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36e Législature, 2e Session

HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 125

TABLE DES MATIÈRES

Le vendredi 29 septembre 2000

. 1005

VLE DÉCÈS DU TRÈS HONORABLE PIERRE ELLIOTT TRUDEAU
VLe très hon. Jean Chrétien

. 1010

VM. Stockwell Day

. 1015

VM. Gilles Duceppe

. 1020

VMme Alexa McDonough

. 1025

VLe très hon. Joe Clark

. 1030

. 1035

. 1040

VL'hon. Don Boudria
VMotion
VAnnexe

(Version officielle)

HANSARD RÉVISÉ • NUMÉRO 125


CHAMBRE DES COMMUNES

Le vendredi 29 septembre 2000

La séance est ouverte à 10 heures.



Prière

 

. 1005 +

[Français]

LE DÉCÈS DU TRÈS HONORABLE PIERRE ELLIOTT TRUDEAU

Le Président: C'est un jour triste pour nous, à titre de parlementaires et à titre de Canadiens.

Le très hon. Jean Chrétien (premier ministre, Lib.): Monsieur le Président, Pierre Trudeau était un homme sans pareil. Il était un brillant érudit, un homme d'action, à la fois distingué et charmant, avec un esprit vif et enjoué. Il était un homme au courage extraordinaire, un homme complexe qui aimait purement et simplement le Canada.

[Traduction]

Pierre Trudeau a parlé d'«un homme à qui l'école n'a jamais su enseigner le nationalisme, mais qui contracta cette vertu lorsqu'il eut ressenti dans sa chair l'immensité de son pays et qu'il eut éprouvé par sa peau combien furent grands les créateurs de sa patrie».

Pierre est aussi tombé amoureux de notre pays en explorant nos montagnes, en partant à la conquête des rapides de nos rivières et en découvrant les rues de nos villes, tant Whistler que le mont Tremblant, tant la Nahanni que le Saint-Laurent, tant la rue Yonge que la rue Saint-Denis. Voilà autant de coins de notre pays qu'il a ressentis dans sa chair et éprouvés dans son coeur.

[Français]

Un jour, il m'avait raconté qu'après avoir lu le beau roman Maria Chapdelaine, il avait voulu faire le trajet de François Paradis. Il avait quitté La Tuque, et seul, il avait traversé la forêt du nord de la Mauricie pour se rendre au Lac-Saint-Jean. Il avait réussi le voyage. C'est pour vous montrer à quel point il aimait l'histoire et le sol de son pays.

[Traduction]

Pierre Trudeau a été pour moi un collègue, un mentor et un ami. Il a déclenché des forces de changement qui façonnent toujours l'âme d'un peuple.

Pour Pierre Trudeau, la raison devait l'emporter sur la passion. C'était sa devise. Mais il était animé par une passion profonde pour le Canada et son rêve d'une société juste a capté l'imagination du pays et l'attention du monde entier. Ce rêve a aussi poussé nombre de jeunes à se consacrer au service public et marqué à jamais une génération entière de Canadiens.

[Français]

Pierre Trudeau compte parmi les architectes de la Révolution tranquille et du Québec moderne. Il rêvait aussi d'un Canada moderne et il a su donner vie à son rêve.

Il a pris le chemin de la Chambre des communes avec l'intention de bâtir un pays où les Canadiens d'expression française pourraient occuper la place qui leur revient, d'un océan à l'autre; un Canada riche de deux langues officielles qui valorisent et célèbrent sa diversité; un pays de compassion qui donne à tous ses citoyens une chance égale de réussir dans la vie, sans égard à leurs origines, leurs croyances ou leur fortune; un Canada qui prend sa place dans le monde, qui milite en faveur de la liberté, de la paix et de la justice et qui défend la cause des pays en développement.

Il nous a légué un héritage politique colossal dont la pièce centrale, la Charte des droits et des libertés, a toujours fait sa plus grande fierté, et qui m'a fourni l'occasion d'avoir des discussions très personnelles sur un sujet qui le passionnait, alors que j'étais ministre de la Justice dans son Cabinet.

[Traduction]

Pierre Trudeau a été un géant de notre époque et un grand Canadien. Aujourd'hui, tous les Canadiens partagent la tristesse que ressentent les membres de sa famille. Nous avons prié avec eux dans les jours difficiles qui ont suivi la mort de Michel et pendant la maladie de Pierre. Hier, sa voix magnifique et éloquente s'est éteinte, mais son héritage restera bien vivant tant que nous ferons preuve de courage, d'engagement et d'amour pour le Canada, le pays qu'il aimait tant.

