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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 30 octobre 2001

• 0934

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib)): Je déclare ouverte la 36e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Aujourd'hui nous poursuivons l'examen du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.

Ce matin, nous accueillons des témoins de la Ligue des droits et libertés, de la British Columbia Civil Liberties Association et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse représentées par M. André Paradis, M. Denis Barrette, M. Garth Barrière, M. John Russell, M. Roger Lefebvre et M. Pierre Bosset.

[Français]

Je souhaite à tout le monde la bienvenue

[Traduction]

et à notre comité.

• 0935

Je présume qu'on vous a prévenus de la façon dont nous fonctionnons. Chaque groupe dispose de 10 minutes au plus pour faire un exposé s'il le souhaite, suivi par les réflexions et les questions des membres du comité. Sans plus tarder donc, peut-être pouvons-nous commencer dans l'ordre où les noms apparaissent sur l'avis de convocation.

[Français]

Le premier groupe est la Ligne des droits et libertés.

M. André Paradis (directeur général, Ligue des droits et libertés): Bonjour. Je m'appelle André Paradis et je suis le directeur général de la Ligue des droits et libertés. Je suis accompagné de Denis Barrette, qui agit comme conseiller juridique.

La Ligue des droits et libertés est un organisme qui agit au Québec depuis bientôt une quarantaine d'années pour la défense et la promotion des droits et libertés. Pour ceux que le point de vue historique intéresse, elle a été fondée par des gens comme Pierre Elliott Trudeau, Jacques Hébert et d'autres, notamment Bernard Landry, l'actuel premier ministre du Québec. C'est un organisme de citoyens qui agissent de façon bénévole, qui est affilié à la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, un organisme basé à Paris qui réunit environ 125 organisations de défense des droits et libertés un peu partout dans le monde.

Concernant le projet de loi, la première chose que je veux dire, c'est qu'on reconnaît évidemment la nécessité, pour le gouvernement canadien et la communauté internationale, de renforcer la lutte contre le terrorisme et de prévenir les actes terroristes.

La deuxième, c'est que dans le projet de loi C-36, il y a des mesures très pertinentes, en particulier celle qui vise à traduire dans notre droit les dispositions qui sont contenues dans les conventions internationales que le Canada a ratifiées. Cela dit, par ailleurs, à notre avis, il y a dans le projet de loi plusieurs mesures importantes, des mesures clés, qui ont pour effet de limiter de façon indue les droits et libertés et d'ouvrir la porte à de sérieux abus.

Le plus inquiétant dans le projet de loi C-36 pour nous, comme pour beaucoup d'autres témoins que vous avez entendus, c'est évidemment le caractère vague et imprécis de plusieurs définitions et, par conséquent, des pouvoirs qui sont accordés à différentes instances, en particulier à la police.

La deuxième chose la plus inquiétante dans le projet de loi, c'est sa portée illimitée. L'on se refuse encore à admettre la nécessité d'inclure dans la loi une clause crépusculaire.

Le troisième élément du projet de loi qui nous inquiète, ce sont les pouvoirs discrétionnaires importants accordés à des membres de l'exécutif, à certains ministres. Je pense, par exemple, au pouvoir accordé à la ministre de la Justice de retenir des informations et au pouvoir accordé au ministre de la Défense d'autoriser l'écoute électronique des communications internationales des Canadiens.

Ce qui nous inquiète, finalement, dans le projet de loi, c'est la remise en question majeure de principes de droit commun et de droit criminel. Je voudrais préciser ces observations sur les quatre aspects du projet de loi qui nous inquiètent.

Premièrement, la définition d'«activité terroriste» est sans doute l'enjeu central. Je sais que la ministre a indiqué ce matin son ouverture quant à la modification de cette disposition-là, notamment en enlevant le terme «licites» lorsqu'on parle de la définition des activités et du motif de défense qui pourrait être utilisé dans ces cas-là. Il reste que, malgré cette modification envisagée par la ministre, la définition reste beaucoup trop large. Elle couvrirait des activités de désobéissance civile, d'une part, des actions de grève illégale et d'autres manifestations qui tombent parfois dans l'illégalité, de façon à tout le moins marginale.

Dans le projet de loi, il y a d'autres exemples de définitions très vagues, imprécises, qui ont une portée trop grande. Je donne l'exemple de la Loi concernant la protection de l'information, qui remplacerait la Loi sur les secrets officiels.

Dans les articles du projet de loi, on établit qu'il y aurait une infraction liée au «dessein de nuire aux intérêts et à la sécurité de l'État» quand quelqu'un:

      j) nuit à la stabilité de l'économie canadienne, du système financier ou du marché financier canadien, sans justification valable d'ordre économique ou financier»;

• 0940

Ce genre de définition ouvre la porte à certaines choses. Par exemple, des journalistes qui rendraient publiques des informations sur la stratégie du gouvernement canadien dans la négociation de la création de la Zone de libre-échange des Amériques, ou un professeur d'université qui dévoilerait des éléments importants de la stratégie du gouvernement canadien serait susceptible d'être accusé d'une infraction de ce type-là. Dans les années récentes, il est arrivé que des organismes non gouvernementaux rendent publics des documents secrets concernant notamment l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI. Ce n'est pas une possibilité qui est tout à fait farfelue. En fonction de cette définition très large, on pourrait accuser un chercheur universitaire ou un journaliste d'avoir commis une infraction allant à l'encontre de la Loi concernant la protection de l'information, ce qui nous semble tout à fait inadmissible en démocratie.

D'autres mesures inquiétantes portent sur les pouvoirs discrétionnaires. Le commissaire à l'information et le commissaire à la protection de la vie privée ont déjà témoigné amplement ici du caractère inacceptable du pouvoir discrétionnaire que la ministre de la Justice se donne de retenir des informations sans que cela soit susceptible d'être contrôlé par les commissaires ou par la Cour fédérale.

Nous appuyons tout à fait la position des commissaires à cet égard. Il n'y a aucune justification à cela. Comme l'a montré le commissaire à l'information, la ministre a déjà le pouvoir de soustraire des informations, mais cela doit être contrôlé par une instance indépendante. Selon le commissaire à l'information, cela n'a posé aucun problème pendant les 18 années où la loi a été en vigueur.

Le pouvoir accordé au ministre de la Défense d'autoriser le Centre de la sécurité des télécommunications à capter des communications de personnes ou d'organismes canadiens avec l'étranger nous apparaît aussi un pouvoir discrétionnaire absolument injustifiable. Ça se situe dans le prolongement de l'extension des pouvoirs d'écoute électronique, qu'on considère aussi comme un développement négatif dans la mesure où il vient accentuer les menaces sur le droit à la vie privée. Mais cette mesure-là est particulièrement inacceptable, en ce sens qu'il faudrait qu'il y ait un mécanisme de contrôle, une autorisation judiciaire et éventuellement un mécanisme de révision des décisions du ministre.

En ce qui concerne les mesures qui remettent en question les principes importants de droit commun et de notre droit criminel, on partage l'avis qui a été exprimé par plusieurs organismes, à savoir que la nécessité des mesures comme la détention préventive et ce qu'on appelle des enquêtes inquisitoires n'a pas été démontrée. Pourtant, cela vient remettre en question des principes assez fondamentaux de droit commun et de notre droit criminel. Cela et d'autres mesures viennent remettre en question les principes du droit à une défense pleine et entière, du droit au silence, du droit à la liberté, du droit de ne pas être détenu sans accusation, du droit de connaître les motifs précis de l'arrestation. Ça remet en question, de façon impromptue, toute une série de principes qui étaient très importants, et la nécessité de cela n'a pas été démontrée.

J'ai suivi les discussions qui se sont tenues ici, lors des comparutions. Il y a eu plusieurs questions à ce sujet et il n'y a pas eu de réponses montrant en quoi ces procédures auraient pu faire une différence dans les cas connus d'enquêtes sur le terrorisme.

Le projet de loi a donc une portée très large. Il comporte de nombreuses mesures qui ouvrent la porte à des abus et des mesures qui constituent des érosions, des menaces à nos droits et libertés. Par ailleurs, le gouvernement se refuse toujours à y inclure une clause crépusculaire, une clause qui ferait en sorte que le projet de loi viendrait à échéance à un certain moment et que le processus législatif devrait redémarrer. Il nous semble pourtant qu'il y a toute une série d'arguments qui jouent en faveur de cette clause crépusculaire.

• 0945

Le premier, c'est que le projet de loi lui-même a été conçu de façon très rapide, comme la ministre l'a reconnu. Ce projet de loi a été élaboré en à peine un mois.

Le processus d'examen et d'adoption sera accéléré. La Chambre des communes et le Sénat siègent en même temps. Même si plusieurs témoins sont entendus ici actuellement, la possibilité de mesurer tous les impacts des mesures qu'il y a dans ce projet de loi reste limitée.

Il y a des modifications au Code criminel, à la Loi sur la preuve au Canada et à 20 autres lois. On en profite même, à l'occasion, pour créer de toutes pièces, dans le cas du Centre de la sécurité des télécommunications, une loi habilitante qui n'existait pas. On la crée par le projet de loi C-36.

Le projet de loi en couvre très large et il y a peu de temps. Comme l'ont dit plusieurs commentateurs, c'est un texte assez abscons et impénétrable. Il faut se référer aux lois originales. Il est difficile à étudier, et on a peu de temps pour le faire.

On invoque une situation d'urgence, le caractère de crise qu'ont pris les menaces terroristes depuis un mois et demi, depuis les attentats du 11 septembre. Dans le projet de loi, on trouve, pour une grande part, des mesures d'exception. Il me semble que des mesures d'exception doivent être assorties d'un délai d'application limité dans le temps. Cela justifie tout à fait la demande d'une clause crépusculaire.

L'argument du premier ministre du Canada, qui dit que la lutte au terrorisme ne cessera pas dans trois ans, est un argument fallacieux. C'est sûr que la lutte au terrorisme existait avant le 11 septembre. Elle va continuer d'exister après trois ans, mais le caractère de crise, lui, n'existera plus. Les atteintes et les menaces que comporte ce projet de loi pour les droits et libertés sont tellement grandes que comme société, on ne peut pas se permettre de faire en sorte que ces mesures soient inscrites de façon permanente dans notre système judiciaire.

Je terminerai en disant qu'il y a des solutions de rechange à plusieurs propositions qu'on critique dans le projet de loi. J'espère qu'on aura l'occasion de les examiner au cours de la période de discussion.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Et maintenant nous entendrons les représentants de la British Columbia Civil Liberties Association, M. Garth Barrière et M. John Russell.

M. John Russell (vice-président, British Columbia Civil Liberties Association): Merci, monsieur le président. Nous remercions très sincèrement le comité de l'occasion qui nous est donnée de vous présenter aujourd'hui notre point de vue.

Permettez-moi de commencer par deux remarques d'ordre général que je vais tenter d'exprimer le plus concrètement possible afin de faire ressortir ce que le témoin précédent a déjà mentionné. Ensuite, j'aimerais parler de quelques-uns des principes qui d'après l'Association, pourraient vous aider à résoudre certains des problèmes que pose ce projet de loi.

Tout d'abord, je tiens à souligner que nous n'avons pas besoin de ce projet de loi afin de multiplier le nombre de terroristes sur place dans ce pays. En fait, c'est l'effet concret qu'aura le projet de loi si nous l'adoptons sous sa forme actuelle. En outre, avec le temps, la lutte contre le terrorisme pourrait amener les Canadiens à se monter les uns contre les autres alors que l'on cherche à savoir qui sont des terroristes dans notre société.

Il nous faut également reconnaître, du moins que ce projet de loi affectera plus particulièrement une collectivité soit les Canadiens de descendance musulmane. Bien que la grande majorité des membres de ces collectivités vont certainement lutter à nos côtés contre le terrorisme, ce groupe sera la cible d'un grand nombre d'enquêtes. L'application de ces dispositions suscitera des objections dans des circonstances particulières. Des erreurs seront commises et dans la mesure où ce projet de loi demeurera en vigueur et sera appliqué, il est raisonnable de s'attendre que les membres de cette collectivité commenceront peut-être à se dire qu'ils ne sont peut-être pas aussi libres et égaux que les autres Canadiens.

Je pense que ce sont là les problèmes que posent les propositions actuelles. Il serait peut-être utile d'établir certains principes de base pour nous aider à bien cerner ce genre de problèmes.

• 0950

Il faut que notre principe directeur soit manifestement évident et indéniable, à savoir que les restrictions imposées aux droits et aux libertés fondamentaux dans une société libre et démocratique ne se justifient que si elles sont nécessaires, en dernière analyse, pour sauvegarder justement ces droits et libertés. Toute dérogation à ce principe marque un recul par rapport aux progrès que nous avons réalisés comme société, par rapport à ce que l'on pourrait prétendre être notre contribution culturelle et morale la plus remarquable à l'histoire, qui est le produit d'une réflexion et d'efforts attentifs, et aussi de grands sacrifices personnels. De ce principe découlent deux conséquences importantes fondamentales.

Tout d'abord, les restrictions imposées aux droits et libertés fondamentaux ne doivent pas être plus sévères que raisonnablement nécessaires pour faire face aux problèmes courants. À cet égard, il incombe nettement au gouvernement, et à l'heure actuelle, à votre comité, de démontrer que les organes policiers actuels ne suffisent pas pour protéger nos droits fondamentaux et libertés.

Deuxièmement, s'il est possible de justifier des restrictions aux droits et libertés fondamentaux établis pour assurer la sauvegarde de ces droits et libertés, il faut évidemment s'engager à lever un jour ces restrictions. Rien de moins sera naturellement jugé comme un indice que nous avons mis un bémol envers les idéaux d'une société démocratique libre et ouverte.

À notre avis, les propositions antiterroristes du gouvernement fédéral ne répondent pas, comme il se doit, à ces objectifs.

Tout d'abord, comme l'a mentionné le témoin précédent, la définition d'activités terroristes proposée par le gouvernement est tout simplement trop vaste. Telle que libellée, la division (E) du sous-alinéa 83.01(1)b)ii) de cette définition considère une activité terroriste comme étant tout acte illégal motivé par des considérations politiques qui menacent de perturber gravement des services essentiels. Il s'agit là d'une disposition tout à fait étonnante. Outre le fait que l'on pourrait ainsi viser la désobéissance civile de Martin Luther King lors des rassemblements et manifestations pour la liberté dans le Sud américain puisque celle-ci perturbait le transport local, on pourrait également qualifier de terroristes des médecins, des enseignants et des infirmières qui menacent de faire grève ou de retirer leurs services à la suite de l'adoption d'un décret provincial déclarant leur travail un service essentiel. On pourrait également qualifier de terroristes les actions de membres des Premières nations qui bloquent un aéroport ou une grande route.

Nul besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre que l'utilisation des dispositions actuelles antiterroristes contre de tels citoyens canadiens dissidents nuirait profondément à la légitimité de la campagne contre le terrorisme ainsi qu'aux liens de civilité et de respect mutuel qui nous unissent comme nation. Cela ne ferait qu'aggraver nos problèmes que de qualifier ces citoyens canadiens de terroristes et de les assujettir à ces mesures paralysantes. En fait, nous devons constamment rejeter l'idée de qualifier de terroristes des Canadiens qui participent actuellement à des manifestations de désobéissance civile afin de mettre à l'épreuve les limites de la société civile. Outre l'injustice de la chose, nous devons éviter de le faire pour une autre raison très simple et évidente: ils pourraient prendre cela à coeur. Évidemment, ce serait là une victoire remarquable, peut- être même espérée, des terroristes réels et une défaite terrible et tragique pour notre société.

Pour toutes ces raisons donc, il faut éviter à tout prix d'associer les formes connues de dissidence avec le terrorisme doit être évitée à tout prix. À notre avis, la définition d'activité terroriste citée n'ajoute rien à la nature du terrorisme qui n'est pas déjà couverte dans d'autres parties où l'on définit l'activité terroriste. Par conséquent, nous ne voyons aucune raison de garder cette définition.

La deuxième question générale soulevée par ce projet de loi consiste à donner un engagement clair qu'il s'agit d'une mesure temporaire. Si nous acceptons comme principe directeur que les restrictions à nos droits et libertés fondamentaux ne seraient être justifiées que pour défendre ces libertés, il faut prévoir une disposition de temporisation de ce projet de loi. Un examen législatif n'est pas une garantie suffisante. Traditionnellement, dans notre société les examens législatifs ont tendance à rester lettre morte ou du moins ou se contente d'entériner le statu quo.

Il nous faut indiquer plus clairement aux Canadiens que ce projet de loi est temporaire. Il nous faut, plus précisément, indiquer aux Canadiens musulmans de notre pays que ces mesures seront temporaires. Il serait insensé à mon avis, de ne pas reconnaître que tout le poids de ce projet de loi va retomber sur cette collectivité.

• 0955

Enfin, une disposition de temporisation constitue la seule façon de garantir un débat public ouvert dans les années à venir sur les dispositions de ce projet de loi. Un tel débat est également nécessaire à cause des problèmes complexes dont traite ce projet de loi et à cause de la hâte avec laquelle on l'a préparé. Il n'est absolument pas possible, à notre avis, de donner à ce projet de loi l'examen approfondi et attentif qu'il mérite. Un examen législatif ne le garantit pas non plus dans quelques années. Une disposition de temporisation constitue à notre avis le mécanisme le plus efficace d'atteindre cet objectif.

Permettez-moi de conclure avec quelques mots de mise en garde.

