui ont commis une agression sexuelle comprennent leur responsabilité, surtout les jeunes.
    Nous devons mettre en place un plan d'action national pleinement financé pour aborder la question de la violence fondée sur le sexe et de la violence contre les femmes. Le financement de la prévention, de l'éducation et des systèmes en dehors des processus judiciaires officiels pour aider les survivantes à trouver la responsabilisation et la justice qu'elles recherchent est essentiel.
    J'aimerais aussi qu'on investisse davantage dans la communication sur ces enjeux importants, ce qui revient à la question d'un membre du Comité au sujet de ce que nous pouvons faire pour éduquer le public sur la question. Nous avons besoin de fonds et de soutien pour pouvoir le faire.
    Donc, je suppose que le travail revient aux ONG dirigées par des femmes. Selon mon expérience pendant de nombreuses années avec les organisations non gouvernementales, on finance grandement les projets, mais les organisations n'ont pas assez d'argent pour payer leur facture d'électricité. Le financement de base est difficile pour les ONG. On ne peut pas mettre en oeuvre les bonnes idées sans un financement de base.
    Madame Khan, j'aimerais vous entendre sur ce sujet.
    C'est un enjeu qui me tient réellement à cœur. Je travaille dans le domaine des organismes à but non lucratif depuis un bon moment. Nous n'avons pas l'argent nécessaire pour offrir nos services de base, alors nous devons courir après les subventions. Les organismes fonctionnent avec peu de moyens. On s'attend à ce qu'ils fassent un travail d'une importance capitale, qui aidera la société à grandir. Si l'on veut une économie prospère, il faut s'attaquer au problème de la violence. Si l'on veut un bon système d'éducation, il faut s'attaquer au problème de la violence. Si l'on veut adopter des approches non carcérales pour s'attaquer à la violence et à l'oppression, il faut régler ce problème.
    Il faut un financement de base et il faut stabiliser le secteur, pour pouvoir faire le travail requis avec toutes les parties touchées par la violence sexuelle: les intervenants, les plaignants, les survivants et les familles. Je crois que parfois, on a du mal à bien établir nos priorités et on a tendance à se centrer sur tous les autres volets. Mais si les gens ne se sentent pas en sécurité, nourris et protégés, nous ne pourrons pas avancer. C'est ce que je crois.
    Je crois aussi qu'il faut élargir notre vision de la justice. Si seulement 6 à 10 % des victimes dénoncent leurs agressions sexuelles, alors nous devons aider celles qui ne les dénoncent pas. Où est le financement pour aider ces personnes? Il y a une grande différence entre les montants investis dans les approches carcérales et les montants investis dans les approches de guérison.

  (1240)  