Pierre, tu as gardé nos coeurs jeunes, tu nous as fait le cadeau de la fierté et tu nous a fait rêver. Merci, cher ami, et au revoir.

 

. 1010 + -

[Français]

M. Stockwell Day (chef de l'opposition, Alliance canadienne): Monsieur le Président, je veux dire aux membres de la famille de M. Trudeau qu'ils sont dans nos coeurs, qu'ils sont dans nos prières et que nous leur offrons nos condoléances.

Je veux également dire merci à la famille de M. Trudeau, parce qu'elle a partagé un père et un mari avec nous et avec la nation, dans sa vie et, maintenant aussi, dans sa mort.

[Traduction]

Par votre intermédiaire, monsieur le Président, je tiens à dire ceci au premier ministre: je salue l'amitié qui vous unissait à votre collègue ainsi que les longues années que vous avez passées en sa présence.

Je pourrais tenter de donner une liste des réalisations historiques que nous devons à M. Trudeau, mais il y a des historiens qui les feront beaucoup mieux que moi. Je pourrais tenter de dresser la liste de ses politiques, mais il y a des décisionnaires qui pourraient le faire bien mieux que moi. Parmi ces politiques, il y en a bon nombre auxquelles j'ai souscrit et bon nombre, c'est bien connu, que je n'ai pas appuyées. Je pourrais tenter d'établir des comparaisons entre M. Trudeau et d'autres représentants élus, mais c'est un homme qui défie toute comparaison, de sorte que je n'oserai pas.

J'aimerais faire une simple réflexion sur l'impact qu'il a eu sur ma vie et sans doute sur la vie d'une génération. J'avais alors 17 ans et je participais à ma première élection politique fédérale à titre de bénévole, mais ce n'était pas au sein du parti qui est représenté par notre actuel premier ministre, dois-je préciser avec tout le respect que je lui dois. Les stratèges faisaient un tas de commentaires. Quant à moi, après avoir regardé Pierre Elliott Trudeau se manifester sur la scène politique, j'ai dit aux stratèges plus âgés: «Ce gars-là, on ne va pas le battre». Il avait quelque chose qui a illuminé, qui a captivé la génération dont je faisais partie.

Cette génération comptait un grand nombre d'entre nous qui protestaient contre l'état des choses. Pour être franc, je dois avouer que nous protestions davantage pour le plaisir de protester que dans l'espoir d'atteindre un objectif quelconque. Nous étions en quête de la vérité, mais je me dis parfois que ce qui comptait le plus pour nous, c'était davantage la recherche de la vérité que la perspective de la trouver.

À cette époque, quand Pierre Elliott Trudeau faisait ses débuts sur la scène politique, bien des gens de ma génération étaient tentés d'abandonner tout espoir dans les institutions contemporaines et peut-être même dans la démocratie. C'est un phénomène qu'on observait à l'échelle du continent et du monde. Bon nombre d'entre nous se laissaient séduire par des méthodes qui menaçaient les fondements mêmes de la force de notre pays.

Pour notre génération, c'était un moment de grand danger, de crise et d'agitation comme nous n'en avions jamais vécu en tant que Canadiens. C'est Pierre Elliott Trudeau qui a fait face, de pied ferme, à cette situation. D'une certaine façon, en y faisant face de pied ferme, comme il l'a fait aussi à l'occasion de bien d'autres crises, il a amené toute notre génération au bord du précipice. À sa manière, il nous a invités à examiner le gouffre de l'anarchie. Nous avons vu les résultats de l'anarchie, et nous ne les avons pas aimés. À sa façon, il voulait amener notre génération à se joindre à lui pour lutter contre le mal et promouvoir le bien.

Beaucoup d'entre nous ont été profondément influencés par ce qu'il avait fait et nous nous sommes rendu compte que les institutions de notre société étaient en fait celles qui allaient nous apporter la paix, l'espoir et la vérité que nous recherchions. Aussi imparfaites que soient ces institutions, comme Winston Churchill et d'autres ont fait remarquer, elles sont quand même bien meilleures que toute autre solution de rechange.

 

. 1015 + -

Tout au long de sa vie, il nous a lancé des défis, nous invitant à défendre avec courage nos convictions, comme il l'a lui-même fait. Il a connu ses hivers, ses étés et ses printemps.