Il est indéniable que ces dispositions se retrouvent dans la zone la plus grise de la suprématie du droit. Lorsque nous assujettissons des citoyens canadiens à l'arrestation à titre préventif fondée sur des motifs raisonnables de soupçonner, mais sans motifs probables de menace de méfait, lorsque nous les forçons à témoigner alors qu'aucune accusation n'a été portée contre eux, lorsque nous permettons à des politiciens élus partisans, et non aux tribunaux indépendants, d'autoriser la surveillance clandestine de citoyens canadiens, nous sommes dangereusement à la veille de nous laisser gouverner par des hommes et non par la loi. De telles mesures ne sauraient être prises, et encore, sans la plus grande retenue dans le dessein ultime de garantir et de rétablir les droits fondamentaux et les libertés. Cela nous impose un devoir comme société et plus particulièrement à votre comité et à tous les législateurs de s'assurer que les moyens adoptés ici sont aussi limités que raisonnablement nécessaires dans les circonstances et qu'il existe des garanties suffisantes pour confirmer qu'une fois la menace ramenée à un niveau acceptable, ces mesures spéciales seront retirées.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Russell.

Maintenant passons

[Français]

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, représentée par MM. Lefebvre et Bosset.

M. Roger Lefebvre (vice-président, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec): Merci, monsieur le président. Je suis accompagné, comme vous venez de l'indiquer, de M. Pierre Bosset, directeur à la recherche et à la planification à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Monsieur le président, madame et messieurs les députés, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec est investie par l'Assemblée nationale du Québec de la responsabilité de promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Charte québécoise des droits et libertés est un document quasi constitutionnel qui consacre les droits et libertés fondamentaux de tous les citoyens du Québec. Elle donne suite aux engagements internationaux du Québec et du Canada en matière de droits de la personne.

À titre de fiduciaire des principes de la Charte québécoise, monsieur le président, la commission remercie le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'avoir invitée à présenter ses observations sur le projet de loi C-36, Loi antiterroriste.

Au moment où le Parlement fédéral étudie ce projet de loi, il faut garder à l'esprit que celui-ci vise d'abord et avant tout à protéger nos droits et libertés: droit à la vie, droit à la sécurité et droit à la liberté de sa personne, notamment. La lutte contre le terrorisme ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen de défendre ces droits et libertés. C'est pourquoi, monsieur le président, les moyens qui permettent de lutter contre le terrorisme ne doivent pas devenir eux-mêmes une menace pour les droits et libertés.

Si des restrictions aux droits et libertés sont temporairement nécessaires pour combattre le terrorisme, elles doivent répondre à des critères stricts de rationalité et de proportionnalité. S'il y a lieu, il reviendra aux tribunaux de juger du respect de ces critères, le fardeau de la preuve incombant au législateur.

La commission appuie les dispositions du projet de loi C-36 relatives à la propagande haineuse et aux méfaits motivés par la haine. Toutefois, la commission estime qu'il est de son devoir d'insister auprès des parlementaires sur les aspects du projet de loi C-36 qui, selon elle, soulèvent des craintes ou de sérieuses préoccupations sous l'angle des droits et libertés.

La commission s'inquiète de la définition donnée par le projet de loi C-36 à l'expression «activité terroriste».

Nous ne remettons pas en question la première partie de la définition, qui renvoie aux conventions internationales sur le terrorisme ratifiées par le Canada. Cependant, nous croyons que la deuxième partie de la définition pèche par son ampleur. Telle que rédigée, cette partie de la définition peut s'appliquer à des activités telles qu'une grève illégale ou des actes de désobéissance civile, qu'il est abusif d'assimiler au terrorisme. Selon la commission, la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir de prétexte à une répression dirigée vers des formes de dissidence courantes dans la plupart des sociétés démocratiques et pouvant relever de l'exercice des libertés fondamentales de réunion, d'association et d'expression.

• 1000

La commission presse en conséquence le législateur de mieux circonscrire la définition des activités terroristes.

Selon le projet de loi C-36, une personne pourrait être contrainte de se soumettre à un interrogatoire dans le cadre d'une enquête relative à une infraction de terrorisme. Cette possibilité doit être considérée à la lumière du droit de ne pas s'auto-incriminer.

En principe, selon les dispositions du projet de loi, les questions posées dans le cadre d'un tel interrogatoire devront viser une infraction de terrorisme déjà commise ou dont on a des motifs raisonnables de croire qu'elle sera commise. Elles devront se limiter aux fins pour lesquelles elles sont prévues, soit découvrir le lieu où se cache une personne soupçonnée ou obtenir d'autres renseignements «directs et essentiels» relatifs à ladite infraction. Cependant, monsieur le président, la commission craint que ces interrogatoires, s'ils ne sont pas rigoureusement encadrés par le juge, ne dégénèrent en «expéditions de pêche». Par ailleurs, même si les réponses données dans le cadre d'un tel interrogatoire, de même que les preuves provenant de la preuve ainsi obtenue, ne pourront être utilisées contre la personne interrogée, celle-ci devra néanmoins répondre aux questions et ne pourra en aucun cas invoquer son droit au silence. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s'inquiète de voir ainsi érodé, de voir ainsi attaqué l'un des principes fondamentaux de notre droit pénal.

En vertu du projet de loi C-36, une personne pourra être arrêtée et mise sous garde sans mandat si un agent de la paix a des «motifs raisonnables de soupçonner» que cette mise sous garde est nécessaire afin de l'empêcher de commettre un acte terroriste. La commission invite le législateur à réévaluer l'emploi d'une notion aussi subjective que celle de «motifs raisonnables de soupçonner». Manifestement, monsieur le président, cette notion est moins exigeante que celle de «motifs raisonnables de croire», qui figure ailleurs dans le projet de loi. Il faut s'inquiéter des abus auxquels pourrait donner lieu cette disposition qui porte atteinte, de prime abord, au droit de ne pas être privé de sa liberté.

Le projet de loi élimine la nécessité de prouver que la surveillance électronique est un dernier recours dans le cadre d'une enquête sur les terroristes. La durée d'un mandat de surveillance électronique sera prolongée de 60 jours à un an. Jusqu'à trois ans pourront s'écouler avant que la personne qui a fait l'objet d'une surveillance en soit informée.

Ces nouvelles dispositions, on le sait, dérogent aux règles normales applicables en cette matière. Elles doivent donc être considérées, de prime abord, comme étant une atteinte au droit au respect de la vie privée.

Il en va de même des dispositions du projet de loi autorisant le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter des communications privées entre le Canada et l'étranger. Il est loin d'être certain que l'autorisation préalable du ministre de la Défense nationale suffise à éviter les abus possibles dans l'application de ces dispositions.

Monsieur le président, en raison de leur impact sur les droits et libertés des citoyens, il est important d'insister sur le caractère temporaire des mesures envisagées dans le cadre du projet de loi. En principe, les restrictions apportées aux droits et libertés dans le but de faire face à des circonstances exceptionnelles doivent être limitées dans le temps.

À cet égard, cependant, la commission, comme plein d'autres intervenants, estime que l'article 145 du projet de loi est nettement insuffisant. L'article 145 prévoit un examen parlementaire approfondi «des dispositions» et «de l'application» de celui-ci, trois ans après sa sanction.

• 1005

Monsieur le président, cette disposition ne s'apparente aucunement à une véritable clause crépusculaire. Rien dans l'article 145 n'oblige les parlementaires à se prononcer sur l'opportunité de maintenir en vigueur ou de modifier les dispositions de la loi. Ces dispositions de la loi et la loi elle-même demeureront en vigueur tant qu'elles n'auront pas été abrogées.

Le recours aux mesures restreignant les droits et libertés que l'on trouve dans le projet de loi C-36 constitue un geste suffisamment lourd de conséquences pour que son application soit limitée dans le temps. La commission insiste pour que les dispositions du projet de loi C-36 portant atteinte aux droits et libertés cessent d'avoir effet au-delà d'une limite de temps prédéterminée.

Comme tous les intervenants concernés, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec considère que le projet de loi C-36 soulève des enjeux fondamentaux du point de vue des droits et libertés de la personne. Pour cette raison, s'il est capital que le Parlement insère une clause crépusculaire limitant dans le temps les restrictions aux droits et libertés qui sont prévues dans le projet de loi C-36, il faut avant tout que le Parlement fasse subir à chacune des restrictions envisagées un examen réfléchi et approfondi.

En raison de sa complexité et de la gravité de ses conséquences, la commission exhorte donc le Parlement à ne pas adopter les dispositions du projet de loi C-36 dans la précipitation et à continuer d'accorder toute l'attention nécessaire à l'étude de cet important projet de loi. Le contexte exceptionnel dans lequel ce projet de loi est étudié, à la fois par la Chambre des communes et par le Sénat, doit inciter les parlementaires à la prudence, au nom même de nos droits et libertés.

Monsieur le président, je conclurai en vous disant que dans les circonstances, le législateur doit faire l'impossible pour atteindre le but visé, combattre le terrorisme, en respectant les droits fondamentaux qui, en d'autres temps, ne sauraient souffrir d'exception.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Lefebvre.

[Traduction]

Pour les premières questions, nous allons aller à M. Fitzpatrick pour sept minutes.

M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): Merci, messieurs, d'avoir pris le temps de venir ici et de nous faire part de vos préoccupations.

La partie de la définition d'activité terroriste qui inquiète en tout cas les avocats, c'est la partie sur la motivation, l'objectif, le but ou la cause de nature politique, religieuse ou idéologique qui est considérée comme un élément de l'infraction. D'après ce que j'en conclus, la meilleure explication pour justifier sa présence dans la définition c'est qu'elle empêcherait en quelque sorte une situation comme celle de Martin Luther King de se produire. En Saskatchewan le corps médical il y a deux ou trois ans, a fait une grève illégale qui a duré assez longtemps. Les grévistes ont fait fi des injonctions et des ordonnances d'un tribunal et ont continué la grève. Si je comprends bien, on fait valoir qu'on a inclus cet article justement pour protéger ces groupes.

Est-ce que l'un de vous, messieurs, a un commentaire sur l'objectif de cette disposition, à savoir si elle empêche que les contestataires et les manifestants soient qualifiés de terroristes, qui s'adonnent à des activités terroristes. Je songe à la division 83.01(1)b)i)A).

M. John Russell: Je n'y vois pas de protection digne du nom. Si les médecins décident de ne pas assurer les services essentiels en retirant leurs services, cela me semble suffisamment vague pour répondre à la définition d'objectif de nature idéologique. Ce n'est pas parfaitement clair que ce serait exclu. Dans le cas des Premières nations, la décision de bloquer un aéroport ou une route ne serait certainement pas autorisée par cette disposition.

• 1010

L'idée qu'une activité terroriste peut être commise au nom d'un but ou d'un objectif de nature politique, religieuse ou idéologique est extrêmement vague et générale, et peut inclure beaucoup de choses. Aux termes de ce projet de loi, il serait possible d'arrêter à titre préventif notre version de Mahatma Gandhi ou de Martin Luther King. Pas que nous avons actuellement de telles personnes et nous n'en avons pas besoin, mais cela montre l'ampleur de ce projet de loi.

Le président: Monsieur Barrette.

[Français]

Me Denis Barrette (conseiller juridique, Ligue des droits et libertés): J'aimerais aussi souligner que même dans l'alinéa a) de la définition que l'on fait d'«activité terroriste», au même article, il peut y avoir certains problèmes. Je vous souligne le sous-alinéa (v) proposé, où on dit:

      (v) les infractions prévues aux paragraphes 7(3.4) ou (3.6) du Code criminel et mettant en oeuvre la Convention sur la protection physique des matières nucléaires...

Ce sont des activités terroristes.

D'abord, c'est bien qu'on mette en oeuvre la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, mais lorsqu'on se réfère au paragraphe 7(3.4) du Code criminel, on parle du transport des matières nucléaires. On se réfère aussi à l'article 423 du Code criminel, où l'on dit qu'il est interdit d'intimider quelqu'un qui transporte des matières nucléaires en bloquant ou en obstruant une route.

Par exemple, pensons aux Français et aux Allemands qui, dans un geste de solidarité ou dans un geste politique, se sont couchés sur la route sur laquelle on transportait des déchets nucléaires de la France vers l'Allemagne. Je crois que c'était au printemps dernier. On peut dire que ces personnes ont commis un acte illégal en obstruant une route, mais est-ce qu'on peut dire qu'elles ont voulu préparer une activité terroriste? Prenons l'exemple d'un groupe environnementaliste ou écologiste canadien qui recevrait ces personnes avant leur action. Les personnes de ce groupe entreraient aussi dans la définition de «groupe terroriste».

Je vous souligne que des infractions incluses dans la définition qu'on fait d'«activité terroriste» deviennent automatiquement des activités terroristes sans qu'elles le soient nécessairement.

Le président: Merci beaucoup.

Une petite question.

[Traduction]

M. Brian Fitzpatrick: On entend toutes sortes de possibilités, mais l'une qui m'inquiète c'est le cas d'une personne accusée de terrorisme aux termes de ces dispositions qui ne saurait pas qui l'accuse, qui n'a pas le droit de contre-interroger son accusateur et qui n'aura peut-être pas accès à l'information qui pourrait servir à le condamner. Est-ce que c'est possible aux termes de cette loi antiterroriste? J'ai lu un article où quelqu'un donnait cet exemple et je trouve ça très inquiétant dans la tradition britannique du régime de justice criminelle.

M. Garth Barrière (directeur des politiques, British Columbia Civil Liberties Association): Je ne suis pas convaincu, sauf dans des circonstances limitées, que ce serait le cas aux termes de ce projet de loi, que vous ne connaîtriez pas votre accusateur, que vous ne sauriez pas quelle est l'accusation et que vous n'obtiendriez pas d'information. L'exemple toutefois que j'aimerais citer, c'est celle des certificats qui peuvent être délivrés, y compris aux termes de la Loi sur la preuve au Canada. Le ministre peut délivrer ce certificat qui vous empêche, comme plaignant dans une affaire criminelle, d'avoir accès aux renseignements qui pourraient être utiles à votre défense. Cela nous préoccupe gravement car cela semble limiter votre droit en tant qu'accusé dans une poursuite criminelle, à l'information voulue si le ministre peut dire, vous ne pouvez pas avoir cette information, et la Cour fédérale ne peut pas déterminer si l'information que nous refusons de divulguer aux termes du certificat répond ou non aux critères qui justifient le certificat. En pareil cas, je pense qu'il y a un problème, mais de façon plus générale, je ne vois pas comment ce projet de loi peut à l'étape de la condamnation violer les droits garantis d'un accusé.

• 1015

Le président: Merci beaucoup.

Sept minutes, monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Mes premiers mots seront pour vous remercier de joindre votre voix à celle de tous ceux et celles qui s'inquiètent de l'application possible du projet de loi C-36. Très sincèrement, je suis d'accord sur tout ce que vous avez dit, de A à Z. C'est ce que je répète depuis le dépôt du projet de loi.

Pour résumer, de la façon dont la loi est rédigée, il y a possibilité d'abus, et je pense que vous partagez tous les six ce point de vue. Vous ne remettez pas en cause le bien-fondé d'une telle loi, mais elle laisse place aux abus. Les droits et libertés individuels, et même ceux de la société, pourraient être mis en danger par une application éventuellement abusive.

Beaucoup trop de pouvoirs sont concentrés sur des individus. L'équilibre tant recherché par le gouvernement, qui semble avoir été un élément important dès le début, c'est l'équilibre entre la sécurité nationale et les droits et libertés. De toute évidence, ce but n'est pas atteint. Je pense que tout le monde s'accorde aussi sur le fait que la clause crépusculaire est une nécessité.

Voici ma question. Est-il possible d'ajouter à cette loi quelque chose qui éclaire davantage sur le motif justifiant qu'on ait pris le temps de la concevoir? Je m'explique.

Je suis convaincu qu'il nous faut une loi de ce type, ne serait-ce que pour mettre en vigueur au Canada certaines conventions internationales qu'on a signées et qu'on a tardé à mettre en application. Il nous faut également une telle loi pour traiter tout le phénomène du blanchiment de l'argent. À l'heure actuelle, il règne un laxisme épouvantable au Canada et il faut y voir de façon très réfléchie.

Pourtant, il me semble qu'il manque quelque chose. Je réfléchis tout haut avec vous et j'aimerais que vous me disiez si je suis complètement dans l'erreur, ou bien s'il y aurait possibilité de mieux cerner le motif d'une telle loi et la façon dont on voudrait la voir appliquée au Canada. Il me semble qu'il manque une condition sine qua non à l'application du projet de loi C-36.

Je sais que dans le Code criminel, il existe des articles... Je n'en ai pas d'exemple par-devers moi, mais au tout début du Code criminel, il y a un article sur les personnes qui mettent en danger la stabilité du gouvernement ou le caractère démocratique d'un gouvernement. Il y a là une infraction qui est décrite au tout début du Code criminel. On devrait ajouter une condition sine qua non du même genre dans le projet de loi C-36, qui ferait que la loi s'applique au moment où la preuve est faite hors de tout doute raisonnable.

