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PROC Rapport du Comité

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CHAMBRES DES COMMUNES
HOUSE OF COMMONS
OTTAWA, CANADA
K1A 0A6
 

38e Législature, 1re Session

Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a l’honneur de présenter son

QUATORZIÈME RAPPORT
  1. Conformément à l’ordre de renvoi du lundi 15 novembre 2004 de la Chambre des communes, le Comité présente le rapport suivant.

  2. La Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (communément appelée la Commission Gomery, du nom de son commissaire, l’honorable juge John H. Gomery) a été instituée par décret aux termes de la Loi sur les enquêtes pour enquêter et faire un rapport sur des questions soulevées, directement ou indirectement, dans les chapitres 3 et 4 du rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale à la Chambre des communes au sujet du programme de commandites et des activités de publicité du gouvernement du Canada.

  3. Il s’agit de savoir si l’avocat de la Commission peut utiliser, pour contre interroger des témoins, des déclarations antérieures faites devant le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes lors des audiences qu’il a consacrées au rapport de la vérificatrice générale au cours de la troisième session de la 37e législature. Le Commissaire a demandé à la Chambre des communes si elle serait disposée à lever l’immunité parlementaire à cette fin.

  4. Pour répondre à cette question, le Comité permanent des comptes publics a tenu des audiences au cours desquelles les avocats de diverses parties ont présenté leurs arguments à ce sujet. Le 5 novembre 2004, le Comité a déposé à la Chambre des communes son troisième rapport dans lequel il recommande que la Chambre réaffirme tous ses privilèges et immunités et que toutes les délibérations du Comité permanent des comptes publics ainsi que tous les témoignages, observations et dépositions de toutes les personnes qui y participent continuent d’être protégés par ces privilèges et immunités. Il recommande également que la question de tout autre examen de ces privilèges quant à leur application à la Commission d’enquête, ou en général, soit déférée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, selon l’ordre de renvoi suivant :

    Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre étudie la question de savoir s’il est opportun que la Chambre des communes renonce aux privilèges prévus à l’article 9 du Bill of Rights de 1689 et, le cas échéant, dans quelles circonstances, et examine notamment les éléments suivants :

    1. les circonstances à l’origine de ce renvoi;

    2. les points de vue du Comité permanent des comptes publics;

    3. l’état de la question au Canada;

    4. l’état de la question dans le Commonwealth;

    5. tout autre élément qu’il estime indiqué.
  5. La Chambre des communes a agréé le troisième rapport du Comité permanent des comptes publics le 15 novembre 2004. Reconnaissant l’urgence et l’importance de l’affaire, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre s’est immédiatement réuni pour mettre sur pied un sous comité chargé d’étudier l’ordre de renvoi. Le sous comité a entendu les experts suivants : Rob Walsh, légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes; J.P. Joseph Maingot, c.r., ancien légiste et conseiller parlementaire et auteur de l’ouvrage Le privilège parlementaire au Canada; et Robert Marleau, ancien greffier de la Chambre des communes et co auteur de La procédure et les usages de la Chambre des communes. Le Comité souhaite remercier ces personnes d’être venues témoigner à court préavis.

  6. Lors de sa comparution, M. Walsh a commenté le témoignage et le conseil qu’il a donnés devant le Comité permanent des comptes publics et expliqué la raison d’être du privilège parlementaire ainsi que les enjeux qui en découlent. À son avis, le Comité doit déterminer si la Chambre devrait autoriser l’utilisation restreinte de témoignages parlementaires à l’extérieur de la Chambre ou si elle devrait défendre ses privilèges. M. Walsh a insisté sur le fait que si le Comité réaffirme tous les privilèges sans exception, la Chambre doit alors être prête à les défendre devant les tribunaux, le cas échéant. Le témoin suivant, M. Maingot, a fait l’historique du privilège parlementaire et de l’article 9 de la Déclaration des droits de 1689. À son avis, le privilège ne peut être levé qu’au moyen d’une loi et non d’une résolution de la Chambre des communes. Quant à lui, M. Marleau a parlé du rapport présenté en 1999 par le Comité mixte du privilège parlementaire du Royaume-Uni et dans lequel le Comité soutenait que les allégations voulant qu’une intervention au Parlement ait été inspirée par des motifs inacceptables ou qu’elle ait été fausse ou qu’elle ait visé à induire le Parlement en erreur devraient être examinées et jugées par la Chambre elle-même en vertu du droit qu’elle a de régir elle-même ses affaires. Après avoir passé en revue certaines des considérations et implications de l’affaire qui nous occupe, il a pressé la Chambre d’agir en fonction de l’intérêt du Parlement.