Nous savons tous ce qu'un hiver d'impopularité peut être, mais même durant ces périodes, il est demeuré ferme, conscient de ce qui était juste. Il a laissé passer les saisons. Il mérite notre gratitude autant pour cela que pour son courage, son amour incontestable de son pays, son dévouement, son sens du service et son amour pour sa famille.

Je termine mon allocution comme je l'ai commencée, en ayant une pensée pour sa famille. Ceux d'entre nous qui ont des enfants, et j'ai moi-même trois fils, peuvent accorder une grande importance à la vie politique, mais en définitive, le plus important, ce sont ceux que nous aimons et qui nous aiment. Nos pensées les accompagnent aujourd'hui.

Je rends hommage à ceux qui portent aujourd'hui la rose en signe de respect et en guise de symbole. Comme je n'ai pas moi-même connu M. Trudeau, je n'éprouve pas à son égard les mêmes sentiments d'attachement. Je me permets toutefois de déroger au protocole en présentant cette rose à un page pour qu'il la dépose devant le portrait de M. Trudeau. Aux membres de sa famille, qui a connu elle aussi les saisons et aujourd'hui la tristesse, je me permets de citer ces mots tirés d'une chanson: «N'oublions pas que, sous les froides neiges de l'hiver, repose la semence dont les doux rayons du soleil printanier feront une rose».

M. Trudeau nous a apporté cette rose et nous a fait comprendre que notre pays méritait notre amour et qu'il nous fallait le défendre. Cette rose, nous l'offrons aujourd'hui à sa famille avec nos plus chaleureux sentiments.

[Français]

M. Gilles Duceppe (Laurier—Sainte-Marie, BQ): Monsieur le Président, Pierre Elliott Trudeau est décédé, hier, en laissant derrière lui une impression profonde.

Peut-être n'a-t-il jamais imaginé que le chef d'une formation politique souverainiste se lèverait un jour à la Chambre des communes pour ajouter sa contribution à celle de tous les parlementaires qui s'expriment ici aujourd'hui.

L'hommage rendu à Pierre Elliott Trudeau est un hommage à l'homme dont tant de personnes à travers le Canada et le monde ont admiré l'intelligence, envié l'envergure et reconnu la force de caractère.

Le simple fait que nous soyons ici rassemblés en cette Chambre pour souligner sa contribution publique, alors que partout au Canada les journaux lui rendent hommage, marque l'importance du personnage.

Cet ancien premier ministre dont le franc-parler a marqué l'imaginaire canadien ne me tiendrait pas rigueur de mon honnêteté, car pour ceux qui, comme moi, font la promotion du projet de souveraineté du Québec, M. Trudeau a été un adversaire majeur. Adversaire pour deux raisons: grand intellectuel et brillant orateur, il défendait avec passion et intelligence ses convictions profondes; adversaire aussi, parce qu'il a été le champion d'une certaine idée du Canada que nous ne pouvions accepter et que nous n'acceptons toujours pas.

Pierre Elliott Trudeau était un idéaliste mû par un projet politique, une vision du Canada. C'est autour de cette conception de ce que devait devenir son pays qu'il a construit sa carrière politique. Mais cette idée a changé à jamais les rapports entre le Québec et le Canada. Déterminé, Pierre Elliott Trudeau a modifié, non seulement les mentalités, mais aussi les institutions canadiennes en forçant les changements constitutionnels qui correspondaient à ses convictions.

Mais son héritage n'est pas que constitutionnel. Pierre Elliott Trudeau aura eu une influence majeure sur ce que nos sociétés, québécoise et canadienne, sont devenues. Son influence aura été déterminante sur la façon même dont nous nous percevons aujourd'hui.

 

. 1020 + -

Il a modernisé le droit canadien. Il a fait cheminer les Canadiennes et les Canadiens vers une modernité qui correspondait à l'évolution de nos sociétés. Personne n'oubliera l'impact qu'il a eu, lorsqu'il était ministre de la Justice, en présentant ce que tous appellent encore, plus de 30 ans plus tard, le bill omnibus.

Il devait, une fois devenu premier ministre, faire adopter la Charte des droits et libertés, pièce maîtresse de toute société qui se veut juste, humaine et démocratique.

Ce n'est pas le seul souvenir que nous garderons de M. Trudeau. Dans les années 1950, il avait déjà commencé à faire sa place parmi les grands intellectuels de l'époque. Fervent opposant de ce qu'on appellera la grande noirceur, M. Trudeau inscrira sa réflexion dans des gestes concrets, notamment par son soutien aux grévistes de l'amiante, à Asbestos, et par la fondation de la revue Cité Libre.