Je m'inquiète aussi des nouveaux principes qui portent sur le soupçon, etc. Pourrait-on se servir des principes bien connus au Canada et qui s'expriment par «quand on a des motifs raisonnables de croire que tel ou tel individu, telle ou telle organisation met en danger le caractère démocratique» ou «tente de renverser un gouvernement ou de le déstabiliser sur le plan financier ou un ordre de gouvernement sur le plan politique»? Pourrait-on se servir de quelque chose de semblable? Je ne suis pas fixé sur les termes de la définition, mais pourrait-on ajouter une espèce de condition sine qua non à la mise en application de la loi, qui serait conjuguée naturellement avec la clause crépusculaire exigeant une révision et un nouveau vote du Parlement sur une loi d'exception de ce genre?

Est-ce que cela pourrait rassurer les personnes chez qui l'application du projet de loi C-36 engendre le doute concernant les droits individuels et collectifs des personnes?

Le président: Monsieur Lefebvre.

M. Roger Lefebvre: Oui, monsieur le président. Nous avons mentionné dans notre intervention que la Commission des droits de la personne ne pouvait pas être en désaccord sur l'objectif visé, celui de contrer le terrorisme au Canada comme partout dans le monde.

Cependant, l'objectif légitime recherché ne doit pas constituer en même temps, par les moyens utilisés, des atteintes non nécessaires aux principes qu'on veut défendre: la liberté, le droit à la vie, le droit à la sécurité. C'est en ce sens qu'il faut absolument réussir à atteindre un équilibre afin que les mesures respectent les principes de la rationalité et de la proportionnalité. C'est ce qu'on a dit tout à l'heure.

• 1020

Il y a deux inquiétudes majeures à la Commission des droits de la personne. La première porte sur la définition du terrorisme. On nous dit que Mme la ministre aurait, semble-t-il, l'intention de resserrer un peu la définition. Cela reste à voir.

Cependant, les atteintes à des droits fondamentaux et aux principes de base de la Charte des droits et libertés que sont l'entorse au droit au silence, la détention préventive—et on insiste là-dessus, monsieur le président—, qu'on pourrait accepter à cause d'une situation exceptionnelle, doivent absolument et fondamentalement—il me semble que ça va de soi—être limitées dans le temps, et il faut que cette limite dans le temps soit prévue dans la loi elle-même. C'est ce qu'on appelle une clause crépusculaire.

La Commission des droits de la personne ne peut se satisfaire d'une intention annoncée, même dans le projet de loi, de réviser éventuellement les dispositions du projet de loi ou de la loi, lorsque celle-ci aura été votée. On insiste sur la clause crépusculaire.

Quant au reste, monsieur le député, la commission a d'abord et avant tout la responsabilité d'évaluer les dispositions telles qu'elles sont écrites et de commenter plus tard si des modifications étaient éventuellement apportées au projet de loi, modifications qui pourraient nous rassurer à tout le moins concernant certains éléments.

Le président: Merci.

Monsieur Paradis.

M. André Paradis: Je pense que le projet de loi, dans sa forme actuelle, est inacceptable pour ceux qui se préoccupent des droits et libertés. Il ne serait pas acceptable même s'il y avait une clause qui précisait l'objectif du projet de loi, parce que la machinerie du projet de loi, la définition d'«acte terroriste», les pouvoirs qui sont accordés, les mesures qui sont prévues comportent en eux-mêmes des violations indues des droits et libertés et ouvrent la porte à des abus.

Un des gros problèmes, bien sûr, est la définition d'«acte terroriste». Dans la première partie de la définition, on s'est contenté de faire ce que font les conventions internationales, c'est-à-dire de répertorier des actes précis qui ont une portée terroriste.

Dans la deuxième partie, par ailleurs, tout en prétendant vouloir continuer dans la même logique de la définition d'un acte, on essaie plutôt de donner une définition du terrorisme en général. C'est pourquoi on y a inclus toute une série de facteurs ou d'éléments. J'ai l'impression que plus on essaie de donner une définition élaborée dans le projet de loi, plus on ouvre la porte à des abus. C'est un problème.

L'interprétation de la notion de terrorisme dans la Loi sur l'immigration, la seule loi où on prévoyait des infractions auparavant, a toujours causé un problème. D'ailleurs, il y a actuellement une cause devant la Cour suprême, la cause Suresh. On invoque justement le fait que la définition est trop vague et a une portée trop générale pour qu'elle soit valide.

Depuis plusieurs années, un travail est mené, au niveau de l'ONU, par le rapporteur spécial sur le terrorisme et les droits humains. Il s'agit de Mme Koufa. Dans le dernier rapport qu'elle a produit, au mois d'août 2001, elle signalait bien la difficulté qu'il y a à définir la notion de terrorisme. C'est d'ailleurs pour ça que dans les conventions, on retrouve des actes et non pas une définition générale. Il y a donc un problème conceptuel très important. Elle signale elle-même que le terroriste de l'un est le freedom fighter ou le combattant de la paix de l'autre, et qu'au sein du comité d'experts, on n'arrive pas à s'attendre sur cette notion.

Regardons la résolution de l'ONU sur le terrorisme, qui a été adoptée en 1994, puis en janvier 1997. Déjà, la définition d'«acte terroriste» est beaucoup plus restreinte que celle qu'on retrouve dans le projet de loi. Je vais vous la lire rapidement:

    ...les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour terroriser la population, un groupe de personnes ou des individus sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre invoqués pour les justifier;

On retrouve certains de ces éléments dans le projet de loi C-36, mais on a élaboré autour de ça. On a étendu la définition et on y a ajouté toutes sortes de considérations. Cela devient une espèce de fourre-tout qui pourrait viser toutes sortes de groupes dans la société qui expriment une dissidence politique ou qui sont ce qu'on pourrait appeler en anglais les usual suspects dans les conditions actuelles, c'est-à-dire les gens de religion musulmane ou qui appartiennent aux communautés arabes et d'autres groupes. La définition qui est là pourrait englober à peu près tout.

• 1025

Je pense qu'une des voies de solution possibles est peut-être de revenir à une définition beaucoup plus restrictive. Il faudrait élaguer considérablement cette définition. Même si le fait d'enlever le terme «licites» constitue un progrès, cela ne suffit pas pour résoudre le problème de la définition d'«acte terroriste» qu'il y a dans cette loi.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

J'aimerais rappeler et à ceux qui posent des questions et aux témoins que nous tentons d'accorder sept minutes à chacun. Je suis plus enclin à interrompre les membres du comité que les témoins, mais je tiens à vous rappeler les règles du jeu.

Monsieur MacKay, sept minutes.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, CP/RD): Sept minutes, ce n'est pas long.

Messieurs, je vous remercie de votre exposé.

[Français]

Merci beaucoup de votre présence.

[Traduction]

Vous êtes les protecteurs d'un grand nombre de ces droits, et votre commentaire est extrêmement révélateur.

Ce projet de loi, comme vous l'avez souligné, touche à certains droits très fondamentaux, mais je n'ai entendu personne encore soulever la question du droit à la sécurité financière. Ce projet de loi, à bien des égards, peut empiéter sur la sécurité financière d'une personne par l'application de certaines dispositions portant sur la confiscation et la saisie de propriété sans qu'il existe grand recours. Lorsque l'on a saisi les biens d'une personne qui doit alors entreprendre une longue lutte juridique pour tenter de faire débloquer ces biens, il devient impossible de se payer un avocat. Il n'y a pas non plus de dispositions qui prévoient un remboursement ou des intérêts sur des biens gelés pendant de longues périodes. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

L'autre question a été abordée, je pense, par M. Russell; il s'agit des motifs raisonnables de «soupçonner», par opposition aux motifs raisonnables de «croire». C'est là un critère inférieur si un agent de la paix soupçonne un certain type d'activité plutôt que de croire que cette activité existe. On retrouve cela dans les dispositions relatives à l'arrestation à titre préventif, et pourtant il est question des motifs raisonnables de croire dans le cadre des audiences d'investigation. Je pense que vous trouverez également ce critère moins strict relativement aux pouvoirs d'arrestation du SCRS.

Enfin, je veux poser une question au sujet du genre d'erreurs que vous prévoyez—je pense qu'on en a déjà donné quelques exemples—suite à l'application pratique de ce projet de loi quels seront les résultats. Vous avez fait allusion aux Autochtones et à ceux qui participent à des conflits de travail, mais je me demande si vous pouvez nous donner quelques exemples pratiques du tort que ce projet de loi pourrait causer à la structure sociale collective de ce pays?

Le président: Monsieur Russell.

M. John Russell: Merci beaucoup, monsieur le président.

En ce qui concerne la saisie des avoirs financiers, nous partageons vos préoccupations, mais nous pensons que le projet de loi vise des problèmes légitimes. Le financement du terrorisme doit maintenant être court-circuité. À notre avis, la façon la plus efficace de le faire c'est de limiter la portée de la définition d'activité terroriste, puisqu'il est nécessaire d'avoir des dispositions serrées pour s'attaquer au financement du terrorisme. Si nous avons accordé une si grande attention à la question de la définition, c'est que presque toutes les dispositions importantes de ce projet de loi, les dispositions de fond, sont déclenchées par la définition même. Si nous avons une définition acceptable, je pense qu'il sera beaucoup plus facile d'accepter le genre de mesures qui limitent les finances des terroristes.

• 1030

Le terrorisme, à notre avis, porte essentiellement sur des menaces à la santé, à la sécurité ou aux biens des personnes, motivées par des considérations politiques. Bien que la perturbation des services essentiels contribue souvent à cela, les autres éléments de la définition visent ces questions directement. Nous pensons donc que nous pouvons éliminer la division proposée (E) ce qui nous forcerait à porter notre attention sur les questions pertinentes qu'il y a lieu de poser pour identifier l'activité terroriste.

M. Garth Barrière: Pour vous donner, brièvement, un exemple pratique de ce que vous demandez, nous avons reçu un appel téléphonique d'un Canadien arabe qui avait reçu la visite de la GRC. Lorsqu'il est entré chez lui, son épouse était dans la cuisine où la GRC l'interrogeait. On lui a posé de nombreuses questions aussi, on a demandé à fouiller son domicile ce qu'il a accepté, car il n'avait rien à cacher. Il s'inquiète maintenant, est-ce qu'il y a un dossier sur moi en quelque part? Je lui ai dit que c'était probablement le cas, même s'il n'a pas été arrêté, même s'il n'a pas été accusé. C'est ce sentiment d'insécurité qui découle de quelque chose d'aussi simple que la venue d'un agent de police... L'agent de police lui a également demandé s'il connaissait M. Ressam? Il a répondu que non, il ne l'avait jamais rencontré, qu'il ne le connaissait pas. Au cours de l'appel que j'ai reçu, je ressentais la crainte et l'inquiétude de mon interlocuteur—est-ce que je figure maintenant sur une liste quelconque? Même s'il ne s'agit pas d'une liste légale, c'est une liste de police.

Imaginez donc l'impact qu'aura une arrestation à titre préventif sur quelqu'un qu'on relâchera 24 heures plus tard parce qu'il y a eu erreur sur la personne, parce qu'on a confondu deux noms et parce que le juge a décidé que l'information qu'on lui a fournie ne permet pas d'avoir des motifs raisonnables de soupçonner cette personne d'être un terroriste. Ou peut-être a-t-on des motifs raisonnables de la soupçonner parce qu'on l'a tenu à l'oeil pendant un an, mais on n'a pas pu recueillir d'autres preuves contre lui. Cet impact n'est pas négligeable—bien au contraire—votre comité doit donc être conscient des conséquences émotives et psychologiques d'une telle situation sur un citoyen canadien ou un immigrant reçu.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Trois personnes veulent toujours poser des questions et il nous reste une minute. Essayez donc d'être brefs. La parole est à monsieur Bosset.

[Français]

M. Pierre Bosset (directeur de la recherche et de la planification, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec): Merci.

J'aimerais répondre à la partie de votre question concernant la sécurité financière. Le droit de jouir de ses biens est un droit qui est reconnu dans certains documents sur les droits de la personne, mais c'est généralement un droit qui s'exerce dans la mesure prévue par la loi. Donc, la loi peut prévoir des restrictions à la jouissance des biens. Celles dont on parle dans le projet de loi sont peut-être de cet ordre.

Cependant, il faut faire attention à l'application discriminatoire de ces dispositions. En d'autres termes, il ne faut pas que les dispositions de la loi soient appliquées d'une façon plus stricte, plus sévère à l'endroit de personnes sur la base de critères discriminatoires, notamment des critères religieux ou raciaux. S'il y a une telle forme de discrimination, il y a possiblement un problème sérieux de respect des droits de la personne. Je pense que notre contrepartie fédérale, la Commission canadienne des droits de la personne, peut avoir un mot à dire sur ces questions.

Le président: Merci.

Monsieur Barrette.

Me Denis Barrette: Vous parliez plus tôt de motifs raisonnables de soupçonner. Je vais vous donner quelques exemples pratiques.

Je suis criminaliste et je fais du droit criminel depuis quelques années. D'abord, on a dû vous dire que ce sont deux définitions complètement antinomiques. Je peux vous dire qu'au niveau pratique, lorsque les policiers ont un certain pouvoir, ils vont souvent à l'extrême de ce pouvoir, sinon ils le dépassent. Je pense, par exemple, à l'arrestation «préventive» de Jaggi Singh, lors du sommet de l'APEC. Je suis allé au Sommet de Québec. J'étais là pour prendre la défense des personnes arrêtées. Il y a des personnes qui ont été arrêtées sans aucune accusation, qui n'ont jamais été inculpées de quoi que ce soit et qui ont été détenues pour fins d'interrogation pendant des nuits entières. Cela s'est fait dans plusieurs cas.

Je prévois que, malheureusement, si ce projet de loi est adopté, il y aura des arrestations uniquement pour fins d'enquête, uniquement pour donner des conditions et, surtout, pour intimider des gens. Un des éléments les plus dangereux, c'est que cet outil de prévention préventive devienne un outil d'intimidation de la dissidence.

• 1035

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Paradis, vous disposez de quatre minutes.

M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je voudrais remercier l'ensemble des intervenants de leur présentation de ce matin.

Je voudrais d'abord mettre les choses en perspective. Les représentants du ministère de la Justice qui ont témoigné nous ont dit que, bien que ce projet de loi ait été rédigé assez rapidement—vous avez vu avec quelle vitesse il a été déposé—, on avait pris toutes sortes de précautions. Il y avait d'un côté une équipe de rédacteurs spécialistes de la Charte des droits et libertés et, de l'autre côté, une équipe de rédacteurs spécialisés en rédaction de projets de loi en général. On nous a assurés que tout au long du processus, ces deux équipes avaient travaillé de concert. À chaque article, les spécialistes de la Charte des droits et libertés se prononçaient, suivis de ceux qui voulaient accorder des pouvoirs accrus. Nous étudions donc un projet de loi qui a été préparé, nous dit-on, comme je viens de vous le décrire. Nous sommes aussi confrontés à une situation qui fait—tout le monde le dit—que rien ne sera jamais plus comme avant. Quand tout redeviendra-t-il normal, si cela est possible?

Comme la plupart d'entre vous l'ont mentionné, il faut se donner des moyens qui soient à la hauteur des menaces qui nous pendent au bout du nez. On a vu, encore hier soir, le ministre américain de la Justice, M. Ashcroft, nous annoncer, ce qui n'est certainement pas très bon pour l'économie, qu'on peut s'attendre, dans la semaine qui vient, à d'autres attentats terroristes.

Il faut aussi se pencher sur le commerce entre nos deux pays. En fin de semaine, je faisais des représentations devant des membres du Congrès américain qui siégeaient près de la frontière, parce que du côté canadien de la frontière, nos camions sont en attente. Tout n'est plus pareil comme avant.

On nous dit qu'il faut peut-être se concentrer là où le risque est le plus grand, avec les moyens dont on dispose.

Je veux spécialement souhaiter la bienvenue à M. Roger Lefebvre, ancien ministre de la Justice sous le gouvernement de Robert Bourassa. Je citerai rapidement un extrait de l'excellent texte qu'il nous a transmis :

    La lutte contre le terrorisme ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen de défendre ces droits et libertés.

Je pense que vous avez absolument raison quand vous écrivez cela.

Je voudrais soulever trois points. Vous parlez de définition des activités terroristes. L'ensemble des intervenants nous ont assurés qu'on ne visait pas les activités de grève illégale, etc. La ministre de la Justice et ses fonctionnaires nous ont dit qu'ils ne visaient pas ce genre d'activités.

Je m'adresse premièrement à l'ensemble des intervenants et leur demande comment on pourrait rédiger un article qui ferait en sorte qu'il soit clair que ces activités soient exclues, puisque tous nous disent qu'ils veulent les exclure.

Deuxièmement, monsieur Lefebvre, vous parlez plus loin dans votre texte du droit de ne pas s'auto-incriminer.

Je me rappelle qu'au Québec, lors de certaines commissions d'enquête, celle sur le crime organisé et celle sur la viande avariée, par exemple, les témoins étaient obligés de parler; s'ils ne voulaient pas parler, ils étaient mis en prison. On l'a fait dans des cas peut-être moins graves que dans un cas de terrorisme. J'aimerais avoir plus d'éclaircissements à ce sujet.

Troisièmement, je veux parler de clauses crépusculaires. On a vu que les États-Unis en ont adopté une. Peut-être est-ce parce qu'ils ont donné plus de pouvoirs aux forces de l'ordre, mais ils ont adopté une clause crépusculaire, tout comme la France. Si on devait adopter une clause crépusculaire, à quels articles devrait-elle s'appliquer? Si elle ne s'applique pas à l'entièreté de la loi, à quels articles voudriez-vous qu'elle s'applique?