    Merci,
    Madame Hrick, pourriez-vous répondre à la même question au sujet du financement de base des organisations qui réalisent ce travail important?
    Encore une fois, je suis tout à fait d'accord avec Mme Khan. C'est un enjeu d'une grande importance. Je parle à titre de membre d'une organisation nationale. Nous n'avons pas d'options pour accéder au financement de base qui est offert par les provinces et les territoires. Nous avons besoin de savoir que d'année en année, nous aurons droit à un certain financement qui nous permettra de poursuivre le travail qui est important pour les membres du Comité et les membres des communautés que défend le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes.
    Nous devons avoir la stabilité et les ressources nécessaires pour le faire de façon continue. Chaque fois que nous devons prendre un crayon et remplir une demande de subvention, nous nous éloignons du travail essentiel que nous devons accomplir.
    Il ne me reste presque plus de temps, mais j'aimerais aborder la question des différentes conséquences des agressions sexuelles et de nos efforts pour protéger les femmes marginalisées, qu'elles soient racisées ou pauvres. Je pose la question de façon générale à nos deux témoins.
    Notre situation sociale, notre race, notre sexe et notre sexualité ont une incidence sur notre crédibilité auprès des autorités. Est‑ce qu'une personne dont la communauté est criminalisée par la police aura tendance à dénoncer son agresseur aux policiers? Non. Donc, les communautés musulmanes, les communautés noires, les communautés autochtones, les communautés sud-asiatiques, les communautés racisées et les communautés queers ne sont pas à l'aise de dénoncer les agressions et encore moins d'accéder aux services ou d'être perçues comme des personnes ayant le droit d'obtenir l'aide dont elles ont besoin. Donc oui, tous ces facteurs ont une incidence sur la situation.
    Nous devons songer à une approche intersectionnelle et reconnaître que de nombreuses personnes n'ont pas accès aux mesures de soutien offertes. J'ajouterais les hommes homosexuels dans le lot. De nombreux hommes ont recours à notre service, et ce qui est intéressant... Je travaille auprès de tous les genres tandis qu'avant, je travaillais uniquement auprès des femmes. Cela fait maintenant sept ans et de nombreux hommes nous demandent de l'aide après avoir été agressés sexuellement. Avant, ils n'avaient nulle part où aller. Aujourd'hui, nous sommes là.
    Je sais qu'il ne me reste que très peu de temps, mais madame Hrick, vous pourriez peut-être commenter la question, rapidement.
    Je ne sais pas combien de fois j'ai le droit de dire que je suis d'accord avec Mme Khan, mais c'est encore le cas. Je vais en rester là. Je ne saurais dire mieux.
    Merci beaucoup à nos deux témoins.
    Merci, monsieur Garrison.
    Nous allons maintenant entendre M. Van Popta, qui dispose de cinq minutes. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui et de faire ce travail si important.
    Plus tôt dans le cadre de notre étude, nous avons entendu des témoins nous parler des traumatismes que subissent les femmes dans le cadre des procès pour agression sexuelle devant le tribunal pénal. Nous avons entendu dire — et je crois que vous l'avez réitéré — que seul un petit pourcentage — je crois que c'est 6 % — des cas d'agression sexuelle étaient déclarés. Un pourcentage encore moins élevé de cas sont portés devant les tribunaux, et le nombre de condamnations est encore plus faible. Aujourd'hui, la défense d'intoxication volontaire extrême est une fois de plus possible. Nous avons entendu des témoins plus tôt aujourd'hui — des procureurs de la Couronne qui travaillent dans le domaine — nous dire que le nombre d'accusés qui auront recours à cette défense devrait augmenter.
    Ma question est plutôt ouverte. Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Quelles seront les conséquences du recours à une telle défense? Madame Khan, vous pourriez peut-être répondre à cette question parce que ma question suivante s'adressera à Mme Hrick. De façon générale, quelle sera l'incidence du recours possible à cette défense sur les traumatismes subis par les victimes dans le cadre d'un procès devant un tribunal pénal?
    Cette option entraînera les effets qu'on lui permettra de causer. J'entends par là que les survivants seront moins susceptibles de signaler les agressions si on ne communique pas clairement avec eux, si on ne leur fournit pas d'informations, si on ne leur donne pas accès à des ressources juridiques en-dehors de la Couronne pour qu'ils puissent parler de façon autonome à un avocat et mieux comprendre les procédures. On permet en effet à des influenceurs — des personnes non initiées — de parler du système et à obtenir le plus d'attention parmi tous les intervenants. Nous devons mener des campagnes sur la mésinformation. À l'heure actuelle, la désinformation constitue un des plus importants problèmes.
    Pour ce qui est des survivants qui participent à un procès, quelqu'un a dit plus tôt que la confiance des survivants dans l'appareil judiciaire est effritée. Elle n'est pas effritée. Le manque de confiance a toujours existé. Les survivants ne font pas confiance à un système qui n'est pas conçu pour eux. Ils ne font pas confiance au système dont le but est de leur faire subir un procès, à eux, plutôt qu'aux personnes qui leur ont fait du mal.
    Nous devons nous améliorer, mais nous devons aussi accroître l'accès aux processus judiciaires et l'information transmise au grand public.

  (1245)  