Les témoignages, qui proviennent aujourd'hui de toutes les capitales du monde, rendent aussi hommage au rôle international de l'ancien premier ministre. Succédant à Lester B. Pearson, il a contribué à inscrire le Canada dans le siècle. Son ouverture à la Chine et aux pays de l'Est a donné un sens nouveau à la politique étrangère du Canada et laissé présager des grands changements qui surviendraient sur cette planète dans les années 1980.

Mikhail Gorbachev a probablement donné toute la mesure de l'homme, en déclarant que Pierre Elliott Trudeau est celui qui a laissé entrevoir la possibilité de nouer des liens avec l'Occident.

Comme souverainiste et comme Québécois, je reconnais l'importance de l'homme. J'offre mes condoléances à sa famille, à ses chers enfants et à ses amis. Je les offre aussi à ceux et celles qui voient partir cet homme avec une douleur sincère.

Je me permets de les offrir spécialement au premier ministre, sachant que le deuil qui l'afflige est plus celui d'un ami que d'un premier ministre.

Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Monsieur le Président, aujourd'hui, je me joins à des millions de Canadiens et de Canadiennes afin de vivre le deuil et d'admirer la vie de Pierre Elliott Trudeau, un homme remarquable, mais complexe. Il fut un personnage public, mais une personne privée. Sa vie et son oeuvre ont transformé une génération et modelé l'avenir d'un pays tout entier.

[Traduction]

La maladie et la disparition de Pierre Elliot Trudeau ont suscité partout au Canada des tas de souvenirs et de réflexions sur une époque marquée par un vigoureux débat d'idées.

Son enthousiasme, sa vision, son sens unique du style et de l'élégance ainsi que son aplomb, tout le désignait pour faire de lui le premier premier ministre de l'âge de la télévision. Il représentait une époque de notre vie où beaucoup de députés à la Chambre des communes atteignaient leur majorité et faisaient leur entrée dans la vie publique. C'est un des cadeaux que Pierre Trudeau nous a faits. De quelque bord politique que nous fussions, il nous mettait tous au défi. Il nous galvanisait. Il nous forçait à faire notre introspection et à agir selon nos convictions.

[Français]

Pierre Trudeau nous a montré que la vie politique pouvait à la fois être rigueur intellectuelle et poursuite passionnée de justice.

Il croyait fermement en un gouvernement fédéral fort, actif et fier. Il a modernisé la fonction publique. Il a démontré qu'une carrière dans ce secteur pouvait être honorable et respectable.

Il a renforcé le Canada comme un pays multiculturel et bilingue. Il a appuyé la richesse de la diversité.

[Traduction]

Les efforts de Pierre Trudeau sur la scène internationale, notamment en vue de ralentir la course aux armes nucléaires, lui ont valu le prix Albert-Einstein pour la paix.

 

. 1025 + -

Il a partagé avec nous une époque agitée de l'histoire, notamment de l'histoire canadienne, et il a toujours été là pour le meilleur et pour le pire.

[Français]

Pendant 16 ans, il a été le premier ministre que l'on aimait, ou pas, mais toujours admiré. Nous entendrons, aujourd'hui et demain, des débats vigoureux sur ce qui est son plus grand héritage. Est-ce la Charte des droits et libertés? Est-ce la Loi des mesures de guerre? Est-ce son travail acharné pour la paix? Est-ce le rapatriement de la Constitution? Ou encore, pendant ses années à la tête d'un gouvernement minoritaire, est-ce que ce sont ses efforts pour une «société juste». L'histoire et le temps, seuls, porteront jugement.

[Traduction]

Même mort, Pierre Trudeau suscite de vives discussions sur ses idées, et je suis certaine que cela lui plairait. Seul le temps dira quelle place Pierre Trudeau trouvera dans l'histoire, mais cet homme fier et passionné a déjà sa place dans le coeur des Canadiens d'un océan à l'autre.

Certaines images resteront toujours gravées dans nos mémoires: l'orateur brillant et féroce dans les débats; l'homme d'État et l'homme de spectacle, faisant une pirouette devant le 10, Downing Street; le sportif, pagayant sereinement sur une rivière; le père, croqué par les caméras, en train de s'ébattre avec ses jeunes fils qu'il adorait—images qui nous seront d'ailleurs rappelées lors de la tragédie survenue des années plus tard.