Le président: Monsieur Barrette, vous avez la parole.

• 1040

Me Denis Barrette: Je voudrais d'abord répondre à la question sur les enquêtes et les investigations. Il s'agit d'un processus complètement nouveau pour notre droit. On crée un poste qui s'apparente à celui d'un juge d'instruction, qui ferait enquête. Il ne s'agit pas d'une commission d'enquête qui a un mandat précis. Vous avez donné l'exemple de la viande avariée. Il existait un problème précis de viande avariée sur lequel un juge a fait enquête. Il y avait aussi un aspect public et pédagogique à cette enquête. Il ne s'agit pas de cela. Il est pratiquement question d'une enquête, je dirais même d'une partie de pêche, où un policier a des motifs de soupçonner qu'il s'est passé une activité terroriste. Cela l'amène à questionner et à demander à quelqu'un où il habite, avec qui, qui sont ses connaissances, à qui il a téléphoné, etc. Le juge change complètement de rôle. Au lieu d'être impartial et indépendant, il devient presque un bras de l'exécutif, un bras de la police. C'est tout nouveau dans notre Code criminel, dans nos principes de droit criminel et de droit commun.

Je vais laisser les autres intervenants répondre à vos autres questions.

M. Pierre Bosset: Revenons à votre introduction. On sent, dans le projet de loi, la volonté d'assurer l'équilibre entre la protection des droits individuels et la protection de la société. On peut le constater dans un certain nombre de dispositions, et c'est sans doute là la marque des éminents juristes du ministère de la Justice. Cependant, cet examen par les juristes spécialistes des chartes est un processus commun à tous les projets de loi. Je ne pense pas que ce soit propre à celui-ci en particulier. Néanmoins, on constate couramment que des lois et des articles de loi sont déclarés invalides par les tribunaux, bien qu'ils aient passé par ce processus de filtrage par des fonctionnaires. Je veux insister sur le fait que c'est à vous, en tant que législateurs, qu'incombe la responsabilité ultime de prendre ces décisions, et non pas à des fonctionnaires. Cette responsabilité est la vôtre.

Il est sans doute vrai, je le présume, qu'on ne vise pas spécifiquement, par ce projet de loi, à s'attaquer à des phénomènes comme les grèves illégales, mais il reste que le projet de loi, tel qu'il est formulé, peut s'appliquer à des phénomènes comme les grèves illégales ou des actes de désobéissance civile. Rien ne garantit que ces dispositions ne seront pas appliquées en ce sens dans un an, deux ans, trois ans ou quatre ans s'il n'y a pas de clause crépusculaire. Je pense qu'il faut être prudent dès maintenant.

Le président: Monsieur Paradis, vous avez la parole.

M. Denis Paradis: Je voudrais simplement faire une parenthèse pour vous demander ce que vous verriez comme amélioration.

M. Pierre Bosset: Je pense qu'il faudrait se pencher sur la question. Il semble, en effet, que la ministre soit ouverte à des amendements en ce qui a trait à la définition même d'«activité terroriste». On pourra juger au moment où les amendements seront déposés.

Votre question comportait aussi d'autres éléments, notamment l'auto-incrimination. Il est vrai qu'il y a eu des situations où des témoins ont été contraints de répondre à des questions, mais ces lois qui prévoyaient l'obligation de répondre avaient souvent été adoptées avant les chartes des droits. Je pense qu'il faut faire attention quand on fait ces comparaisons.

Vous avez aussi demandé s'il devait y avoir une clause crépusculaire—je crois que oui—et à quels articles elle devait s'appliquer. Il n'est pas nécessaire qu'elle s'applique à l'ensemble du projet de loi. Il y a des dispositions du projet de loi sur lesquelles nous sommes en accord, et nous l'avons dit. La clause crépusculaire devrait s'appliquer essentiellement aux dispositions qui auront été identifiées par vous, avec l'aide des témoins, comme étant attentatoires aux droits et libertés.

Le président: Merci.

Je cède la parole à M. André Paradis.

M. André Paradis: On nous a déjà confondus, votre frère et moi, à une époque.

Je voudrais simplement réitérer ce que Pierre a dit de façon plus diplomatique. Je n'ai jamais rencontré de ministre qui ne nous ait pas garanti que son projet de loi puisse passer le test de la Charte. Je fréquente beaucoup les commissions parlementaires depuis 15 ans, avec Pierre, d'ailleurs. Nous nous retrouvons souvent à la même table. Donc, je n'ai jamais rencontré de ministre qui ne m'ait donné cette garantie. Mais la parole du ministre n'est pas suffisante. Je pense que le fait que la ministre admette dès aujourd'hui que la définition d'«acte terroriste» pose problème malgré l'examen attentif de ses avocats signifie que ce processus n'est pas suffisant et n'est pas...

Une voix: Foolproof.

M. André Paradis: ...foolproof. Je m'excuse, voilà ce qui arrive lorsqu'on parle en français mais qu'on veut parler en anglais.

• 1045

Par ailleurs, pour bien illustrer le problème, on se retrouve avec une définition d'«acte terroriste» qui a une portée tellement large qu'on a vu, devant ce comité d'ailleurs, la ministre et le commissaire de la GRC donner des évaluations différentes de la portée de cette définition.

La ministre a dit que ça aurait pu être utilisé à Québec lors des manifestations autour du périmètre de sécurité, alors que le commissaire a dit la semaine passée qu'à son avis, il n'avait rien vu à Québec qui justifiait l'utilisation de ces dispositions-là. Il aurait pu y en avoir, mais il n'y avait rien.

Si, entre le commissaire de la GRC et la ministre de la Justice, il y a cette grande différence d'interprétation de l'effet de cette disposition, je pense que les organisations de défense des droits ont bien raison de soupçonner, de croire que ça pourrait, peut-être pas dans son intention mais dans son effet, viser la dissidence politique légitime, ainsi que des membres de certaines communautés qui sont particulièrement vulnérables.

Il faut distinguer entre l'intention et l'effet.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Les tours de trois minutes vont maintenant commencer. Je vous signale que pendant le tour de sept minutes, je vous ai plutôt accordé onze minutes. Il vous sera d'autant plus difficile de vous en tenir maintenant à trois minutes. Tâchez autant que possible de poser des questions claires pour que les témoins puissent y répondre en trois minutes.

Monsieur Sorenson, vous avez la parole.

M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Je vous remercie. Je remercie aussi les témoins de comparaître devant le comité aujourd'hui.

Les déclarations préliminaires m'ont beaucoup intéressé ainsi que les observations faites par MM. Denis Paradis et Peter MacKay. M. MacKay a fait observer que vous étiez les protecteurs des droits civils et je crois que M. Paradis, pour sa part, a fait remarquer que même si c'est le cas, désormais rien n'est plus pareil. Les témoins que nous accueillons nous le rappellent chaque jour. Il incombe au gouvernement de protéger notre pays, notre sécurité ainsi que de la liberté dont nous jouissons. Tout a changé. Nous tenons tous à nos libertés civiles, mais nous ne pouvons oublier que 7 000 personnes sont mortes et que d'autres ont perdu un père, une mère, un frère ou une soeur. Il s'agit de viser le juste équilibre. Quatre-vingt pour cent des Canadiens ont dit être prêts à renoncer dans une certaine mesure à leurs droits et à leurs libertés civiles parce qu'ils comprennent, comme M. Paradis l'a expliqué, que tout a changé.

La question que je voulais poser vient de l'être par M. Paradis. M. Russell n'y a cependant pas répondu. À votre avis, quelles dispositions devraient faire l'objet de temporarisation? Lesquelles devraient être supprimées du projet de loi? Chacun d'entre vous a fait observer que la définition de terrorisme était trop large. Quelle définition proposeriez-vous? Si vous étiez à la place du gouvernement et que vous deviez prendre des mesures pour assurer la sécurité nationale, comment définiriez-vous le terrorisme dans un projet de loi comme celui-ci?

M. John Russell: Il importe de comprendre que nous sommes tous conscients du fait qu'il est nécessaire, du moins à court terme, d'accepter un nouvel équilibre entre les libertés civiles et la sécurité. Le débat sur la question vient de s'engager et je crois qu'on s'assurera, en adoptant une disposition de temporarisation, que ce débat se poursuive après l'adoption de la loi, ce qui ne doit pas tarder. Il y a donc cet élément à prendre en compte.

Quant à savoir quelle définition de terrorisme nous proposerions, j'aimerais faire remarquer que la situation évolue à un rythme effarant. Nous avons aussi du mal à définir ce qu'est une activité terroriste, et il nous semble évident que certains changements s'imposent. On pourrait facilement supprimer la division 83.01(1)b)(ii)(E) puisque les divisions (A), (B), (C) et (D) suffisent, à notre sens, à décrire le terrorisme. Il précise qu'un acte terroriste est commis au nom d'une cause de nature politique en vue d'intimider la population par l'usage de la violence, en compromettant la santé et la sécurité des personnes et en causant des dommages matériels. Et nous voyons rien à la division (E) qui ne soit pas déjà couvert dans les divisions (A) à (D). Voilà donc une proposition concrète.

• 1050

Certains ont suggéré qu'on retire le terme «licites» de la division (E). Je ne pense pas que cela changera quoi que ce soit à la situation. On pourra simplement soutenir que ce terme est implicite. Que ce comité propose la suppression de ce terme ou non, cela ne changera pas grand-chose à la façon dont les responsables de l'application de la loi interpréteront cet article. Lorsqu'ils liront «activités de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord» ils comprendront «activités licites de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord». Cela ne réglera donc pas la question essentielle.

Le président: Monsieur Lefebvre, vous avez la parole.

[Français]

M. Roger Lefebvre: Monsieur le président, je veux répondre aux commentaires de mon ami, M. le député Denis Paradis.

Évidemment, on a constaté que le projet de loi avait été rédigé rapidement. Pour cette raison, on vous demande maintenant de vous presser lentement, de voter avec... On est convaincus que l'évaluation du projet de loi se fait très sérieusement et on vous encourage à le faire avec encore plus de sérieux, si c'est possible.

M. le député disait tout à l'heure qu'il y a présentement des Canadiens qui sont prêts à renoncer à leurs droits personnels, qui sont prêts même à renoncer à leur propre liberté à cause de l'inquiétude, de la psychose qu'on a créée partout en Amérique et même dans le monde. Tant et aussi longtemps qu'un citoyen ne sera pas lui-même personnellement privé de son droit à la liberté, ça ira, mais si, par hypothèse, il se sentait injustement privé de sa liberté à cause du projet de loi C-36, sa réaction pourrait être très différente.

C'est là la responsabilité de la Commission des droits de la personne: surveiller le législateur et lui faire des mises en garde. Comme législateur, vous avez la très lourde responsabilité de tenter d'atteindre un équilibre. Vous devez chercher à atteindre votre objectif, qui est de contrer le terrorisme et de protéger les citoyens, mais en même temps, vous ne devez pas voter une loi qui serait, dans des circonstances très exceptionnelles, démesurée par rapport à l'objectif recherché.

C'est un équilibre difficile à atteindre, et on en convient, monsieur le président. Vous avez des responsabilités très lourdes. De notre côté, comme gardiens des droits de la personne, nous avons la responsabilité de surveiller le législateur.

[Traduction]

Le président: Enfin un tour de questions de sept minutes.

Des voix: Oh, Oh!

Le président: Monsieur McKay, vous avez de nouveau trois minutes.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): J'essaierai de m'en tenir aux sept minutes qui sont la norme.

J'aimerais remercier nos témoins de leurs excellents exposés et leur poser deux questions précises.

La première question a trait à la constitutionnalité du projet de loi. Tant la ministre que le ministère, à la Chambre et devant le comité, ont insisté sur la constitutionnalité du projet de loi. C'est aussi la position qu'ils ont soutenue devant le comité sénatorial, si je ne m'abuse. Je soupçonne que ce n'est pas l'avis de ce groupe de témoins.

Cela étant dit, j'aimerais connaître la réaction de nos témoins à une autre façon d'aborder la question de la constitutionnalité. Il s'agit de savoir si la Cour suprême ou les tribunaux en général vont accepter la version du Parlement selon laquelle cette crise est suffisamment grave pour justifier cette mesure législative. Un autre témoin a proposé qu'un comité permanent soit chargé de surveiller constamment la situation, et j'aimerais connaître votre avis sur cette suggestion.

• 1055

La deuxième question que j'aimerais poser a trait aux motifs raisonnables. Je l'adresse tout particulièrement à M. Lefebvre. Je crois que c'est le directeur du SCRS qui nous a dit qu'il existe une jurisprudence établissant ce qu'on entend par motifs raisonnables dans le cas de la détention à titre préventif et des audiences d'enquête. Cette réponse m'a surpris, et peut-être que cette jurisprudence existe effectivement. J'aimerais donc connaître votre avis sur ces questions.

Le président: Messieurs Barrière et Paradis veulent répondre à la première question.

Monsieur Barrière, vous avez la parole.

M. Garth Barrière: Je vais répondre à la question portant sur la Charte. Une distinction doit être faite. On peut se demander si cette loi est constitutionnelle, mais on peut aussi se demander si c'est une bonne mesure législative en soi. Beaucoup de lois tout à fait constitutionnelles peuvent ne pas constituer le meilleur choix sur le plan politique et, comme nous le faisons remarquer, sous l'angle des libertés civiles. Le comité peut donc se demander si la mesure est constitutionnelle, mais il devrait surtout se demander si c'est une bonne mesure législative. Il faudra attendre que ces dispositions soient contestées devant les tribunaux et que le processus d'appel suive ensuite son cours pour savoir si elles sont constitutionnelles ou non.

Un membre du comité a dit que nous étions les protecteurs des libertés civiles, ce qui est un beau compliment, mais vous êtes les protecteurs de la loi. Vous devez jouer ce rôle et c'est ce que vous faites aujourd'hui. L'idée qu'un comité parlementaire surveille constamment la mise en oeuvre de la loi est une très bonne idée. À titre de protecteur de la loi, il incombe aux parlementaires d'abroger ou de modifier une loi qui présente des lacunes, même si elle est constitutionnelle.

Nous recommandons l'adoption d'une disposition de temporarisation parce qu'elle permet aux parlementaires protecteurs de la loi de jouer leur rôle. Vous devez réexaminer plus tard cette loi ou certaines de ses parties pour établir si elle doit continuer d'être mise en oeuvre. Nous sommes d'avis que ce réexamen devrait avoir lieu dans trois ou cinq ans.

[Français]

Le président: Monsieur Barrette.

Me Denis Barrette: C'est au sujet des motifs raisonnables de soupçonner. Comme je le disais plus tôt, ce sont deux concepts qui, généralement, sont opposés. En jurisprudence, les soupçons sont plutôt reliés à des rumeurs, à des informations non vérifiées ou dont la fiabilité n'a pas été vérifiée, surtout en matière de perquisition. Les motifs raisonnables de croire sont des informations généralement vérifiées. Si elles proviennent d'un informateur, on vérifie la fiabilité de l'informateur, etc.

Je peux faire une citation très courte du juge Cory dans l'arrêt Storrey:

    Dans le cas d'une arrestation sans mandat, il importe encore davantage que la police établisse l'existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l'arrestation.

Je vais vous dire ce qu'il y a de spécial à l'engagement assorti de conditions. C'est que le policier, s'il a des soupçons ou des motifs raisonnables de soupçonner, ou encore une crainte, devrait imposer des conditions à une personne donnée afin de l'empêcher de faire telle chose, même si cette personne n'a jamais commis et ne commettra jamais d'infraction criminelle.

Dans ce contexte-là, on se demande sur quelle base les policiers vont obliger quelqu'un à respecter des conditions et détenir quelqu'un pendant 72 heures, prendre ses empreintes et sa photo, même s'il n'a été ni accusé ni inculpé, l'amener devant un juge et l'obliger à respecter des conditions.

Je crois que je dépasse ma minute. Je vous voyais faire des signes.

[Traduction]

Le président: Non. J'essaie de m'assurer que tous ceux qui veulent poser des questions puissent le faire, mais nous ne voulons cependant pas perdre des renseignements précieux.

[Français]

Monsieur Paradis.

M. André Paradis: Je veux revenir sur le fait que les Canadiens, à l'heure actuelle, sont prêts à un rééquilibrage de l'équation sécurité et droits et libertés. C'est sans doute le cas, mais dans les périodes de crise, il faut que le législateur, c'est-à-dire les députés de la Chambre des communes et les sénateurs, fasse preuve d'une prudence encore plus grande, parce que c'est justement dans des périodes de crise et quand il y a ces mouvements d'opinions qui ne sont pas toujours rationnels—je ne dis pas que c'est entièrement irrationnel dans cette situation, mais on peut quand même souligner que la situation au Canada n'est pas la même qu'aux États-Unis, qu'on n'est pas visés au même degré, même s'il y a une menace terroriste ici—qu'il faut faire toutes ces distinctions, pour ne pas que se développe un mouvement d'opinion tellement unilatéral que cela pourrait mener à l'adoption de mesures qui seraient très néfastes pour les droits.

• 1100

Il faut se rappeler l'histoire du Canada et du Québec. Dans les moments de crise, il y a toujours le danger, auquel on cède parfois, d'adopter des mesures qui vont empiéter sur les droits d'une façon disproportionnée.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu un courant très, très fort au Canada pour faire emprisonner systématiquement les Canadiens d'origine japonaise dans des camps de concentration. Le gouvernement canadien, il y a quelques années, a fait ses excuses officielles à la communauté canadienne d'origine japonaise à cet égard. Il a reconnu que, dans un moment d'emportement de l'opinion publique, on avait adopté une mesure qui n'était pas fondée et qui, dans son effet, était discriminatoire et abusive des droits d'une communauté très large.

