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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 30 octobre 2001

• 1532

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bonjour. La 37e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.

Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.

Nous allons entendre aujourd'hui le professeur Julius Grey de l'université McGill, Ken Rubin, attaché de recherche pour les questions d'intérêt public et expert en matière d'accès à l'information et David Matas, avocat principal de B'nai Brith.

Je crois que vous connaissez tous la formule. Nous demandons à chacun des témoins de faire une déclaration liminaire d'environ 10 minutes, après quoi nous passons à des rondes de questions avec les membres du comité. Je remercie les témoins de nous avoir consacré leur temps et leur expertise aujourd'hui, malgré leurs calendriers très chargés.

Je vais d'abord donner la parole à David Matas qui représente le B'nai Brith.

Maître David Matas (avocat principal, B'nai Brith Canada): Merci de nous avoir invités.

Nous sommes favorables à ce projet de loi et considérons qu'il constitue une contribution positive à la lutte contre le terrorisme. Il contient des dispositions que nous espérions voir adopter depuis un certain temps, en particulier les dispositions qui renforcent les lois relatives à la propagande haineuse, l'article 10 du projet, l'article 12 modifiant le Code criminel, et l'article 88 modifiant la Loi sur les droits de la personne.

Le projet de loi contient d'autres dispositions qui vont, d'après nous, trop loin et nous serions partisans d'insérer une clause d'extinction qui viserait certaines dispositions, l'arrestation sans dépôt d'accusations, la disposition limitant le droit de garder le silence, ainsi que celles qui écartent l'intervention du Commissaire à l'information et du Commissaire à la protection de la vie privée.

• 1535

La définition d'activité terroriste est trop large. En particulier, la division 83.01(1)b)(ii)(E) ne se retrouve pas dans la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme, et devrait donc être modifiée ou supprimée.

La principale conclusion de notre mémoire est que sur certains points, le projet de loi ne va pas suffisamment loin pour lutter contre le terrorisme. Nous sommes en train de rédiger un mémoire et nous le produirons par la suite, parce que nous procédons à des consultations au sein de notre organisme; nous avons préparé 14 suggestions qui visent toutes à renforcer le projet de loi. Je vais essayer de vous décrire rapidement ces 14 suggestions dans les quelques minutes dont je dispose.

Tout d'abord, nous sommes très satisfaits de la création de l'infraction de méfait (article 12) contre un lieu utilisé pour le culte religieux mais nous proposons d'ajouter à la liste des motifs le sexe, qui n'y figure pas et qui renforcerait cette disposition. Nous pensons également qu'il conviendrait d'élargir la notion de bâtiment servant au culte religieux pour qu'il englobe les écoles, les édifices occupés par des organismes et les cimetières, qui ont souvent été la cible d'actes motivés par le fanatisme religieux.

Le projet de loi devrait contenir une clause interdisant la discrimination, excluant ainsi toute discrimination dans l'établissement de la liste des groupes terroristes. Le projet de loi autorise le gouverneur en conseil à inscrire sur cette liste les groupes qui exercent des activités terroristes et nous craignons que ce pouvoir soit utilisé de façon discriminatoire en inscrivant certains groupes et non d'autres. Certains discours tentent de justifier certaines activités terroristes. Nous rejetons ces distinctions, en particulier parce que notre organisme a des membres qui sont juifs. Nous trouvons particulièrement préoccupantes les tentatives déployées pour justifier le terrorisme des organismes qui luttent contre Israël, le Djihâd islamique, le Front populaire de libération de la Palestine, ou le Hamas, et pour les distinguer de al-Qaeda. Nous refusons ce genre de distinction et la loi devrait l'interdire.

Nous estimons que le projet de loi devrait contenir un article lui donnant un effet rétroactif, pour que les infractions qu'il prévoit soient punissables dès leur perpétration si elles constituaient des infractions selon le droit international et non pas uniquement après l'adoption du projet de loi. La Charte canadienne des droits et libertés l'autorise. La Cour suprême du Canada a déclaré que ce genre de disposition était constitutionnel dans l'arrêt Finta. Il est vrai que les terroristes du 11 septembre ont commis leurs crimes avant que le projet de loi ait été présenté au Parlement; ils devraient néanmoins être obligés de rendre compte des infractions qui constituaient des crimes selon le droit international au moment où elles ont été commises.

Nous proposons également d'apporter un certain nombre de modifications au projet de loi. Une de ces modifications porterait sur le fait de divulguer de l'information de façon malveillante. Le projet de loi exonère la personne qui divulgue des renseignements de bonne foi; toutefois, il devrait également réprimer l'acte contraire: lorsque la divulgation de l'information est malveillante, l'auteur de la divulgation devrait aussi pouvoir être poursuivi.

Pour ce qui est de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, le projet de loi prévoit bien entendu la possibilité de révoquer cet enregistrement mais il y a également la question des organismes sans but lucratif qui ne sont pas enregistrés et qui n'ont pas de statut. Le projet de loi devrait viser les organismes sans but lucratif qui ne sont pas des organismes de bienfaisance, et qui ne sont pas assujettis à l'impôt sur le revenu mais qui exercent des activités terroristes.

Il y a la question de la divulgation de renseignements confidentiels à des organismes enregistrés susceptibles de compromettre la sécurité nationale. La formulation actuelle n'empêche pas que les non-Canadiens soient protégés. La loi devrait être modifiée pour qu'elle protège les non-résidents qui divulguent des renseignements.

• 1540

Le projet de loi contient une disposition qui pénalise les organismes de bienfaisance enregistrés qui soutiennent des organismes terroristes. Il est prévu que le ministre peut tenir compte du fait que la situation a évolué de façon marquée. Cette disposition nous inquiète. Même si la situation a évolué, nous disons que, lorsqu'un organisme de bienfaisance qui a appuyé une activité terroriste perd son enregistrement, il ne devrait pas pouvoir le récupérer.

L'âme dirigeante de l'organisme de bienfaisance qui a participé à des activités terroristes n'est pas sanctionnée. La seule sanction prévue est la suppression de l'enregistrement. Nous pensons que l'âme dirigeante devrait faire l'objet d'une sanction.

Nous estimons également que ce projet de loi devrait modifier d'autres lois, en plus des règles concernant les organismes de bienfaisance, le Code criminel et les autres lois modifiées. Ce projet de loi devrait modifier certaines autres lois, et nous pensons particulièrement à la Loi sur l'immigration, à la Loi sur la citoyenneté et à la Loi sur l'immunité des États.

Il faut modifier la Loi sur l'immigration pour que le ministre puisse détenir les suspects pendant que la police fait enquête. La loi actuelle ne le permet pas; elle prévoit en fait l'expulsion des suspects en attendant les résultats de l'enquête policière. Le projet de loi C-11 a réformé le droit de l'immigration mais il a été adopté par le Sénat. Il a été présenté au Parlement avant le 11 septembre et, d'après nous, il ne traite pas de façon appropriée des questions reliées au terrorisme. Il est de toute façon trop tard pour le modifier. C'est le projet de loi que vous êtes en train d'étudier qui devrait remédier à ce problème. De la même façon, le projet de loi C-11 ne contient pas de définition du terrorisme ou des activités terroristes, à la différence de ce projet de loi, et cette définition devrait être incorporée dans la Loi sur l'immigration.

La Loi sur la citoyenneté fait également problème parce qu'elle ne prévoit pas la possibilité de révoquer la citoyenneté dans les cas de terrorisme; cela est uniquement possible dans les cas de fraude, de fausse déclaration, ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Par conséquent, lorsqu'on veut déporter une personne parce qu'elle a commis un acte de terrorisme, il faut reprendre le processus du début. Cela entraîne un chevauchement inutile et prolonge le processus, parce que l'on peut uniquement perdre la citoyenneté en cas de fausse déclaration. Il faut modifier cette loi de façon à prévoir la possibilité de révoquer la citoyenneté en cas d'activités terroristes.

Enfin, et c'est là le dernier de mes 14 points, la Loi sur l'immunité des États doit être amendée pour qu'un État étranger ne bénéficie pas d'une immunité lorsqu'il a appuyé une activité terroriste ou y a participé. Il existe aux États-Unis une limitation de ce genre à l'immunité des États. On devrait retrouver au Canada cette exception à l'immunité des États.

Voici donc mes 14 suggestions. Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Matas.

Le témoin suivant est, d'après ma liste, M. Rubin.

M. Ken Rubin (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

Les événements du 11 septembre nous ont amenés à réexaminer les dispositions législatives susceptibles d'être utilisées dans la lutte contre le terrorisme. Le premier de ces efforts, le projet de loi C-36, est controversé et insuffisant. Il n'est pas possible de remédier à ses lacunes en le modifiant, et il faudrait supprimer des parties entières de ce projet de loi.

Je vais principalement parler des graves conséquences que pourrait avoir le projet de loi C-36 sur la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, s'il est adopté sans être modifié, mais je vais néanmoins commencer par aborder d'autres aspects qui sont préoccupants.

Tout d'abord, le projet de loi C-36 traite de plusieurs sujets qui devrait chacun faire l'objet de projets de loi distincts. Son objectif essentiel, la répression des activités terroristes, demeurerait inchangé. Cependant, la création par voie législative du Centre de la sécurité des télécommunications et la refonte de la Loi sur les secrets officiels devraient faire l'objet d'un débat distinct, tant dans la population qu'au Parlement.

Deuxièmement, le projet de loi C-36 cible le financement du terrorisme, et il propose, dans ce but, de nouvelles règles pour la suppression du statut d'organisme de bienfaisance enregistré et pour le transfert des biens des organismes suspects qu'on estime, après une enquête secrète, appuyer le terrorisme. Cette intervention du gouvernement s'attaque au secteur des organismes de bienfaisance sans but lucratif et cela pourrait compromettre de façon permanente l'action de ces organismes en visant injustement tous les organismes de bienfaisance. Votre comité doit s'interroger sur les limites qu'il conviendrait d'apporter au projet de loi C-36 lorsqu'il s'attaque à l'utilisation par des groupes terroristes des organismes de bienfaisance.

• 1545

Troisièmement, le projet de loi C-36 ne définit pas les notions de relations internationales et d'intérêt public et il est, à l'occasion, tellement vague que les actions de groupes dissidents semblent constituer des activités terroristes. Ce sont des aspects qu'il conviendrait de préciser et de définir.

Quatrièmement, le projet de loi C-36 étend les pouvoirs des agences de renseignement de sécurité, il accorde des pouvoirs de détention, la possibilité de tenir des procès à huis clos et d'établir des listes officielles, il compromet ainsi les droits de l'homme fondamentaux et toute possibilité de réviser ces actes par un organisme indépendant. Dans certains secteurs, les services de police disposent déjà de pouvoirs suffisants. Il appartient au comité de faire sa propre analyse des répercussions du projet de loi C-36 sur les droits garantis par la Charte et modifier ce projet en conséquence. Si le gouvernement a procédé à une telle analyse, il la garde pour lui. Il est probable que nous ne pourrons jamais l'obtenir.

Le cinquième point est que le projet de loi C-36 crée une nouvelle infraction pénale, l'espionnage économique portant atteinte aux intérêts du Canada, mais ces dispositions ne se limitent pas à l'espionnage économique pratiqué par les groupes terroristes. Le projet de loi C-36 élargit le rôle des organismes de renseignement de sécurité. Certains de ces organismes conseillent déjà les entreprises canadiennes sur la façon de lutter contre l'espionnage économique, conformément à leur stratégie de récupération de leurs coûts auprès des entreprises. Le genre d'espionnage qu'autorise ce projet de loi comporte de nombreux aspects négatifs, il risque de créer des complications et de susciter des conflits. Il est prématuré de créer cette infraction car il faudrait au préalable procéder à un examen approfondi de la situation et lancer un débat public sur cette question.

Sixièmement, le projet de loi C-36 prévoit la nomination d'un nombre considérable de nouveaux juges, 44 en tout, qui seront affectés à la Cour fédérale pour effectuer les examens spéciaux, compte tenu des activités terroristes prévues. On peut toutefois s'interroger sur l'opportunité de confier ces attributions à la Cour fédérale, et non à un tribunal administratif qui serait créé pour une durée limitée. Confier à des juges une tâche aussi exigeante risque de modifier les orientations générales de la Cour fédérale et d'en compromettre certains aspects. Il serait également difficile d'appliquer une clause d'extinction aux nominations de juges de la Cour fédérale. En outre, le nombre de juges envisagé est peut-être très supérieur à ce qu'exigera la situation. Ce sont les contribuables qui devront assumer le traitement de tous ces juges, même s'ils sont trop nombreux. Il y aurait lieu d'examiner soigneusement la possibilité de créer un tribunal administratif temporaire, avec possibilité pour le Parlement d'en prolonger l'existence.

