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SNUD Rapport du Comité

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CHAPITRE 5: TOXICOMANIE: UNE QUESTION DE SANTÉ PUBLIQUE

Trop souvent, on présente les toxicomanes comme des êtres complaisants, moralement corrompus et, de façon générale, responsables des problèmes sociaux et économiques de nos centres urbains. Une telle recherche de boucs émissaires est tout à fait improductive et occulte le véritable problème. De façon plus précise, la toxicomanie est au premier chef un problème de santé publique qu’on devrait aborder au moyen de programmes de prévention et de traitement135.

Le VIH-sida et l’hépatite sont les deux maladies pour lesquelles un état d’urgence en matière de santé a été déclaré dans le quartier Downtown Eastside, et pourtant vous n’avez rien fait. Votre inaction a littéralement condamné mes frères et mes sœurs à la mort. Les taux de séropositivité et de sida s’apparentent à ceux de l’Afrique subsaharienne et nous sommes touchés à 100 % par l’hépatite C, je dis bien, à 100 %. Il n’y a personne là qui ne soit pas touché par cette maladie. Ces maladies et d’autres comme la tuberculose vont finalement coûter au réseau de la santé des millions et des millions de dollars.

Le plus rageant, c’est que tout cela peut être évité. On ne voit nulle part ailleurs dans le monde libre des pourcentages de surdoses plus élevés. Nous avons perdu 147 personnes l’année dernière. En plein jour, samedi dernier, nous avons perdu un jeune adolescent autochtone de 16 ans qui avait toute la vie devant lui. Ça devient insoutenable. Nous avons besoin ici d’action. Le maire a raison; nous avons un cadre d’action. Il a été élaboré et il s’appuie sur quatre grands piliers — répression, prévention, traitement et stratégies limitant les dommages — mais il est temps d’agir136.

Le Comité, à l’instar de la vaste majorité des témoins qu’il a entendus, croit que la consommation et l’usage nocif de substances sont avant tout des questions qui relèvent du domaine de la santé publique. Selon les témoins, certaines villes canadiennes sont devenues le théâtre de « catastrophes en santé publique ». Le meilleur exemple? En 1997, le Conseil de santé de Vancouver-Richmond décrète un état d’urgence en raison de la prévalence du VIH dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, chez les toxicomanes qui se piquent. Montréal et Toronto assistent aussi à une flambée du taux de maladies et de décès attribuables à l’injection de drogues. La crise de la santé publique perdure et ne peut plus être ignorée. Pour la désamorcer, il faut appliquer des mesures intégrées, inspirées du modèle associé au domaine de la santé publique et comportant des éléments de prévention, d’éducation, de traitement, de réadaptation et de réduction des méfaits. Tous les intervenants en toxicomanie d’un bout à l’autre du Canada, y compris les autorités provinciales, territoriales et municipales, de même que les organismes non gouvernementaux, doivent adhérer à cette approche axée sur les interventions de santé publique.

1. PRÉVENTION ET ÉDUCATION

Il y a une chose qui fait gravement défaut au Canada, c’est la prévention et la sensibilisation. C’est certainement là qu’il faut mettre l’accent si on veut maximiser notre investissement. Le gouvernement fédéral consacre beaucoup d’efforts à la réduction du tabagisme. On voit Elvis Stojko sur la patinoire aux Jeux Olympiques, et c’est merveilleux. Par contre, on n’entend aucun message de prévention concernant l’alcool ou les drogues137.

Les recherches révèlent qu’un grand nombre de jeunes goûteront au tabac, à l’alcool ou aux drogues. Toutefois, « certains sont consommateurs, d’autres non, et certains consomment au point de connaître des problèmes »138. Les coûts sociaux, médicaux et économiques imputables à la toxicomanie et à la dépendance ont été clairement établis139. La vaste majorité des témoins, de même que les membres du Comité, s’entendent pour dire qu’il faut d’abord s’employer à prévenir la consommation précoce, à réduire les risques de progression dans la consommation, à sensibiliser les jeunes toxicomanes aux méthodes sécuritaires et à réduire les méfaits liés à la toxicomanie et à la dépendance. La prévention et l’éducation sont des éléments clés de la Stratégie canadienne antidrogue.

La prévention est un élément vital de toute stratégie antidrogue. Nous devons adhérer à ses principes non seulement en paroles, mais aussi au moyen de mesures concrètes grâce auxquelles nous pourrons mettre des programmes en place de façon adéquate et cohérente, tout en sachant qu’ils exigent un engagement à long terme. La prévention constitue non seulement le volet le plus positif de toute stratégie antidrogue et de toute approche exhaustive des drogues, mais elle représente de surcroît le volet le plus efficient140.

Comment définir la prévention? Il s’agit d’un concept général qu’on peut décrire comme un continuum d’activités visant diverses populations à divers moments de leur vie. Il existe trois grandes catégories de prevention : la prévention universelle, la prévention sélective et la prévention indiquée141.

 Les activités de prévention universelle s’adressent à l’ensemble de la population, qu’elle soit à risque ou non, et visent à promouvoir un style de vie sain ou à retarder le moment où une personne consomme pour la première fois. En font partie les programmes scolaires tels que DARE, les campagnes de sensibilisation du public, les étiquettes relatives à la santé et les lois sur l’âge minimum pour la consommation d’alcool.
 Les activités de prévention sélective visent les groupes ou les personnes qui présentent un risque beaucoup plus élevé de devenir toxicomanes que la moyenne. En font partie les programmes communautaires de mentorat, de tutorat et d’autonomie fonctionnelle, les activités récréatives de remplacement et les groupes pour jeunes vivant dans des quartiers défavorisés ou infestés par la drogue.
 Les activités de prévention indiquée s’adressent aux consommateurs présentant des signes précoces d’usage nocif et qui risquent fort de devenir toxicomanes ou dépendants. En font partie les programmes d’approche qui favorisent la participation des jeunes en vue de réduire les méfaits liés à des comportements à risque.

Selon Christiane Poulin, professeure agrégée à l’Université Dalhousie et titulaire d’une chaire de recherche du Canada en santé des populations et en toxicomanie, il faut examiner les programmes de réduction des méfaits s’adressant aux adolescents ordinaires qui fréquentent l’école afin de déterminer si cette approche devrait ou non faire partie intégrante des programmes de prévention ou d’éducation dans les écoles.

Je vais maintenant vous donner la définition de Patricia Erickson, criminologue. Elle a été publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne. Sa définition, s’agissant de réduction des méfaits chez les adolescents scolarisés, comporte plusieurs éléments. C’est de l’éducation sur, plutôt que contre, la drogue — les faits. Cela englobe tous les faits, aussi bien les avantages que les risques. C’est une information crédible, exacte — pas de propagande. Elle reconnaît l’attrait des drogues, les raisons pour lesquelles les adolescents les consomment, mais aussi l’envers de la médaille — les risques et les conséquences. Et enfin, elle tient compte du stade de développement où en est l’adolescent. Il y a un monde de différence entre un jeune de 12 ou 13 ans et un de 18 ou 19 ans sur le plan des décisions qu’ils sont capables de prendre. Un adolescent de 18 ans possède le droit de vote.

Je vous ramène maintenant au continuum de risque car c’est la façon la plus concrète que nous ayons pu trouver ici, en Nouvelle-Écosse, d’appréhender la réduction des méfaits. Nous avons donc une population d’adolescents. Certains sont consommateurs, d’autres non, et certains consomment au point de connaître des problèmes. Nous devons nous occuper de tous, là où ils sont. L’idée est de ramener les adolescents de la partie haute du continuum, la zone rouge, dans la zone verte. Certains adolescents ne deviendront jamais abstinents, mais il n’est pas nécessaire qu’ils soient confrontés à des conséquences aussi désastreuses que ce que l’on voit actuellement142.

Le Comité approuve la recherche novatrice en cours dans le domaine de la prévention et de l’éducation pour les jeunes Canadiens, qu’elle soit l’œuvre de Mme Poulin ou d’autres chercheurs. Il espère que les travaux se poursuivront et que la nouvelle Stratégie canadienne antidrogue les appuiera.

Indépendamment de ces travaux de recherche, le Comité partage l’avis de la majorité des témoins entendus, qui déplorent la rareté des fonds et des ressources consacrés à la prévention au Canada. Cette situation en contrarie beaucoup, puisque la Stratégie canadienne antidrogue voit la prévention comme l’une des interventions les plus économiques. Jody Gomber, alors directrice générale du Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, à Santé Canada, a déclaré au Comité qu’on accordait très peu de ressources aux programmes de prévention, étant donné que les activités de prévention et d’éducation relèvent, dans une large mesure, des provinces :

Nous consacrons très peu de notre budget à la prévention. Là encore, si je pense à tous les acteurs en cause dans la Stratégie canadienne antidrogue, une bonne part des activités de prévention sont de compétence provinciale. Elle relève des provinces qui ont la responsabilité du système scolaire. Elle relève des provinces car elle passe par diverses organisations communautaires. Nous consacrons donc très peu d’argent nous-mêmes à la prévention143.

Cependant, Santé Canada appuie certaines mesures de prévention par l’entremise d’autres activités relevant de son portefeuille. Elles s’adressent aux populations à risque élevé — Autochtones, femmes, enfants et jeunes. Elles visent aussi certains problèmes de santé publique en particulier, notamment le VIH et le sida, l’hépatite C ainsi que le syndrome d’alcoolisme fœtal et les effets de l’alcool sur le fœtus (SAF et EAF)144. Des documents d’information ont été distribués à ces groupes à risque145.

La prévention universelle, qui vise les déterminants de la santé, se concrétise principalement par le truchement d’« Initiatives pour le développement de la petite enfance » (Programme d’action communautaire pour les enfants, Programme canadien de nutrition prénatale, Programme d’aide préscolaire aux Autochtones, par exemple). En 1999, le fédéral a accordé 11 millions de dollars sur trois ans pour l’amélioration du Programme canadien de nutrition prénatale, afin de s’attaquer plus particulièrement au SAF et aux EAF et d’améliorer la santé des femmes enceintes. Une partie de cet argent a servi à lancer une campagne nationale de sensibilisation au SAF et aux EAF, en collaboration avec les provinces et les territoires. Par ailleurs, toujours dans ce domaine, grâce au Fonds d’aide aux projets stratégiques pour le syndrome d’alcoolisme fœtal et les effets de l’alcool sur le fœtus, plus de 1,7 million de dollars sont allés à des projets stratégiques locaux, notamment pour former les intervenants de première ligne.

Le fédéral offre des services de santé publique et de promotion de la santé aux Premières nations vivant dans des réserves et aux Inuits. La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, à Santé Canada, finance plus de 500 programmes communautaires de prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie pour les Premières nations vivant dans les réserves et les Inuits, par l’entremise de son Programme national de lutte contre l’abus d’alcool et de drogues chez les Autochtones. En outre, le Budget fédéral de 2001, a prévu le versement de185 millions de dollars sur deux ans pour améliorer le bien-être des enfants autochtones. Une partie de cet argent ira au Programme d’aide préscolaire aux Autochtones et à d’autres projets visant à réduire l’incidence du SAF et des EAF dans les réserves146.

Pour contrer le tabagisme, la Stratégie de contrôle du tabac de Santé Canada dispose d’un budget de 54,5 millions de dollars pour l’exercice 2001-2002. Le fédéral s’est engagé à y investir plus de 480 millions de dollars sur les cinq prochaines années. Cet argent servira à améliorer les programmes existants, et 210 millions seront consacrés à des campagnes de sensibilisation visant les Canadiens de tous les groupes d’âge, particulièrement les jeunes et les populations à risque.