    Merci.
    Madame Hrick, plus tôt pendant l'étude — je crois que c'était la semaine dernière —, des professeurs en droit ont témoigné devant nous, y compris Mme Kerri Froc, de l'Université du Nouveau-Brunswick, la présidente de l'Association nationale Femmes et Droit. Cette organisation est critique à l'égard du projet de loi C-28 et de l'article 33.1 révisé. Au sujet du projet de loi C‑28, elle a mentionné: « Des aspects posent problème dans le projet de loi. Nous craignons qu'ils créent des obstacles pratiquement insurmontables pour la poursuite des agresseurs violents en état d'intoxication s'en prenant aux femmes. »
    Elle a ensuite ajouté que le Parlement aurait pu opter pour d'autres avenues s'offrant à lui, plutôt que de simplement choisir l'une des deux options proposées par la Cour suprême du Canada. Il aurait par exemple pu renverser le fardeau par rapport à la notion de négligence dans le projet de loi.
    Qu'en dites-vous?
    Je suis ravie d'avoir l'occasion de me prononcer sur le sujet.
    Ce qui m'inquiète par rapport à un renversement potentiel du fardeau, c'est que la Cour suprême risquerait fortement de juger qu'il est inconstitutionnel. Ce qui me plaît dans le libellé et la mise en œuvre de ce projet de loi, ce sont les nuances permettant de tenir compte de la partie défenderesse. Selon moi, tous les facteurs pouvant être adéquatement pris en considération garantiront la constitutionnalité du texte de loi.
    À savoir si on place la barre trop haut, ou si les critères sont pratiquement impossibles à atteindre... J'ai seulement entendu une partie de la discussion avec le dernier groupe de témoins, mais je crois que vous avez reçu des représentants du Service des poursuites du Manitoba. Ils se sont prononcés sur la mesure dans laquelle ils croient qu'il serait possible d'intenter des poursuites en vertu des nouvelles dispositions mises en œuvre dans le projet de loi C-28. Je m'en remettrais à leur expertise en poursuites sur cet enjeu précis.
    Oui, je comprends. Je vous remercie de votre réponse.
    Il vous reste 30 secondes.
    Je lis sur le site Web du FAEJ que les personnes marginalisées sont disproportionnellement victimes de discrimination en vertu du droit pénal. Dans les dernières secondes qu'il me reste, pouvez-vous commenter cette affirmation? J'imagine, par exemple, que vous ne vous attendez pas à un fardeau de la preuve différent selon la race de la personne.
    Non, bien sûr que non. Je crois cependant que les intervenants — particulièrement les membres de ce comité et tous les parlementaires — doivent comprendre comment les personnes racisées — les Noirs, les Autochtones — subissent les effets du système pénal de façon disproportionnée. Pour constater cette réalité, il suffit de se rappeler la statistique révélant que, actuellement, 50 % des femmes incarcérées au Canada dans des établissements fédéraux sont autochtones, même si elles représentent moins de 5 % de la population canadienne.
    Merci.
    Merci, M. Van Popta.
    Nous passons à Mme Dhillon pendant cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être parmi nous.
    Je vais commencer par vous, madame Hrick. J'allais vous poser cette question, mais M. Van Popta a déjà abordé le sujet. Vous avez énoncé l'importance des droits constitutionnels et la façon dont ce projet de loi les protège. Vous avez ajouté que cet équilibre important est examiné. Dans votre déclaration liminaire, vous avez aussi dit que les personnes marginalisées — les personnes de couleur, les Noirs et les Autochtones — subissent des conséquences négatives, tant du côté des victimes que du côté des accusés.
    Pourriez-vous nous expliquer en quoi ce projet de loi et cette approche aideront les personnes touchées dans ces types de situations? Comme vous l'avez énoncé, il est important de s'intéresser aux deux volets pour garantir un équilibre prévoyant que les droits des victimes ainsi que les droits constitutionnels des accusés seront protégés.
    Merci.
    Tout à fait, et c'est exactement ce que notre charte exige. Elle exige la protection des droits des personnes accusées et prévoit également la protection des droits des groupes méritant l'égalité, notamment les femmes et les filles. La disposition particulière du paragraphe 33.1(2) qui est, je pense, importante pour cette loi est, encore une fois, l'examen de toutes les circonstances pertinentes d'un cas particulier et le fait qu'elles soient prises en compte pour déterminer si les poursuites intentées réussissent ou non à atteindre le seuil de la preuve hors de tout doute raisonnable, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. Cela permettra de prendre en considération des éléments tels que les problèmes de dépendance et de santé mentale.
    Je pense également que la mesure législative reconnaît exactement ce dont je parlais, à savoir la manière dont le système de justice pénale s'en prend de manière disproportionnée aux personnes noires, autochtones et racialisées. Ce ne sont pas les femmes blanches privilégiées qui se font arrêter dans la rue et qui se font demander leur carte. Ce sont les membres de ces communautés marginalisées, et je pense que c'est une chose qu'il faut toujours garder à l'esprit lorsque nous parlons de droit pénal.