Septièmement, le projet de loi C-36 autorise l'affectation de crédits très importants aux agences de renseignement de sécurité. Le ministre des Finances a également indiqué que la majeure partie des millions de dollars qui seront autorisés dans le mini-budget du mois de décembre seront affectés à la sécurité. Le projet de loi C-36 ne contient toutefois aucune disposition spéciale, comme il le devrait, prévoyant la nomination d'un vérificateur spécialisé et d'un comité chargé de réviser, de limiter et de vérifier ces dépenses, ainsi que de réduire les sommes dépensées par ces agences lorsqu'elles effectuent des tâches qui se chevauchent ou par manque de collaboration et de communication de renseignement.

Huitièmement, le projet de loi C-36 ne contient pas de clause d'extinction ou de date d'abrogation. Il prévoit uniquement un examen parlementaire qui peut fort bien ne déboucher sur rien. Il serait préférable de renforcer le projet de loi et de l'améliorer plutôt que d'attendre cet examen. Certaines dispositions doivent être modifiées, d'autres supprimées, d'autres encore devraient figurer dans d'autres projets de loi, comme je l'ai mentionné.

Neuvièmement, il serait encore préférable d'ajouter immédiatement au projet de loi C-36 une disposition ayant pour effet de créer un comité permanent mixte parlementaire chargé de surveiller, d'examiner et de vérifier toutes les questions reliées au renseignement de sécurité, y compris les dépenses.

Je vais maintenant passer à l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels, et au fait que le ministre de la Justice peut délivrer des certificats permettant d'exclure de l'application de ces lois les données reliées à la sécurité. Cette disposition devrait être supprimée. Elle va directement à l'encontre de la mission qu'a le ministre de la Justice de préserver les droits en matière d'accès à l'information et de données personnelles. Le projet de loi C-36 accorde au ministre de la Justice le pouvoir discrétionnaire de délivrer des certificats déclarant que les dossiers relatifs aux relations internationales et à la sécurité, termes non définis, et à la défense nationale ne sont pas visés par ces lois. Ces certificats ont, comme je l'ai dit, une durée indéfinie, et ils sont également soustraits à toute possibilité d'examen par un organisme indépendant et ne sont pas susceptibles d'être révoqués.

• 1550

La ministre McLellan a déclaré au Parlement la semaine dernière qu'elle n'utiliserait que rarement les certificats reliés à la sécurité mais là encore, nous ne saurons jamais combien de certificats seront délivrés, ni combien de dossiers ou d'archives seront soustraits à la consultation. Et pourtant, on voudrait que le Parlement approuve ce projet tel quel.

Il y a près de 20 ans de cela, on a interdit pendant 20 ans l'accès aux dossiers du conseil des ministres. On a ainsi créé un trou noir pour toutes ces informations et cela a gravement compromis l'application des lois sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Si l'on autorisait la délivrance de certificats secrets interdisant la diffusion de tous les renseignements reliés à la sécurité, je suis convaincu, et c'est là un aspect qui me touche énormément, que les lois relatives à l'information et aux renseignements personnels n'y résisteraient peut-être pas. Les données relatives à la sécurité seraient exclues de l'application de ces lois, pour une durée indéterminée, et ce, en fonction de décisions prises par le bureau de la ministre de la Justice, à qui ces lois ne s'appliquent d'ailleurs pas.

Les responsables de ces lois seraient obligés de signaler les demandes susceptibles d'être visées par ces dispositions et consacrer leur temps à procéder à des consultations au sujet des données susceptibles d'être qualifiées de reliées à la sécurité par la justice en vue de leur interdiction, tout comme on renvoie actuellement au Bureau du Conseil privé les documents susceptibles de contenir des renseignements confidentiels concernant le cabinet. L'examen interne que doit effectuer dans ce cas le BCP retarde toutes les demandes d'information et il faut parfois attendre six mois avant que les ministères répondent à des demandes qui risquent de concerner des renseignements confidentiels du conseil des ministres, ce qui retarde d'autant leur communication. Si l'on ajoute les questions de sécurité à la liste des consultations auxquelles il faut procéder, cela ralentira encore le processus et le rendra imprévisible. Cela placerait également les responsables de ces lois en situation de conflit d'intérêts, parce qu'ils remplissent bien souvent aussi les tâches d'agents ministériels de classification de sécurité.

Si l'on ne pose pas des balises, on risque d'interdire, par exemple, les données que j'ai obtenues récemment de Santé Canada sur les produits stockés parce qu'elles touchent la sécurité. Ce mécanisme pourrait supprimer de façon permanente des données que j'ai obtenues qui faisaient ressortir les erreurs, les retards et les dépassements de coûts dont j'ai parlé qu'a occasionné la modernisation du Centre d'information de la police canadienne qui s'occupe notamment de rechercher les terroristes et les criminels. Le gouvernement pourrait fort bien décider que ses propres dossiers concernant les pesticides dangereux dont il autorise l'utilisation généralisée touchent la sécurité. Les documents obtenus pour le compte de citoyens concernant certaines activités de contestation, le harcèlement au travail et les problèmes d'autorisation de sécurité pourraient être visés par ce genre de certificat.

Il n'est pas possible de corriger la situation en définissant ce que sont les données touchant la sécurité, en particulier si ces certificats peuvent encore avoir pour effet d'exclure complètement ce genre de données, même s'ils sont eux-mêmes soumis à un examen judiciaire limité. Il ne suffirait pas non plus d'introduire une clause d'extinction supprimant ces certificats à l'expiration d'une période de trois ou de cinq ans parce que ces lois auraient déjà subi des dommages irréparables.

La ministre McLellan a déclaré hier devant le Sénat qu'elle envisagerait peut-être d'aménager l'examen de ces certificats, mais elle ne risque fort de proposer qu'un examen limité et à huis clos, ce qui laisseraient intacts ses pouvoirs extraordinaires d'émettre ce genre de certificats. Elle doit renoncer à ce pouvoir, puisque les dispositions actuelles des lois sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels sont plus que suffisantes, et devraient plutôt, si l'on voulait à tout prix faire quelque chose, être restreintes. De plus, le fait de conserver les dispositions actuelles de ces lois ne veut pas dire, comme la ministre de la Justice l'a déclaré hier, qu'elles offrent une façon détournée d'obtenir des documents visés par un certificat délivré conformément à la Loi sur la preuve au Canada. C'est une manoeuvre de diversion qui ne laisse d'inquiéter de la part d'une ministre responsable des lois sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels qui a déjà déclaré qu'elle entendait réduire la portée de ces lois.

Le comité du renseignement de sécurité n'a jamais été très satisfait des pouvoirs d'exemption accordés par ces lois, et il voudrait qu'ils soient élargis. Même avec la loi actuelle, les autorités ont réussi à refuser de communiquer des données et il faudrait les obliger à rendre des comptes parce que les documents que j'ai obtenus ont démontré que cela était nécessaire. Les dispositions actuelles en matière d'accès à l'information et la jurisprudence ont été utiles parce qu'elles ont introduit un certain équilibre dans ce domaine. Cela a empêché certains dossiers de disparaître à jamais.

Ce projet de loi autorise des atteintes très graves à la vie privée et il nous demande de faire confiance au gouvernement. Nous nous basons sur le fait que ce projet accorde aux responsables de la sécurité des pouvoirs comparables aux pouvoirs de guerre, des fonds pour les exercer, sans qu'ils soient tenus de répondre aux demandes d'information présentées par les citoyens. L'horreur qu'a suscitée cette série d'actes de terrorisme ne devrait pas nous amener à sacrifier les demandes d'accès à l'information. Le Canada a besoin d'un comité parlementaire permanent chargé de surveiller, sur une base régulière, les aspects financiers, opérationnels de ces organismes de renseignement de sécurité. Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-36 interdit ce genre de surveillance. Votre comité ne doit pas céder aux pressions qui s'exercent sur lui pour adopter rapidement le projet de loi, sans en avoir préalablement corrigé les lacunes.

Je vous remercie.

Le président: Merci.

Monsieur le professeur Grey.

• 1555

M. Julius H. Grey (professeur de droit, Université McGill): Merci beaucoup de m'avoir invité.

J'ai distribué un texte que j'ai écrit la semaine dernière avant que je sois invité, mais ce texte était en français. J'espère qu'il a été traduit pour que vous ayez les deux versions. J'ai également préparé un résumé des points que je souhaite aborder aujourd'hui.

Le président: Je vous confirme que nous avons reçu ce texte et que nous l'avons envoyé au service de traduction. Nous attendons l'autre version et c'est pour cette raison qu'il n'a pas été distribué.

M. Julius Grey: Très bien.

Il me semble que les événements tragiques du 11 septembre posent deux problèmes. Je vais d'abord parler de questions générales de philosophie, de la façon dont l'on devrait examiner la situation et j'aborderai ensuite certains points précis.

D'une façon générale, je dirais que les libertés civiles sont particulièrement en danger lorsque trois conditions sont remplies: lorsqu'il y a unanimité, lorsqu'il y a une cause juste, et lorsqu'il y a une grande incertitude. Il est évident qu'il existe aujourd'hui une cause juste, nos amis ont subi un grave outrage, la population canadienne est unanime à s'opposer à ces actes et nous vivons une situation où il y a beaucoup d'incertitudes. La combinaison de ces trois éléments crée une situation dangereuse.

Je vais vous donner deux exemples. Il n'existait pas de meilleure raison pour prendre des mesures d'urgence que de lutter contre Adolf Hitler et l'Empire japonais et pourtant le Canada et les États-Unis ont pris des mesures à l'endroit des citoyens d'origine japonaise qui étaient inacceptables. L'autre exemple que je vais vous donner est celui du système communiste qui, tel que mis en oeuvre par Joseph Staline, a entraîné des massacres, mais les États-Unis se sont néanmoins permis d'aller trop loin, même si l'on peut se féliciter du fait que notre Cour suprême se soit opposée à eux.

Je dirais donc que c'est précisément lorsqu'il existe une cause juste et qu'il y a unanimité au sein de la population qu'il faut défendre les libertés civiles. C'est pour cette raison que je ne vais pas m'opposer à l'adoption du projet de loi. Je pense qu'il y a lieu d'adopter un projet de loi mais que celui-ci va beaucoup trop loin.

Il faut nous demander quels sont les dangers que comporte ce projet de loi? Le danger n'est pas qu'on arrête des terroristes, c'est ce que nous voulons faire. Le danger vient malheureusement des conséquences non souhaitées; nous allons toucher beaucoup de gens qui ne sont pas des terroristes, le climat social risque de se détériorer au point où les contestataires, les gens qui expriment leur appui à des causes très impopulaires, voire à des causes choquantes, et les gens qui commettent des crimes graves mais qui ne sont pas des terroristes seront tous visés par cette loi.

Le deuxième danger, qui est tout aussi grand, et c'est pourquoi une clause d'extinction serait utile mais pas suffisante, est que cette loi modifie le milieu juridique et celui de la police, qu'elle amène la population à s'habituer ce que les autorités espionnent certaines choses, ouvrent certaines choses, que les tribunaux condamnent les accusés sans avoir en main tous les éléments, parce que certains d'entre eux ont été supprimés pour des motifs de sécurité. Tous ces aspects vont changer le climat dans lequel nous vivons, de sorte que même si nous abrogeons cette loi dans trois ou quatre ans, il faudra attendre longtemps avant de retrouver la situation qui existait auparavant.

La troisième chose qui est toujours possible est que les autorités commettent des excès contre les gens qui défendent des causes impopulaires et difficiles à défendre. Lorsqu'on dispose de pouvoirs spéciaux et qu'il survient une situation qui ne concerne pas directement le terrorisme mais qui est à juste titre très impopulaire, par exemple, si des faux réfugiés d'un pays donné commençaient à envahir le pays, on est très tenté d'utiliser ces pouvoirs.

J'aimerais ajouter une dernière chose. Il est toujours dangereux de donner des pouvoirs aux policiers, pour la raison suivante: ce n'est pas parce qu'ils vont agir de mauvaise foi mais qu'ils vont agir de bonne foi et vouloir faire leur travail correctement. Les policiers sont félicités lorsqu'ils trouvent les coupables, pas lorsqu'ils les laissent courir. Si vous leur donnez des outils spéciaux, ils vont vouloir en abuser en toute bonne foi s'ils font enquête sur un crime suffisamment horrible. C'est pourquoi il faut être très, très prudent, en particulier à notre époque. Il faut modifier ce projet de loi pour supprimer certaines choses.