  7. La principale question posée au Comité est de savoir si la Chambre des communes devrait autoriser la Commission Gomery à utiliser des témoignages faits devant le Comité permanent des comptes publics pour contre interroger des témoins. Comme on l’a souvent répété, le privilège appartient à la Chambre et non aux députés.

  8. À première vue, il peut sembler raisonnable que la Chambre des communes acquiesce à cette demande. Tous les députés souhaitent vivement faciliter le travail de la Commission et l’aider à établir les faits à l’égard du programme de commandites et des activités publicitaires du gouvernement du Canada. Contre interroger des témoins à la lumière de déclarations contradictoires antérieures est un excellent moyen d’obtenir des témoignages et d’établir leur crédibilité.

  9. Les membres du Comité n’oublient toutefois pas que le privilège parlementaire est enchâssé dans la Constitution canadienne et qu’il touche l’essence même du régime parlementaire. Les députés actuels sont les gardiens du privilège qui protège ceux qui nous ont précédés et ceux qui nous succéderont. À supposer qu’il soit possible de lever ce privilège, on ne devrait pas le faire à la légère ni sans un examen attentif de l’ensemble des circonstances et intérêts.

  10. La plupart des observateurs considèrent que la liberté d’expression dans les délibérations parlementaires est l’aspect le plus important du privilège parlementaire dans le contexte moderne. L’article 9 de la Déclaration des droits de 1689 prévoit ce qui suit :
    La liberté de parole et les débats ou les délibérations du Parlement ne doivent être contestés ou mis en doute devant aucun tribunal ou en aucun autre lieu que le Parlement.
    Dans ses Commentaries on the Laws of England, 17e édition (1830), vol. 1, p. 163, Blackstone affirmait ce qui suit :
    La loi et la coutume parlementaires prennent leur origine dans la maxime suivante : « Toute affaire concernant l'une ou l'autre Chambre du Parlement se doit d'être examinée, discutée et jugée dans la Chambre à laquelle elle se rapporte et nulle par ailleurs ».
  11. La liberté d’expression permet aux députés du Parlement de s’exprimer librement et sans crainte. Elle est essentielle à l’efficacité de la Chambre. Les témoins qui comparaissent devant les comités parlementaires ont droit à la même protection que les députés. Une résolution adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes du Royaume Uni le 26 mai 1818 porte [traduction libre] « Que tous les témoins entendus par cette Chambre, ou par l’un de ses comités, ont droit à la protection de la Chambre en ce qui a trait à tout ce qu’ils pourraient dire dans leur témoignage ».

  12. Ce principe fait partie intégrante du droit canadien — en vertu de l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi sur le Parlement du Canada — et il a été réaffirmé à maintes reprises dans les pays dotés d’un régime parlementaire inspiré de Westminster. En 1994, dans l’affaire Prebble c. Television New Zealand Ltd., le Comité judiciaire du Conseil privé fait mention du [traduction libre] :
    principe fondamental de l’article 9, c’est à dire la nécessité de s’assurer, dans la mesure du possible, que les membres de la législature et les témoins comparaissant devant les comités de la Chambre puissent s’exprimer librement et sans craindre que leur témoignage ne soit retenu contre eux devant les tribunaux. L’important intérêt public protégé par ce privilège est de faire en sorte que le député ou le témoin, au moment où il livre son témoignage [en italique dans le document original], n’ait aucune hésitation à dire librement tout ce qu’il a à dire. Si des exceptions permettaient de mettre ultérieurement son témoignage en doute, il ne saurait pas, au moment de son intervention devant le Parlement, si ses paroles risqueraient d’être contestées par la suite. Il n’aurait donc pas la confiance que le privilège est censé protéger.
  13. Au Parlement canadien, il existe deux cas où la Chambre des communes aurait renoncé au privilège à l’égard des délibérations du Parlement. La première fois, en 1892, des accusations criminelles avaient été portées contre un ancien député expulsé pour corruption et trafic d’influence. Dans l’autre cas, en 1978, la Chambre avait unanimement accepté de remettre le compte rendu de délibérations à huis clos d’un comité à une commission royale d’enquête qui voulait connaître la teneur exacte d’allégations. La Chambre avait demandé la permission à chaque témoin concerné et exigé de la Commission qu’elle examine les témoignages à huis clos. Compte tenu des conclusions auxquelles nous sommes arrivés, nous n’avons pas à déterminer s’il faut considérer ces cas comme des précédents ni s’il faut s’en tenir à la procédure appliquée dans les deux cas ni s’il faudrait absolument légiférer pour permettre des exceptions au privilège.