Voici d’autres mesures fédérales de prévention :

 Plus de 150 projets communautaires liés à l’abus de substances sont financés en vertu de la Stratégie nationale sur la sécurité communautaire et la prévention du crime (SNSCPC), d’un bout à l’autre du Canada depuis 1998 (de nombreux projets pilotes visant à approcher et à aider les jeunes à risque ainsi que les enfants et adolescents autochtones). Les dépenses dans ce domaine sont évaluées à 1 million de dollars pour l’année 1999-2000147.
 Le Service de la sensibilisation aux drogues de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) coordonne divers programmes : DARE; La prévention des traumatismes attribuables à l’alcool et aux comportements à risque chez les jeunes (PARTY); La drogue et le sport; Dans les deux sens; Les parents, les enfants et les drogues; La solution gagnante — Les drogues en milieu de travail; Le bouclier autochtone; La course contre les drogues148. On estime à 4 millions de dollars les sommes dépensées par la GRC dans ce domaine pour l’exercice 1999-2000149. La GRC compte 31 employés fédéraux à temps complet pour coordonner des exposés de sensibilisation d’un bout à l’autre du Canada. « De ce nombre, 14 ont été donnés dans le cadre de la Stratégie canadienne antidrogue »150.
 Pour les programmes administrés dans les pénitenciers fédéraux par le Service correctionnel du Canada, les dépenses s’élèvent à 8 millions de dollars en 1999-2000151. Comme la vaste majorité des détenus retourneront un jour dans la collectivité, le Service correctionnel considère ces programmes comme étant de nature préventive152.

DARE est le programme scolaire de sensibilisation le plus connu au pays153. Le Comité a entendu une grande diversité d’opinions sur le rôle que devrait ou non jouer la police en matière d’éducation et de prévention ayant trait aux drogues. Des membres des forces de l’ordre ont parlé de leur participation aux programmes de sensibilisation dans les écoles de leur région en soulignant qu’il s’agissait d’un service de première importance pour la collectivité, et d’une excellente occasion de forger des liens avec les enfants alors qu’ils sont encore impressionnables. En revanche, plusieurs témoins doutent de l’efficacité de DARE, parce que le message qu’il véhicule, « Dites non à la drogue », décourage la franche discussion sur les risques que présente la drogue, surtout chez les élèves plus âgés. La GRC a indiqué que le programme DARE était en cours de révision en vue de mieux répondre aux besoins des différents groupes d’âge. D’autres intervenants soutiennent qu’il faut étudier et évaluer les mesures de prévention afin que les programmes d’éducation et de sensibilisation ne fassent pas plus de tort que de bien. Par ailleurs, on s’emploie actuellement à vérifier dans quelle mesure le programme DARE empêche les adolescents de commencer à consommer et réduit leur consommation154.

Certains témoins dénoncent l’ignorance du public à l’égard de la consommation et de l’usage nocif de substances, les rares informations qui circulent à ce sujet n’étant ni exhaustives ni fondées sur des preuves.

D’autres témoins doutent de l’efficacité d’un message de type « dites non à la drogue », étant donné que nous sommes bombardés de publicités nous incitant à avaler une pilule au moindre problème. Le Comité partage l’opinion de nombreux témoins, à l’effet que les mesures de prévention et d’éducation devraient tenir compte de la complexité de la consommation normale et nocive de substances.

Enfin, certains témoins déplorent le manque de formation sur les questions liées à l’usage nocif de substances des soignants et autres intervenants du milieu. Ils estiment qu’en leur offrant de l’information plus précise et une formation mieux adaptée, la prévention et la prestation des services de toxicomanie gagneraient en efficacité.

Le Comité, tout comme la plupart des témoins entendus, estime que la prévention peut avoir une incidence considérable sur la sûreté, la sécurité, la santé et la qualité de vie générale des Canadiens. Les mesures de prévention peuvent produire des fruits, pourvu qu’elles soient cohérentes, durables et exhaustives, comme celles visant à contrôler le tabagisme et à décourager la conduite en état d’ébriété.

La prévention est efficace. Nous le savons parce que nous en avons constaté les résultats dans d’autres domaines. Ainsi, les campagnes de lutte contre la conduite en état d’ébriété, les campagnes visant à amener les gens à porter leur ceinture de sécurité ou à cesser de fumer sont autant d’exemples de campagnes de prévention efficaces. Chaque fois que je vois les publicités à la télévision ou les autres mesures qui sont utilisées dans le cadre de ces campagnes, je me demande pourquoi nous ne faisons pas de même pour prévenir l’abus des drogues. Nous n’avons jamais eu d’effort concerté à ce chapitre155.

Le Comité croit que la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation du public à l’échelle du pays devrait constituer une priorité pour le gouvernement du Canada. Ces campagnes médiatiques devraient d’abord viser à promouvoir des styles de vie sains et à renseigner le public sur les médicaments et les drogues et leurs effets sur la santé. Il faudrait aussi en surveiller l’efficacité, sans oublier que la prévention de la consommation de drogues et de l’usage nocif de médicaments est un processus à long terme dont les résultats ne se manifesteront pas avant de nombreuses années.

Le Comité pense aussi que les stratégies de prévention et d’éducation devraient être coordonnées avec les autorités provinciales, territoriales et municipales et les organismes communautaires, et compter sur la participation de divers intervenants du secteur de la santé, de l’éducation et de la police, de même que des parents et des jeunes. Ces stratégies devraient servir à améliorer la capacité des collectivités en renforçant leurs infrastructures locales de santé publique.

Les campagnes de prévention et d’éducation doivent :

 reposer sur des preuves scientifiques et diffuser de l’information exacte sur les médicaments et les drogues;
 porter sur les avantages et les risques de la consommation;
 porter sur les facteurs de protection, les facteurs de risque et le ressort psychologique;
 être exhaustives et tenir compte des déterminants généraux de la santé;
 être claires et cohérentes;
 être adaptées aux diverses étapes de la vie (les spécialistes affirment que la prévention doit commencer à un très jeune âge et se poursuivre à long terme);
 encourager les attitudes et les choix sains;.
 promouvoir la responsabilité personnelle;
 compter sur des porte-parole crédibles.

1.1 CONSTATATIONS DU COMITÉ - PRÉVENTION ET ÉDUCATION

Le Comité est arrivé aux constatations suivantes :

 Il faut de toute urgence mettre en œuvre des activités d’éducation et de prévention réalistes et fondées sur la santé pour encourager les gens à prendre les bonnes décisions, les informer sur les psychoactives et les risques s’y rattachant, et promouvoir la santé et le bien-être des personnes et des collectivités.
 Les activités de prévention et d’éducation devraient cibler, en priorité, les groupes clés qui risquent fort de développer des habitudes de consommation nocive.
 Les messages de prévention devraient être conçus en fonction de l’âge, du revenu et de la scolarité des groupes et des populations visés.
 Le Comité reconnaît qu’une vaste majorité de Canadiens estime que l’abstinence est la meilleure façon de prévenir toute forme de dépendance. D’ailleurs, l’abstinence permet d’adopter des comportements sains et sécuritaires.
 La Stratégie canadienne antidrogue devrait tenter de combler les lacunes dans les services offerts aux Autochtones vivant dans des villes et à l’extérieur des réserves.
 La marginalisation et la stigmatisation dont les toxicomanes font l’objet ont entraîné ce qu’on pourrait appeler une « conspiration du silence » au sujet de l’incidence de la toxicomanie et de ses ravages sur les personnes, les familles et les collectivités. Ce silence explique, en partie, l’ignorance du public quant à la consommation de drogues au pays. Il faut rompre ce silence.

RECOMMANDATION 12

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, dans le cadre de la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée, accorde des ressources et des fonds soutenus pour concevoir et lancer des programmes de prévention et de sensibilisation du public à l’égard de la toxicomanie, en collaboration avec les autorités provinciales, territoriales et municipales et les organismes communautaires.

RECOMMANDATION 13

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, dans le cadre de la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée, alloue des fonds pour concevoir et lancer des campagnes de prévention et d’éducation à l’échelle du pays portant sur la consommation, l’abus et la dépendance.

RECOMMANDATION 14

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, dans le cadre de la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée, appuie la diffusion de renseignements à jour sur la toxicomanie et la dépendance et la prestation de cours de formation appropriés à l’intention des professionnels de la santé et de tous les fournisseurs de services travaillant dans le domaine de la toxicomanie, en collaboration avec les autorités provinciales et territoriales.

2. TRAITEMENT ET RÉADAPTATION

L’usage nocif de substances et la dépendance constituent des problèmes de santé complexes qu’on ne peut isoler du contexte socioéconomique dans lequel ils se produisent. Dans de nombreux cas, les personnes qui développent des habitudes de consommation abusive présentent aussi des antécédents difficiles : situation de victime, agression sexuelle et physique, violence familiale, troubles mentaux, difficultés d’apprentissage, échec scolaire, criminalité. C’est pourquoi les traitements ne sont jamais simples et devraient toujours faire partie d’un continuum de soins comprenant l’accès à d’autres services sociaux : logement abordable, éducation et formation professionnelle, par exemple156. Le Comité est convaincu qu’une approche holistique adaptée aux hommes et aux femmes et reconnaissant l’importance de l’intégration des partenariats et des services est une composante essentielle de la prestation des programmes et des services de traitement et de réadaptation.

L’approche, la philosophie, les principes et les buts des services de traitement et de réadaptation ne sont pas tous identiques. Il existe plus d’un type de traitement : désintoxication médicale, programmes externes ou de jour et traitement interne à court ou long terme. Pour la plupart des fournisseurs de services, les traitements visent l’abstinence à vie. Toutefois, dans certains cas, l’abstinence n’est pas nécessairement envisageable à court terme; il vaut mieux, parfois, se borner à endiguer la crise et à réduire les méfaits, un premier pas vers un mode de vie plus sain. Cela s’applique particulièrement aux adeptes des opiacés et de la cocaïne, substance entraînant une grave dépendance psychologique très difficile à éradiquer. Il existe de nombreux types de thérapies et de médicaments pour traiter la dépendance; la méthadone pour opiomanes, par exemple. La méthadone est aujourd’hui la seule substance opiacée autorisée au Canada pour les traitements à long terme; les programmes d’entretien à l’héroïne ne sont pas encore approuvés.

a) Prestation des services: rôle du gouvernement fédéral

La mise sur pied et la prestation des services de traitement pour alcooliques et toxicomanes sont avant tout du ressort des provinces et des territoires, bien que le gouvernement fédéral participe aussi à leur financement par le truchement d’accords de contribution. La part des provinces et des territoires, supérieure à celle du gouvernement fédéral, provient des impôts, des fonds d’assurance-santé et des transferts fédéraux relevant de la Loi canadienne sur la santé. Toutefois, certains programmes fédéraux servent aussi à financer des services pour toxicomanes. Par exemple, le Bureau de la stratégie canadienne antidrogue, par l’entremise de son Programme de traitement et de réadaptation, verse 14 millions de dollars aux provinces et aux territoires, selon le principe de partage des coûts, pour les aider à optimiser leurs interventions auprès des personnes alcooliques et dépendantes à d’autres substances psychoactives. Il s’agit là d’une facette essentielle de la Stratégie canadienne antidrogue, car elle permet aux fonctionnaires de tous les paliers de se réunir pour discuter des enjeux et de rédiger des documents sur les meilleures pratiques.