Je vais maintenant passer en revue un certain nombre de points. Tout d'abord, la définition est, je crois, beaucoup trop large. Il est évident qu'elle s'appliquerait à toutes sortes de protestations légales, voire même à des protestations illégales mais qui ne constituent pas du terrorisme. N'oubliez pas que le projet de loi comporte une exception pour les grèves licites, les manifestations légales mais une manifestation devient illégale lorsqu'elle déclenche des bagarres, elle devient alors une assemblée illégale. Une grève illégale est une chose terrible qui devrait être sanctionnée la plupart du temps, mais ce n'est pas du terrorisme. La définition actuelle s'applique à toutes sortes d'activités légales et à des activités illégales mais qui ne constituent pas du terrorisme.

• 1600

Il ne faut pas oublier que tout ce qui est illégal n'est pas du terrorisme. C'est Gilbert et Sullivan qui ont déclaré «Dans une société où tout le monde est quelqu'un, personne n'est quelqu'un», si tout est du terrorisme, alors rien n'est du terrorisme. C'est une des raisons qui devraient nous inciter à la prudence.

Mais il y a une autre question plus fondamentale. Cette définition du terrorisme englobe toutes sortes d'aspects économiques. Je ne pense pas qu'ils devraient être là. Prenons le cas des boycotts grâce auxquels certains tentent de nuire aux entreprises, celles qui veulent faire respecter leurs brevets contre les malades du sida en Afrique, par exemple. Toutes ces choses sont légales. Vous vous souvenez peut-être qu'il y a eu un procès en Afrique du Sud à ce sujet il y a quelques mois. Une société allemande essayait de faire respecter les brevets qu'elle possédait sur certains médicaments et ce sont des manifestations qui se sont déroulées à Munich qui ont obligé la société à faire marche arrière. Ce genre de manifestation peut être légale, elle peut être illégale, elle peut être populaire, ou impopulaire, mais elle ne constitue pas du terrorisme.

Je crois que nous devrions laisser de côté les aspects économiques, tout comme l'espionnage économique, qu'a mentionné M. Rubin. On peut penser que cela est une chose terrible qu'il faut sanctionner mais ce n'est pas du terrorisme. L'analogie que je ferais pour justifier la suppression des aspects économiques de la définition—les pirates de l'informatique, il y a beaucoup de choses avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord—est que, dans l'ensemble, les aspects économiques n'ont pas bénéficié de la protection de la charte aux termes de l'article 7. Les droits économiques sont très importants, ils sont importants pour les Canadiens, mais ils ne représentent pas des valeurs fondamentales qui doivent être protégées dans un document officiel. Ce genre de projet de loi ne devrait pas non plus créer des infractions de nature économique. La vie, la sécurité, les biens, parce que lorsque l'on fait exploser des bombes, cela cause des dommages aux biens et aux personnes, ce genre de choses oui, mais les intérêts purement économiques ne devraient pas figurer dans cette définition.

Il existe un certain nombre d'infractions qui ne comportent pas d'élément moral. Je veux parler des articles 83.01 et 83.21. Il est très dangereux de condamner des gens pour des choses dont ils ne connaissent pas l'existence. La personne qui ne connaît pas l'existence d'une circonstance ne devrait pas pouvoir être déclarée coupable.

Pour ce qui est de la liste des terroristes, je pense que l'on devrait prévoir une prescription de 10 ans. Les choses qui sont arrivées il y a plus de 10 ans, les gens qui ont fait une fois certaines choses, tout cela nous amènerait à examiner le passé de personnes qui sont membres du Congrès national africain, de personnes qui sont membres du Likoud ou du Stern Gang, de personnes qui ont déjà fait partie d'organisations arabes mais qui sont maintenant des membres légitimes du gouvernement, de gens qui ont déjà participé au mouvement de Kenyatta mais qui sont aujourd'hui des citoyens respectés au Kenya. Il faut s'en prendre aux gens qui sont dangereux, et non pas aux personnes qui à un moment donné de leur vie ont appuyé quelque chose qui était répréhensible et dont nous voyons mieux aujourd'hui le côté répréhensible. Nous ne devrions pas juger le passé avec un regard d'aujourd'hui. Une prescription de 10 ans éviterait de poursuivre Nelson Mandela.

Je ne vois pas pourquoi nous ne faisons pas confiance aux juges pour qu'ils infligent, lorsque les circonstances s'y prêtent, des peines sévères, ni pourquoi il faut prévoir des peines obligatoires et consécutives. Nos juges sont tout à fait capables de décider s'il faut libérer une personne ou non, s'il faut infliger à l'accusé des peines consécutives ou s'il y a lieu, dans un cas donné, de fixer la peine ordinaire. Pourquoi ne pas faire confiance à notre système de justice?

Les audiences d'investigation sont une excellente chose, d'après moi, lorsque l'on recherche quelque chose de précis mais les expéditions d'exploration sont inacceptables. Convoquer les gens pour les interroger rappelle trop ce qui s'est produit aux États-Unis dans les années 1950, dites-nous qui vous connaissez, dites-nous qui vous avez rencontré l'année dernière. Cela n'est pas une bonne chose. Il faut que les éléments recherchés soient clairement énoncés, tout comme cela se fait pour les enquêtes des coroners, il faut que les policiers soient tenus de déclarer pourquoi ils posent des questions sur un aspect particulier.

Un des principaux problèmes que soulève ce projet de loi est qu'il est trop vague. Il y a beaucoup de choses qui sont très vagues. Que veut dire l'expression «communiquer des renseignements à l'égard desquels le gouvernement prend des mesures de protection»? «Porter atteinte aux intérêts canadiens», ce qui fait partie du volet économique, est également une expression très vague. «Fait d'héberger une personne susceptible de commettre une infraction». Là encore je répéterais qu'en droit pénal au moins, l'imprécision est l'ennemi des droits de la personne. La loi doit préciser très clairement à partir de quel moment on franchit la ligne, sûrement pas en gardant quelqu'un à la maison en sachant qu'il appuie une certaine cause, mais sans savoir ce qu'il pourrait faire, et tout d'un coup, on adopte une disposition très vague. Autrement dit, il faut que les infractions soient définies très clairement et il y a dans ce projet de loi trop d'expressions imprécises.

Outre le manque de précision, je signalerais que ce projet de loi soulève un autre problème, celui de sa complexité: la numérotation, les paragraphes, les dispositions isolées, les exceptions. Lorsqu'une loi touche les droits fondamentaux, elle devrait être aussi simple que possible. Les articles essentiels de la charte sont les articles 1 à 30. Il n'y a pas de paragraphe 3 qui dit, néanmoins, dans telle et telle circonstance, voilà ce qui se produit. Ce projet de loi porte sur des questions suffisamment graves pour qu'il soit simplifié, pour qu'une personne ordinaire qui le lit, qui n'est pas un juriste et qui n'a pas l'habitude d'interpréter la loi, sache clairement dans quel cas elle contrevient à la loi.

• 1605

La garde à vue et l'écoute téléphonique soulèvent des questions très graves. La garde à vue est une mesure très dangereuse et rien ne peut justifier l'omission de faire comparaître quelqu'un devant un juge. Pour ce qui est de l'écoute téléphonique, il existe déjà des cas où elle est autorisée. Les seuls commentaires que je ferais au sujet de ces pouvoirs accrus en matière d'écoute téléphonique et d'enquête sur Internet est le suivant. La révolution technologique à laquelle nous assistons depuis une dizaine d'années met en danger notre vie privée, non seulement à cause du gouvernement, mais à cause des entreprises privées. Il est tellement facile de pénétrer dans l'ordinateur de quelqu'un, d'obtenir les renseignements qui s'y trouvent. D'une façon générale, nous devrions essayer de limiter la possibilité que cela se fasse, nous devrions renforcer et protéger la vie privée. La situation d'urgence dans laquelle nous nous trouvons nous amène à nous diriger de l'autre côté, et je crois que nous ne devrions pas le faire. Nous pouvons déjà utiliser les règles en vigueur concernant l'écoute électronique. Les policiers peuvent déjà obtenir tous les renseignements pourvu que cela soit justifié par les règles actuelles, qui sont légitimement rigoureuses, et qui les obligent à obtenir la permission de le faire.

Si l'on ne modifie pas le projet de loi, je proposerais une garantie spéciale. Je dirais que les éléments de preuve obtenus par des moyens spéciaux prévus par cette loi ne sont admissibles que pour les accusations de terrorisme. Autrement dit, la police ne pourrait utiliser ces éléments pour obtenir des condamnations pour d'autres infractions.

Je tiens à mentionner plusieurs solutions possibles. Je pense que nous devrions adopter des règles particulières. Nous devrions adopter des lois particulières pour les aéroports, les avions, les édifices gouvernementaux, les choses de ce genre. Nous devrions nous assurer que ce projet de loi ne va pas empêcher les avocats et les médecins de fournir leurs services, parce qu'il y a des articles qui pourraient être interprétés comme s'ils interdisaient de fournir des conseils à certains groupes au sujet de leurs biens. Je vous demanderais donc d'examiner en particulier les articles 83.08 et 83.18 pour vous assurer que les avocats et les médecins ne sont pas visés par ces dispositions lorsqu'ils exercent leurs fonctions.

Il y a une chose que vous pourriez faire, peut-être dans une autre loi, c'est abolir les paradis fiscaux qui exercent un contrôle sur les mouvements de capitaux et dans ce cas, il ne serait pas nécessaire de dire que les éléments obtenus ne peuvent être utilisés à d'autres fins; on pourrait faire payer des impôts aux gens qui pratiquent l'évasion fiscale sur une grande échelle.

Il est évident qu'il faudrait que le projet de loi ne s'applique pas aux contestations légales et aux activités qui sont légèrement illégales mais qui ne constituent pas du terrorisme.

Je proposerais donc que l'on adopte un projet de loi plus précis et plus simple qui protégerait les libertés fondamentales, tout en prenant des mesures efficaces pour lutter contre le terrorisme.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je vais donner la parole à Vic Toews, qui disposera de sept minutes.

M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Merci aux témoins de nous avoir présenté des exposés détaillés et instructifs. Il me paraît utile de réfléchir à certaines définitions et que cela pourrait vraiment améliorer ce projet de loi.

J'ai écouté avec intérêt les commentaires de M. Matas au sujet de la nécessité d'appliquer la loi sans faire de discrimination. Je partage tout à fait cette préoccupation, et il ne faudrait pas qu'elle soit appliquée de façon discriminatoire; les critères utilisés pour qualifier de terroristes les personnes et les organismes concernés devraient être fondés non pas sur une caractéristique raciale, politique ou personnelle particulière, mais sur des preuves solides démontrant l'existence d'activités terroristes. Je comprends toutefois la situation difficile dans laquelle se trouve le gouvernement puisqu'il n'est pas toujours possible d'obtenir des preuves contre tous les organismes ou tous les individus. C'est que vous ne proposez pas que l'on renonce aux normes de preuve de façon à pouvoir condamner tout le monde de la même façon, un peu à la façon de Gilbert and Sullivan.

La définition d'activités terroristes m'inquiète, dans la mesure où elle a recours, à titre d'élément de l'infraction, à la preuve d'un but de nature politique, religieuse et idéologique. Il me semble que cette définition invite en fait une mise en oeuvre discriminatoire de la loi parce qu'elle associe elle-même ce genre de but au terrorisme. Un de mes collègues a d'ailleurs fait une déclaration en Chambre aujourd'hui qu'il me paraît instructif de reprendre ici:

    Un acte de violence ne devient pas plus ou moins grave parce qu'il a été commis pour des motifs religieux ou politiques ou pour n'importe quelle autre raison. Notre système de justice n'intente pas des poursuites visant les motifs, justement pour préserver le droit des Canadiens de pratiquer la religion de leur choix, d'adhérer à des partis politiques et de bénéficier de la liberté de croyance. La loi devrait être sévère envers ceux qui commettent des actes terroristes, mais lorsque nous commençons à intenter des poursuites contre la façon de penser d'un individu, nous portons atteinte aux libertés que nous tentons justement de protéger.

Je note que la définition américaine ne mentionne pas ce genre d'objectif.

• 1610

J'ai demandé à la ministre l'autre jour, et elle ne m'a pas répondu, la raison pour laquelle on avait créé cette association avec des actes de terreur, une terreur qui vise à déstabiliser le gouvernement ou à susciter la crainte dans la population. La motivation à l'origine d'un attentat contre un immeuble ne m'importe pas. Ce qui m'importe, c'est l'acte lui-même et le fait qu'il vise à déstabiliser le pays, notre économie ou à compromettre la sécurité des citoyens.

Je me demande si l'un d'entre vous aurait des commentaires sur ce point.