Bien sûr, il faut rassurer les Canadiens. Il y a des préoccupations légitimes de sécurité. Il faut rassurer les Canadiens et calmer les Américains, mais il ne faut pas le faire au détriment des droits et libertés en limitant de façon indue ces droits et libertés et en adoptant des mesures ayant une portée tellement générale, qui sont tellement ouvertes à l'interprétation de n'importe quel fonctionnaire, de n'importe quel policier ou de n'importe quel agent de sécurité qu'on va se retrouver, en bout de ligne, avec un grand nombre d'abus et de violations.

Je suis sûr que d'autres vous ont dit que dans ces circonstances-là, il faut faire en sorte que ceux qui agissent comme leaders dans la société, et les parlementaires en sont sans doute, aient aussi un regard critique et que, tout en voulant rassurer les citoyens, ils exercent aussi leur discernement, qui est plus que jamais important.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Bellehumeur, trois minutes.

M. Michel Bellehumeur: Je pense que vous avez raison de dire que dans des moments de crise, il faut faire attention de ne pas aller à l'extrême. Présentement, les Canadiens et les Québécois sont à la recherche de la sécurité en raison des événements qu'on connaît. Ils vont s'accrocher à tout ce qu'on va leur donner en leur disant que c'est bon pour la sécurité nationale et pour leur sécurité. C'est sûr que les gens vont s'accrocher à ça. Je pense que vous avez le devoir de sonner l'alarme quand ça va trop loin, ce que vous faites ce matin. À titre de parlementaires, nous devons prendre acte de ce que vous dites.

Il faut regarder ça de la façon la plus détachée possible, sans faire de cas d'espèce, sans s'accrocher à cette fausse sécurité. Il faut bien dire qu'aucune loi ne va arrêter des hommes et des femmes qui décident de se donner la mort pour une cause. Oui, on peut avoir une loi, mais il faut aussi rechercher l'équilibre. Ici, on n'a pas cet équilibre. De toute évidence, on ne l'a pas.

Pour ma part, je suis en faveur d'une clause crépusculaire. Je suis également en faveur de tout le côté des conventions internationales. Mais la façon dont c'est rédigé... Même les conventions internationales font référence, comme vous l'avez dit plus tôt, à certains articles du Code criminel. J'ai de drôles de problèmes présentement. Oui, je veux ces conventions internationales, mais elles font référence à des articles du Code criminel qui, eux, vont très loin au niveau des produits dangereux. Quand de simples gens se mettent devant un camion qui transporte des produits nucléaires, c'est considéré comme un geste de terrorisme.

Je pense que ce qui concerne la propagande haineuse n'est pas problématique, non plus que ce qui concerne le recyclage des produits de la criminalité. Je pense aussi que ce qui concerne l'enregistrement des organismes de bienfaisance, à part le volet très secret de mettre des gens ou pas sur la liste, est quand même acceptable, moyennant une révision pour ces cas-là. Cependant, pour tout le reste de la loi, je voudrais qu'il y ait une clause crépusculaire.

Aux États-Unis, il y a une clause crépusculaire précisant que c'est pour trois ans et que c'est renouvelable pour deux ans par la suite; il y a donc un maximum de cinq ans. En France, on a inscrit clairement dans la loi que ça prend fin le 31 décembre 2003. Je pense qu'en Grande-Bretagne, c'est encore plus complexe: il y a des choses qui se font à toutes les années au niveau d'un certain vote. Je pense que ce serait normal qu'on le fasse ici, sauf pour les exceptions que je viens d'énumérer. Êtes-vous d'accord sur cet énoncé?

• 1105

M. Pierre Bosset: Dans les grandes lignes, oui. La limite de temps est nécessaire, et elle l'est même dans l'esprit des conventions internationales sur les droits de la personne que le Canada a ratifiées, qui prévoient qu'en temps d'urgence, on peut suspendre temporairement les droits de la personne à la condition de le dire. Dans ce cas-ci, on n'a pas eu recours à la proclamation d'un état d'urgence. On aurait pu le faire. Il y a une Loi sur les mesures d'urgence qui existe au Canada, qui a été adoptée ici il y a une douzaine d'années et qui n'a pas été invoquée dans ce cas-ci. Mais on fait face à des circonstances exceptionnelles, et tout le monde en convient. Et parce qu'on fait face à des circonstances exceptionnelles, il faut limiter cela dans le temps.

Je pense que l'énumération que vous avez faite des aspects névralgiques ou problématiques du projet de loi reflète à peu près le consensus des témoins que vous avez devant vous. À tout le moins, je pense que le législateur n'errerait pas en attachant une clause crépusculaire à l'ensemble des dispositions dont vous venez de faire état.

[Traduction]

M. John Russell: D'après les questions que vous et beaucoup d'autres membres du comité nous ont posées, j'en déduis que vous aimeriez que nous vous recommandions quelles dispositions du projet de loi nous devons nous permettre de conserver et celles qui devraient faire l'objet d'un examen approfondi dans quelque temps. Permettez-moi de faire deux suggestions concrètes.

Il est facile de relever dans cette loi les dispositions qui limitent les libertés fondamentales établies. Il s'agit notamment des dispositions sur la détention à titre préventif, les audiences d'enquête et les certificats ministériels. Toutes ces activités limitent l'exercice des libertés fondamentales établies.

À mon avis, il s'agit d'un début, mais ce n'est pas vraiment suffisant. Ce projet de loi est si vaste et compliqué, qu'il ne s'agit là que d'une partie de la tâche à accomplir. Compte tenu du fait que le gouvernement veut faire adopter ce projet de loi rapidement et que nous n'avons pas vraiment examiné les questions que vous avez soulevées, du moins je ne l'ai pas fait ni la B.C. Civil Liberties Association, il sera nécessaire que le Parlement revoie complètement la loi dans un certain temps une fois qu'on se sera fait une meilleure idée de toutes les questions qui se posent.

[Français]

Le président: Monsieur Paradis.

M. André Paradis: Nous avons tendance à partager l'idée que même s'il y avait une clause crépusculaire, tout le texte législatif devrait être revu. À l'heure actuelle, il est très difficile de mesurer l'impact de la multiplicité de mesures qu'il y a. Nous avons réuni une équipe de huit criminalistes, y inclus des gens très connus comme Julius Grey, pour examiner ce projet de loi. Nous avons tenu plusieurs réunions et, au bout de cette démarche, nous avons encore beaucoup de questions et il y a des divergences de vue importantes quant à l'interprétation à donner à certaines mesures. Il y a beaucoup de choses, et il est difficile de mesurer l'impact et tout ça. Nous sommes d'avis que, pour l'essentiel, la loi devrait être soumise à une clause crépusculaire et que l'ensemble devrait être reconsidéré. On partage le point de vue de la British Columbia Civil Liberties Association à ce sujet.

Par ailleurs, on veut éviter que l'inclusion éventuelle d'une clause crépusculaire atténue les critiques qu'on a sur des éléments pourtant fondamentaux du projet de loi. Même avec une clause crépusculaire, il y a là-dedans des mesures tout à fait inacceptables, entre autres la définition d'«acte terroriste». On ne peut pas fonctionner pendant trois ans avec cette définition. Le risque d'abus—il y a d'autres exemples aussi—est trop grand pour qu'on l'accepte. Donc, nous disons oui à une clause crépusculaire, mais aussi oui à des modifications assez majeures à d'autres dispositions du projet de loi.

Le président: Merci.

Monsieur DeVillers, trois minutes.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

On a beaucoup parlé ce matin de notre rôle de législateurs et de notre rôle de représentants du peuple. D'après ma compréhension de l'article 1 de la Charte, on a des droits, mais ce ne sont pas des droits absolus. Ça change avec la volonté du peuple. Je pense qu'après les événements du 11 septembre, on commence à voir qu'il y a au Canada des changements qui sont en train de se faire dans la volonté du peuple vis-à-vis des droits énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés.

• 1110

Les témoins sont-ils d'accord que les droits énoncés à l'article 1 de la Charte ne sont pas des droits absolus, mais des droits qui sont établis par la volonté du peuple? Quelles que soient les modifications qu'on puisse apporter à cette loi, en dernier lieu, c'est la Cour suprême qui va décider. Nous sommes tous convaincus qu'il y aura des renvois à la Cour suprême pour qu'elle puisse déterminer si, oui ou non, on respecte la Charte.

Je voulais simplement vous demander si, à titre d'experts en matière de droits, vous êtes d'accord que l'article 1 n'énonce pas des droits absolus, mais des droits qui peuvent être changés selon la volonté du peuple.

Le président: Monsieur Bosset.

M. Pierre Bosset: L'article 1 dit effectivement que les droits ne sont pas absolus, qu'ils peuvent être limités dans des limites raisonnables dans une société démocratique.

Cependant, je ne suis pas d'accord sur la première partie de votre intervention, quand vous avez dit que les droits et libertés étaient limités par la volonté du peuple. C'est vrai que c'est le peuple qui adopte les lois, mais la volonté du peuple ne peut pas aller au-delà de ce qui est raisonnable pour atteindre un objectif. Il faut être franc: ce sont les tribunaux qui se prononcent là-dessus. Il peut arriver, il est arrivé dans le passé et il va arriver dans l'avenir que le jugement que portent les tribunaux sur les critères de rationalité et de proportionnalité qui sont compris dans l'article 1 ne concorde pas avec la volonté du peuple.

Je dirais que le but d'une charte des droits est justement de protéger les minorités contre la tyrannie de la majorité. Vous allez me dire que c'est de la philosophie, mais c'est l'essence même de la Charte. C'est pour cela qu'on a une charte des droits.

M. Paul DeVillers: Merci.

M. André Paradis: Je veux dire qu'il y a des critères de limitation des droits qui ont été établis dans la jurisprudence de la Cour suprême, comme la proportionnalité par rapport aux résultats recherchés, faire le moins de tort aux droits qu'on vise à limiter, etc. Il y a une jurisprudence qui existe déjà et il y a des critères qui ont été établis pour déterminer dans quelle mesure on peut limiter les droits, mais c'est sûr que ce projet de loi ou une partie de ce projet de loi pourrait se retrouver un jour devant la Cour suprême.

[Traduction]

Le président: Merci. Monsieur Barrière, une dernière réponse.

M. Garth Barrière: Certains laissent entendre que tout a changé depuis le 11 septembre, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Nos principes demeurent les mêmes. Ainsi, nous vivons dans une société libre et démocratique et cela n'a pas changé et ne devrait pas changer. Ce qui devra peut-être changer, c'est la façon dont nous appliquons ces principes du moins à court terme. Les principes eux-mêmes n'ont cependant pas changé.

M. Paul DeVillers: Je conviens avec vous que le monde n'a pas changé, mais la perception qu'on s'en fait a peut-être changé ainsi que l'opinion publique. Voilà ce qui a peut-être changé.

M. Garth Barrière: Vous avez raison, même s'il s'agit d'examiner le projet de loi pour voir s'il est justifié et pour voir s'il crée un juste équilibre. Il faut appliquer les mêmes principes en ayant à l'esprit le fait que le terrorisme est maintenant devenu une réalité en Amérique du Nord et continuera peut-être à s'y manifester.

[Français]

M. Paul DeVillers: Je pense que M. Lefebvre a quelque chose à ajouter.

M. Roger Lefebvre: Je suis d'accord sur les commentaires que mon voisin vient de faire. Vous avez raison également de parler d'une perception dans la population. C'est là que le législateur et, à plus forte raison, la Commission des droits de la personne doivent être encore plus vigilants.

On a entendu tout à l'heure un commentaire allant dans ce sens-là. Au moment où on se parle, les Nord-Américains semblent prêts à accepter toutes sortes de contraintes à leurs droits personnels, mais tant et aussi longtemps qu'ils ne sont pas personnellement visés par une loi du genre.

À partir du moment où il a compris cette ambiance que l'on vit présentement, le législateur doit être extrêmement vigilant. Monsieur le président, je ne veux pas me répéter une troisième ou une cinquième fois, mais nous disons oui à l'objectif visé, mais avec les moyens les plus corrects dans les circonstances. Telle est essentiellement la position de la Commission des droits de la personne.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur MacKay, vous avez trois minutes.

M. Peter MacKay: Je vous remercie, monsieur le président.

• 1115

J'ai l'impression que ce projet de loi peut être très efficace, mais j'estime qu'il présente de très réels dangers s'il est mal mis en oeuvre. Comme j'ai dit plus tôt, la ministre actuelle me semble très raisonnable, mais un ministre qui voudrait mal faire...les ministres changent et les gouvernements changent également, contrairement à ce que certains semblent penser. Comme vous l'avez souligné, les objectifs du projet de loi sont très vastes. Le Commissaire à la protection de la vie privée ainsi que le Commissaire à l'information ont tous deux fait valoir que le projet de loi porte atteinte à la Loi sur la protection de la vie privée et à la Loi sur l'accès à l'information.

Une des raisons évoquées par la ministre et d'autres pour justifier ce fait est que nos alliés ont réclamé ces dispositions. Le Commissaire à l'information a catégoriquement rejeté cet argument. Nous savons que la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis notamment ont prévu une disposition de temporarisation dans leurs propres lois. Il est difficile de comprendre pourquoi on voudrait en premier lieu priver ces deux fonctionnaires parlementaires de leurs pouvoirs d'examen discrétionnaires et soustraire également cette information à l'examen des tribunaux.

Comme nous n'avons pas encore abordé ces aspects-là du projet de loi C-36, j'aimerais connaître votre avis sur le fait que le projet de loi permet au procureur général du Canada de délivrer un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationale. À mon avis, un ministre pourrait invoquer n'importe quand cet article pour refuser de communiquer certains renseignements. L'article est libellé de telle sorte qu'un gouvernement pourrait essentiellement refuser de communiquer de l'information au sujet de ces activités en général. Certaines contrôles s'appliquent déjà aux pouvoirs discrétionnaires dont jouissaient le Commissaire à la protection de la vie privée, le Commissaire à l'information et le juge. La question que je vous pose est donc de savoir si cet article est nécessaire. Au lieu de limiter la durée de son application, pourquoi ne pas l'éliminer tout simplement.

Le président: Monsieur Barrière, vous avez la parole.

M. Garth Barrière: J'ai lu la transcription de la comparution devant le comité de l'honorable Lawrence MacAulay, et si j'ai bien compris, il a mis l'accent sur le principe de l'examen judiciaire, mais on parle ici d'éliminer ce principe. Cela revient à la zone grise de la primauté du droit dont parlait mon collègue. Nous avons certains principes et l'un d'entre eux est que les ministres doivent respecter la règle de la primauté de la loi et que leurs décisions puissent faire l'objet d'un examen judiciaire.

Quatre lois prévoient la délivrance de certificats: la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur les documents électroniques, la Loi sur la protection de la vie privée et, ce qui présente le plus de risques, la Loi sur la preuve au Canada. Ces certificats se substituent au principe sur lequel reposent ces lois, et le remplacent par le principe de la discrétion ministérielle absolue qui ne fait pas l'objet d'un examen. C'est inadmissible. Il faudrait à tout le moins établir un ensemble de critères régissant la délivrance de ces certificats. Le certificat doit aussi faire l'objet d'un examen judiciaire. Cet examen peut au besoin avoir lieu à huis clos ou au moyen de paquets scellés. Les tribunaux pourront alors au moins établir si le certificat répond à certains critères. C'est absolument nécessaire. Nous sommes d'avis qu'un projet de loi ne peut pas conférer à un ministre le pouvoir absolu de refuser de communiquer de l'information.

• 1120

Nous convenons même avec le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l'information que ces dispositions sont inutiles. Elles portent atteinte aux importants rôles qu'ils jouent ainsi qu'aux rôles tout importants que jouent les tribunaux.

Voilà notre réponse.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Owen, vous avez trois minutes.

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Je vous remercie. Je vous remercie tous aussi de votre présence ainsi que de votre précieuse contribution à nos travaux.

J'aimerais faire quelques brèves observations. Lorsque l'on examine un projet de loi comme celui-ci, il s'agit de procéder à une évaluation des risques. Il faut alors constamment avoir à l'esprit deux considérations. Il faut d'abord se demander si l'événement qu'on vise à contrer est susceptible de se produire et quelles sont les conséquences de cet événement. S'il y a peu de risques pour que l'événement se produise mais que ses conséquences seraient élevées le cas échéant, peut-être qu'on n'a pas trop à s'en faire. La même chose vaut s'il y a de forts risques que l'événement se produise, mais que ses conséquences seront peu importantes. Lorsque les conséquences et les risques en question sont tous les deux importants, c'est à ce moment-là qu'on fait face à un véritable problème sur le plan de l'élaboration de la politique officielle et de l'application de la loi. Je crois que nous faisons face à un cas de ce genre, mais il faut évidemment tenir compte de tous les importants points que vous avez soulevés.

Dans le cadre de ce débat, on a souvent mis en opposition la lutte contre le terrorisme et la protection des droits de la personne et des libertés civiles. Je ne crois pas vraiment qu'il y ait d'opposition entre ces deux éléments. À mon avis, le terrorisme et les événements horribles survenus le 11 septembre constituent la négation même des droits de la personne. Nous cherchons maintenant des moyens de protéger ces droits. À mon avis, il n'y a pas d'opposition entre ces deux éléments qui sont tout à fait conciliables.