  (1250)  

    Merci de ces remarques.
    Quelles seraient les solutions de rechange, selon vous? Vous avez parlé un peu de sortir les gens du système de justice pénale et d'avoir un système plus sain... Nous avons entendu tout au long des témoignages à ce comité que des approches holistiques doivent être examinées. Avez-vous des suggestions à faire? Comment les envisagez-vous?
    J'envisage de financer entièrement, comme Mme Khan l'a déjà dit, la justice réparatrice, les processus de justice transformatrice et le mécanisme de reddition de comptes communautaire. En tant que personne qui a été aux premières lignes dans le cadre de certains de ces processus, Mme Khan est peut-être bien placée pour nous faire part de certaines de ces expériences et de son expertise sur cette question précise.
    J'allais en fait demander à Mme Khan si elle pouvait faire un suivi et nous faire part de son avis sur les questions que je vous ai posées précédemment, et enchaîner sur ce que vous avez dit.
    Merci, madame Khan.
    Merci à vous deux. Je souscris à tout ce que Mme Hrick a dit, alors je donnerais mon aval à tout ce qui est proposé ici.
    En ce qui concerne la justice transformatrice et réparatrice, je dirais que la Courage to Act a publié deux guides sur le travail avec les personnes qui ont causé des dommages et sur l'approche non punitive de la reddition de comptes. Je dirais que ces deux aspects doivent vraiment être examinés.
    Nous créons trop souvent des processus qui, en réalité, ne guérissent pas les communautés. Nous ne pouvons pas créer une île où se réfugieraient toutes les personnes qui commettent des actes de violence sexuelle; elles sont parmi nous. Nous devons créer des ressources, des occasions et des formations pour que les gens puissent faire le travail. J'ai été témoin d'une séance de counseling en reddition de comptes dans le cadre de laquelle un jeune homme a été reconnu coupable d'avoir agressé sexuellement quelqu'un et, au lieu de passer par un processus d'enquête, on lui a demandé s'il accepterait de suivre une séance de counseling en reddition de comptes. Il a accepté, il l'a suivi et, au final, il a pu dire qu'il avait commis tel acte et expliquer ce qui doit changer chez lui. Six ans plus tard, nous lui avons parlé. Il a participé à un balado que nous venons de publier, dans lequel la survivante et lui parlent ensemble de leur expérience de passer par ce processus.
    Nous avons besoin de plus d'occasions comme celle‑là, parce que le fait est qu'il y a eu un réel changement. Il y a eu un changement de mentalité où les gens disent, « Je ne le referai plus ». Cela nécessite plus de ressources et un changement de système complet, mais c'est l'orientation que nous devons prendre, car le système juridique pénal actuel — je ne vais pas l'appeler système de justice — ne fonctionne pas pour les survivants et les défendeurs. Nous devons faire mieux et investir dans cette justice transformatrice et réparatrice, mais il faudra du financement, des ressources et de la créativité, ce que j'espère que nous pourrons fournir.
    Merci, madame Dhillon.
    Nous allons maintenant entendre M. Fortin, pour deux minutes et demie.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Madame Khan, je vous trouve très optimiste lorsque vous dites qu'il est possible d'y arriver. Tant mieux si c'est le cas.
    J'aimerais vous amener un peu plus loin. Les victimes ne devraient-elles pas participer davantage aux procès criminels? Évidemment, lorsqu'il s'agit d'un procès civil, les victimes y participent, étant donné qu'elles sont les demanderesses. Cependant, dans un procès criminel, qui oppose normalement la Couronne et l'accusé, la place qu'on laisse aux victimes n'est-elle pas un peu trop restreinte? N'y aurait-il pas lieu de permettre aux victimes de participer à toutes les étapes du procès? Je ne parle pas de les y obliger, puisque certaines ne voudraient pas le faire, et cela se comprend. Par exemple, on pourrait leur permettre de poser des questions à l'accusé en étant représentées par un avocat, il va sans dire. Elles pourraient également participer à la fameuse négociation de plaidoyer.
    À votre avis, ne serait-il pas possible d'améliorer la façon dont les victimes sont entendues dans un procès criminel?

  (1255)  

[Traduction]

    Nos lois canadiennes sont assez bonnes en matière de violence sexuelle et de consentement. Je pense que le défi consiste à savoir comment elles sont appliquées par les tribunaux. Je crois donc que nous devons nous pencher là‑dessus. Cela inclut de mieux former les avocats et d'encourager vivement les avocats, les juges et tous ceux qui font partie du système juridique pénal de suivre une formation sur la violence sexuelle, y compris sur cette disposition.
    Je pense que l'une des autres choses que nous devons vraiment voir est que le conseiller juridique indépendant, bien que je pense que nous pouvons le changer... Je pense que les survivants ont vraiment besoin de parler à une personne indépendante, qui est juste là pour eux pendant ce processus. Le défendeur et la défense ont droit à ce soutien, mais pas le survivant pendant tout le processus. C'est la raison pour laquelle les projets pilotes destinés aux conseillers juridiques indépendants sont si importants. Ils ne devraient pas être des projets pilotes; ils devraient être permanents.
    Madame Hrick, je pense que vous êtes mieux placée que moi pour discuter de cette question, car je ne suis pas avocate.