Par ailleurs, l’administration fédérale joue un rôle particulier dans la prestation des soins de santé aux Premières nations vivant dans les réserves et aux Inuits. La toxicomanie est un véritable fléau chez les Premières nations : 62 % des personnes de 15 ans et plus voient l’abus d’alcool comme un problème au sein de leur collectivité et 48 % en pensent autant de la drogue. L’inhalation de solvants est alarmante : 22 % des jeunes ayant déclaré en inhaler sont des consommateurs chroniques157. Pour freiner cette tendance, le Programme national de lutte contre l’abus d’alcool et de drogues chez les Autochtones (PNLAADA), qui relève de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, finance des services de traitement à l’intention des Premières nations vivant dans des réserves et des Inuits. À l’heure actuelle, on dépense 70 millions de dollars par année pour le PNLAADA, dont voici l’objectif : aider les Premières nations et les Inuits de même que leurs collectivités à établir et à offrir des programmes pour réduire le taux élevé d’alcoolisme et de toxicomanie chez les populations cibles des réserves158.

Le PNLAADA en est maintenant à sa 15e année et comporte un réseau de 54 centres de traitement offrant environ 700 lits pour patients internes. Une bonne partie des ressources du programme (96 %) sont directement gérées par les Premières nations par le truchement d’accords de contribution ou de transfert.

L’utilisation du programme a été de 4 616 clients en 1999-2000. Le taux d’achèvement a été de 66 %. Le taux de récidive a été de 30 %. Quarante-trois pour cent des clients sont admis pour abus d’alcool, 20 % pour un abus de drogues et 24 % pour un abus de drogues et d’alcool159.

Le pays compte neuf centres où l’on traite les problèmes d’inhalation de solvants chez les Autochtones. Six d’entre eux sont financés par Santé Canada. Huit centres s’occupent principalement des jeunes de 12 à 19 ans et un, des 16 à 25 ans. Au total, ils offrent 114 lits pour un coût de 13 millions de dollars par année. Depuis leur création, ils fonctionnent au-delà de leur capacité, puisqu’ils reçoivent au moins 228 clients par année160. Ces jeunes, dont c’est parfois le deuxième traitement, vivent souvent d’autres difficultés concomitantes : absentéisme scolaire, pensées suicidaires, dépendance dans la famille, victime d’exploitation ou d’agression sexuelle, violence familiale et problèmes avec la justice. C’est un domaine assez nouveau et « le Canada est un des leaders mondiaux dans la recherche de solutions pour les personnes qui abusent de solvants »161.

Les centres de traitement du PNLAADA et les centres de traitement de l’inhalation de solvants chez les jeunes participent à un programme d’agrément conçu par le Conseil canadien d’agrément des services de santé. Ensemble, ils formeront « le premier réseau à posséder un agrément dans toutes les [régions administratives] du continent »162. Le Comité reconnaît la valeur d’un tel processus et encourage les responsables de centres à penser aux avantages de l’agrément et les conseillers, à ceux de la certification.

Le Comité tient à exprimer son inquiétude pour ce qui a trait au bien-être des Autochtones vivant dans des centres urbains et à l’extérieur des réserves. Nombre d’entre eux habitent des quartiers défavorisés et risquent fort de développer des habitudes de consommation nocive et de devenir dépendants. Confusion et controverse sont au cœur du débat à savoir qui devrait se charger de leur offrir des services et des programmes. Résultat : les Autochtones vivant en milieu urbain et à l’extérieur des réserves « passent entre les mailles du filet ». Cette lacune devrait constituer une priorité de la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée. On pourrait d’ailleurs fort bien régler le problème en instaurant un modèle de collaboration entre les diverses administrations en cause, à l’intention des Autochtones vivant en milieu urbain.

Le gouvernement fédéral est chargé aussi de la mise en œuvre des programmes de traitement destinés aux détenus purgeant une peine fédérale, aux membres de la GRC et aux Forces canadiennes ainsi qu’aux personnes n’ayant pas résidé assez longtemps dans une province ou un territoire pour avoir droit à des services de santé assurés163. Le Chapitre six donne plus de détails sur les traitements offerts aux détenus purgeant une peine fédérale et aux autres toxicomanes aux prises avec la justice.

b) Lacunes dans les services de traitement et de réadaptation au Canada

i) Disponibilité des traitements

L’un des principaux problèmes rapportés par les témoins porte sur les délais, surtout pour les soins en établissement. Les périodes d’attente sont attribuables à la pénurie de fonds et de places164. Nombre de facteurs sociaux, économiques et politiques viennent influencer l’accessibilité aux soins, qui n’est donc pas la même partout. Par exemple, il n’existe pratiquement pas de services en établissement pour les jeunes : selon une enquête menée en 1997 par Santé Canada, on dénombre seulement 207 programmes spécialisés pour adolescents165.

… dans la cinquième ville de l’Amérique du Nord, soit Toronto, il n’y a pas de soins en établissement pour les jeunes. Thunder Bay est l’endroit le plus proche. C’est d’une importance primordiale pour la famille de participer au traitement de l’adolescent. Donc envoyer son enfant à Thunder Bay n’est tout simplement pas une bonne option166.

Des témoins ont affirmé que les services de traitement manquent cruellement de fonds et que certaines personnes en crise doivent attendre de deux à quatre mois pour se faire soigner. Pour les cas moins urgents, l’attente peut se prolonger jusqu’à six mois167. Selon les fournisseurs de soins, il est crucial que ces patients reçoivent les services nécessaires dès qu’ils en ont besoin. D’autres témoins préconisent la prestation de services mieux adaptés à la culture des Autochtones et au sexe des patients en traitement. Par ailleurs, les difficultés de transport jusqu’aux centres de traitement et l’absence de garderies pour les enfants des patients constituent aussi des obstacles. Le Comité estime que lorsqu’une personne est prête à se faire traiter, le personnel affecté aux services devrait pouvoir évaluer son cas et intervenir selon les besoins dans les plus brefs délais. Le Comité croit aussi que les traitements devraient tenir compte de la condition socioéconomique du patient, de son sexe et de sa culture.

De nombreux témoins dénoncent l’absence de services sociaux et de réadaptation visant à aider les jeunes, les adultes et les familles à se rétablir des conséquences de la consommation nocive de substances et de la dépendance. Il faut en effet répondre à d’autres besoins sociaux — emploi et logement, par exemple — pour éviter les rechutes et augmenter le taux de réadaptation fructueuse. Le Comité est persuadé qu’il faut s’attarder davantage à la réintégration sociale des personnes en voie de rétablissement.

Nous avons besoin de logements subventionnés axés sur l’abstinence où l’on soutient le rétablissement des hommes et des femmes. Il y a souvent des clients sur les listes d’attente pour les logements avec services de soutien. À l’heure actuelle, nous avons dix clients sur la liste d’attente de Harbour Light qui ont demandé des lits dans des logements avec services de soutien il y a deux mois et qui occupent encore des lits de traitement qui pourraient [être occupés] par des clients qui attendent d’être traités168.

ii) Traitement et réadaptation, les défis à relever

Certains témoins avancent que le profil des personnes cherchant à se faire traiter a évolué avec le temps : elles présentent en même temps une combinaison plus complexe de troubles physiques et mentaux. La polytoxicomanie est également à la hausse. Il est particulièrement difficile de traiter les personnes dépendantes qui souffrent aussi du syndrome d’alcoolisme fœtal et des effets de l’alcool sur le fœtus (SAF et EAF). Les fournisseurs de services avouent ne pas disposer des ressources ou du personnel qualifié pour satisfaire aux besoins spéciaux de ces personnes.

Nous voyons davantage de femmes adultes en thérapie qui souffrent des séquelles du SAF ou des EAF, c’est pourquoi nous recherchons des façons de leur présenter de manière plus abordable pour elles le contenu pédagogique. Elles nous arrivent certainement avec quelques handicaps cognitifs et comportementaux et la psychothérapie et la thérapie de groupe traditionnelles ne donnent pas nécessairement de bons résultats dans leur cas et nous cherchons à adapter le modèle traditionnel169.

Selon une enquête réalisée en 1999, seule la Colombie-Britannique offre des services d’évaluation cognitive, sociale, comportementale et neuropsychologique aux adolescents et aux adultes souffrant du SAF ou des EAF170. Quatre provinces seulement (Colombie-Britannique, Alberta, Manitoba et Ontario) offrent aux médecins une formation sur le diagnostic de ces maladies. De plus, au moment de l’enquête, seul le Manitoba a déclaré avoir ouvert un « centre de traitement des dépendances pour les jeunes qui comprend des éléments spécifiques pour les jeunes atteints du SAF/EAF qui résident à Winnipeg »171. Le Comité est conscient des difficultés auxquelles sont confrontés les fournisseurs de services et convient qu’il faut intensifier la recherche en vue d’élaborer des normes de traitement qui répondraient mieux aux besoins des clients à problèmes multiples, notamment les adolescents et les adultes souffrant du SAF ou des EAF.

iii) Traitement de l’opiomanie

Plusieurs témoins ont indiqué au Comité que les utilisateurs de drogues injectables, en particulier ceux qui sont séropositifs ou sidéens, sont très marginalisés et ont plus difficilement accès aux programmes de traitement et de réadaptation. On estime que 125 000 toxicomanes s’injectent des drogues comme l’héroïne, la cocaïne, les amphétamines ou les stéroïdes au Canada. Beaucoup d’utilisateurs de drogues injectables sont séropositifs ou sidéens, et un nombre plus grand encore est porteur de l’hépatite C. Les maladies infectieuses sont particulièrement fréquentes chez les cocaïnomanes. Comme l’effet de la cocaïne dure beaucoup moins longtemps que celui de l’héroïne, les cocaïnomanes peuvent s’en injecter jusqu’à 30 fois par jour, accroissant leur risque de contracter des infections véhiculées par le sang par des modes d’injection dangereux. Le taux global d’infection au virus de l’hépatite C (VHC) serait de 70 % à 80 % chez utilisateurs de drogue par injection au Canada. Environ 11 000 Canadiens seraient porteurs à la fois du VHC et du VIH et 70 % des infections seraient attribuables à la toxicomanie par injection172.

Avant 1993, moins de 3 % des nouvelles infections à VIH au Canada étaient liées à la toxicomanie. En 1996, 33,7 % de tous les nouveaux cas de séropositivité chez les adultes découlaient de l’injection de drogue. En 2001, Santé Canada signalait que ce pourcentage était passé à 24,6 %. En outre, 14,4 % de tous les cas de sida signalés chez les adultes en 2001 étaient reliés aux drogues injectables, en baisse par rapport à 21,1 % en 1998173. Cette tendance à la baisse est encourageante mais le taux demeure alarmant. En outre, certains segments de la population sont à haut risque de contracter les maladies infectieuses et sont particulièrement touchés par la consommation de drogues injectables.