Je ne vais pas vous poser de question, mais j'aimerais bien connaître votre réaction à tout ceci. Vous ne le savez peut-être pas et de nombreux membres du comité ne le savent peut-être pas non plus, mais la procureure générale et ministre de la Justice comparaissait hier devant le comité sénatorial qui étudie ce projet de loi, et elle a fait valoir qu'elle étudiait la possibilité de modifier certaines dispositions du projet de loi pour tenir compte des préoccupations exprimées par des témoins comme vous.

Elle a dit en particulier qu'elle aimerait obtenir plus d'informations et de conseils sur les quatre questions suivantes: la temporisation de certaines dispositions; la définition d'activité terroriste dans la mesure où elle pourrait s'appliquer aux activités illicites de revendication, ce qui n'est pas l'objet de cet article; la possibilité d'inclure une disposition non discriminatoire dans la définition, question que vous avez soulevée ce matin; et un mécanisme d'examen pour la délivrance des certificats du procureur général.

J'aimerais donc que vous sachiez que notre comité a transmis à la ministre de la Justice les préoccupations exprimées par des témoins comme vous et qu'elle en tient compte.

Le président: Monsieur Russell, vous avez la parole.

M. John Russell: Je vous remercie, monsieur le président. Je vous remercie, monsieur Owen, de ces bons mots.

Je pense que vous avez raison de faire valoir qu'il n'y a pas de véritable opposition entre la sécurité et le respect des droits de la personne et des libertés civiles. L'objectif en bout de ligne doit être de faire en sorte qu'on rétablisse les libertés fondamentales et que notre société soit en mesure de permettre l'expression de ces libertés en toute confiance et sans crainte. Je crois que le principe fondamental qui doit s'appliquer est, comme nous le faisions remarquer dans notre déclaration préliminaire, qu'en temps de crise, nous sommes prêts à accepter que ces libertés fondamentales soient restreintes pour mieux les protéger. Si ce principe est admis, il en découle que nous devons notamment considérer ces dispositions extraordinaires comme des dispositions temporaires, car autrement, nous renoncerions à vivre dans une société ouverte.

Je pense que nous disons la même chose. Il faut viser un équilibre entre la sécurité et la protection des droits fondamentaux, et si l'on peut accepter que ces droits soient restreints en période de crise c'est simplement pour mieux les protéger à long terme.

• 1125

[Français]

M. Roger Lefebvre: Merci, monsieur le président.

J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les commentaires de M. Owen. En fin de compte, le législateur et la Commission des droits se rejoignent sur les grands enjeux. Le citoyen a droit à sa sécurité. Nous avons l'obligation et vous avez, comme législateurs, l'obligation de nous assurer qu'il puisse jouir de cette sécurité, même dans des circonstances extrêmement difficiles comme celles que nous vivons présentement. D'autre part, il faut protéger les droits fondamentaux de ceux et celles qu'on veut protéger. C'est l'exercice auquel vous, les législateurs, êtes confrontés.

J'ai également, monsieur le président, pris bonne note des commentaires de M. Owen, qui dit que Mme la ministre, dès aujourd'hui peut-être, déposerait ou indiquerait aux parlementaires de la Chambre des communes qu'il y aura des amendements ou des modifications au projet de loi C-36, que ce soit sur le terrorisme ou sur l'utilisation de la clause crépusculaire.

Monsieur le président, je m'adresse à tous les députés de la Chambre des communes pour affirmer que commenter et analyser ces nouvelles dispositions fait partie du rôle et des responsabilités de la Commission des droits et que si on nous le demande, nous le ferons.

[Traduction]

Le président: J'aimerais remercier tous nos témoins de nous avoir consacré du temps et nous avoir fait profiter de leurs talents et de leur compétence. Nous les remercions aussi de défendre aussi éloquemment les valeurs qu'ils protègent. Vous avez insisté sur le fait qu'il nous fallait faire preuve de jugement et vos interventions nous aideront à le faire.

Nous ferons une pause de quelques minutes pour permettre aux témoins suivants de s'installer à la table.

• 1127




• 1135

Le président: C'est toujours un bon signe lorsque les membres du comité ne veulent pas laisser des témoins s'en aller, mais nous devons poursuivre nos travaux. Nous reprenons l'examen du projet de loi C-36.

Nous accueillons maintenant madame Michelle Falardeau-Ramsay, Commissaire aux droits de la personne, avec laquelle nous nous entretiendrons pendant une heure et demie. Je vais lui demander de bien vouloir nous présenter ses collaborateurs. Comme ce n'est pas la première fois qu'elle comparaît devant un comité, je suis sûr qu'elle sait qu'elle a 10 minutes pour faire sa déclaration préliminaire et que nous lui poserons ensuite des questions.

Madame Falardeau-Ramsay.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay (commissaire en chef, Commission canadienne des droits de la personne): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

Permettez-moi de vous présenter les personnes qui m'accompagnent aujourd'hui. Il s'agit de M. John Hucker, secrétaire général de la commission et de M. Richard Tardif, avocat général.

[Français]

Les répercussions du 11 septembre continuent à se faire sentir. Il est donc facile de comprendre que le gouvernement s'efforce de doter le Canada d'un régime juridique lui permettant d'affronter les menaces terroristes. En même temps, il est vital pour nous d'éviter de mettre en place des mesures dépassant l'objectif visé et remettant en cause les droits de la personne, simplement parce qu'il est urgent d'adopter de nouvelles dispositions pour contrer le terrorisme. C'est dans cet esprit que je souhaite vous faire part de la préoccupation de la Commission canadienne des droits de la personne devant certains éléments du projet de loi C-36 et de son appui à d'autres éléments.

Permettez-moi de commencer par les aspects positifs. Nous appuyons énergiquement les modifications de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne que propose le projet de loi C-36. Depuis des années, la Commission canadienne de droits de la personne interprète sa loi comme si elle couvrait la propagande haineuse diffusée sur Internet. Nous sommes donc heureux que le projet de loi C-36 le fasse explicitement. À l'heure actuelle, les personnes nommées expressément dans un message ou un document relevant de la propagande haineuse peuvent recevoir une indemnité d'au plus 20 000 $, et le responsable de la propagande haineuse peut être condamné à une amende maximale de 10 000 $. Compte tenu de la gravité de cette propagande, la commission croit qu'on devrait envisager d'augmenter ces amendes.

La commission se réjouit également de ce que le projet de loi propose d'étendre les dispositions de l'article 320 du Code criminel de façon à permettre à un tribunal d'ordonner que les messages haineux placés sur Internet soient effacés en attendant une décision judiciaire finale.

La commission considère qu'il est extrêmement important de faire correspondre aux mesures de sécurité renforcées prévues dans le projet de loi C-36 d'autres mesures destinées à combattre les actes de haine ou de discrimination visant les groupes minoritaires.

Il est cependant évident que toute attaque à motivation raciale ou religieuse ou tout acte de vandalisme dirigé contre un lieu du culte est inacceptable. La commission est donc heureuse de constater que le projet de loi contient de nouvelles mesures énergiques pour combattre les méfaits commis dans une église, une synagogue, une mosquée ou un temple. Mais, à notre avis, cette disposition ne devrait pas s'arrêter aux dommages causés à un lieu du culte. Elle devrait aussi s'étendre à d'autres bâtiments servant à des activités et à des rencontres ethniques et culturelles.

Parallèlement aux nouvelles mesures législatives, le gouvernement devrait également veiller à mettre en place des programmes et des initiatives supplémentaires pour mieux sensibiliser le public et les services policiers aux droits de la personne. Nous avons entendu parler de réactions malheureuses depuis les événements du 11 septembre et avons donc besoin d'efforts supplémentaires de la part du gouvernement, de la police et d'autres pour parer à ce phénomène.

• 1140

[Traduction]

Toutefois, comme je l'ai mentionné dans mes observations préliminaires, certains éléments du projet de loi suscitent de sérieuses préoccupations au chapitre des droits de la personne. Le gouvernement a dit et répété que cette mesure législative réalise un équilibre approprié entre la nécessité d'affronter le terrorisme et celle de préserver les droits et libertés garantis par la Charte. Malheureusement, aucune contestation en vertu de la Charte n'a encore permis de déterminer si c'est effectivement le cas. Nous reconnaissons que les droits garantis par la Charte ne sont pas absolus et que la lutte contre le terrorisme peut nécessiter l'adoption de nouvelles mesures imposant des restrictions temporaires aux droits et libertés. Nous craignons cependant que certains éléments du projet de loi limitent ces droits et libertés au-delà de ce «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». La question à se poser est donc la suivante: Est-ce que ces pouvoirs supplémentaires nous donnent un surcroît de sécurité suffisant pour justifier les restrictions correspondantes des droits de la personne?

La définition d'«activité terroriste» est la disposition qui nous inquiète le plus. Je serai brève parce que je sais que le comité a entendu d'autres témoins exprimer la même préoccupation. Nous risquons de voir s'inscrire dans cette vaste définition des activités qui ne constituent que l'expression légitime de divergences politiques. Ainsi, le projet de loi exige qu'une protestation, la manifestation d'un désaccord ou un arrêt de travail soient «licites» pour échapper à la définition du terrorisme. Cela laisse entendre que des grèves et d'autres manifestations illégales pouvant avoir pour but de perturber sérieusement un service, une installation ou un système essentiels, mais qui ne correspondraient pas du tout à l'interprétation courante du terrorisme, pourraient s'inscrire dans la définition du projet de loi C-36.

Nous convenons que la suppression du mot «licite» peut remédier à la situation, mais la mention d'activités pouvant «compromettre gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population» pourrait aussi permettre une interprétation assez large pour englober des activités qu'on n'associerait pas normalement au terrorisme. Bien sûr, les actes ou omissions visant à causer la mort ou des blessures graves ou à mettre en danger la vie d'une personne devraient figurer dans la définition, mais il est concevable qu'une grève des travailleurs de la santé soit considérée comme un acte tendant «à compromettre gravement la santé ou la sécurité» de la population.

À part le caractère vague du libellé, la définition nous ferait courir le risque de voir certains groupes injustement ciblés tout simplement à cause de leur race, de leur origine ethnique ou de leur religion. La possibilité d'une interprétation trop large de la définition est particulièrement inquiétante si l'on considère les pouvoirs extraordinaires que le projet de loi confère à la police et à l'État et qui, pour l'essentiel, se fondent sur cette définition comme sauvegarde contre les abus.

Le pouvoir d'arrestation à titre préventif prévu à l'article 83.3 constitue un deuxième élément préoccupant en ce qui concerne le respect des droits de la personne. Le projet de loi C-36 étant long et complexe, nous n'avons pas eu la possibilité d'en faire une analyse approfondie. Nos observations sont donc préliminaires et très générales. Le pouvoir de procéder à une arrestation à titre préventif figure déjà ans notre Code criminel pour un nombre très limité d'infractions. Le nouveau pouvoir de mise sous garde inscrit dans le projet de loi C-36 se fonde sur une définition trop large de l'infraction de terrorisme. En même temps, il est associé à des modifications de la Loi sur la preuve au Canada qui élargissent les possibilités de non-divulgation d'éléments de preuve pour des motifs relevant de la sécurité nationale. Si notre interprétation du projet de loi est exacte, nous courons donc le risque qu'un détenu qui n'a été accusé d'aucun acte criminel, mais qui a été mis sous garde parce qu'il y a des «motifs raisonnables» de croire qu'il pourrait commettre une infraction, ne soit pas mis au courant de toutes preuves réunies contre lui.

• 1145

Nous savons que le projet de loi C-36 exige le consentement du procureur général avant l'exercice de ces pouvoirs mais, toute opportune qu'elle soit, cette garantie est insuffisante. Le droit international souligne que l'exercice du pouvoir de détention à titre préventif ne doit pas être arbitraire et doit être strictement limité—tant sur le plan des preuves nécessaires qu'en ce qui concerne la période de détention—pour éviter la violation des droits de la personne et des libertés fondamentales.

À ce stade, je ne peux que signaler ces quelques questions. Une analyse plus détaillée de l'interaction entre les modifications de la Loi sur la preuve au canada et le pouvoir d'arrestation à titre préventif est nécessaire avant l'adoption du projet de loi. Nous craignons que le rythme accéléré d'examen de cette mesure législative écourte le débat et ne permette pas une étude adéquate de toutes ses répercussions quant aux droits de la personne.

Il y a lieu en outre de considérer l'article du projet de loi qui permet la détention à titre préventif. Nous ne devons pas perdre de vue qu'il s'agit d'une personne qui n'est accusée d'aucun acte criminel. Il est possible d'établir un parallèle entre les dispositions de détention à titre préventif du projet de loi C-36 et celles du projet de loi C-11 relatives à la détention dans le domaine de l'immigration. Dans ce dernier cas, le législateur a imposé le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention au moins une fois tous les 30 jours. Si les dispositions concernant la mise sous garde sont maintenues dans le projet de loi C-36, le comité voudra peut-être recommander un contrôle périodique des motifs de détention.

[Français]

Nous avons également quelques questions à poser au sujet des modifications envisagées de la Loi sur la preuve au Canada et des modifications corrélatives de de Loi canadienne sur les droits de la personne.

La modification des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada aurait pour effet de permettre à un ministre ou à un fonctionnaire de s'opposer à la divulgation de renseignements à la Commission canadienne des droits de la personne pour des motifs d'intérêt public. Nous nous inquiétons en particulier des changements proposés à l'article 38.13 de la Loi sur la preuve au Canada, qui permettraient «à tout moment» au ministre de «délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation [...] de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales». Comme l'ont dit le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information, grâce à cette disposition, «la ministre aurait, en délivrant un certificat de ce genre, le droit absolu et incontrôlable de maintenir le secret sur des renseignements pendant un période indéterminée».

[Traduction]

Enfin, compte tenu de la raison d'être du projet de loi C-36, qui est d'affronter la menace accrue de terrorisme au lendemain du 11 septembre, et des pouvoirs étendus rappelant les mesures d'urgence et de guerre qu'il accorde à l'État et à la police, nous recommandons fortement d'inscrire dans le projet de loi une disposition de réexamen qui entraînerait l'abrogation automatique des articles au plus tard trois ans après la date de la sanction royale. Tout en reconnaissant que le projet de loi comprend des éléments qui ne devraient pas être assujettis à une telle disposition, comme les modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous croyons fermement que les parties du projet de loi qui étendent les pouvoirs de la police, notamment en ce qui concerne les interrogatoires pour fins d'enquête ou l'arrestation et la détention à titre préventif, ou qui élargissent les conditions de non-divulgation d'éléments de preuve, devraient s'éteindre à une date prescrite. Il y aurait un moyen simple de procéder pour atteindre cet objectif: il suffirait de subdiviser le projet de loi en deux parties, afin de séparer les mesures qui seraient soumises à la disposition d'extinction.

• 1150

En faisant cette suggestion, nous ne supposons pas que la lutte contre le terrorisme sera terminée dans trois ans. Il s'agit simplement de demander au Parlement soit de reconfirmer la mesure législative en l'édictant à nouveau soit de la modifier. Une disposition de réexamen oblige tous les intervenants à se concerter pour déterminer si la situation justifie encore le recours à des pouvoirs extraordinaires.

J'espère que vous vous voudrez bien accorder l'attention nécessaire aux questions que nous avons soulevées. La commission est consciente de la nécessité pour le gouvernement d'agir sans tarder pour affronter la menace du terrorisme, mais elle croit en même temps que l'adoption à la hâte de mesures d'une portée excessive aurait pour effet non d'éradiquer le terrorisme, mais de mettre en doute le ferme attachement du Canada aux idéaux de la primauté du droit et du respect des droits de la personne inscrits dans notre constitution.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

La première période de sept minutes ira à monsieur Fitzpatrick.

M. Brian Fitzpatrick: Vous pouvez peut-être m'éclairer. D'après ce que j'ai compris de la disposition du projet de loi relative à la détention à titre préventif, une personne ne pourra pas être détenue plus de 72 heures. Selon le projet de loi sur l'immigration, les motifs de la détention doivent être réexaminés tous les 30 jours. Il y a une grande différence, n'est-ce pas?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je voulais parler du cas, par exemple, où quelqu'un est en détention à titre préventif et passe devant le juge, qui lui aurait ordonné, sous caution, par exemple, de ne pas aller à moins de 100 pieds d'une mosquée ou quelque chose du genre, ou encore de revenir devant le tribunal pour témoigner et qu'il ne serait pas revenu. À ce moment-là, le juge peut ordonner de détenir cette personne pour une période qui peut aller jusqu'à 12 mois. Dans un tel cas, je pense qu'il faudrait réexaminer régulièrement les motifs de la détention à titre préventif.

M. Brian Fitzpatrick: Certains sont très inquiets des conséquences possibles de ces dispositions. On a même parlé de la création d'une société comme celle du grand frère de George Orwell, où l'État contrôle, espionne et surveille une multitude de Canadiens à leur insu. Cela me rassurerait de savoir qu'il faudrait au préalable obtenir qu'un juge donne son autorisation ou examine la situation. Des experts m'ont dit que certaines dispositions de la loi ne prévoyaient aucun contrôle de ce genre et que ce pourrait être des hommes politiques qui décident de commencer à contrôler ce que fait un Canadien qu'ils veulent surveiller sans que personne ne le sache et ne puisse le contester. Croyez-vous que c'est possible?