M. Julius Grey: J'aimerais faire un commentaire. Je crois qu'il serait très étrange de voir quelqu'un qui a, disons, dévalisé une banque ou déposé une bombe dans un immeuble, plaider à titre de circonstance atténuante qu'il l'a fait par appât du gain, parce que sa situation serait beaucoup plus grave s'il avait agi par idéalisme. S'il avait commis un attentat à la bombe parce qu'il voulait faire baisser les actions d'une entreprise pour vendre à découvert ou acheter des actions à bon prix, on dirait c'est bien, vous vouliez faire de l'argent, ce n'est pas bien, vous allez passer 10 ans en prison mais vous iriez en prison à perpétuité si c'était pour une autre raison. Je trouve un peu bizarre que l'appât du gain puisse être une circonstance atténuante.

Le président: Monsieur Matas.

M. David Matas: Je souscris également à ce commentaire.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Toews. En fait, si l'on examine la définition du terrorisme que l'on trouve dans la Convention des Nations Unies sur la répression du financement du terrorisme, que le Canada a signée—et ce projet de loi a été préparé en partie pour que le Canada puisse la ratifier—on constate que cette expression n'y est pas. On y retrouve l'essentiel de la définition du projet de loi mais ce paragraphe ne s'y retrouve pas. Cela nous amène à nous demander pourquoi a-t-on inséré cette disposition?

M. Vic Toews: Je note que la loi britannique contient une expression semblable, alors qu'il n'y en a pas dans la loi américaine; je me demande simplement la raison de tout cela.

M. David Matas: Je crois que cela reflète une attitude coloniale: la Grande-Bretagne avait cela et nous l'avons maintenant. De plus, à part l'idée d'examiner les motifs de l'acte commis, cette disposition réduit inutilement la portée de la définition, parce qu'effectivement quelqu'un pourrait soutenir que son motif n'est pas un de ceux qui sont mentionnés dans le projet de loi et pourrait ainsi ne pas être visé par l'infraction qui est l'infraction générale du traité des Nations Unies. Avec cette disposition, nous risquons de ne pas respecter nos obligations en vertu de ce traité, parce qu'elle réduit top la portée de cette définition.

M. Vic Toews: Merci.

Le président: Merci, monsieur Toews.

[Français]

Monsieur Bellehumeur, vous disposez de sept minutes.

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Merci.

Depuis ce matin, tous les témoins semblent partager le même point de vue que vous, c'est-à-dire que le projet de loi va beaucoup trop loin, a une définition trop vaste, etc. Je voudrais me référer à un bout de votre témoignage, M. Grey, quand vous affirmez qu'il faut limiter les mesures adoptées dans le temps et dans l'espace et qu'il est peut-être possible de faire quelque chose au niveau de la sécurité dans certains endroits spécifiques comme les aéroports, les ports, les édifices gouvernementaux et les centres de recherche. On peut toutefois adopter ces mesures indépendamment du projet de loi qui est devant nous.

Ma question s'adresse aux trois témoins. Ce projet de loi, aux dires même de la ministre de la Justice, a été rédigé très rapidement. Ceux qui l'ont fait avaient de bonnes intentions, mais ce projet de loi touche à beaucoup de droits individuels et collectifs.

• 1615

Préférez-vous adopter cette loi, ou recourir à une application plus sévère du Code criminel, investir davantage dans les services de police, augmenter le niveau des enquêtes, augmenter la protection des frontières et des aéroports? Devons-nous adopter cette loi en essayant de la modifier, si cela est possible, ou devons-nous voter contre ce projet de loi et demander au gouvernement d'investir davantage ailleurs?

M. Julius Grey: Je pense que les deux solutions ne sont pas exclusives. Je dirais d'abord qu'il est possible, probablement, de rédiger une loi qui serait utile, mais elle devrait être beaucoup plus simple. Cela prendrait beaucoup de travail et elle serait moins importante. Elle donnerait certains pouvoirs, des pouvoirs de définition, mais qui demeureraient sous le contrôle des cours, des comités du Parlement, avec une durée limitée et des lieux d'application limités. Cela peut être utile d'avoir une loi, mais cela n'est peut-être pas essentiel.

Cela dit, je pense que quelle que soit la voie que vous choisirez, soit ne pas adopter le projet de loi et renforcer les autres lois qui existent, soit adopter une loi qui peut avoir l'avantage d'être précise et de bien dire les choses, il faudrait, à mon avis, refaire une étude approfondie de ce projet de loi et en modifier la philosophie pour essayer de couvrir moins de choses, pour qu'il soit moins vaste, plus précis, et pour qu'on sache exactement pourquoi chaque disposition est là.

Je partage votre point de vue. Le gouvernement est de bonne foi. Il est probablement horrifié, comme tout le monde, par ce qui est arrivé. Les gens qui ont rédigé ce projet de loi l'ont fait vite, parfois bien, parfois moins bien. Cela arrive toujours quand on rédige vite. Je pense que ce projet de loi devrait être réétudié et possiblement adopté, mais de façon beaucoup plus modeste.

[Traduction]

M. David Matas: Pour répondre à votre question de savoir s'il faudrait rejeter le projet de loi ou l'adopter avec des modifications, nous dirions qu'il faut l'adopter avec des modifications. Ce projet de loi contient beaucoup de bonnes choses et nous devons de toute façon faire quelque chose pour lutter contre le terrorisme à cause des événements du 11 septembre. Nous ne pouvons pas prétendre que les choses sont comme avant et ce projet de loi comporte de nombreux aspects positifs.

J'aimerais profiter de votre question pour proposer une autre modification que j'ai oublié d'inscrire dans ma liste des 14 modifications; elle concerne un aspect qui constitue un problème pour notre organisme, c'est la question des fausses alertes au bacille du charbon, qui sont apparues après les vraies alertes au charbon. Il faudrait, d'après moi, introduire une autre modification, qui aurait pour but de créer une infraction relative aux fausses alertes.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Prenons un exemple. Je pense que tous, vous trois y compris, sont d'avis que la définition, en tant que telle, d'«activité terroriste» est très large. On fait référence, dans une première partie, à plusieurs conventions internationales. Ensuite, on retrouve une partie made in Canada, si on peut dire.

Monsieur Grey, comment rédigeriez-vous cet article?

M. Julius Grey: Je n'ai rien contre les conventions internationales. De toute façon, nous les avons signées. Nous sommes liés par les conventions internationales.

À mon avis, l'autre définition est beaucoup trop large. Je dirais d'abord que le terme «paix économique» devrait être retranché. Il faudrait aussi inclure un paragraphe qui établirait que toute activité, toute manifestation, toute grève, qu'elles soient ou non légales, ne constituent pas des actes de terrorisme, à moins de mettre la vie ou les biens, pas les intérêts économiques, directement en danger, et d'avoir l'intention de le faire. C'est pour empêcher que les événements qui se sont déroulés à Québec il y a quelques mois ne soient considérés, par une société peut-être un peu nerveuse, comme étant des gestes terroristes, ce qu'ils ne sont pas.

[Traduction]

M. David Matas: J'aimerais également proposer d'autres modifications. L'une, dont nous avons déjà parlé, consiste à supprimer la division 83.01(1)b)(i)(A). L'autre viserait à ce que la division 83.01(1)b)(ii)(E) reflète la division b)(ii)(D), de sorte qu'elle se lirait:

    à perturber gravement ou à paralyser des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, si cette activité risque de provoquer l'une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) et (E).

• 1620

Le président: Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je voudrais poser une dernière question.

Vous savez que, depuis le début, le Bloc Québécois parle de clauses crépusculaires. J'aimerais vous entendre sur ce sujet.

Si le projet de loi contenait des clauses crépusculaires pour certains articles, cela vous rassurerait-il? En souhaitez-vous? Si oui, combien de temps devraient-elles durer: trois, quatre ou cinq ans?

M. Julius Grey: Ces clauses sont mieux que rien, mais pas suffisantes. Je dirais trois ans. Ce serait une amélioration, mais ce ne serait pas parfait.

[Traduction]

M. David Matas: Nous sommes en faveur d'une clause d'extinction qui viserait certaines dispositions. Il y a, dans ce projet de loi, des dispositions qui devraient être conservées, toutes celles qui parlent de propagande haineuse. Trois ans me paraît une durée convenable. Nous pensons davantage à l'arrestation sans dépôt d'accusations, les restrictions apportées au droit de garder le silence, la suppression des pouvoirs du Commissaire à l'information et du Commissaire à la protection de la vie privée.

Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur Matas.

Monsieur Rubin, vous vouliez répondre?

M. Ken Rubin: Oui.

Comme je l'ai déclaré, je pense que certains articles devraient être visés par une clause d'extinction. Entre une telle clause et un examen, je dirais que si l'on n'adopte pas un mécanisme de surveillance, c'est-à-dire un comité parlementaire de surveillance permanent, cela ne fonctionnera pas. Comme je l'ai dit, il vaut mieux bien faire les choses dès le départ. Il faut supprimer certaines choses, l'espionnage économique, les certificats qui réduisent la portée des lois sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée ainsi que les dispositions relatives à la sécurité des communications. Nous devons examiner la Loi sur le SCRS et débattre publiquement de toutes ces questions; ces aspects sont introduits de façon ponctuelle ici, et ils ne recevront pas toute l'attention qu'ils méritent.

Il y a certaines choses que l'on peut faire qui vont renforcer ce projet de loi. Pour ce qui est de l'examen du droit des citoyens d'avoir accès à des renseignements, j'ai remarqué que quelqu'un avait dit que le projet allait trop loin et qu'un autre avait dit qu'il fallait le renforcer. Je maintiens cependant que je supprimerais certaines choses et je ne voudrais pas adopter de clause d'extinction, parce que, lorsque ce projet de loi supprime mon droit d'être informé, il supprime également vos droits, et celui des tribunaux, et où allons-nous alors? Il y a donc certaines choses qu'il faut supprimer immédiatement. Il ne faut pas essayer de faire un compromis entre la clause d'extinction et un examen.

Le vice-président (M. Chuck Cadman): Merci, monsieur Rubin.

Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci.

Monsieur le président, pour ce qui est de la définition d'activité terroriste, il a été suggéré au comité, et c'était le professeur Monahan d'Osgoode Hall qui l'a fait, que l'on pourrait résoudre un des problèmes que soulève la définition de d'activités terroristes, la division 83.01(1)b)(ii)(E), en supprimant tout simplement le mot «lawful» dans la version anglaise. Cela nous éviterait de répondre à la question de savoir ce qui est légal et ce qui ne l'est pas. Je me demande si vous avez des commentaires à faire au sujet de cette recommandation, et si vous pensez que cela répondrait, en tout ou en partie, aux préoccupations que vous avez soulevées.

M. Julius Grey: Lorsqu'on examine le mot «lawful» dans la version anglaise, et je vais vérifier ce qu'il y a dans la version française, on se demande si ce mot s'applique uniquement au mot «advocacy, protest, dissent, stoppage of work». Le français parle d'«arrêt de travail licite», ce qui veut dire qu'en cas de grève, de grève illégale, cette partie de la définition ne serait d'aucun secours, et dans ce cas il faudrait donc la supprimer. Je pense toutefois qu'il serait préférable de supprimer carrément la division (E). Le fait de «perturber gravement ou... [de] paralyser des services, installations ou systèmes essentiels» est manifestement déjà une infraction. Quelqu'un qui souhaite faire quelque chose de ce genre peut être sanctionné. Je ne pense pas qu'il soit utile d'insérer cette disposition dans le projet de loi, car elle n'ajoute rien.

• 1625

Il faut au moins conserver les divisions (A) à (D). La division (E) énonce:

    perturber gravement... des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre d'activités licites de revendication, de protestation ou de manifestation d'un désaccord, ou d'un arrêt de travail licite, qui ne sont pas exercées dans le but de...

Cela me paraît aller trop loin.

M. Bill Blaikie: En supprimant carrément la division (E), pourrait-on alors appliquer plus largement les divisions (A) à (D)?

M. Julius Grey: Non. La personne qui voudrait causer la mort ou des blessures graves, par exemple, en rendant impossibles des interventions chirurgicales, en coupant l'électricité dans les salles d'urgence, commettrait de toute façon une infraction très grave punissable par au moins 14 ans d'emprisonnement, sinon à perpétuité, en vertu du Code criminel actuel. C'est pourquoi je ne pense pas que cette définition serait améliorée si l'on supprimait la division (E).

M. Bill Blaikie: Monsieur Matas, avez-vous des commentaires sur ce point?

M. David Matas: Ce serait certainement une amélioration. Je trouve que la division (E) est formulée de façon trop complexe. Elle n'est pas facile à lire.

M. Bill Blaikie: Je suis bien d'accord avec vous.

M. David Matas: La difficulté que posent les formulations juridiques alambiquées est qu'elles sont très souvent soumises aux tribunaux pour qu'ils les interprètent, ce qui prend beaucoup de temps et entrave finalement l'application de la loi. Je préférerais une formulation qui n'utilise pas une double négative et qui serait beaucoup plus simple à lire, et donc, plus facile à comprendre pour tout le monde.