Le problème de l’injection de drogues et de l’infection par le VIH et l’hépatite C concerne tous les Canadiens. Toutefois, certains segments de la population sont particulièrement touchés ou même dévastés par l’injection de drogues et les méfaits qui en découlent. Je pense aux femmes qui se droguent, aux jeunes de la rue, aux détenus et aux membres des communautés autochtones — essentiellement des gens qui sont déjà à bien des égards marginalisés et qui connaissent déjà dans leur vie personnelle des difficultés autres que celles liées à la consommation de drogues par injection et qui ont des maladies chroniques comme le VIH ou l’hépatite C174.

a) Traitement de maintien à la méthadone

Certains témoins affirment que les mesures pour traiter les opiomanes sont sous-développées au Canada. La disponibilité du traitement de maintien à la méthadone serait insuffisante. Ainsi, à Montréal :

Moins de 1 500 personnes sont actuellement sous traitement à la méthadone, alors que le nombre de places nécessaires pour atteindre 50 pour cent de ceux qui pourraient bénéficier du traitement est de 2 500. Plusieurs centaines de personnes sont actuellement en attente175.

La pénurie de médecins et d’autres soignants professionnels prêts à fournir ces traitements constitue un obstacle à la disponibilité du maintien à la méthadone. Certains médecins offrant le traitement de maintien à la méthadone sont apparemment tellement surchargés qu’ils ne sont pas en mesure de fournir un counselling et un soutien suffisant aux patients. On a signalé que certains toxicomanes ont dû quitter leur province pour avoir accès à des traitements de maintien.

Dans les Maritimes, nous n’avons pas suffisamment de médecins licenciés qui peuvent prescrire de la méthadone aux toxicomanes. Je sais qu’en ce qui concerne le programme de méthadone de Halifax, il y a des patients du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve qui s’installent à Halifax uniquement pour obtenir la méthadone, ce qui, à mon avis, est horrible. Je ne voudrais pas quitter mon milieu uniquement pour obtenir de la méthadone. Je crois qu’il faut une stratégie nationale de traitement à la méthadone176.

Pour nombre de toxicomanes, le traitement de maintien à la méthadone est une porte d’entrée aux traitements et peut réduire sensiblement les coûts sociaux et sanitaires de la toxicomanie par injection.

La méthadone est un substitut de l’héroïne qui peut être légalement prescrit, qui entraîne apparemment moins d’accoutumance et qui permet de garder le contact avec les héroïnomanes, de les stabiliser et éventuellement de réduire leur état de dépendance. Les programmes de substitution par la méthadone réduisent les risques de surdose étant donné que cette substance est contrôlée par un médecin; réduisent la transmission de maladies telles que le VIH et l’hépatite C; font baisser la criminalité associée aux besoins de se procurer de la drogue; enfin, diminuent la consommation de drogues en public177.

Je me crois d’abord dans l’obligation de révéler au Comité que je prescris de la méthadone et que je préside le Comité sur les opiacées agonistes de l’American Society of Addiction Medicine, et que je traite dans mon bureau la dépendance aux opiacées avec des médicaments agonistes — autrement dit, la méthadone et autres drogues — ici au Canada ainsi qu’aux États-Unis. Je crois fermement que la recherche encourage l’utilisation de ces médicaments dans le traitement des dépendances aux opiacées178.

La majorité des membres du Comité estime que les opiomanes canadiens devraient avoir accès au traitement de maintien à la méthadone et que ce traitement devrait comprendre les soins primaires, le counselling, l’éducation et d’autres services sociaux. Le Comité appuie le recours à ce traitement de substitution quand un médecin spécialement formé en assure la surveillance et que le traitement fait partie d’un programme de réadaptation structuré et bien contrôlé179.

b) Traitement de maintien à l’héroïne

Pour ce qui est du maintien à l’héroïne, les Instituts canadiens de recherche en santé ont convenu de financer un essai de traitement à l’héroïne, à Vancouver, à Toronto et à Montréal, pour les toxicomanes résistant aux autres traitements180.

En tant que scientifique, et c’est ce que je suis, j’étudie toujours les problèmes et je me dis : si j’applique des méthodes bonnes ou ingénieuses, à quoi cela aboutira-t-il? C’est le point où nous en sommes aujourd’hui avec l’essai en ce qui concerne la prescription d’héroïne.

J’ai été témoin de la catastrophe. Vingt pour cent des patients en soins actifs qui arrivent à notre hôpital sont des toxicomanes. Qu’allons-nous faire, laisser simplement le chiffre augmenter? Je peux vous dire que maintenant, les traitements ne sont pas très efficaces. Nous voyons les mêmes têtes, toujours. Ils arrivent; ils sont admis, disons, en psychiatrie; trois mois plus tard, ils sortent; quatre mois plus tard, les revoilà. Souffrant d’endocardite ou ayant contracté le VIH, ils se présentent à l’hôpital. Ils entrent à l’hôpital, ils obtiennent leur congé, puis ils reviennent.

Étant quelqu’un de pratique, je me dis qu’il est temps de briser le moule et d’étudier certaines des innovations qui ont été mises au point. [Faites] donc un essai à l’héroïne, parce que le statu quo n’est pas acceptable. Chaque semaine, une personne meurt du VIH à notre hôpital. Étant donné l’histoire naturelle de la maladie chez les consommateurs de drogue par voie intraveineuse, nous allons revenir au point où nous en étions quand je suis entré dans le domaine il y a dix ans, et il y a une personne par jour qui va mourir du VIH à mon hôpital, et ce sera presque toujours un toxicomane181.

La majorité des membres du Comité reconnaît l’importance du projet pilote sur les essais cliniques, connu sous le nom de NAOMI (North American Opiate Medications Initiative), pour tester l’efficacité des traitements assistés à l’héroïne au Canada et encouragent leur mise en œuvre. La population cible est composée de personnes dépendantes aux opiacées (selon les critères du DSM-IV) âgés d’au moins 25 ans, qui ont des antécédents de dépendance aux opiacées depuis au moins cinq ans, d’injection depuis au moins un an et de traitement à la méthadone à deux reprises au moins. Les personnes qui souffrent d’une affection physique ou mentale grave et pour qui l’opium serait contre-indiqué, les femmes enceintes et les personnes incapables de signer un formulaire de consentement pour participer au projet pilote sont inadmissibles182. Le Comité convient que ces essais doivent comporter des protocoles d’évaluation scientifique rigoureuse.

2.1 CONSTATATIONS DU COMITÉ - TRAITEMENT ET RÉADAPTATION

Le Comité est arrivé aux constatations suivantes :

 La plupart des intervenants et des soignants qui dispensent des traitements et des services de réadaptation au Canada sont des personnes dévouées qui effectuent un travail très difficile dans un contexte pénible (manque de ressources, de formation et d’information).
 Au Canada, on constate un manque évident de services « à seuil bas » ou à accès élargi [« low-threshold services »], d’options de traitement, de services de rétablissement et de soutien à long terme pour les toxicomanes, les familles et les collectivités qui sont aux prises avec des problèmes liés à l’usage nocif de substances psychoactives. Il s’agit là d’une lacune fondamentale qui témoigne d’un manque de vision dans le système de santé actuel.
 Il faut comprendre les racines de la toxicomanie chez les populations à risque, comme les communautés autochtones, pour intervenir de manière efficace à l’égard de ce problème.
 La Stratégie canadienne antidrogue doit cibler nommément les jeunes autochtones et les collectivités autochtones établis en milieu urbain.
 La majorité des membres du Comité reconnaît l’importance du projet pilote visant à tester l’efficacité du traitement assisté à l’héroïne pour les héroïnomanes qui n’ont pas bien réagi au traitement de maintien à la méthadone, et en encouragent la mise en œuvre.
 Santé Canada doit activement faciliter, soutenir et évaluer le projet pilote de traitement assisté à l’héroïne.

RECOMMANDATION 15

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée reconnaisse explicitement le concept d’un continuum de soins, y compris les services « à seuil bas » ou à accès élargi [« low-threshold services »] et les services de traitement et de réadaptation à long terme, et qu’elle contribue à ce continuum, qui intégrerait la prestation de services sociaux comme élément essentiel.

RECOMMANDATION 16

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée inclue l’abstinence au nombre des options de traitement à accès élargi ayant fait leurs preuves.

RECOMMANDATION 17

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée reconnaisse explicitement la nécessité d’offrir un accès rapide à des services de traitement qui tiennent compte des particularités socio-économiques et culturelles, et du sexe de la personne traitée.

RECOMMANDATION 18

Le Comité recommande que l’élaboration et l’administration des traitements soient adaptées aux victimes du syndrome et des effets de l’alcoolisme fœtal (SAF et EAF) et aux toxicomanes souffrant de maladie mentale en même temps que d’un usage abusif et de dépendance.

RECOMMANDATION 19

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée reconnaisse le « traitement de substitution », tel le maintien à la méthadone, comme étant une partie intégrante d’une approche exhaustive en matière de traitement de l’opiomanie, comprenant les soins primaires, le counselling, l’éducation et d’autres services sociaux.

RECOMMANDATION 20

Le Comité recommande que les projets pilotes d’essais cliniques à Vancouver, Toronto et Montréal visant à tester l’efficacité du traitement à l’héroïne pour les personnes dépendantes qui résistent à d’autres formes de traitement soient mis en œuvre et qu’ils incorporent un protocole rigoureux d’évaluation scientifique.

RECOMMANDATION 21

Le Comité recommande la suppression des obstacles réglementaires ou législatifs fédéraux à la réalisation d’essais scientifiques et de projets pilotes visant à déterminer l’efficacité de nouveaux traitements des toxicomanes.

3. RÉDUCTION DES MÉFAITS

Qu’il s’agisse du marchand qui souhaite exploiter une entreprise, du groupe d’aînés qui tient à ce que les rues soient sûres, du gouvernement provincial qui tente d’équilibrer les budgets de la santé, des activistes politiques qui réclament la justice sociale, des policiers qui souhaitent réduire les taux de criminalité ou de la personne qui vit dans la rue et qui vient tout juste d’être témoin de l’overdose d’un ami, le statu quo n’est pas une option. On doit établir clairement auprès de tous les groupes touchés par la toxicomanie qu’une approche fondée sur la réduction des méfaits n’a pour but ni de promouvoir ni de légitimer la consommation de drogue. En fait, il s’agit plutôt qu’une approche rationnelle qui profitera à tous183.

L’objectif officiel de la Stratégie canadienne antidrogue est de « réduire les méfaits associés à l’alcool et aux autres drogues chez les individus, les familles et les collectivités184 ». La réduction des méfaits comme approche au traitement et à la gestion de la toxicomanie est devenue populaire durant les années 1980, quand on a commencé à percevoir la prolifération du VIH-sida comme une menace plus grave à la personne et à la santé publique que la toxicomanie. Dirigé à l’origine contre la toxicomanie par injection, le modèle de réduction de méfaits a été adapté depuis par de nombreux États à d’autres drogues, de même qu’à des produits licites comme l’alcool et le tabac. Selon la Stratégie canadienne antidrogue, la réduction des méfaits est une approche réaliste, pragmatique et humanitaire à la toxicomanie, par opposition aux interventions qui visent avant tout à réduire la consommation de drogue185.

La réduction des méfaits n’offre pas de réponses définitives et de solutions rapides, mais, si on l’applique bien, elle peut répondre à des problèmes difficiles sans compromettre la qualité et l’intégrité de la vie humaine dans toute sa riche et diverse complexité [traduction]186.

a) Définition de la réduction des méfaits

Les témoignages reçus établissent clairement que la définition de la réduction des méfaits fait l’objet de débat et de controverse. Selon certains témoins cependant, la réduction des méfaits est souvent mal comprise et perçue à tort comme un encouragement à la consommation de drogue, tandis que la plupart conviennent qu’elle fait partie d’un continuum de soins qui peut inclure l’abstinence comme objectif à long terme. Le Comité estime qu’il est improductif de voir une dichotomie entre la réduction des méfaits et le modèle de traitement fondé sur l’abstinence, car les deux sont essentiels pour lutter contre les effets nocifs de la toxicomanie et de la toxicodépendance.