[Français]

    Quel est votre avis sur cette question, madame Hrick?

[Traduction]

    Je pense que nous devons veiller à ce que les survivants — et dans le contexte du système pénal, ils sont légalement appelés les « plaignants » — aient accès à des conseils juridiques indépendants et reçoivent des renseignements appropriés de la part du service des poursuites de la Couronne, du programme d'aide aux victimes et aux témoins et des programmes équivalents à l'extérieur de la province de l'Ontario. C'est pour veiller à ce qu'ils aient une connaissance pratique de ce à quoi ils s'engagent et de ce à quoi ce processus va ressembler, de sorte qu'ils puissent prendre des décisions éclairées et se préparer en connaissance de cause en cours de route.
    Merci.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci, monsieur Fortin.
    Pour terminer, nous allons entendre M. Garrison pour deux minutes et demie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Tout à l'heure, madame Khan, je pense que vous avez fait référence à la décision Ndhlovu de vendredi concernant l'enregistrement obligatoire des délinquants sexuels. Je me demande si vous voyez le même type de peur et de désinformation que nous avons vu avec la décision précédente se propager par les mêmes canaux.
    Oui. J'aimerais pouvoir afficher mes messages en ce moment sur Twitter, car tant de survivants m'envoient des messages tandis qu'ils sont terrifiés. En fait, j'ai écrit au ministère de la Justice aujourd'hui pour faire savoir que j'ai besoin de meilleurs renseignements pour pouvoir expliquer la décision en termes clairs et pourquoi le ciel n'est pas en train de nous tomber sur la tête. Le fait est que je suis prête à retourner à l'école pour obtenir mon diplôme de droit, mais je ne devrais pas avoir à le faire.
    Lorsque ces décisions sont prises, si le gouvernement sait qu'elles vont être prises, nous avons besoin d'un plan de communication rédigé dans un langage simple, qui s'adresse vraiment aux gens et aux jeunes qui font le travail et qui peuvent communiquer avec leurs pairs. Ce n'est pas suffisant... Madame Hrick et moi ne sommes pas assez jeunes. Désolée, mes amis, nous paraissons peut-être jeunes, mais ce n'est pas le cas, et nous avons besoin de jeunes — comme des jeunes de 18 ou 16 ans — pour parler de ce sujet dans un langage simple.
    C'est vraiment regrettable car en ce moment, nous avons besoin de dispositions plus rigides à ce sujet, et je pense que nous avons une fois de plus déçu le public. Je sais que le ministère de la Justice fait beaucoup et qu'il a peu de ressources, alors il n'y a pas de blâme ou de honte. C'est juste un autre aspect auquel il faut réfléchir.
    J'adresserais la même question à Mme Hrick.
    Commettons-nous la même erreur ici, dans le cadre de cette deuxième décision de la Cour suprême?
    Je dirais que nous devons mieux éduquer les gens et mieux communiquer l'information à ce sujet. Je sais que la Cour suprême, dans des cas comme celui‑ci, prévient bien sûr un peu à l'avance de l'arrivée de la décision afin que l'on puisse réfléchir à ses répercussions et que l'on puisse faire des plans à l'avance lorsque les ressources sont suffisantes pour le faire.
    Je pense qu'il est important de consacrer les ressources nécessaires pour accomplir cette tâche afin de ne pas laisser, comme vous l'avez dit plus tôt, les organisations à but non lucratif dirigées par des femmes, principalement, et des personnes de genre mixte s'occuper de l'éducation du public, qui est si urgente, pour s'assurer que nous fournissons des renseignements exacts sur la loi.
    Encore une fois, je vous remercie toutes les deux d'être présentes aujourd'hui. Je pense que vous avez eu des choses très importantes à dire qui, je l'espère, éclaireront notre rapport.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Garrison.
    Je veux remercier Mme Khan et Mme Hrick de leur excellent témoignage aujourd'hui.
    Voilà qui met fin à notre réunion d'aujourd'hui.
    Je veux seulement rappeler à nos membres que la réunion de ce jeudi sera annulée car l'énoncé économique de l'automne sera déposé à 16 heures, donc je pense que tous les comités sont...
    Allez-vous le livrer ou quoi?
    Des députés: Oh, oh!
    Peut-être un jour.
    Je vais lever la réunion et je vous verrai lundi prochain.
    Merci.
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