M. Bill Blaikie: Je reviens à la définition. Cela me semble être le principal problème que pose ce projet de loi et la raison du débat qu'il suscite; la question est effectivement de savoir si, lorsque l'on utilise des mots indiquant que l'activité doit avoir été exercée dans un but politique, religieux ou idéologique, on décrit vraiment une activité terroriste ou si l'on crée un système de justice à deux niveaux, dans ce cas-ci. Quelqu'un pourrait commettre un acte identique parce qu'il en veut à une entreprise ou au gouvernement. Nous faisons de la politique depuis assez longtemps pour savoir qu'il y a des gens qui se sentent lésés par la Commission des accidents de travail, par l'assurance-emploi ou un autre organisme. Serait-ce là un but politique, religieux ou idéologique? Je me demande si nous ne sommes pas en train de créer plus de problèmes que nous en résolvons avec ce genre de formulation.

Pour la plupart des gens, le terrorisme, selon sa définition traditionnelle, est quelque chose qui est fait pour un motif politique. Si l'on supprime carrément cet aspect, on se retrouve, ce qui est quand même grave, avec une activité criminelle ordinaire. Cela nous place tous devant un véritable dilemme et je peux vous dire que les commentaires que vous pouvez faire à ce sujet nous serons fort utiles.

M. David Matas: Je ne pense pas qu'en supprimant cet aspect, on se retrouve devant une activité criminelle ordinaire, parce que si l'on examine la division 83.01(1)b)(i)(B), on y parle d'intimider la population.

En fait, le terrorisme consiste à semer la terreur. Qui peut savoir quelle était la motivation des gens qui ont commis les attentats du 11 septembre? On pourrait penser qu'ils voulaient poser des actes nihilistes, qu'ils voulaient tuer pour tuer, qu'ils croyaient en la mort plutôt qu'en la vie. Si tel était bien leur motivation, il est même possible qu'ils ne soient pas visés par ces dispositions. On ne pourra pas les juger mais il y a des personnes qui ont organisé l'attentat qui pourraient l'être. Peut-être qu'ils pensaient tout simplement que l'humanité doit disparaître ou qu'il faut faire peur à tout le monde.

M. Bill Blaikie: Nous devrions peut-être ajouter «motif d'ordre cosmologique» ou quelque chose du genre.

M. Julius Grey: J'aimerais dire que je ne sais pas quel est le sens de l'expression; but politique, religieux ou idéologique. Cela contribue à l'imprécision du projet de loi.

La division 83.01(1)b)(i)(B) parle d'«intimider». Je suis tout à fait d'accord avec David, cela suffit. Mais lorsque cette disposition mentionne «entre autres sur le plan économique», cela ne devrait pas être dans cette disposition, parce que si l'on combine «entre autres sur le plan économique» avec «perturber gravement... des services... essentiels», alors tous les types de boycotts, de manifestations contre des sociétés ou d'autres entités commerciales pourraient être visés par cette définition.

• 1630

Pour améliorer ce projet de loi, il me paraît souhaitable de supprimer la division 83.01(1)b)(i)(A). Je ne vois pas pourquoi la personne qui utilise des moyens terroristes pour faire baisser la valeur d'une action ne devrait pas être poursuivie, si cette personne recherche son profit personnel. Par contre, je ne vois pas pourquoi nous devrions inclure la sécurité économique et adopter la division 83.01(1)b)(ii)(E). La sécurité économique est précisément l'élément que l'on pourrait appliquer aux personnes qui participent à des manifestations.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/DR): Merci, monsieur le président, et je tiens à remercier tous les témoins pour leur précieuse contribution à nos délibérations.

Au sujet du dernier point qui a été mentionné, j'ai pensé en lisant pour la première fois l'expression motif idéologique, religieux ou politique que la Couronne, ainsi que la police, qui a porté l'accusation comportant le nouvel élément requis, la nouvelle mens rea qu'il faut démontrer au-delà de tout doute raisonnable, risquent fort de voir leurs efforts anéantis dans certains cas. Comme l'a déclaré M. Matas, il est très difficile de déduire un motif pour la plupart de ces infractions. Je crois qu'il est très possible que l'on porte des accusations, pour reprendre les termes de M. Blaikie, en vertu des articles traditionnels du Code criminel, même si ce projet de loi accorde des pouvoirs apparemment très efficaces en matière d'investigation. Il est possible qu'il y ait là une façade par rapport à la façon dont la loi va être appliquée en pratique, pour ce qui est des articles que les services de police vont invoquer pour porter des accusations contre la personne qui a commis un massacre ou un acte de destruction massive.

Pour en revenir aux questions de formulation, les parties de ce projet de loi qui accordent à la police de nouveaux pouvoirs en matière d'enquête, les audiences d'investigation, le pouvoir de détenir un suspect, la garde à vue, ne font l'objet d'aucun examen judiciaire, et, en cas de délivrance d'un certificat, ils ne peuvent non plus être visées par les moyens traditionnels qui permettent d'obtenir la divulgation des preuves. Le ministre qui délivre un certificat peut simplement dire qu'il s'agit d'une question de sécurité nationale, que c'est une question qui touche les relations internationales. Personne n'en saura rien, parce qu'aucun contrôle, aucun examen ne sont prévus, que ce soit par les tribunaux, ou peut-être plus révélateur, par les chiens de garde traditionnels que sont le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire à l'information. Ces lois, ces fonctions sont complètement écartées.

J'aimerais avoir d'autres commentaires de votre part sur les façons dont nous pourrions modifier ce projet de loi. Il me semble qu'en redonnant ces fonctions aux personnes dont je viens de parler, cela garantirait au moins qu'il n'y a pas de motif politique ou d'abus dans le contexte de ce projet de loi.

M. Julius Grey: La garde à vue ne devrait pas être autorisée. On a utilisé cette mesure au Québec en 1970, et je me souviens, j'étais étudiant à l'époque du côté anglophone, de tous ces gens qui ont agi sous le coup de l'indignation. Nous savons que la police a été trop loin et que des innocents ont été incarcérés pour rien.

Si vous décidez de conserver ce pouvoir, et je pense qu'il devrait être supprimé, il y a une façon d'en décourager l'emploi, il faudrait obliger les autorités à verser une indemnité aux personnes gardées à vue. Cela inciterait les policiers à n'utiliser ce pouvoir que s'il est vraiment nécessaire. Cela aurait un effet dissuasif. Le but est d'inciter les policiers à ne pas utiliser ce pouvoir.

L'autre aspect est qu'il faudrait prévoir un examen. Lorsque l'on place quelqu'un sous garde, il faut qu'il soit possible d'examiner cette décision, pour la raison que vous avez mentionnée, c'est-à-dire pour que l'on soit sûr que la personne n'a pas été placée sous garde parce que sa tête ne revient pas au policier ou parce qu'il y a erreur sur la personne. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit souvent de gens qui ont des noms peu communs ou qui se ressemblent. On pourrait arrêter quelqu'un par erreur et le garder pendant plusieurs semaines avant de réaliser qu'il y a eu erreur. Il est absolument nécessaire de mettre en place un mécanisme d'examen, ce qui aura également un effet dissuasif sur l'utilisation de ce pouvoir. Voilà le genre d'article qu'il conviendrait d'ajouter au projet de loi.

M. David Matas: J'aimerais revenir sur le commentaire que vous avez fait il y a un instant au sujet de la définition.

• 1635

Il ne faut pas oublier que l'accusé n'est jamais obligé de témoigner. Il a le droit de garder le silence et il est présumé innocent. La Couronne doit faire la preuve de sa culpabilité. L'accusé peut demander à la Couronne de démontrer qu'il avait un but idéologique et il peut exister des preuves démontrant clairement que l'auteur de l'acte reproché n'a fait aucune déclaration, n'a rien couché par écrit, et que la seule preuve existante est l'acte qu'il a commis.

M. Peter MacKay: Mais monsieur Matas, si je peux vous interrompre, je suis désolé, la personne qui est convoquée à une audience d'investigation est tenue de témoigner. Ces personnes sont absolument obligées de parler ou de justifier leur silence.

M. David Matas: Oui, je comprends cela mais il y a une clause d'exclusion. Le témoignage de cette personne ne peut être utilisé contre elle dans une instance pénale. Ces preuves ne seraient pas admissibles pour la poursuite, et le tribunal qui jugerait un tel accusé ne saurait pas ce qui s'est dit au cours de l'audience d'investigation. C'est pourquoi, en cas de poursuite, la Couronne ne disposerait d'aucun élément indiquant le but recherché par l'auteur de l'acte, et cela pose un problème grave. Ce serait un problème même si les auteurs de l'attentat du 11 septembre avaient survécu. Ils n'ont fait aucune déclaration indiquant quels étaient leurs motifs, et ils ne pourraient donc pas être poursuivis en vertu de cette disposition.

M. Peter MacKay: Pour ce qui est de l'obtention de preuves, je trouve quelque peu contradictoire et anormal qu'il y ait un mécanisme d'examen dans le cas des organismes de bienfaisance. Le projet de loi mentionne expressément que les certificats ayant pour effet de supprimer l'enregistrement des organismes de bienfaisance peut faire l'objet d'un examen judiciaire. Nous savons tous que cette mesure ne donnera pas beaucoup de résultats dans la lutte contre le terrorisme et qu'elle semble secondaire comparée aux autres pouvoirs attribués par ce projet. Les articles concernant l'écoute électronique et l'interception de communications accordent de nouveaux pouvoirs au ministre de la défense et confient également au gouverneur en conseil le soin de nommer un juge à la retraite surnuméraire d'une juridiction supérieure qui aurait le titre de commissaire et serait chargé d'un rôle de surveillance qui n'est pas prévu par les autres articles; ce pouvoir est toutefois de nature discrétionnaire, si j'ai bien compris le paragraphe 273.63(1) à la page 120: le gouverneur «peut» nommer ce juge. Si l'on poursuit la lecture de cette disposition, au sujet des attributions de ce poste, on lit que le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications examine «les activités du Centre». Par conséquent, si les pouvoirs du ministre sont discrétionnaires et que les attributions du commissaire sont réelles, je crains que ce commissaire ne soit jamais nommé.

Le président: Monsieur Rubin.

M. Ken Rubin: Toute cette question de l'examen pose des problèmes pour ce qui est de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, parce qu'il n'est pas possible d'attribuer une motivation précise dans le cadre de cet examen. En matière d'accès à l'information et de protection de la vie privée, tous les citoyens sont égaux. Cependant, lorsque l'on supprime cet examen et que l'on élargit les pouvoirs, disons, du Centre de la sécurité des télécommunications pour englober les secteurs économiques et d'autres, cela entraîne la création de toute une série de nouvelles banques d'informations personnelles secrètes. Cela entraîne la collecte et le stockage de nouvelles données.

En 1983, à l'époque où ces lois étaient encore en vigueur et où le gouvernement canadien a publié un répertoire de tous les renseignements personnels qu'il détenait sur les citoyens et qui était destiné aux groupes de défense des libertés civiles, j'avais calculé qu'il existait près de 300 millions de dossiers. Avec la technologie actuelle, on peut dire qu'il existe déjà, normalement, un nombre considérable de dossiers mais l'on va en plus en créer d'autres, qui ne seront assujettis à aucune règle.

Il y a eu un tollé lorsque Développement des ressources humaines Canada a essayé de constituer une base de données longitudinale générale. La collecte de données, et je comprends qu'il y a parfois d'excellentes raisons pour le faire, est un domaine qui appelle les questions. Lorsqu'on prévoit la délivrance de certificats sans qu'il y ait d'examen, ou l'attribution de pouvoirs discrétionnaires, ou la nomination d'un commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications soustrait à la surveillance du Parlement, on crée un ensemble de décisions qui introduisent un grave déséquilibre dans ce domaine.

Le président: Merci, monsieur Rubin.

Monsieur Grey.

M. Julius Grey: J'aimerais ajouter une chose. Il faut absolument s'assurer que les autorités n'écoutent pas les communications pour d'autres raisons, pour en apprendre sur la vie privée des opposants politiques, pour éventuellement causer un scandale, ou autre chose. Cela se fera tôt ou tard. Je suis convaincu que le gouvernement est de bonne foi ici mais si cette loi demeure en vigueur, qui pourra dire ce qui se passera dans cinq, dix ou quinze ans?

• 1640

La première règle qu'il convient d'introduire est qu'il faut que ces pouvoirs soient contrôlés et la deuxième devrait interdire la divulgation et l'admissibilité de ces preuves, sauf pour des raisons reliées à une infraction de terrorisme. De cette façon, si les autorités découvrent que quelqu'un, par exemple, a une liaison qui pourrait les intéresser, elles ne pourraient jamais divulguer ce fait, ni l'utiliser pour une autre fin.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Grey.