Par la notion de réduction des méfaits, on considère que, si certains consomment de la drogue, même si cela ne nous plaît pas ou si nous les désapprouvons, il faut essayer de les garder en vie et en bonne santé, en leur permettant d’éviter le sida et l’hépatite C de façon qu’ils puissent s’orienter vers des programmes de réadaptation et de traitement, notamment187.

b) Réduction des méfaits de la toxicomanie par injection

La portée du problème de la toxicomanie par injection et ses conséquences sur la santé ont fait l’objet d’un rapport récent d’un comité consultatif fédéral-provincial-territorial, intitulé Réduire les méfaits associés à l’usage des drogues par injection au Canada188. Les taux et les tendances de la toxicomanie par injection sont extrêmement mal connus. Malgré l’absence de chiffres précis, on estime qu’environ 12 000 utilisateurs de drogues injectables vivent actuellement à Montréal. En outre, des études indiquent que plusieurs milliers de jeunes de 13 à 25 ans vivent dans les rues de Montréal, dont environ la moitié se sont déjà injectés des drogues, tandis que 8 % environ de ces jeunes commencent à le faire chaque année189. Selon d’autres études, entre 10 000 et 15 000 utilisateurs de drogues injectables vivent à Toronto. En 2000 on évaluait le nombre de consommateurs de drogues injectables à 4 700 dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, et à 12 000 dans la région métropolitaine de Vancouver190. Le Comité reconnaît l’incertitude considérable entourant le nombre de consommateurs de drogues injectables au Canada. Les enquêtes ont tendance à sous-évaluer le nombre de personnes au sein de populations marginalisées, telles que les personnes sans domicile fixe, celles qui n’ont pas le téléphone, celles qui sont hospitalisées ou qui suivent un traitement. Cependant, ces chiffres sont les plus récents dont le Comité dispose.

Le rapport du Comité consultatif fédéral-provincial-territorial confirme que l’injection de drogue est un important facteur de risque pour le VIH et l’hépatite. Cette pratique comporte des conséquences potentiellement désastreuses non seulement pour les personnes infectées, mais également pour leur milieu et pour toute la société canadienne. Santé Canada signale que 24,6 % de tous les nouveaux cas de séropositivité signalés chez les adultes et que 14,4 % de tous les cas de sida signalés chez les adultes étaient reliés à l’injection de drogue en 2001191. Les Autochtones présentent un risque plus grand d’infection à VIH que la population en général, car ils sont surreprésentés dans les milieux de la prostitution, dans la population carcérale et parmi les utilisateurs de drogues injectables des centres-villes192. L’injection de drogue est également un problème chez les détenus193. Parmi les autres segments de la population à haut risque, mentionnons les femmes, les jeunes de la rue, les enfants victimes d’exploitation sexuelle, les hommes qui ont des relations homosexuelles et les prostitués.

Entre autres recommandations, le Comité consultatif fédéral-provincial-territorial réclame des mesures de réduction des méfaits comme le développement des programmes d’échange de seringues et l’accès accru aux options de traitement y compris le traitement de maintien à la méthadone. Dans son rapport, le Comité consultatif préconise également des essais cliniques avec de l’héroïne d’ordonnance et presse les autorités d’envisager un projet pilote ou une recherche faisant appel à une « piquerie supervisée ».

c) Les mesures de réduction des méfaits

Les mesures ou stratégies de réduction des méfaits font maintenant partie intégrante de nombreux services de santé publique et d’aide aux toxicomanes au Canada. Beaucoup de soignants font de la réduction des méfaits un élément du continuum d’interventions antidrogue qui comprend l’éducation, la prévention, le traitement et la réadaptation.

Voici les exemples de mesures et de politiques de réduction des méfaits :

 Echanges de seringues;
 Maintien à la méthadone et prescription d’héroïne (considéré par la plupart des praticiens comme une forme de réduction des méfaits et par certains autres comme un traitement)194;
 Éducation et approche communautaire;
 Piqueries sécuritaires;
 Éducation sexuelle;
 Programmes de prévention comme ceux faisant appel à un conducteur désigné pour prévenir les accidents dus à la conduite avec facultés affaiblies;
 Formation et intervention anti-consommation des serveurs de bars face aux buveurs déjà ivres ou trop jeunes;
 Politiques antitabac dans les lieux publics;
 Traitement de remplacement de la nicotine.

Ces mesures peuvent influer sur la santé publique de trois façons essentiellement :

 En prévenant les surdoses mortelles et non mortelles;
 En prévenant la propagation des maladies véhiculées par le sang et d’autres cas médicaux ou blessures causés par l’alcool, le tabac, la drogue et les comportements sexuels à risque;
 En servant de porte d’entrée pour l’éducation, la prévention, le traitement et le réadaptation.

i) Programme d’échange de seringues

Le premier programme d’échanges de seringues a été établi au Canada à Vancouver en 1989. On ne dispose pas de données précises sur le nombre de ces programmes au Canada : on estime qu’il en existe entre 100 et 200 à l’heure actuelle. Certains programmes ne font que l’échange de seringues usagées contre des seringues propres. D’autres offrent divers services de santé, notamment les évaluations médicales et de dépendance, le counselling, les soins primaires et les tests de dépistage de maladies transmises par le sang et d’autres maladies liées à l’injection de drogue, ainsi que des services d’orientation du patient vers des programmes de traitement et de désintoxication. Le Comité constate l’absence d’uniformité entre les programmes. Ainsi, certains remettent une seringue propre en échange d’une seringue souillée, tandis que d’autres n’obligent pas les toxicomanes à rapporter les veilles seringues et leur en fournissent autant qu’ils en veulent.

À l’heure actuelle, le fédéral ne participe pas directement au financement des programmes d’échange de seringues. Une part des transferts fédéraux aux provinces et territoires ayant trait aux dépenses sanitaires peut servir à ces programmes, mais on ignore dans quelle proportion car les paiements de transfert ne sont pas assignés à des secteurs précis. Ces programmes sont du ressort des provinces, des territoires et des municipalités. Ainsi, en Ontario, les Lignes directrices touchant les programmes et les services de santé obligent les commissions sanitaires à faire en sorte que les consommateurs de drogues injectables aient accès à du matériel d’injection stérile. À cette fin, elles doivent offrir des programmes d’échange d’aiguilles et de seringues comme stratégie de réduction des méfaits en vue de réduire la transmission du VIH, de l’hépatite B, de l’hépatite C et d’autres agents véhiculés par le sang dans les milieux où la toxicomanie est un problème reconnu195. La majorité des membres du Comité encourage les provinces et les territoires à adopter des directives semblables pour que les programmes d’échange de seringues soient offerts partout au Canada.

La recherche sur les programmes d’échange de seringues indique que certains d’entre eux :

 augmentent le nombre de toxicomanes bénéficiant d’un programme de traitement et de réadaptation;
 distribuent de l’information et des documents sur la réduction du risque du VIH/sida;
 offrent des services d’orientation du patient à des fins de tests et de counselling;
 réduisent le partage des seringues avec d’autres utilisateurs;
 réduisent le nombre de seringues contaminées en circulation grâce aux contenants spéciaux où les toxicomanes peuvent jeter leurs vieilles seringues en toute sécurité.
 augmentent la disponibilité et l’utilisation du matériel d’injection stérile, réduisant ainsi la propagation des maladies transmises par le sang;
 ne font ni augmenter le nombre de toxicomanes ni abaisser l’âge de la première injection;
 n’augmentent pas le nombre de seringues jetées dans les endroits publics.

Bien des témoins voient les programmes d’accès communautaire tels les programmes d’échange de seringues comme étant une façon efficace d’établir la communication avec les toxicomanes dans leur milieu et de leur fournir des moyens de modifier non seulement leurs comportements de toxicomanie, mais également d’autres comportements à risque, notamment sexuels. Des infirmières et des travailleurs sociaux distribuent de l’information sanitaire, du matériel d’injection stérile, des préservatifs, des tests de grossesse, des vitamines, et orientent les personnes vers des services de traitement de désintoxication, de tests et de counselling relatifs au VIH, et à l’hépatite B et C. Les services à « seuil bas » ou à accès élargi [« low-threshold services »] offrent aux toxicomanes qui négligent leur santé depuis longtemps de renouer avec les soins de santé et les soignants ce qui, pour certains, peut être le premier pas vers la guérison.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai utilisé le service d’échange de seringues, et j’en remercie Dieu, car aujourd’hui je suis maman et je n’ai pas de peine de mort qui plane au-dessus de ma tête, mais je pense que toutes les choses qui ne sont pas axées sur l’abstinence sont une perte de temps. Il vous faut vous sevrer complètement. Si vous ne visez pas cela, alors c’est inutile196.

De nombreux témoins ont indiqué au Comité que la toxicomanie par injection constitue une grave crise sanitaire au Canada. Certains témoins affirment que les lieux d’échanges de seringues sont trop rares au Canada et mal situés (au cœur des grandes villes) pour répondre aux besoins des utilisateurs de drogue injectables.

Face à tous ces problèmes, les services sont nettement insuffisants. Par exemple, en matière de prévention des maladies transmissibles, il y a à Montréal cinq programmes d’échanges de seringues communautaires et environ 25 autres partenaires communautaires et institutionnels qui offrent le service. Il y a aussi 7 CLSC et 150 pharmacies qui vendent des seringues sans prescription. Malgré tout, actuellement, il se distribue et se vend environ un million de seringues par an à Montréal. Bien que cette distribution ait augmenté depuis 1995, elle reste très sous-optimale et ne représente que 10 pour cent des besoins estimés197.

D’autres témoins s’inquiètent des programmes d’échange de seringues qu’ils perçoivent comme étant une abdication devant la toxicomanie. Ils estiment que ces programmes permettent à un toxicomane de continuer à se droguer et qu’ils peuvent même inciter des personnes à expérimenter les drogues injectables. La possibilité de retrouver davantage de seringues usagées dans les rues et les parcs préoccupe également un certain nombre de témoins.

La majorité des membres du Comité sont convaincus qu’un programme d’échange de seringues, lorsqu’il est intégré à la prestation d’autres soins, peut prévenir la propagation du VIH et d’autres agents pathogènes véhiculés par le sang chez les toxicomanes. Ils estiment en outre que ces services d’échange permettent d’établir un premier contact avec une population très marginalisée qui n’aurait probablement pas accès à des soins autrement.

ii) Piqueries sécuritaires

Les piqueries sécuritaires, qui existent à l’heure actuelle dans certains pays d’Europe, sont des lieux contrôlés où les toxicomanes peuvent s’injecter leur propre drogue avec matériel d’injection stérile, sous la surveillance d’intervenants ayant reçu une formation médicale. Ces intervenants peuvent aussi orienter les utilisateurs de drogue vers des services de counselling, des organismes médicaux, des centres de traitement et de réadaptation, et, dans certains cas, fournir des soins primaires sur place. Selon certaines études suisses et allemandes, il semble que de telles installations permettent de produire les effets suivants :

 Prévenir les décès par surdose;
 Avoir une incidence sur la santé générale des toxicomanes;
 Augmenter le nombre de toxicomanes en centre de désintoxication, ainsi que les traitements d’abstinence ou de maintien à la méthadone;
 Réduire les méfaits découlant de la consommation de drogue en public;
 Réussir à rejoindre les toxicomanes les plus à risque et les plus marginaux.