• 1155

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je n'ai pas examiné de façon particulière quels seraient, par exemple, les pouvoirs du SCRS ou de la police pour ce qui est de voir ce qui arrive aux personnes visées par la mesure, mais une chose que je considère très importante, c'est que cela touche certaines valeurs très fondamentales de notre système juridique, par exemple l'obligation d'être mis au courant des faits qu'on vous reproche. Dans bien des cas, les personnes visées par le projet de loi pourraient ne pas être au courant de ce qu'on leur reproche, ce qui les empêcherait de pouvoir répondre à ces accusations de façon complète et exhaustive.

Autre chose, c'est que le droit de ne rien dire n'existerait plus et qu'on serait obligé de témoigner même si on n'est accusé de rien et qu'on est simplement un témoin. À mon avis cela va aussi à l'encontre d'un droit très important que prévoit notre système juridique.

Le secrétaire général voudra peut-être ajouter quelque chose à ma réponse.

Le président: Monsieur Hucker.

M. John Hucker (secrétaire général, Commission canadienne des droits de la personne): Je n'ai rien à dire au sujet de la surveillance. Je pense que nous avons examiné jusqu'ici les risques immédiatement apparents pour les droits de la personne. Nous n'avons pas déterminé dans quelle mesure l'accroissement des pouvoirs de surveillance nuira à la protection de la vie privée. Si je ne m'abuse, vous avez déjà entendu le témoignage du Commissaire à la protection de la vie privée, qui a certaines réserves graves à ce sujet. Nous sommes d'accord avec lui sur ce point.

Au départ, notre analyse portait surtout sur la nécessité d'examiner pleinement toutes les dispositions du projet de loi et, deuxièmement, sur le besoin d'en arriver à un équilibre quelconque entre les mesures qui visent à contrer les menaces à la sécurité du pays et le besoin de renforcer les notions de droits de la personne et de non-discrimination dans le projet de loi.

M. Brian Fitzpatrick: Je viens de jeter un coup d'oeil à la définition américaine, qui est beaucoup plus brève. Cette définition porte sur trois éléments, soit la destruction massive, l'assassinat ou l'enlèvement, actes qui viseraient à intimider la population civile ou à influencer la politique du gouvernement par intimidation. À bien des égards, je commence à penser que la définition américaine est la bonne. Il est difficile de savoir exactement tout ce qui peut arriver, mais je ne peux pas vraiment imaginer qu'un acte de terrorisme ne puisse pas être englobé par cette définition. Il me semble que la définition du projet de loi est beaucoup plus large et qu'on pourrait l'appliquer à toutes sortes d'activités qui ne correspondent pas vraiment à ce que vous ou moi pourrions considérer comme du terrorisme. Je me demande si nous devons voir quelle définition les autres pays ont adopté au lieu de nous en tenir simplement à notre première idée. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je suis tout à fait d'accord pour dire que cette définition est trop large. Elle devrait être plus restreinte pour éviter que l'on considère les activités normales de revendication comme du terrorisme.

Le président: Merci, monsieur Fitzpatrick.

[Français]

Monsieur Bellehumeur, sept minutes.

M. Michel Bellehumeur: Je veux vous remercier de votre témoignage, ainsi que de votre mémoire, qui sera fort utile.

Selon ce que je comprends, vous êtes d'accord sur tout le volet du projet de loi C-36 qui touche la propagande haineuse, les méfaits relativement aux églises et aux synagogues, et les peines reliées à cela.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Tout à fait.

M. Michel Bellehumeur: Cependant, pour répondre davantage à vos préoccupations, il faudrait augmenter les peines de 10 000 $ à 20 000 $.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: C'est ça.

M. Michel Bellehumeur: D'accord. Et il faudrait ajouter les cimetières aux lieux de prière. Jusqu'à présent, on s'entend?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: On s'entend très bien. Il faudrait ajouter les cimetières et aussi les centres culturels et les centres de rencontre.

• 1200

M. Michel Bellehumeur: Pour tout le reste, comme les trois groupes qu'on a entendus ce matin, vous êtes d'accord qu'on est dans une situation exceptionnelle et qu'il faut une loi exceptionnelle, mais qu'on est peut-être allé un peu trop loin. Il y a des risques de dérapage, d'abus, etc. Vous avez fait état de certaines de ces possibilités. Il faudrait avoir une clause crépusculaire prévoyant que ces dispositions tomberont dans trois, quatre ou cinq ans.

Vous dites dans votre mémoire que c'est relativement facile: on n'a qu'à faire un projet de loi en deux parties. Moi aussi, au début, je pensais que c'était relativement facile. Cependant, à moins que vous ayez déjà fait l'exercice, il n'est pas si évident de diviser ce projet de loi en deux parties, compte tenu des renvois et des définitions.

Vous êtes-vous arrêtée sur ce qui pourrait rester et sur tous les autres articles qui devraient être touchés par la clause crépusculaire? Après trois ans, par exemple, ces dispositions mourraient d'elles-mêmes à moins que le Parlement ne les réétudie et ne les adopte à nouveau. Avez-vous fait cet exercice?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: On a fait l'exercice par rapport à ce qui touchait notre loi. Par exemple, il est très clair que nous sommes tout à fait en faveur des amendements qui concernent les messages haineux sur Internet. On pense que cela devrait rester même s'il y avait une clause crépusculaire.

Je dois vous avouer que je n'ai pas pu examiner le projet de loi article par article dans le temps que nous avons eu pour le regarder, mais je pense qu'il pourrait être utile de faire un tel exercice. Il y a peut-être certaines dispositions, comme celles que je mentionnais par rapport à notre loi, qui pourraient être facilement mises à part.

Il est évident que les parties qui touchent le pouvoir accru d'enquête pour la police, la détention préventive et les certificats qui empêchent la présentation de preuve devraient être soumises à une clause crépusculaire.

M. Michel Bellehumeur: Vous me rassurez un peu. J'ai fait l'exercice. Sincèrement, sauf pour les dispositions sur la propagande haineuse et les méfaits, peut-être même avec les modifications que vous proposez, c'est difficile à faire. C'est à peu près la seule partie qu'on pourrait mettre à côté et qui pourrait rester par la suite. On serait capables de vivre avec cela. D'ailleurs, certains amendements que vous proposez sont peut-être souhaitables.

Voici mon autre question. La ministre, en répondant à plusieurs questions que je lui avais posées en Chambre relativement à la clause crépusculaire, m'a toujours parlé de la révision. Effectivement, on voit que la loi prévoit une révision dans trois ans.

Faites-vous une distinction entre la révision qui est dans cette loi et une clause crépusculaire?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je fais une distinction énorme. D'abord, la révision est une chose qui n'est pas obligatoire, qui peut venir ou ne pas venir. Je vais vous donner un exemple, celui de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, que nous administrons. Il y a dans cette loi une disposition qui prévoit une révision au bout de cinq ans. Cette révision devrait normalement avoir lieu à l'automne. Il se peut qu'elle n'ait pas lieu. Il se peut qu'elle ait lieu dans un ans ou deux, mais il se peut aussi qu'elle n'ait pas lieu. Donc, une révision est un mécanisme qui est loin d'être certain, tandis que lorsqu'il y a une clause crépusculaire, la loi cesse automatiquement d'agir. Si on veut la remettre dans les livres, il faut retourner en Chambre et reprendre tout le processus. À ce moment-là, il faudra peut-être adapter la loi aux circonstances qui auront changé.

• 1205

M. Michel Bellehumeur: Je vous remercie. J'aurais aimé qu'un plus grand nombre de députés libéraux entendent votre explication. J'espère qu'ils vous liront.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: J'espère qu'ils me liront.

M. Michel Bellehumeur: Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

Le président: Vous avez sept minutes, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

[Français]

Madame la commissaire, merci beaucoup de votre témoignage.

[Traduction]

Votre mémoire est très bien pensé et il nous sera très utile de pour notre examen de ce projet de loi vu que nous commençons tous à comprendre à quel point il est complexe et général puisqu'il touche à tellement d'autres domaines du droit. Autrement dit, comme pour les actes du 11 septembre, il va nous falloir pas mal de temps avant de comprendre toutes les répercussions de cette mesure.

Ce que vous dites au sujet de la façon dont on utilisera les audiences d'enquête m'inquiète un peu. C'est une question que je me pose moi-même depuis quelques semaines, depuis la présentation du projet de loi, en réalité. Comme vous le savez, lors d'une enquête préliminaire, on peut examiner les témoignages et présenter les arguments de la Couronne. Lors des audiences d'enquête prévues dans le projet de loi, non seulement pourra-t-on obliger quelqu'un à témoigner oralement, mais on peut aussi exiger la présentation de preuves. La disposition restreint ensuite la façon dont ces renseignements ou preuves pourraient être utilisés lors d'un procès subséquent.

Je me demande donc comment cela va fonctionner. Si quelqu'un fait des aveux complets et présente des preuves concluantes de sa culpabilité ou de celle d'un autre, la mesure semble restreindre l'utilisation subséquente de ces preuves lors d'une poursuite ou d'un procès au criminel. À mon avis, il faudrait certainement préciser davantage comment ces audiences d'enquête se passeront. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Je m'inquiète aussi à propos de la question dont vous avez parlé dans votre exposé au sujet du processus d'examen. Je suis d'accord avec l'interprétation que vous en avez donnée. Quelqu'un qui refuse de se plier aux restrictions qu'on lui a imposées parce qu'il n'a pas voulu témoigner ou qu'il a refusé d'accepter les conditions de caution pourrait rester en détention pendant la période d'un an sans qu'il y ait le moindre examen de son cas. Du moins, on n'a pas semblé prévoir de mécanisme pour permettre au détenu ou à son avocat de dire qu'il a changé d'avis ou qu'il voudrait pouvoir repasser devant un juge pour savoir sur quelle preuve s'appuie la Couronne pour le détenir. Détenir quelqu'un pendant 12 mois sans porter d'accusation et sans examen de son cas constitue une violation extrême de ses droits. Cette disposition semble donc elle aussi ouvrir la porte aux abus.

Il y a enfin la définition de terrorisme sur laquelle nous nous sommes tous interrogés. Avez-vous de votre côté songé à un libellé précis ou à quelque chose que vous voudriez ajouter ou supprimer à la définition pour l'améliorer?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je suis d'accord avec votre premier point, soit que le processus devrait être plus clair. Cette mesure porte sur des droits fondamentaux très importants, et la loi devrait expliquer de façon très claire et très précise comment elle sera appliquée.

En ce qui concerne le processus d'examen pour la personne détenue, il me semble que cela touche aussi l'un des droits les plus importants du droit coutumier, soit la présomption d'innocence. Il faudrait aussi en tenir compte.

• 1210

Quant au libellé précis de la définition de terrorisme, quelque chose que j'ai mentionné dans mon exposé, c'est qu'on pourrait enlever le mot «licites» pour ce qui est de la définition même, mais je ne suis pas rédactrice législative. Tout ce que je peux vous dire, c'est que la définition devrait être restreinte pour qu'on ne puisse pas considérer, par exemple, comme je le dis dans mon texte, une grève des médecins comme un acte de terrorisme. À mon avis, c'est très important.

M. Peter MacKay: Cela pourrait aussi s'appliquer aux policiers eux-mêmes en grève.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Exactement.

M. Peter MacKay: Je m'excuse d'aller si vite, mais nous avons très peu de temps pour examiner un projet de loi de cette importance.

Vous avez aussi parlé de l'examen judiciaire. C'est presque une contradiction parce que le projet de loi prévoit l'examen judiciaire de certificats pour les organismes de bienfaisance, et encore une fois, cela n'a rien à voir avec l'importance de la question, mais on ne prévoit aucun examen judiciaire si l'on refuse de l'information lorsque le procureur général délivre un certificat pour des raisons de sécurité nationale ou de relations internationales. Cela peut englober bien des choses et permettrait au ministre de la Justice de dire que le gouvernement ne fournira pas de raisons pour ses décisions et qu'il n'y aura aucun examen d'agents du Parlement ou des juges. Nous ne pouvons que conclure que l'on ne fait pas confiance à ces agents du parlement ou des juges dans un tel cas. C'est en soi très troublant.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: C'est très troublant. Il me semble que les tribunaux devraient au moins avoir la possibilité d'examen pour la délivrance de certificats de ce genre. La règle audi alteram partem qu'on m'a apprise à la faculté de droit dit bien qu'on doit savoir quelles preuves on a contre vous.

M. Peter MacKay: Oui.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Il faudrait faire preuve d'énormément de prudence en pareil cas. À mon avis, ce serait une très bonne chose de prévoir un examen quelconque pour ce processus.

M. Peter MacKay: Merci beaucoup.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: L'avocat général a peut-être quelque chose à ajouter sur les questions que vous avez mentionnées.

M. Richard Tardif (avocat général, Commission canadienne des droits de la personne): Non, je pense que vous avez à peu près tout dit.

Comme la commissaire l'a dit, le fait qu'il n'existe aucun mécanisme qui permette d'examiner la façon dont le ministre use de sa discrétion pour délivrer un certificat nous préoccupe certainement. Comme on l'a dit à maintes reprises, même s'il existe certains recours devant les tribunaux, ce serait malheureux que quelqu'un doive aller devant les tribunaux et finisse par aboutir devant la Cour suprême du Canada après un certain nombre d'années. C'est pourquoi la commissaire a dit qu'il faudrait s'assurer qu'il existe un mécanisme pour empêcher de telles situations. Par exemple, si nous avions une définition plus claire du terrorisme, nous pourrions limiter les situations où cela pourrait arriver.

Le président: Monsieur MacKay, madame et messieurs, merci beaucoup.

Monsieur Paradis, vous avez sept minutes.

[Français]

M. Denis Paradis: Merci beaucoup, monsieur le président.

Madame la présidente, merci beaucoup de votre présentation. On mentionnait que les gens du ministère de la Justice qui ont rédigé la loi avaient dans ce cas-ci, semble-t-il, fait des efforts beaucoup plus grands pour que la rédaction de cette loi, qui a été faite assez rapidement, puisse se conformer aux normes acceptables pour les lois en matière de droits de la personne. On nous a même dit que deux équipes avaient travaillé nuit et jour en parallèle pour s'assurer que chacun des articles soit conforme à ces normes minimales.

• 1215

L'ensemble des intervenants nous parlent des problèmes, et il y a deux points principaux qui ressortent: la définition et la clause crépusculaire. Je dois vous dire que dans mon comté de Brome—Missisquoi, il y a neuf postes-frontières. En fin de semaine, je suis allé visiter ces neuf postes-frontières et j'ai vu les préoccupations des camionneurs qui attendaient trois heures en ligne et d'autres gens qui voulaient traverser la frontière. On est dans une situation un peu exceptionnelle. Les Américains sont pas mal nerveux. Ils ont doublé leurs effectifs aux postes-frontières. On fait les opérations à 100 p. 100. On fouille toutes les autos, tous les camions, etc.

L'important, c'est l'équilibre entre les droits de ces camionneurs et de ces commerçants qui font affaire avec les États-Unis—il se transige pour 2 milliards de dollars par jour de biens d'un côté à l'autre de la frontière—et les droits des citoyens, qui ne doivent pas se faire attraper par une loi qui aurait des pouvoirs trop étendus, mais qui doit avoir des pouvoirs assez étendus. C'est toute la question de l'équilibre qu'il doit y avoir.

On dit que le monde a un peu changé. Aujourd'hui, on met davantage l'accent sur l'information et sur nos services de renseignement, qu'on appelle en anglais l'intelligence. À cet égard, il y a peut-être eu des lacunes dans le passé. Je pense que les Américains vont aussi trouver qu'ils n'ont pas fait assez d'intelligence pour aller chercher de l'information sur le terrain.

J'attire votre attention sur l'article 38.13 proposé à la Loi sur la preuve, que vous citiez dans votre texte:

    ...délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation [...] de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense et la sécurité nationales.

Je comprends que dans un souci d'augmenter les sources d'information et d'aller chercher des renseignements à l'étranger, on va devoir donner des garanties quelque part. On dira: si tu me dis ça, je ne le répéterai pas ou ça ne deviendra pas du domaine public, ni demain matin, ni dans trois mois, ni dans six mois. Sans cela l'autre dira: je ne te parlerai pas si l'information que je te donne risque de devenir publique.

On parle aussi d'une clause crépusculaire et on dit qu'on pourrait rendre cela public trois ans plus tard. Je ne sais pas si c'est bien ce que vous avez voulu nous dire, mais on veut rendre publics des éléments de preuve. Je mêle deux choses, n'est-ce pas?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: La clause crépusculaire met un terme à l'exercice de la loi. La loi devient caduque. Elle n'existe plus dans nos livres. Cela ne veut pas dire que les renseignements deviennent publics. Les renseignements demeurent confidentiels.

M. Denis Paradis: Comme d'autres nous l'ont aussi dit, vous dites qu'une telle clause crépusculaire devrait être appliquée à certains chapitres, à certains articles ou à certaines dispositions, et vous nous parlez de trois ans, je pense. Est-ce que j'ai bien lu?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Oui. Cela pourrait être trois ans, parce qu'au bout de trois ans, on va avoir une bonne idée, je l'espère, de la façon dont la situation aura évolué. Je dis trois ans, mais cela peut être deux ans, comme ça peut être quatre ans. Il nous faut un temps suffisant pour nous permettre d'évaluer l'état de la situation. Une période d'un an me paraît courte, parce que dans ce domaine-là, on ne peut pas faire grand-chose en un an. Une période de cinq ans me paraît un peu longue, parce qu'il se peut que la situation change considérablement entre-temps. Il me semblait qu'une période de trois ans était un moyen terme.