  14. Certain témoins qui ont comparu devant le Comité permanent des comptes publics avaient reçu une assurance orale ou écrite, et d’autres pouvaient supposer, que leur témoignage serait protégé par le privilège parlementaire. Leur retirer cette protection après coup serait injuste envers eux, et, en principe, ce serait contraire à l’intérêt supérieur du Parlement et aux droits parlementaires. Les députés et les autres personnes qui prennent part aux délibérations parlementaires doivent avoir l’assurance qu’ils jouissent d’une entière liberté d’expression afin de pouvoir être aussi transparents et francs que possible.

  15. Cela ne veut pas dire que les députés sont prêts à prendre à la légère des allégations voulant que des témoins aient trompé des comités parlementaires ou leur aient menti. Ils y attachent au contraire le plus grand sérieux et, si ces allégations sont prouvées, les témoins visés seront punis avec toute la rigueur de la loi. En vertu de l’article 12 de la Loi sur le Parlement du Canada et des articles 132 et 136 du Code criminel, toute personne qui témoigne sous serment peut être accusée de parjure si elle ment délibérément à un comité parlementaire.

  16. De plus, une réponse ou un témoignage déloyaux devant une Chambre du Parlement ou un comité parlementaire constitue un outrage punissable, les sanctions à la discrétion de la Chambre allant de la réprimande à l’emprisonnement. Un député pourrait soulever une question de privilège à la Chambre des communes et, si le Président la jugeait fondée à première vue, l’affaire pourrait être déférée à un comité pour examen. Les comités permanents peuvent aussi rappeler des témoins pour qu’ils expliquent certaines contradictions apparentes.

  17. Induire la Chambre des communes et ses comités en erreur ou leur mentir porte atteinte à l’intégrité des délibérations parlementaires; il revient toutefois à la Chambre de poursuivre les fautifs et de les punir. Autoriser l’utilisation de témoignages livrés dans le cadre de délibérations parlementaires pour contre interroger un témoin devant une commission d’enquête (ou un organisme judiciaire ou autre) serait contraire aux dispositions de l’article 9 de la Déclaration des droits de 1689. De plus, cela ébranlerait et remettrait en cause le principe établi depuis longtemps de l’autonomie et de l’indépendance des autorités législatives et judiciaires. Cela minerait enfin la confiance que les députés et les témoins doivent avoir dans leur droit à la liberté d’expression au Parlement.

  18. Les députés de la Chambre des communes ont examiné les circonstances qui ont donné lieu à cet ordre de renvoi, les opinions du Comité permanent des comptes publics, ce qu’on pense de la question au Canada et dans d’autres pays du Commonwealth ainsi que d’autres sujets. Après un examen attentif de toutes ces considérations, le Comité est arrivé à la conclusion qu’il n’est ni approprié ni dans l’intérêt public de renoncer au privilège dans cette affaire. Aussi recommandons-nous que la Chambre des communes continue d’affirmer ses privilèges et refuse que les comptes rendus de ses délibérations ou de celles de ses comités servent aux contre interrogatoires devant la Commission Gomery. Nous recommandons également que la Chambre, par l’intermédiaire du Président, et le Bureau de régie interne prennent les mesures nécessaires pour affirmer et défendre ces privilèges.
Le Comité recommande :

Que la Chambre des communes réaffirme tous les privilèges et immunités mentionnés dans sa résolution du 15 novembre et que toutes les délibérations du Comité permanent des comptes publics ainsi que les témoignages, observations et dépositions de toutes les personnes qui y participent continuent d’être protégés par ces privilèges et immunités;

Que le Président de la Chambre soit autorisé à prendre les mesures qu’il juge indiquées pour défendre les privilèges de la Chambre des communes devant la Commission d’enquête ou tout tribunal chargé d’examiner, avant ou après le fait, une éventuelle décision de la Commission concernant les privilèges de la Chambre des communes, de ses députés ou des témoins.

Une copie du procès-verbal pertinents (réunion nos 8 et 9) est déposé.

Respectueusement soumis,



Le président,



L’hon. Don Boudria, c.p., député