Ainsi, en Allemagne, un rapport du gouvernement indique que dans les villes qui offrent des piqueries sécuritaires et des services « à seuil bas » ou à accès élargi [« low-threshold services »], le taux de mortalité des toxicomanes a baissé davantage qu’à l’échelle nationale, ou s’est stabilisé à un faible niveau198.

Peu d’évaluations exhaustives ont été menées à propos des piqueries sécuritaires en Europe, et la plupart ne sont pas encore disponibles en anglais199. Cependant, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) a entrepris un bilan des évaluations des piqueries en Europe et en Australie dont le résumé paraîtra à la fin de 2002.

Le Réseau juridique canadien VIH/sida a étudié les questions juridiques et morales relatives à l’établissement de piqueries sécuritaires au Canada et en arrive à la conclusion suivante :

Inclure des piqueries sécuritaires comme un volet de réduction des méfaits qui s’inscrirait dans une stratégie plus vaste à l’égard de la toxicomanie intraveineuse est susceptible de produire des avantages considérables tant pour les toxicomanes que pour le grand public [traduction]200.

On a déclaré au Comité qu’un projet pilote de 18 mois prévoyant la mise sur pied de deux piqueries sécuritaires à Vancouver est présentement à l’étude. Certains affirment que ces établissements peuvent réduire le danger des surdoses et résoudre certains problèmes de santé publique qui affligent notamment le quartier Downtown Eastside de Vancouver201. Le Bureau du coroner de la Colombie-Britannique a établi à 417 le nombre de décès dus aux drogues survenus dans la province en 1998. Ce nombre a chuté à 222 en 2001 (données préliminaires), ce qui n’en demeure pas moins excessif. On pourrait prévenir un grand nombre de décès par surdose par la diffusion d’information sur la pureté de l’héroïne et par des mesures de réduction des méfaits comme l’établissement d’une piquerie sécuritaire.

Une étude en cours sur les utilisateurs de drogue injectables à Vancouver (VIDUS)202 révèle notamment ce qui suit : 28 % d’entre eux partagent leurs seringues; 75 % affirment s’être injectés la drogue seuls au moins une fois; 10 % ont connu une surdose non mortelle; 14 % signalent s’injecter de la drogue dans un lieu public; 25 % affirment avoir besoin d’aide pour s’injecter la drogue; 18 % trouvent difficile d’avoir accès à des seringues stériles203. Des piqueries sécuritaires supervisées pourraient atténuer ces comportements à risque204. En outre, elles pourraient également réduire les effets découlant de ces comportements sur la santé et qu’on constate, comme en témoigne le taux élevé de visites aux urgences et d’hospitalisations pour infections de tissus mous, surdoses, intoxication et syndrome de retrait205. Même si la gravité du problème de la toxicomanie, manifeste au grand jour, dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, est sans équivalent au Canada, aucune ville n’est à l’abri d’une telle crise de santé et de sécurité publique. Montréal, Toronto et Ottawa font également face à des problèmes sanitaires considérables découlant de la toxicomanie par injection; d’autres villes et des localités rurales voient le problème s’aggraver.

Des témoins ont affirmé qu’en l’absence de piqueries sécuritaires et d’autres services de réduction des méfaits, « à seuil bas » ou à accès élargi [« low-threshold services », certains toxicomanes pratiquent des méthodes d’injection dangereuses et non hygiéniques qui augmentent le risque de surdose, mortelle ou non, et le risque de contracter des infections par voie sanguine comme le VIH et l’hépatite C. Ils signalent que les conséquences négatives de ces pratiques coûtent très cher à l’individu et à la société dans son ensemble.

La dernière chose que je souhaite dire, c’est que, dans le contexte du VIH, il y a une question que les gens oublient souvent. Le VIH cause le sida. Si vous n’avez pas le VIH, vous n’aurez pas le sida. Par conséquent, chaque fois qu’on prévient un cas d’infection au VIH, on prévient, de façon absolue, un cas de sida. À l’inverse d’autres maladies, le sida est une maladie qu’il est possible de prévenir à 100 %. Chaque fois que nous prévenons un cas d’infection au VIH, nous économisons 200 000 $ en coûts médicaux qu’il faut assumer plus tard. Chaque année au Canada, environ 4 000 personnes sont infectées au VIH, dont la moitié sont des consommateurs de drogue par voie intraveineuse. L’hypothèque que doivent donc assumer actuellement nos enfants, dans le cas du VIH, s’élève à 800 millions de dollars par année, dont 400 millions de dollars se rapportent aux consommateurs de drogue par voie intraveineuse qui sont infectés au VIH. Par conséquent, [ne serait-ce que pour des motifs d’ordre économique sinon d’ordre social,] il est tout à fait indispensable que nous essayons de prévenir tous les cas possibles d’infection au VIH, en raison des avantages énormes que cela apporte sur le plan économique et social206.

Même si la plupart des témoins conviennent de l’énormité du problème, le Comité constate une ambivalence générale face à l’idée d’établir des piqueries sécuritaires. De nombreux témoins ne sont pas hostiles à l’idée, mais estiment qu’il faut davantage de recherche avant que le Canada ne s’aventure sur cette voie. D’autres l’approuvent dans des conditions très précises (p. ex., comme dernier recours pour les toxicomanes graves; dans des endroits précis; combinée avec des services de santé et de traitement; avec un contrôle et une évaluation rigoureux; avec des critères d’admission très étroits et très contrôlés, etc.). Cependant, plusieurs témoins affirment que le fait de créer des lieux pour l’injection sécuritaire de drogue constitue en quelque sorte une approbation de la toxicomanie et que le message qui sera ainsi véhiculé risque de nuire aux efforts de prévention. En outre, certains s’inquiètent que ces installations puissent entraîner des désagréments pour le public et accroître l’activité criminelle dans les localités où elles seraient établies. D’autres réfutent cet argument, affirmant que ces craintes sont non fondées et contraires à l’expérience des pays européens où de telles installations existent207.

Le Comité a été directement témoin de la catastrophe sanitaire qui se déroule à Vancouver. Reconnaissant que l’efficacité et le rendement des piqueries sécuritaires restent à être démontrés, la majorité des membres du Comité appuie des mesures novatrices pour atténuer les graves problèmes sanitaires et sociaux découlant de la toxicomanie par injection.

Les membres du Comité conviennent majoritairement de la nécessité de procéder à des essais expérimentaux, assortis de protocoles d’évaluation scientifique rigoureuse, pour déterminer si une piquerie sécuritaire réduirait sensiblement les problèmes sociaux et sanitaires qui sont manifestes à l’heure actuelle dans certains quartiers touchés par la drogue. Les essais devraient intégrer un modèle sanitaire comprenant la prestation de soins de santé et de services sociaux complets.

d) Évaluation

Enfin, le Comité constate que très peu d’organismes chargés des programmes de réduction des méfaits ou de prévention, d’éducation, de traitement ou de réadaptation sont en mesure de le renseigner sur l’efficacité et le rendement de leurs programmes, à partir d’évaluations rigoureuses. Le Comité estime qu’une approche inspirée du modèle employé dans le domaine de la santé publique en matière de soins destinés aux toxicomanes doit être fondée sur des preuves d’efficacité pour que soit réalisé l’objectif de réduire les méfaits découlant de la toxicomanie et de la toxicodépendance.

3.1 CONSTATATIONS DU COMITÉ - RÉDUCTION DES MÉFAITS

Le Comité est arrivé aux constatations suivantes :

 Les renseignements dont on dispose indiquent que la toxicomanie est avant tout un problème de santé publique, qu’il faut tenter de résoudre par des mesures appropriées relevant du domaine de la santé publique.
 Il faut mettre en œuvre toutes les solutions possibles pour améliorer la santé des toxicomanes et faire en sorte que leur état de santé demeure suffisamment bon pour leur permettre de rechercher un traitement lorsqu’ils seront prêts.
 Ayant considéré les témoignages des deux camps dans le débat à propos des « piqueries sécuritaires », ainsi que les résultats de certaines études européennes, le Comité estime qu’il est essentiel de mettre en œuvre le projet pilote canadien de piqueries sécuritaires, et de l’assortir de protocoles et de mécanismes d’évaluation clairs.
 Santé Canada doit intervenir pour faciliter, soutenir et évaluer l’établissement des piqueries sécuritaires.
 Tous les programmes et services visant les effets de la toxicomanie sur les individus, les familles et la collectivité doivent s’accompagner de directives claires et d’objectifs mesurables rendant possible une évaluation exhaustive. Les évaluations sont nécessaires pour déterminer l’efficacité de ces programmes et services et garantir que l’argent est investi de manière judicieuse.

RECOMMANDATION 22

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada encourage et aide les provinces, les régions et les municipalités à offrir des programmes d’échange de seringues et à les intégrer à un modèle sanitaire comportant également des soins primaires, des volets axés sur la prévention et l’éducation, des services de counselling, ainsi que des programmes de traitement et de réadaptation.

RECOMMANDATION 23

En ce qui concerne les piqueries sécuritaires, le Comité recommande que le gouvernement du Canada supprime les obstacles réglementaires ou législatifs fédéraux à la réalisation d’essais scientifiques et de projets pilotes, et qu’il encourage l’élaboration de protocoles visant à déterminer l’efficacité des piqueries sécuritaires dans la réduction des problèmes sociaux et sanitaires découlant de la toxicomanie par injection.

RECOMMANDATION 24

Le Comité recommande que des objectifs quantitatifs et qualitatifs clairs soient fixés en ce qui a trait à tous les services visant la toxicomanie, et qu’ils soient assortis de mécanismes d’évaluation du rendement, afin que la prévention, l’éducation, le traitement, la réadaptation et la réduction des méfaits soient fondés sur des preuves d’efficacité et sur les meilleures pratiques en vigueur.

RECOMMANDATION 25

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue fasse de la réduction des méfaits un élément fondamental d’une politique antidrogue qui soutienne les interventions visant à maintenir la santé des individus et à réduire au minimum les risques sanitaires découlant de la toxicomanie.

4. USAGE NOCIF DES MÉDICAMENTS D’ORDONNANCE

Il importe de distinguer au départ les personnes qui utilisent mal les médicaments au détriment de leur santé de celles qui abusent du régime de santé pour obtenir des médicaments qu’elles revendent à profit.

On a signalé au Comité que les lacunes en matière de formation et donc de sensibilisation, tant chez les médecins et les pharmaciens que chez le grand public, quant aux risques liés au mauvais usage, ou aux risques de dépendance à l’égard de certains médicaments, peuvent contribuer au mauvais usage des médicaments d’ordonnance. Les témoins ont affirmé que les médecins reçoivent généralement une formation insuffisante sur le soulagement de la douleur ainsi que sur les façons de détecter les problèmes découlant d’un usage nocif des médicaments et de traiter les personnes menacées de pharmacodépendance. On a également indiqué au Comité que les patients risquent de mal utiliser des médicaments simplement parce qu’on les informe insuffisamment sur les produits qu’on leur prescrit et la façon de les utiliser.