Aujourd'hui, en lui rendant hommage, nos pensées vont vers ses fils aimés, sa famille et ses amis.

Pierre Trudeau adorait la poésie. Ces quelques vers d'Irving Layton, un autre Montréalais, disent bien avec quelle intensité et quelle joie il a vécu sa vie.

      They dance best who dance with desire
      Who, lifting feet of fire from fire,
      Weave before they lie down
      A red carpet for the sun.

[Français]

Le très hon. Joe Clark (Kings—Hants, PC): Monsieur le Président, je veux tout d'abord offrir mes condoléances à la famille du regretté Pierre Elliott Trudeau.

La disparition d'un être aussi solide est presque impossible à croire. Nous partageons le chagrin de la famille et sa fierté pour ce qu'il était, pour ce qu'il a accompli et pour le leadership qu'il a donné à une génération de Canadiens.

Nous savions que M. Trudeau était malade. Nous savions même qu'il souffrait d'une maladie mortelle. Pourtant, la nouvelle de son décès a été un choc pour tous, parce que ce décès représente plus que la disparition d'un homme. Pierre Elliott Trudeau représente une page audacieuse de l'histoire de la nation, et cette page vient d'être tournée.

Nous avons des leçons à tirer de son expérience, mais notre but, aujourd'hui, dans ce Parlement qu'il a si bien su dominer, est d'exprimer notre respect et notre reconnaissance des talents et du dévouement de cet homme extraordinaire.

[Traduction]

C'est pour moi un honneur bien particulier de pouvoir rendre les derniers devoirs à Pierre Elliott Trudeau ici même à la Chambre des communes. C'était un homme énigmatique, à la fois dur et tendre, froid et sympathique. Je ne peux pas dire que je l'ai bien connu, mais c'est dans cet endroit que je l'ai connu le mieux.

Il était déjà premier ministre quand je suis arrivé au Parlement et, pendant sept ans, nous avons été assis l'un en face de l'autre, à deux longueurs d'épée de distance.

 

. 1030 + -

Notre système parlementaire exige que le premier ministre et le chef de l'opposition soient en désaccord. Je n'ai toutefois jamais eu besoin de m'en remettre au système à ce chapitre. Dans les dossiers pour lesquels il a été le plus admiré, particulièrement en ce qui touche sa vision du Québec et du Canada, j'étais fondamentalement en désaccord avec lui. Toutefois, tous ceux qui étaient ici à ce moment-là savaient bien que nous avions affaire à un homme d'une intelligence supérieure, d'une intégrité sans faille et d'une solidité à toute épreuve qui était très dévoué à sa perception du bien public.

Ce ne sont pas tous les politiciens qui vivent à la bonne époque. Pierre Trudeau a eu cette chance. Il a secoué la conscience des Canadiens au moment où le pays était confiant et prêt à se développer, à changer et à prendre son essor. Il est devenu premier ministre au cours de cette flamboyante année du centenaire. Venant de la ville qui avait abrité notre mémorable Expo, il a su mettre ses talents et ses origines à profit et saisir ce moment opportun pour changer la société canadienne.

Les Canadiens à qui ces changements ont plu l'ont applaudi et lui en seront éternellement reconnaissants. On peut certainement affirmer par exemple que, quels qu'aient été ses motifs pour adopter la Charte des droits et libertés, cette initiative a eu des répercussions importantes pour les Canadiens qui sont venus au pays en provenance de pays où les droits ne faisaient pas partie de la trame sociale. Ces Canadiens se sentent beaucoup plus confortables et égaux ici, dans leur propre pays.

Par contre, bon nombre des Canadiens qui ont été blessés par les changements apportés par M. Trudeau se sont détachés de leur propre pays. C'est ce qui est arrivé au Québec, avec les changements constitutionnels de 1982, et dans l'Ouest, avec le Programme énergétique national. Il est paradoxal qu'un premier ministre, dont le but mobilisateur était l'unité de son pays, ait pu autant exacerber les divergences au sein de notre propre famille.

Je crois qu'il y a une raison à cela. Il était guidé davantage par son intellect que par son intuition. En un sens, il était trop rationnel pour notre pays, lequel, après tout, avait été bâti et avait grandi au mépris de la logique. Pierre Trudeau avait une vision claire du pays auquel il aspirait. Il s'est servi de son pouvoir d'homme politique et de son pouvoir de persuasion pour nous façonner à l'image de ce pays.