Monsieur Myers pour sept minutes.

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vais commencer par M. Matas.

Vous mentionnez dans votre liste de 14 points certains aspects au sujet desquels j'aimerais avec des précisions. Le premier est la Loi sur la citoyenneté et le fait que vous avez soulevé, à savoir qu'il n'est pas possible de révoquer la citoyenneté pour des motifs liés au terrorisme. J'aimerais que vous m'expliquiez cela davantage et donniez quelques suggestions. Je pense savoir où vous voulez en venir mais j'aimerais, pour le compte rendu, que vous l'expliquiez.

Vous avez également manifesté le souhait, si ma mémoire est exacte, que l'on crée une infraction réprimant la divulgation malveillante. Je me demande comment serait appliquée cette infraction, d'après vous. Je pense qu'elle devrait être prévue par la Loi sur les secrets officiels.

Troisièmement, vous avez ajouté un 15e point concernant les fausses alertes au charbon, qui comporte deux aspects. Premièrement, je me demande si vous pouvez expliquer davantage les modifications que nous devrions proposer. Deuxièmement, vous semblez faire allusion au fait que ces fausses alertes sont courantes, du moins d'après votre expérience, et je me demandais si vous pouviez nous en dire davantage sur cette question.

M. David Matas: Pour ce qui est de la citoyenneté, je dirais qu'à l'heure actuelle, la Loi sur la citoyenneté prévoit la révocation de la citoyenneté en cas de fraude, de fausse déclaration ou de dissimulation volontaire de faits essentiels, et c'est tout. Il y a eu récemment un certain nombre d'affaires où la citoyenneté a été révoquée, essentiellement, pour des crimes de guerre. Les affaires se présentent de la façon suivante: ces personnes sont des criminels de guerre, elles ont caché le fait qu'elles étaient des criminels de guerre, elles ont menti, et nous pouvons donc révoquer leur citoyenneté parce qu'elles ont menti, pas parce qu'elles ont commis des crimes de guerre. Ces personnes se trouvent tout de même encore au Canada, et il faut donc les expulser. Ces personnes peuvent donc être expulsées parce qu'elles ont fait une fausse déclaration, une fois que leur citoyenneté a été révoquée pour cette même raison, mais elles peuvent ensuite présenter une demande de statut de réfugié. Les criminels de guerre sont exclus de la définition de réfugié, et les criminels de guerre n'ont pas droit au statut de réfugié. Il arrive que les crimes de guerre reprochés aient été établis au cours de la procédure de révocation, mais cette procédure portait initialement sur de fausses déclarations et non pas sur des crimes de guerre. Il faut donc prouver tout cela à nouveau dans le cadre de la procédure d'expulsion ou d'examen de la revendication du statut de réfugié. Cela fait durer les choses. Cela revient à prouver deux fois la même chose.

Bogutin a invoqué un argument très spécial. La moitié environ des criminels de guerre qui se trouvent au Canada sont décédés au cours de ces instances, parce qu'elles prennent beaucoup de temps et, bien sûr, parce qu'elles concernent des personnes âgées. Luitjens a essayé d'utiliser l'argument de la citoyenneté mais le Parlement l'a écarté en disant que la déclaration frauduleuse fournie en matière de citoyenneté constitue une déclaration frauduleuse pour l'expulsion mais Bogutin a imaginé une autre façon de contourner cette règle. Il faut réagir à ce qu'a fait Bogutin.

La question s'est posée dans le contexte des crimes de guerre mais bien évidemment, elle pourrait aussi se poser dans celui du terrorisme. Pour révoquer la citoyenneté d'une personne qui a menti au sujet de ses activités terroristes, il faudrait démontrer qu'elle a menti, parce qu'elle a caché ses activités terroristes mais en fin de compte, on aura simplement démontré que cette personne a menti, mais pas qu'elle est un terroriste. Pour l'expulser, il faudrait démontrer à nouveau qu'elle est un terroriste, en particulier si elle a présenté une demande de réfugié, et cela ne ferait qu'allonger le processus.

Le deuxième point concerne les dénonciations malveillantes. La loi actuelle dit essentiellement que si l'on donne des renseignements en étant de bonne foi, cela n'est pas grave. Le paragraphe 83.1(2) énonce:

    Nul ne peut être poursuivi pour avoir fait de bonne foi une communication...

Nous estimons qu'il devrait exister la disposition contraire qui prévoit le cas où la communication est faite de mauvaise foi, parce que cela va arriver et il faut pouvoir contrer ce genre de choses. Il serait utile d'avoir une disposition qui les prévoit expressément.

• 1645

Pour ce qui est de votre troisième point au sujet des fausses alertes, je peux dire que la communauté juive a eu une expérience regrettable dans ce domaine. Les principales organisations juives ont toutes reçu de fausses alertes au charbon après l'apparition du bacille du charbon. Nous avons tous été obligés d'évacuer nos édifices et de cesser nos activités, y compris le B'nai Brith, mais le B'nai Brith n'était pas la seule organisation visée. C'est un problème réel et nous le considérons comme tel. C'est un projet de loi qui pourrait être utilisé pour résoudre ce problème, et il devrait créer une infraction qui réprimerait ce genre de comportement.

M. Lynn Myers: Merci beaucoup.

Monsieur Grey, j'aimerais revenir sur votre idée de supprimer du projet de loi toute référence aux aspects économiques. Il me semble que, lorsque l'on parle d'organismes de bienfaisance et de levée de fonds, qui se retrouvent, qu'on le sache ou non, entre les mains de terroristes, il est difficile d'exclure l'aspect économique. Je pense également que, lorsqu'on parle de terrorisme et du genre de bouleversement que pourraient subir les institutions financières à cause du terrorisme, il est difficile de ne pas penser à l'aspect économique. Vous allez peut-être néanmoins réussir à me convaincre du contraire.

M. Julius Grey: Pour ce qui est de la première partie, je suis d'accord avec vous. Lever des fonds n'est pas une activité économique, c'est une question de biens ou de fonctionnement d'une organisation terroriste. On retrouve la même chose dans le crime organisé, dans la mafia, au Canada. Il est tout aussi criminel de blanchir ces fonds que de commettre des actes de violence. Cela n'est pas de l'économie. Cela a un rapport avec la destruction de biens. Je ne m'oppose pas à cet aspect, parce que si l'on détruit des biens, on risque également de tuer des gens, lorsqu'on incendie un édifice, on fait les deux. Ce n'est pas ce qui m'inquiète.

Ce qui m'inquiète, c'est lorsqu'on parle d'atteinte aux intérêts économiques de certaines personnes, et là, vous avez tout à fait raison. Vous dites que certains actes pourraient perturber gravement nos marchés. Je suis d'accord avec vous et je pense que l'on devrait interdire ce genre de choses. Par exemple, je ne sais si vous avez suivi cette affaire, mais il y a un jeune pirate informatique de 16 ans qui vit à Montréal et qui a causé des dommages considérables. Un pirate informatique peut effectivement causer des dommages énormes. Néanmoins, je crois qu'il faut faire une différence entre ce genre de comportement et le terrorisme. Si je ne souhaite pas que certaines activités qui ont pour but, par exemple, de nuire à l'économie, ce qu'on appelle l'espionnage économique, et d'autres, soient qualifiées de terrorisme, ce n'est pas parce que je crois qu'elles sont bonnes mais plutôt parce que je crois qu'elles doivent être contrôlées en utilisant les dispositions du Code criminel. Ce ne sont pas de l'intimidation, des menaces contre la vie ou les biens de quelqu'un, des incendie, des attentats à la bombe, des enveloppes remplies de poudre blanche, qu'elles contiennent ou non la substance soupçonnée. C'est un genre de terreur et un genre d'intimidation de nature différente.

Je veux revenir à mon observation. Dans notre société, il y a des gens qui font toutes sortes de choses répréhensibles. Si nous qualifions de terroriste la plupart de ces choses, nous allons à l'encontre de l'idée de départ, parce que ces choses ne sont plus exceptionnelles et spéciales. Pour ce qui est de l'aspect économique, je n'approuve pas le fait de causer intentionnellement un préjudice aux marchés, c'est simplement que je ne pense pas que cela constitue du terrorisme et qu'il existe déjà dans le Code criminel des dispositions qui répriment ce genre de conduite.

M. Lynn Myers: Tout comme vous, je me trouvais à l'université à l'époque de la crise du FLQ, et je m'en souviens donc très bien. Est-ce que vous dites, pour répondre à une autre question, que cette loi ne fait que reprendre la Loi sur les mesures de guerre?

M. Julius Grey: Cette loi a été modifiée par la suite. Nos lois d'urgence sont maintenant beaucoup plus subtiles. Je ne suis pas le seul à le penser; les défenseurs des libertés civiles du Québec estiment aujourd'hui que la plupart des gens qui ont passé quelques semaines en prison à l'époque n'auraient pas dû être incarcérés.

Je n'aime pas beaucoup jeter le regard d'aujourd'hui sur une autre époque. Je me souviens du climat qui régnait à ce moment-là, je comprends pourquoi cela est arrivé, mais je ne souhaite pas qu'il nous arrive un jour de détenir un grand nombre de gens et de les accuser pour la seule raison qu'un certain événement s'est produit. Avec le recul, je regrette de ne pas m'être opposé à l'époque à ce genre de choses, mais même sans cela, il est toujours possible de fournir des explications et la situation était complexe. Je ne voudrais pas qu'un événement de ce genre se reproduise.

Le président: Merci, monsieur Myers.

Monsieur Cadman, trois minutes.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

• 1650

Monsieur Grey, vous avez fait allusion à la complexité du projet de loi. Je crois que ceux qui étudient le système de justice pénale pour les jeunes depuis quatre ans ne souhaitent pas avoir à examiner une loi qui serait encore plus complexe que celle-ci.

Cela dit, vous avez mentionné qu'il faudrait adopter des lois différentes qui seraient applicables à différents types de cibles, faire une liste séparée. Les avions, les édifices gouvernementaux, ce sont là des cibles évidentes, mais j'ai pensé également à des choses, je viens de la C.-B., comme les lignes de transport d'électricité vers la Californie, les barrages hydroélectriques, les pipelines. Allons-nous devoir établir une liste de toutes ces choses et prévoir des façons différentes de les protéger? Je crains que cela ne soit très compliqué. Comment allons-nous définir tout cela? Qu'est-ce qui va se passer si nous oublions d'inscrire quelque chose sur cette liste? Supposons que, pour une raison ou une autre, on ait oublié de parler des réservoirs d'eau, et qu'une ville soit entièrement détruite à la suite d'un acte de terrorisme et que nous ayons oublié de mentionner cela dans la liste. Je crains que la liste que vous proposez ne soit trop compliquée.

M. Julius Grey: Je ne propose pas que l'on adopte une loi pour chaque type de cibles, une loi pour les aéroports, une loi pour les trains. Je crois que l'on pourrait adopter une loi relative aux zones sécuritaires qui énumérerait ce genre de choses et autoriserait la prise de règlements qui permettrait d'ajouter d'autres lieux, au cas où une catégorie de lieux serait particulièrement visée. D'une façon générale, cette loi indiquerait à la population que les personnes qui se rendent dans ces lieux doivent savoir qu'elles sont susceptibles d'être fouillées, qu'il est interdit d'y introduire certains objets et qu'il peut y avoir un garde armé dans l'avion ou dans le train. Toutes ces choses sont tout à fait légitimes et pourraient être faites en adoptant une seule loi.

M. Chuck Cadman: Là encore, comment pourriez-vous protéger une ligne de transport d'électricité? Il y en a dans les régions isolées de la C.-B. Il suffit que les gens aillent dans les montagnes et ils se trouvent dans des régions isolées. Vous ne pouvez pas leur interdire d'aller dans ces régions avant d'avoir été contrôlés, parce qu'il n'y a personne pour effectuer ces contrôles.

M. Julius Grey: Il existe déjà des lois qui déclarent illégale toute atteinte portée à ce genre de ligne. Il y a le Code criminel qui est en vigueur actuellement qui réprime ce genre de comportement. Cette personne serait punie très sévèrement avec les lois actuelles, si l'on réussissait à la trouver.

M. Chuck Cadman: Mais vous ne pourriez pas faire avec ce projet de loi, d'après ce que vous dites, même si ce n'était pas nécessairement la Colombie-Britannique ou le Canada qui était la cible de cette activité. Il pourrait s'agir de fournir de l'électricité à la Californie.