Au Canada, nous avons connu du succès avec des campagnes portant sur les dangers du tabagisme et de la consommation d’alcool. Nous recommandons la mise sur pied d’une campagne nationale pour expliquer les dangers que peut comporter l’abus ou le mauvais usage des médicaments d’ordonnance. Ces médicaments représentent aujourd’hui le moyen d’intervention médicale de choix, et généralement pour de bonnes raisons, étant donné qu’il apporte de formidables bienfaits en matière de santé. Les gens ont l’impression que les médicaments d’ordonnance n’ont pas d’effets nocifs et ne peuvent nuire. La campagne devrait chercher à conscientiser les Canadiens face à la réalité des médicaments d’ordonnance. Bien qu’un médicament d’ordonnance soit prescrit pour de bonnes raisons, certains peuvent causer la dépendance et ils n’atteignent pas les résultats souhaités s’ils ne sont pas pris correctement. La campagne devrait aussi fournir de l’information concernant les effets nocifs possibles et indiquer à qui s’adresser lorsque les gens s’interrogent au sujet de leur médication208.

Le Comité convient de la nécessité de mieux sensibiliser et renseigner les patients, les médecins et les autres soignants professionnels au sujet des risques de dépendance à certains médicaments d’ordonnance. Il estime que les risques de mauvais usage de médicaments d’ordonnance devraient être inclus dans une campagne nationale de sensibilisation dans les médias contre l’usage non médical des médicaments et d’autres substances psychoactives, comme le Comité l’a recommandé plus tôt dans ce chapitre.

Une autre question importante relative aux médicaments d’ordonnance a trait à leur détournement hors du marché légitime. La codéine, le Dilaudid, l’OxyContin, le Talwin, le Ritalin et le Percocet sont parmi les médicaments les plus souvent détournés. Les utilisateurs les prennent oralement ou écrasent les comprimés pour les prendre par voie nasale ou pour les dissoudre et se les injecter. L’OxyContin a beaucoup attiré l’attention récemment aux États-Unis mais, à ce jour, il n’a pas été reconnu comme un problème grave au Canada. Cependant, les profits à réaliser sur la vente de l’OxyContin et d’autres analgésiques et stimulants sur le marché illégal sont énormes et alléchants pour les toxicomanes et pour le crime organisé. Ainsi, on a indiqué au Comité que « 60 cachets d’OxyContin de 40 ml se vendent à 300 $US, mais cette même quantité irait chercher 2 400 $ dans la rue »209. Le fabricant d’OxyContin a reconnu le problème; il est en train de préparer « un nouveau produit qui contiendra des billes de Naltrexol, une anti-opiacée qui semble rendre la drogue moins satisfaisante pour le toxicomane »210.

Selon plusieurs mémoires reçus, le mauvais usage de médicaments est plus ou moins fréquent dans la plupart des localités du Canada. Des indices laissent penser que le commerce illicite de certains médicaments est plus courant dans certaines petites localités et dans les campagnes où, coïncidence ou non, l’héroïne et la cocaïne sont difficiles d’accès. De nombreux facteurs favorisent le détournement des médicaments. On peut en voler à plusieurs points du réseau de distribution légal, mais plusieurs témoins ont indiqué au Comité que la grande majorité de ces médicaments proviennent d’ordonnances légales obtenues de plus d’un médecin :

Dans le temps, lorsque la GRC se livrait à des enquêtes et que, munie d’un mandat de perquisitions, elle recueillait des renseignements, on a vu des gens dessiner une carte géographique montrant leur multiple visite au médecin. Les patients ajustaient leur horaire de manière à pouvoir se rendre à dix cabinets de médecins en une journée. Compte tenu de la période d’attente dans certains cabinets de médecins de famille, on peut se poser la question de savoir comment ils y réussissent, mais ces patients connaissent déjà les cliniques sans rendez-vous qui les serviront le plus rapidement. Ils peuvent effectivement rendre visite à dix médecins en une journée et y raconter une histoire bien fignolée ou prétexter qu’ils ont, par mégarde, jeter leurs médicaments à la toilette ou que le chien l’a mangé ou encore autre chose. Effectivement, ils obtiennent ainsi une grande quantité de médicament211.

Les programmes de suivi des ordonnances sont susceptibles de freiner le développement du mauvais usage de médicaments, de réduire la fraude et de prévenir le détournement de médicaments. En 1997, dans 10 des 12 provinces et territoires, les ordonnances étaient délivrées en trois exemplaires. Cependant, on a indiqué au Comité que, à moins que l’information ne soit facilement accessible à partir d’une base de données centrale, les cas de prescriptions multiples ou inappropriées risquent de ne pas être découverts assez tôt pour permettre une intervention fructueuse. Pour prévenir la fraude et détecter les mauvais usages potentiels, les pharmaciens et les médecins doivent disposer d’un accès immédiat au dossier de médication d’un patient au moment où le médicament est prescrit ou fourni.

Des représentants des programmes de contrôle des ordonnances de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan ont témoigné devant le Comité. Tous conviennent que le programme B.C. PharmaNet, mis en place en Colombie-Britannique en 1995, est le plus prometteur des programmes actuels au Canada. Il utilise une base informatique centrale qui donne aux médecins et aux pharmaciens un accès facile et à jour aux renseignements sur les médicaments fournis à un patient habitant la province.

Le programme PharmaNet, comme vous le savez peut-être déjà, est le fruit d’une collaboration entre le Régime d’assurance-médicaments du ministère de la Santé, le Collège des médecins et chirurgiens et le Collège des pharmaciens de notre province. Toutes les prescriptions sont électroniquement enregistrées au moment où l’ordonnance est exécutée, de manière à ce que les données soient les plus récentes : nous pouvons voir ce que le patient a reçu plus tôt le même jour.

[…]

L’ensemble du programme PharmaNet a été examiné et approuvé par le Commissaire à la protection de la vie privée. Je crois qu’il serait avantageux d’étendre le programme PharmaNet à tout le Canada dans le but de régler certains problèmes de détournement des médicaments de prescription212.

La base de données PharmaNet sert actuellement dans tous les services d’urgence de la province dans le contexte d’un projet pilote. Le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique espère que dans un proche avenir tous les médecins de pratique privée auront accès à PharmaNet dans leur cabinet. Cette mesure, permettant au médecin d’accéder au dossier de médication d’un patient à jour par transmission sécurisée sur Internet, est une première au Canada. Le programme n’est pas répressif mais proactif, il a l’appui des médecins de la province, car il leur fournit une information précieuse sur le profil de médication d’un patient, et peut permettre d’éviter des interactions et des dédoublements de médicaments dangereux. En outre, le système a l’avantage de limiter les ordonnances frauduleuses et permet de détecter un problème éventuel de toxicomanie213. Le programme offre également aux médecins les ressources d’un conseil consultatif de pharmacocliniciens, pouvant les conseiller lorsqu’ils se trouvent devant des cas problèmes214.

Le Comité applaudit aux initiatives mises en place pour permettre aux collèges de médecins et de chirurgiens partout au pays de surveiller les médicaments d’ordonnance. Il reconnaît également que les programmes de surveillance des ordonnances varient considérablement d’une province à l’autre. En accord avec plusieurs témoins, le Comité voit de réels avantages au recours à des bases informatiques en temps réel pour contrôler les médicaments d’ordonnance qui sont le plus souvent l’objet de mauvais usage et de détournement, et à fournir aux soignants un accès à des données fiables et à jour pour prendre des décisions éclairées au cours d’un traitement.

Certains témoins ont fait part de leur inquiétude au Comité à propos du phénomène relativement récent des ordonnances par Internet. Il est à peu près impossible de contrôler les médicaments prescrits et distribués à partir d’Internet. Un patient utilisant Internet peut obtenir des médicaments et contourner facilement n’importe quel programme actuel de contrôle des ordonnances. Le Comité pense que les prescriptions par Internet posent de nombreux problèmes légaux et éthiques qu’il faudrait examiner soigneusement pour déterminer quelles interventions sont éventuellement nécessaires.

Enfin, on s’est inquiété du mauvais usage de médicaments en vente libre, notamment ceux qui contiennent du dextrométhorphane, des antihistaminiques, et de la codéine, etc. Malheureusement, il n’y a à peu près rien au Canada sur cette question de santé publique. Le Comité estime qu’il faut une information exacte sur l’étendue et l’incidence de ce phénomène, et qu’elle devrait s’inscrire dans une politique antidrogue exhaustive visant toutes les substances psychoactives.

4.1 CONSTATATIONS DU COMITÉ - USAGE NOCIF DES MÉDICAMENTS D’ORDONNANCE

Le Comité est arrivé aux constatations suivantes :

 Dans certaines provinces, le système qui assure la distribution des médicaments d’ordonnance ne permet pas de détecter rapidement les mauvais usages éventuels des médicaments.
 Pour répondre au problème du mauvais usage des médicaments d’ordonnance, un échange officieux d’information entre pharmaciens et médecins a cours dans certaines régions du Canada, ce qui pose de nombreux problèmes en matière de protection des renseignements personnels. Des bases de données en temps réel pour contrôler les ordonnances, assorties de règles et de garanties strictes de protection de l’information, protègerait mieux les renseignements personnels des Canadiens.

RECOMMANDATION 26

Le Comité recommande que la Stratégie canadienne antidrogue renouvelée compte parmi ses priorités l’élaboration d’une stratégie portant de façon précise sur le mauvais usage des médicaments d’ordonnance au Canada.

RECOMMANDATION 27

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada aide et encourage les provinces et les territoires à créer et tenir des bases de données en temps réel comparables, afin d’assurer une meilleure surveillance de la prescription et la fourniture des médicaments d’ordonnance faisant couramment l’objet de mauvais usage.