Je ne demande pas mieux que de laisser l'Histoire juger de l'héritage qu'il nous a légué. Il ne s'agira pas d'un calcul mesquin des lois qu'il a adoptées et du degré de popularité dont il jouissait. Il s'agira d'une évaluation de la manière dont ce leader a transformé notre société et, bien que j'aie critiqué les initiatives qu'il a prises, je m'attends à ce que cette évaluation soit positive et impressionnante. Il n'a pas modifié que des lois. Il a transformé l'image que nous avions de nous-mêmes, dans notre pays et à l'étranger, en modernisant et en élargissant la vocation du Canada sur le plan international.

Ce que je voudrais que nous nous rappelions aujourd'hui, quelques heures après le décès de cet homme extraordinaire, c'est précisément l'impact qu'a eu Pierre Trudeau en tant que leader, sa détermination à devenir un agent de changement et sa capacité de transformer la société. Des personnes qui ne votaient jamais pour lui, ou qui étaient rarement d'accord avec lui, admiraient sa passion, son intelligence, son courage. Il est devenu un symbole, presque une incarnation de ce que nombre de Canadiens espéraient devenir. Nul ne saurait contester le pouvoir positif qui émanait de l'exemple qu'il donnait. Il constituait une force qui, pour le meilleur et pour le pire, a métamorphosé notre pays.

Lors des fameuses élections de 1968, je militais de l'autre côté, avec Robert Stanfield. Je n'oublierai jamais l'éloquence avec laquelle Pierre Trudeau a invoqué et mobilisé l'esprit du pays, au cours de cette première campagne. Mais il est allé au-delà de l'éloquence pour se lancer impétueusement dans l'action. Comme l'a fait le premier de nos premiers ministres controversés, sir John A. Macdonald, Pierre Trudeau aurait été le maître d'oeuvre de la construction du chemin de fer.

 

. 1035 + -

Il était un Canadien plein de vision, de vigueur, de détermination, de substance et de force. Que son âme repose en paix.

[Français]

Le Président: Oui, c'est vrai, Pierre Elliott Trudeau est mort. C'était un homme de passion, un homme de compassion, et c'est en votre nom, députés de la Chambre des communes, que j'offre mes condoléances à sa famille.

[Traduction]

Ceux d'entre nous qui ont eu l'honneur d'être coude à coude avec lui ou derrière lui comme députés d'arrière-ban, et ceux d'entre nous qui ont eu, certains jours, le malheur de l'affronter comme adversaires, tous nous avons nos propres souvenirs de M. Trudeau et de ce qu'il représentait pour nous personnellement. Nous avons pu le constater en entendant les témoignages prononcés aujourd'hui par les cinq chefs de parti.

Il ne nous appartient pas pour le moment de porter de grands jugements sur notre collègue, et je m'adresse maintenant à vous, collègues parlementaires. Rappelez-vous, les jours difficiles où vous siégez à la Chambre, que vous avez eu un collègue, un compagnon d'armes qui a connu, comme vous, des hauts et des bas. Nous sommes les gladiateurs de l'arène politique contemporaine et nous avons perdu un compagnon d'armes.

Je le dis à nos compatriotes d'un bout à l'autre du pays, nous, les Canadiens, avons perdu un frère, un frère très cher.

Nous partageons le chagrin de la famille de M. Trudeau, mais, vous savez, nous faisions tous partie de sa famille. Nous formons la famille canadienne, et il ne nous a pas laissés tomber dans les moments où nous avions le plus besoin de son leadership.

Je vous invite, mes collègues ici présents, de même que les membres du public dans les tribunes et tous les Canadiens qui nous regardent à la télévision, à vous lever et à observer une minute de silence pour honorer la mémoire de Pierre Elliott Trudeau.

[Note de la rédaction: La Chambre observe un moment de silence.]

 

. 1040 + -

L'hon. Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes, Lib.): Monsieur le Président, il y a eu consultation des leaders parlementaires et vous constaterez que la Chambre donnerait le consentement unanime à l'égard de la motion qui suit.  

    Que la Chambre s'ajourne jusqu'au mercredi 4 octobre 2000, et que tous les votes par appel nominal différés jusqu'au lundi 2 octobre 2000 soient de nouveau différés jusqu'au mercredi 4 octobre 2000, à la fin de la période prévue pour les Ordres émanant du gouvernement.

(La motion est adoptée.)

Le Président: La motion étant adoptée, j'invite les députés à se rendre à la pièce 216 pour que nous passions quelques moments ensemble.

(La séance est levée à 10 h 41.)