M. Denis Paradis: Pendant ces trois ou quatre années, est-ce qu'on pourrait avoir un mécanisme qui ferait en sorte que s'il y avait de l'abus quelque part, cela pourrait être soulevé immédiatement? À un moment donné, certains pourraient utiliser des pouvoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été conçus, et il serait peut-être bon qu'un mécanisme existe pour cela. Je ne fais allusion à rien de particulier, si ce n'est à ce qui me vient à l'esprit, soit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Donc, est-ce qu'on pourrait penser à un mécanisme qui, pendant ces trois années, pourrait faire en sorte que tout abus puisse être soulevé et rendu public?

• 1220

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Vous me prenez un peu au dépourvu. Je n'ai pas pensé à quelque chose du genre, mais je vois difficilement comment on pourrait prévenir des abus par l'intervention d'un comité quelconque. Il me semble que cela pourrait être assez difficile parce que la plupart des choses qui sont mentionnées là sont justement des choses secrètes qui ne seraient pas divulguées à cause du certificat. Comment voulez-vous qu'il y ait de la publicité à ce sujet?

Quant à ce qui concerne la possibilité d'abus dans le domaine des détentions préventives, par exemple, si c'est basé sur un certificat, le même problème survient. C'est pour cela que c'est important qu'il y ait un système de révision ou d'appel de la décision du procureur général quant à l'émission du certificat. Je pense que c'est la meilleure façon de prévenir les abus de ce côté-là.

On vous dira qu'il y a l'application de la Charte, mais l'application de la Charte, comme on le sait tous, est un processus long et coûteux. Ce n'est pas quelque chose qui peut vous permettre d'avoir une réponse rapide. Avant que cela se rende en Cour suprême, ça peut prendre des années et ça peut coûter très cher. Alors, je ne vois pas non plus que cela soit un moyen efficace de contrer les abus possibles des pouvoirs énoncés dans cette loi.

M. Denis Paradis: Merci.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Paradis.

J'ai l'impression que vous aurez peut-être une autre chance d'intervenir.

Monsieur Sorenson.

M. Kevin Sorenson: Merci.

J'ai écouté deux fois les députés poser des questions et j'ai toujours l'impression que M. Paradis devrait siéger de notre côté parce qu'il pose toutes les questions que nous allions poser nous-mêmes.

Une des choses qu'il a dites, c'est que nous avons peut-être été trop peu sévères dans le passé. Nous avons négligé la sécurité dans le passé. C'est peut-être ce que nous avons fait et nous essayons maintenant de nous rattraper. Vous avez peut-être déjà dû vous-mêmes rattraper un retard, mais il faut parfois pour y réussir pendre des mesures relativement extrêmes.

Tous les témoins que nous avons entendus ont parlé des pouvoirs extrêmes accordés, surtout aux policiers, et plus particulièrement pour les audiences d'enquête et les arrestations à titre préventif. J'en reviens à ce que disaient la ministre et le commissaire. Ils ont bien dit que les pouvoirs qu'on leur donne sont vraiment énormes et qu'il ne faudrait surtout pas qu'ils s'en servent à mauvais escient. Peut-être que je fais davantage confiance à la police, et je ne parle pas ici de ce que vous avez dit vous-même, mais ce que d'autres témoins nous ont dit. Cela m'amène à la question de M. Paradis. Même si on ne peut pas inclure un tel mécanisme dans le projet de loi, on pourrait peut-être prévoir un examen plus poussé de la situation actuelle pour pouvoir déterminer dans quel cas on aurait abusé de ces pouvoirs supplémentaires.

Pour poursuivre dans la même veine que M. Paradis, il me semble que, même si nous essayons de rattraper le retard, nous devons nous assurer que ceux qui délivrent les certificats, qu'il s'agisse de la GRC ou du ministre, seront tenus comptables de leur décision. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à ajouter là-dessus. C'était davantage une observation qu'une question de ma part.

• 1225

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: J'ai déjà dit ce que j'en pensais. Même si nous essayons de rattraper un certain retard, nous ne devrions pas compromettre les droits dont jouissent les habitants du Canada et dont ils continueront à jouir j'espère. Il s'agit vraiment de droits fondamentaux, comme le droit de savoir de quoi vous êtes accusé et pour quelle raison vous êtes considéré comme un suspect. Comment pouvez-vous vous défendre? À mon avis, c'est tout à fait fondamental. C'est pourquoi il devrait y avoir à tout le moins un mécanisme d'examen pour garantir que les certificats ne sont pas délivrés à la légère ou pour de mauvaises raisons.

M. Kevin Sorenson: Est-ce que nous exagérons en disant que ces droits seront compromis? Si le policier doit avoir des motifs raisonnables, pour ses soupçons et si nous disons de notre côté que, même s'il a ses motifs raisonnables il va compromettre les droits fondamentaux de quelqu'un, n'est-il pas possible que ce ne soit pas vraiment les droits fondamentaux qui seront compromis dans un tel cas?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Il est très difficile de parler de motifs raisonnables de façon hypothétique sans avoir d'exemple précis. À mon avis, on ne peut pas permettre que ces droits soient menacés. Qui peut vous dire que personne n'abusera de ces droits? Il faut prévoir certaines protections parce que, sinon, on pourra abuser de vos droits fondamentaux. Il me semble tout à fait normal d'exiger une certaine reddition de comptes.

Le président: Merci beaucoup.

Madame, je voudrais vous poser quelques petites questions moi-même, si les autres membres du comité me le permettent. Il nous reste encore un peu de temps et je suis certain que quiconque le veut pourra intervenir.

Vous avez dit que vous vous inquiétez de la définition des actes terroristes et que, selon certains, une solution possible serait de supprimer le mot «licites» dans la définition. D'autres ont recommandé d'éliminer simplement toute la division 83.01(1)b)(ii)(E) parce qu'elle n'ajoute rien d'important à l'article et que tous les cas qu'elle englobe sont déjà visés. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ces deux solutions possibles au problème de la définition?

Deuxièmement, pensez-vous qu'il serait utile, inutile ou superflu d'avoir à la fois un mécanisme d'examen et une disposition de temporisation?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je répondrai d'abord à la dernière question parce qu'elle est à mon avis plus facile. Si vous avez une disposition de temporisation, vous n'avez pas besoin d'un mécanisme d'examen sauf si cette disposition entre en vigueur après trois ans et le mécanisme d'examen après deux ans. Ce serait possible parce qu'on pourrait avoir l'examen avant que la loi ne devienne caduque. Je crois cependant que la chose la plus importante serait d'avoir un article de temporisation. Je pense que ce serait important parce que le projet de loi renferme une définition très large de terrorisme et que les valeurs et les droits des Canadiens sont violés.

• 1230

Quant à votre première question, si l'on supprime le mot «licites», on devra envisager la nature du terrorisme de façon plus stricte. La division 83.01(1)b)(ii)(C) m'inquiète aussi, cependant, puisqu'elle dit ceci:

    à compromettre gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population

À mon avis, elle devrait être renforcée parce qu'une grève illégale ou même une grève légale des médecins ou des policiers pourrait être visée par cette description. Je pense qu'on doit aussi se pencher là-dessus.

Le président: Merci beaucoup, et merci de votre indulgence.

[Français]

Monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur: C'est une remarque que je veux faire.

Dans certaines lois canadiennes, on a des mécanismes de surveillance ou de révision, entre autres dans la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. On a des commissaires qui sont un peu des gardiens et qui rappellent le gouvernement à l'ordre pour certaines de ses pratiques. On a maintenant un projet de loi qui enlève à ces gardiens la possibilité d'intervenir.

Dans la foulée de l'intervention de M. Paradis, je dirai qu'il est peu probable qu'on puisse créer une comité de surveillance ou d'évaluation avec le projet de loi C-36, parce que ce projet de loi enlève des mécanismes de surveillance ou la possibilité d'intervenir à des individus qui font déjà ce travail de surveillance. On voit que l'idée politique derrière cela est de se concentrer sur des individus à cause de l'état de crise actuel et à cause de toutes sortes de choses.

Oui, on peut avoir une bonne intention et penser qu'il y aura peut-être un comité de révision ou de surveillance quelconque, mais il faudrait avoir la volonté politique de le faire, premièrement. Deuxièmement, si on a la volonté politique de faire un tel comité, il faudra peut-être redonner aux commissaires qui ont déjà certains outils de surveillance, leur juridiction en matière d'accès à l'information et de protection de la vie privée. Êtes-vous un peu d'accord sur mon affirmation?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Oui, parce que ce serait une duplication inutile dans un sens. Si vous avez une plainte personnelle, que vous ayez recours à une façon de réviser ou à une autre, c'est la même chose.

De toute façon, le problème que j'ai quant à quelque système de révision que ce soit est un peu celui que j'ai quant aux cours: c'est quelque chose qui prend du temps. À ce moment-là, le mal est fait. C'est pour ça qu'il faut faire très attention dans la façon dont on diminue les droits des citoyens. Il faut s'assurer qu'il n'y ait pas d'effets irréparables.

Je suis d'accord que la situation exige que quelque chose se fasse, mais il faut le faire, et c'est là le sens de ma présentation d'aujourd'hui, en connaissance de cause et en étant certain qu'on ne va pas plus loin qu'il ne le faut pour accomplir ce qu'on veut accomplir.

M. Michel Bellehumeur: Vous parlez d'une clause de temporisation de trois ans. Je vous dis que c'est fort raisonnable, compte tenu du fait que le plus bel exemple de clause de temporisation qui existe au Canada est la fameuse clause «nonobstant» qu'on peut utiliser en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. La clause «nonobstant» est pour une période de cinq ans et porte sur un droit limité. Elle ne porte pas sur un éventail de droits limités comme ce qu'on retrouve dans le projet de loi C-36. Cela milite en faveur de votre clause de trois ans. Étant donné qu'on va aussi loin dans la limitation de droits individuels et collectifs, il faut réduire cette période. Je crois donc qu'une période de trois ans est fort raisonnable.

• 1235

[Traduction]

Le président: Monsieur Lee.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.

L'article 88 du projet de loi renferme des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aux fins de l'interprétation, la nouvelle disposition mentionne l'Internet et la communication par ordinateur. Je m'interroge sur les conséquences possibles de cet amendement. Pourrait-il toucher des questions qui sont maintenant devant la Commission des droits de la personne? Je songe notamment à l'affaire Zundel pour laquelle cette question a été soulevée. Y avez-vous réfléchi?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Certainement, mais l'audience de l'affaire Zundel est maintenant terminée et nous attendons la décision du tribunal. C'est bien sûr l'une des questions que nous avons soulevées parce que, selon nous, l'article 13 de la Loi sur les droits de la personne porte déjà sur l'Internet. Cela ne ferait que le confirmer.

M. Derek Lee: Je n'ai pas l'impression que, s'il adopte cette modification, le Parlement voudrait laisser entendre que les définitions et descriptions antérieures ne visaient pas de telles activités.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Selon nous, c'est simplement une précision.

M. Derek Lee: Ce serait bien de pouvoir dire qu'il s'agit simplement d'une précision pour que tout le monde sache que c'est effectivement ce que nous voulions dire dans ces autres lois, mais ce n'est pas ce qui est dit ici. Le libellé actuel de cet article vous satisfait-il?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Nous préférerions que ce soit plus clair pour garantir absolument que cette notion est déjà visée par la loi.

M. Derek Lee: Il ne faut pas limiter le caractère général et l'application de l'article en question.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: En effet.

M. Derek Lee: Très bien. C'est une idée. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lee.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Plus on lit ce projet de loi, plus certaines choses sautent aux yeux. C'est ce qui m'est arrivé pendant votre échange avec M. Bellehumeur au sujet des organismes de surveillance. Je voudrais que vous jetiez un coup d'oeil à la partie V, page 120 du projet de loi qui traite du Centre de la sécurité des télécommunications et qui donne au ministre de la Défense le dernier mot lorsqu'il est question d'intercepter des communications privées venant de l'extérieur du Canada. Cela semble être une véritable anomalie.

Le paragraphe 273.63(1) stipule ceci:

    Le gouverneur en conseil peut nommer [...] un juge à la retraite surnuméraire d'une juridiction supérieure qu'il charge de remplir les fonctions de commissaire du Centre e la sécurité des télécommunications.

Le gouverneur en conseil a donc le pouvoir de nommer un commissaire. Si l'on va à la page 123, on trouve le paragraphe 273.65(8), qui stipule ceci:

    Le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications est tenu de faire enquête sur les activités [...]

C'est très bien puisque nous instaurons certains mécanismes de contrôle ou la capacité de surveiller ce qui se passe, mais on dit bien que le gouverneur en conseil «peut nommer». Nous donnons toutes sortes de pouvoirs au ministre et nous lui disons qu'il voudra peut-être nommer un surveillant de ces activités, mais peut-être que non. D'autre part, le commissaire en question pourra examiner diverses activités et faire toutes sortes de choses, selon le bon vouloir du ministre.

• 1240

Le projet de loi semble ici aussi avoir été rédigé à la hâte. Le commissaire a certains pouvoirs, mais il me semble que l'existence du poste de commissaire dépendra de toute façon de la bonne volonté et de la bonne foi du ministre.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je pense que c'est une question d'interprétation. Je ne suis pas experte en la matière. Le fait que le paragraphe 273.65(8) contienne les mots «est tenu de faire enquête» signifie-t-il qu'on doit considérer les mots «peut nommer» au paragraphe 273.63(1) comme une obligation? C'est une chose qu'un expert pourrait examiner, mais malheureusement, je n'en suis pas un.

M. Peter MacKay: Je comprends.

En ce qui concerne les droits de la personne, les pouvoirs qui semblent être accordés au ministre de la Défense, et ce n'est pas vraiment certain, pour ce qui est d'intercepter les communications privées à l'extérieur du pays vous inquiètent-ils? Il faudrait ici aussi se demander si cela peut s'appliquer à deux Canadiens qui communiquent au sujet de ce qu'on peut percevoir comme étant une menace extraterritoriale.

Je voudrais surtout que vous nous disiez ce que vous pensez du fait que ces pouvoirs extraordinaires d'interception s'appliquent pendant une période d'un an et que, si l'on a mis un dispositif d'écoute sur la ligne téléphonique de quelqu'un, par exemple, on n'est pas obligé de l'en aviser avant trois ans. Cela me semble tout à fait extraordinaire compte tenu des circonstances. Ici encore, il pourrait y avoir un certificat ministériel disant qu'il n'est pas nécessaire de fournir les raisons de cette surveillance.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Cela touche la protection de la vie privée. Je suis entièrement d'accord avec ce que le Commissaire à la protection de la vie privée a dit à votre comité au sujet des dispositifs d'écoute. Selon moi, il faudrait être très prudent quand on prend de telles mesures.

Le président: Merci beaucoup, monsieur MacKay et madame Falardeau-Ramsay.

Monsieur Cadman, je pense que votre question sera probablement la dernière.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

À la page 2 de votre mémoire, vous dites ceci:

    Il est extrêmement important de faire correspondre aux mesures de sécurité renforcées prévues dans le projet de loi C-36 d'autres mesures destinées à combattre les actes de haine ou de discrimination visant les groupes minoritaires.

Je ne trouve absolument rien à redire à cela. Heureusement, il y a eu très peu d'incidents de ce genre au Canada, en tout cas dans ma région du pays. Je voudrais savoir ce que vous pensez de l'autre aspect de ce problème. J'ai entendu une personne raconter que sa fille avait déclaré à l'école quelques jours après les événements du 11 septembre que ce qui s'était passé à New York était épouvantable. Certains de ses compagnons de classe, qui étaient depuis longtemps ses amis qui faisaient partie d'une minorité visible, se sont tournés vers elle et lui ont dit que les victimes l'avaient bien mérité. Je voudrais simplement savoir si vous pensez comme moi que c'est tout à fait horrifiant. Je voudrais savoir si nous aurons les mêmes attitudes envers les commentaires haineux faits par les minorités à l'endroit de la majorité. Cela ne doit-il pas nous préoccuper? Je dois dire que cela m'inquiète.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay: Je crois que cela indique à quel point la sensibilisation et l'information sont importantes, et qu'il faudrait fournir des ressources aux organisations comme la nôtre dont le mandat est d'informer et de sensibiliser le public. Cela signifie que l'enfant n'a pas reçu l'éducation et l'information qu'il ou elle aurait dû recevoir à l'égard de ces questions. C'est la même chose.

• 1245

Je pourrais vous citer un éditorial du National Post qui tenait des propos vraiment incendiaires contre certains groupes raciaux et religieux. Cela témoigne du même problème, de l'absence de sensibilisation et de connaissance de ce qu'est la discrimination et de ce que je considère être les droits et les obligations que l'on a lorsque l'on vit au Canada. Cela marche dans les deux sens.

M. Chuck Cadman: Très bien. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup.

Je crois comprendre que Madame Falardeau-Ramsay a modifié son emploi du temps chargé pour comparaître devant nous et nous lui en sommes très reconnaissants. Je tiens aussi à remercier les autres témoins.

Nous vous verrons tous à 15 h 30.

La séance est levée.

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