135Dr Mark Tyndall, directeur de l’épidémiologie, B.C. Centre for Excellence, Université de la Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
136Dean Wilson, porte-parole, Vancouver Area Network of Drug Users, témoignage devant le Comité,
5 décembre 2001.
137Michel Perron, président, Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies; directeur général, Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, témoignage devant le Comité, 29 août 2002.
138Christiane Poulin, professeure agrégée, Département de santé communautaire et d’épidémiologie, Université Dalhousie, témoignage devant le Comité, 17 avril 2002.
139Eric Single et al., Les coûts de l’abus de substances au Canada, Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, 1996.
140Dr Colin Mangham, directeur, Prevention Source B.C., témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
141Les termes prévention universelle, sélective et indiquée sont apparus vers la fin des années 1980 et remplacent aujourd’hui les notions de prévention primaire et secondaire, la prévention tertiaire équivalant au traitement.
142Christiane Poulin, professeure agrégée, Département de santé communautaire et d’épidémiologie, Université Dalhousie, témoignage devant le Comité, 17 avril 2002.
143Jody Gomber, directrice générale, Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, Direction générale de la santé environnementale et de la sécurité des consommateurs, Santé Canada, témoignage devant le Comité, 3 octobre 2001.
144Au Canada, il naît au moins un enfant par jour souffrant du syndrome d’alcoolisme fœtal. Jusqu’à 3 bébés sur 1 000 naissances en sont atteints, encore plus dans certaines communautés autochtones.
145Voici quelques exemples de ces documents : Prévention des problèmes attribuables à la consommation d’alcool et d’autres drogues chez les jeunes — Un compendium des meilleures pratiques; Meilleures pratiques — Syndrome d’alcoolisme fœtal/effets de l’alcool sur le fœtus et les effets des autres drogues pendant la grossesse; Analyse de la situation — Syndrome d’alcoolisme fœtal/effets de l’alcool sur le fœtus et les effets des autres drogues pendant la grossesse. On peut obtenir ces documents au site Web de Santé Canada, sur disquette, en gros caractères, sur bande sonore et en braille.
146Le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones dans les collectivités urbaines et nordiques vise à répondre aux premiers besoins liés au développement des jeunes autochtones vivant dans des villes ou de grandes collectivités nordiques.
147Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport de la vérificatrice générale du Canada de 2001, chapitre 11 — Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, 2001.
148Consulter le site Web de la GRC pour plus de renseignements sur ces programmes :
149Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport de la vérificatrice générale du Canada de 2001, chapitre 11 — Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, 2001.
150R. G. (Bob) Lesser, surintendant principal et officier responsable de la Sous-direction de la police des drogues, Direction des services fédéraux, Gendarmerie royale du Canada, témoignage devant le Comité, 3 octobre 2001.
151Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport de la vérificatrice générale du Canada de 2001, chapitre 11 — Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, 2001.
152Ross Toller, directeur général, Programmes et réinsertion sociale des délinquants, Service correctionnel du Canada, témoignage devant le Comité, 3 octobre 2001.
153Le programme DARE (Drug Abuse Resistance Education) vient des États-Unis et s’adresse habituellement aux élèves des 5e et 6e années du primaire. Un agent formé les rencontre en classe une journée par semaine pendant 17 semaines. Les enfants apprennent à résister à la drogue et à la violence en développant des compétences personnelles et des techniques pour parer à la pression des pairs et à l’influence des médias. Pour plus de renseignements, consulter le site Web à l’adresse suivante :
154Debra Williams, présidente, Comité d’évaluation DARE de l’Alberta, témoignage devant le Comité, 23 mai 2002.
155Chuck Doucette, sergent d’état-major, coordonnateur provincial, Section de la sensibilisation aux drogues, Division « E », Gendarmerie royale du Canada, témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
156Voir notamment le témoignage de la Dre Peggy Millson devant le Comité, 18 février 2002.
157Renseignement tiré du site Web du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada à l’adresse suivante : www.ainc-inac.gc.ca/gs/soci_f.html.
158Le cadre de référence du PNLAADA est accessible en ligne à l’adresse suivante :
159Nick Hossack, gestionnaire principal, Équipe des toxicomanies, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada, témoignage devant le Comité, 27 février 2002.
160Ibid.
161John Graham, directeur exécutif, Charles J. Andrew Youth Restoration Centre, Sheshatshiu, Labrador, témoignage devant le Comité, 18 avril 2002.
162Nick Hossack, gestionnaire principal, Équipe des toxicomanies, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada, témoignage devant le Comité, 27 février 2002.
163Gary Roberts et Alan Ogborne (en collaboration avec Gillian Leigh et Lorraine Adam), Profil — Alcoolisme et toxicomanie — Traitement et réadaptation au Canada, préparé pour le Bureau des drogues, de l’alcool et des questions de dépendance, Santé Canada, 1999, p. 10. Accessible en ligne à l’adresse suivante :
164Une enquête menée en 1997 par Santé Canada estime à seulement 1 200 le nombre de programmes de traitement des alcooliques et des toxicomanes au pays : leur clientèle se compose en majorité d’alcooliques. Voir Gary Roberts et Alan Ogborne (en collaboration avec Gillian Leigh et Lorraine Adam), Profil — Alcoolisme et toxicomanie — Traitement et réadaptation au Canada, préparé pour le Bureau des drogues, de l’alcool et des questions de dépendance, Santé Canada, 1999, p. 6.
165Ibid., p. 21.
166Dr Patrick Smith, vice-président, Programmes médicaux, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Conseil exécutif canadien sur les toxicomanies, témoignage devant le Comité, 29 août 2002.
167Par exemple, voir le témoignage de Charlaine Avery, directrice clinicienne, Abbotsford Addictions Centre, témoignage devant le Comité, 6 décembre 2001.
168Dean Tate, coordonnateur de programme, Salvation Army Harbour Light Center, Toronto, témoignage devant le Comité, 21 février 2002.
169Cathy Wood, gestionnaire, Aventa, témoignage devant le Comité, 22 mai 2002.
170C. Legge, G. Roberts, et M. Butler, Analyse de la situation — Syndrome d’alcoolisme fœtal/effets de l’alcool sur le fœtus et les effets des autres drogues pendant la grossesse, Santé Canada, décembre 2000, p. 18. Accessible en ligne à l’adresse suivante : hc-sc.gc.ca/hecs-sesc/cds/splash.htm.
171Ibid., p. 25.
172Robert Remis, mémoire au Comité, 18 février 2002.
173Santé Canada, Le VIH et le sida au Canada : Rapport de surveillance au 31 décembre 2001, Santé Canada, 2002, p. 4-6. Accessible en ligne à l’adresse suivante :
174Glenn Betteridge, membre, Réseau juridique canadien VIH/sida, témoignage devant le Comité, 19 février 2002.
175Dre Carole Morissette, spécialiste en santé communautaire, témoignage devant le Comité, 13 juin 2002.
176Coleen Conway, directrice, Programme de surveillance des prescriptions de Nouvelle-Écosse, témoignage devant le Comité, 28 août 2002.
177Naomi Brunemeyer, directrice des communications, B.C. Persons With AIDS Society, témoignage devant le Comité, 5 décembre 2001.
178Dr Douglas Gourlay, Douleur et chimiodépendance, Centre de la gestion de la douleur Wasser, Fondation de l’hôpital Mont Sinai de Toronto, témoignage devant le Comité, 21 février 2002.
179Le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique contrôle l’administration du plus grand programme de traitement à la méthadone au Canada. Pour plus de renseignements sur ce programme complet et bien structuré, voir le témoignage de Peter Hickey devant le Comité, 28 août 2002.
180On peut trouver les détails de cette étude sur l’essai à l’héroïne, intitulée « La prescription médicale d’héroïne — Tour d’horizon », dans la Revue canadienne VIH/SIDA et droit, volume 6 nos 1 et 2, au site Web du Réseau juridique canadien VIH/sida à l’adresse suivante :
181Dr Michael O’Shaughnessy, vice-président, directeur chargé de la recherche, Centre d’excellence en VIH-sida, Université de la Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
182Réseau juridique canadien VIH/sida, « La prescription médicale d’héroïne — Tour d’horizon », dans la Revue canadienne VIH/SIDA et droit, volume 6, nos 1 et 2, à l’adresse suivante :
183Dr Mark Tyndall, témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
184Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue, Santé Canada, 1998, p. 4.
185Ibid.
186Dre Diane Riley, The Harm Reduction Model: Pragmatic Approaches to Drug Use from the Area between Intolerance and Neglect, Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, 1994, p. 15.
187Donald MacPherson, coordonnateur de la politique sur les drogues, Service de planification sociale, ville de Vancouver, témoignage devant le Comité, 4 décembre 2001.
188Réduire les méfaits associés à l’usage des drogues par injection au Canada, préparé par le Comité consultatif FPT sur la santé de la population, le Comité FPT sur l’alcool et les autres drogues, le Comité consultatif FPT sur le sida et le Groupe de travail FPT des représentants des Services correctionnels sur le VIH/sida, septembre 2001. Accessible en ligne à l’adresse suivante :
189Dre Carole Morissette, spécialiste en santé communautaire, témoignage devant le Comité, 13 juin 2002.
190M.T. Schechter et M.V. O’Shaughnessy, « Distribution of injection drug users in the Lower Mainland »,dans BC Medical Journal, vol. 42, no 2, mars 2000.
191Santé Canada, Le VIH et le sida au Canada : rapport de surveillance au 31 décembre 2001, Santé Canada, 2002, p. 4-6. Accessible en ligne à l’adresse suivante :
192Glenn Betteridge, membre du Réseau juridique canadien VIH/sida, Notes d’allocution, témoignage devant le Comité, 19 février 2002.
193L’injection de drogue dans les prisons est abordée au Chapitre 6.
194Le traitement de maintien à la méthadone et la prescription d’héroïne sont abordés dans la section précédente sur le traitement.
195Ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, direction de la Santé publique de l’Ontario, Lignes directrices touchant les programmes et les services de santé, décembre 1997.
196Jamie Hamilton, témoignage devant le Comité, 6 décembre 2001.
197Dre Carole Morissette, spécialiste en santé communautaire, témoignage devant le Comité, 13 juin 2002.
198Information tirée du Rapport sur la toxicomanie et les drogues, rédigé pour le ministère fédéral de la Santé de l’Allemagne.
199Kate Dolan, et al., « Drug consumption facilities in Europe and the establishment of supervised injecting centres in Australia », dans Drug and Alcohol Review, vol. 19, 2000, p. 337-346.
200R. Elliot, Establishing Safe Injection Facilities in Canada: Legal and Ethical Issues, Canadian HIV/AIDS Legal Network (Réseau juridique canadien VIH/sida), 2002, accessible en ligne à l’adresse suivante :
201Safe Injection Facilities: Proposal for a Vancouver Pilot Project, préparé par Thomas Kerr pour la Harm Reduction Action Society, novembre 2000.
202L’étude sur les utilisateurs de drogue injectables de Vancouver (VIDUS) est une étude pluriannuelle d’une cohorte de plus de 1 400 toxicomanes entreprise en 1996. L’étude permet de suivre l’incidence et la prévalence du VIH parmi les toxicomanes au fil du temps. Elle signale 100 nouvelles infections à VIH et 125 décès au sein de cette cohorte entre le début de l’étude en 1996 et l’an 2000. D’autres résultats de cette étude en cours ont donné lieu à de nombreuses publications, qui sont citées dans des documents accessibles en ligne par l’intermédiaire du site de PubMed à l’adresse suivante :
203Naomi Brunemeyer, directrice des Communications, B.C. Persons With AIDS Society, témoignage devant le Comité, 5 décembre 2001.
204E. Wood et al., « Unsafe injection practices in a cohort of injection drug users in Vancouver: could safe injecting rooms help? » Canadian Medical Association Journal, August 21, 2001, Volume 165, Issue 4, p. 436-437. Le contenu de cette publication est accessible en ligne à l’adresse suivante :
205Dr. Anita Palepu et al., « Hospital utilization and costs in a cohort of injection drug users », Canadian Medical Association Journal, August 21, 2001, Volume 165, Issue 4, p. 415-420.
206Dr Martin Schechter, chef de l’épidémiologie et de la biostatistique, Université de la Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 3 décembre 2001.
207Notamment le témoignage de Warren O’Briain, directeur, Développement communautaire, AIDS Vancouver, devant le Comité, 5 décembre 2001.
208Dr Barry Power, PharmaD, directeur du Développement de la pratique, Association des pharmaciens du Canada, témoignage devant le Comité, 27 août 2002.
209Dr Brian Taylor, registraire adjoint, Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 28 août 2002.
210Ibid.
211Dr Dennis Kendel, registraire, Collège des médecins et chirurgiens de la Saskatchewan, témoignage devant le Comité, 28 août 2002.
212Dr Brian Taylor, registraire adjoint, Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 28 août 2002.
213On trouvera plus d’information sur PharmaNet au site Web du ministère des Services de santé de la Colombie-Britannique, à l’adresse suivante : healthnet.hnet.bc.ca/catalogu/products/pnet/.
214Dr Brian Taylor, registraire adjoint, Collège des médecins et chirurgiens de Colombie-Britannique, témoignage devant le Comité, 28 août 2002.