M. Julius Grey: Cela suffirait. Cette loi le permet. N'oubliez pas qu'avec cette loi, il faut d'abord établir que l'activité est motivée par des raisons idéologiques, religieuses ou autres. Il serait plus facile d'accuser cette personne aux termes du Code criminel parce qu'elle a commis un méfait, détruit des biens ou interrompu des services. Il y existe des dispositions spéciales qui touchent ces domaines et elle serait traduite devant un tribunal pour avoir commis une infraction bien connue et très classique.

Le président: Monsieur Cadman, merci.

John McKay pour trois minutes.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci à tous pour vos exposés.

Monsieur Grey, j'ai l'intention de vous voler vos observations et d'en faire un discours à un moment donné. J'estime que vous avez bien synthétisé le sentiment que nous partageons tous.

Je voulais vous poser quelques questions sur les points que vous avez soulevés, en fait la combinaison de vos points, à savoir, l'imprécision de la définition d'activité terroriste, l'interprétation du verbe faciliter et l'article sur le financement du terrorisme. Comment ces dispositions pourraient-elles s'appliquer aux organismes de bienfaisance, aux ONG, aux organismes sans but lucratif ou même à but lucratif? Pour prendre un exemple concret, est-ce que les visions mondiales de ce monde devraient être s'inquiéter à cause des activités qu'elles exercent à l'étranger? Ce projet de loi va-t-il nuire aux organismes de bienfaisance canadiens qui fournissent des fonds à des intermédiaires légitimes qui, à leur tour, accordent, sans le savoir, des fonds et des ressources à des entités étrangères? Les ONG qui existent au Canada pour fournir des services aux réfugiés devraient-elles se demander à qui elles fournissent leurs services, là encore sans le savoir peut-être? Je reviens au sens de l'expression: faciliter l'exercice d'activités terroristes. Et, paradoxalement, est-ce que Talisman devrait s'inquiéter de l'effet combiné de ces trois articles, l'activité terroriste, le fait de faciliter et le financement du terrorisme? Est-ce qu'une entreprise comme Talisman, qui opère au Soudan, devrait s'inquiéter de ce genre d'activités? J'aimerais avoir votre opinion et celle des autres témoins.

M. Julius Grey: Je n'aime pas beaucoup Talisman, mais je ne pense pas que cette loi vise ce type d'organisme. Cela s'applique également à certains organismes de bienfaisance. Il ne faut pas oublier qu'il y a des endroits au monde où la plupart des gens sont hostiles à certaines choses. Si vous fournissez des soins médicaux à des groupes en Palestine, la plupart des gens n'auront pas la même idée que vous au sujet de l'existence de l'État d'Israël. Le seul fait de fournir de l'aide, de l'aide médicale, de l'aide sociale, ne devrait pas faire de vous un criminel.

• 1655

C'est la même chose si vous apportez de l'aide humanitaire en Afghanistan. Nous savons tous que la Ligue du Nord a une position aussi étroite et rigoureuse sur certains de ces points que n'importe quel organisme, et pourtant, le fait que vous leur donniez de la nourriture, des couvertures, ou ce genre de choses, importe peu.

La réponse que je propose est d'avoir recours à la notion traditionnelle de mens rea, d'élément moral. Si quelqu'un a l'intention de fournir de l'argent à un organisme qui se spécialise dans les attentats, ce qui s'est produit en Israël hier, et bien ce qu'il fait est manifestement mal, c'est un complot international en vue de tuer des personnes. Par contre, si vous avez l'intention de favoriser l'éducation des femmes en Afghanistan, qui ne vont pas à l'école à l'heure actuelle, et que vous soyez obligé de passer par un organisme de bienfaisance musulman, parce que l'argent ne peut être transmis autrement, cela devrait alors être autorisé. Ce projet de loi n'est pas assez subtil pour permettre cela. Lorsqu'on supprime l'élément moral, on peut en arriver à une situation où la personne qui travaille avec un organisme de bienfaisance musulman qui s'occupe d'éduquer les femmes pourrait constater que certains membres de cet organisme ont des opinions qui ne seraient pas acceptables dans les dîners auxquels vous êtes invité. Il faut accepter que la perfection n'est pas de ce monde. C'est pourquoi il faut exiger l'élément moral, adopter une définition beaucoup plus étroite, de façon à ne pouvoir accuser quelqu'un que s'il a l'intention de causer un préjudice et de commettre des actes de terrorisme, et non seulement parce qu'il travaille avec des personnes qui ont des opinions critiquables.

M. David Matas: Le projet de loi utilise le mot sciemment, et vous utilisez l'expression sans le savoir. Il y a là une contradiction. Sans le savoir veut dire qu'on ne sait pas. C'est pourquoi je ne pense pas que le projet de loi vise les personnes qui facilitent ce genre de choses sans le savoir.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Matas et monsieur McKay.

Monsieur Bellehumeur, trois minutes.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: J'ai une dernière petite question, car vos propos sont assez clairs.

Monsieur Grey, vous avez parlé tout à l'heure, à propos du paragraphe (2) de l'article 83.01, de la mens rea. En plus du point que vous avez soulevé, est-ce que vous voyez une différence entre le texte anglais et le texte français concernant la preuve?

M. Julius Grey: À 83.01...

M. Michel Bellehumeur: Au paragraphe 83.01(2) proposé, à la page 15, on dit, en français: «faciliter une activité terroriste» de façon très large, alors qu'en anglais, on parle plutôt de favoriser une activité terroriste en particulier.

M. Julius Grey: Je pense que le français est beaucoup plus large et pourrait, par conséquent, se prêter à toutes sortes d'interprétations.

Maintenant, je sais bien qu'en droit criminel, un juge placé devant ce texte devrait normalement dire qu'étant donné que les deux langues sont d'importance égale, on va choisir l'interprétation la plus restrictive de façon à protéger l'individu.

Néanmoins, là où il y a une différence entre les deux versions—et vous avez mis le doigt sur un de ces endroits—il faudrait corriger la version la plus large et la plus dangereuse. Dans ce cas-ci, ce serait sûrement la version française. Dans d'autres cas, c'est la version anglaise qu'il faudrait corriger.

M. Michel Bellehumeur: Cet article-là va très loin. On n'a même pas besoin de démontrer la mens rea dans...

M. Julius Grey: Il y a quelques endroits où on dit que peu importe que la personne sache ou non. Ça, selon moi, ça va à l'encontre de notre droit criminel. Normalement, cela n'est permis que pour les offenses techniques pour lesquelles la pénalité n'est pas particulièrement lourde. Si vous brûlez un feu rouge, que vous l'ayez remarqué ou non n'a aucune importance. Malheureusement, ici, il y a des choses qui pourraient enlever le mens rea.

M. Michel Bellehumeur: Très bien.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

M. David Matas: Monsieur le président, j'aimerais ajouter quelque chose.

Le président: Très bien, monsieur Matas.

M. David Matas: Là encore, on ne peut lire cette disposition de façon isolée, parce que l'infraction qui est créée à l'article 83.18 à la page 28 utilise le mot «sciemment». Si l'on combine cette disposition avec la définition de la facilitation, telle que je la comprends, le projet de loi énonce que la personne qui facilite une activité terroriste doit savoir qu'il s'agit bien d'une activité terroriste, même si elle ne connaît pas l'édifice exact où sera déposée la bombe. Il faut qu'elle sache qu'il y aura des attentats, même si elle ne connaît pas l'adresse de l'édifice visé. Voilà ce que veut dire le projet de loi.

M. Julius Grey: Malheureusement la disposition dit «directement ou indirectement».

[Français]

En français, c'est «directement ou non».

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Bellehumeur et merci aux témoins.

• 1700

Maintenant, nous allons donner la parole à M. Lee pour trois minutes.

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'ai une brève question qui est quelque peu éloignée des sujets dont vous avez parlé aujourd'hui.

Vous vous intéressez tous à l'aspect juridique, et je voulais vous poser une question au sujet des dispositions concernant la création du poste de commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. L'article envisagé énonce que le commissaire doit être un juge surnuméraire ou un juge à la retraite. Je me demandais si vous pensiez que ce juge serait obligé de démissionner de son poste de juge surnuméraire pour devenir commissaire. Un juge à la retraite est une chose, un juge surnuméraire exerce encore les fonctions de juge. J'aimerais savoir si ce juge, qui ferait alors partie de la fonction publique en qualité de commissaire, serait encore un juge et si cela ne créerait pas une zone grise entre la fonction judiciaire et la fonction exécutive du gouvernement.

M. Julius Grey: Les juges président des commissions. L'honorable juge Dussault, par exemple, de la Cour d'appel du Québec a présidé une commission très célèbre sur les droits des Autochtones mais il ne siégeait pas en qualité de juge pendant qu'il était commissaire. Il a quitté le tribunal. Il était officiellement membre du tribunal mais il ne siégeait pas. Il n'aurait certainement pas pu continuer à siéger pendant qu'il présidait la commission. Qu'aurait-il fait s'il avait été saisi d'une affaire qui touchait indirectement ces travaux? Je ne pense pas que ce juge devrait démissionner. À l'expiration de son mandat de commissaire, il pourrait reprendre ses fonctions de juge.

M. Derek Lee: Une séparation administrative éviterait donc tout problème constitutionnel.

M. Julius Grey: Oui, à cause du rôle de commissaire que nous confions traditionnellement à nos juges.

M. Derek Lee: Très bien. Merci.

Le président: Merci, monsieur Lee.

Monsieur Rubin.

M. Ken Rubin: Je ne suis pas avocat mais le Centre de la sécurité des télécommunications existe depuis des années et ce n'est pas un organisme très connu. Tout d'un coup, le gouvernement étend ses pouvoirs et crée un poste de commissaire dont les pouvoirs sont très restreints. Je ne pense pas que la question à poser soit celle de l'origine du commissaire.

Par contre, le fait qu'on s'apprête à nommer un si grand nombre de juges pour faire ce genre de travail m'inquiète beaucoup. Je me demande si cela ne va pas influencer notre système de justice, les ressources qu'on y consacre, et le fonctionnement habituel de la Cour fédérale. C'est une des raisons pour lesquelles je pense que l'on devrait envisager la solution d'un tribunal administratif spécialisé.

Le président: Merci beaucoup, messieurs Lee et Rubin.

Nous allons donner la parole à M. Sorenson pour trois minutes.

M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): En fait, je n'ai pas beaucoup de questions à poser. Nous avons entendu de nombreux exposés de sept minutes et de trois minutes mais j'ai quelques remarques qui découlent non pas uniquement de cette séance, mais aussi des deux ou trois dernières séances.

Un des aspects qui soulève des problèmes à l'égard des libertés civiles est la garde à vue. En fait, monsieur Grey, je crois que vous avez dit aujourd'hui qu'il faudrait supprimer les articles sur la garde à vue et que, si nous ne le faisons pas, il faudrait au moins adopter une clause d'extinction à ce sujet.

Dans ma jeunesse, mon père me disait tout le temps que l'on peut être coupable par association; si j'avais fréquenté des jeunes peu recommandables, on m'aurait considéré comme coupable uniquement à cause de mes fréquentations. Cela a donné de bons résultats et j'ai fait très attention, du moins c'est ce que je pensais, pour bien choisir mes amis. C'est un peu différent devant les tribunaux. Nous ne voudrions pas que l'on déclare quelqu'un coupable à cause de ses fréquentations. Mais il semble presque que nous soyons arrivés à un point où nous nous demandons comment osons-nous même nous demander si ces fréquentations peuvent justifier des soupçons? Nous n'allons pas les déclarer coupables mais nous semblons presque hésiter à reconnaître que certaines fréquentations peuvent susciter des soupçons.

J'ai passé au printemps dernier deux semaines avec d'autres membres du comité dans un pays où l'on a inspecté avec beaucoup de soin nos bagages dans les aéroports. Avant d'entrer dans un centre commercial, nous avons dû passer à travers un détecteur de métal. Ils ont vérifié nos bagages, nos sacs à dos, et tout ce que nous avions avec nous. Nos libertés civiles ont été restreintes, nous avons perdu une certaine liberté mais cela était fait pour notre sécurité. Je crois que c'est là l'essentiel.

• 1705

Nous parlons de garde à vue. Disons que cela ne figure pas dans le projet de loi. Je crains que nous ayons encore besoin de sécurité, nous voudrons avoir le sentiment de pouvoir aller n'importe où au Canada et nous allons donc trouver d'autres façons d'obtenir cette sécurité.

M. Julius Grey: Vous avez peut-être tout à fait raison de dire que si l'on supprime certains articles, d'autres vont être utilisés davantage, parce que c'est ce qui arrive habituellement. Le pouvoir que l'on supprime d'un côté est bien souvent compensé par d'autres pouvoirs.

Il y a deux choses qu'il ne faut pas oublier au sujet de l'arrestation et des choses de ce genre. Premièrement, il n'est pas interdit d'arrêter quelqu'un si l'on a des motifs raisonnables pour le faire. On peut l'arrêter, le faire comparaître devant un juge, et si le juge décide de le garder en détention, c'est ce qui se passe. C'est la détention des personnes arrêtées qui pose un problème.

Le deuxième aspect est que, comme vous le savez très bien, si, malgré les efforts qu'a faits votre père pour vous garder dans le droit chemin, nous étions arrêtés vous et moi pour avoir fait quelque chose, que nous étions accusés et qu'ensuite, on nous libère, la police reconnaissant avoir fait une erreur, nous serions marqués pendant au moins cinq ans par cet événement. Les gens continueraient à croire qu'il y avait quelque chose derrière tout cela. Il ne faut donc pas oublier que ce genre d'arrestation peut avoir de graves répercussions.

Permettez-moi de faire un dernier commentaire. Il ne faut pas oublier que les libertés civiles ont un prix. Il est certain que si l'on plaçait une caméra sur tous les poteaux municipaux, si toutes les salles de bain étaient surveillées, si nous multipliions par trois le nombre des policiers, si toutes les conversations téléphoniques étaient surveillées et traitées par ordinateur pour identifier certains mots clés, nous pourrions résoudre beaucoup d'infractions mais nous vivrions également dans un monde qui ressemblerait à «1984». On ne peut pas parler de libertés civiles sans parler de leur prix. Elles ont un prix mais la question à résoudre est celle d'en arriver à un équilibre.

M. Kevin Sorenson: Vous dites que cela nous permettrait de résoudre beaucoup de crimes.

M. Julius Grey: Peut-être.

M. Kevin Sorenson: Cela pourrait également empêcher beaucoup de morts. Résoudre des crimes est une chose. Il s'agit ici de 7 000 morts. Notre premier ministre dit qu'effectivement il y a des terroristes et des membres de al-Qaeda au Canada mais qu'il ne faut pas s'inquiéter parce qu'ils ne s'intéressent pas à nous. Je m'inquiète. Je trouve inquiétant de savoir qu'ils sont ici.

Le président: Merci.

M. MacKay est le suivant, pour trois minutes.

M. John McKay: Je voudrais revenir sur l'échange que vous avez eu au sujet du fait de faciliter certaines activités. Si j'ai bien compris, M. Matas a répondu qu'il fallait faciliter sciemment ces activités alors que d'après M. Grey, la notion de facilitation était assez vague: on facilite les activités d'un groupe terroriste que l'on sache ou non qu'il exerce ce genre d'activités. Il me semble que la rédaction d'un projet de loi devrait résoudre ce genre d'ambiguïtés. J'aimerais savoir si vous pensez que l'on pourrait resserrer la définition de la facilitation, de façon à ce que l'on puisse faciliter, excusez-moi, ce mot est mal choisi, faire du travail caritatif véritable à l'étranger.

M. David Matas: Je crois que cela serait possible, et c'est là un commentaire général. D'une certaine façon, le projet de loi affirme certaines choses et laisse entendre le contraire sans toutefois l'énoncer. Cela est vrai, par exemple, au sujet de la mauvaise foi et de la bonne foi, un aspect dont j'ai parlé tout à l'heure. Le projet de loi accorde une immunité si l'on communique de l'information de bonne foi mais il ne dit pas que l'on commet une infraction si cela est fait de mauvaise foi, alors qu'il devrait le dire. C'est la même chose ici. D'après ce que je comprends, le projet de loi affirme qu'il y a facilitation que la personne sache ou non qu'une activité donnée est exercée, mais l'infraction exige la connaissance. Le projet de loi serait plus clair s'il disait qu'il n'y a pas d'infraction si la personne ne sait pas certaines choses ou si l'entité ou le groupe ne sait pas certaines choses.

• 1710

M. Julius Grey: Je dirais que, si le projet de loi demeure inchangé, et j'espère qu'il sera profondément modifié, on pourrait ajouter un article introduisant une exception qui viserait à soustraire à l'application de la loi les actes des avocats ou des médecins qui accordent une aide légale à moins qu'ils ne participent à des infractions, ceux des gens qui donnent de l'argent aux organismes de bienfaisance qui fournissent des aliments, des services d'éducation et de santé, même si certains membres des organisations étrangères ont fait partie de groupes peu recommandables. Je ne suis pas en train de proposer une formulation, je réfléchis tout haut, mais il pourrait y avoir un article général prévoyant certaines exceptions, qui auraient pour effet de soustraire certaines choses à l'application de la loi. Je pense qu'il faut vraiment adopter une disposition pour protéger les avocats et les médecins ainsi que les organismes de bienfaisance qui fournissent des soins de santé, des services d'éducation et des aliments aux gens.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McKay.

M. Toews souhaite avoir quelques minutes de plus, je crois.

M. Vic Toews: C'est une question qui a déjà été abordée et, je crois, examinée de façon assez détaillée. J'ai du mal à décider s'il serait préférable d'adopter une clause d'extinction pour certaines dispositions ou si un examen parlementaire serait suffisant. Les membres du comité savent par expérience que de nombreux projets de loi contiennent des articles prévoyant ce genre d'examen et que ces derniers n'ont jamais été effectués. Je me demande, et peut-être que M. Matas ou ceux qui ont des connaissances juridiques pourraient me fournir une réponse, s'il n'y aurait pas un mécanisme qui n'aurait pas uniquement pour effet d'obliger le Parlement à examiner la loi mais qui la ramènerait devant la Chambre des communes pour qu'elle soit inscrite au Feuilleton?

Ce qui me préoccupe avec cette clause d'extinction, c'est que je ne fais absolument pas confiance à ce gouvernement. Je pense que le terrorisme est là pour durer. Je pense que les Israéliens ont appris que le terrorisme ne s'arrêtait pas parce qu'on a capturé un terroriste. Il faut avoir un système en place et des lois permanentes. Je ne veux pas qu'il y ait de solution de continuité. Je veux que nous ayons de bonnes lois mais je ne veux pas qu'il y ait d'interruption. Il serait bon que le Parlement examine cette loi mais j'aimerais qu'il y ait un mécanisme qui soumette cette loi directement au Parlement, qui oblige le gouvernement et les députés à l'examiner de nouveau.

M. David Matas: Merci, monsieur Toews.

Le Parlement a le pouvoir d'établir sa propre procédure et il peut structurer comme il l'entend le processus législatif. Par conséquent, au lieu d'une clause d'extinction, il pourrait fort bien adopter un article qui l'obligerait à réadopter la loi, ce qui reviendrait en fait à prévoir à la fois une clause d'extinction et une clause de résurrection.

M. Vic Toews: C'est là où je voulais en venir, je ne voulais pas faire comme dans la chanson. Je tiens simplement à ce qu'il y ait un mécanisme qui nous oblige à nous saisir de cette loi pour l'examiner et je me demandais si ce genre de clause serait préférable ou non à une clause d'extinction pour votre organisme, monsieur Matas.

M. David Matas: Comme vous pouvez le constater, notre principal souci est de renforcer le projet de loi pour mieux lutter contre le terrorisme mais nous considérons qu'une clause d'extinction irait davantage dans ce sens qu'un examen parlementaire. Une telle clause a pour effet de déclencher le processus législatif, cela donne au Parlement l'occasion de réfléchir à cette mesure, et aussi à la population. Cela amène la population à s'intéresser davantage à la lutte contre le terrorisme que ne le ferait un examen parlementaire. Cela renforcerait la priorité accordée à cette question dans trois ans, ce qui me paraît une bonne chose pour la lutte contre le terrorisme.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Matas.

Je crois que M. Rubin et M. Grey voudraient tous deux répondre à cette question. M. Rubin et, ensuite, M. Grey.

• 1715

M. Ken Rubin: Il y a eu beaucoup d'examens prévus par la loi, notamment par la Loi sur l'accès à l'information et par la Loi sur la protection des renseignements personnels et cela n'a rien donné. Un excellent rapport, non partisan, a été préparé en 1987 mais le gouvernement l'a rejeté, et j'ai vu d'autres cas dans d'autres provinces, notamment au Nouveau-Brunswick avec les lois en matière d'accès à l'information et de vie privée où il ne s'est à peu près rien fait et où l'examen n'a été que de pure forme.

Si l'on ne crée pas un comité de surveillance permanent, comme je le propose, un comité qui pourrait convoquer les représentants des organismes qui viennent habituellement témoigner pour leur budget, etc., le CST, le SCRS, la GRC, et les autres, pensez-vous vraiment que vous allez pouvoir savoir ce qui se passe? Une des choses que je demande, c'est qu'au lieu d'une clause d'extinction ou une clause de résurrection, on adopte une clause de transparence.

Des voix: Oh, oh!

M. Ken Rubin: Le souci de transparence qui permettrait vraiment d'examiner cette loi n'est pas là.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Je viens de recevoir par la poste une lettre de Travaux publics. Lorsque nous parlons d'un processus de certification secret, il existe un processus de certification qu'utilise le Bureau du Conseil privé pour les documents confidentiels du cabinet. Travaux publics, en réponse à ma demande qui portait sur un rapport concernant la réorganisation de Postes Canada, a classé ce rapport dans la catégorie des documents confidentiels du cabinet, ce qui a été approuvé par le Bureau du Conseil privé. Je viens de découvrir qu'un autre demandeur s'est adressé aux tribunaux qui ont déclaré que le rapport était exempté en vertu de cette loi, et non pas exclu, par l'application des dispositions relatives à la confidentialité des renseignements commerciaux. Ils me disent en fait qu'ils ont commis une erreur et qu'ils sont désolés.

Avec le processus qui est prévu ici pour la certification, il n'y a pas de transparence. S'ils disent que c'est comme ça, c'est comme ça et il n'y a rien à faire. Il n'y a aucun contrôle et c'est de là que vient, d'après moi, le problème. Il faut modifier immédiatement ce projet de loi et ne pas attendre trois ans pour le faire. Cela fait 18 ou 19 ans que la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels existent, elles ont donné naissance à des institutions qui sont devenues rigides et il y a habituellement un choc en retour et on divulgue moins d'information. Si vous voulez attendre trois ans, il faut améliorer la loi immédiatement ou ne pas le faire.

Le président: Merci, monsieur Rubin.

Je donnerai le dernier mot à M. Grey.

M. Julius Grey: Je crois que ce que M. Toews craint vraiment, c'est la partisanerie. Il a déclaré qu'il ne faisait pas confiance au gouvernement et il est possible que le gouvernement ne lui fasse pas confiance non plus. Cela est normal en politique. La clause d'extinction, comme toutes les autres—je sais que ce n'est pas une solution mais une amorce de solution—dépendrait du gouvernement majoritaire, celui dont le parti est au pouvoir. On pourrait prévoir, pour répondre à votre crainte au sujet de la partisanerie, qu'avant d'examiner à nouveau ce projet de loi dans trois ou quatre ans, selon la durée choisie, on demande à un juge, à deux ou trois juges, de préparer un rapport indépendant, qui sera déposé au Parlement, pour que tous les députés puissent prendre connaissance de la façon dont cette loi a été appliquée. On pourrait préciser ce que le juge doit inclure dans le rapport, les abus éventuels, la fréquence de l'utilisation de la loi, ses effets, son efficacité et le reste. Ce processus ne ferait pas disparaître la partisanerie—cela fait partie de notre système politique et c'est sans doute une bonne chose—mais les députés pourraient se baser sur un rapport non partisan pour se faire une idée dans trois ans. Je ne pense pas que cela serait une solution incomplète mais peut- être partielle.

Le président: Merci beaucoup.

Messieurs les témoins, chers collègues, je suis très satisfait du débat que nous avons eu et qui a été alimenté par vos interventions. Monsieur Grey, des représentants des médias m'ont demandé aujourd'hui quel était le sujet de nos audiences et j'ai déclaré que je croyais que nous avions entendu tout ce que l'on pouvait imaginer sauf une citation de Gilbert et Sullivan; il va falloir que je trouve autre chose la prochaine fois.

Je tiens à informer mes collègues que j'ai l'intention de demander demain le consentement pour que... Vous vous souvenez sans doute que le Commissaire à l'information est venu témoigner et que nous lui avons demandé de sauter quelques pages de son mémoire; nous n'avons pas aujourd'hui un nombre de députés suffisant pour nous occuper de cela maintenant. Je vous informe donc que j'ai l'intention de le faire demain.

Deuxièmement, il semble qu'une suite ait été donnée au cours de la réunion qu'ont tenue aujourd'hui les leaders de la Chambre, à notre demande de reporter de deux semaines le projet de loi C-15B, et je vous informe que je vais présenter demain une motion indiquant que nous souhaitons modifier notre demande, sous réserve de l'approbation du comité, bien sûr, de façon à tenir compte de la réunion qu'ont eue aujourd'hui les leaders de la Chambre.

La séance est levée.

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